G. MÜLLER DÉSIRE
DEVENIR MISSIONNAIRE. -
LANGUEUR SPIRITUELLE ET NOUVELLE
CONSÉCRATION. -
MÉCONTENTEMENT
DE M. MÜLLER PÈRE. - SON FILS
DÉCIDE QU'IL SE PASSERA
DES SUBSIDES PATERNELS. - LEÇONS
PARTICULIÈRES. -
VACANCES
DE
PENTECÔTE. - CONVERSION
DE DEUX ANCIENS AMIS. - LE SORT. - SUR LA
MANIÈRE DE CONNAÎTRE LA PENSÉE
DE DIEU. - UN EMPRUNT. - RETOUR EN ARRIÈRE.
-
UN
COURRIER
DE FRANCFORT. -
LES
MOYENS DE GRÂCE : UNE PRÉDICATION
FIDÈLE ET LA LECTURE DE LA BIBLE.
LES
DÉBUTS DANS
LA VIE CHRÉTIENNE. - En janvier 1826, je
me mis pour la première fois à lire
des journaux de mission, et tout aussitôt je
sentis naître en moi le grand désir de
devenir missionnaire. Je priai beaucoup à ce
sujet, et ce désir ne lit que croître.
Mais hélas ! mon beau zèle ne fut pas
de longue durée ; il se refroidissait peu
après et voici comment.
Je rencontrais
fréquemment une jeune fille aux
réunions du samedi soir ; c'était la
seule jeune personne pieuse que je connusse, et je
n'avais pas tardé à ressentir pour
elle un vif attachement. Ceci détourna mes
pensées et mon coeur de l'oeuvre
missionnaire ; car j'avais des raisons de croire
que ses parents ne lui permettraient jamais de
partir en mission. Mes prières devinrent alors
froides et formalistes, et bientôt je ne
priai plus du tout ou à peine. La joie du
Seigneur me 'quitta. Cela dura six semaines
environ. C'est alors, aux environs de Pâques,
que j'assistai au départ d'un cher
frère comme missionnaire : Hermann Ball,
homme érudit et fils de parents fort riches,
partait pour travailler parmi les Juifs de Pologne.
Pressé par l'amour de Christ, il choisissait
le champ missionnaire plutôt que la
confortable paroisse auprès des siens. Ceci
fit sur moi une très profonde impression. Je
fis une comparaison entre nous deux, et je songeai
à mon attitude des jours passés. Moi,
j'avais renoncé à l'oeuvre
missionnaire, et presque au Seigneur
lui-même, pour l'amour d'une jeune fille ! Le
résultat de cet examen fut qu'avec le
secours d'En-Haut, je pus renoncer à
l'attachement auquel je m'étais
laissé aller sans avoir prié au
préalable, ce qui m'avait
entraîné loin de Dieu. Aussitôt
cette décision prise, le Seigneur se tourna
vers moi [smiled on me] ; et pour la
première fois de ma vie, je me donnai
à Lui complètement et sans
réserve
C'est à cette
époque que je commençai à
jouir « de la paix de Dieu qui surpasse
toute intelligence ». Ma Joie
débordait ; et j'écrivis à mon
père et à mon frère pour les
supplier de chercher le Seigneur, leur disant aussi
combien j'étais heureux. Je m'imaginais
alors que s'ils discernaient le chemin du bonheur,
ils y entreraient avec joie. À ma grande
surprise, je reçus de mon père une
réponse, où perçaient
l'irritation et la colère. »
La
mentalité
de M. Müller père,
nous est révélée par l'accueil
qu'il fit à la nouvelle de la conversion de
son fils, nouvelle qui aurait dû remplir son
coeur de joie et de reconnaissance. Ce
fonctionnaire qui avait guidé son enfant vers le
pastorat ne
désirait pas cependant que celui-ci se
convertît ; cet homme qui avait
assisté impuissant, malheureux, au
développement du vice chez l'enfant et
l'adolescent, ne souhaitait nullement qu'il dit
tout à fait adieu Au monde et à ses
joies. Ce qu'il voulait, c'est qu'il en usât
avec modération. Comme les hommes en
général, il détestait les
extrêmes ; et malgré l'avertissement
du Maître, que peut-être il ne
connaissait pas : « Parce que tu es
tiède et que tu n'es ni froid ni
bouillant, je te vomirai de ma bouche », son
mot d'ordre était manifestement : «
ni froid, ni bouillant ». Heureusement,
George Müller avait déjà entendu
l'appel du Seigneur, et il y avait répondu
en se donnant à lui tout entier. L'attitude
du père, en l'occurrence, nous aide à
comprendre la jeunesse orageuse du fils, et lui
donne une nouvelle excuse.
À cette époque, le
Docteur Tholuck fut nommé comme professeur
de théologie à l'université de
Halle. Sa nomination y attira aussitôt les
étudiants chrétiens, des endroits les
plus divers. C'est ainsi, dit Muller, que je me
liai avec d'autres frères, par le moyen
desquels Dieu me conduisit. J'éprouvai
à nouveau le désir de devenir
missionnaire ; de sorte que j'allai chez mon
père pour obtenir son consentement. Sans
celui-ci, je ne pouvais entrer dans aucun des
instituts missionnaires allemands. Mon père
laissa voir le plus vif mécontentement. -
« Eh quoi ! il avait englouti de fortes sommes
pour mes études dans l'espoir de terminer
paisiblement sa vie à mes côtés
dans un presbytère.... et maintenant il lui
fallait en abandonner l'espoir! Et se mettant en
colère, il me dit que désormais je
n'étais plus son fils. » Malgré
cela, le Seigneur m'aida à demeurer ferme
dans la décision prise. Alors mon
père se mit à me supplier avec larmes
et ceci fut infiniment plus douloureux pour moi
cependant avec le secours divin, je ne faiblis pas
non plus...
Avant de quitter la
maison
paternelle, Je m'arrangeai de
façon à avoir un entretien avec mon
frère. Je rappelai ce qu'avait
été ma vie passée; mais
maintenant que Dieu m'avait tellement béni,
je ne pouvais faire autrement que de vivre pour
lui. Après avoir quitté mon
père, et 'bien que j'eusse plus besoin
d'argent à ce moment qu'à aucune
autre période de ma vie puisque j'avais
encore deux armés d'université devant
moi, je résolus de ne plus recourir à
lui pour mes frais d'entretien. Je ne pouvais
accepter qu'il s'en chargeât davantage,
puisque je lui enlevais l'espoir si longtemps
caressé de vivre plus tard avec moi.
Grâce à Dieu, je pus tenir la
résolution prise.
Que je dise ici en
passant
comment le Seigneur subvint de façon
merveilleuse à mes besoins temporels.
À cette époque, des Américains
arrivèrent à Halle [trois d'entre
eux, des professeurs, étaient venus pour
faire des études littéraires] ; aucun
d'eux ne comprenant l'allemand ils
désiraient prendre des leçons, et le
Dr Tholuck voulut bien me recommander. Quelques-uns
étaient chrétiens. Je fus payé
si généreusement pour mes
leçons et pour les cours que je
résumais à leur intention que je pus
largement subvenir à tous mes besoins et au
delà : « O craignez
l'Éternel, vous ses saints, car rien ne
manque à ceux qui le craignent ! »
(Psaume
XXXIV : 10).
En
rentrant
de la maison j'avais dit aux frères
l'opposition paternelle ; ceux qui avaient le plus
d'expérience me conseillèrent de ne
plus faire aucune démarche pour partir en
Mission, en tout cas pour le présent. Les
fêtes de Pentecôte arrivaient ; je pus
aller passer mes vacances chez un pasteur de
campagne, homme pieux et fidèle; et Dieu
bénit cette visite qui fut pour moi un temps
de rafraîchissement spirituel. Mon cher ami
Beta était aussi venu. Tous les pasteurs de Halle,
ville de
30.000 habitants, étaient encore
plongés dans les
ténèbres ; et bien que
j'assistasse régulièrement au culte,
il était rare que j'entendisse prêcher
la vérité.
À mon retour, j'eus
l'occasion de dire à deux de mes anciens
amis, deux étudiants avec qui je n'avais pas
complètement rompu, bien que je ne prisse
plus aucune part à leur vie de dissipation,
comment j'avais passé mon temps de vacances
et le bonheur que j'y avais trouvé.
J'ajoutai que j'aimerais les voir tous deux aussi
heureux que je l'étais moi-même. Ils
me répondirent : « Nous
n'avons pas du tout le sentiment d'être des
pécheurs. » Je me mis alors
à genoux et demandai à Dieu de leur
montrer leur péché. Puis, passant
dans ma chambre à coucher, je continuai de
prier pour eux. Après un certain temps, je
revins dans la première pièce
où je les trouvai pleurant. Ils me dirent
qu'ils se sentaient maintenant pécheurs.
À partir de ce moment, le Seigneur fit son
oeuvre dans leurs coeurs.
Je continuai de penser
à
la Mission, et il me tardait qu'une décision
fût prise dans l'un ou l'autre sens. Au lieu
d'attendre patiemment et de prier à ce
sujet, je décidai de recourir au sort pour
découvrir la pensée du Seigneur. Non
seulement cela, mais je pris un billet de la
Loterie royale en disant à Dieu que si je
gagnais quelque chose, je croirais qu'il voulait
que je partisse, et dans le cas contraire que je
restasse. Mon billet sortit et gagna une petite
somme. J'écrivis en conséquence
à la Société Missionnaire de
Berlin ; mais ma demande ne fut pas
agréée à cause de l'opposition
paternelle.
Très peu de temps
après, il me fut donné de comprendre
en une certaine mesure l'erreur dans laquelle
j'étais
tombé. Comment quelqu'un d'aussi ignorant
que moi aurait-il pu enseigner les autres ?
Sans doute, j'étais né de nouveau, et
je me reposais uniquement sur Christ pour mon
salut ; mais je n'aurais pu à ce
moment-là exposer clairement les
vérités fondamentales de
l'Évangile. Il convenait donc que je
cherchasse d'abord une plus grande connaissance des
choses éternelles par la prière,
l'étude des Écritures, et une vie
sainte. Quant à mon impatience d'être
fixé sur la question d'une carrière
missionnaire, elle manifestait à quel point
j'étais peu prêt à affronter
les difficultés et les épreuves qui
l'accompagnent généralement. Or, au
lieu d'examiner soigneusement l'état de mon
coeur et de mes connaissances à la
lumière des déclarations de
l'Écriture concernant « celui qui
enseigne », j'avais eu recours au
sort ! Et comment cela finit-il ? Par une
indication de départ pour la Mission en pays
païens. [Et dans ma pensée il
s'agissait des Indes]. Eh bien le Seigneur lue
conduisit par un tout autre chemin Et qu'on ne dise
pas en faveur de cette manière de recourir
au sort que Dieu désirait vraiment que je
devinsse missionnaire en pays païen, et que
c'est par ma faute que je ne le suis pas devenu.
Car je fis une demande à une
Société des Missions et je ne fus pas
agréé.
De plus, je me donnai
solennellement au Seigneur à plusieurs
reprises dans ce but, et il n'a pas ouvert le
chemin. J'ai donc la conviction absolue que cela
n'était pas selon sa volonté. Qu'on
ne dise pas non plus que peut-être le
Seigneur m'appellera demain à
l'activité missionnaire. Même s'il en
était ainsi, cela ne prouverait rien du
tout, car je n'ai pas recouru au sort pour
être fixé sur une période de
ma vie plus ou moins éloignée,
mais pour savoir sans délai et pour le présent.
Quelques
années plus tard, je recourus à
nouveau au sort dans une question importante. Ma
pensée charnelle voulait encore savoir
« tout de suite » ;
et après avoir prié, j'employai ce
moyen. Mais les choses furent aussi cette
fois-là tout le contraire de ce que le sort
avait indiqué.
Pour connaître la
pensée du Seigneur, nous devons employer des
moyens scripturaires : la prière, la
lecture de la Parole de Dieu et les indications de
son Esprit. Allons à Dieu de façon
constante, répétée, lui
demandant de nous enseigner par son Esprit au moyen
de sa Parole. Je dis : « par son
Esprit au moyen de sa Parole », parce que
si nous supposons que Dieu nous conduit à
faire telle ou telle chose parce que les faits sont
ceci ou cela, et bien que Sa Parole s'oppose
à cette décision, « nous
nous séduisons
nous-mêmes ».
Je dirai ici, en
relation avec
ce qui précède, qu'il plût au
Seigneur de me communiquer, dès le
commencement de Sa Vie en moi, une mesure de
simplicité enfantine et des dispositions
pour les choses du domaine spirituel. Alors que
j'étais très ignorant de Sa Parole,
et qu'il m'arrivait encore de pécher en
action, je pouvais cependant apporter au Seigneur
les plus minimes détails, en prière,
et j'ai fait l'expérience que
« la piété est utile
à toutes choses ayant les promesses de la
vie présente et de celle qui est à
venir ».
Grâce à Dieu, bien
que je fusse encore très faible et ignorant,
je ressentais le désir d'être utile
aux autres. Celui qui avait servi Satan avec tant
de zèle cherchait maintenant à gagner
des âmes à Christ. Chaque mois,
j'envoyais ici et là, en province, trois
cents journaux missionnaires, Je distribuais et je
vendais un nombre considérable de
traités dont je remplissais mes poches pour
en
disposer pendant mes promenades ; cette
distribution était l'occasion de
conversations avec les pauvres gens que je
rencontrais. J'écrivis aussi à la
plupart de mes anciens compagnons de
péché. Durant trois mois, je visitai
un malade qui ignorait complètement son
état de misère et de perdition au
regard de Dieu, et qui se confiait en sa droiture
et sa moralité pour être sauvé.
Peu après, et par la bonté du
Seigneur, un changement s'opéra en lui, et
ses yeux s'ouvrirent. Il me dit par la suite
à plusieurs reprises sa reconnaissance, et
que j'avais été le moyen dont Dieu
s'était servi pour l'amener à la
vérité. Que le lecteur
chrétien puise ici un encouragement à
répandre la semence, même s'il ne
devait pas voir immédiatement les fruits de
son travail.
C'est ainsi que le
Seigneur
daigna commencer à se servir de moi
après ma conversion. Il ne le fit que dans
une faible mesure, selon ma capacité ;
car je ne comprenais pas alors, comme je le fais
maintenant, que c'est Dieu qui, après avoir
communiqué au moment de la conversion la vie
spirituelle, l'entretient en son racheté,
par la suite.
C'est à cette
époque que j'entendis parler d'un
instituteur qui avait une réunion de
prière à 4 h. du matin pour des
mineurs, avant que ceux-ci descendissent dans le
puits ; il leur lisait aussi une
méditation. Le village où ceci se
passait n'étant qu'à une distance de
8 kilomètres environ de Hallé, et
pensant que cet instituteur était
chrétien, je résolus d'aller le voir.
Les frères que je pouvais rencontrer
à cette période de ma vie
étaient en si petit nombre ! Et
j'espérais aussi pouvoir lui être
utile. J'appris qu'il tenait ces réunions
pour obliger un parent chargé de le faire ;
quant
aux
exhortations qu'il lisait, elles n'étaient
pas de lui. Enfin, et ceci je l'appris plus tard,
il n'était pas converti. Ce fut ma
bonté, dit-il par la suite, ce qu'il nommait
« ma condescendance » en venant
le trouver, et ma conversation, qui
l'amenèrent à penser à Dieu et
à se donner au Sauveur. Depuis, j'ai
toujours trouvé en lui un véritable
frère.
Un jour, il me demanda
si je ne
voudrais pas prêcher, ce qui rendrait grand
service au pasteur de l'endroit, âgé
et malade. Je ne l'avais encore jamais fait, bien
que, depuis quinze mois, j'en eusse l'autorisation,
comme étudiant en théologie. Par la
bonté de Dieu, j'avais été
empêché d'user de ce droit en 1825. Je
n'en avais pas moins écrit à mon
père que c'était chose faite, sachant
qu'il en aurait du plaisir. Après ma
conversion, j'avais senti à quel point
j'étais insuffisamment instruit des choses
de Dieu. Pour cette même raison, j'aurais
peut-être dû décliner l'offre
qui m'était faite. Mais je pensai qu'un bon
sermon, appris par coeur et récité,
pourrait faire du bien... J'arrangeai donc quelque
chose, puis je me mis en devoir de le
mémoriser. Ce fut là un
pénible labeur. Il n'y a pas de joie dans
l'exécution des plans
échafaudés par la sagesse humaine. Ce
fut le 27 août 1826, à huit heures du
matin, que je prêchai mon premier sermon,
dans une chapelle privée d'abord, puis dans
l'église paroissiale. L'après-midi,
nouveau service ; il n'était pas
nécessaire que j'y prisse aucune part, le
maître d'école aurait pu lire une
méditation comme il en avait l'habitude.
Mais j'avais le désir de servir le Seigneur,
même si je ne savais pas encore le faire de
la manière que nous indiquent les
Écritures. Comme je n'avais pas appris de
second sermon, il me vint à l'esprit que je pourrais
lire le chapitre V
de
l'Évangile selon saint Matthieu, en donnant
au cours de ma lecture les instructions et les
explications qui se présenteraient à
mon esprit. Je le fis. À peine avais-je
commencé l'explication du verset :
« Heureux les pauvres en
esprit... », que je sentis le secours
divin ; et tandis que le sermon du matin
n'avait pas été assez simple pour
être compris, je remarquai
l'après-midi que l'attention était
soutenue et que les auditeurs paraissaient
comprendre. J'en ressentis une grande joie. Quelle
bénédiction que ce genre de
prédication ! Je me hâtai de
prendre congé du pasteur âgé,
craignant de perdre quelque chose de mon
bonheur.
C'est de cette manière
que j'aimerais prêcher, pensais-je sur le
chemin du retour à Hallé. Mais cette
prédication serait peut-être
insuffisante pour un auditoire de gens
cultivés ?... Il faut toujours
prêcher la vérité, mais
peut-être de façons différentes
suivant les auditeurs ?... » La
question restait ouverte pour moi. Quoi
d'extraordinaire à ce que la réponse
m'échappât ? Je ne comprenais pas
alors l'action du Saint-Esprit, et n'avais pas
découvert que l'éloquence de l'homme
était frappée de
stérilité. Enfin, à cette
époque, je n'avais pas pensé à
ceci : que les gens cultivés peuvent
comprendre ce que comprennent les personnes les
plus ignorantes de l'auditoire, mais qu'il n'en va
pas de même en sens inverse.
Dès lors, je
prêchai souvent dans les villes et les
villages, mais je n'en éprouvais de la joie
que lorsque je le faisais simplement, bien que je
reçusse plus de louanges des hommes, lorsque
je disais quelque sermon appris par coeur. Mais
aucune de mes prédications ne sembla porter
de fruits. Le grand Jour révélera
peut-être quelque bien accompli ? Si
j'avais vu des résultats,
j'en aurais probablement ressenti quelque orgueil,
et le Seigneur ne le permit pas. Enfin je priais si
peu pour l'oeuvre du ministère de la Parole,
je marchais si peu avec Dieu, j'étais si
rarement « un vase d'honneur,
consacré, utile à son maître et
prêt pour toute bonne oeuvre »
(II
Tim. Il : 21) qu'il n'est
pas étonnant que le Seigneur n'ait pu
accorder de résultats visibles à mon
travail.
C'est à peu près à cette
époque, alors que je commençais
à prêcher, que je jouis pendant deux
mois de l'hospitalité gratuite offerte aux
étudiants en théologie pauvres, dans
le célèbre orphelinat fondé
à Halle par A.-H. Francke. Francke, mort en
1727, avait été lui-même
professeur de théologie à
l'Université. Je mentionne ce fait parce que
la foi de ce fidèle serviteur de Dieu me fut
plus tard en bénédiction.
J'étais encore très faible
spirituellement et il m'arrivait de retomber
parfois dans le péché ; mais je
ne pouvais y persévérer même
pour peu de temps sans en éprouver la plus
profonde douleur, ainsi que le besoin de me
confesser à Dieu et de me réfugier
dans le Sang de l'Agneau versé pour moi. Mon
ignorance était encore si grande que,
certain jour, j'achetai un crucifix que je
plaçai dans ma chambre pour me rappeler
constamment les souffrances du Sauveur et
empêcher que je retombe dans le mal.
Hélas ! au bout de quelques jours, le
regard sur le crucifix ne servit plus à
rien, et je retombai au contraire plus souvent et
plus profondément qu'auparavant dans le
mal.
Au commencement de
l'année 1827, ayant entendu parler d'une
dame résidant à
Francfort-sur-le-Main, dame riche et de
qualité, qui, également pieuse et
généreuse, venait de doter
libéralement la Fondation religieuse de
Düsselthal, comme je désirais vivement aider un
parent pauvre,
d'une
part, et d'autre part payer la dette
contractée lors de mon voyage en Suisse, je
lui écrivis pour solliciter une avance.
C'était une petite somme, un peu plus de
cinq livres sterling, mais qui donnait à
l'époque douze à quinze livres en
argent allemand (1). En écrivant
cette lettre,
une pensée me vint : « Et si
cette dame, bien que charitable, ne connaissait pas
le chemin du salut ? » Je me mis
donc en devoir de le lui exposer en y ajoutant le
récit de ma conversion, et comment j'avais
été amené à la
connaissance de la vérité. Le temps
se passa, le temps normal de la réponse, et
rien ne vint.
Certain jour de
janvier, le 20
je crois, je me sentais très
déprimé et malheureux ; le
surmenage que je m'imposais y était
probablement pour quelque chose, car j'avais pris
l'habitude d'écrire quatorze heures par
jour ; et Satan en profita aussitôt pour
reprendre le dessus sur moi. Je dis donc en mon
coeur : « Qu'ai-je gagné
à devenir chrétien ? »
Et plantant là mon travail, je sortis et me
mis à courir les rues ; enfin, j'entrai
dans l'une de ces pâtisseries où en
Allemagne on vend aussi du vin et des liqueurs, et
je me fis servir, décidé à
bien boire et à bien manger.
Mais à peine avais-je
goûté au gâteau qu'un malaise
m'envahit. Était-ce là la place d'un
chrétien ? Et convenait-il qu'il
dépensât de la sorte son argent ?
Je me levai de suite et sortis.
L'après-midi
de
ce même jour, alors que j'avais
montré tant d'ingratitude envers le
Seigneur, il lui plût de me
faire sentir mon péché ; non par
un châtiment sévère comme je le
méritais, mais en ajoutant un nouveau
bienfait à tous ceux dont j'avais
déjà été l'objet
jusque-là. Oh ! la patience de Dieu
envers nous ! Puissé-je, durant les
quelques jours qu'il me reste à passer
ici-bas, avoir plus de reconnaissance pour sa
grande miséricorde. À deux heures, on
m'apportait un paquet de Francfort contenant
exactement la somme demandée par moi, mais
pas de lettre, ce que je regrettai. J'étais
vaincu par la bonté du Seigneur. N'ayant pas
pris mon parti de l'absence d'un message, je me mis
à examiner soigneusement le papier qui avait
servi d'enveloppe et j'en découvris un. Il
était ainsi conçu :
« C'est par
une
circonstance providentielle que j'ai eu
connaissance de la lettre que vous avez
écrite à Lady B. Vous êtes dans
l'erreur concernant cette dame et le
prétendu séjour qu'elle aurait fait
à D. Elle n'y est jamais allée. On
l'a prise pour une autre personne. Toutefois, comme
je désire alléger en une certaine
mesure le poids des difficultés où
vous semblez être, je vous envoie la petite
somme incluse : n'en remerciez pas le donateur
inconnu ; mais lé Seigneur qui peut
incliner les coeurs à son gré, comme
des ruisseaux d'eau courante. Retenez fermement la
foi que vous avez reçue de Dieu par son
Saint-Esprit : elle est le plus
précieux trésor de cette vie, et
renferme le vrai bonheur. Seulement veillez et
priez davantage afin d'être
délivré de toute vanité, de
tout contentement de vous-même, choses qui
peuvent si aisément faire tomber même
le chrétien fidèle, lorsqu'il s'y
attend le moins. Tendez à devenir toujours
plus humble, plus fidèle, plus patient. Que
nous ne soyons pas de ceux qui disent et
écrivent continuellement :
« Seigneur !
Seigneur ! » alors que le Seigneur
ne demeure pas profondément en leurs coeurs.
Le christianisme ne consiste pas en paroles, mais
en puissance. Il faut que nous ayons la vie en
nous-mêmes. Dieu nous a aimés le
premier pour que nous l'aimions en retour, et que,
l'aimant, nous recevions d'En-Haut la force
nécessaire pour lui être
fidèles et remporter la victoire sur
nous-mêmes, sur le monde, sur la douleur et
la mort. Que l'Esprit de Dieu vous fortifie pour
cela, en sorte que vous deveniez un bon messager de
son Évangile ! Amen.
« UNE PERSONNE QUI ADORE LE SAUVEUR, JÉSUS-CHRIST. »
« Francfort-sur-le-Main, 14 janvier 1827. »
Tout aussitôt, je compris que ces paroles
d'avertissement si fidèles et en même
temps si affectueuses m'étaient
nécessaires ; mais depuis, Je l'ai
senti bien davantage encore. C'étaient bien
là les péchés contre lesquels
j'avais surtout besoin d'être mis en
garde : le contentement de soi, le manque de
calme, de quiétude, une tendance à
dire et à écrire :
« Seigneur !
Seigneur ! » plutôt
qu'à manifester par ma vie qu'il
était bien cela pour moi. Aujourd'hui
encore, je me sens insuffisant sur tous ces points,
bien que le Seigneur m'ait puissamment
secouru ; je le dis à sa
louange.
La lecture de cette
lettre avait
donc rempli mon coeur de joie, de confusion et de
reconnaissance. Ce qui m'avait impressionné
le plus vivement, c'était la bonté de
Dieu envers moi. Le coeur débordant de ces
sentiments divers et honteux de ma conduite du
matin, je me hâtai, le soir
venu, de gagner la campagne pour m'y promener en
quelque endroit solitaire. Éprouvant
vivement combien j'avais été ingrat
envers Dieu malgré tous ses bienfaits,
reconnaissant l'inconstance de ma conduite et mon
manque de persévérance à
marcher dans ses sentiers, je ne pus que tomber
à genoux derrière une haie, bien
qu'il y eût un pied de neige sur le sol. Et
là je me consacrai à lui tout
à nouveau, demandant sa force afin de
pouvoir désormais vivre davantage à
sa gloire, et je le remerciai pour cette
dernière marque de sa bonté. Ce
furent pour moi de bienheureux moments. Je
continuai ainsi de prier pendant une demi-heure
à peu près...
RECUL.
-
Quiconque ne connaît pas la misère de
son propre coeur croira difficilement que je fusse
vraiment converti quand j'ajouterai qu'un peu plus
tard, Je fus assez vil pour me conduire comme une
brute. Oubliant les bienfaits de Dieu, je me
complus dans le mécontentement, j'accueillis
des sentiments d'insubordination, et pendant cette
période qui se prolongea assez longtemps, je
cessai presque complètement de prier.
Certain jour, alors que j'étais en cet
état misérable, je sonnai le
domestique, lui commandai d'apporter du vin et je
me mis à boire. Mais le Seigneur ne
m'abandonna pas. Je voulais m'étourdir pour
continuer plus facilement à pécher,
mais je ne le pus. Autrefois, certain
après-midi et par bravade, J'avais bu
près de cinq litres de bière
forte ; une autre fois c'avait
été du vin, et ma conscience n'avait
pas protesté ; mais cette fois-ci
j'avais à peine bu deux ou trois verres que
la méchanceté de ma conduite
m'apparut et que ma conscience me reprocha de boire
pour boire ; je posai aussitôt le verre.
PRÉDICATION
ET
LECTURE DE LA BIBLE. - Peut-être
puis-je ajouter ici que les moyens de grâce
dont je pouvais bénéficier alors,
étaient extrêmement peu nombreux. Bien
que j'allasse régulièrement à
l'église lorsque je ne prêchais pas
moi-même, j'y entendais rarement annoncer la
Vérité. Aussi lorsqu'il advenait que
le prédicateur fût le Dr Tholuck ou
quelque autre pasteur fidèle, non seulement
je m'en réjouissais longtemps à
l'avance, mais l'événement
passé il me suffisait d'en rappeler le
souvenir pour en être encore rempli de joie. J'ai bien souvent
fait à pied de quinze
à vingt kilomètres pour pouvoir jouir
de ce privilège. Que ceux qui ont
à leur portée un ministère
fidèle de la Parole en soient
profondément reconnaissants. Peu de
bénédictions dépassent
celle-là. Il arrive que le Seigneur soit
obligé de nous en priver
momentanément pour nous apprendre à
l'apprécier.
J'assistais
régulièrement aux réunions qui
se tenaient le samedi soir chez le frère
Wagner. De plus nous nous réunissions entre
étudiants le dimanche soir : d'abord
nous fûmes six, à mon départ de
Halle nous étions vingt. Après
Pâques, ce fut chez moi qu'on se
réunit. L'un ou l'autre d'entre nous,
parfois plusieurs, priaient, puis c'était la
lecture de la Bible ou d'un auteur chrétien
et le chant des cantiques, il arrivait aussi que
quelqu'un d'entre nous fît entendre quelques
paroles d'exhortation. Ces réunions ont
été pour moi un moyen de
bénédiction, soit parce que j'y fus
remis d'aplomb, à plusieurs reprises, soit
parce que j'y trouvai un temps de
rafraîchissement spirituel. Certain jour que
je me sentais misérable parce que j'avais
été infidèle au Seigneur,
j'ouvris mon coeur aux frères ; et
ceux-ci par leurs prières et leurs
exhortations me firent retrouver la communion avec Dieu.
Je considère donc que
l'obéissance à l'ordre :
« N'oubliez pas nos saintes
assemblées », est une chose
essentielle. Même si, dans l'instant, nous
n'avons pas l'impression de retirer quelque bien de
l'assistance aux réunions des
fidèles, il n'en demeure pas moins qu'il y a
là l'un des moyens que Dieu emploie pour
nous garder du mal. La froideur spirituelle
résulte souvent de la négligence dans
la fréquentation des assemblées. Je
sais, en ce qui me concerne, qu'il m'est
arrivé à plusieurs reprises de partir
pour quelque village éloigné, afin
d'être sûr de ne rencontrer personne
qui me parlât du Seigneur et des choses
éternelles, quand je traversais une de ces
périodes de misérable tiédeur,
où, selon la parole de Jésus,
« je regardais en arrière
après avoir mis la main à la
charrue ». Mais le Seigneur manifestait
alors sa bonté envers moi en permettant que
je me sentisse si malheureux qu'il me fallait
revenir sur mes pas. Il avait commencé son
oeuvre en moi, et comme il est fidèle, il
refusait de m'abandonner, même quand je lui
étais infidèle. Toutefois, il est
certain que cette oeuvre il aurait pu l'accomplir
plus rapidement si je ne lui avais pas
résisté.
Pour ce qui est d'un
autre grand
moyen de grâce la lecture de la Parole de
Dieu, j'étais tombé dans le
piège où tombent
généralement les nouveaux convertis
qui préfèrent les livres religieux
aux Écritures. Je ne pouvais plus me nourrir
comme autrefois de romans français ou
allemands ; mais au lieu de les remplacer par
le Livre par excellence, je me mis à lire
des traités, des revues missionnaires, des
sermonnaires, des biographies de chrétiens.
Je trouvai plus de profit à lire les
biographies que les autres ouvrages ; et si je
les avais bien choisies, ou si je n'en avais pas
trop lu, ou si
l'une
d'elles avait mis l'accent sur la
nécessité de lire les
Écritures et le bienfait qui en
résulte, cela m'aurait fait le plus grand
bien. À aucune époque de ma vie, je
n'avais eu l'habitude de lire la Bible. À
quatorze ans, en classe, j'avais dû parcourir
quelques chapitres, et c'était tout. Je ne
me souviens pas d'en avoir relu une seule page
ensuite, jusqu'au moment où Dieu fit son
oeuvre en moi. Ce moment venu, j'aurais dû me
dire que puisque Dieu avait condescendu à se
faire Auteur, puisque j'ignorais le contenu du
très précieux Livre inspiré
par le Saint-Esprit et écrit par les
prophètes, lequel livre révèle
ce qui importe au vrai bonheur, il convenait que je
le lusse et le relusse avec ardeur, avec
prière et méditation tous les jours
de ma vie. [Si peu que j'eusse lu la Bible alors,
cela suffisait à me faire comprendre que je
ne la connaissais pas du tout]. Cette ignorance
aurait dû m'inciter à l'étudier
davantage. Au lieu de cela, les difficultés
que j'avais à la comprendre, le peu de joie
que j'éprouvais à la lire, me la
firent laisser. Mon ignorance et mon
indifférence subsistaient donc ; alors
qu'une lecture suivie et accompagnée de
prière entraîne inévitablement
la connaissance et la joie.
Durant les quatre
années
qui suivirent ma conversion, je
préférai donc la littérature
religieuse, oeuvre d'hommes, aux oracles du Dieu
vivant. Le résultat fut que je restai un
bébé dans la grâce et la
connaissance : pour ce qui est de celle-ci,
toute vraie connaissance découle de
la Parole expliquée par l'Esprit ;
comme je négligeais la lecture de la Bible,
je restai longtemps ignorant, et incapable de
comprendre clairement les points fondamentaux de
notre sainte foi. À cause de cette
ignorance, je fus longtemps faible, trébuchant
souvent et
incapable de marcher avec quelque
persévérance dans les sentiers du
Seigneur. Car c'est la vérité qui
nous affranchit de l'esclavage des convoitises
(Jean
VIII : 31, 32) :
convoitise de la chair, convoitise des yeux,
orgueil de la vie. La Bible le prouve ;
l'expérience des saints et notre propre
expérience le prouvent aussi. Quand il plut
au Seigneur, en août 1829, de m'amener
à l'étude des Écritures, ma
vie et ma conduite changèrent
aussitôt. Depuis, je n'ai certainement pas
été ce que j'aurais pu être, ce
que j'aurais dû être, cependant par la
grâce de Dieu, j'ai pu bien mieux
qu'auparavant vivre près de Lui.
Si quelqu'un de mes
lecteurs
préférait les autres livres aux
Saintes Écritures et trouvait plus de joie
dans les ouvrages des hommes que dans la Parole de
Dieu, j'espère que les années que
j'ai perdues lui serviraient d'avertissement. Et si
Dieu daignait, par ces pages, conduire quelques-uns
de ses enfants à faire des Saintes
Écritures leur principale étude, je
considérerais qu'elles ont fait beaucoup de
bien.
À ce sujet, je veux
encore ajouter ceci : « Si quelqu'un
comprend difficilement la Bible, il doit la lire
beaucoup ; car la lecture fréquente
des Écritures fait que nous y trouvons nos
délices ; plus nous les lisons, plus
nous aimons les lire. Et si mon lecteur
était un incrédule, même en ce
cas, je lui dirais de lire la Bible avec
sérieux. Mais qu'il demande d'abord à
Dieu sa bénédiction, car Dieu peut le
rendre « sage à salut »
(Il
Tim. III : 15, 16, 17)
(2).
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