Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE TROISIÈME

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G. MÜLLER DÉSIRE DEVENIR MISSIONNAIRE. - LANGUEUR SPIRITUELLE ET NOUVELLE CONSÉCRATION. -
MÉCONTENTEMENT DE M. MÜLLER PÈRE. - SON FILS DÉCIDE QU'IL SE PASSERA DES SUBSIDES PATERNELS. - LEÇONS PARTICULIÈRES. -
VACANCES DE PENTECÔTE. - CONVERSION DE DEUX ANCIENS AMIS. - LE SORT. - SUR LA MANIÈRE DE CONNAÎTRE LA PENSÉE DE DIEU. - UN EMPRUNT. - RETOUR EN ARRIÈRE. -
UN COURRIER DE FRANCFORT. -
LES MOYENS DE GRÂCE : UNE PRÉDICATION FIDÈLE ET LA LECTURE DE LA BIBLE.



LES DÉBUTS DANS LA VIE CHRÉTIENNE. - En janvier 1826, je me mis pour la première fois à lire des journaux de mission, et tout aussitôt je sentis naître en moi le grand désir de devenir missionnaire. Je priai beaucoup à ce sujet, et ce désir ne lit que croître. Mais hélas ! mon beau zèle ne fut pas de longue durée ; il se refroidissait peu après et voici comment.

Je rencontrais fréquemment une jeune fille aux réunions du samedi soir ; c'était la seule jeune personne pieuse que je connusse, et je n'avais pas tardé à ressentir pour elle un vif attachement. Ceci détourna mes pensées et mon coeur de l'oeuvre missionnaire ; car j'avais des raisons de croire que ses parents ne lui permettraient jamais de partir en mission. Mes prières devinrent alors froides et formalistes, et bientôt je ne priai plus du tout ou à peine. La joie du Seigneur me 'quitta. Cela dura six semaines environ. C'est alors, aux environs de Pâques, que j'assistai au départ d'un cher frère comme missionnaire : Hermann Ball, homme érudit et fils de parents fort riches, partait pour travailler parmi les Juifs de Pologne. Pressé par l'amour de Christ, il choisissait le champ missionnaire plutôt que la confortable paroisse auprès des siens. Ceci fit sur moi une très profonde impression. Je fis une comparaison entre nous deux, et je songeai à mon attitude des jours passés. Moi, j'avais renoncé à l'oeuvre missionnaire, et presque au Seigneur lui-même, pour l'amour d'une jeune fille ! Le résultat de cet examen fut qu'avec le secours d'En-Haut, je pus renoncer à l'attachement auquel je m'étais laissé aller sans avoir prié au préalable, ce qui m'avait entraîné loin de Dieu. Aussitôt cette décision prise, le Seigneur se tourna vers moi [smiled on me] ; et pour la première fois de ma vie, je me donnai à Lui complètement et sans réserve

C'est à cette époque que je commençai à jouir « de la paix de Dieu qui surpasse toute intelligence ». Ma Joie débordait ; et j'écrivis à mon père et à mon frère pour les supplier de chercher le Seigneur, leur disant aussi combien j'étais heureux. Je m'imaginais alors que s'ils discernaient le chemin du bonheur, ils y entreraient avec joie. À ma grande surprise, je reçus de mon père une réponse, où perçaient l'irritation et la colère. »

La mentalité de M. Müller père, nous est révélée par l'accueil qu'il fit à la nouvelle de la conversion de son fils, nouvelle qui aurait dû remplir son coeur de joie et de reconnaissance. Ce fonctionnaire qui avait guidé son enfant vers le pastorat ne désirait pas cependant que celui-ci se convertît ; cet homme qui avait assisté impuissant, malheureux, au développement du vice chez l'enfant et l'adolescent, ne souhaitait nullement qu'il dit tout à fait adieu Au monde et à ses joies. Ce qu'il voulait, c'est qu'il en usât avec modération. Comme les hommes en général, il détestait les extrêmes ; et malgré l'avertissement du Maître, que peut-être il ne connaissait pas : « Parce que tu es tiède et que tu n'es ni froid ni bouillant, je te vomirai de ma bouche », son mot d'ordre était manifestement : « ni froid, ni bouillant ». Heureusement, George Müller avait déjà entendu l'appel du Seigneur, et il y avait répondu en se donnant à lui tout entier. L'attitude du père, en l'occurrence, nous aide à comprendre la jeunesse orageuse du fils, et lui donne une nouvelle excuse.

À cette époque, le Docteur Tholuck fut nommé comme professeur de théologie à l'université de Halle. Sa nomination y attira aussitôt les étudiants chrétiens, des endroits les plus divers. C'est ainsi, dit Muller, que je me liai avec d'autres frères, par le moyen desquels Dieu me conduisit. J'éprouvai à nouveau le désir de devenir missionnaire ; de sorte que j'allai chez mon père pour obtenir son consentement. Sans celui-ci, je ne pouvais entrer dans aucun des instituts missionnaires allemands. Mon père laissa voir le plus vif mécontentement. - « Eh quoi ! il avait englouti de fortes sommes pour mes études dans l'espoir de terminer paisiblement sa vie à mes côtés dans un presbytère.... et maintenant il lui fallait en abandonner l'espoir! Et se mettant en colère, il me dit que désormais je n'étais plus son fils. » Malgré cela, le Seigneur m'aida à demeurer ferme dans la décision prise. Alors mon père se mit à me supplier avec larmes et ceci fut infiniment plus douloureux pour moi cependant avec le secours divin, je ne faiblis pas non plus...
Avant de quitter la maison paternelle, Je m'arrangeai de façon à avoir un entretien avec mon frère. Je rappelai ce qu'avait été ma vie passée; mais maintenant que Dieu m'avait tellement béni, je ne pouvais faire autrement que de vivre pour lui. Après avoir quitté mon père, et 'bien que j'eusse plus besoin d'argent à ce moment qu'à aucune autre période de ma vie puisque j'avais encore deux armés d'université devant moi, je résolus de ne plus recourir à lui pour mes frais d'entretien. Je ne pouvais accepter qu'il s'en chargeât davantage, puisque je lui enlevais l'espoir si longtemps caressé de vivre plus tard avec moi. Grâce à Dieu, je pus tenir la résolution prise.

Que je dise ici en passant comment le Seigneur subvint de façon merveilleuse à mes besoins temporels. À cette époque, des Américains arrivèrent à Halle [trois d'entre eux, des professeurs, étaient venus pour faire des études littéraires] ; aucun d'eux ne comprenant l'allemand ils désiraient prendre des leçons, et le Dr Tholuck voulut bien me recommander. Quelques-uns étaient chrétiens. Je fus payé si généreusement pour mes leçons et pour les cours que je résumais à leur intention que je pus largement subvenir à tous mes besoins et au delà : « O craignez l'Éternel, vous ses saints, car rien ne manque à ceux qui le craignent ! » (Psaume XXXIV : 10).

En rentrant de la maison j'avais dit aux frères l'opposition paternelle ; ceux qui avaient le plus d'expérience me conseillèrent de ne plus faire aucune démarche pour partir en Mission, en tout cas pour le présent. Les fêtes de Pentecôte arrivaient ; je pus aller passer mes vacances chez un pasteur de campagne, homme pieux et fidèle; et Dieu bénit cette visite qui fut pour moi un temps de rafraîchissement spirituel. Mon cher ami Beta était aussi venu. Tous les pasteurs de Halle, ville de 30.000 habitants, étaient encore plongés dans les ténèbres ; et bien que j'assistasse régulièrement au culte, il était rare que j'entendisse prêcher la vérité.

À mon retour, j'eus l'occasion de dire à deux de mes anciens amis, deux étudiants avec qui je n'avais pas complètement rompu, bien que je ne prisse plus aucune part à leur vie de dissipation, comment j'avais passé mon temps de vacances et le bonheur que j'y avais trouvé. J'ajoutai que j'aimerais les voir tous deux aussi heureux que je l'étais moi-même. Ils me répondirent : « Nous n'avons pas du tout le sentiment d'être des pécheurs. » Je me mis alors à genoux et demandai à Dieu de leur montrer leur péché. Puis, passant dans ma chambre à coucher, je continuai de prier pour eux. Après un certain temps, je revins dans la première pièce où je les trouvai pleurant. Ils me dirent qu'ils se sentaient maintenant pécheurs. À partir de ce moment, le Seigneur fit son oeuvre dans leurs coeurs.

Je continuai de penser à la Mission, et il me tardait qu'une décision fût prise dans l'un ou l'autre sens. Au lieu d'attendre patiemment et de prier à ce sujet, je décidai de recourir au sort pour découvrir la pensée du Seigneur. Non seulement cela, mais je pris un billet de la Loterie royale en disant à Dieu que si je gagnais quelque chose, je croirais qu'il voulait que je partisse, et dans le cas contraire que je restasse. Mon billet sortit et gagna une petite somme. J'écrivis en conséquence à la Société Missionnaire de Berlin ; mais ma demande ne fut pas agréée à cause de l'opposition paternelle.

Très peu de temps après, il me fut donné de comprendre en une certaine mesure l'erreur dans laquelle j'étais tombé. Comment quelqu'un d'aussi ignorant que moi aurait-il pu enseigner les autres ? Sans doute, j'étais né de nouveau, et je me reposais uniquement sur Christ pour mon salut ; mais je n'aurais pu à ce moment-là exposer clairement les vérités fondamentales de l'Évangile. Il convenait donc que je cherchasse d'abord une plus grande connaissance des choses éternelles par la prière, l'étude des Écritures, et une vie sainte. Quant à mon impatience d'être fixé sur la question d'une carrière missionnaire, elle manifestait à quel point j'étais peu prêt à affronter les difficultés et les épreuves qui l'accompagnent généralement. Or, au lieu d'examiner soigneusement l'état de mon coeur et de mes connaissances à la lumière des déclarations de l'Écriture concernant « celui qui enseigne », j'avais eu recours au sort ! Et comment cela finit-il ? Par une indication de départ pour la Mission en pays païens. [Et dans ma pensée il s'agissait des Indes]. Eh bien le Seigneur lue conduisit par un tout autre chemin Et qu'on ne dise pas en faveur de cette manière de recourir au sort que Dieu désirait vraiment que je devinsse missionnaire en pays païen, et que c'est par ma faute que je ne le suis pas devenu. Car je fis une demande à une Société des Missions et je ne fus pas agréé.
De plus, je me donnai solennellement au Seigneur à plusieurs reprises dans ce but, et il n'a pas ouvert le chemin. J'ai donc la conviction absolue que cela n'était pas selon sa volonté. Qu'on ne dise pas non plus que peut-être le Seigneur m'appellera demain à l'activité missionnaire. Même s'il en était ainsi, cela ne prouverait rien du tout, car je n'ai pas recouru au sort pour être fixé sur une période de ma vie plus ou moins éloignée, mais pour savoir sans délai et pour le présent. Quelques années plus tard, je recourus à nouveau au sort dans une question importante. Ma pensée charnelle voulait encore savoir « tout de suite » ; et après avoir prié, j'employai ce moyen. Mais les choses furent aussi cette fois-là tout le contraire de ce que le sort avait indiqué.

Pour connaître la pensée du Seigneur, nous devons employer des moyens scripturaires : la prière, la lecture de la Parole de Dieu et les indications de son Esprit. Allons à Dieu de façon constante, répétée, lui demandant de nous enseigner par son Esprit au moyen de sa Parole. Je dis : « par son Esprit au moyen de sa Parole », parce que si nous supposons que Dieu nous conduit à faire telle ou telle chose parce que les faits sont ceci ou cela, et bien que Sa Parole s'oppose à cette décision, « nous nous séduisons nous-mêmes ».

Je dirai ici, en relation avec ce qui précède, qu'il plût au Seigneur de me communiquer, dès le commencement de Sa Vie en moi, une mesure de simplicité enfantine et des dispositions pour les choses du domaine spirituel. Alors que j'étais très ignorant de Sa Parole, et qu'il m'arrivait encore de pécher en action, je pouvais cependant apporter au Seigneur les plus minimes détails, en prière, et j'ai fait l'expérience que « la piété est utile à toutes choses ayant les promesses de la vie présente et de celle qui est à venir ».

Grâce à Dieu, bien que je fusse encore très faible et ignorant, je ressentais le désir d'être utile aux autres. Celui qui avait servi Satan avec tant de zèle cherchait maintenant à gagner des âmes à Christ. Chaque mois, j'envoyais ici et là, en province, trois cents journaux missionnaires, Je distribuais et je vendais un nombre considérable de traités dont je remplissais mes poches pour en disposer pendant mes promenades ; cette distribution était l'occasion de conversations avec les pauvres gens que je rencontrais. J'écrivis aussi à la plupart de mes anciens compagnons de péché. Durant trois mois, je visitai un malade qui ignorait complètement son état de misère et de perdition au regard de Dieu, et qui se confiait en sa droiture et sa moralité pour être sauvé. Peu après, et par la bonté du Seigneur, un changement s'opéra en lui, et ses yeux s'ouvrirent. Il me dit par la suite à plusieurs reprises sa reconnaissance, et que j'avais été le moyen dont Dieu s'était servi pour l'amener à la vérité. Que le lecteur chrétien puise ici un encouragement à répandre la semence, même s'il ne devait pas voir immédiatement les fruits de son travail.

C'est ainsi que le Seigneur daigna commencer à se servir de moi après ma conversion. Il ne le fit que dans une faible mesure, selon ma capacité ; car je ne comprenais pas alors, comme je le fais maintenant, que c'est Dieu qui, après avoir communiqué au moment de la conversion la vie spirituelle, l'entretient en son racheté, par la suite.

C'est à cette époque que j'entendis parler d'un instituteur qui avait une réunion de prière à 4 h. du matin pour des mineurs, avant que ceux-ci descendissent dans le puits ; il leur lisait aussi une méditation. Le village où ceci se passait n'étant qu'à une distance de 8 kilomètres environ de Hallé, et pensant que cet instituteur était chrétien, je résolus d'aller le voir. Les frères que je pouvais rencontrer à cette période de ma vie étaient en si petit nombre ! Et j'espérais aussi pouvoir lui être utile. J'appris qu'il tenait ces réunions pour obliger un parent chargé de le faire ; quant aux exhortations qu'il lisait, elles n'étaient pas de lui. Enfin, et ceci je l'appris plus tard, il n'était pas converti. Ce fut ma bonté, dit-il par la suite, ce qu'il nommait « ma condescendance » en venant le trouver, et ma conversation, qui l'amenèrent à penser à Dieu et à se donner au Sauveur. Depuis, j'ai toujours trouvé en lui un véritable frère.

Un jour, il me demanda si je ne voudrais pas prêcher, ce qui rendrait grand service au pasteur de l'endroit, âgé et malade. Je ne l'avais encore jamais fait, bien que, depuis quinze mois, j'en eusse l'autorisation, comme étudiant en théologie. Par la bonté de Dieu, j'avais été empêché d'user de ce droit en 1825. Je n'en avais pas moins écrit à mon père que c'était chose faite, sachant qu'il en aurait du plaisir. Après ma conversion, j'avais senti à quel point j'étais insuffisamment instruit des choses de Dieu. Pour cette même raison, j'aurais peut-être dû décliner l'offre qui m'était faite. Mais je pensai qu'un bon sermon, appris par coeur et récité, pourrait faire du bien... J'arrangeai donc quelque chose, puis je me mis en devoir de le mémoriser. Ce fut là un pénible labeur. Il n'y a pas de joie dans l'exécution des plans échafaudés par la sagesse humaine. Ce fut le 27 août 1826, à huit heures du matin, que je prêchai mon premier sermon, dans une chapelle privée d'abord, puis dans l'église paroissiale. L'après-midi, nouveau service ; il n'était pas nécessaire que j'y prisse aucune part, le maître d'école aurait pu lire une méditation comme il en avait l'habitude. Mais j'avais le désir de servir le Seigneur, même si je ne savais pas encore le faire de la manière que nous indiquent les Écritures. Comme je n'avais pas appris de second sermon, il me vint à l'esprit que je pourrais lire le chapitre V de l'Évangile selon saint Matthieu, en donnant au cours de ma lecture les instructions et les explications qui se présenteraient à mon esprit. Je le fis. À peine avais-je commencé l'explication du verset : « Heureux les pauvres en esprit... », que je sentis le secours divin ; et tandis que le sermon du matin n'avait pas été assez simple pour être compris, je remarquai l'après-midi que l'attention était soutenue et que les auditeurs paraissaient comprendre. J'en ressentis une grande joie. Quelle bénédiction que ce genre de prédication ! Je me hâtai de prendre congé du pasteur âgé, craignant de perdre quelque chose de mon bonheur.

C'est de cette manière que j'aimerais prêcher, pensais-je sur le chemin du retour à Hallé. Mais cette prédication serait peut-être insuffisante pour un auditoire de gens cultivés ?... Il faut toujours prêcher la vérité, mais peut-être de façons différentes suivant les auditeurs ?... » La question restait ouverte pour moi. Quoi d'extraordinaire à ce que la réponse m'échappât ? Je ne comprenais pas alors l'action du Saint-Esprit, et n'avais pas découvert que l'éloquence de l'homme était frappée de stérilité. Enfin, à cette époque, je n'avais pas pensé à ceci : que les gens cultivés peuvent comprendre ce que comprennent les personnes les plus ignorantes de l'auditoire, mais qu'il n'en va pas de même en sens inverse.

Dès lors, je prêchai souvent dans les villes et les villages, mais je n'en éprouvais de la joie que lorsque je le faisais simplement, bien que je reçusse plus de louanges des hommes, lorsque je disais quelque sermon appris par coeur. Mais aucune de mes prédications ne sembla porter de fruits. Le grand Jour révélera peut-être quelque bien accompli ? Si j'avais vu des résultats, j'en aurais probablement ressenti quelque orgueil, et le Seigneur ne le permit pas. Enfin je priais si peu pour l'oeuvre du ministère de la Parole, je marchais si peu avec Dieu, j'étais si rarement « un vase d'honneur, consacré, utile à son maître et prêt pour toute bonne oeuvre » (II Tim. Il : 21) qu'il n'est pas étonnant que le Seigneur n'ait pu accorder de résultats visibles à mon travail.


LES ORPHELINATS FONDÉS PAR FRANCKE À HALLÉ

C'est à peu près à cette époque, alors que je commençais à prêcher, que je jouis pendant deux mois de l'hospitalité gratuite offerte aux étudiants en théologie pauvres, dans le célèbre orphelinat fondé à Halle par A.-H. Francke. Francke, mort en 1727, avait été lui-même professeur de théologie à l'Université. Je mentionne ce fait parce que la foi de ce fidèle serviteur de Dieu me fut plus tard en bénédiction. J'étais encore très faible spirituellement et il m'arrivait de retomber parfois dans le péché ; mais je ne pouvais y persévérer même pour peu de temps sans en éprouver la plus profonde douleur, ainsi que le besoin de me confesser à Dieu et de me réfugier dans le Sang de l'Agneau versé pour moi. Mon ignorance était encore si grande que, certain jour, j'achetai un crucifix que je plaçai dans ma chambre pour me rappeler constamment les souffrances du Sauveur et empêcher que je retombe dans le mal. Hélas ! au bout de quelques jours, le regard sur le crucifix ne servit plus à rien, et je retombai au contraire plus souvent et plus profondément qu'auparavant dans le mal.

Au commencement de l'année 1827, ayant entendu parler d'une dame résidant à Francfort-sur-le-Main, dame riche et de qualité, qui, également pieuse et généreuse, venait de doter libéralement la Fondation religieuse de Düsselthal, comme je désirais vivement aider un parent pauvre, d'une part, et d'autre part payer la dette contractée lors de mon voyage en Suisse, je lui écrivis pour solliciter une avance. C'était une petite somme, un peu plus de cinq livres sterling, mais qui donnait à l'époque douze à quinze livres en argent allemand (1). En écrivant cette lettre, une pensée me vint : « Et si cette dame, bien que charitable, ne connaissait pas le chemin du salut ? » Je me mis donc en devoir de le lui exposer en y ajoutant le récit de ma conversion, et comment j'avais été amené à la connaissance de la vérité. Le temps se passa, le temps normal de la réponse, et rien ne vint.

Certain jour de janvier, le 20 je crois, je me sentais très déprimé et malheureux ; le surmenage que je m'imposais y était probablement pour quelque chose, car j'avais pris l'habitude d'écrire quatorze heures par jour ; et Satan en profita aussitôt pour reprendre le dessus sur moi. Je dis donc en mon coeur : « Qu'ai-je gagné à devenir chrétien ? » Et plantant là mon travail, je sortis et me mis à courir les rues ; enfin, j'entrai dans l'une de ces pâtisseries où en Allemagne on vend aussi du vin et des liqueurs, et je me fis servir, décidé à bien boire et à bien manger.
Mais à peine avais-je goûté au gâteau qu'un malaise m'envahit. Était-ce là la place d'un chrétien ? Et convenait-il qu'il dépensât de la sorte son argent ? Je me levai de suite et sortis.

L'après-midi de ce même jour, alors que j'avais montré tant d'ingratitude envers le Seigneur, il lui plût de me faire sentir mon péché ; non par un châtiment sévère comme je le méritais, mais en ajoutant un nouveau bienfait à tous ceux dont j'avais déjà été l'objet jusque-là. Oh ! la patience de Dieu envers nous ! Puissé-je, durant les quelques jours qu'il me reste à passer ici-bas, avoir plus de reconnaissance pour sa grande miséricorde. À deux heures, on m'apportait un paquet de Francfort contenant exactement la somme demandée par moi, mais pas de lettre, ce que je regrettai. J'étais vaincu par la bonté du Seigneur. N'ayant pas pris mon parti de l'absence d'un message, je me mis à examiner soigneusement le papier qui avait servi d'enveloppe et j'en découvris un. Il était ainsi conçu :

« C'est par une circonstance providentielle que j'ai eu connaissance de la lettre que vous avez écrite à Lady B. Vous êtes dans l'erreur concernant cette dame et le prétendu séjour qu'elle aurait fait à D. Elle n'y est jamais allée. On l'a prise pour une autre personne. Toutefois, comme je désire alléger en une certaine mesure le poids des difficultés où vous semblez être, je vous envoie la petite somme incluse : n'en remerciez pas le donateur inconnu ; mais lé Seigneur qui peut incliner les coeurs à son gré, comme des ruisseaux d'eau courante. Retenez fermement la foi que vous avez reçue de Dieu par son Saint-Esprit : elle est le plus précieux trésor de cette vie, et renferme le vrai bonheur. Seulement veillez et priez davantage afin d'être délivré de toute vanité, de tout contentement de vous-même, choses qui peuvent si aisément faire tomber même le chrétien fidèle, lorsqu'il s'y attend le moins. Tendez à devenir toujours plus humble, plus fidèle, plus patient. Que nous ne soyons pas de ceux qui disent et écrivent continuellement : « Seigneur ! Seigneur ! » alors que le Seigneur ne demeure pas profondément en leurs coeurs. Le christianisme ne consiste pas en paroles, mais en puissance. Il faut que nous ayons la vie en nous-mêmes. Dieu nous a aimés le premier pour que nous l'aimions en retour, et que, l'aimant, nous recevions d'En-Haut la force nécessaire pour lui être fidèles et remporter la victoire sur nous-mêmes, sur le monde, sur la douleur et la mort. Que l'Esprit de Dieu vous fortifie pour cela, en sorte que vous deveniez un bon messager de son Évangile ! Amen.

« UNE PERSONNE QUI ADORE LE SAUVEUR, JÉSUS-CHRIST. »
« Francfort-sur-le-Main, 14 janvier 1827. »


Tout aussitôt, je compris que ces paroles d'avertissement si fidèles et en même temps si affectueuses m'étaient nécessaires ; mais depuis, Je l'ai senti bien davantage encore. C'étaient bien là les péchés contre lesquels j'avais surtout besoin d'être mis en garde : le contentement de soi, le manque de calme, de quiétude, une tendance à dire et à écrire : « Seigneur ! Seigneur ! » plutôt qu'à manifester par ma vie qu'il était bien cela pour moi. Aujourd'hui encore, je me sens insuffisant sur tous ces points, bien que le Seigneur m'ait puissamment secouru ; je le dis à sa louange.

La lecture de cette lettre avait donc rempli mon coeur de joie, de confusion et de reconnaissance. Ce qui m'avait impressionné le plus vivement, c'était la bonté de Dieu envers moi. Le coeur débordant de ces sentiments divers et honteux de ma conduite du matin, je me hâtai, le soir venu, de gagner la campagne pour m'y promener en quelque endroit solitaire. Éprouvant vivement combien j'avais été ingrat envers Dieu malgré tous ses bienfaits, reconnaissant l'inconstance de ma conduite et mon manque de persévérance à marcher dans ses sentiers, je ne pus que tomber à genoux derrière une haie, bien qu'il y eût un pied de neige sur le sol. Et là je me consacrai à lui tout à nouveau, demandant sa force afin de pouvoir désormais vivre davantage à sa gloire, et je le remerciai pour cette dernière marque de sa bonté. Ce furent pour moi de bienheureux moments. Je continuai ainsi de prier pendant une demi-heure à peu près...


RECUL
. - Quiconque ne connaît pas la misère de son propre coeur croira difficilement que je fusse vraiment converti quand j'ajouterai qu'un peu plus tard, Je fus assez vil pour me conduire comme une brute. Oubliant les bienfaits de Dieu, je me complus dans le mécontentement, j'accueillis des sentiments d'insubordination, et pendant cette période qui se prolongea assez longtemps, je cessai presque complètement de prier. Certain jour, alors que j'étais en cet état misérable, je sonnai le domestique, lui commandai d'apporter du vin et je me mis à boire. Mais le Seigneur ne m'abandonna pas. Je voulais m'étourdir pour continuer plus facilement à pécher, mais je ne le pus. Autrefois, certain après-midi et par bravade, J'avais bu près de cinq litres de bière forte ; une autre fois c'avait été du vin, et ma conscience n'avait pas protesté ; mais cette fois-ci j'avais à peine bu deux ou trois verres que la méchanceté de ma conduite m'apparut et que ma conscience me reprocha de boire pour boire ; je posai aussitôt le verre.


PRÉDICATION ET LECTURE DE LA BIBLE.
- Peut-être puis-je ajouter ici que les moyens de grâce dont je pouvais bénéficier alors, étaient extrêmement peu nombreux. Bien que j'allasse régulièrement à l'église lorsque je ne prêchais pas moi-même, j'y entendais rarement annoncer la Vérité. Aussi lorsqu'il advenait que le prédicateur fût le Dr Tholuck ou quelque autre pasteur fidèle, non seulement je m'en réjouissais longtemps à l'avance, mais l'événement passé il me suffisait d'en rappeler le souvenir pour en être encore rempli de joie. J'ai bien souvent fait à pied de quinze à vingt kilomètres pour pouvoir jouir de ce privilège. Que ceux qui ont à leur portée un ministère fidèle de la Parole en soient profondément reconnaissants. Peu de bénédictions dépassent celle-là. Il arrive que le Seigneur soit obligé de nous en priver momentanément pour nous apprendre à l'apprécier.

J'assistais régulièrement aux réunions qui se tenaient le samedi soir chez le frère Wagner. De plus nous nous réunissions entre étudiants le dimanche soir : d'abord nous fûmes six, à mon départ de Halle nous étions vingt. Après Pâques, ce fut chez moi qu'on se réunit. L'un ou l'autre d'entre nous, parfois plusieurs, priaient, puis c'était la lecture de la Bible ou d'un auteur chrétien et le chant des cantiques, il arrivait aussi que quelqu'un d'entre nous fît entendre quelques paroles d'exhortation. Ces réunions ont été pour moi un moyen de bénédiction, soit parce que j'y fus remis d'aplomb, à plusieurs reprises, soit parce que j'y trouvai un temps de rafraîchissement spirituel. Certain jour que je me sentais misérable parce que j'avais été infidèle au Seigneur, j'ouvris mon coeur aux frères ; et ceux-ci par leurs prières et leurs exhortations me firent retrouver la communion avec Dieu.
Je considère donc que l'obéissance à l'ordre : « N'oubliez pas nos saintes assemblées », est une chose essentielle. Même si, dans l'instant, nous n'avons pas l'impression de retirer quelque bien de l'assistance aux réunions des fidèles, il n'en demeure pas moins qu'il y a là l'un des moyens que Dieu emploie pour nous garder du mal. La froideur spirituelle résulte souvent de la négligence dans la fréquentation des assemblées. Je sais, en ce qui me concerne, qu'il m'est arrivé à plusieurs reprises de partir pour quelque village éloigné, afin d'être sûr de ne rencontrer personne qui me parlât du Seigneur et des choses éternelles, quand je traversais une de ces périodes de misérable tiédeur, où, selon la parole de Jésus, « je regardais en arrière après avoir mis la main à la charrue ». Mais le Seigneur manifestait alors sa bonté envers moi en permettant que je me sentisse si malheureux qu'il me fallait revenir sur mes pas. Il avait commencé son oeuvre en moi, et comme il est fidèle, il refusait de m'abandonner, même quand je lui étais infidèle. Toutefois, il est certain que cette oeuvre il aurait pu l'accomplir plus rapidement si je ne lui avais pas résisté.

Pour ce qui est d'un autre grand moyen de grâce la lecture de la Parole de Dieu, j'étais tombé dans le piège où tombent généralement les nouveaux convertis qui préfèrent les livres religieux aux Écritures. Je ne pouvais plus me nourrir comme autrefois de romans français ou allemands ; mais au lieu de les remplacer par le Livre par excellence, je me mis à lire des traités, des revues missionnaires, des sermonnaires, des biographies de chrétiens. Je trouvai plus de profit à lire les biographies que les autres ouvrages ; et si je les avais bien choisies, ou si je n'en avais pas trop lu, ou si l'une d'elles avait mis l'accent sur la nécessité de lire les Écritures et le bienfait qui en résulte, cela m'aurait fait le plus grand bien. À aucune époque de ma vie, je n'avais eu l'habitude de lire la Bible. À quatorze ans, en classe, j'avais dû parcourir quelques chapitres, et c'était tout. Je ne me souviens pas d'en avoir relu une seule page ensuite, jusqu'au moment où Dieu fit son oeuvre en moi. Ce moment venu, j'aurais dû me dire que puisque Dieu avait condescendu à se faire Auteur, puisque j'ignorais le contenu du très précieux Livre inspiré par le Saint-Esprit et écrit par les prophètes, lequel livre révèle ce qui importe au vrai bonheur, il convenait que je le lusse et le relusse avec ardeur, avec prière et méditation tous les jours de ma vie. [Si peu que j'eusse lu la Bible alors, cela suffisait à me faire comprendre que je ne la connaissais pas du tout]. Cette ignorance aurait dû m'inciter à l'étudier davantage. Au lieu de cela, les difficultés que j'avais à la comprendre, le peu de joie que j'éprouvais à la lire, me la firent laisser. Mon ignorance et mon indifférence subsistaient donc ; alors qu'une lecture suivie et accompagnée de prière entraîne inévitablement la connaissance et la joie.

Durant les quatre années qui suivirent ma conversion, je préférai donc la littérature religieuse, oeuvre d'hommes, aux oracles du Dieu vivant. Le résultat fut que je restai un bébé dans la grâce et la connaissance : pour ce qui est de celle-ci, toute vraie connaissance découle de la Parole expliquée par l'Esprit ; comme je négligeais la lecture de la Bible, je restai longtemps ignorant, et incapable de comprendre clairement les points fondamentaux de notre sainte foi. À cause de cette ignorance, je fus longtemps faible, trébuchant souvent et incapable de marcher avec quelque persévérance dans les sentiers du Seigneur. Car c'est la vérité qui nous affranchit de l'esclavage des convoitises (Jean VIII : 31, 32) : convoitise de la chair, convoitise des yeux, orgueil de la vie. La Bible le prouve ; l'expérience des saints et notre propre expérience le prouvent aussi. Quand il plut au Seigneur, en août 1829, de m'amener à l'étude des Écritures, ma vie et ma conduite changèrent aussitôt. Depuis, je n'ai certainement pas été ce que j'aurais pu être, ce que j'aurais dû être, cependant par la grâce de Dieu, j'ai pu bien mieux qu'auparavant vivre près de Lui.

Si quelqu'un de mes lecteurs préférait les autres livres aux Saintes Écritures et trouvait plus de joie dans les ouvrages des hommes que dans la Parole de Dieu, j'espère que les années que j'ai perdues lui serviraient d'avertissement. Et si Dieu daignait, par ces pages, conduire quelques-uns de ses enfants à faire des Saintes Écritures leur principale étude, je considérerais qu'elles ont fait beaucoup de bien.

À ce sujet, je veux encore ajouter ceci : « Si quelqu'un comprend difficilement la Bible, il doit la lire beaucoup ; car la lecture fréquente des Écritures fait que nous y trouvons nos délices ; plus nous les lisons, plus nous aimons les lire. Et si mon lecteur était un incrédule, même en ce cas, je lui dirais de lire la Bible avec sérieux. Mais qu'il demande d'abord à Dieu sa bénédiction, car Dieu peut le rendre « sage à salut » (Il Tim. III : 15, 16, 17) (2).


(1) A partir de l'année 1829, à cause de l'ordre contenu dans Romains XIII : 8, j'ai changé ma manière de faire. De plus, j'ai compris qu'il n'y avait pas lieu de se détourner de la porte du Seigneur pour aller frapper à celle des chrétiens, alors que Dieu subvenait toujours si volontiers à tous nos besoins. 

(2) L'autobiographie Bergin place ici « Les Conseils de G. Muller pour la lecture de la Bible ». Nous les donnons à l'Appendice, page 
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