Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE DEUXIÈME

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À L'UNIVERSITÉ DE HALLE. - ÉTUDIANT EN THÉOLOGIE. -
L'AMITIÉ AVEC BETA. -
VOYAGE EN SUISSE. -
À VINGT ANS, GEORGE MÜLLER N'AVAIT PAS ENCORE ENTENDU PRÊCHER L'ÉVANGILE. -
LA RÉUNION CHEZ M. WAGNER. - « VENEZ AUSSI SOUVENT QU'IL VOUS PLAIRA : MON COEUR ET MA MAISON VOUS SONT OUVERTS. » -
UN HOMME A GENOUX CONVERSION. - VIE CHANGÉE.



ÉTUDIANT. - Je touchais enfin au but que je m'étais proposé! J'étais désormais membre de l'Université, et j'y avais été reçu avec mention très honorable. Par là, j'obtenais le droit de prêcher dans l'Église luthérienne ; et cependant j'étais toujours aussi malheureux, toujours aussi éloigné de Dieu !

J'avais pris en arrivant à Halle les plus énergiques résolutions : désormais j'allais aiguiller ma vie dans une tout autre direction et changer de conduite. Il le fallait absolument, pensais-je, et cela pour deux raisons : la première, c'est que je supposais qu'avec mes vices aucune paroisse ne voudrait de moi comme pasteur ; la seconde parce que je savais que sans une science approfondie de la théologie je ne pourrais obtenir l'une de ces bonnes cures qu'on réserve en Prusse aux candidats qui ont Obtenu les meilleures notes aux examens.

Hélas ! j'étais à peine arrivé à l'Université que toutes mes résolutions s'effondrèrent. Plus que jamais auparavant j'étais maintenant mon seul maître aucun contrôle ne s'exerçait plus sur moi aussi longtemps que je ne me battais pas en duel et que je ne molestais pas les passants ; et, bien que je fusse maintenant étudiant en théologie, je retombai dans mes habitudes vicieuses. Lorsque je n'eus plus d'argent, j'empruntai sur gages et me séparai de ma montre, de mon linge, enfin de mes habits, ce qui ne m'empêcha pas de contracter encore d'autres emprunts. Cette vie de dissipation, cette vie misérable était loin de me satisfaire, et je n'y trouvais pas de joie. Mais j'ignorais encore la tristesse selon Dieu, celle qui découle du sentiment de l'avoir offensé.

Un jour que j'étais à la taverne en compagnie de quelques étudiants aussi « lancés » que moi, j'aperçus l'un de mes anciens camarades d'école nommé Beta, qu'autrefois j'avais méprisé parce qu'il était sérieux et rangé. Je pensai sur-le-champ qu'avec de meilleurs compagnons j'améliorerais naturellement ma conduite, et incontinent je me rapprochai de lui.


RENCONTRE AVEC BETA.
- Or, à ce moment-là, Beta était un renégat! j'ai tout lieu de croire que l'Esprit de Dieu était à l'oeuvre dans son coeur à l'époque durant laquelle son sérieux m'avait frappé et éloigné.
Mais maintenant qu'il abandonnait Dieu, il essayait de se débarrasser de son christianisme pour goûter aux joies du monde que, jusque-là, il avait à peu près complètement ignorées. Moi qui ne le savais pas, je me mis à rechercher son amitié pour être aidé à changer de vie ! Et lui, par la suite, m'avoua qu'il avait été heureux de mes avances, parce qu'il comptait bien pouvoir arriver avec mon aide jusqu'aux cercles « où l'on s'amuse ». C'est ainsi qu'à nouveau, mon pauvre coeur se fourvoyait. Mais Dieu dans son infinie Miséricorde permit cependant que ce jeune homme devînt pour moi un instrument de bénédiction pour la vie et pour l'éternité ; toutefois, ce ne fut pas de la manière que j'avais imaginée.

En juin 1825, j'eus à payer à nouveau la rançon de mes vices et de ma vie déréglée : je tombai malade. Désormais, mon état de santé ne permettrait plus les débordements du passé ; mais mon coeur, lui, n'était pas changé ! Vers la fin du mois de juillet, j'entrai en convalescence. Extérieurement, ma conduite s'améliora ; c'était, hélas ! parce que je n'avais plus d'argent. Au commencement d'août, Beta, deux autres étudiants et moi, nous fîmes le projet de parcourir le pays en voiture durant quatre jours. Plaisir coûteux, pour la réalisation duquel nous dûmes donner en gages quelques-unes des choses qui nous restaient.

Loin d'être attristé par ce nouveau péché, ce que j'avais vu durant ce voyage ne fit que développer mon désir d'aller plus loin ; et je proposai à mes camarades d'entreprendre le voyage en Suisse. Je levai les difficultés d'argent et de passeports. Pour avoir ceux-ci, je fis des faux, et quant à l'argent, nous portâmes chez le prêteur tout ce que nous pouvions porter, même les livres, afin d'obtenir la somme que nous jugions suffisante. Beta était du voyage.


LE VOYAGE EN SUISSE
. - Le 18 août, nous quittions Halle. Notre voyage dura quarante-trois jours ; nous voyagions presque toujours à pied et c'est ainsi que nous atteignîmes le Righi. Enfin ! j'avais réalisé le souhait de mon coeur : j'avais vu la Suisse ! Dieu ne permit pas qu'aucune circonstance adverse survînt, ni que la maladie nous touchât. Que serions-nous devenus alors avec si peu d'argent et si loin de la maison ! J'avais été choisi pour garder la bourse de notre petite caravane ; or, comme Judas, j'étais larron : je m'arrangeai donc de façon à ne payer que les deux tiers de ce que payèrent mes amis. À la longue, la fatigue se fit sentir, même dans la contemplation des plus merveilleux paysages ; et alors qu'au début, en voyant certains sites, mon coeur païen avait prononcé au soir d'une journée le « Vixi » d'Horace (j'ai vécu), maintenant j'étais heureux de tourner mes regards vers la maison.

Le 29 septembre, nous arrivions à Halle, où chacun s'empressa de regagner la maison paternelle. Il me restait maintenant à calmer l'inquiétude de mon père an sujet des dépenses du voyage : j'y parvins en le trompant. Durant les trois semaines de vacances qui suivirent, je pris à nouveau les meilleures résolutions. Mais une fois de plus, je devais faire l'expérience de l'inutilité des efforts de l'homme qui s'appuie sur ses propres forces. Dès que je fus de nouveau à Hallé, avec de l'argent en mains, je ne tardai pas à tout oublier.


L'ÉVANGILE N'ÉTAIT PAS PRÊCHÉ
. Nous étions alors douze cents étudiants à l'Université. Sur ce nombre, neuf cents étudiaient la théologie et avaient l'autorisation de prêcher. Mais je crois bien qu'entre nous tous ou n'eût pas trouvé neuf jeunes gens craignant Dieu... Je ne possédais pas de Bible et je n'avais pas ouvert ce livre depuis des années. Je n'allais que rarement à l'Église ; mais comme c'était la coutume, je communiais deux fois par an. Jusqu'au commencement de novembre de l'année 1825, je n'avais encore jamais entendu prêcher l'Évangile. Jamais personne ne m'avait dit vouloir vivre selon les enseignements de l'Écriture avec l'aide de Dieu. Bref, je croyais que tout le monde me ressemblait plus ou moins, avec des différences de degrés.


LA RÉUNION CHEZ M. WAGNER
. - Un samedi après-midi, c'était vers le milieu de novembre de cette année 1825, comme je rentrais de promenade avec mon ami Beta, il me dit que maintenant, il allait le samedi soir à une réunion chez un commerçant chrétien, du nom de Wagner. Aussitôt je m'enquis de ce qu'on y faisait ? Mon ami me dit qu'on lisait la Bible, qu'on priait, qu'on chantait des cantiques et qu'on lisait un sermon imprimé. Dès que j'eus cette explication, il me sembla que je venais de découvrir une chose après laquelle j'avais soupiré toute ma vie ; et je dis à Béta combien j'aimerais y aller avec lui. Mais mon ami connaissant mes moeurs légères hésitait, craignant que je ne m'y ennuyasse... Enfin, il promit qu'il viendrait me prendre le soir même.

Après être passé par un temps de langueur spirituelle et même avoir délaissé Dieu, Béta saisi de remords avait confessé ses péchés à son père an retour du voyage en Suisse. Il avait ensuite fait son possible pour se rapprocher d'un chrétien : le Docteur Richter. C'est celui-ci qui, au moment du départ pour Halle, lui avait remis une lettre d'introduction pour M. Wagner.

Ce samedi soir, nous partîmes donc ensemble pour la réunion. Ne connaissant pas encore les chrétiens, ni la grande joie qu'ils éprouvent lorsqu'ils voient de pauvres pécheurs s'intéresser aux choses divines, je crus devoir m'excuser d'être venu. Jamais je n'oublierai la réponse du cher frère : « Venez aussi souvent qu'il vous plaira, me dit-il, ma maison et mon coeur vous sont ouverts ». Après le chant d'un cantique, le frère Kayser, maintenant missionnaire de la Société des Missions de Londres en Afrique, s'agenouilla pour demander à Dieu qu'il bénît notre réunion. Cette manière de se présenter devant Dieu, fit sur moi une extraordinaire impression. Jamais encore je n'avais vu personne s'agenouiller ! Jamais je ne m'étais mis à genoux pour prier ! Il y eut ensuite la lecture de la Bible et celle d'un sermon imprimé ; car en Prusse il est interdit de commenter les Écritures, si un pasteur consacré n'est pas présent. Après le chant d'un nouveau cantique, M. Wagner termina la réunion par la prière. Pendant qu'il priait, je sentis nettement que malgré tout mon savoir il m'eût été impossible de le faire comme cet homme sans lettres : j'étais profondément impressionné, heureux, mais je n'aurais pu expliquer pourquoi.


CONVERSION
. - En retournant à la maison je dis à mon ami : « Tout ce que nous avons vu en Suisse, tous nos plaisirs passés ne sont rien en comparaison de cette soirée ». Je ne puis me rappeler si le même soir, je me mis à genoux pour prier, mais ce que je sais bien c'est qu'en me couchant, la joie et la paix habitaient en mon coeur. Ceci montre que le Seigneur peut agir de bien des manières ; car je suis persuadé, bien que je fusse encore dans la plus grande ignorance, n'éprouvant ni sentiment de repentance ni tristesse selon Dieu, qu'Il avait déjà commencé son oeuvre en moi en me communiquant Sa joie. Cette soirée fut l'instant décisif de ma vie. Dès le lendemain, et presque chaque jour, je retournai chez M. Wagner pour lire la Bible avec lui et un autre frère. Il m'eût été impossible d'attendre au dimanche suivant.

Dès lors, ma vie changea. J'abandonnai la société de mes anciens amis ; je ne remis plus les pieds dans les tavernes ; je renonçai à dire des mensonges, bien qu'exceptionnellement il m'arriva de m'écarter de la vérité. J'abandonnai aussi l'idée caressée depuis quelque temps d'aller à Paris. Pour couvrir les frais du voyage projeté, je m'étais mis à traduire un roman français. J'en achevai cependant la traduction ; mais grâce à Dieu, plusieurs obstacles surgirent qui empêchèrent alors la vente du manuscrit. Plus tard, je compris que je devais renoncer à l'impression ; et Dieu aidant, je brûlai les cahiers.

Désormais, je ne vivais plus de façon habituelle dans le péché, bien qu'il arrivât que celui-ci me dominât encore ; mais alors j'en ressentais la plus profonde tristesse. Je lisais la Bible, je priais souvent, j'aimais les frères, j'allais à l'église avec les sentiments que Dieu demande, et restais fidèle à Christ malgré toutes les moqueries des étudiants.

Ce que n'avaient pu faire ni les exhortations, ni les préceptes de mon père ou ceux de ses amis, ce que n'avaient pu faire mes bonnes résolutions, l'amour de Jésus l'accomplissait en moi et m'amenait à renoncer à ma vie de péché. Quiconque veut trouver la force de vaincre le mai, doit la chercher en Christ. C'est uniquement en Lui qu'il la trouvera, à cause du Sang précieux répandu au Calvaire.

« Les voies de Dieu, sa manière d'agir, sont souveraines, écrit le Dr Pierson en commentant la conversion de George Müller. Devant un cas semblable, les théologiens auraient déclaré que seul, le chemin des oeuvres de la loi, pouvait amener à la vie nouvelle. Or, chez Müller. le sentiment de culpabilité et de condamnation existait aussi peu qu'il y avait chez lui peu de connaissance de Dieu et des choses divines ; et sans doute c'est parce qu'il y avait si peu de cette dernière qu'il y avait aussi si peu du premier.

« Toutes nos rigides théories de la conversion s'écroulent devant des faits semblables. Nous avons entendu une enfant qui avait une confiance implicite en Christ pour son salut, dire qu'elle ne savait rien des oeuvres de la Loi. Et comme l'un des examinateurs, un vieillard, convaincu qu'il ne peut y avoir de véritable conversion sans une profonde conviction de péché préalable, lui demandait : « Mais mon enfant, que savez-vous du « Bourbier du Désespoir ? » (1) ; elle répondit en faisant une révérence : « pardon Monsieur, mais je ne suis pas venue par ce chemin-là. ». (Dr Pierson).

George Müller non plus n'était pas venu par ce chemin-là. Il venait de la route large des plaisirs, de la voie de la perdition. Mais il y avait vécu dans une sorte d'inconscience morale. Pas de désespoir dans son cas. Tout au plus de la lassitude. Depuis quelque temps déjà les joies impures du monde le laissaient indifférent. N'y trouvant plus de plaisir, il avait essayé de rompre avec les habitudes prises.... mais en vain. L'expérience qu'il avait faite, c'était celle de l'insigne faiblesse de l'homme laissé à ses seules ressources. Blasé à vingt ans, pris dans l'engrenage d'une vie qui ne l'amusait plus et dont il ne réussissait pas à sortir, profondément atteint dans sa santé et récoltant déjà les fruits amers de l'esclavage du péché et du monde, George Müller était prêt à saisir la grâce.

Et celle-ci le rencontra. Bien qu'il ne s'en rendît pas compte, le jeune étudiant en théologie avait soif de l'Eau Vive dont parlait Jésus à la Samaritaine, auprès du puits de Sychar.

Les études théologiques, les fleurs de rhétorique de chaires chrétiennes où ne retentissait plus la prédication de la Croix [la seule que voulût connaître l'apôtre Paul après qu'il se fût rendu compte, à Athènes, de l'inutilité de l'éloquence et de la sagesse humaine (2)] avaient laissé George Müller indifférent. Son âme était restée vide et languissante. Certes dans ses mémoires, il se juge sans ménagements et même avec sévérité, il ne cherche pas d'excuse. Donc lorsqu'il nous dit qu'il n'avait encore jamais entendu prêcher l'Évangile jusque vers la mi-novembre 1825, c'est-à-dire à l'âge de vingt ans passés nous pouvons l'en croire. Mais quelle condamnation cette affirmation ne fait-elle pas peser sur la prédication qui n'annonce pas Christ, et Christ crucifié !

Sitôt que, dans une réunion de frères, il fut mis en contact avec Celui qui est la Vie, il fut saisi, subjugué, gagné. Ce n'était plus là le culte officiel, obligatoire, formaliste, auquel il était habitué. La vie appelle la vie, communique la vie; il était conquis. Toutes les joies du passé s'effaçaient pour lui devant la découverte qu'il venait de faire, et la joie qu'il en ressentait.

Désormais la Lumière s'était levée sur sa route, et il savait où regarder pour trouver le secours et la force nécessaires. Avec le Psalmiste, il pouvait dire au Seigneur: « Je suis errant comme une brebis perdue, cherche ton serviteur ! » Mais le divin Berger l'avait déjà trouvé.


(1) Allusion à un épisode du « Voyage du Pèlerin », de Bunyan. 

(2) Lire I Cor. Il : 2-5
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