Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

IV

la vallée de la misère.

Où se trouve-t-elle ? D'où son nom lui est-il venu ? Tout change. Tante Hanna pense à bâtir une maison pour les réunions. La vallée de la misère transformée en place de fête et en champ, de travail.

Il est temps que nous nous tournions vers les deux points, qui devinrent à la fois, les appuis et le centre du travail si béni que tante Hanna accomplit pour le Seigneur : la maison de l'Elendstal. (vallée de la misère) et celle de la Riemenstrasse, dans le quartier de l'Arrenberg.

Lorsqu'on arrive à Elberfeld, en venant de Cologne ou de Dusseldorf, on passe entre deux hauteurs surmontées de tours, dressées comme des sentinelles à l'extrémité sud-ouest de la vallée au fond de laquelle la ville s'étale. Ces deux hauteurs sont le Kiesberg et le Nutzenberg. Le Kiesberg est situé au sud de la vallée, sa pente occidentale fait face au faubourg de Sonnborn, maintenant incorporé à Elberfeld même. C'est là que s'ouvre une large gorge, aujourd'hui de plus en plus occupée par de jolies maisons, mais autrefois entièrement boisée, comme d'ailleurs tout le Kiesberg. Là s'était établie une population qui n'avait pas trouvé à se loger ailleurs ; gens pauvres et misérables, gens aussi, pour la plupart, de la pire espèce. Une partie d'entre eux étaient venus des provinces orientales de la Prusse, pour chercher de l'ouvrage dans les fabriques de boutons et ils se trouvaient maintenant, cette industrie ayant périclité, jetés sur la rue, sans logements et sans moyens d'existence. Il s'y trouvait aussi des fabricants de balais, qui exerçaient leur peu lucratif métier et toutes sortes d'autres miséreux encore. Ils ne se mettaient pas en peine de savoir à qui appartenait la forêt, et personne ne s'inquiétait d'eux. Ils s'étaient construit, ou plutôt ils s'étaient creusé des huttes en terre glaise, où ils menaient avec leurs enfants l'existence misérable d'êtres sans Dieu et hors la loi. - Un jour, un représentant de la ville d'Elberfeld monta Jusqu'à ce primitif campement, pour voir s'il n'y avait aucune possibilité d'en retirer quelque impôt. Mais il rentra à l'hôtel de ville en branlant la tête, et déclara qu'il régnait là haut une pauvreté telle, qu'il ne pouvait être question d'exiger une contribution des habitants de cette vallée qui mériterait d'être appelée la « Vallée de la misère » (Elendstal). Le nom est resté, mais il est devenu dès lors particulièrement cher aux chrétiens du Wuppertal, car l'endroit qu'il désigne a vu couler des flots de bénédiction. Comment cela s'est fait et quelle part tante Hanna a pris à cette transformation, nous allons le raconter dans les lignes qui suivent.

Ce doit être vers 1860 qu'Hanna Faust tourna ses regards vers l'Elendstal. Elle se décida à porter aide et secours, et en tout premier lieu l'Évangile de la grâce, aux pauvres et aux malheureux qui s'y trouvaient rassemblés.

Un des membres de la compagnie nous a raconté ce qu'étaient alors les huttes de la vallée de la misère :
« Afin de faire naître dans le coeur des jeunes gens qui lui aidaient dans son oeuvre des écoles du dimanche l'amour pour les hommes tombés le plus bas, tante Hanna les emmenait avec elle, quand elle allait visiter les huttes misérables éparpillées dans la forêt. Quelques pieux solides, fichés dans le sol, quelques planches non rabotées en formaient les parois et le toit. Au milieu de la hutte était une table branlante, chargée de quelques assiettes et tasses ébréchées et deux ou trois chaises menaçaient de tomber en ruine. Dans un angle on voyait une sorte de lit dont les parois de la hutte formaient deux des côtés, les deux autres étant représentés par de simples planches. Des feuilles étendues sur le sol nu tenaient lieu de paillasse et de matelas et une vieille toile d'emballage en loques représentait les draps. Père, mère et quelques enfants y couchaient pêle-mêle... »

Tante Hanna n'ignorait point que les hommes qui habitaient dans ces antres étaient terriblement grossiers et mauvais, mais elle voulait leur venir en aide à tout prix. « Je savais bien, disait-elle, qu'ils vivaient comme des païens, mais le Seigneur ne m'a laissé ni repos ni trêve que je ne me fusse rendue auprès d'eux. je me suis dit :
« Mets quelques cigares dans ta poche et vas voir ces pauvres gens au nom de Dieu ! Quand j'arrive à la forêt je vois quelques hommes assis par terre et buvant de l'eau-de-vie. À peine m'ont-ils aperçue qu'ils se lèvent, et font mine de vouloir se précipiter sur moi.
« Laissez-moi donc passer, je ne vous fais point de mal, » leur dis-je.
« Que viens-tu donc faire ici, toi ? » «
 J'y viens, parce que je vous aime. »

Ils ne voulaient naturellement pas me croire, mais je leur dis :
« Voyez, si vous consentez à me montrer mon chemin d'une façon convenable, je vous donnerai des cigares. »
Cette promesse produisit l'effet désiré et après qu'elle leur eût plusieurs fois prouvé ainsi son affection d'une façon tangible, elle eut libre entrée dans la vallée de la misère.

Là encore ce fut par le moyen des enfants que Hanna Faust parvint à gagner la confiance des parents. Elle ne tarda pas à organiser dans la vallée de la misère une école du dimanche, pour laquelle l'aide que lui apportèrent les jeunes gens dont il a été déjà plusieurs fois question fut d'une grande utilité. Il ne se trouvait pas, dans cette solitude forestière, de local susceptible de la recevoir ; elle tenait l'école tout bonnement sous l'ombrage de la haute futaie. C'était une vraie jouissance que de pouvoir parler du bon berger à ces pauvres enfants auxquels on avait jusqu'alors témoigné si peu d'amour. Les joues brûlaient, les yeux brillaient de plaisir, pendant qu'Hanna et ses amis racontaient leurs belles histoires. Le chant des cantiques rivalisait d'entrain avec celui des oiseaux et les grands arbres du Kiesberg ont peut-être parfois secoué leur tête d'étonnement, à la vue de tout ce qui se passait d'insolite à leurs pieds.

Mais quand vint l'hiver, il fallut chercher à mettre l'école du dimanche sous toit. On put l'installer une fois dans une grange, une autre fois à l'étage supérieur d'une maison en construction, auquel on parvenait au moyen d'une échelle vacillante. Enfin, on trouva une famille qui prêta sa chambre principale. L'attention des parents fut naturellement bientôt éveillée par les faits et gestes d'Hanna. Au premier abord on se moqua beaucoup d'elle et de ses acolytes, mais petit à petit et les uns après les autres, les vieux voulurent entendre ce qu'on disait aux enfants. Bientôt les jeunes gens de la « Compagnie » purent tenir pour les adultes des réunions d'étude biblique. Tante Hanna ne négligeait pas les secours matériels dont ces gens avaient besoin, quelque chose de nouveau commençait à se manifester sur ce sol à vue humaine si aride. La puissance de la Parole de Dieu surmontait toujours plus le mal.

Quelques années plus tard, une oeuvre d'évangélisation fut entreprise dans l'Elendstal par un jeune infirmier de l'hôpital d'Elberfeld, le frère Janfruchte, qui devint plus tard agent des Unions chrétiennes de jeunes gens, et dont le souvenir est resté parmi elles en bénédiction. Il n'en reste pas moins que la plus grande partie du travail qui y a été accompli, l'a été par Hanna Faust.

Comme nous l'avons dit, elle avait trouvé un abri pour sa bande d'enfants dans une simple chambre, mais comme le nombre de ses auditeurs allait toujours croissant, ce local ne tarda pas à devenir trop étroit. Il était urgent de trouver un moyen de remédier à cette difficulté, aussi peu à peu le désir de posséder un bâtiment, spécialement destiné à l'école du dimanche, s'empara-t-il du coeur d'Hanna. À l'origine, son ambition se bornait à la possession d'une simple baraque en planches. Elle réussit à exécuter son projet, ou plutôt le Seigneur s'en chargea pour elle. Ce fut une longue et merveilleuse histoire que celle de cette construction. Il fallait entendre Hanna elle-même raconter, dans son patois d'Elberfeld, comment elle parvint à bâtir une chapelle, puis à dresser un jour une tente composée de chiffons cousus ensemble, comment elle se procura une cloche destinée à rassembler les gens du voisinage, comment on dut bientôt ajouter des ailes aux deux extrémités de la chapelle, et comment, enfin, on put s'accorder le luxe d'un plancher, pour remplacer la terre battue. À tout cela elle ajoutait encore de nombreux détails touchant les fêtes diverses dont cette salle de réunion fut témoin. Mais nous reviendrons dans un autre chapitre sur cette face spéciale de son activité.

Quel changement ne s'est pas manifesté dès lors dans cette vallée de la misère, de loqueteuse mémoire ! Les huttes de terre ont disparu, la simple et fruste chapelle construite par tante Hanna semble être le sourire de ce site agreste. Celui qui peut échapper, par une belle journée de printemps, à l'atmosphère étouffée et à la poussière de la ville et monter jusque-là, pour jeter de la fenêtre de la chambrette destinée aux orateurs un regard charmé sur les vallées et les hauteurs boisées environnantes, ou pour prêter l'oreille aux accents de la parole de Dieu, si abondamment annoncée en ce lieu béni, et joindre sa voix à celles de l'assemblée chantant les louanges du Seigneur, celui-là a l'impression de s'être rapproché du ciel. La chapelle date de 1872. À l'origine ce furent les membres de la Compagnie qui y présidaient des réunions. Le pasteur Rink fut le premier qui y prit la parole, mais aujourd'hui il n'y a pas un des pasteurs d'Elberfeld qui ne se fasse un plaisir d'y monter, de temps à autres, pour y célébrer le service divin.

Les occasions sont nombreuses où la bonne volonté de personnes amies est mise à réquisition. Ainsi, lors de l'anniversaire de l'empereur, ou lors de la grande fête populaire du lundi de Pâques, le message du Prince de la vie est annoncé à tous ceux qui passent par l'Elendstal, après avoir erré dans les carrefours et le long des haies.

Le jour de l'Ascension la chapelle est un lieu de rendez-vous pour un grand nombre de personnes, unies par une même foi en Celui qui a été élevé à la droite de Dieu, désireuses de le servir comme leur Roi et de se fortifier ensemble par sa parole ; elles se retrouvent là-haut chaque année avec bonheur, aussi les serrements de mains joyeux n'ont-ils pas de fin. Les discours ont tous pour texte des passages de la Bible qui mettent en pleine lumière la gloire de Celui qui règne dans les lieux célestes. Il est ainsi présenté tantôt, avec le Psaume XXIII, comme le bon berger qui paît ses brebis avec tant de bienveillance, tantôt, avec les Ps. XLV et CX, comme le Roi puissant qui avertit son peuple d'une façon si incisive ou le console avec une si profonde tendresse. Une année, les auditeurs seront exhortés tout spécialement, d'après l'épître aux Hébreux, chapitre XII, à être fermes dans l'épreuve et la tentation, une autre année le premier chapitre de l'épître aux Éphésiens les fera pénétrer dans les profondeurs du salut que le Sauveur a acquis aux siens par sa grâce.

Depuis peu l'Elendstal a aussi sa fête missionnaire annuelle, instituée par un ami zélé des missions, M. le pasteur NiemölIer. Elle a lieu le lundi de Pentecôte et attire de grandes foules, désireuses d'entendre parler, au milieu de la forêt rajeunie par le souffle du printemps, du renouveau magnifique que l'esprit de Dieu fait germer dans le vaste univers qu'habitent des peuples en grand nombre, encore plongés dans un paganisme aride.

À la fin de la « Festwoche » (1) d'Elberfeld, la chapelle de l'Elendstal offre à tous ceux que leur vocation a empêchés de prendre part aux réunions, l'occasion de glaner encore quelques épis de la riche moisson, à laquelle ils n'ont pu prendre part, en écoutant un compte-rendu de tout ce qui a ému et réjoui les coeurs au cours de la semaine de fête.

L'école du dimanche a conservé droit de cité dans la vallée de la misère, elle y a lieu chaque dimanche. Durant les quinze dernières années de sa vie, Hanna Faust ne l'a plus tenue elle-même, un des élèves de la maison des missions le faisait à sa place. Toutes les écoles du dimanche de la ville font de la chapelle le but de leur course d'été. C'était touchant de voir à quel point tante Hanna jouissait de voir ces enfants se régaler autour des tables dressées pour eux, et s'ébattre ensuite en pleine liberté dans la forêt environnante.

Une union chrétienne de jeunes filles a son local régulier dans la chapelle et presque toutes les associations religieuses d'Elberfeld s'y réunissent, au moins une fois l'an pour y célébrer quelque fête. Cela nous mènerait trop loin, si nous voulions parler en détail de toutes les occasions où tante Hanna voyait des hôtes nombreux se rassembler autour d'elle. Tous les dimanches, et souvent durant la semaine, elle gravissait la côte avec ses aides fidèles, pour servir d'un coeur joyeux les petits et les grands.


(1) Semaine consacrée chaque année, durant l'été, aux assemblées des diverses oeuvres chrétiennes groupées dans la partie de l'Allemagne à laquelle le Wuppertal sert de centre.
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