À L'UNIVERSITÉ
DE HALLE. - ÉTUDIANT EN
THÉOLOGIE. -
L'AMITIÉ
AVEC BETA. -
VOYAGE
EN
SUISSE. -
À
VINGT ANS, GEORGE MÜLLER N'AVAIT PAS ENCORE
ENTENDU PRÊCHER L'ÉVANGILE. -
LA
RÉUNION CHEZ M. WAGNER. - «
VENEZ AUSSI SOUVENT QU'IL VOUS
PLAIRA : MON COEUR ET MA MAISON VOUS SONT OUVERTS.
» -
UN HOMME A
GENOUX CONVERSION. - VIE
CHANGÉE.
ÉTUDIANT.
-
Je touchais enfin au but que je m'étais
proposé! J'étais désormais
membre de l'Université, et j'y avais
été reçu avec mention
très honorable. Par là, j'obtenais le
droit de prêcher dans l'Église
luthérienne ; et cependant j'étais
toujours aussi malheureux, toujours aussi
éloigné de Dieu !
J'avais pris en
arrivant
à Halle les plus énergiques
résolutions : désormais j'allais
aiguiller ma vie dans une tout autre direction et
changer de conduite. Il le fallait absolument,
pensais-je, et cela pour deux raisons : la
première, c'est que je supposais qu'avec mes
vices aucune paroisse ne voudrait de moi comme
pasteur ; la seconde parce que je savais que sans
une science approfondie de la théologie je
ne pourrais obtenir l'une de ces bonnes cures qu'on
réserve en Prusse aux candidats qui ont
Obtenu les meilleures notes aux examens.
Hélas ! j'étais
à peine arrivé à
l'Université que toutes mes
résolutions s'effondrèrent. Plus que
jamais auparavant j'étais maintenant mon
seul maître aucun contrôle ne
s'exerçait plus sur moi aussi longtemps que
je ne me battais pas en duel et que je ne molestais
pas les passants ; et, bien que je fusse maintenant
étudiant en théologie, je retombai
dans mes habitudes vicieuses. Lorsque je n'eus plus
d'argent, j'empruntai sur gages et me
séparai de ma montre, de mon linge, enfin de
mes habits, ce qui ne m'empêcha pas de
contracter encore d'autres emprunts. Cette vie de
dissipation, cette vie misérable
était loin de me satisfaire, et je n'y
trouvais pas de joie. Mais j'ignorais encore la
tristesse selon Dieu, celle qui découle du
sentiment de l'avoir offensé.
Un jour que j'étais
à la taverne en compagnie de quelques
étudiants aussi « lancés »
que moi, j'aperçus l'un de mes anciens
camarades d'école nommé Beta,
qu'autrefois j'avais méprisé parce
qu'il était sérieux et rangé.
Je pensai sur-le-champ qu'avec de meilleurs
compagnons j'améliorerais naturellement ma
conduite, et incontinent je me rapprochai de
lui.
RENCONTRE
AVEC
BETA. - Or, à ce moment-là, Beta
était un renégat! j'ai tout lieu de
croire que l'Esprit de Dieu était à
l'oeuvre dans son coeur à l'époque
durant laquelle son sérieux m'avait
frappé et éloigné.
Mais maintenant qu'il
abandonnait Dieu, il essayait de se
débarrasser de son christianisme pour
goûter aux joies du monde que,
jusque-là, il avait à peu près
complètement ignorées. Moi qui ne le
savais pas, je me mis à rechercher son
amitié pour être aidé à
changer de vie ! Et lui, par la suite, m'avoua
qu'il avait été heureux de mes
avances, parce qu'il comptait bien pouvoir arriver
avec
mon
aide jusqu'aux cercles « où l'on
s'amuse ». C'est ainsi qu'à nouveau,
mon pauvre coeur se fourvoyait. Mais Dieu dans son
infinie Miséricorde permit cependant que ce
jeune homme devînt pour moi un instrument de
bénédiction pour la vie et pour
l'éternité ; toutefois, ce ne fut pas
de la manière que j'avais
imaginée.
En juin 1825, j'eus à
payer à nouveau la rançon de mes
vices et de ma vie déréglée :
je tombai malade. Désormais, mon état
de santé ne permettrait plus les
débordements du passé ; mais mon
coeur, lui, n'était pas changé ! Vers
la fin du mois de juillet, j'entrai en
convalescence. Extérieurement, ma conduite
s'améliora ; c'était, hélas !
parce que je n'avais plus d'argent. Au commencement
d'août, Beta, deux autres étudiants et
moi, nous fîmes le projet de parcourir le
pays en voiture durant quatre jours. Plaisir
coûteux, pour la réalisation duquel
nous dûmes donner en gages quelques-unes des
choses qui nous restaient.
Loin d'être
attristé par ce nouveau péché,
ce que j'avais vu durant ce voyage ne fit que
développer mon désir d'aller plus
loin ; et je proposai à mes camarades
d'entreprendre le voyage en Suisse. Je levai les
difficultés d'argent et de passeports. Pour
avoir ceux-ci, je fis des faux, et quant à
l'argent, nous portâmes chez le prêteur
tout ce que nous pouvions porter, même les
livres, afin d'obtenir la somme que nous jugions
suffisante. Beta était du voyage.
LE
VOYAGE EN
SUISSE. - Le 18 août, nous quittions
Halle. Notre voyage dura quarante-trois jours ;
nous voyagions presque toujours à pied et
c'est ainsi que nous atteignîmes le Righi.
Enfin ! j'avais réalisé le souhait de
mon coeur : j'avais vu la Suisse ! Dieu ne permit
pas qu'aucune
circonstance
adverse survînt, ni que la maladie nous
touchât. Que serions-nous devenus alors avec
si peu d'argent et si loin de la maison ! J'avais
été choisi pour garder la bourse de
notre petite caravane ; or, comme Judas,
j'étais larron : je m'arrangeai donc de
façon à ne payer que les deux tiers
de ce que payèrent mes amis. À la
longue, la fatigue se fit sentir, même dans
la contemplation des plus merveilleux paysages ; et
alors qu'au début, en voyant certains sites,
mon coeur païen avait prononcé au soir
d'une journée le « Vixi » d'Horace
(j'ai vécu), maintenant j'étais
heureux de tourner mes regards vers la
maison.
Le 29 septembre, nous
arrivions
à Halle, où chacun s'empressa de
regagner la maison paternelle. Il me restait
maintenant à calmer l'inquiétude de
mon père an sujet des dépenses du
voyage : j'y parvins en le trompant. Durant les
trois semaines de vacances qui suivirent, je pris
à nouveau les meilleures résolutions.
Mais une fois de plus, je devais faire
l'expérience de l'inutilité des
efforts de l'homme qui s'appuie sur ses propres
forces. Dès que je fus de nouveau à
Hallé, avec de l'argent en mains, je ne
tardai pas à tout oublier.
L'ÉVANGILE
N'ÉTAIT
PAS PRÊCHÉ. Nous
étions alors douze cents étudiants
à l'Université. Sur ce nombre, neuf
cents étudiaient la théologie et
avaient l'autorisation de prêcher. Mais je
crois bien qu'entre nous tous ou n'eût pas
trouvé neuf jeunes gens craignant Dieu... Je
ne possédais pas de Bible et je n'avais pas
ouvert ce livre depuis des années. Je
n'allais que rarement à l'Église ;
mais comme c'était la coutume, je communiais
deux fois par an. Jusqu'au
commencement de novembre de l'année 1825, je
n'avais encore jamais entendu prêcher
l'Évangile. Jamais personne ne m'avait dit
vouloir vivre selon les enseignements de
l'Écriture avec l'aide de Dieu. Bref, je
croyais que tout le monde me ressemblait plus ou
moins, avec des différences de
degrés.
LA
RÉUNION CHEZ M. WAGNER. - Un samedi
après-midi, c'était vers le milieu de
novembre de cette année 1825, comme je
rentrais de promenade avec mon ami Beta, il me dit
que maintenant, il allait le samedi soir à
une réunion chez un commerçant
chrétien, du nom de Wagner. Aussitôt
je m'enquis de ce qu'on y faisait ? Mon ami me dit
qu'on lisait la Bible, qu'on priait, qu'on chantait
des cantiques et qu'on lisait un sermon
imprimé. Dès que j'eus cette
explication, il me sembla que je venais de
découvrir une chose après laquelle
j'avais soupiré toute ma vie ; et je dis
à Béta combien j'aimerais y aller
avec lui. Mais mon ami connaissant mes moeurs
légères hésitait, craignant
que je ne m'y ennuyasse... Enfin, il promit qu'il
viendrait me prendre le soir même.
Après être
passé par un temps de langueur spirituelle
et même avoir délaissé Dieu,
Béta saisi de remords avait confessé
ses péchés à son père
an retour du voyage en Suisse. Il avait ensuite
fait son possible pour se rapprocher d'un
chrétien : le Docteur Richter. C'est
celui-ci qui, au moment du départ pour
Halle, lui avait remis une lettre d'introduction
pour M. Wagner.
Ce samedi soir, nous
partîmes donc ensemble pour la
réunion. Ne connaissant pas encore les
chrétiens, ni la grande joie qu'ils
éprouvent lorsqu'ils voient de pauvres
pécheurs s'intéresser aux choses
divines, je crus devoir m'excuser
d'être venu. Jamais je n'oublierai la
réponse du cher frère : « Venez
aussi souvent qu'il vous plaira, me dit-il, ma
maison et mon coeur vous sont ouverts ».
Après le chant d'un cantique, le
frère Kayser, maintenant missionnaire de la
Société des Missions de Londres en
Afrique, s'agenouilla pour demander à Dieu
qu'il bénît notre réunion.
Cette manière de se présenter devant
Dieu, fit sur moi une extraordinaire impression.
Jamais encore je n'avais vu personne s'agenouiller
! Jamais je ne m'étais mis à genoux
pour prier ! Il y eut ensuite la lecture de la
Bible et celle d'un sermon imprimé ; car en
Prusse il est interdit de commenter les
Écritures, si un pasteur consacré
n'est pas présent. Après le chant
d'un nouveau cantique, M. Wagner termina la
réunion par la prière. Pendant qu'il
priait, je sentis nettement que malgré tout
mon savoir il m'eût été
impossible de le faire comme cet homme sans lettres
: j'étais profondément
impressionné, heureux, mais je n'aurais pu
expliquer pourquoi.
CONVERSION.
- En retournant à la maison je dis à
mon ami : « Tout ce que nous avons vu en
Suisse, tous nos plaisirs passés ne sont
rien en comparaison de cette soirée ».
Je ne puis me rappeler si le même soir, je me
mis à genoux pour prier, mais ce que je sais
bien c'est qu'en me couchant, la joie et la paix
habitaient en mon coeur. Ceci montre que le
Seigneur peut agir de bien des manières ;
car je suis persuadé, bien que je fusse
encore dans la plus grande ignorance,
n'éprouvant ni sentiment de repentance ni
tristesse selon Dieu, qu'Il avait
déjà commencé son oeuvre en
moi en me communiquant Sa joie. Cette soirée
fut l'instant décisif de ma vie. Dès
le lendemain, et presque chaque
jour, je retournai chez M. Wagner pour lire la
Bible avec lui et un autre frère. Il
m'eût été impossible d'attendre
au dimanche suivant.
Dès lors, ma vie
changea.
J'abandonnai la société de mes
anciens amis ; je ne remis plus les pieds dans les
tavernes ; je renonçai à dire des
mensonges, bien qu'exceptionnellement il m'arriva
de m'écarter de la vérité.
J'abandonnai aussi l'idée caressée
depuis quelque temps d'aller à Paris. Pour
couvrir les frais du voyage projeté, je
m'étais mis à traduire un roman
français. J'en achevai cependant la
traduction ; mais grâce à Dieu,
plusieurs obstacles surgirent qui
empêchèrent alors la vente du
manuscrit. Plus tard, je compris que je devais
renoncer à l'impression ; et Dieu aidant, je
brûlai les cahiers.
Désormais, je ne
vivais
plus de façon habituelle dans le
péché, bien qu'il arrivât que
celui-ci me dominât encore ; mais alors j'en
ressentais la plus profonde tristesse. Je lisais la
Bible, je priais souvent, j'aimais les
frères, j'allais à l'église
avec les sentiments que Dieu demande, et restais
fidèle à Christ malgré toutes
les moqueries des étudiants.
Ce que n'avaient pu
faire ni les
exhortations, ni les préceptes de mon
père ou ceux de ses amis, ce que n'avaient
pu faire mes bonnes résolutions, l'amour de
Jésus l'accomplissait en moi et m'amenait
à renoncer à ma vie de
péché. Quiconque veut trouver la
force de vaincre le mai, doit la chercher en
Christ. C'est uniquement en Lui qu'il la trouvera,
à cause du Sang précieux
répandu au Calvaire.
« Les voies de Dieu,
sa
manière d'agir, sont souveraines,
écrit le Dr Pierson en commentant la
conversion de George Müller. Devant un cas
semblable, les théologiens auraient
déclaré que seul, le chemin des
oeuvres de la loi, pouvait amener à la vie
nouvelle. Or, chez Müller. le sentiment de
culpabilité et de condamnation existait
aussi peu qu'il y avait chez lui peu de
connaissance de Dieu et des choses divines ; et
sans doute c'est parce qu'il y avait si peu de
cette dernière qu'il y avait aussi si peu du
premier.
« Toutes nos rigides
théories de la conversion s'écroulent
devant des faits semblables. Nous avons entendu une
enfant qui avait une confiance implicite en Christ
pour son salut, dire qu'elle ne savait rien des
oeuvres de la Loi. Et comme l'un des examinateurs,
un vieillard, convaincu qu'il ne peut y avoir de
véritable conversion sans une profonde
conviction de péché préalable,
lui demandait : « Mais mon enfant, que
savez-vous du « Bourbier du Désespoir ?
» (1) ;
elle
répondit en faisant une
révérence : « pardon
Monsieur, mais je ne suis pas venue par ce
chemin-là. ». (Dr
Pierson).
George Müller non plus
n'était pas venu par ce chemin-là. Il
venait de la route large des plaisirs, de la voie
de la perdition. Mais il y avait vécu dans
une sorte d'inconscience morale. Pas de
désespoir dans son cas. Tout au plus de la
lassitude. Depuis quelque temps déjà
les joies impures du monde le laissaient
indifférent. N'y trouvant plus de plaisir,
il avait essayé de rompre avec les habitudes
prises.... mais en vain. L'expérience qu'il
avait faite, c'était celle de l'insigne
faiblesse de l'homme laissé à ses
seules ressources. Blasé à vingt ans,
pris dans l'engrenage d'une vie qui ne l'amusait
plus et dont il ne réussissait pas à
sortir, profondément atteint dans sa
santé et récoltant déjà
les fruits amers de l'esclavage du
péché et du monde, George Müller
était prêt à saisir la
grâce.
Et celle-ci le
rencontra. Bien
qu'il ne s'en rendît pas compte, le jeune
étudiant en théologie avait soif de l'Eau Vive
dont parlait
Jésus à la Samaritaine, auprès
du puits de Sychar.
Les études
théologiques, les fleurs de
rhétorique de chaires chrétiennes
où ne retentissait plus la
prédication de la Croix [la seule que
voulût connaître l'apôtre Paul
après qu'il se fût rendu compte,
à Athènes, de l'inutilité de
l'éloquence et de la sagesse humaine (2)] avaient
laissé George
Müller indifférent. Son âme
était restée vide et languissante.
Certes dans ses mémoires, il se juge sans
ménagements et même avec
sévérité, il ne cherche pas
d'excuse. Donc lorsqu'il nous dit qu'il n'avait
encore jamais entendu prêcher
l'Évangile jusque vers la mi-novembre 1825,
c'est-à-dire à l'âge de vingt
ans passés nous pouvons l'en croire. Mais
quelle condamnation cette affirmation ne fait-elle
pas peser sur la prédication qui n'annonce
pas Christ, et Christ crucifié !
Sitôt que, dans une
réunion de frères, il fut mis en
contact avec Celui qui est la Vie, il fut saisi,
subjugué, gagné. Ce n'était
plus là le culte officiel, obligatoire,
formaliste, auquel il était habitué.
La vie appelle la vie, communique la vie; il
était conquis. Toutes les joies du
passé s'effaçaient pour lui devant la
découverte qu'il venait de faire, et la joie
qu'il en ressentait.
Désormais la
Lumière s'était levée sur sa
route, et il savait où regarder pour trouver
le secours et la force nécessaires. Avec le
Psalmiste, il pouvait dire au Seigneur: « Je
suis errant comme une brebis perdue, cherche ton
serviteur ! » Mais le divin Berger l'avait
déjà trouvé.
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