OCTOBRE 1835 - FÉVRIER
1838. -
COMMENT
GEORGE
MÜLLER FONDA LE PREMIER ORPHELINAT : POUR
ÉLEVER UN MONUMENT À LA
FIDÉLITÉ IMMUABLE DU DIEU VIVANT, ET
FORTIFIER LA FOI DES FAIBLES. -
INCRÉDULITÉ DE LA MAJORITÉ DES
CHRÉTIENS. - SOUCIS. - INQUIÉTUDE. -
« RECHERCHER PREMIÈREMENT LE
ROYAUME DE DIEU ET SA JUSTICE ». -
PRIÈRE ET EXAUCEMENTS : DE L'ARGENT,
DES DONS EN NATURE, LE PERSONNEL. -
LE
DON D'UNE
OUVRIÈRE PAUVRE ET SON HISTOIRE. -
Depuis quelque
temps
déjà, George Müller songeait
à fonder un orphelinat. Durant son
séjour en Allemagne, l'année
précédente, il avait revu avec le
plus vif intérêt les
Établissements de Halle qu'avait
fondés Francke. Dieu lui demandait-il aussi
d'ouvrir une maison pour orphelins ?
N'était-il pas déjà
très pris avec les oeuvres existantes ?
Cette fondation d'un orphelinat revenait toujours
à sa pensée, mais cela
procédait-il de Dieu ? Il fallait qu'il
en eût la certitude avant d'agir ; il
n'aurait pu aller de l'avant de son propre
mouvement. Était-ce à cause des orphelins que
cette
fondation s'imposait à lui ? -
Non ! Et il le dit catégoriquement dans
ses Mémoires où nous lisons
ceci :
« Mes travaux
de
pasteur, ma volumineuse correspondance, les
conversations avec les frères, m'obligent
à constater chaque jour davantage que ce qui
manque le plus aux chrétiens de notre
époque, C'EST LA FOI ; ILS ONT BESOIN
D'ÊTRE FORTIFIÉS DANS LA FOI. Je
m'explique : voici des frères qui
travaillent de quatorze à seize heures par
jour, et ceci nuit tout à à la fois
à leur santé physique et spirituelle,
leur âme est languissante ; les choses
de Dieu les laissent indifférents. Si je
leur conseille de moins travailler à cause
de leur santé, et de se fortifier
spirituellement, par la lecture de la Bible et la
prière, ils me répondent
généralement ceci :
« Moins de travail c'est aussi moins
d'argent pour l'entretien de la famille. Or nous
pouvons à peine joindre les deux bouts
maintenant ! On est si peu payé
aujourd'hui... qu'il faut accepter le surmenage
pour s'en tirer. » N'est-il pas
évident que ce qui manque à ces
frères, c'est la confiance en Dieu ; et
que ce raisonnement révèle leur
manque de foi dans cette promesse du Sauveur :
« Recherchez premièrement le
royaume de Dieu et sa justice et toutes choses vous
seront données par
surcroît. »
Je réponds à mon
interlocuteur que c'est Dieu qui fait vivre sa
famille et non son travail ; que celui qui les
a nourris lui et les siens lorsqu'il était
malade saura bien encore subvenir à ses
besoins s'il diminue les heures de travail pour
nourrir son âme : « Le matin,
vous ne donnez que quelques instants à la
prière, dis-je, et le soir vous êtes
trop fatigué pour jouir de la lecture de la
Parole de Dieu ; il arrive même que le
sommeil vous
surprenne dans votre lecture, ou à genoux
quand vous priez. » On m'accorde
généralement qu'il en est bien
ainsi..., que mon conseil a du bon ; et c'est
tout. Mais ce qu'on ne me dit pas et que je devine,
à toute l'attitude, c'est que mon cher
frère pense qu'il n'y a pas moyen de faire
autrement.
Ou bien encore, voici
des
enfants de Dieu qui se laissent épouvanter
par le spectre de la vieillesse : que
deviendront-ils quand ils ne pourront plus
travailler ? La terreur de l'hospice les
hante ; ils vivent dans l'inquiétude
à cause du lendemain. Si je leur fais voir
que dans le passé, Dieu a constamment
aidé ceux qui se contient en lui, ils ne se
sentent pas toujours libres de répondre que
les temps sont changés, mais il est
manifeste que le Père céleste n'est
pas pour eux, le DIEU VIVANT.
Ou encore, voici des
frères dans le commerce ; ils ne sont
pas en règle avec Dieu parce qu'ils traitent
leurs affaires comme les gens de ce monde, et leur
conscience en souffre. Et pour s'excuser ils disent
qu'il y a la concurrence et la surpopulation, que
les temps sont difficiles, que pour réussir
il faut faire comme les autres, et que ce serait
courir à la faillite que d'observer les
commandements de Dieu en affaires, etc.... etc...
On exprimera peut-être le désir de
changer de position ?... Mais j'ai rarement vu
que pour rester en paix avec sa conscience, on
prît la sainte résolution de
s'attendre uniquement au Dieu vivant et de
dépendre de lui seul.
D'autres frères et
soeurs
exercent des professions qui ne sont pas
compatibles avec leurs principes
chrétiens ; mais que deviendraient-ils
s'ils y renonçaient ? Ils redoutent
d'avoir à laisser une situation sur laquelle
cependant, ne
peut
reposer la bénédiction de Dieu. Ils
craignent de ne pas trouver d'autre
emploi.
L'incrédulité que
ces divers états d'esprit
révèlent m'a souvent
accablé ; et je souhaite ardemment
pouvoir faire la preuve que Dieu est toujours le
même pour quiconque se confie en lui. Je
désire pouvoir montrer aux faibles dans la
foi, par des preuves qui ne soient pas uniquement
tirées de l'Écriture, que Dieu peut
toujours et veut toujours les aider qu'Il est
ENCORE AUJOURD'HUI CE QU'IL ÉTAIT HIER.
Je sais parfaitement
que les Saintes Écritures doivent
suffire ; elles ont suffi pour moi avec le
secours de sa grâce ; toutefois si je
puis aider mes frères en faisant devant eux
la preuve de la fidélité immuable de
Dieu, je dois la faire. Le récit de ce que
le Seigneur a accompli par le moyen de son
serviteur Francke a été pour moi en
bénédiction. Je crois donc que je
dois servir l'Eglise concernant la chose pour
laquelle il a plu au Seigneur de manifester sa
faveur envers moi ; je veux parler de la
capacité de le prendre au mot en me reposant
uniquement et parfaitement sur sa
Parole.
Cette inquiétude qui
ronge la plupart des chrétiens, leurs
soucis, leur culpabilité en refusant de
croire Dieu, ont été les moyens dont
le Seigneur s'est servi pour allumer en moi
l'ardent désir de donner en ce
siècle, à l'église et au
monde, la preuve qu'Il est toujours le même.
Et cette preuve-là, il me semble que rien ne
pourrait la faire aussi bien qu'un orphelinat,
puisque ceci sera visible, tombera sous les
sens : or, si un homme pauvre peut fonder un
orphelinat et le faire subsister uniquement par la
prière et la foi, SANS BIEN DEMANDER
À PERSONNE, cela accompagné de la bénédiction de
Dieu, fortifiera les faibles, augmentera leur foi,
et de plus manifestera aux incrédules la
réalité des choses divines et
éternelles. Telle est la raison primordiale
qui ramène constamment à ma
pensée la fondation d'un
orphelinat.
Certes, je désire de
tout
coeur que Dieu m'emploie pour faire du bien
à de pauvres enfants sans père ni
mère ; avec son aide, je m'occuperai de
leurs corps et de leurs besoins temporels et je
veillerai à ce qu'ils soient
élevés dans sa crainte. Cependant mon
but principal, c'est que Dieu soit magnifié.
Qu'il soit magnifié parce que les
orphelinats auront tout ce qu'il leur faudra
uniquement en réponse à la
prière et à la foi, et sans que rien
soit demandé à personne. Par
là, il sera manifeste que DIEU EST TOUJOURS
FIDÈLE, et qu'IL ENTEND TOUJOURS LA
PRIÈRE (1).
20 novembre.
- Ce soir,
j'ai pris le thé chez une soeur, et j'ai
trouvé chez elle une vie de Francke. Je
pense constamment à travailler comme lui,
mais sur une moins vaste échelle ; non
pour l'imiter, mais pour glorifier Dieu. Que le
Seigneur me montre sa volonté.
21 novembre. -
La
pensée d'un orphelinat n'a cessé
d'occuper mon coeur aujourd'hui. Le moment n'est-il
pas venu de faire autre chose que d'y penser ;
et d'agir ? J'ai instamment prié Dieu
de me montrer sa volonté.
23 novembre. -
J'ai
reçu aujourd'hui pour l'Institut biblique
deux cent cinquante francs envoyés
d'Irlande. En quelques jours le Seigneur m'a
donné douze cent cinquante francs en
réponse à la prière. Je n'en
avais seulement demandé mille. Ceci m'a
fortifié et m'a encouragé à
penser davantage à l'orphelinat, à
prier davantage aussi.
25 novembre. -
J'ai
beaucoup prié à ce sujet
aujourd'hui ; et je suis de plus en plus
convaincu que cette pensée constante d'un
orphelinat vient de Dieu. Qu'Il daigne me conduire
dans sa bonté !
28 novembre. -
J'ai
beaucoup prié cette semaine pour
l'orphelinat, demandant chaque jour à Dieu
qu'il ôte cette pensée de mon coeur si
elle ne procède pas de lui. J'ai aussi
soigneusement examiné mon coeur,
analysé mes motifs, non pas une fois mais
bien des fois, et je suis toujours plus convaincu
que ce dessein vient de Dieu.
2 décembre. -
Ce
matin j'ai particulièrement demandé
au Seigneur qu'il lui plut de me
révéler sa volonté par le
moyen de frère Caldecott. Je suis
allé voir celui-ci pour lui donner
l'occasion de sonder mon coeur. puisque ce que je
désire uniquement, c'est la gloire de Dieu,
il peut certainement se servir de ce frère
aussi bien que de tout autre pour me montrer si ce
projet vient ou non de lui. Or, frère et
soeur C. m'ont fort encouragé. J'ai donc
commandé l'impression de cartes
d'invitations pour une réunion publique le 9
décembre. Voici le premier pas accompli. Je
vais maintenant exposer mes projets devant les
frères ; c'est encore là un
moyen de me renseigner plus exactement sur la
pensée du Seigneur.
5 décembre. -
Ce
soir en lisant les Écritures, j'ai
été frappé par ces
paroles : « Ouvre ta bouche et je
la remplirai »
(Psaume
LXXXI : 10).
Jusque-là je n'avais pas encore prié
pour les ressources nécessaires, ni pour le
personnel qu'il faudra trouver. Séance
tenante je m'appropriai la promesse de ce verset
pour l'orphelinat et, prenant le Seigneur au mot,
je lui demandai un local, mille livres sterling, et
des personnes qualifiées pour prendre soin
des enfants.
9 décembre.
- J'ai
reçu aujourd'hui le premier objet
mobilier : une très grande garde-robe.
J'ai été très abattu cet
après-midi et ce soir en pensant à
l'orphelinat ; mais une fois à la
chapelle et dès que je commençai
à parler, Dieu m'a particulièrement
soutenu ; il a versé en mon coeur sa
paix et sa joie, et l'assurance que cette maison
pour orphelins était bien selon sa
volonté. À l'issue de la
réunion, on me donna douze francs
cinquante. Intentionnellement, j'avais fait
supprimer la collecte. Personne d'autre que moi
n'a parlé. Je redoutais de faire vibrer
l'émotion, d'agir sur les sentiments,
voulant par-dessus tout connaître la
pensée de Dieu. À l'issue de la
réunion, une soeur m'a offert ses services.
Rempli de la joie du Seigneur, j'ai repris le
chemin de la maison, tout à fait certain
maintenant que l'oeuvre s'accomplira, bien que je
n'aie actuellement que douze francs cinquante en
poche pour sa réalisation.
Si nous pensons
agrandir notre
champ d'action, ce n'est pas que nous ayons eu de
grandes ressources ces temps-ci. Au contraire, nous
avons plutôt connu la disette. Mais les
multiples exaucements que Dieu nous a
accordés pour l'Institut biblique,
antérieurement, nous ont amenés,
frère C ... r et moi, à nous adonner à la
prière pour obtenir les ressources
nécessaires. Durant cinq jours, nous avons
prié ensemble ou séparément,
et Dieu nous a répondu : En peu de
temps, nous avons reçu douze cent cinquante
francs.
Je dois dire que les
voies de
Dieu à mon égard, la manière
dont il a subvenu à tous mes besoins durant
les cinq années écoulées sans
que j'eusse de traitement fixe, les provisions et
les vêtements reçus au moment qu'ils
étaient nécessaires, tous dons qui ne
sont pas faits avec parcimonie mais avec largesse
et par des donateurs dont quelques-uns sont
certainement d'intimes amis mais aussi par une
large proportion d'inconnus, certains de Bristol
mais beaucoup d'autres habitent les endroits les
plus éloignés, tout cela m'a conduit
à penser que ce don de foi mis en mon coeur
par Dieu n'était pas uniquement pour mon
bénéfice particulier ; mais
aussi pour celui des autres. Voici
déjà quatre ans que je
réfléchis à cela.
Déjà, à Teignmouth, lorsque je
voyais de pauvres enfants courir par les rues, je
me demandais si la volonté de Dieu
n'était pas que j'ouvrisse des écoles
pour eux, en m'attendant à lui pour les
subsides nécessaires. Deux ou trois ans
après, ces écoles furent ouvertes et
devinrent l'une des branches de notre Institut
biblique.
Depuis, c'est la
pensée
d'un orphelinat qui s'est imposée à
moi, cela remonte à quatorze mois à
peu près, et j'ai demandé à
Dieu qu'Il nous aidât à le fonder si
cela était selon sa volonté ;
sinon je le priais de m'ôter cette
pensée de l'esprit. Eh bien ! j'y songe
constamment et je prie toujours plus à ce
sujet aussi je crois que Dieu désire que
cette maison s'ouvre.
S'il en est bien
ainsi, Dieu
peut amener ses serviteurs, en
quelque endroit du monde qu'ils habitent, à
nous envoyer, à frère C ... r et
à moi, tout le nécessaire. Je ne
regarde pas à Bristol en cette affaire, ni
à l'Angleterre, mais au Dieu vivant. C'est
à lui que l'argent et l'or appartiennent.
Aussi quand nous aurons reçu ce qu'il nous
faut pour louer une maison et la meubler, et que
nous aurons trouvé les personnes
qualifiées pour s'occuper des enfants, nous
irons de l'avant, bien assurés que Celui qui
nous a enseignés à lui demander notre
pain quotidien, nous aidera encore à
regarder à lui pour les besoins quotidiens
des enfants qu'Il lui plaira de nous
confier.
En cette affaire, la
question
des aides nécessaires est aussi importante
que celle des fonds ; nous l'avons donc aussi
exposée devant Dieu.
10 décembre. -
Ce
matin j'ai reçu la lettre suivante d'un
frère et d'une soeur :
« Si vous
nous croyez
qualifiés pour aider dans l'Orphelinat, nous
vous offrons nos services. Nous vous offrons aussi
tout notre mobilier.... etc. Nous ne
désirons pas de salaire, dans la conviction
que Dieu, s'il nous appelle, subviendra à
tous nos besoins... » Le même soir,
un frère m'apportait de la part de plusieurs
donateurs : trois plats, vingt-huit assiettes,
trois cuvettes, un broc, quatre timbales, trois,
salières, une râpe, quatre couteaux et
cinq fourchettes.
12 décembre. -
Tandis que je priais Dieu ce matin, qu'il
voulût bien nous donner une nouvelle marque
de sa faveur, un frère a apporté
trois plats, douze assiettes, une cuvette et une
couverture. Après avoir remercié le
Seigneur, je lui ai demandé un nouvel
encouragement, et peu après nous recevions
douze cent cinquante francs
d'une personne dont je ne pouvais espérer
cette somme, et cela pour plusieurs raisons.
L'intervention. du Seigneur était donc
d'autant plus manifeste. Je me sentis porté
à prier à nouveau ce même jour,
pour recevoir encore davantage, et le
résultat c'est qu'on apporta dans la
soirée vingt-huit mètres d'indienne.
Enfin une autre soeur offrit ses services pour
l'Orphelinat.
18
décembre. - Cet après-midi, j'ai
reçu un couvre-pieds, un support de fer
à repasser, huit bols et soucoupes, un
sucrier, un pot à lait, une tasse à
thé, seize dés, cinq couteaux, cinq
fourchettes, six cuillers à dessert 12
cuillers à thé, quatre
démêloirs et deux petites
râpes ; par un autre ami : un fer
à repasser, un bol et la soucoupe. Il a
apporté en même temps deux mille cinq
cents francs de la part d'une soeur très
pauvre. [Dans une publication subséquente,
G. Müller ajoute au sujet de ce don :
« Depuis, il a plu à Dieu de
reprendre la donatrice ; il m'est donc
possible de donner quelques détails sur
elle, et sur le don qu'elle fit, ce qui pourra
concourir à l'édification de
plusieurs avec le secours de la grâce de
Dieu. »]
Je connaissais A. L.,
presque
depuis le moment de mon arrivée à
Bristol, en 1832. Elle gagnait sa vie avec son
aiguille et recevait entre 2 fr. 50 et 6 fr. 50 par
semaine, soit une moyenne de 4 fr. 35 au plus, car
elle était souvent souffrante et ne pouvait
beaucoup travailler. Mais cette chère soeur,
toujours si humble, était satisfaite de ce
qu'elle avait ; je ne me souviens pas de
l'avoir entendue se plaindre une seule fois. Peu de
temps avant l'ouverture de l'Orphelinat, son
père mourait, et elle entrait ainsi que son
frère et ses deux soeurs en possession de la
part qui lui revenait de
l'héritage d'une grand'mère :
chacun reçut 12.000 francs. De son vivant,
le père avait touché
l'intérêt de la somme globale. Comme
cet homme s'adonnait à la boisson et
laissait des dettes, ses enfants
décidèrent d'offrir le vingt du cent
aux créanciers. Ceux-ci qui,
légalement, n'avaient aucun droit,
acceptèrent avec empressement et furent
payés partiellement. A. L. se dit alors
ceci : « La culpabilité de
mon père n'empêche pas qu'il soit mon
père, et puisque j'ai de quoi payer ses
dettes complètement, et que mon frère
et mes soeurs s'en désintéressent, je
dois le faire en tant que chrétienne. Elle
alla donc trouver les créanciers en secret,
et elle les paya complètement. Puis son
frère et ses soeurs ayant versé
chacun douze cent cinquante francs pour leur
mère, A. L. se dit « Comme
enfant de Dieu, je dois donner le
double » et elle versa deux mille cinq
cents francs. Peu après, elle m'envoyait
aussi la même somme pour l'Orphelinat. J'en
fus extrêmement surpris, je la savais pauvre,
j'ignorais cet héritage, et sa mise
n'indiquait pas un changement de situation. Avant
d'accepter le don, j'allai la trouver et j'eus avec
elle une longue conversation pour essayer de
découvrir le mobile de son acte.
N'avait-elle pas obéi à quelque
impulsion du moment qu'elle regretterait
ensuite ? Ce point était des plus
importants car si elle avait donné pour
quelque raison qui ne fût pas scripturaire,
le moment des regrets serait venu tôt ou tard
et le nom du Seigneur en aurait été
déshonoré.
Mais quelques instants
de
conversation me suffirent pour découvrir
qu'en agissant ainsi cette soeur bien-aimée
avait voulu suivre Jésus, et qu'elle le
faisait délibérément,
calmement, après avoir bien pesé son
acte. En dépit des conseils de la raison,
elle voulait obéir aux
commandements du Seigneur : « Ne
vous amassez pas des trésors sur la
terre »
(Matthieu
VI : 19).
« Vendez ce que vous avez et le donnez
en aumônes »
(Luc
XII : 33). Et lorsque
j'essayai de l'en dissuader pour m'assurer qu'elle
avait suffisamment pesé sa décision,
elle me répondit : « Le
Seigneur Jésus a donné pour moi la
dernière goutte de son sang, et je ne lui
donnerais pas ces deux mille cinq cents
francs ? Je donnerais plutôt tout ce qui
me reste, si la fondation de l'Orphelinat devait en
dépendre ! » Ayant
constaté qu'elle s'appuyait sur la Parole de
Dieu et qu'elle avait bien pesé toutes
choses, je ne pus qu'accepter le don en admirant
les voies de Dieu qui se servait de cette soeur
pauvre et souffrante, pour aider puissamment aux
débuts de l'Oeuvre fondée en
regardant uniquement à Lui.
C'est aussi à ce
moment
qu'elle me remit cent vingt-cinq francs pour les
enfants de Dieu dans la pauvreté. Je veux
souligner que notre bien-aimée soeur fit le
silence sur tous ses dons, pour autant que cela
dépendait d'elle. Je crois bien que de son
vivant, il n'y eut que six frères et soeurs
parmi nous qui surent qu'elle avait
hérité certain jour de douze mille
francs et donné deux mille cinq cents francs
à l'Orphelinat. Mais ce n'est pas
tout : frère C ... r, l'un des
missionnaires de notre Institut biblique, visitait
à cette époque tout le quartier
habité par A. L., en allant de maison en
maison. C'est ainsi qu'il apprit qu'elle avait
donné à une pauvre femme un lit,
à une autre de la literie, à une
autre des vêtements, à une autre des
vivres. Incidemment, ici et là, il apprenait
ces actes d'amour. Le 4 août 1836, sept mois
après le don si généreux fait
à l'Orphelinat, elle vint me trouver et me
dit que la veille elle s'était sentie
poussée à prier afin que des fonds fussent
envoyés à l'Institut biblique. Et
tandis qu'elle priait elle se dit :
« De quelle utilité serait ma
prière si personnellement je ne donnais rien
quand je puis le faire ? » C'est
pourquoi elle m'apportait cent vingt-cinq francs.
À ce moment, j'avais bien des raisons de
croire qu'elle avait donné la plus grosse
partie de son héritage, aussi lui parlai-je
longuement pour m'assurer qu'elle donnait bien pour
le Seigneur et après mûre
délibération. Sa réponse fit
voir autant, de résolution que
précédemment et qu'elle était
mue par l'amour de Dieu uniquement. « Et
maintenant, dit-elle en guise de conclusion, vous
devez prendre une seconde somme de cent vingt-cinq
francs pour avoir l'assurance que la
première était donnée avec
joie. »
Je relèverai plus
particulièrement les quatre points suivants
qui se rapportent à la vie de notre soeur
dans la période d'abondance :
1° Elle fit tout ce
qui
dépendait d'elle pour qu'on ignorât
ses dons, montrant par là qu'elle ne
recherchait pas la louange des hommes ;
2° Elle demeura dans
l'humilité et dans la même
situation... ; 3° Elle ne changea rien
à sa manière de se vêtir alors
qu'elle jouissait d'une abondance relative :
toujours propre, sa mise resta pauvre. Son
logement, sa manière de vivre
restèrent ce qu'ils avaient toujours
été ; et pour tous, elle
continua d'être la pauvre servante du
Seigneur ;
4° Et voici ce qui est
aussi beau que tout le reste elle continua de
travailler pour gagner sa vie, ses trois à
cinq francs par semaine, alors qu'elle donnait par
billets de vingt-cinq ou de cent vingt-cinq
francs !
Quelques années avant
de
s'endormir dans le Seigneur, elle avait
donné tout ce qu'elle possédait.
Comme sa santé physique avait toujours
laissé à désirer et que son
état s'aggravait, elle devint très
particulièrement dépendante de son
Père céleste qui subvint à
tous ses besoins jusqu'au dernier moment. Alors que
l'argent commençait à lui manquer,
elle fit une première expérience qui
fortifia beaucoup sa foi. Voici ce qu'elle me
raconta : Elle n'avait plus un seul sou et sa
petite provision de thé et de beurre
était épuisée lorsque deux
chrétiennes arrivèrent pour la voir
qui restèrent quelque temps, puis dirent
leur intention de prendre le thé avec elle.
Notre soeur pensait intérieurement que cela
lui serait bien égal de se passer de
thé, mais que c'était une dure
épreuve que de ne pouvoir rien offrir
à ses visiteuses. Bien que cela lui
fît de la peine, elle essaya de leur faire
comprendre que le moment n'était pas
favorable. Mais les chères soeurs ne
saisirent pas, ou n'en eurent pas l'air, et se
mirent à sortir d'un panier thé,
sucre, pain et beurre, tout ce qui lui manquait,
tout ce qu'il fallait, et elles laissèrent
le reste des provisions en prenant congé...
Plus tard, la foi de notre soeur eut l'occasion de
s'exercer.
Elle n'avait jamais
rien dit
à personne de sa situation. Mais le Seigneur
la connaissait et subvenait à tous ses
besoins. Aussi ne se fatiguait-elle point de dire
les bontés de l'Éternel, et elle
faisait monter vers lui ses actions de grâce
et ses louanges, même aux heures de vive
souffrance. Elle partit pour être avec le
Seigneur en janvier 1844.
J'ai raconté ces
quelques
faits de la vie de cette ouvrière
chrétienne parce qu'ils sont à la
louange de Dieu et peuvent éveiller en
d'autres coeurs un désir d'imiter cette
fidèle servante du Seigneur, dans la mesure
où elle suivit Christ.
C'est en l'année 1835, alors que Mme
Müller était en visite chez une amie
à Stoke Bishop, qu'elle fut victime d'un
accident assez grave. En voulant se garer d'une
voiture qui tournait à toute allure du
côté où elle se trouvait, Mme
Müller courut et tomba. Elle eut la vie
sauve ; mais dans sa chute elle se blessa
grièvement. Bien des années
après, elle devait ressentir les suites de
cet accident...
Une autre année
s'achevait. Selon sa coutume, G. Müller jette
un coup d'oeil sur les semaines
écoulées pour compter les bienfaits
de Dieu et lui dire sa reconnaissance. Il fait
aussi le total des dons reçus qu'il consigne
dans son journal :
« Dans son
fidèle amour, écrit-il, Dieu a
subvenu à tous mes besoins : pendant
l'année qui finit il m'a été
envoyé ou remis sept mille cent vingt-six
francs quarante. »
George Müller avait
apporté à Dieu tous les
détails de l'oeuvre qu'il fondait sous son
regard, mais il avait cependant oublié un
point : les orphelines ! Il allait sans
dire, pensait-il, qu'il recevrait de nombreuses
demandes d'admission. Aucune ne se
produisit !
Le jour qu'on devait
amener les
postulantes arriva, dit-il j'attendis deux
heures ; personne ne se présenta En
retournant à la maison, il me vint à
la pensée que j'avais prié pour une
maison, pour de l'argent, des aides et le mobilier,
mais que j'avais tout à fait
négligé de demander à Dieu des
orphelines ! Et ceci m'amena à
m'humilier profondément devant lui : je
passai toute la soirée du 3 février
en prière, je sondai mon coeur, j'analysai
à nouveau mes motifs. Vraiment je n'avais
aucune ambition personnelle en cette affaire ;
je ne voulais que la gloire de Dieu d'abord, et en
second lieu faire du bien à des enfants sans
parents. Continuant de
prier, j'en arrivai à pouvoir dire à
Dieu que s'il devait être glorifié par
l'annihilation de ce projet, même ainsi j'en
aurais de la joie. Une grande paix descendit alors
en mon coeur, et bien que je fusse devant Dieu sans
autre désir que sa volonté, je
reçus à nouveau l'assurance que
c'était lui qui me guidait en cette
affaire.
Dès le lendemain 4
février, je reçus une demande, et peu
après quarante-deux autres
suivaient.
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