Où se trouve-t-elle ? D'où son nom lui est-il venu ?
Tout change. Tante Hanna pense à bâtir une maison pour les réunions.
La vallée de la misère transformée en place de fête et en champ, de
travail.
Il est temps que nous nous tournions vers les deux
points, qui devinrent à la fois, les appuis et le centre du travail si
béni que tante Hanna accomplit pour le Seigneur : la maison de
l'Elendstal. (vallée de la misère) et celle de la Riemenstrasse, dans
le quartier de l'Arrenberg.
Lorsqu'on arrive à Elberfeld, en venant de Cologne ou de
Dusseldorf, on passe entre deux hauteurs surmontées de tours, dressées
comme des sentinelles à l'extrémité sud-ouest de la vallée au fond de
laquelle la ville s'étale. Ces deux hauteurs sont
le Kiesberg et le Nutzenberg. Le Kiesberg est situé au sud de la
vallée, sa pente occidentale fait face au faubourg de Sonnborn,
maintenant incorporé à Elberfeld même. C'est là que s'ouvre une large
gorge, aujourd'hui de plus en plus occupée par de jolies maisons, mais
autrefois entièrement boisée, comme d'ailleurs tout le Kiesberg. Là
s'était établie une population qui n'avait pas trouvé à se loger
ailleurs ; gens pauvres et misérables, gens aussi, pour la
plupart, de la pire espèce. Une partie d'entre eux étaient venus des
provinces orientales de la Prusse, pour chercher de l'ouvrage dans les
fabriques de boutons et ils se trouvaient maintenant, cette industrie
ayant périclité, jetés sur la rue, sans logements et sans moyens
d'existence. Il s'y trouvait aussi des fabricants de balais, qui
exerçaient leur peu lucratif métier et toutes sortes d'autres miséreux
encore. Ils ne se mettaient pas en peine de savoir à qui appartenait
la forêt, et personne ne s'inquiétait d'eux. Ils s'étaient construit,
ou plutôt ils s'étaient creusé des huttes en terre glaise, où ils
menaient avec leurs enfants l'existence misérable d'êtres sans Dieu et
hors la loi. - Un jour, un représentant de la ville d'Elberfeld monta
Jusqu'à ce primitif campement, pour voir s'il n'y avait aucune
possibilité d'en retirer quelque impôt. Mais il
rentra à l'hôtel de ville en branlant la tête, et déclara qu'il
régnait là haut une pauvreté telle, qu'il ne pouvait être question
d'exiger une contribution des habitants de cette vallée qui mériterait
d'être appelée la « Vallée de la misère » (Elendstal). Le
nom est resté, mais il est devenu dès lors particulièrement cher aux
chrétiens du Wuppertal, car l'endroit qu'il désigne a vu couler des
flots de bénédiction. Comment cela s'est fait et quelle part tante
Hanna a pris à cette transformation, nous allons le raconter dans les
lignes qui suivent.
Ce doit être vers 1860 qu'Hanna Faust tourna ses regards
vers l'Elendstal. Elle se décida à porter aide et secours, et en tout
premier lieu l'Évangile de la grâce, aux pauvres et aux malheureux qui
s'y trouvaient rassemblés.
Un des membres de la compagnie nous a raconté ce
qu'étaient alors les huttes de la vallée de la misère :
« Afin de faire naître dans le coeur des jeunes gens
qui lui aidaient dans son oeuvre des écoles du dimanche l'amour pour
les hommes tombés le plus bas, tante Hanna les emmenait avec elle,
quand elle allait visiter les huttes misérables éparpillées dans la
forêt. Quelques pieux solides, fichés dans le sol, quelques
planches non rabotées en formaient les parois et le toit. Au milieu de
la hutte était une table branlante, chargée de quelques assiettes et
tasses ébréchées et deux ou trois chaises menaçaient de tomber en
ruine. Dans un angle on voyait une sorte de lit dont les parois de la
hutte formaient deux des côtés, les deux autres étant représentés par
de simples planches. Des feuilles étendues sur le sol nu tenaient lieu
de paillasse et de matelas et une vieille toile d'emballage en loques
représentait les draps. Père, mère et quelques enfants y couchaient
pêle-mêle... »
Tante Hanna n'ignorait point que les hommes qui
habitaient dans ces antres étaient terriblement grossiers et mauvais,
mais elle voulait leur venir en aide à tout prix. « Je savais
bien, disait-elle, qu'ils vivaient comme des païens, mais le Seigneur
ne m'a laissé ni repos ni trêve que je ne me fusse rendue auprès
d'eux. je me suis dit :
« Mets quelques cigares dans ta poche et vas voir
ces pauvres gens au nom de Dieu ! Quand j'arrive à la forêt je
vois quelques hommes assis par terre et buvant de l'eau-de-vie. À
peine m'ont-ils aperçue qu'ils se lèvent, et font mine de vouloir se
précipiter sur moi.
« Laissez-moi donc passer, je ne vous fais point de
mal, » leur dis-je.
« Que viens-tu donc faire ici,
toi ? » «
J'y viens, parce que je vous aime. »
Ils ne voulaient naturellement pas me croire, mais je
leur dis :
« Voyez, si vous consentez à me montrer mon chemin
d'une façon convenable, je vous donnerai des cigares. »
Cette promesse produisit l'effet désiré et après qu'elle
leur eût plusieurs fois prouvé ainsi son affection d'une façon
tangible, elle eut libre entrée dans la vallée de la misère.
Là encore ce fut par le moyen des enfants que Hanna Faust
parvint à gagner la confiance des parents. Elle ne tarda pas à
organiser dans la vallée de la misère une école du dimanche, pour
laquelle l'aide que lui apportèrent les jeunes gens dont il a été déjà
plusieurs fois question fut d'une grande utilité. Il ne se trouvait
pas, dans cette solitude forestière, de local susceptible de la
recevoir ; elle tenait l'école tout bonnement sous l'ombrage de
la haute futaie. C'était une vraie jouissance que de pouvoir parler du
bon berger à ces pauvres enfants auxquels on avait jusqu'alors
témoigné si peu d'amour. Les joues brûlaient, les yeux brillaient de
plaisir, pendant qu'Hanna et ses amis racontaient leurs belles
histoires. Le chant des cantiques rivalisait d'entrain avec celui des
oiseaux et les grands arbres du Kiesberg ont peut-être parfois secoué
leur tête d'étonnement, à la vue de tout ce qui se
passait d'insolite à leurs pieds.
Mais quand vint l'hiver, il fallut chercher à mettre
l'école du dimanche sous toit. On put l'installer une fois dans une
grange, une autre fois à l'étage supérieur d'une maison en
construction, auquel on parvenait au moyen d'une échelle vacillante.
Enfin, on trouva une famille qui prêta sa chambre principale.
L'attention des parents fut naturellement bientôt éveillée par les
faits et gestes d'Hanna. Au premier abord on se moqua beaucoup d'elle
et de ses acolytes, mais petit à petit et les uns après les autres,
les vieux voulurent entendre ce qu'on disait aux enfants. Bientôt les
jeunes gens de la « Compagnie » purent tenir pour les
adultes des réunions d'étude biblique. Tante Hanna ne négligeait pas
les secours matériels dont ces gens avaient besoin, quelque chose de
nouveau commençait à se manifester sur ce sol à vue humaine si aride.
La puissance de la Parole de Dieu surmontait toujours plus le mal.
Quelques années plus tard, une oeuvre d'évangélisation
fut entreprise dans l'Elendstal par un jeune infirmier de l'hôpital
d'Elberfeld, le frère Janfruchte, qui devint plus tard agent des
Unions chrétiennes de jeunes gens, et dont le souvenir est resté
parmi elles en bénédiction. Il n'en reste pas moins que la plus grande
partie du travail qui y a été accompli, l'a été par Hanna Faust.
Comme nous l'avons dit, elle avait trouvé un abri pour sa
bande d'enfants dans une simple chambre, mais comme le nombre de ses
auditeurs allait toujours croissant, ce local ne tarda pas à devenir
trop étroit. Il était urgent de trouver un moyen de remédier à cette
difficulté, aussi peu à peu le désir de posséder un bâtiment,
spécialement destiné à l'école du dimanche, s'empara-t-il du coeur
d'Hanna. À l'origine, son ambition se bornait à la possession d'une
simple baraque en planches. Elle réussit à exécuter son projet, ou
plutôt le Seigneur s'en chargea pour elle. Ce fut une longue et
merveilleuse histoire que celle de cette construction. Il fallait
entendre Hanna elle-même raconter, dans son patois d'Elberfeld,
comment elle parvint à bâtir une chapelle, puis à dresser un jour une
tente composée de chiffons cousus ensemble, comment elle se procura
une cloche destinée à rassembler les gens du voisinage, comment on dut
bientôt ajouter des ailes aux deux extrémités de la chapelle, et
comment, enfin, on put s'accorder le luxe d'un plancher, pour
remplacer la terre battue. À tout cela elle ajoutait encore de
nombreux détails touchant les fêtes diverses dont
cette salle de réunion fut témoin. Mais nous reviendrons dans un autre
chapitre sur cette face spéciale de son activité.
Quel changement ne s'est pas manifesté dès lors dans
cette vallée de la misère, de loqueteuse mémoire ! Les huttes de
terre ont disparu, la simple et fruste chapelle construite par tante
Hanna semble être le sourire de ce site agreste. Celui qui peut
échapper, par une belle journée de printemps, à l'atmosphère étouffée
et à la poussière de la ville et monter jusque-là, pour jeter de la
fenêtre de la chambrette destinée aux orateurs un regard charmé sur
les vallées et les hauteurs boisées environnantes, ou pour prêter
l'oreille aux accents de la parole de Dieu, si abondamment annoncée en
ce lieu béni, et joindre sa voix à celles de l'assemblée chantant les
louanges du Seigneur, celui-là a l'impression de s'être rapproché du
ciel. La chapelle date de 1872. À l'origine ce furent les membres de
la Compagnie qui y présidaient des réunions. Le pasteur Rink fut le
premier qui y prit la parole, mais aujourd'hui il n'y a pas un des
pasteurs d'Elberfeld qui ne se fasse un plaisir d'y monter, de temps à
autres, pour y célébrer le service divin.
Les occasions sont nombreuses où la bonne volonté de
personnes amies est mise à réquisition. Ainsi, lors de l'anniversaire
de l'empereur, ou lors de la grande fête populaire du lundi de Pâques,
le message du Prince de la vie est annoncé à tous ceux qui passent par
l'Elendstal, après avoir erré dans les carrefours et le long des
haies.
Le jour de l'Ascension la chapelle est un lieu de
rendez-vous pour un grand nombre de personnes, unies par une même foi
en Celui qui a été élevé à la droite de Dieu, désireuses de le servir
comme leur Roi et de se fortifier ensemble par sa parole ; elles
se retrouvent là-haut chaque année avec bonheur, aussi les serrements
de mains joyeux n'ont-ils pas de fin. Les discours ont tous pour texte
des passages de la Bible qui mettent en pleine lumière la gloire de
Celui qui règne dans les lieux célestes. Il est ainsi présenté tantôt,
avec le Psaume
XXIII, comme le bon berger qui paît ses brebis avec tant de
bienveillance, tantôt, avec les Ps.
XLV et CX,
comme le Roi puissant qui avertit son peuple d'une façon si incisive
ou le console avec une si profonde tendresse. Une année, les auditeurs
seront exhortés tout spécialement, d'après l'épître aux Hébreux, chapitre
XII, à être fermes dans l'épreuve et la tentation, une autre
année le premier chapitre de l'épître aux Éphésiens
les fera pénétrer dans les profondeurs du salut que le Sauveur a
acquis aux siens par sa grâce.
Depuis peu l'Elendstal a aussi sa fête missionnaire
annuelle, instituée par un ami zélé des missions, M. le pasteur
NiemölIer. Elle a lieu le lundi de Pentecôte et attire de grandes
foules, désireuses d'entendre parler, au milieu de la forêt rajeunie
par le souffle du printemps, du renouveau magnifique que l'esprit de
Dieu fait germer dans le vaste univers qu'habitent des peuples en
grand nombre, encore plongés dans un paganisme aride.
À la fin de la « Festwoche » (1)
d'Elberfeld, la chapelle de l'Elendstal offre
à tous ceux que leur vocation a empêchés de prendre part aux réunions,
l'occasion de glaner encore quelques épis de la riche moisson, à
laquelle ils n'ont pu prendre part, en écoutant un compte-rendu de
tout ce qui a ému et réjoui les coeurs au cours de la semaine de fête.
L'école du dimanche a conservé droit de cité dans la
vallée de la misère, elle y a lieu chaque dimanche. Durant les quinze
dernières années de sa vie, Hanna Faust ne l'a plus
tenue elle-même, un des élèves de la maison des missions le faisait à
sa place. Toutes les écoles du dimanche de la ville font de la
chapelle le but de leur course d'été. C'était touchant de voir à quel
point tante Hanna jouissait de voir ces enfants se régaler autour des
tables dressées pour eux, et s'ébattre ensuite en pleine liberté dans
la forêt environnante.
Une union chrétienne de jeunes filles a son local
régulier dans la chapelle et presque toutes les associations
religieuses d'Elberfeld s'y réunissent, au moins une fois l'an pour y
célébrer quelque fête. Cela nous mènerait trop loin, si nous voulions
parler en détail de toutes les occasions où tante Hanna voyait des
hôtes nombreux se rassembler autour d'elle. Tous les dimanches, et
souvent durant la semaine, elle gravissait la côte avec ses aides
fidèles, pour servir d'un coeur joyeux les petits et les grands.
Chapitre précédent | Table des matières | Chapitre suivant |