GEORGE MULLER OFFRE DE
PARTIR COMME MISSIONNAIRE POUR BUCAREST.
- CONSENTEMENT DE SON PÈRE. -
NOMINATION REMISE. - IL DÉSIRE DEVENIR
MISSIONNAIRE PARMI LES JUIFS. -
LA
SOCIÉTÉ DES MISSIONS OFFRE A G.
MÜLLER UNE PLACE D'ÉLÈVE. - SERVICE MILITAIRE.
- À
BERLIN. -
LE
PASSEPORT. - REFUS DU ROI DE
PRUSSE. - L'ORDRE DU ROI DES ROIS. - ADIEUX. -
ARRIVÉE
A LONDRES LE 19 MARS 1829. - AU
SÉMINAIRE. DISCIPLINE. -
MALADIE.
-
À
TEIGNMOUTH. BÉNÉDICTIONS PENDANT LA
CONVALESCENCE. RETOUR AU SÉMINAIRE. - SERVICE.
- À NOUVEAU
MALADE, G. MULLER DEMANDE À PARTIR
IMMÉDIATEMENT EN MISSION.
-
À
EXMOUTH. -
IL
SE
SÉPARE DU COMITÉ.
NOUVELLE
OFFRE POUR LA
MISSION. - En août 1827 j'entendis dire
que la Société Continentale
d'Angleterre voulait envoyer un pasteur à
Bucarest pour y aider dans son oeuvre, un
« frère »
âgé. Après un temps de
réflexion et de prière j'allai
m'offrir pour ce poste au Dr Tholuck ; puisque
c'était à lui qu'on s'était
adressé pour trouver le pasteur
désiré. Malgré mon immense
faiblesse, j'avais un très vif désir
de vivre uniquement pour Dieu. À mon grand
étonnement, mon père donna cette fois
son consentement, bien que Bucarest fût
à quelque 1400 kilomètres de l'endroit que nous
habitions, et
une station missionnaire, aussi bien que toute
autre ; je vis là une intervention
providentielle. Aujourd'hui j'ai compris qu'un
serviteur de Christ doit obéir à son
Maître, même s'il n'a pas le
consentement de son père terrestre, mais
à l'époque, je ne l'avais pas encore
discerné. Je partis donc pour la maison et
j'y demeurai quelque temps.
De retour à Halle, je
me
préparai avec ardeur pour l'oeuvre du
Seigneur. J'essayai de me rendre compte des
souffrances possibles qui m'attendaient
là-bas, et de réaliser ce que cela me
coûterait. Pressé par l'amour de
Christ, celui qui avait si fidèlement servi
Satan préférait désormais
endurer l'affliction, à cause de
Jésus, que de jouir des délices du
péché.
Un dimanche soir, à la
fin d'octobre, le jeune missionnaire dont j'ai
déjà parlé, Hermann Ball,
étant de passage à Halle, vint
à notre réunion
d'étudiants ; il nous dit qu'il
craignait d'avoir à cesser son
activité parmi les Juifs de Pologne,
à cause de sa santé. Ce qu'entendant,
je ressentis un vif désir de prendre sa
place ; et dès ce moment, je fus
attiré vers la langue hébraïque,
que jusque-là je n'avais guère
apprise que par devoir. Dès lors, et durant
les semaines qui suivirent, je l'étudiai
avec ardeur et y trouvai une grande joie. En
novembre, j'allai voir le Docteur Tholuck qui
attendait chaque jour pour moi une réponse
de la Société. Au cours de la
conversation, il me demanda si je n'aimerais pas
m'occuper d'évangélisation parmi les
Juifs ? Sa question me frappa. Je lui dis que
j'y avais pensé moi-même. Mais
à quoi bon, puisque ma demande était
faite pour Bucarest.
Après avoir quitté
le Docteur, je sentis que sa question avait
allumé comme un feu au-dedans de moi, et le
lendemain je ne désirais plus du tout partir pour
Bucarest. Ce revirement
me
sembla charnel et blâmable, et je priai Dieu
de rallumer en moi le premier
désir.
Dix jours plus tard,
le Dr
Tholuck recevait une lettre de la
« Société
Continentale » : « La
guerre venant d'éclater entre la Russie et
la Turquie, et Bucarest étant au centre des
hostilités, il paraissait sage de remettre
à plus tard l'envoi d'un pasteur en cette
ville... »
À nouveau, le Docteur
me
parla de la Mission parmi les Juifs ; je lui
demandai quelque temps pour prier et
réfléchir, et pour consulter des
frères d'expérience. Après
l'avoir fait, je n'arrivai à aucune
certitude. Je répondis donc que dans
l'ignorance où j'étais de la
volonté du Seigneur, j'allais cependant
faire une demande au Comité, en priant Dieu
de dicter la réponse qui serait
faite.
Au commencement de
1828, on
venait de construire un nouvel hospice à
Halle où l'on plaçait des personnes
de mauvaise réputation qu'on obligeait au
travail. Je demandai l'autorisation d'aller y
annoncer l'Évangile ; elle me fut
accordée en attendant la nomination
régulière d'un aumônier...
Certes, j'étais qualifié pour parler
à ces pauvres pécheurs. Je
connaissais leur état, ayant
été dans ma jeunesse probablement
bien pire que la plupart d'entre eux.
G.
MÜLLER
EST ACCEPTÉ COMME ÉLÈVE
MISSIONNAIRE. - Ce n'est qu'en mars 1828 que le
professeur Tholuck reçut une communication
à mon sujet. Le Comité me posait un
certain nombre de questions auxquelles je devais
répondre. Après quoi, et selon ce que
j'écrirais, on statuerait sur ma demande. Je
répondis, et derechef j'attendis.
J'attendais d'autant plus la
décision du Comité que mon temps
d'Université touchait à son terme.
Enfin, le 13 juin, je reçus la
réponse : « Le Comité
acceptait de me prendre à l'essai comme élève missionnaire
pendant six
mois, si j'acceptais d'aller à
Londres ! »
Il y avait sept mois
que cette
affaire était pendante. Sept mois !
Alors que je pensais qu'elle serait
réglée en quelques semaines, et
qu'une réponse favorable amènerait
mon départ immédiat pour un champ
d'activité, puisque j'avais fait des
études universitaires. Or, après le
très long délai de la réponse,
voilà qu'on m'invitait à me rendre
à Londres ; et, bien que j'eusse plus
ou moins étudié toute ma vie, on me
proposait maintenant de redevenir
élève ! J'en ressentis un vif
désappointement, et j'avoue que ce fut une
dure épreuve. Toutefois, en
considérant les choses de sang-froid, il me
parut raisonnable que le Comité
désirât prendre contact avec
moi ; il était bon également que
je connusse les membres du Comité. Je
décidai donc, après avoir vu mon
père, de partir pour Londres.
Mais un nouvel
obstacle se
dressait sur ma route le service militaire. Pris
à vingt ans, j'avais obtenu un sursis de
trois années pour terminer mes
études. J'avais maintenant vingt-trois ans,
et je devais faire l'année de service
imposée aux étudiants, à moins
d'en être dispensé par le Roi
lui-même. Cette exemption était
constante pour ceux qui partaient comme
missionnaires ; je croyais donc l'obtenir
facilement. Il n'en fut rien. Elle me fut
refusée !
Que faire, que
décider ? - Du côté de ma
santé, autre contre-temps : je
m'étais enrhumé au commencement
d'août ; un rhume ordinaire d'abord,
mais qui, cette fois, ne cédait pas. Je me
crus justifié à prendre certains soins
physiques,
je fis de fréquentes promenades et
délaissai l'étude de
l'hébreu ; toutes choses qui furent
loin d'aider à mon édification. En
même temps, il se trouvait que mon principal
compagnon était l'un de mes
élèves américains qui,
après avoir suivi Jésus, était
retourné au monde. Bref, bien que je fusse
né de nouveau et que j'eusse
été l'objet de tant d'amour de la
part du Seigneur, je retombai une fois de plus dans
la langueur spirituelle, et cela au moment
où « Dieu appesantissait sa main
sur moi ». Ah ! le coeur de l'homme
est désespérément
mauvais !
C'est en cet état de
torpeur spirituelle et même de froideur, que
nous nous rendîmes à cheval à
Leipzig, mon ami et moi, à l'époque
de la fameuse foire de la saint Michel. À
Leipzig, il insista pour m'emmener avec lui
à l'Opéra ; j'y allai, mais n'y
trouvai aucun plaisir. Après le premier
acte, je pris une glace, ce que je n'aurais pas
dû faire à cause de l'état de
mon estomac. À la fin du deuxième
acte, je m'évanouis. Je revins à moi
peu après, et nous pûmes gagner
l'hôtel où la nuit fut passable. Le
lendemain, mon ami commanda une voiture pour le
retour à Halle. Dieu se servit de cet
incident pour me sortir de la torpeur spirituelle
où j'étais tombé et me
remettre d'aplomb. En voiture, je dis à mon
ami ce que je pensais de notre conduite. Il me
répondit qu'il avait changé depuis
qu'il avait quitté l'Amérique et
ajouta que lorsqu'il m'avait vu évanoui
à l'Opéra, il s'était dit que
le théâtre était un effroyable
endroit pour y mourir. C'était la seconde
fois que j'allais dans un théâtre
depuis que je m'étais donné à
Jésus, et ce fut la dernière. En
1827, je m'y étais rendu pour entendre un
concert et j'avais aussi senti que ce
n'était pas là la place d'un enfant
de Dieu.
Lorsque je fus de
retour
à Halle, une veine de l'estomac se rompit,
je perdis beaucoup de sang et tombai dans un
état de grande faiblesse qui dura plusieurs
semaines. Une fois convalescent, je partis pour la
campagne chez un cher frère en Christ,
lequel est demeuré pour moi un bon et
fidèle ami. Chez lui, mon âme se
nourrit et se fortifia. Le Seigneur avait vu que ma
foi déclinait et dans son amour il m'avait
châtié pour mon plus grand bien,
châtiment qui portait maintenant en moi,
selon l'expression de l'Apôtre,
« des fruits paisibles de
justice ».
J'étais encore à
la campagne lorsque je reçus une lettre du
professeur américain avec qui j'étais
allé à Leipzig : il habitait
maintenant Berlin et désirait que je vinsse
l'y rejoindre. « Toutes mes
dépenses de séjour seraient couvertes
et au delà, disait-il, par le prix de
quelques heures de leçons par semaine que
des amis et lui se proposaient de me demander. De
plus, à Berlin même, il me serait
probablement plus facile de me faire exempter du
service militaire. » Après un
temps de réflexion, j'écrivis que
j'acceptais, et je me mis en route.
Deux dames de la
noblesse
partageaient avec moi une voiture
particulière, louée pour le voyage
à Berlin. Nous allions donc passer deux
jours ensemble et je me dis qu'il suffirait que je
fusse aimable avec elles durant la première
partie du voyage, ce qui les disposerait à
m'écouter favorablement quand j'aborderais
la question de la perdition naturelle de
l'homme, puis celle du salut en les conduisant
à l'Agneau de Dieu. Je suivis donc les
résolutions de ma sagesse charnelle ;
le voyage se passa de façon agréable,
et je ne fis guère que quelques allusions
à la chose essentielle. Le soir du second
jour, alors que nous approchions de Berlin, je
sentis qu'il
était grand temps d'aborder la question
capitale. À peine avais-je commencé
de le faire qu'une des voyageuses
s'écria : « Oh !
Monsieur, que n'avez-vous parlé plus
tôt de ces choses ! Car voilà
longtemps que nous désirions trouver
quelqu'un à qui nous pourrions parler
à coeur ouvert. Mais comme la vie des
pasteurs que nous connaissons n'est pas en rapport
avec leurs fonctions, nous n'avons pu nous confier
à aucun d'eux. » Je
découvris alors qu'elles étaient
depuis quelque temps sous l'empire du sentiment du
péché, et ne savaient comment trouver
la paix. Je leur parlai une heure à peu
près, puis, comme nous étions
arrivés au but du voyage, nous nous
séparâmes. En me remerciant, elles me
dirent leurs regrets de ne pouvoir prolonger
l'entretien : mais elles ne s'arrêtaient
pas à Berlin. Je me sentis vivement repris
intérieurement pour mon manque de
fidélité, et j'essayai de racheter ma
négligence par une longue lettre.
Puissé-je ne jamais oublier cette
expérience et mon devoir.
DIFFICULTÉS
POUR L'OBTENTION DU PASSEPORT. - À
Berlin, je fis des démarches pour obtenir
mon passeport pour l'Angleterre ; des
frères qui occupaient de hautes situations
s'y employaient aussi. Le passeport comportait
cette exemption du service militaire que,
jusqu'ici, je n'avais pu obtenir. Mais,
malgré toutes les interventions, tout
demeura inutile ; et en janvier 1829, mon
incorporation paraissait inéluctable. C'est
alors qu'un major chrétien, l'ami d'un
général très en vue et
très puissant, me conseilla de demander
à m'engager ; ceci entraînerait
un très sérieux examen et il
était convaincu que j'étais trop
faible pour être pris. Si j'étais
refusé pour cause de santé, son ami le
général aurait à statuer sur
mon cas. Si, par contre, j'étais
accepté, je serais incorporé
immédiatement.
Le Seigneur avait
permis que les
choses en vinssent là. Aucun ami n'avait pu
obtenir de passeport tant que Son heure à
Lui n'avait pas sonné. Mais lorsque celle-ci
fut venue, aucune opposition ne pouvait plus
subsister. Or, le Roi des Rois me voulait en
Angleterre où il avait l'intention de me
bénir et de faire de moi un moyen de
bénédiction. Aussi, bien que le roi
de Prusse eût refusé d'accorder
l'exemption nécessaire et alors qu'il
semblait impossible que je partisse, les
autorités médicales, après
examen, me déclarèrent inapte au
service militaire. Avec le verdict du docteur et
une lettre de recommandation du major dont j'ai
parlé, j'allai trouver le
général. Il me reçut avec
bonté et m'envoya à un autre docteur
pour être examiné à nouveau et
tout de suite. Le verdict du second docteur
confirma celui du premier. Le général
établit alors lui-même les papiers
nécessaires, à ma libération,
libération définitive de tout service
militaire. C'était plus que je n'avais
espéré. Comme il savait que je me
destinais à la Mission parmi les Juifs, il
me parla ensuite de ceux-ci avec simplicité
et bonté, me citant à leur sujet
quelques passages des Écritures qu'il me
conseillait de proposer à leur attention, et
plus particulièrement Romains
XI.
Si j'examine pourquoi
Dieu
permit tous ces longs délais pour
l'obtention du passeport et pourquoi la
prolongation de mon séjour à Berlin,
je discerne plusieurs raisons : 1° Pour
mon propre bien ; 2° pour que je fusse en
bénédiction. Sur le premier point, je
dirai que c'est à cette époque que
j'appris cette leçon que la joie de Christ
ne dépend pas du nombre de fidèles dont nous sommes
environnés. À Halle, il me semblait
que j'aurais beaucoup de bonheur à vivre
dans un centre important de croyants, et je
découvris que cette ambiance ne communiquait
pas nécessairement la joie du Seigneur.
Quant au second point, le dernier jour
révélera peut-être qu'il y
avait une oeuvre à faire pour moi dans la
capitale. Dès l'instant de mon
arrivée et jusqu'au départ, j'ai
prêché dans un hospice, trois, quatre,
et même cinq fois par semaine, dans les
divers services. Il s'y trouvait à peu
près trois cents personnes
âgées et infirmes. Je prêchai
aussi une fois dans une église, et à
plusieurs reprises je fus autorisé le
dimanche à visiter une prison. On m'y
enfermait dans les cellules où je pouvais
m'entretenir avec les prisonniers.
En définitive, mon
temps
à Berlin ne fut pas perdu ; et mon
état spirituel y fut certainement meilleur
qu'il n'avait été depuis longtemps.
Pas une seule fois, mes penchants mauvais ne me
dominèrent. En écrivant cela, je ne
pense pas à m'en glorifier. Certes, si les
seuls péchés de cette période
de ma vie devaient s'élever contre moi au
Jour du Jugement, je serais le plus
misérable des hommes. Mais puisque j'ai
parlé si ouvertement de mes chutes et de mes
transgressions d'autrefois, je veux aussi dire
à la gloire de Dieu que durant ce
séjour à Berlin où
j'étais perdu dans la foule et sans
surveillance, environné de plaisirs et de
tentations comme jamais auparavant, et avec plus
d'argent en poche que je n'en avais jamais eu, je
fus cependant parfaitement gardé de choses
dont je me rendais généralement
coupable, quand je n'étais pas encore
converti.
Quant à mon état
de santé physique, il était
resté peu satisfaisant ; et sur le
conseil d'un docteur chrétien, j'avais
cessé de prendre tous remèdes.
Les difficultés de
passeport étant levées, je
préparai mon départ pour
l'Angleterre, et le 3 février quittai
Berlin. Durant le voyage, et sans attendre comme je
l'avais fait lorsque je me rendais en cette ville,
je me mis à annoncer l'Évangile
à mes compagnons ; ce qui sembla les
intéresser, surtout l'un d'eux. Le 5
j'arrivai chez mon père, et retrouvai la
maison de mon enfance, témoin de tant de
péchés. Mon père après
avoir quitté son emploi s'y était
retiré ; et moi j'y revenais le coeur
rempli de sentiments multiples et très
particuliers. Ce n'était pas seulement parce
que je n'étais pas revenu au pays de mon
enfance depuis sept années ; mais aussi
à cause du changement qui s'était
opéré en moi durant cette absence. Je
n'avais pas revu Heimersleben depuis le jour que
mon père était venu m'y chercher
après mon retour de Wolfenbüttel,
où j'avais été
emprisonné... Je fis mes adieux le 10,
caressant l'espoir de revenir un an
après ; mais comme missionnaire cette
fois... Le 22 février, j'étais
à Rotterdam où je fus reçu
chez un ami chrétien... Le 19 mars 1829 je
débarquai en Angleterre...
À
LONDRES. - Une fois au séminaire j'eus
l'impression d'être ramené à
mes années d'étude ; et
même alors, surtout à
l'Université, j'avais certainement joui de
plus de liberté que je n'en avais
désormais. Dans ce séminaire,
j'étais constamment tenu par l'heure ou les
règlements ; et si la Grâce
n'eût déjà accompli son oeuvre
en mon coeur, au moins partiellement.... j'eusse
certainement renoncé immédiatement
à devenir missionnaire parmi les Juifs. Mais
comme on ne demandait rien, en somme, que je ne
pusse accepter en toute conscience, je
décidai que pour l'amour du Seigneur, je me
soumettrais à tous les règlements de
l'Institut.
Les autres élèves,
presque tous allemands, étudiaient
l'hébreu, le latin, le grec, le
français, l'allemand, etc.... presque aucun
n'avait fait d'études classiques. On ne me
demanda que la lecture de l'hébreu et on me
dispensa du reste. Lorsque quelques jours
après mon arrivée à Londres,
j'entendis un « frère »
allemand expliquer un passage de l'Écriture
en anglais, je me souvins que je souhaitai
ardemment d'être bientôt capable d'en
faire autant. Je me souviens aussi de la joie que
j'eus, quelques semaines plus tard, à parler
en un anglais plus ou moins écorché
à un petit garçon rencontré
dans les champs, au sujet de son âme.
Je m'étais mis à
étudier douze heures par jour à peu
près ; c'était surtout
l'hébreu qui m'occupait mais je
commençai aussi l'étude du
chaldaïque et me perfectionnai dans la lecture
de la langue judéo-allemande, écrite
en caractères rabbiniques ; enfin
j'apprenais par coeur des passages de l'Ancien
Testament en langue hébraïque. Durant
ce temps d'étude, je me mettais souvent
à genoux, recourant à la
prière pour être gardé de cette
froideur spirituelle qui accompagne si souvent
l'étude intensive. Mes progrès en
anglais étaient fort lents. Vivant
constamment avec des compatriotes, je parlais
souvent ma langue. Mais lorsque quelques mois plus
tard, je vécus dans le Devonshire
complètement séparé d'eux, mes
progrès quotidiens devinrent rapides. Peu
après mon arrivée à Londres,
j'entendis parler d'un M. Groves, un dentiste
d'Exeter qui, par amour pour le Seigneur, quittait
une profession lui rapportant à peu
près quinze cents livres sterling par an,
pour partir en Perse avec femme et enfants, en
comptant uniquement sur Dieu pour les ressources
nécessaires. Ceci fit sur moi une profonde
impression, et me
causa
une grande joie. Je le notai dans mon journal, et
en fit mention dans les lettres que
j'écrivis en Allemagne à cette
époque.
MALADIE -
A cause de mon état de santé toujours
assez peu satisfaisant, j'aurais peut-être
dû me ménager, et ne pas consacrer
tant d'heures à l'étude dès
l'arrivée à Londres. Le fait est que
le 15 mai je tombai malade, et bientôt les
symptômes furent si graves, que la
guérison sembla impossible. À mesure
que mon corps s'affaiblissait, mon esprit
était inondé de joie. Et cependant
jamais autant qu'à ce moment-là, je
ne m'étais vu sous le grand jour où
je me vis alors ; jamais je ne m'étais
jugé si vil, si misérable, si
coupable, que je le fis à cette heure. Il
semblait que tous mes péchés se
dressaient devant moi ; mais en même
temps, j'avais l'intime persuasion que tout
était pardonné, que j'étais
lavé et purifié ; purifié
parfaitement par le sang de Jésus. De sorte
que je pouvais jouir d'une immense paix, et que je
souhaitais ardemment de déloger pour
être avec Christ. Quand le médecin
venait, ma prière était quelque chose
comme ceci : « Seigneur, tu sais que
le Docteur ne connaît pas, lui, ce qui me
vaut le mieux ; mais toi qui le sais, veuille
diriger toutes choses ». Et quand je
prenais les remèdes ordonnés, je
disais à nouveau au Seigneur :
« Pour toi, cette médecine n'est
rien, c'est comme si je prenais un peu d'eau.
Permets donc, Seigneur, qu'elle agisse pour mon
bien véritable et pour ta gloire.
Appelle-moi bientôt à toi, ou
guéris-moi promptement ; ou bien,
laisse-moi malade longtemps avant de me reprendre
ou de me guérir, Seigneur ! Fais avec
moi ce que tu jugeras le meilleur ».
C'est à cette époque que je
découvris en moi un péché que j'avais ignoré
jusque-là : mon manque de
reconnaissance pour les bonnes nuits de sommeil
dont j'avais toujours joui dans le passé,
même aux époques de maladie.
Maintenant que je passais de longues nuits
d'insomnie, je m'apercevais de mon ingratitude
envers Dieu sur ce point particulier.
Après une quinzaine de
jours, le médecin déclara que
l'amélioration se dessinait. Ceci me
consterna presque, au lieu de me remplir de
joie ; car je désirais ardemment
partir, pour être avec le Seigneur.
Toutefois, à peine ce sentiment
s'était-il précisé en moi que
je reçus la grâce de me soumettre
à la volonté divine, et, quelques
jours après, je pouvais quitter la chambre.
Mais durant toute la convalescence, ce désir
de « délogement » revint
sans cesse. Comme mes progrès étaient
fort lents, mes amis insistèrent pour me
faire changer d'air ; personnellement je ne le
désirais pas. Moi qui avais aimé
passionnément les voyages, j'étais
tellement transformé que cette seule
idée de changement m'était
désagréable. Cependant mes amis
insistèrent avec tant de
persévérance que je me demandai s'il
n'y avait pas là une indication du Seigneur.
Je me mis à prier à ce sujet :
« Seigneur, dis-je, je veux ce que tu
veux. Donne-moi ta réponse sur ce changement
d'air, en te servant du médecin : si
lorsque je lui en parlerai il me dit que ce serait
très bon pour moi, je partirai ; mais
s'il répond que cela est sans importance, je
resterai ». Je consultai donc le
médecin et il me répondit
aussitôt que « c'était
là ce que je pourrais faire de
mieux ». En conséquence, je me
décidai pour le changement d'air et
préparai le départ pour Teignmouth,
où j'arrivai quelques jours plus tard. C'est
là que je devais faire la connaissance de
celui qui devint par la suite mon
compagnon de travaux : mon cher frère,
Henry Craik.
À
TEIGNMOUTH ; RENOUVEAU SPIRITUEL. - Dieu
se servit de ce temps de convalescence chez des
amis, pour m'éclairer sur bien des points.
Il me fit comprendre, par exemple, que, dans les
choses spirituelles, sa Parole devait être
notre seul Guide ; sa Parole expliquée
par le Saint-Esprit qui conduit dans toute la
vérité comme aux jours de l'Eglise
primitive. Aussi, lorsque pour la première
fois je m'enfermai dans ma chambre pour m'adonner
à la lecture de la Bible et à la
prière, j'appris bien plus de choses en
quelques heures, que je ne l'avais fait
précédemment en plusieurs mois. Mais surtout, je reçus durant ces
instants d'entretien avec Dieu une véritable
force que j'avais ignorée jusque-là,
et ceci opéra aussitôt un grand
changement dans ma vie. Je me mis alors
à étudier à la lumière
des Écritures, tout ce que j'avais appris
jusque-là et je compris que cela seul qui
soutenait victorieusement cette épreuve,
avait une valeur réelle.
Ainsi, jusqu'à ce
moment,
je m'étais opposé à la
doctrine de l'Élection, à
celle de la Rédemption individuelle et
à la doctrine de la Grâce... Je me mis
alors à étudier ces très
précieuses vérités à la
lumière de la Parole de Dieu. Ayant
été amené à ne
désirer aucune gloire personnelle dans la
conversion des pécheurs, et à ne voir
en moi qu'un instrument, comme je désirais
par dessus tout connaître l'enseignement du
Nouveau Testament sur les points
énumérés ci-dessus, je lus la
Bible du commencement à la fin en notant les
passages qui se rapportaient à ces
sujets ; et je remarquai que les versets
impliquant « l'Élection »
et la Grâce toute puissante étaient
quatre fois plus nombreux que ceux qui semblaient
s'opposer à ces vérités. Je
découvris aussi en étudiant ces
derniers, qu'en définitive, ils confirmaient
les autres. J'abandonnai donc mes anciennes
positions, et ma vie s'en ressentit
aussitôt : je dois dire à la
gloire du Seigneur, que désormais je marchai
bien plus près de lui que je ne l'avais fait
jusque-là. Certes, je suis toujours
très faible ; je n'ai pas encore
atteint le degré de mort à
moi-même que je voudrais atteindre par
rapport à la convoitise de la chair, celle
des yeux, et l'orgueil de la vie ; cependant
il y a plus de cohésion, plus d'unité
dans ma conduite qu'autrefois, et je vis pour Dieu
bien plus qu'auparavant.
Durant mon séjour en
Devonshire, la lumière se fit en moi sur une
autre question : celle du Retour du Seigneur.
Jusque-là, j'avais cru tout bonnement ce qui
se dit généralement, sans rechercher
ce qu'enseignent les Écritures. J'avais cru
que le monde s'améliorait, que les choses
iraient de mieux en mieux, et, que bientôt le
genre humain serait converti. Or je
découvris que la Bible ne dit rien de
semblable, qu'elle n'annonce pas la conversion du
genre humain avant le retour du Christ, que ce
retour précède et introduit la gloire
de l'Eglise et la joie éternelle des saints,
et que jusque-là, les choses seront plus ou
moins dans la confusion et le chaos. Je
découvris aussi dans la Parole que l'attente
des premiers chrétiens c'était
l'avènement du Christ et non la mort. Il
convenait donc que moi aussi j'attendisse son
avènement. Et cette vérité
s'empara si vivement de moi qu'à partir, de
ce moment, au lieu de penser fréquemment
à la mort et d'y attacher mes regards
(j'étais venu en Devonshire si faible que je
m'étais demandé si je reverrais Londres), je les
en
détournai aussitôt pour penser au
retour du Seigneur. Lorsque cette
vérité commença de poindre en
mon coeur, je fus capable de me l'appliquer
immédiatement en une certaine mesure, et
cette question se posa dès lors pour moi,
chaque matin : « Que puis-je faire
aujourd'hui pour le Seigneur ? Car Il peut
revenir bientôt. »
Enfin il plut à Dieu
de
me révéler un plus haut degré
de consécration que ce que j'avais connu
jusque-là. Il me montra en une certaine
mesure que ma véritable gloire en ce monde,
c'était d'être méprisé
avec Christ, d'être pauvre et chétif
comme Lui. Il ne convenait pas effectivement que le
serviteur recherchât la richesse, les
grandeurs, la gloire, en un monde où son
Maître avait été pauvre et
méprisé.
En quittant Londres,
j'avais
prié Dieu qu'il daignât bénir
mon voyage pour le corps et pour
l'âme.
Ma requête fut
exaucée bien au delà de ce que je
pensais, de sorte qu'en septembre lorsque je
rentrai à Londres, une grande
amélioration physique s'était
produite ; quant à l'âme, elle
avait été si merveilleusement
enrichie que cela correspondait à une
seconde conversion.
De retour au
séminaire,
je cherchai à communiquer à mes
frères ce que j'avais reçu, et leur
proposai d'avoir une réunion tous les matins
de six à huit, pour l'étude de la
Bible et la prière en commun. Chacun
donnerait sa pensée sur le passage lu. Cette
réunion fut acceptée, et tous, je
crois, nous en retirâmes quelque bien. L'un
de mes frères fut amené au point que
j'avais atteint moi-même. Et lorsque, le
soir, je remontais dans ma chambre après le
culte de famille, j'avais parfois de si doux
instants de communion avec Dieu qu'il m'arrivait de
les prolonger jusque vers minuit.
Alors, débordant de joie, j'allais trouver
le frère dont je viens de parler, et le
trouvant avec le coeur plein des mêmes
sentiments que j'éprouvais aussi, nous
continuions à prier tous deux jusque vers
une ou deux heures du matin. À plusieurs
reprises, il arriva que ma joie était telle
qu'elle chassait le sommeil, et lorsque six heures
sonnaient [l'heure de notre réunion
matinale], c'est à peine si j'avais dormi
quelques instants.
À Londres, la vie
sédentaire m'avait repris. Toujours
enfermé et penché sur des livres, je
ne tardai pas à souffrir derechef et
à m'affaiblir. Mon pauvre corps
n'était plus qu'une épave, un brandon
arraché à Satan ! Dans ces
conditions, était-il sage de consacrer
à l'étude le peu de force que j'avais
encore, au lieu de les employer au service du
Seigneur ? D'autant qu'Il venait de me donner
de nouvelles lumières sur la
Vérité, et qu'Il me mettait au coeur
de le servir tout de suite. J'écrivis donc
au Comité lui demandant de m'envoyer en
mission sans plus tarder. « Maintenant,
les membres du Comité directeur me
connaissaient... d'ailleurs j'étais
prêt à partir comme second et à
dépendre d'un missionnaire ayant
déjà quelque expérience, s'ils
le jugeaient nécessaire... » Les
semaines passèrent, aucune réponse ne
vint.
En attendant celle-ci,
je ne
restai pas inactif et m'arrangeai de façon
à travailler de diverses manières
pour le Seigneur. Au bout de cinq ou six semaines,
l'idée me vint que j'avais tort de rester
ainsi dans la dépendance des hommes et
d'attendre d'eux une nomination, alors que le
Seigneur m'avait appelé à annoncer
l'Évangile. Il n'y avait donc pas lieu
d'attendre un titre de missionnaire pour me mettre
au travail ; je n'avais qu'à me tourner
vers les Juifs qui habitaient
Londres. Je me mis donc à leur distribuer
des traités sur lesquels se trouvait mon
adresse, me mettant à leur disposition pour
parler des choses divines ; j'allai leur
annoncer Christ dans les endroits, où
j'étais sûr de les trouver
réunis ; je lisais
régulièrement la Bible avec quinze
jeunes Juifs, enfin je devins moniteur dans une
école du dimanche. Ces diverses
activités me procurèrent beaucoup de
joie, mais aussi l'honneur d'endurer la
persécution et les mauvais traitements
à cause de Jésus. Le Seigneur me fit
la grâce de ne pas reculer devant le danger,
et de ne pas me laisser arrêter par la
crainte de la souffrance.
Dieu continuait son
oeuvre en
moi, et en novembre je me demandai si je devais
rester en relation avec la
Société ? Et ceci pour plusieurs
raisons : Si le Comité me
désignait pour un poste quelconque, ce
serait probablement en Europe puisque je ne pouvais
songer à l'Orient à cause de mon
état de santé et des nouvelles
études que nécessiteraient les
nouvelles langues avec lesquelles je devrais me
familiariser. D'autre part, si j'étais bien
désigné pour l'Europe, je ne pourrais
occuper qu'un poste secondaire à moins que
d'avoir reçu la consécration ;
les pasteurs non consacrés étant, de
ce chef, constamment dépendants et
limités. Or, je ne pouvais accepter de
recevoir l'imposition des mains, de personnes non
converties s'attribuant la capacité de
mettre à part pour le ministère, et
de conférer ce qu'elles ne possèdent
pas elles-mêmes. Enfin, depuis que Dieu
m'avait montré que sa Parole devait
être notre seule Loi et le Saint-Esprit notre
seul Guide, je ne pouvais accepter de faire
partie d'une Église rattachée
à l'État, ni d'une
Société religieuse nationale. En
examinant ce que je savais des
Sociétés anglaises ou
européennes à la lumière de la
Parole de Dieu, je constatais que leurs
règlements amalgamaient des principes
d'inspiration mondaine aux règles
chrétiennes... D'où
l'impossibilité de se conformer uniquement
à la Parole de Dieu lorsqu'on en faisait
partie. Si je restais en Angleterre, la
Société dont je dépendais
n'accepterait pas que je prêchasse ici et
là selon que le Seigneur ouvrirait ou
fermerait les portes. Quant à recevoir d'un
évêque anglais l'imposition des mains,
j'y avais encore plus d'objection qu'à la
recevoir par l'intermédiaire d'un
Consistoire prussien.
Je ne pouvais,
accepter non plus
que mes travaux missionnaires fussent
dirigés par des hommes. Il me semblait que
tout serviteur du Christ devait relever uniquement
du Saint-Esprit quant à l'heure et l'endroit
de ses travaux ; et je dis ceci en toute
déférence vis-à-vis de ceux
qui ont probablement plus de science. et plus
d'entendement spirituel que moi. Le serviteur de
Christ ne peut avoir qu'un Maître.
Enfin si j'aimais les
Juifs [et
j'en avais donné les preuves], je ne me
sentais pas libre de promettre que je leur
consacrerais la majeure partie de ma vie, comme le
Comité s'y attendait. En effet,
l'enseignement scripturaire tel que je le
comprends, c'est qu'en me rendant en quelque
endroit que ce soit, je dois chercher d'abord les
Juifs et commencer à travailler parmi
eux ; mais s'ils rejettent l'Évangile,
je dois alors me tourner vers les
Gentils.
Il ne me semblait pas,
juste de
garder par devers moi ces conclusions ; mon
devoir était manifestement de les faire
connaître au Comité. D'autre part, si
je n'étais pas envoyé par lui, que
ferais-je ? Impossible de songer à
retourner en Prusse. Là, je devrais ou cesser de
prêcher ou
encourir la peine d'emprisonnement. Il ne me
restait donc que la possibilité d'annoncer
Christ de lieu en lieu en Angleterre : aux
Juifs d'abord, aux Gentils ensuite, selon que Dieu
me conduirait. J'étais prêt à
rester membre de la Société pour
propager le christianisme parmi les Juifs, et
à travailler sans aucun salaire, si l'on
voulait m'accepter à ces
conditions.
Il restait la question
de mon
entretien. J'étais sur une terre
étrangère dont je parlais mal la
langue, et si le Seigneur m'assistait puissamment
pour l'exposition des Écritures, je ne
m'expliquais que difficilement pour les choses
courantes. Toutefois, j'étais sans crainte
à ce sujet, sachant bien qu'aussi longtemps
que « je rechercherais d'abord le
royaume de Dieu et sa justice, toutes choses me
seraient données par
surcroît ». Dieu dans sa
bonté m'aidait à m'emparer de ses
promesses et à compter sur sa Parole. Pour
les besoins temporels, je m'appuyais surtout sur
les passages, indiqués
ci-après :
Matthieu VII : 7, 8, Jean
XIV : 13, 14, Matthieu
VI : 25-34. L'exemple
du « frère » Groves, le
dentiste d'Exeter dont j'ai déjà
parlé, était pour moi un très
grand encouragement. Des lettres venaient d'arriver
en Angleterre relatant les secours que Dieu lui
avait accordés pendant son voyage, et
comment il avait été puissamment
aidé. Ceci fortifia encore ma
foi.
Le 12 décembre, ma
décision fut prise. J'écrivis donc au
Comité pour le mettre au courant de ma
résolution. Il ne restait plus qu'à
attendre la réponse, ce que je dus faire
pendant de longues semaines.
Le 24 décembre,
j'allai
voir les étudiants de l'Institut
missionnaire d'Islington, dans l'espoir de leur
communiquer quelque message si le Seigneur m'en donnait
l'occasion. Je
revins
rempli de joie ; c'était
généralement le cas à cette
époque, et c'est en cet heureux état
que je me couchai. Or, le lendemain, le jour de
Noël, je me réveillai sans cette joie
qui demeurait habituellement en mon coeur. Ma
prière était froide, sans vie.
À notre réunion du matin, l'un des
« frères » m'exhorta
à persévérer quand même
dans la prière. « Dieu permettait
ce temps d'épreuve pour quelque bonne
raison, dit-il, mais je connaîtrai
bientôt à nouveau la joie de Sa
Présence. » Je suivis ses
conseils ; et lorsque un peu plus tard je
m'approchai de la table de Communion, je retrouvai
partiellement le bonheur des jours
passés ; ceci alla en augmentant
jusqu'au soir où j'eus une occasion
d'annoncer le retour du Seigneur, ce qui me causa
beaucoup de joie. Le soir à huit heures, au
culte de famille, je fus chargé de
l'explication des Écritures ; le
Seigneur me secourut de façon manifeste. Peu
après, on venait m'appeler pour que
j'allasse voir l'une des servantes et la
mère d'une autre domestique qui avait aussi
assisté au culte. Toutes deux étaient
dans l'angoisse : chacune au sujet de son
âme. J'allai les voir, et lorsque je rentrai
chez moi, j'avais à nouveau la joie de la
veille. Pourquoi rappelé-je ici le souvenir
de ces choses ? Parce que je sais que Satan
emploie souvent le subterfuge de la froideur pour
faire cesser la lecture de la Bible et la vie de
prière. Gardons-nous donc d'abandonner l'un
et l'autre lorsque nous n'y trouvons plus la joie
de la communion du Seigneur. Il n'est jamais
inutile de lire la Parole de Dieu, il n'est jamais
inutile de prier, même lorsque nous n'avons
plus l'esprit de prière. Au lieu de cesser,
et pour retrouver la joie de sa communion,
persévérons dans la lecture de sa
Parole et dans la prière.
VACANCES
A
EXMOUTH, 1829-1830. - Le 30 décembre, je
quittai Londres pour Exmouth où se
trouvaient les amis chrétiens qui m'avaient
déjà offert l'hospitalité
pendant l'été ; je partis sans
avoir reçu du Comité la
réponse que j'attendais. J'arrivai à
destination à six heures du soir, une heure
avant le moment de la réunion de
prière d'Ebenezer Chapel. Mon coeur
brûlait au-dedans de moi, tant je
désirais ardemment dire tout le bien que
l'Éternel avait fait à mon âme.
Il me tardait d'annoncer ce que d'autres pouvaient
ne pas encore savoir. Mais comme personne ne
m'invita à prendre la parole ou à
prier, je gardai le silence. Toutefois, le
lendemain, j'eus l'occasion de dire la
différence qu'il y avait entre ces deux
choses : être un chrétien
ou être un chrétien joyeux, et de
montrer pourquoi, en général, nous
trouvions si peu de joie en Dieu. Ce premier
témoignage fut en bénédiction
à plusieurs personnes, Dieu voulant sans
doute me montrer par là qu'il était
avec moi.
La nouvelle
année
venait de commencer (1830). J'étais toujours
à Exmouth, et il me semblait toujours
plus impossible d'appartenir à une
Société, comme cela s'entend
généralement. D'autre part, j'avais
beaucoup à faire dans l'endroit où
j'étais, et fort peu d'argent à
dépenser en voyage. Il ne me restait plus
alors que cinq livres sterling. J'écrivis
donc aux membres du Comité qu'au lieu de
rentrer à Londres, en attendant qu'ils
prissent une décision à mon endroit,
je continuerais de prêcher à Exmouth.
Je leur exposai en même temps ce
qu'étaient mes idées autrefois avant
que je fusse entré en rapport avec eux, ce
qu'elles étaient devenues depuis et les
raisons qui, actuellement, m'empêcheraient
d'entrer au service de la Société aux
conditions habituelles. Toutefois, comme je leur
devais
beaucoup, puisque c'était par eux que le
Seigneur m'avait amené en Angleterre
où il m'avait si abondamment béni,
aussi parce que j'aimerais qu'ils voulussent bien
me fournir de livres de l'Écriture en
hébreu et de traités pour les Juifs,
j'étais prêt à rester dans la
Société comme agent non
salarié, s'ils m'autorisaient à
travailler en quelque lieu que ce fût et de
la manière que je déciderais sous la
seule direction du Seigneur.
Peu après, je
reçus de l'un des secrétaires du
Comité qui s'était toujours
montré très bon pour moi une lettre
pleine d'affection. Cette lettre accompagnait le
message officiel des Directeurs que je donne
ci-après :
À une réunion du
Sous-Comité missionnaire, tenue le 27
janvier 1830 à notre Maison, 10, Wardrobe
Place Doctor's Commons, il a été
donné lecture d'une lettre de M. G.-F.
Müller. En suite de quoi il a
été décidé de
communiquer à M. Müller ce qui
suit :
« Tout en se
réjouissant des progrès réels
dans la grâce et la connaissance que M.
Müller peut avoir faits à
l'école du Saint-Esprit, les membres du
Comité estiment cependant que la
Société ne peut employer que ceux qui
acceptent leurs directions à l'endroit de
l'activité missionnaire. Aussi longtemps que
M. Müller gardera son opinion
particulière sur ce point, ils ne peuvent le
considérer comme élève
missionnaire. Mais si une plus grande
maturité de réflexion l'amenait
à modifier ses vues, ils reprendraient
volontiers leurs relations avec
lui. »
G.
MÜLLER
SE SÉPARE DU COMITÉ DE
LONDRES. C'est ainsi que mes attaches avec la
Société furent rompues. [Soixante-six
ans se sont écoulés depuis,
écrit M. Müller au soir de sa vie, et
jamais je n'ai regretté un
seul instant, la décision prise alors. Bien
au contraire, j'ai souvent regretté d'avoir,
en cette occasion, montré si peu de
reconnaissance au Seigneur pour sa bonté
à mon endroit, en me guidant comme Il
l'avait fait. J'ai conformé ma conduite
à la lumière que Dieu me donnait, et
mon obéissance a été
abondamment bénie. Ma vie en donne la preuve
éclatante. ]
Avant de quitter ce
sujet, je
tiens à dire que je ne voudrais pas que mon
attitude d'alors fît rejaillir aucun
blâme sur la Société. J'aurais
même laissé de côté la
question, si cette Société n'avait
pas été l'instrument de ma venue en
Angleterre. Puisque de toutes façons je
devais mentionner mon stage d'élève
missionnaire, il m'a semblé que le mieux
était de dire les choses comme elles
s'étaient passées.
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