Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE VIII

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OCTOBRE 1835 - FÉVRIER 1838. -
COMMENT GEORGE MÜLLER FONDA LE PREMIER ORPHELINAT : POUR ÉLEVER UN MONUMENT À LA FIDÉLITÉ IMMUABLE DU DIEU VIVANT, ET FORTIFIER LA FOI DES FAIBLES. - INCRÉDULITÉ DE LA MAJORITÉ DES CHRÉTIENS. - SOUCIS. - INQUIÉTUDE. - « RECHERCHER PREMIÈREMENT LE ROYAUME DE DIEU ET SA JUSTICE ». - PRIÈRE ET EXAUCEMENTS : DE L'ARGENT, DES DONS EN NATURE, LE PERSONNEL. -
LE DON D'UNE OUVRIÈRE PAUVRE ET SON HISTOIRE. -


 

Depuis quelque temps déjà, George Müller songeait à fonder un orphelinat. Durant son séjour en Allemagne, l'année précédente, il avait revu avec le plus vif intérêt les Établissements de Halle qu'avait fondés Francke. Dieu lui demandait-il aussi d'ouvrir une maison pour orphelins ? N'était-il pas déjà très pris avec les oeuvres existantes ? Cette fondation d'un orphelinat revenait toujours à sa pensée, mais cela procédait-il de Dieu ? Il fallait qu'il en eût la certitude avant d'agir ; il n'aurait pu aller de l'avant de son propre mouvement. Était-ce à cause des orphelins que cette fondation s'imposait à lui ? - Non ! Et il le dit catégoriquement dans ses Mémoires où nous lisons ceci :

« Mes travaux de pasteur, ma volumineuse correspondance, les conversations avec les frères, m'obligent à constater chaque jour davantage que ce qui manque le plus aux chrétiens de notre époque, C'EST LA FOI ; ILS ONT BESOIN D'ÊTRE FORTIFIÉS DANS LA FOI. Je m'explique : voici des frères qui travaillent de quatorze à seize heures par jour, et ceci nuit tout à à la fois à leur santé physique et spirituelle, leur âme est languissante ; les choses de Dieu les laissent indifférents. Si je leur conseille de moins travailler à cause de leur santé, et de se fortifier spirituellement, par la lecture de la Bible et la prière, ils me répondent généralement ceci : « Moins de travail c'est aussi moins d'argent pour l'entretien de la famille. Or nous pouvons à peine joindre les deux bouts maintenant ! On est si peu payé aujourd'hui... qu'il faut accepter le surmenage pour s'en tirer. » N'est-il pas évident que ce qui manque à ces frères, c'est la confiance en Dieu ; et que ce raisonnement révèle leur manque de foi dans cette promesse du Sauveur : « Recherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice et toutes choses vous seront données par surcroît. »

Je réponds à mon interlocuteur que c'est Dieu qui fait vivre sa famille et non son travail ; que celui qui les a nourris lui et les siens lorsqu'il était malade saura bien encore subvenir à ses besoins s'il diminue les heures de travail pour nourrir son âme : « Le matin, vous ne donnez que quelques instants à la prière, dis-je, et le soir vous êtes trop fatigué pour jouir de la lecture de la Parole de Dieu ; il arrive même que le sommeil vous surprenne dans votre lecture, ou à genoux quand vous priez. » On m'accorde généralement qu'il en est bien ainsi..., que mon conseil a du bon ; et c'est tout. Mais ce qu'on ne me dit pas et que je devine, à toute l'attitude, c'est que mon cher frère pense qu'il n'y a pas moyen de faire autrement.

Ou bien encore, voici des enfants de Dieu qui se laissent épouvanter par le spectre de la vieillesse : que deviendront-ils quand ils ne pourront plus travailler ? La terreur de l'hospice les hante ; ils vivent dans l'inquiétude à cause du lendemain. Si je leur fais voir que dans le passé, Dieu a constamment aidé ceux qui se contient en lui, ils ne se sentent pas toujours libres de répondre que les temps sont changés, mais il est manifeste que le Père céleste n'est pas pour eux, le DIEU VIVANT.

Ou encore, voici des frères dans le commerce ; ils ne sont pas en règle avec Dieu parce qu'ils traitent leurs affaires comme les gens de ce monde, et leur conscience en souffre. Et pour s'excuser ils disent qu'il y a la concurrence et la surpopulation, que les temps sont difficiles, que pour réussir il faut faire comme les autres, et que ce serait courir à la faillite que d'observer les commandements de Dieu en affaires, etc.... etc... On exprimera peut-être le désir de changer de position ?... Mais j'ai rarement vu que pour rester en paix avec sa conscience, on prît la sainte résolution de s'attendre uniquement au Dieu vivant et de dépendre de lui seul.

D'autres frères et soeurs exercent des professions qui ne sont pas compatibles avec leurs principes chrétiens ; mais que deviendraient-ils s'ils y renonçaient ? Ils redoutent d'avoir à laisser une situation sur laquelle cependant, ne peut reposer la bénédiction de Dieu. Ils craignent de ne pas trouver d'autre emploi.

L'incrédulité que ces divers états d'esprit révèlent m'a souvent accablé ; et je souhaite ardemment pouvoir faire la preuve que Dieu est toujours le même pour quiconque se confie en lui. Je désire pouvoir montrer aux faibles dans la foi, par des preuves qui ne soient pas uniquement tirées de l'Écriture, que Dieu peut toujours et veut toujours les aider qu'Il est ENCORE AUJOURD'HUI CE QU'IL ÉTAIT HIER.

Je sais parfaitement que les Saintes Écritures doivent suffire ; elles ont suffi pour moi avec le secours de sa grâce ; toutefois si je puis aider mes frères en faisant devant eux la preuve de la fidélité immuable de Dieu, je dois la faire. Le récit de ce que le Seigneur a accompli par le moyen de son serviteur Francke a été pour moi en bénédiction. Je crois donc que je dois servir l'Eglise concernant la chose pour laquelle il a plu au Seigneur de manifester sa faveur envers moi ; je veux parler de la capacité de le prendre au mot en me reposant uniquement et parfaitement sur sa Parole.

Cette inquiétude qui ronge la plupart des chrétiens, leurs soucis, leur culpabilité en refusant de croire Dieu, ont été les moyens dont le Seigneur s'est servi pour allumer en moi l'ardent désir de donner en ce siècle, à l'église et au monde, la preuve qu'Il est toujours le même. Et cette preuve-là, il me semble que rien ne pourrait la faire aussi bien qu'un orphelinat, puisque ceci sera visible, tombera sous les sens : or, si un homme pauvre peut fonder un orphelinat et le faire subsister uniquement par la prière et la foi, SANS BIEN DEMANDER À PERSONNE, cela accompagné de la bénédiction de Dieu, fortifiera les faibles, augmentera leur foi, et de plus manifestera aux incrédules la réalité des choses divines et éternelles. Telle est la raison primordiale qui ramène constamment à ma pensée la fondation d'un orphelinat.

Certes, je désire de tout coeur que Dieu m'emploie pour faire du bien à de pauvres enfants sans père ni mère ; avec son aide, je m'occuperai de leurs corps et de leurs besoins temporels et je veillerai à ce qu'ils soient élevés dans sa crainte. Cependant mon but principal, c'est que Dieu soit magnifié. Qu'il soit magnifié parce que les orphelinats auront tout ce qu'il leur faudra uniquement en réponse à la prière et à la foi, et sans que rien soit demandé à personne. Par là, il sera manifeste que DIEU EST TOUJOURS FIDÈLE, et qu'IL ENTEND TOUJOURS LA PRIÈRE (1).

20 novembre. - Ce soir, j'ai pris le thé chez une soeur, et j'ai trouvé chez elle une vie de Francke. Je pense constamment à travailler comme lui, mais sur une moins vaste échelle ; non pour l'imiter, mais pour glorifier Dieu. Que le Seigneur me montre sa volonté.

21 novembre. - La pensée d'un orphelinat n'a cessé d'occuper mon coeur aujourd'hui. Le moment n'est-il pas venu de faire autre chose que d'y penser ; et d'agir ? J'ai instamment prié Dieu de me montrer sa volonté.

23 novembre. - J'ai reçu aujourd'hui pour l'Institut biblique deux cent cinquante francs envoyés d'Irlande. En quelques jours le Seigneur m'a donné douze cent cinquante francs en réponse à la prière. Je n'en avais seulement demandé mille. Ceci m'a fortifié et m'a encouragé à penser davantage à l'orphelinat, à prier davantage aussi.

25 novembre. - J'ai beaucoup prié à ce sujet aujourd'hui ; et je suis de plus en plus convaincu que cette pensée constante d'un orphelinat vient de Dieu. Qu'Il daigne me conduire dans sa bonté !

28 novembre. - J'ai beaucoup prié cette semaine pour l'orphelinat, demandant chaque jour à Dieu qu'il ôte cette pensée de mon coeur si elle ne procède pas de lui. J'ai aussi soigneusement examiné mon coeur, analysé mes motifs, non pas une fois mais bien des fois, et je suis toujours plus convaincu que ce dessein vient de Dieu.

2 décembre. - Ce matin j'ai particulièrement demandé au Seigneur qu'il lui plut de me révéler sa volonté par le moyen de frère Caldecott. Je suis allé voir celui-ci pour lui donner l'occasion de sonder mon coeur. puisque ce que je désire uniquement, c'est la gloire de Dieu, il peut certainement se servir de ce frère aussi bien que de tout autre pour me montrer si ce projet vient ou non de lui. Or, frère et soeur C. m'ont fort encouragé. J'ai donc commandé l'impression de cartes d'invitations pour une réunion publique le 9 décembre. Voici le premier pas accompli. Je vais maintenant exposer mes projets devant les frères ; c'est encore là un moyen de me renseigner plus exactement sur la pensée du Seigneur.

5 décembre. - Ce soir en lisant les Écritures, j'ai été frappé par ces paroles : « Ouvre ta bouche et je la remplirai » (Psaume LXXXI : 10). Jusque-là je n'avais pas encore prié pour les ressources nécessaires, ni pour le personnel qu'il faudra trouver. Séance tenante je m'appropriai la promesse de ce verset pour l'orphelinat et, prenant le Seigneur au mot, je lui demandai un local, mille livres sterling, et des personnes qualifiées pour prendre soin des enfants.

9 décembre. - J'ai reçu aujourd'hui le premier objet mobilier : une très grande garde-robe. J'ai été très abattu cet après-midi et ce soir en pensant à l'orphelinat ; mais une fois à la chapelle et dès que je commençai à parler, Dieu m'a particulièrement soutenu ; il a versé en mon coeur sa paix et sa joie, et l'assurance que cette maison pour orphelins était bien selon sa volonté. À l'issue de la réunion, on me donna douze francs cinquante. Intentionnellement, j'avais fait supprimer la collecte. Personne d'autre que moi n'a parlé. Je redoutais de faire vibrer l'émotion, d'agir sur les sentiments, voulant par-dessus tout connaître la pensée de Dieu. À l'issue de la réunion, une soeur m'a offert ses services. Rempli de la joie du Seigneur, j'ai repris le chemin de la maison, tout à fait certain maintenant que l'oeuvre s'accomplira, bien que je n'aie actuellement que douze francs cinquante en poche pour sa réalisation.
Si nous pensons agrandir notre champ d'action, ce n'est pas que nous ayons eu de grandes ressources ces temps-ci. Au contraire, nous avons plutôt connu la disette. Mais les multiples exaucements que Dieu nous a accordés pour l'Institut biblique, antérieurement, nous ont amenés, frère C ... r et moi, à nous adonner à la prière pour obtenir les ressources nécessaires. Durant cinq jours, nous avons prié ensemble ou séparément, et Dieu nous a répondu : En peu de temps, nous avons reçu douze cent cinquante francs.

Je dois dire que les voies de Dieu à mon égard, la manière dont il a subvenu à tous mes besoins durant les cinq années écoulées sans que j'eusse de traitement fixe, les provisions et les vêtements reçus au moment qu'ils étaient nécessaires, tous dons qui ne sont pas faits avec parcimonie mais avec largesse et par des donateurs dont quelques-uns sont certainement d'intimes amis mais aussi par une large proportion d'inconnus, certains de Bristol mais beaucoup d'autres habitent les endroits les plus éloignés, tout cela m'a conduit à penser que ce don de foi mis en mon coeur par Dieu n'était pas uniquement pour mon bénéfice particulier ; mais aussi pour celui des autres. Voici déjà quatre ans que je réfléchis à cela. Déjà, à Teignmouth, lorsque je voyais de pauvres enfants courir par les rues, je me demandais si la volonté de Dieu n'était pas que j'ouvrisse des écoles pour eux, en m'attendant à lui pour les subsides nécessaires. Deux ou trois ans après, ces écoles furent ouvertes et devinrent l'une des branches de notre Institut biblique.

Depuis, c'est la pensée d'un orphelinat qui s'est imposée à moi, cela remonte à quatorze mois à peu près, et j'ai demandé à Dieu qu'Il nous aidât à le fonder si cela était selon sa volonté ; sinon je le priais de m'ôter cette pensée de l'esprit. Eh bien ! j'y songe constamment et je prie toujours plus à ce sujet aussi je crois que Dieu désire que cette maison s'ouvre.

S'il en est bien ainsi, Dieu peut amener ses serviteurs, en quelque endroit du monde qu'ils habitent, à nous envoyer, à frère C ... r et à moi, tout le nécessaire. Je ne regarde pas à Bristol en cette affaire, ni à l'Angleterre, mais au Dieu vivant. C'est à lui que l'argent et l'or appartiennent. Aussi quand nous aurons reçu ce qu'il nous faut pour louer une maison et la meubler, et que nous aurons trouvé les personnes qualifiées pour s'occuper des enfants, nous irons de l'avant, bien assurés que Celui qui nous a enseignés à lui demander notre pain quotidien, nous aidera encore à regarder à lui pour les besoins quotidiens des enfants qu'Il lui plaira de nous confier.
En cette affaire, la question des aides nécessaires est aussi importante que celle des fonds ; nous l'avons donc aussi exposée devant Dieu.

10 décembre. - Ce matin j'ai reçu la lettre suivante d'un frère et d'une soeur :
« Si vous nous croyez qualifiés pour aider dans l'Orphelinat, nous vous offrons nos services. Nous vous offrons aussi tout notre mobilier.... etc. Nous ne désirons pas de salaire, dans la conviction que Dieu, s'il nous appelle, subviendra à tous nos besoins... » Le même soir, un frère m'apportait de la part de plusieurs donateurs : trois plats, vingt-huit assiettes, trois cuvettes, un broc, quatre timbales, trois, salières, une râpe, quatre couteaux et cinq fourchettes.

12 décembre. - Tandis que je priais Dieu ce matin, qu'il voulût bien nous donner une nouvelle marque de sa faveur, un frère a apporté trois plats, douze assiettes, une cuvette et une couverture. Après avoir remercié le Seigneur, je lui ai demandé un nouvel encouragement, et peu après nous recevions douze cent cinquante francs d'une personne dont je ne pouvais espérer cette somme, et cela pour plusieurs raisons. L'intervention. du Seigneur était donc d'autant plus manifeste. Je me sentis porté à prier à nouveau ce même jour, pour recevoir encore davantage, et le résultat c'est qu'on apporta dans la soirée vingt-huit mètres d'indienne. Enfin une autre soeur offrit ses services pour l'Orphelinat.

18 décembre. - Cet après-midi, j'ai reçu un couvre-pieds, un support de fer à repasser, huit bols et soucoupes, un sucrier, un pot à lait, une tasse à thé, seize dés, cinq couteaux, cinq fourchettes, six cuillers à dessert 12 cuillers à thé, quatre démêloirs et deux petites râpes ; par un autre ami : un fer à repasser, un bol et la soucoupe. Il a apporté en même temps deux mille cinq cents francs de la part d'une soeur très pauvre. [Dans une publication subséquente, G. Müller ajoute au sujet de ce don : « Depuis, il a plu à Dieu de reprendre la donatrice ; il m'est donc possible de donner quelques détails sur elle, et sur le don qu'elle fit, ce qui pourra concourir à l'édification de plusieurs avec le secours de la grâce de Dieu. »]

Je connaissais A. L., presque depuis le moment de mon arrivée à Bristol, en 1832. Elle gagnait sa vie avec son aiguille et recevait entre 2 fr. 50 et 6 fr. 50 par semaine, soit une moyenne de 4 fr. 35 au plus, car elle était souvent souffrante et ne pouvait beaucoup travailler. Mais cette chère soeur, toujours si humble, était satisfaite de ce qu'elle avait ; je ne me souviens pas de l'avoir entendue se plaindre une seule fois. Peu de temps avant l'ouverture de l'Orphelinat, son père mourait, et elle entrait ainsi que son frère et ses deux soeurs en possession de la part qui lui revenait de l'héritage d'une grand'mère : chacun reçut 12.000 francs. De son vivant, le père avait touché l'intérêt de la somme globale. Comme cet homme s'adonnait à la boisson et laissait des dettes, ses enfants décidèrent d'offrir le vingt du cent aux créanciers. Ceux-ci qui, légalement, n'avaient aucun droit, acceptèrent avec empressement et furent payés partiellement. A. L. se dit alors ceci : « La culpabilité de mon père n'empêche pas qu'il soit mon père, et puisque j'ai de quoi payer ses dettes complètement, et que mon frère et mes soeurs s'en désintéressent, je dois le faire en tant que chrétienne. Elle alla donc trouver les créanciers en secret, et elle les paya complètement. Puis son frère et ses soeurs ayant versé chacun douze cent cinquante francs pour leur mère, A. L. se dit « Comme enfant de Dieu, je dois donner le double » et elle versa deux mille cinq cents francs. Peu après, elle m'envoyait aussi la même somme pour l'Orphelinat. J'en fus extrêmement surpris, je la savais pauvre, j'ignorais cet héritage, et sa mise n'indiquait pas un changement de situation. Avant d'accepter le don, j'allai la trouver et j'eus avec elle une longue conversation pour essayer de découvrir le mobile de son acte. N'avait-elle pas obéi à quelque impulsion du moment qu'elle regretterait ensuite ? Ce point était des plus importants car si elle avait donné pour quelque raison qui ne fût pas scripturaire, le moment des regrets serait venu tôt ou tard et le nom du Seigneur en aurait été déshonoré.

Mais quelques instants de conversation me suffirent pour découvrir qu'en agissant ainsi cette soeur bien-aimée avait voulu suivre Jésus, et qu'elle le faisait délibérément, calmement, après avoir bien pesé son acte. En dépit des conseils de la raison, elle voulait obéir aux commandements du Seigneur : « Ne vous amassez pas des trésors sur la terre » (Matthieu VI : 19). « Vendez ce que vous avez et le donnez en aumônes » (Luc XII : 33). Et lorsque j'essayai de l'en dissuader pour m'assurer qu'elle avait suffisamment pesé sa décision, elle me répondit : « Le Seigneur Jésus a donné pour moi la dernière goutte de son sang, et je ne lui donnerais pas ces deux mille cinq cents francs ? Je donnerais plutôt tout ce qui me reste, si la fondation de l'Orphelinat devait en dépendre ! » Ayant constaté qu'elle s'appuyait sur la Parole de Dieu et qu'elle avait bien pesé toutes choses, je ne pus qu'accepter le don en admirant les voies de Dieu qui se servait de cette soeur pauvre et souffrante, pour aider puissamment aux débuts de l'Oeuvre fondée en regardant uniquement à Lui.

C'est aussi à ce moment qu'elle me remit cent vingt-cinq francs pour les enfants de Dieu dans la pauvreté. Je veux souligner que notre bien-aimée soeur fit le silence sur tous ses dons, pour autant que cela dépendait d'elle. Je crois bien que de son vivant, il n'y eut que six frères et soeurs parmi nous qui surent qu'elle avait hérité certain jour de douze mille francs et donné deux mille cinq cents francs à l'Orphelinat. Mais ce n'est pas tout : frère C ... r, l'un des missionnaires de notre Institut biblique, visitait à cette époque tout le quartier habité par A. L., en allant de maison en maison. C'est ainsi qu'il apprit qu'elle avait donné à une pauvre femme un lit, à une autre de la literie, à une autre des vêtements, à une autre des vivres. Incidemment, ici et là, il apprenait ces actes d'amour. Le 4 août 1836, sept mois après le don si généreux fait à l'Orphelinat, elle vint me trouver et me dit que la veille elle s'était sentie poussée à prier afin que des fonds fussent envoyés à l'Institut biblique. Et tandis qu'elle priait elle se dit : « De quelle utilité serait ma prière si personnellement je ne donnais rien quand je puis le faire ? » C'est pourquoi elle m'apportait cent vingt-cinq francs. À ce moment, j'avais bien des raisons de croire qu'elle avait donné la plus grosse partie de son héritage, aussi lui parlai-je longuement pour m'assurer qu'elle donnait bien pour le Seigneur et après mûre délibération. Sa réponse fit voir autant, de résolution que précédemment et qu'elle était mue par l'amour de Dieu uniquement. « Et maintenant, dit-elle en guise de conclusion, vous devez prendre une seconde somme de cent vingt-cinq francs pour avoir l'assurance que la première était donnée avec joie. »

Je relèverai plus particulièrement les quatre points suivants qui se rapportent à la vie de notre soeur dans la période d'abondance :
1° Elle fit tout ce qui dépendait d'elle pour qu'on ignorât ses dons, montrant par là qu'elle ne recherchait pas la louange des hommes ;
2° Elle demeura dans l'humilité et dans la même situation... ; 3° Elle ne changea rien à sa manière de se vêtir alors qu'elle jouissait d'une abondance relative : toujours propre, sa mise resta pauvre. Son logement, sa manière de vivre restèrent ce qu'ils avaient toujours été ; et pour tous, elle continua d'être la pauvre servante du Seigneur ;
4° Et voici ce qui est aussi beau que tout le reste elle continua de travailler pour gagner sa vie, ses trois à cinq francs par semaine, alors qu'elle donnait par billets de vingt-cinq ou de cent vingt-cinq francs !

Quelques années avant de s'endormir dans le Seigneur, elle avait donné tout ce qu'elle possédait. Comme sa santé physique avait toujours laissé à désirer et que son état s'aggravait, elle devint très particulièrement dépendante de son Père céleste qui subvint à tous ses besoins jusqu'au dernier moment. Alors que l'argent commençait à lui manquer, elle fit une première expérience qui fortifia beaucoup sa foi. Voici ce qu'elle me raconta : Elle n'avait plus un seul sou et sa petite provision de thé et de beurre était épuisée lorsque deux chrétiennes arrivèrent pour la voir qui restèrent quelque temps, puis dirent leur intention de prendre le thé avec elle. Notre soeur pensait intérieurement que cela lui serait bien égal de se passer de thé, mais que c'était une dure épreuve que de ne pouvoir rien offrir à ses visiteuses. Bien que cela lui fît de la peine, elle essaya de leur faire comprendre que le moment n'était pas favorable. Mais les chères soeurs ne saisirent pas, ou n'en eurent pas l'air, et se mirent à sortir d'un panier thé, sucre, pain et beurre, tout ce qui lui manquait, tout ce qu'il fallait, et elles laissèrent le reste des provisions en prenant congé... Plus tard, la foi de notre soeur eut l'occasion de s'exercer.
Elle n'avait jamais rien dit à personne de sa situation. Mais le Seigneur la connaissait et subvenait à tous ses besoins. Aussi ne se fatiguait-elle point de dire les bontés de l'Éternel, et elle faisait monter vers lui ses actions de grâce et ses louanges, même aux heures de vive souffrance. Elle partit pour être avec le Seigneur en janvier 1844.

J'ai raconté ces quelques faits de la vie de cette ouvrière chrétienne parce qu'ils sont à la louange de Dieu et peuvent éveiller en d'autres coeurs un désir d'imiter cette fidèle servante du Seigneur, dans la mesure où elle suivit Christ.


LES PREMIERS ORPHELINATS, RUE WILSON

C'est en l'année 1835, alors que Mme Müller était en visite chez une amie à Stoke Bishop, qu'elle fut victime d'un accident assez grave. En voulant se garer d'une voiture qui tournait à toute allure du côté où elle se trouvait, Mme Müller courut et tomba. Elle eut la vie sauve ; mais dans sa chute elle se blessa grièvement. Bien des années après, elle devait ressentir les suites de cet accident...

Une autre année s'achevait. Selon sa coutume, G. Müller jette un coup d'oeil sur les semaines écoulées pour compter les bienfaits de Dieu et lui dire sa reconnaissance. Il fait aussi le total des dons reçus qu'il consigne dans son journal :
« Dans son fidèle amour, écrit-il, Dieu a subvenu à tous mes besoins : pendant l'année qui finit il m'a été envoyé ou remis sept mille cent vingt-six francs quarante. »

George Müller avait apporté à Dieu tous les détails de l'oeuvre qu'il fondait sous son regard, mais il avait cependant oublié un point : les orphelines ! Il allait sans dire, pensait-il, qu'il recevrait de nombreuses demandes d'admission. Aucune ne se produisit !

Le jour qu'on devait amener les postulantes arriva, dit-il j'attendis deux heures ; personne ne se présenta En retournant à la maison, il me vint à la pensée que j'avais prié pour une maison, pour de l'argent, des aides et le mobilier, mais que j'avais tout à fait négligé de demander à Dieu des orphelines ! Et ceci m'amena à m'humilier profondément devant lui : je passai toute la soirée du 3 février en prière, je sondai mon coeur, j'analysai à nouveau mes motifs. Vraiment je n'avais aucune ambition personnelle en cette affaire ; je ne voulais que la gloire de Dieu d'abord, et en second lieu faire du bien à des enfants sans parents. Continuant de prier, j'en arrivai à pouvoir dire à Dieu que s'il devait être glorifié par l'annihilation de ce projet, même ainsi j'en aurais de la joie. Une grande paix descendit alors en mon coeur, et bien que je fusse devant Dieu sans autre désir que sa volonté, je reçus à nouveau l'assurance que c'était lui qui me guidait en cette affaire.
Dès le lendemain 4 février, je reçus une demande, et peu après quarante-deux autres suivaient.


(1) Longtemps après jetant un coup d'oeil en arrière, Müller écrivit : « Les années qui ont suivi l'ouverture des Maisons pour Orphelins montrent que je ne me suis pas trompé : nombre de pécheurs ont été convertis en lisant les rapports de l'Oeuvre ; quant aux croyants, ils ont été par là fortifiés et bénis. Dieu s'est servi de cette Oeuvre pour les amener à porter une abondance de fruits, et c'est du plus profond de mon coeur que je veux exprimer à Dieu ma reconnaissance. À lui seul, tout l'honneur, toute la gloire et avec son secours je fais monter l'un et l'autre vers son trône. » 
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