Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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Les Temps Héroïques de la Croix-Bleue
Mémoires d'un Vétéran



À la Légion étrangère.



Les témoins de la Légion.

 

Parmi les légionnaires abattus qui vinrent me raconter leurs tristesses et leur désir ardent de changer de vie, il en est trois ou quatre qui m'intéressèrent d'une manière toute particulière, avec lesquels je restai en relation et dont la conversion mérite d'être racontée avec plus de détails.

Un mot d'abord de ce beau grand jeune homme F. H., secrétaire auxiliaire du capitaine trésorier de la 22me compagnie. Apprenant qu'il était de Lausanne, je lui demandai des nouvelles de ses parents. Il devint blême à ma question et resta silencieux ; puis il m'avoua qu'il était à la Légion depuis plus d'un an et qu'il n'en avait pas encore informé ses parents. - Comment ! lui dis-je, vous avez pu laisser votre mère, pendant plus d'un an, sans un mot de nouvelle ?
Son menton se mit à trembler et je le vis pleurer. Ce soldat, ancien fourrier d'artillerie, suivit régulièrement nos réunions. Avant mon départ, il me pria d'aller trouver, si possible, ses parents à Lausanne et de leur annoncer que leur fils était retrouvé et qu'il s'était consacré à son Sauveur.

Quelque temps après mon retour en Suisse, il m'écrivit, en effet, une lettre touchante dont je ne puis ni empêcher de citer les fragments suivants :
« Votre passage à Saïda a été béni pour plusieurs et tout particulièrement pour moi. Le dimanche qui suivit votre départ, comme j'étais angoissé, je criai à mon Sauveur : Délivre-moi de tous, tous mes péchés... Oh ! combien mon coeur saignait, j'avais un poids qui me semblait plus lourd que des milliers de quintaux ; je ne pensais pas que j'avais pu cumuler tous ces péchés et mon âme était dans une angoisse terrible. Au bout de deux jours, je pus comprendre que Jésus-Christ était mort pour moi sur la Croix, que son sang laverait mon coeur souillé, qu'il le rendrait plus blanc que neige ; et je sentis qu'il m'avait purifié. Cet immense fardeau, Christ l'enleva. Ce moment inoubliable me sera toujours présent, et maintenant qu'Il m'a donné un esprit nouveau, combien je suis heureux ! Je me suis confié entièrement à Lui et je le prie constamment de me maintenir dans sa voie et de faire de moi un de ses fervents disciples. »

Il me parla ensuite de ses luttes : « Ici, le démon ne nous laisse pas tranquille ; à peine échappé de ses terribles griffes, il cherche à nous reprendre. Mais aussi, je veille, non seulement le matin, le soir, mais toute la journée, me confiant entièrement à l'Éternel, à Celui qui peut tout ; et quelle satisfaction, après une journée accidentée, de pouvoir dire : grâce à Dieu, j'ai résisté aux tentations de Satan ; et quelles nouvelles forces Dieu nous donne pour nous rendre fort dans le combat, ayant pour arme la prière. » « Je ne sais pas encore si vous avez vu mes parents ? Si vous les voyez bientôt, dites-leur combien je me repens d'avoir été un mauvais fils et que je prie Dieu de me permettre de réparer par la suite, en partie, tout le mal et le chagrin que je leur ai fait. Je n'ai pas encore eu de leurs nouvelles ; je demande instamment à Dieu qu'elles ne soient pas mauvaises. J'espère que mon père, ma mère, mes frères et soeurs sont tous bien portants ; si, néanmoins, je devais apprendre quelque chose de tragique, je demande à Dieu de me rendre fort à l'épreuve qui pourrait m'arriver. »

F. H. me parla de la petite section de Tempérance qu'ils avaient fondée entre quelques-uns à Saïda : « Je suis appelé à tenir la prochaine étude biblique ; voici mon sujet : « La parabole du semeur ». Je l'ai choisie, parce qu'elle a beaucoup de rapport avec votre visite au milieu de nous. » Il ajoute : « Le dimanche matin, nous allons, Pichon, Mauyen et les autres faire une petite promenade dans les rochers, nous nous mettons à l'ombre d'un figuier ; après un petit culte, chacun fait sa prière, et nous rentrons pour la soupe du matin. »

Un certain soir, je vis entrer dans ma chambre un soldat, très grand, revêtu de l'uniforme blanc de ceux qui vont plus au Sud. Il s'appelait Delbauve. Très agité, il me dit : - J'ai assez de la vie, j'ai pris la résolution de déserter cette nuit, et le viens encore vous serrer la main avant de partir.
- Pourquoi êtes-vous entré dans la Légion lui dis-je.
- Ah ! voilà le mot ; mais ce mot, je ne puis vous le dire ! - il me le dit quand même. Je suis complètement usé par la débauche. Ma mère est à l'agonie, elle a été administrée ; je ne la reverrai plus. Mes parents m'ont forcé d'aller à la messe ; j'ai été enfant de choeur à Amiens, ensuite j'ai fait la crapule ; je suis devenu soldat de la marine, j'ai fait la campagne du Tonkin, puis me suis engagé dans la Légion. J'ai pris un tel cafard hier au soir, qu'au lieu de partir demain avec un bataillon expéditionnaire du côté du Sud, je déserterai cette nuit et irai m'engager chez un agent espagnol nommé Rataba qui cherche à provoquer des désertions en faveur de Cuba. Ah ! si vous saviez quelle quantité d'assassins il y a à la Légion ! Moi-même, je suis complètement abruti et ne sais plus que faire !
- Mais, lui dis-je, j'en connais un qui pourrait vous guérir ! Tirant précipitamment son portefeuille, il me dit : - Donnez-moi son adresse.

Il se figurait que j'allais lui donner l'adresse d'un professeur de Paris !
- C'est Jésus-Christ !
- Jésus-Christ ?

Je vis que ce nom n'était jamais tombé dans son horizon. Je lui racontai l'histoire de l'enfant prodigue et lui citai des paroles comme celles-ci : « Jésus-Christ n'est pas venu pour condamner, mais pour sauver ce qui est perdu. » Tandis que je parlais, son regard s'allumait de plus en plus ; c'était comme une musique qui montait à son âme. Ah ! la joie de pouvoir dire ces choses à quelqu'un qui ne les a jamais entendues !

Tout à coup, debout au milieu de ma chambre, il croisa les bras et prononça la prière suivante :
« Jésus-Christ, je ne me suis jamais occupé de vous, mais j'apprends que vous vous occupez de moi. Je ne suis qu'un monceau de décombres, mais, puisque vous l'acceptez, je vous le livre. Ce n'est plus mon affaire, c'est la vôtre. Je ne vais pas chez Rataba cette nuit, je rentre au régiment. » Puis il me serra la main et partit. Je pus encore lui glisser un Nouveau Testament avec mon adresse.

Trois mois plus tard, il m'envoyait un billet où ne se trouvaient que ces quelques mots : « Le conseil que vous m'avez donné était le bon. Je ne puis que vous remercier : Merci, merci encore ! »

Un autre jour, c'est un clarinettiste qui vint me parler des rasades d'absinthe qu'il s'administrait chaque jour. Il en souffrait extrêmement et venait me demander conseil. Je l'engageai à prendre un engagement de Tempérance. Il le fit aussitôt ; mais une guerre acharnée commença entre lui et ses camarades. « Ah ! tu te figures que nous tolérerons un abstinent dans la musique de la Légion ! Tu te trompes grandement ! » On lui en fit voir de toutes couleurs. Mais il resta ferme. Il m'apprit cependant que la semaine suivante la musique se rendrait dans la ville militaire de Mascara où, à l'occasion d'une visite du gouverneur d'Algérie, de grandes fêtes allaient être organisées. Ses camarades lui disaient « Nous ne parvenons pas à te faire boire ici mais tu verras à Mascara ! C'est là que nous réussirons à rompre ton engagement ! » Il redoutait fort ce voyage. Je l'encourageai en lui disant que c'était une magnifique occasion pour lui de remporter une victoire décisive et de faire la connaissance d'un Sauveur vivant. Il partit.

À son retour à Saïda, il m'écrivit une lettre enthousiaste dans laquelle il me racontait son bonheur. Ces trois semaines passées à Mascara avaient été trois semaines d'orgie. Toutes les nuits, il y avait eu des fêtes où l'on dansait jusqu'à deux heures du matin ; après quoi, le chef de la musique donnait à ses soldats la licence de s'amuser pendant le reste de la nuit. « Mais, me dit notre ami, chaque fois que je le pouvais, Je me retirais sous la tente pour me fortifier par la prière. Et maintenant, ajoutait-il, je reviens à Saïda avec la conviction que Celui qui a pu me garder debout dans la terrible fournaise de Mascara, saura me soutenir dans tous les autres Mascara que je pourrais retrouver dans ma vie. »

Un autre soldat que je n'oublierai pas, c'est le Courlandais Ostrowsky. Dégourdi et débrouillard, il porte la médaille militaire sur la poitrine. Matelot dans la marine russe, il a déserté et s'est enrôlé dans la Légion ; à cause de sa mauvaise conduite et de ses habitudes de boisson, il vient de faire 350 jours de cellule. « J'en suis sorti hier, me dit-il, et, passant dans la rue, j'ai entendu les chants de votre assemblée, je suis entré et je viens vous dire que j'ai accepté ce que vous avez dit. » J'avais choisi comme texte de mon allocution cette parole du Psaume L, v. 5 : « Rassemblez-moi mes biens-aimés qui font alliance avec moi par le moyen du sacrifice. »
- Qu'avez-vous compris, lui dis-je ?
- J'ai compris qu'avec Jésus-Christ, je pourrais redevenir un homme et je viens vous demander ce que je dois faire.
- C'est très simple ! Si vous avez compris cela, vous n'avez qu'une chose à faire : vous décider pour Lui, Le choisir comme votre Maître suprême, et Le suivre jusqu'à la fin de votre vie.

Et alors je vis cette chose unique, que je ne reverrai sans doute plus jamais : Ce soldat se leva, prit la position militaire, dressa son front vers le ciel et s'écria d'une voix ferme : « À l'ordre » Il salua le grand et glorieux Invisible qu'il voyait devant lui et auquel il se consacrait.
Cette salutation militaire adressée à Jésus-Christ reste gravée dans mon coeur.

Il m'écrivit plusieurs lettres. Dans l'une d'elles, il m'annonçait qu'il faisait partie d'un corps expéditionnaire en marche vers le Sud. « J'y ai fait trois recrues, me disait-il ; chaque jour, à midi, alors que le bataillon est au repos, je me retire avec mes camarades à l'écart pour la prière. » Il m'envoya leurs photographies avec cette annotation : « Pensez dans vos prières aux trois amis du désert ! »

Plus tard encore, il m'annonça qu'il était parti pour Madagascar, où il était monté en grade. Un jour de Pâques, éprouvant le besoin de communier, mais ne trouvant au régiment aucun camarade partageant sa foi, il se retira dans une forêt et là, à l'ombre d'un grand baobab, il communia tout seul avec le Maître qu'il avait choisi pour la vie.
Un de ses amis, revenant de Madagascar, passa chez moi pour me dire, hélas ! qu'il avait été emporté par la fièvre.

Quelques années passèrent. Un matin, je reçus la visite d'un grand et beau jeune homme vêtu de noir.
- Vous ne me reconnaissez pas ?
- Non !
- Regardez-moi bien ! Je suis R. E. que vous avez vu à la Légion où je me suis converti, lors de notre semaine de consécration.
- Et que faites-vous ?
- Vous ne devineriez pas ! En quittant Saïda, je me suis rendu en Amérique où j'ai fait des études de théologie. Je suis actuellement pasteur français d'une église américaine qui, pour mes vacances, m'a payé un voyage en Europe. Je suis arrivé il y a quelques jours, et c'est à vous que j'ai tenu à faire une de mes premières visites.


Ma dernière soirée à la Légion.

Avant de quitter Saïda, j'éprouvai le besoin de rassembler en un groupe fraternel tous les soldats qui s'étaient décidés pour Jésus-Christ ; mais je ne savais quel nom donner à cette association. Le mot « d'église » ne convenait pas, puisque la majorité était d'origine catholique, celui de « section de Tempérance » ou d'« Union chrétienne », pas davantage. Je choisis celui de Confrérie de la Légion.

Le dimanche soir, veille de mon départ, je convoquai donc une dernière réunion et leur dis à peu près ceci : « Au cours de cette semaine, un certain nombre d'entre vous se sont décidés à devenir des disciples de Jésus-Christ. Vous vous ignorez les uns les autres, alors que vous devriez, au contraire, vous connaître, vous aimer et former entre vous une association vivante. Je viens donc vous faire une proposition : pour qu'au régiment ou dans la rue, quand vous vous rencontrez, vous puissiez vous tendre une main fraternelle, je vous propose de fonder ce soir une association que nous appellerons « la Confrérie de la Légion », à laquelle se rattacheraient tous ceux qui ont choisi Jésus-Christ comme leur Sauveur et leur Maître et sont décidés à Le suivre jusqu'au bout. Toutefois, comme ces adhésions doivent être libres et spontanées, en dehors de toute contrainte, je vais monter à l'étage supérieur ; c'est là que j'attends tous ceux qui se décident à en faire partie. »

Après avoir prononcé ces paroles, je sortis et, tandis que je gravissais l'escalier, une colonne serrée de soldats montait derrière moi. Quand nous entrâmes dans cette salle, je m'aperçus immédiatement qu'elle était trop petite ; en un clin d'oeil, mes braves amis en firent disparaître tous les meubles ; et ils le firent d'une manière si expéditive, que je ne sus jamais s'ils étaient sortis par la porte ou par les fenêtres. Je vois encore cette salle pleine de pantalons rouges debout en masse serrée.
Nous eûmes ensemble une réunion de prière peu banale. C'étaient des prières neuves, ardentes, dépouillées de toute vaine redite et de ces vieux clichés qui rabaissent si souvent les plus beaux élans de l'Esprit.

À onze heures, je les congédiai et n'en gardai qu'une dizaine, les plus intimes, ceux avec lesquels j'avais pu traiter à fond la question du salut. Je jetai une nappe blanche sur une table, pris un morceau de pain, un verre de vin et je communiai avec eux. J'ai présidé des cultes de Cène dans bien des églises, même dans des cathédrales, mais je vous assure que celui de Saïda, entre onze heures et minuit, autour de la petite table de sapin, reste dans mon souvenir comme un des plus vivants.

Le lendemain matin, je quittais Saïda. Je traversai l'Oranie et l'Algérie jusqu'à Alger où je trouvai Miss Trotter, l'auteur des « Paraboles de la Croix ». Elle habitait une maison mauresque de la rue du Croissant, et me pria de tenir une réunion à des femmes arabes et kabyles, que je vois encore assises sur leurs divans rouges.

À Marseille, avant de prendre le rapide du soir, je profitai des quelques instants qui me restaient pour faire un pèlerinage à Notre Dame-de-la-Garde, cette chapelle remplie d'ex-voto, qui domine la Méditerranée et où les matelots ont l'habitude d'aller prier au retour de leurs croisières. Je sentais le besoin d'aller Le remercier comme les matelots. Je m'introduisis au milieu d'eux et j'adorai.

Est-ce que je ne venais pas de passer, au milieu des mauvais sujets de la Légion étrangère, une des plus belles semaines de mon ministère pastoral ?

Parole d'un mourant.

Lorsque James Gross, l'ancien président de la Croix-Bleue jurassienne, se trouva sur son lit de mort, je me rendis auprès de lui pour lui adresser ma dernière salutation. Il ne parlait plus que par monosyllabes et paraissait être entré dans le délire de l'agonie. En me voyant, il concentra sa dernière énergie et, comme s'il avait voulu me léguer un héritage, il me dit : « La Tempérance... ! La Tempérance_ ! Il faut qu'elle vive... la Tempérance ! »

En terminant le récit de mes souvenirs de l'âge héroïque de la Croix-Bleue, c'est aussi la parole que je voudrais transmettre au peuple de Dieu de mon pays :

La Tempérance ! La Tempérance !... Il faut qu'elle vive... la Tempérance !




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