Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE IV

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GEORGE MULLER OFFRE DE PARTIR COMME MISSIONNAIRE POUR BUCAREST. - CONSENTEMENT DE SON PÈRE. - NOMINATION REMISE. - IL DÉSIRE DEVENIR MISSIONNAIRE PARMI LES JUIFS. -
LA SOCIÉTÉ DES MISSIONS OFFRE A G. MÜLLER UNE PLACE D'ÉLÈVE. - SERVICE MILITAIRE. - À BERLIN. -
LE PASSEPORT. - REFUS DU ROI DE PRUSSE. - L'ORDRE DU ROI DES ROIS. - ADIEUX. -
ARRIVÉE A LONDRES LE 19 MARS 1829. - AU SÉMINAIRE. DISCIPLINE. -
MALADIE. -
À TEIGNMOUTH. BÉNÉDICTIONS PENDANT LA CONVALESCENCE. RETOUR AU SÉMINAIRE. - SERVICE. - À NOUVEAU MALADE, G. MULLER DEMANDE À PARTIR IMMÉDIATEMENT EN MISSION. -
À EXMOUTH. -
IL SE SÉPARE DU COMITÉ.




NOUVELLE OFFRE POUR LA MISSION. - En août 1827 j'entendis dire que la Société Continentale d'Angleterre voulait envoyer un pasteur à Bucarest pour y aider dans son oeuvre, un « frère » âgé. Après un temps de réflexion et de prière j'allai m'offrir pour ce poste au Dr Tholuck ; puisque c'était à lui qu'on s'était adressé pour trouver le pasteur désiré. Malgré mon immense faiblesse, j'avais un très vif désir de vivre uniquement pour Dieu. À mon grand étonnement, mon père donna cette fois son consentement, bien que Bucarest fût à quelque 1400 kilomètres de l'endroit que nous habitions, et une station missionnaire, aussi bien que toute autre ; je vis là une intervention providentielle. Aujourd'hui j'ai compris qu'un serviteur de Christ doit obéir à son Maître, même s'il n'a pas le consentement de son père terrestre, mais à l'époque, je ne l'avais pas encore discerné. Je partis donc pour la maison et j'y demeurai quelque temps.

De retour à Halle, je me préparai avec ardeur pour l'oeuvre du Seigneur. J'essayai de me rendre compte des souffrances possibles qui m'attendaient là-bas, et de réaliser ce que cela me coûterait. Pressé par l'amour de Christ, celui qui avait si fidèlement servi Satan préférait désormais endurer l'affliction, à cause de Jésus, que de jouir des délices du péché.

Un dimanche soir, à la fin d'octobre, le jeune missionnaire dont j'ai déjà parlé, Hermann Ball, étant de passage à Halle, vint à notre réunion d'étudiants ; il nous dit qu'il craignait d'avoir à cesser son activité parmi les Juifs de Pologne, à cause de sa santé. Ce qu'entendant, je ressentis un vif désir de prendre sa place ; et dès ce moment, je fus attiré vers la langue hébraïque, que jusque-là je n'avais guère apprise que par devoir. Dès lors, et durant les semaines qui suivirent, je l'étudiai avec ardeur et y trouvai une grande joie. En novembre, j'allai voir le Docteur Tholuck qui attendait chaque jour pour moi une réponse de la Société. Au cours de la conversation, il me demanda si je n'aimerais pas m'occuper d'évangélisation parmi les Juifs ? Sa question me frappa. Je lui dis que j'y avais pensé moi-même. Mais à quoi bon, puisque ma demande était faite pour Bucarest.

Après avoir quitté le Docteur, je sentis que sa question avait allumé comme un feu au-dedans de moi, et le lendemain je ne désirais plus du tout partir pour Bucarest. Ce revirement me sembla charnel et blâmable, et je priai Dieu de rallumer en moi le premier désir.
Dix jours plus tard, le Dr Tholuck recevait une lettre de la « Société Continentale » : « La guerre venant d'éclater entre la Russie et la Turquie, et Bucarest étant au centre des hostilités, il paraissait sage de remettre à plus tard l'envoi d'un pasteur en cette ville... »
À nouveau, le Docteur me parla de la Mission parmi les Juifs ; je lui demandai quelque temps pour prier et réfléchir, et pour consulter des frères d'expérience. Après l'avoir fait, je n'arrivai à aucune certitude. Je répondis donc que dans l'ignorance où j'étais de la volonté du Seigneur, j'allais cependant faire une demande au Comité, en priant Dieu de dicter la réponse qui serait faite.

Au commencement de 1828, on venait de construire un nouvel hospice à Halle où l'on plaçait des personnes de mauvaise réputation qu'on obligeait au travail. Je demandai l'autorisation d'aller y annoncer l'Évangile ; elle me fut accordée en attendant la nomination régulière d'un aumônier... Certes, j'étais qualifié pour parler à ces pauvres pécheurs. Je connaissais leur état, ayant été dans ma jeunesse probablement bien pire que la plupart d'entre eux.


G. MÜLLER EST ACCEPTÉ COMME ÉLÈVE MISSIONNAIRE.
- Ce n'est qu'en mars 1828 que le professeur Tholuck reçut une communication à mon sujet. Le Comité me posait un certain nombre de questions auxquelles je devais répondre. Après quoi, et selon ce que j'écrirais, on statuerait sur ma demande. Je répondis, et derechef j'attendis. J'attendais d'autant plus la décision du Comité que mon temps d'Université touchait à son terme. Enfin, le 13 juin, je reçus la réponse : « Le Comité acceptait de me prendre à l'essai comme élève missionnaire pendant six mois, si j'acceptais d'aller à Londres ! »

Il y avait sept mois que cette affaire était pendante. Sept mois ! Alors que je pensais qu'elle serait réglée en quelques semaines, et qu'une réponse favorable amènerait mon départ immédiat pour un champ d'activité, puisque j'avais fait des études universitaires. Or, après le très long délai de la réponse, voilà qu'on m'invitait à me rendre à Londres ; et, bien que j'eusse plus ou moins étudié toute ma vie, on me proposait maintenant de redevenir élève ! J'en ressentis un vif désappointement, et j'avoue que ce fut une dure épreuve. Toutefois, en considérant les choses de sang-froid, il me parut raisonnable que le Comité désirât prendre contact avec moi ; il était bon également que je connusse les membres du Comité. Je décidai donc, après avoir vu mon père, de partir pour Londres.

Mais un nouvel obstacle se dressait sur ma route le service militaire. Pris à vingt ans, j'avais obtenu un sursis de trois années pour terminer mes études. J'avais maintenant vingt-trois ans, et je devais faire l'année de service imposée aux étudiants, à moins d'en être dispensé par le Roi lui-même. Cette exemption était constante pour ceux qui partaient comme missionnaires ; je croyais donc l'obtenir facilement. Il n'en fut rien. Elle me fut refusée !

Que faire, que décider ? - Du côté de ma santé, autre contre-temps : je m'étais enrhumé au commencement d'août ; un rhume ordinaire d'abord, mais qui, cette fois, ne cédait pas. Je me crus justifié à prendre certains soins physiques, je fis de fréquentes promenades et délaissai l'étude de l'hébreu ; toutes choses qui furent loin d'aider à mon édification. En même temps, il se trouvait que mon principal compagnon était l'un de mes élèves américains qui, après avoir suivi Jésus, était retourné au monde. Bref, bien que je fusse né de nouveau et que j'eusse été l'objet de tant d'amour de la part du Seigneur, je retombai une fois de plus dans la langueur spirituelle, et cela au moment où « Dieu appesantissait sa main sur moi ». Ah ! le coeur de l'homme est désespérément mauvais !

C'est en cet état de torpeur spirituelle et même de froideur, que nous nous rendîmes à cheval à Leipzig, mon ami et moi, à l'époque de la fameuse foire de la saint Michel. À Leipzig, il insista pour m'emmener avec lui à l'Opéra ; j'y allai, mais n'y trouvai aucun plaisir. Après le premier acte, je pris une glace, ce que je n'aurais pas dû faire à cause de l'état de mon estomac. À la fin du deuxième acte, je m'évanouis. Je revins à moi peu après, et nous pûmes gagner l'hôtel où la nuit fut passable. Le lendemain, mon ami commanda une voiture pour le retour à Halle. Dieu se servit de cet incident pour me sortir de la torpeur spirituelle où j'étais tombé et me remettre d'aplomb. En voiture, je dis à mon ami ce que je pensais de notre conduite. Il me répondit qu'il avait changé depuis qu'il avait quitté l'Amérique et ajouta que lorsqu'il m'avait vu évanoui à l'Opéra, il s'était dit que le théâtre était un effroyable endroit pour y mourir. C'était la seconde fois que j'allais dans un théâtre depuis que je m'étais donné à Jésus, et ce fut la dernière. En 1827, je m'y étais rendu pour entendre un concert et j'avais aussi senti que ce n'était pas là la place d'un enfant de Dieu.

Lorsque je fus de retour à Halle, une veine de l'estomac se rompit, je perdis beaucoup de sang et tombai dans un état de grande faiblesse qui dura plusieurs semaines. Une fois convalescent, je partis pour la campagne chez un cher frère en Christ, lequel est demeuré pour moi un bon et fidèle ami. Chez lui, mon âme se nourrit et se fortifia. Le Seigneur avait vu que ma foi déclinait et dans son amour il m'avait châtié pour mon plus grand bien, châtiment qui portait maintenant en moi, selon l'expression de l'Apôtre, « des fruits paisibles de justice ».

J'étais encore à la campagne lorsque je reçus une lettre du professeur américain avec qui j'étais allé à Leipzig : il habitait maintenant Berlin et désirait que je vinsse l'y rejoindre. « Toutes mes dépenses de séjour seraient couvertes et au delà, disait-il, par le prix de quelques heures de leçons par semaine que des amis et lui se proposaient de me demander. De plus, à Berlin même, il me serait probablement plus facile de me faire exempter du service militaire. » Après un temps de réflexion, j'écrivis que j'acceptais, et je me mis en route.

Deux dames de la noblesse partageaient avec moi une voiture particulière, louée pour le voyage à Berlin. Nous allions donc passer deux jours ensemble et je me dis qu'il suffirait que je fusse aimable avec elles durant la première partie du voyage, ce qui les disposerait à m'écouter favorablement quand j'aborderais la question de la perdition naturelle de l'homme, puis celle du salut en les conduisant à l'Agneau de Dieu. Je suivis donc les résolutions de ma sagesse charnelle ; le voyage se passa de façon agréable, et je ne fis guère que quelques allusions à la chose essentielle. Le soir du second jour, alors que nous approchions de Berlin, je sentis qu'il était grand temps d'aborder la question capitale. À peine avais-je commencé de le faire qu'une des voyageuses s'écria : « Oh ! Monsieur, que n'avez-vous parlé plus tôt de ces choses ! Car voilà longtemps que nous désirions trouver quelqu'un à qui nous pourrions parler à coeur ouvert. Mais comme la vie des pasteurs que nous connaissons n'est pas en rapport avec leurs fonctions, nous n'avons pu nous confier à aucun d'eux. » Je découvris alors qu'elles étaient depuis quelque temps sous l'empire du sentiment du péché, et ne savaient comment trouver la paix. Je leur parlai une heure à peu près, puis, comme nous étions arrivés au but du voyage, nous nous séparâmes. En me remerciant, elles me dirent leurs regrets de ne pouvoir prolonger l'entretien : mais elles ne s'arrêtaient pas à Berlin. Je me sentis vivement repris intérieurement pour mon manque de fidélité, et j'essayai de racheter ma négligence par une longue lettre. Puissé-je ne jamais oublier cette expérience et mon devoir.


DIFFICULTÉS POUR L'OBTENTION DU PASSEPORT.
- À Berlin, je fis des démarches pour obtenir mon passeport pour l'Angleterre ; des frères qui occupaient de hautes situations s'y employaient aussi. Le passeport comportait cette exemption du service militaire que, jusqu'ici, je n'avais pu obtenir. Mais, malgré toutes les interventions, tout demeura inutile ; et en janvier 1829, mon incorporation paraissait inéluctable. C'est alors qu'un major chrétien, l'ami d'un général très en vue et très puissant, me conseilla de demander à m'engager ; ceci entraînerait un très sérieux examen et il était convaincu que j'étais trop faible pour être pris. Si j'étais refusé pour cause de santé, son ami le général aurait à statuer sur mon cas. Si, par contre, j'étais accepté, je serais incorporé immédiatement.

Le Seigneur avait permis que les choses en vinssent là. Aucun ami n'avait pu obtenir de passeport tant que Son heure à Lui n'avait pas sonné. Mais lorsque celle-ci fut venue, aucune opposition ne pouvait plus subsister. Or, le Roi des Rois me voulait en Angleterre où il avait l'intention de me bénir et de faire de moi un moyen de bénédiction. Aussi, bien que le roi de Prusse eût refusé d'accorder l'exemption nécessaire et alors qu'il semblait impossible que je partisse, les autorités médicales, après examen, me déclarèrent inapte au service militaire. Avec le verdict du docteur et une lettre de recommandation du major dont j'ai parlé, j'allai trouver le général. Il me reçut avec bonté et m'envoya à un autre docteur pour être examiné à nouveau et tout de suite. Le verdict du second docteur confirma celui du premier. Le général établit alors lui-même les papiers nécessaires, à ma libération, libération définitive de tout service militaire. C'était plus que je n'avais espéré. Comme il savait que je me destinais à la Mission parmi les Juifs, il me parla ensuite de ceux-ci avec simplicité et bonté, me citant à leur sujet quelques passages des Écritures qu'il me conseillait de proposer à leur attention, et plus particulièrement Romains XI.

Si j'examine pourquoi Dieu permit tous ces longs délais pour l'obtention du passeport et pourquoi la prolongation de mon séjour à Berlin, je discerne plusieurs raisons : 1° Pour mon propre bien ; 2° pour que je fusse en bénédiction. Sur le premier point, je dirai que c'est à cette époque que j'appris cette leçon que la joie de Christ ne dépend pas du nombre de fidèles dont nous sommes environnés. À Halle, il me semblait que j'aurais beaucoup de bonheur à vivre dans un centre important de croyants, et je découvris que cette ambiance ne communiquait pas nécessairement la joie du Seigneur. Quant au second point, le dernier jour révélera peut-être qu'il y avait une oeuvre à faire pour moi dans la capitale. Dès l'instant de mon arrivée et jusqu'au départ, j'ai prêché dans un hospice, trois, quatre, et même cinq fois par semaine, dans les divers services. Il s'y trouvait à peu près trois cents personnes âgées et infirmes. Je prêchai aussi une fois dans une église, et à plusieurs reprises je fus autorisé le dimanche à visiter une prison. On m'y enfermait dans les cellules où je pouvais m'entretenir avec les prisonniers.

En définitive, mon temps à Berlin ne fut pas perdu ; et mon état spirituel y fut certainement meilleur qu'il n'avait été depuis longtemps. Pas une seule fois, mes penchants mauvais ne me dominèrent. En écrivant cela, je ne pense pas à m'en glorifier. Certes, si les seuls péchés de cette période de ma vie devaient s'élever contre moi au Jour du Jugement, je serais le plus misérable des hommes. Mais puisque j'ai parlé si ouvertement de mes chutes et de mes transgressions d'autrefois, je veux aussi dire à la gloire de Dieu que durant ce séjour à Berlin où j'étais perdu dans la foule et sans surveillance, environné de plaisirs et de tentations comme jamais auparavant, et avec plus d'argent en poche que je n'en avais jamais eu, je fus cependant parfaitement gardé de choses dont je me rendais généralement coupable, quand je n'étais pas encore converti.

Quant à mon état de santé physique, il était resté peu satisfaisant ; et sur le conseil d'un docteur chrétien, j'avais cessé de prendre tous remèdes.

Les difficultés de passeport étant levées, je préparai mon départ pour l'Angleterre, et le 3 février quittai Berlin. Durant le voyage, et sans attendre comme je l'avais fait lorsque je me rendais en cette ville, je me mis à annoncer l'Évangile à mes compagnons ; ce qui sembla les intéresser, surtout l'un d'eux. Le 5 j'arrivai chez mon père, et retrouvai la maison de mon enfance, témoin de tant de péchés. Mon père après avoir quitté son emploi s'y était retiré ; et moi j'y revenais le coeur rempli de sentiments multiples et très particuliers. Ce n'était pas seulement parce que je n'étais pas revenu au pays de mon enfance depuis sept années ; mais aussi à cause du changement qui s'était opéré en moi durant cette absence. Je n'avais pas revu Heimersleben depuis le jour que mon père était venu m'y chercher après mon retour de Wolfenbüttel, où j'avais été emprisonné... Je fis mes adieux le 10, caressant l'espoir de revenir un an après ; mais comme missionnaire cette fois... Le 22 février, j'étais à Rotterdam où je fus reçu chez un ami chrétien... Le 19 mars 1829 je débarquai en Angleterre...


À LONDRES
. - Une fois au séminaire j'eus l'impression d'être ramené à mes années d'étude ; et même alors, surtout à l'Université, j'avais certainement joui de plus de liberté que je n'en avais désormais. Dans ce séminaire, j'étais constamment tenu par l'heure ou les règlements ; et si la Grâce n'eût déjà accompli son oeuvre en mon coeur, au moins partiellement.... j'eusse certainement renoncé immédiatement à devenir missionnaire parmi les Juifs. Mais comme on ne demandait rien, en somme, que je ne pusse accepter en toute conscience, je décidai que pour l'amour du Seigneur, je me soumettrais à tous les règlements de l'Institut.

Les autres élèves, presque tous allemands, étudiaient l'hébreu, le latin, le grec, le français, l'allemand, etc.... presque aucun n'avait fait d'études classiques. On ne me demanda que la lecture de l'hébreu et on me dispensa du reste. Lorsque quelques jours après mon arrivée à Londres, j'entendis un « frère » allemand expliquer un passage de l'Écriture en anglais, je me souvins que je souhaitai ardemment d'être bientôt capable d'en faire autant. Je me souviens aussi de la joie que j'eus, quelques semaines plus tard, à parler en un anglais plus ou moins écorché à un petit garçon rencontré dans les champs, au sujet de son âme.

Je m'étais mis à étudier douze heures par jour à peu près ; c'était surtout l'hébreu qui m'occupait mais je commençai aussi l'étude du chaldaïque et me perfectionnai dans la lecture de la langue judéo-allemande, écrite en caractères rabbiniques ; enfin j'apprenais par coeur des passages de l'Ancien Testament en langue hébraïque. Durant ce temps d'étude, je me mettais souvent à genoux, recourant à la prière pour être gardé de cette froideur spirituelle qui accompagne si souvent l'étude intensive. Mes progrès en anglais étaient fort lents. Vivant constamment avec des compatriotes, je parlais souvent ma langue. Mais lorsque quelques mois plus tard, je vécus dans le Devonshire complètement séparé d'eux, mes progrès quotidiens devinrent rapides. Peu après mon arrivée à Londres, j'entendis parler d'un M. Groves, un dentiste d'Exeter qui, par amour pour le Seigneur, quittait une profession lui rapportant à peu près quinze cents livres sterling par an, pour partir en Perse avec femme et enfants, en comptant uniquement sur Dieu pour les ressources nécessaires. Ceci fit sur moi une profonde impression, et me causa une grande joie. Je le notai dans mon journal, et en fit mention dans les lettres que j'écrivis en Allemagne à cette époque.


MALADIE
- A cause de mon état de santé toujours assez peu satisfaisant, j'aurais peut-être dû me ménager, et ne pas consacrer tant d'heures à l'étude dès l'arrivée à Londres. Le fait est que le 15 mai je tombai malade, et bientôt les symptômes furent si graves, que la guérison sembla impossible. À mesure que mon corps s'affaiblissait, mon esprit était inondé de joie. Et cependant jamais autant qu'à ce moment-là, je ne m'étais vu sous le grand jour où je me vis alors ; jamais je ne m'étais jugé si vil, si misérable, si coupable, que je le fis à cette heure. Il semblait que tous mes péchés se dressaient devant moi ; mais en même temps, j'avais l'intime persuasion que tout était pardonné, que j'étais lavé et purifié ; purifié parfaitement par le sang de Jésus. De sorte que je pouvais jouir d'une immense paix, et que je souhaitais ardemment de déloger pour être avec Christ. Quand le médecin venait, ma prière était quelque chose comme ceci : « Seigneur, tu sais que le Docteur ne connaît pas, lui, ce qui me vaut le mieux ; mais toi qui le sais, veuille diriger toutes choses ». Et quand je prenais les remèdes ordonnés, je disais à nouveau au Seigneur : « Pour toi, cette médecine n'est rien, c'est comme si je prenais un peu d'eau. Permets donc, Seigneur, qu'elle agisse pour mon bien véritable et pour ta gloire. Appelle-moi bientôt à toi, ou guéris-moi promptement ; ou bien, laisse-moi malade longtemps avant de me reprendre ou de me guérir, Seigneur ! Fais avec moi ce que tu jugeras le meilleur ». C'est à cette époque que je découvris en moi un péché que j'avais ignoré jusque-là : mon manque de reconnaissance pour les bonnes nuits de sommeil dont j'avais toujours joui dans le passé, même aux époques de maladie. Maintenant que je passais de longues nuits d'insomnie, je m'apercevais de mon ingratitude envers Dieu sur ce point particulier.

Après une quinzaine de jours, le médecin déclara que l'amélioration se dessinait. Ceci me consterna presque, au lieu de me remplir de joie ; car je désirais ardemment partir, pour être avec le Seigneur. Toutefois, à peine ce sentiment s'était-il précisé en moi que je reçus la grâce de me soumettre à la volonté divine, et, quelques jours après, je pouvais quitter la chambre. Mais durant toute la convalescence, ce désir de « délogement » revint sans cesse. Comme mes progrès étaient fort lents, mes amis insistèrent pour me faire changer d'air ; personnellement je ne le désirais pas. Moi qui avais aimé passionnément les voyages, j'étais tellement transformé que cette seule idée de changement m'était désagréable. Cependant mes amis insistèrent avec tant de persévérance que je me demandai s'il n'y avait pas là une indication du Seigneur. Je me mis à prier à ce sujet : « Seigneur, dis-je, je veux ce que tu veux. Donne-moi ta réponse sur ce changement d'air, en te servant du médecin : si lorsque je lui en parlerai il me dit que ce serait très bon pour moi, je partirai ; mais s'il répond que cela est sans importance, je resterai ». Je consultai donc le médecin et il me répondit aussitôt que « c'était là ce que je pourrais faire de mieux ». En conséquence, je me décidai pour le changement d'air et préparai le départ pour Teignmouth, où j'arrivai quelques jours plus tard. C'est là que je devais faire la connaissance de celui qui devint par la suite mon compagnon de travaux : mon cher frère, Henry Craik.


À TEIGNMOUTH ; RENOUVEAU SPIRITUEL.
- Dieu se servit de ce temps de convalescence chez des amis, pour m'éclairer sur bien des points. Il me fit comprendre, par exemple, que, dans les choses spirituelles, sa Parole devait être notre seul Guide ; sa Parole expliquée par le Saint-Esprit qui conduit dans toute la vérité comme aux jours de l'Eglise primitive. Aussi, lorsque pour la première fois je m'enfermai dans ma chambre pour m'adonner à la lecture de la Bible et à la prière, j'appris bien plus de choses en quelques heures, que je ne l'avais fait précédemment en plusieurs mois. Mais surtout, je reçus durant ces instants d'entretien avec Dieu une véritable force que j'avais ignorée jusque-là, et ceci opéra aussitôt un grand changement dans ma vie. Je me mis alors à étudier à la lumière des Écritures, tout ce que j'avais appris jusque-là et je compris que cela seul qui soutenait victorieusement cette épreuve, avait une valeur réelle.

Ainsi, jusqu'à ce moment, je m'étais opposé à la doctrine de l'Élection, à celle de la Rédemption individuelle et à la doctrine de la Grâce... Je me mis alors à étudier ces très précieuses vérités à la lumière de la Parole de Dieu. Ayant été amené à ne désirer aucune gloire personnelle dans la conversion des pécheurs, et à ne voir en moi qu'un instrument, comme je désirais par dessus tout connaître l'enseignement du Nouveau Testament sur les points énumérés ci-dessus, je lus la Bible du commencement à la fin en notant les passages qui se rapportaient à ces sujets ; et je remarquai que les versets impliquant « l'Élection » et la Grâce toute puissante étaient quatre fois plus nombreux que ceux qui semblaient s'opposer à ces vérités. Je découvris aussi en étudiant ces derniers, qu'en définitive, ils confirmaient les autres. J'abandonnai donc mes anciennes positions, et ma vie s'en ressentit aussitôt : je dois dire à la gloire du Seigneur, que désormais je marchai bien plus près de lui que je ne l'avais fait jusque-là. Certes, je suis toujours très faible ; je n'ai pas encore atteint le degré de mort à moi-même que je voudrais atteindre par rapport à la convoitise de la chair, celle des yeux, et l'orgueil de la vie ; cependant il y a plus de cohésion, plus d'unité dans ma conduite qu'autrefois, et je vis pour Dieu bien plus qu'auparavant.

Durant mon séjour en Devonshire, la lumière se fit en moi sur une autre question : celle du Retour du Seigneur. Jusque-là, j'avais cru tout bonnement ce qui se dit généralement, sans rechercher ce qu'enseignent les Écritures. J'avais cru que le monde s'améliorait, que les choses iraient de mieux en mieux, et, que bientôt le genre humain serait converti. Or je découvris que la Bible ne dit rien de semblable, qu'elle n'annonce pas la conversion du genre humain avant le retour du Christ, que ce retour précède et introduit la gloire de l'Eglise et la joie éternelle des saints, et que jusque-là, les choses seront plus ou moins dans la confusion et le chaos. Je découvris aussi dans la Parole que l'attente des premiers chrétiens c'était l'avènement du Christ et non la mort. Il convenait donc que moi aussi j'attendisse son avènement. Et cette vérité s'empara si vivement de moi qu'à partir, de ce moment, au lieu de penser fréquemment à la mort et d'y attacher mes regards (j'étais venu en Devonshire si faible que je m'étais demandé si je reverrais Londres), je les en détournai aussitôt pour penser au retour du Seigneur. Lorsque cette vérité commença de poindre en mon coeur, je fus capable de me l'appliquer immédiatement en une certaine mesure, et cette question se posa dès lors pour moi, chaque matin : « Que puis-je faire aujourd'hui pour le Seigneur ? Car Il peut revenir bientôt. »

Enfin il plut à Dieu de me révéler un plus haut degré de consécration que ce que j'avais connu jusque-là. Il me montra en une certaine mesure que ma véritable gloire en ce monde, c'était d'être méprisé avec Christ, d'être pauvre et chétif comme Lui. Il ne convenait pas effectivement que le serviteur recherchât la richesse, les grandeurs, la gloire, en un monde où son Maître avait été pauvre et méprisé.
En quittant Londres, j'avais prié Dieu qu'il daignât bénir mon voyage pour le corps et pour l'âme.
Ma requête fut exaucée bien au delà de ce que je pensais, de sorte qu'en septembre lorsque je rentrai à Londres, une grande amélioration physique s'était produite ; quant à l'âme, elle avait été si merveilleusement enrichie que cela correspondait à une seconde conversion.

De retour au séminaire, je cherchai à communiquer à mes frères ce que j'avais reçu, et leur proposai d'avoir une réunion tous les matins de six à huit, pour l'étude de la Bible et la prière en commun. Chacun donnerait sa pensée sur le passage lu. Cette réunion fut acceptée, et tous, je crois, nous en retirâmes quelque bien. L'un de mes frères fut amené au point que j'avais atteint moi-même. Et lorsque, le soir, je remontais dans ma chambre après le culte de famille, j'avais parfois de si doux instants de communion avec Dieu qu'il m'arrivait de les prolonger jusque vers minuit. Alors, débordant de joie, j'allais trouver le frère dont je viens de parler, et le trouvant avec le coeur plein des mêmes sentiments que j'éprouvais aussi, nous continuions à prier tous deux jusque vers une ou deux heures du matin. À plusieurs reprises, il arriva que ma joie était telle qu'elle chassait le sommeil, et lorsque six heures sonnaient [l'heure de notre réunion matinale], c'est à peine si j'avais dormi quelques instants.

À Londres, la vie sédentaire m'avait repris. Toujours enfermé et penché sur des livres, je ne tardai pas à souffrir derechef et à m'affaiblir. Mon pauvre corps n'était plus qu'une épave, un brandon arraché à Satan ! Dans ces conditions, était-il sage de consacrer à l'étude le peu de force que j'avais encore, au lieu de les employer au service du Seigneur ? D'autant qu'Il venait de me donner de nouvelles lumières sur la Vérité, et qu'Il me mettait au coeur de le servir tout de suite. J'écrivis donc au Comité lui demandant de m'envoyer en mission sans plus tarder. « Maintenant, les membres du Comité directeur me connaissaient... d'ailleurs j'étais prêt à partir comme second et à dépendre d'un missionnaire ayant déjà quelque expérience, s'ils le jugeaient nécessaire... » Les semaines passèrent, aucune réponse ne vint.

En attendant celle-ci, je ne restai pas inactif et m'arrangeai de façon à travailler de diverses manières pour le Seigneur. Au bout de cinq ou six semaines, l'idée me vint que j'avais tort de rester ainsi dans la dépendance des hommes et d'attendre d'eux une nomination, alors que le Seigneur m'avait appelé à annoncer l'Évangile. Il n'y avait donc pas lieu d'attendre un titre de missionnaire pour me mettre au travail ; je n'avais qu'à me tourner vers les Juifs qui habitaient Londres. Je me mis donc à leur distribuer des traités sur lesquels se trouvait mon adresse, me mettant à leur disposition pour parler des choses divines ; j'allai leur annoncer Christ dans les endroits, où j'étais sûr de les trouver réunis ; je lisais régulièrement la Bible avec quinze jeunes Juifs, enfin je devins moniteur dans une école du dimanche. Ces diverses activités me procurèrent beaucoup de joie, mais aussi l'honneur d'endurer la persécution et les mauvais traitements à cause de Jésus. Le Seigneur me fit la grâce de ne pas reculer devant le danger, et de ne pas me laisser arrêter par la crainte de la souffrance.

Dieu continuait son oeuvre en moi, et en novembre je me demandai si je devais rester en relation avec la Société ? Et ceci pour plusieurs raisons : Si le Comité me désignait pour un poste quelconque, ce serait probablement en Europe puisque je ne pouvais songer à l'Orient à cause de mon état de santé et des nouvelles études que nécessiteraient les nouvelles langues avec lesquelles je devrais me familiariser. D'autre part, si j'étais bien désigné pour l'Europe, je ne pourrais occuper qu'un poste secondaire à moins que d'avoir reçu la consécration ; les pasteurs non consacrés étant, de ce chef, constamment dépendants et limités. Or, je ne pouvais accepter de recevoir l'imposition des mains, de personnes non converties s'attribuant la capacité de mettre à part pour le ministère, et de conférer ce qu'elles ne possèdent pas elles-mêmes. Enfin, depuis que Dieu m'avait montré que sa Parole devait être notre seule Loi et le Saint-Esprit notre seul Guide, je ne pouvais accepter de faire partie d'une Église rattachée à l'État, ni d'une Société religieuse nationale. En examinant ce que je savais des Sociétés anglaises ou européennes à la lumière de la Parole de Dieu, je constatais que leurs règlements amalgamaient des principes d'inspiration mondaine aux règles chrétiennes... D'où l'impossibilité de se conformer uniquement à la Parole de Dieu lorsqu'on en faisait partie. Si je restais en Angleterre, la Société dont je dépendais n'accepterait pas que je prêchasse ici et là selon que le Seigneur ouvrirait ou fermerait les portes. Quant à recevoir d'un évêque anglais l'imposition des mains, j'y avais encore plus d'objection qu'à la recevoir par l'intermédiaire d'un Consistoire prussien.

Je ne pouvais, accepter non plus que mes travaux missionnaires fussent dirigés par des hommes. Il me semblait que tout serviteur du Christ devait relever uniquement du Saint-Esprit quant à l'heure et l'endroit de ses travaux ; et je dis ceci en toute déférence vis-à-vis de ceux qui ont probablement plus de science. et plus d'entendement spirituel que moi. Le serviteur de Christ ne peut avoir qu'un Maître.

Enfin si j'aimais les Juifs [et j'en avais donné les preuves], je ne me sentais pas libre de promettre que je leur consacrerais la majeure partie de ma vie, comme le Comité s'y attendait. En effet, l'enseignement scripturaire tel que je le comprends, c'est qu'en me rendant en quelque endroit que ce soit, je dois chercher d'abord les Juifs et commencer à travailler parmi eux ; mais s'ils rejettent l'Évangile, je dois alors me tourner vers les Gentils.

Il ne me semblait pas, juste de garder par devers moi ces conclusions ; mon devoir était manifestement de les faire connaître au Comité. D'autre part, si je n'étais pas envoyé par lui, que ferais-je ? Impossible de songer à retourner en Prusse. Là, je devrais ou cesser de prêcher ou encourir la peine d'emprisonnement. Il ne me restait donc que la possibilité d'annoncer Christ de lieu en lieu en Angleterre : aux Juifs d'abord, aux Gentils ensuite, selon que Dieu me conduirait. J'étais prêt à rester membre de la Société pour propager le christianisme parmi les Juifs, et à travailler sans aucun salaire, si l'on voulait m'accepter à ces conditions.

Il restait la question de mon entretien. J'étais sur une terre étrangère dont je parlais mal la langue, et si le Seigneur m'assistait puissamment pour l'exposition des Écritures, je ne m'expliquais que difficilement pour les choses courantes. Toutefois, j'étais sans crainte à ce sujet, sachant bien qu'aussi longtemps que « je rechercherais d'abord le royaume de Dieu et sa justice, toutes choses me seraient données par surcroît ». Dieu dans sa bonté m'aidait à m'emparer de ses promesses et à compter sur sa Parole. Pour les besoins temporels, je m'appuyais surtout sur les passages, indiqués ci-après : Matthieu VII : 7, 8, Jean XIV : 13, 14, Matthieu VI : 25-34. L'exemple du « frère » Groves, le dentiste d'Exeter dont j'ai déjà parlé, était pour moi un très grand encouragement. Des lettres venaient d'arriver en Angleterre relatant les secours que Dieu lui avait accordés pendant son voyage, et comment il avait été puissamment aidé. Ceci fortifia encore ma foi.

Le 12 décembre, ma décision fut prise. J'écrivis donc au Comité pour le mettre au courant de ma résolution. Il ne restait plus qu'à attendre la réponse, ce que je dus faire pendant de longues semaines.

Le 24 décembre, j'allai voir les étudiants de l'Institut missionnaire d'Islington, dans l'espoir de leur communiquer quelque message si le Seigneur m'en donnait l'occasion. Je revins rempli de joie ; c'était généralement le cas à cette époque, et c'est en cet heureux état que je me couchai. Or, le lendemain, le jour de Noël, je me réveillai sans cette joie qui demeurait habituellement en mon coeur. Ma prière était froide, sans vie. À notre réunion du matin, l'un des « frères » m'exhorta à persévérer quand même dans la prière. « Dieu permettait ce temps d'épreuve pour quelque bonne raison, dit-il, mais je connaîtrai bientôt à nouveau la joie de Sa Présence. » Je suivis ses conseils ; et lorsque un peu plus tard je m'approchai de la table de Communion, je retrouvai partiellement le bonheur des jours passés ; ceci alla en augmentant jusqu'au soir où j'eus une occasion d'annoncer le retour du Seigneur, ce qui me causa beaucoup de joie. Le soir à huit heures, au culte de famille, je fus chargé de l'explication des Écritures ; le Seigneur me secourut de façon manifeste. Peu après, on venait m'appeler pour que j'allasse voir l'une des servantes et la mère d'une autre domestique qui avait aussi assisté au culte. Toutes deux étaient dans l'angoisse : chacune au sujet de son âme. J'allai les voir, et lorsque je rentrai chez moi, j'avais à nouveau la joie de la veille. Pourquoi rappelé-je ici le souvenir de ces choses ? Parce que je sais que Satan emploie souvent le subterfuge de la froideur pour faire cesser la lecture de la Bible et la vie de prière. Gardons-nous donc d'abandonner l'un et l'autre lorsque nous n'y trouvons plus la joie de la communion du Seigneur. Il n'est jamais inutile de lire la Parole de Dieu, il n'est jamais inutile de prier, même lorsque nous n'avons plus l'esprit de prière. Au lieu de cesser, et pour retrouver la joie de sa communion, persévérons dans la lecture de sa Parole et dans la prière.


VACANCES A EXMOUTH, 1829-1830.
- Le 30 décembre, je quittai Londres pour Exmouth où se trouvaient les amis chrétiens qui m'avaient déjà offert l'hospitalité pendant l'été ; je partis sans avoir reçu du Comité la réponse que j'attendais. J'arrivai à destination à six heures du soir, une heure avant le moment de la réunion de prière d'Ebenezer Chapel. Mon coeur brûlait au-dedans de moi, tant je désirais ardemment dire tout le bien que l'Éternel avait fait à mon âme. Il me tardait d'annoncer ce que d'autres pouvaient ne pas encore savoir. Mais comme personne ne m'invita à prendre la parole ou à prier, je gardai le silence. Toutefois, le lendemain, j'eus l'occasion de dire la différence qu'il y avait entre ces deux choses : être un chrétien ou être un chrétien joyeux, et de montrer pourquoi, en général, nous trouvions si peu de joie en Dieu. Ce premier témoignage fut en bénédiction à plusieurs personnes, Dieu voulant sans doute me montrer par là qu'il était avec moi.

La nouvelle année venait de commencer (1830). J'étais toujours à Exmouth, et il me semblait toujours plus impossible d'appartenir à une Société, comme cela s'entend généralement. D'autre part, j'avais beaucoup à faire dans l'endroit où j'étais, et fort peu d'argent à dépenser en voyage. Il ne me restait plus alors que cinq livres sterling. J'écrivis donc aux membres du Comité qu'au lieu de rentrer à Londres, en attendant qu'ils prissent une décision à mon endroit, je continuerais de prêcher à Exmouth. Je leur exposai en même temps ce qu'étaient mes idées autrefois avant que je fusse entré en rapport avec eux, ce qu'elles étaient devenues depuis et les raisons qui, actuellement, m'empêcheraient d'entrer au service de la Société aux conditions habituelles. Toutefois, comme je leur devais beaucoup, puisque c'était par eux que le Seigneur m'avait amené en Angleterre où il m'avait si abondamment béni, aussi parce que j'aimerais qu'ils voulussent bien me fournir de livres de l'Écriture en hébreu et de traités pour les Juifs, j'étais prêt à rester dans la Société comme agent non salarié, s'ils m'autorisaient à travailler en quelque lieu que ce fût et de la manière que je déciderais sous la seule direction du Seigneur.

Peu après, je reçus de l'un des secrétaires du Comité qui s'était toujours montré très bon pour moi une lettre pleine d'affection. Cette lettre accompagnait le message officiel des Directeurs que je donne ci-après :

« London Society for Promoting Christianity amongst the Jews »

À une réunion du Sous-Comité missionnaire, tenue le 27 janvier 1830 à notre Maison, 10, Wardrobe Place Doctor's Commons, il a été donné lecture d'une lettre de M. G.-F. Müller. En suite de quoi il a été décidé de communiquer à M. Müller ce qui suit :

« Tout en se réjouissant des progrès réels dans la grâce et la connaissance que M. Müller peut avoir faits à l'école du Saint-Esprit, les membres du Comité estiment cependant que la Société ne peut employer que ceux qui acceptent leurs directions à l'endroit de l'activité missionnaire. Aussi longtemps que M. Müller gardera son opinion particulière sur ce point, ils ne peuvent le considérer comme élève missionnaire. Mais si une plus grande maturité de réflexion l'amenait à modifier ses vues, ils reprendraient volontiers leurs relations avec lui. »


G. MÜLLER SE SÉPARE DU COMITÉ DE LONDRES.
C'est ainsi que mes attaches avec la Société furent rompues. [Soixante-six ans se sont écoulés depuis, écrit M. Müller au soir de sa vie, et jamais je n'ai regretté un seul instant, la décision prise alors. Bien au contraire, j'ai souvent regretté d'avoir, en cette occasion, montré si peu de reconnaissance au Seigneur pour sa bonté à mon endroit, en me guidant comme Il l'avait fait. J'ai conformé ma conduite à la lumière que Dieu me donnait, et mon obéissance a été abondamment bénie. Ma vie en donne la preuve éclatante. ]

Avant de quitter ce sujet, je tiens à dire que je ne voudrais pas que mon attitude d'alors fît rejaillir aucun blâme sur la Société. J'aurais même laissé de côté la question, si cette Société n'avait pas été l'instrument de ma venue en Angleterre. Puisque de toutes façons je devais mentionner mon stage d'élève missionnaire, il m'a semblé que le mieux était de dire les choses comme elles s'étaient passées.

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