Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

III

Les débuts du travail.

Heures de recueillement. Heures de travail. À l'école du dimanche. Oeuvres variées. Dans la prison. Parmi les cholériques. Mariage et souffrance. Wilhelm Faust. La bénédiction d'une croix domestique.

Hanna avait une vie intérieure abondamment bénie. Il n'est pas étonnant que, douée comme elle l'était de beaucoup d'énergie et d'activité, elle ait été sans cesse préoccupée de rendre au Seigneur un peu de tout ce qu'elle tenait de sa grâce. Celui qui veut travailler pour lui trouve toujours de l'ouvrage en surabondance, Hanna devait en faire l'expérience.
Il est vrai qu'elle ne s'y est pas prise comme le font tant de jeunes filles d'aujourd'hui, qui prétendent vouloir servir le Seigneur, mais croient ne pouvoir le faire qu'en s'en allant au loin entreprendre des choses extraordinaires. Combien n'en voit-on pas qui arrachent à leurs parents, alors qu'ils auraient encore grand besoin d'elles, la permission d'entrer dans une organisation chrétienne qui absorbera toutes leurs forces. Dieu peut-il voir de telles choses d'un oeil satisfait et bienveillant ? J'en doute, pour ma part. Hanna se sentait tenue de continuer à prendre soin de sa mère. Du matin au soir sa place était devant le métier à tisser, et elle remplissait sa tâche avec une grande assiduité. Mais quand venait le soir, elle allait avec une amie de maison en maison, visiter les malades. Et là, elle ne se contentait pas de donner de bonnes paroles, mais elle mettait la main à la pâte partout où cela lui paraissait nécessaire.

Elle savait déjà, et elle s'en est souvenue sa vie durant, qu'il ne suffit pas de prêcher l'amour de Jésus, mais qu'il faut le prouver par sa vie et qu'une parole du Sauveur ne fait impression aux pauvres et aux affligés que lorsqu'ils ont senti dans leur misère quelque chose de cet amour. Elle récurait donc les planchers, faisait les lits et rendait à ceux qu'elle visitait tous les services en son pouvoir. Elle ne pensait pas que ce fût trop que de s'en aller au crépuscule et jusque dans la nuit noire, laver à la rivière sa propre lessive et celle des autres gens. N'est-ce pas parce qu'elle est restée dans son travail pour Dieu une fille obéissante, que sa vie a été en si grande bénédiction à ceux qui l'approchaient. Elle-même disait un jour :
« Toute enfant, je me sentais poussée à aider les autres et à leur témoigner de l'affection. Armée d'un seau, d'un balai et d'un torchon, je me rendais dans les chaumières les plus sales, je renvoyais les habitants hors de chez eux et je mettais tout en ordre. Quand ils rentraient et que, le visage rayonnant, quelques-uns d'entre eux me disaient :
« Que tu es donc bonne ! »
j'étais toute heureuse. Je n'avais aucun repos que ma mère ne m'eût donné de la soupe à porter aux pauvres et aux malades. Le Seigneur m'avait mis cet amour dans le coeur, sa grâce prévenante agissait déjà en moi ».

Elle fut une des premières à entreprendre, dans notre vallée, cette oeuvre des écoles du dimanche qui y est maintenant si florissante. Elle désirait gagner le coeur des gens pour pouvoir leur parler de Jésus et les amener à lui, et elle savait, en bonne observatrice qu'elle était, que le chemin qui conduit au coeur des parents passe, souvent, par les enfants. C'est pour cette raison qu'elle s'occupait d'écoles du dimanche.

Elle commença ce travail dès l'année 1844, parce que le Seigneur le lui avait mis sur la conscience. La première école qu'elle fonda se réunissait dans la chambre qu'elle habitait à l'Arrenberg, comme jeune fille. Elle a subsisté pendant bien des années, jusqu'au moment où la Société d'éducation se chargea des écoles du dimanche et où elle fut réunie à un autre groupe. Un jour qu'elle faisait une promenade jusqu'à Kohlfurterbrücke, un petit hameau situé au bord de la Wupper, plus bas qu'Elberfeld, elle réunit autour d'elle une bande d'enfants auxquels elle se mit à raconter, de la façon la plus captivante, des histoires de la vie du Sauveur. Charmés et ravis, les enfants écoutaient l'aimable jeune fille qui était venue de la ville pour leur parler de Jésus avec tant d'enthousiasme ; ils ne se lassaient pas de l'entendre, mais il fallait pourtant qu'elle se remît en route. En prenant congé d'eux elle leur demanda s'ils aimeraient qu'elle revînt chaque dimanche, dans l'après-midi, pour leur raconter l'histoire du Sauveur. Un « oui » enthousiaste sort de toutes les bouches à la fois et les visages des enfants s'illuminent. Hanna tint parole. Elle commença à réunir les enfants en plein air, et avec quel bonheur ne les faisait-elle pas chanter et ne leur apprenait-elle pas à prier et à connaître leur Sauveur ! Lorsque la saison avancée ne permit plus de rester dehors, une famille amie offrit joyeusement de recevoir chez elle Hanna et ses enfants. C'est ainsi que prit naissance l'école du dimanche du Greuel, près de Cronenberg.

Elle n'a pas accompli seule tout ce travail. Lorsqu'elle se trouva dans sa propre demeure, à la Riemenstrasse, elle rassemblait autour d'elle de jeunes commis, qui la secondaient très heureusement dans son travail. Les jeunes gens qui appartenaient à la « Compagnie », comme ils appelaient leur association, en ont reçu beaucoup plus qu'ils ne lui ont donné. Plusieurs d'entre eux ont été déjà recueillis dans la gloire, d'autres, en plus grand nombre, sont dispersés ici et là ; tous ont parlé ou parlent encore, avec joie et reconnaissance, des jours bénis passés sous la direction de tante Hanna. Lorsqu'à la fin de la vie de la vaillante femme, la « Compagnie » se réunit encore une fois, pour célébrer l'anniversaire de sa fondation par une petite fête, on entendit de touchants témoignages du bien que Dieu avait fait aux uns et aux autres par son moyen. Elle-même, peu de jours avant sa mort, disait - prouvant ainsi que l'association formée sur la terre l'avait été en vue de l'éternité - :
« La compagnie devient toujours plus petite ici-bas, mais elle se reforme là-haut, toujours plus nombreuse ».

Son oeuvre grandissait sans cesse ; elle était débordée. Les malades qu'elle visitait, les pauvres qu'elle devait secourir se multipliaient, mais en même temps d'autres portes s'ouvraient devant elle, et elle recevait des dons qu'elle distribuait là où ils étaient le plus nécessaires. De plus en plus ces paroles : « Nous ne nous lassons pas » devenaient la devise de sa vie.

La profonde compassion qu'elle éprouvait pour la misère et les souffrances du peuple devait nécessairement la conduire jusqu'à la prison, cette maison où viennent échouer tant d'êtres qui se sont laissés surmonter par le mal. Elle avait trouvé moyen d'obtenir, une fois pour toutes, la permission de visiter les prisonniers. Là, en présence des pécheurs les plus endurcis, se manifesta le don qu'elle avait reçu de savoir parler, au moment voulu, aux âmes fatiguées et chargées. Elle y rencontra, entre autres, une modiste qui avait été poussée à la banqueroute par la faute d'autrui et qui avait été condamnée à la prison. Elle se livrait dans sa cellule à des accès de rage, criait, menaçait, se répandait en imprécations contre la méchanceté du genre humain; elle était tellement révoltée que personne ne pouvait arriver à lui adresser une parole de consolation. Tante Hanna n'eut pas plutôt entendu parler d'elle, qu'elle manifesta l'intention d'aller la voir. Le surveillant essaya de l'en dissuader en l'assurant que cette personne se livrerait sur elle à des voies de fait, si elle osait passer le seuil de sa cellule.

Tante Hanna, loin de se laisser intimider, répond tranquillement :
« J'entrerai avec mon Sauveur, il saura bien me défendre. »
Elle entre, en effet, et la prisonnière se met aussitôt à blasphémer, de la façon la plus épouvantable, Dieu et les hommes. Tante Hanna, muette d'horreur, ne peut prononcer une parole ; mais devant l'abîme d'amertume et de colère que ce flot d'injures révèle, elle se met à pleurer. À la vue de ces larmes la prisonnière tressaille ; personne encore n'a pleuré pour elle. Peu à peu elle se calme et la visiteuse peut se mettre à parler à ce pauvre coeur outré, de l'amour du Sauveur pour les pécheurs et du chemin par lequel on parvient jusqu'à lui. La prisonnière écoute, puis elle se met à parler à son tour et à donner essor à tout le ressentiment et à toute la rancune amassés au dedans d'elle. Hanna sait bien que rien ne saurait faire plus de bien à un être aigri et révolté que de s'épancher ainsi. Aussi l'écoute-t-elle longtemps, puis elle-même reprend la parole ; elles causent, elles discutent. La lutte entre la lumière et les ténèbres fut chaude et dure, mais Jésus remporta la victoire ; la prisonnière finit par aller prendre sous la paillasse de son lit une corde, qu'elle tendit à Hanna en disant :
« Emportez-la ; je voulais me pendre cette nuit même avec cette corde, mais maintenant je n'en ai plus besoin.

Tante Hanna rencontra dans la prison une autre jeune fille sur laquelle ses parents avaient exercé dès son enfance une mauvaise influence. Elle ne la perdit plus jamais de vue ; elle la recueillit chez elle à sa sortie de prison et lui trouva une place. Elle alla la chercher un jour jusque dans une maison malfamée et toujours, malgré ses rechutes, elle la reprenait chez elle. Cette jeune fille devint plus tard une honnête femme, qui fut en bénédiction à son mari, et qui sur son lit de mort déclara devant la vieille tante Hanna, que sans l'amour fidèle de cette amie maternelle, elle n'aurait jamais pu être sauvée.

L'épidémie de petite vérole, puis celle si violente de choléra qui éclatèrent, l'une après l'autre, dans la vallée furent pour elle l'occasion d'une grande activité. La dernière de ces maladies, si redoutée à juste titre, éclata d'abord à Vohwinkel et à Sonnborn, deux faubourgs d'Elberfeld, puis atteignit bientôt la ville elle-même. C'était une époque sérieuse durant laquelle l'ange de la mort passait au travers des foules, n'épargnant presque aucune maison. La petite pièce de l'Arrenberg où se tenaient depuis longtemps des réunions de prières, pouvait à peine contenir tous les lits qui avaient dû y être dressés. Comme les gens sentaient alors le sérieux de l'éternité ! Des hommes qui se rendaient le matin à leur ouvrage n'étaient plus, le soir, que des cadavres. Hanna avait compris, dès le début de l'épidémie, que son devoir était de soigner les malades pauvres et de leur annoncer la parole de vie. Elle commença son oeuvre à Vohwinkel et à Sonnborn, puis elle la poursuivit à Elberfeld et là où les hommes fuyaient et se dérobaient, elle restait, fidèle à sa tâche. Aucun malade ne lui paraissait trop répugnant, aucune mansarde trop sordide, elle se dépensait sans repos et sans trêve et le Seigneur la soutenait puissamment. Elle veillait deux nuits de suite, en dormait une et reprenait ses veilles. Elle pouvait aussi, écrit un de ses amis, manger durant ses heures de repos des rations doubles ! Elle fut préservée merveilleusement de la terrible maladie.

Un soir, cependant, il lui sembla qu'elle allait la prendre ; elle se sentait mal, avait des frissons, et présentait tous les symptômes du choléra. Elle dut se coucher et se mit à crier :
« Seigneur, tu ne peux vraiment pas me prendre à toi maintenant, mes pauvres malades ont tant besoin de moi ! »
À ce moment, quelqu'un frappe à sa porte ; on venait la chercher pour la conduire auprès d'un homme gravement atteint, qui la réclamait avec insistance. Elle jette sur le Sauveur un regard plein de foi, puis elle se lève et s'en va chez le malade, auprès duquel elle passe la nuit sans avoir un instant pour penser à ses propres maux. La maladie avait été vaincue avant de s'être déclarée dans toute sa violence. Elle pouvait bien dire plus tard :
« J'ai soigné jour et nuit des malades atteints du typhus, de la petite vérole noire et du choléra, et j'en ai été préservée. Une fois, après ne pas m'être déshabillée pendant trois semaines, je suis montée à Cronenberg, je me suis couchée et j'ai dormi tout d'un somme pendant dix-huit heures, après quoi j'ai pu redescendre à Elberfeld toute fraîche et reposée. »

Ce fut une vie riche et heureuse que celle d'Hanna, jusqu'à l'année 1853. Elle travaillait joyeusement à son métier à tisser, en chantant les louanges du Seigneur, et dans ses heures libres elle allait vers ses pauvres et ses malades tant aimés, pour leur faire du bien matériellement et spirituellement. Mais quiconque veut agir dans le royaume de Dieu doit apprendre à souffrir. C'est par beaucoup d'afflictions qu'il nous faut entrer dans le royaume des cieux. C'est par l'école de l'humiliation que les enfants du céleste Maître arrivent à posséder un coeur vraiment humble et désintéressé.

L'école d'Hanna, ce fut la vie conjugale. Ses souffrances, ses luttes et ses larmes n'ont pas à être dévoilées ici, mais Dieu les connaît. Nous, ses amis, nous avons pu nous réjouir des fruits magnifiques produits par la croix que le mariage a été pour elle. Nous n'en dirons que ce qui est déjà de notoriété publique. Hanna s'était engagée dans cette voie avec le sentiment très net que c'était celle que le Seigneur avait préparée pour elle. Le pasteur Sander crut également devoir l'y encourager.
« Je ne soupçonnais pas, racontait-elle un jour elle-même, de quelle croix je me chargeais en me mariant. Ma vie ne fut plus un seul jour en sécurité, et quand mon pauvre mari rentrait ivre à la maison, il arrivait encore que j'entendisse les gens dire.
« Cette Hanna Faust ferait bien mieux de s'occuper de son pauvre mari que de tant faire pour d'autres. »
Le pasteur Sander me disait qu'aucune loi humaine ou divine ne m'obligeait à rester avec lui, mais mon mari savait bien quel sacrifice je faisais pour lui et il me répétait souvent d'une voix touchante :
« Hanna, tu ne veux pourtant pas me quitter ? »

N'y eut-il dans la décision prise par tante Hanna aucun vestige de volonté propre ? Nous ne trancherons pas cette question. Sa mère était, au début, opposée à ce mariage et ne donna son consentement à Hanna que lorsqu'elle la vit absolument décidée à aller de l'avant. Or, selon nous, l'obéissance envers les parents est une condition indispensable à remplir pour conclure une union sur laquelle repose la bénédiction de Dieu. Hanna se serait épargnée bien des amertumes si elle n'avait pas fait ce mariage. Mais une fois placée à la rude école qu'il fut pour elle, elle s'y conduisit en chrétienne authentique et fidèle. Plusieurs de ses amis essayèrent vainement, à plusieurs reprises, de la persuader de rompre une union si mal assortie, mais à ses yeux c'eût été s'enfuir loin de l'école. Elle voulait porter sa croix jusqu'à ce que Dieu la lui enlevât, quand bien même elle aurait risqué, en agissant ainsi, de mécontenter quelques personnes amies.

C'était au commencement des années 1850 que son cher pasteur Sander arriva un jour chez elle en disant :
« Hanna il faut que tu te maries ».
Chose étrange, elle avait vu peu de temps auparavant, en rêve, un homme debout au bord d'un abîme, et auquel elle tendait la main pour le sauver. Quelques jours plus tard, son ancien camarade d'école Wilhelm Faust venait demander sa main et elle se fiançait avec lui.

Ce que furent ces fiançailles, à mesure qu'elle apprenait à mieux connaître son fiancé, un détail le fera comprendre. Elle suivait, par une chaude journée d'été, un chemin sous bois, chargée de paniers. Très fatiguée, elle s'assied et s'endort. De nouveau elle voit en rêve un abîme, sur le bord duquel son fiancé est debout ; il va y tomber, mais d'un bond elle est près de lui et tend la main pour l'arracher au danger, il est sauvé. Le Seigneur lui fit comprendre de façon très nette la signification de ce rêve, elle sentit qu'elle n'était pas obligée de l'épouser, mais que ce n'était qu'en lui tendant la main pour la vie qu'elle pourrait l'arracher à la perdition.

Wilhelm Faust était un homme étrange, un esclave à bien des égards, et plus particulièrement de l'ivrognerie, à laquelle il succombait à des époques régulières. Le sentiment du péché était pleinement éveillé en lui, il était convaincu que seul le Sauveur, venu pour que le plus grand pécheur parvienne au salut, pouvait lui aider à rompre ses liens, et cependant il ne s'en libérait pas. Il est juste d'ajouter que des causes physiques avaient contribué à affaiblir sa volonté. Dans les intervalles où il ne buvait pas, c'était un homme aimable et avenant. Quelle joie pour lui de recevoir chez eux, de la façon la plus hospitalière, les membres de la « Compagnie », qu'Hanna invitait à entrer, quand ils revenaient avec elle de l'école du dimanche ou des réunions d'étude biblique. Elle le faisait pour qu'il trouvât dans leur société un soutien ; une fois qu'un de ces jeunes gens tomba gravement malade, Wilhelm Faust le soigna avec le plus grand dévouement, jusqu'à son entière guérison.

C'est en 1853 que le mariage des époux Faust fut béni par le pasteur Sander. Dieu donnait au pauvre Faust une compagne fidèle, qui ne devait jamais cesser de le soutenir par ses prières. Il retombait sans cesse dans son péché et chaque fois qu'il se relevait, après une de ses chutes, il s'accusait lui-même de la façon la plus émouvante. Mais pendant ces mauvaises crises Hanna souffrait horriblement. Il l'accablait des pires injures. Il semblait être possédé par l'esprit du mal et il disait lui-même, qu'il ne pouvait faire autrement, dans ces moments-là, que de jurer et de tempêter. Lorsqu'il revenait à lui, il était inexprimablement reconnaissant à sa femme de son support et il suppliait aussi Dieu de lui pardonner. Il restait souvent absent pendant plusieurs jours, qu'il passait dans les cafés. Combien de fois des amis n'ont-ils pas fait l'impossible pour le ramener à la maison ! Et combien de nuits blanches sa femme n'a-t-elle pas passées, criant, dans son angoisse, au Seigneur, jusqu'à ce qu'on lui rapportât son mari. Une fois, entre autres, elle se sentit poussée, vers trois heures du matin, d'intercéder pour lui avec une ardeur toute particulière. Peu après quelqu'un, qui l'avait trouvé au moment où il allait se jeter dans la Wupper, le lui ramenait. Dieu avait entendu la prière de sa fidèle servante et envoyé quelqu'un, au dernier moment, pour empêcher le malheureux d'exécuter son dessein.

Quel fardeau n'était-il pas également pour sa pauvre femme, au point de vue matériel. Quand il était à l'auberge, il y était toujours entouré d'une horde de bons amis, qu'il traitait de la plus généreuse façon, et c'était Hanna qui devait ensuite se tourmenter pour pouvoir payer les énormes dettes qu'il contractait dans ses heures de folie. Mais elle a payé toutes les traites qu'il avait signées, soit dans des cafés, soit dans d'autres mauvais lieux. Il se trouve malheureusement toujours et partout des gens qui ont le courage de s'enrichir avec de l'argent pareillement gagné. C'est à cette époque que Hanna Faust abandonna le métier à tisser, pour commencer le commerce de café qu'elle a continué jusqu'à la fin de sa vie.

Un médecin avait déclaré que Wilhelm. Faust était constitué de telle façon, qu'il ne pouvait finir que par le suicide ou la maison de fous. Mais Hanna ne se lassa pas de prier, d'intercéder. Jésus se montra le plus fort et quand son mari mourut, en 1887, elle eut la joie de le voir s'endormir dans la paix complète d'un pécheur pardonné.

Dieu s'est servi de ces années de mariage pour rendre notre amie particulièrement propre au travail qu'Il lui réservait. Elle a pu jeter, pendant ce laps de temps, un regard dans des profondeurs de péché dont elle n'avait aucune idée auparavant ; mais elle a pu aussi - ce qui était encore plus important son oeuvre - faire une expérience toute spéciale de la grâce de son Sauveur, dont elle a dépendu entièrement pendant qu'elle cheminait sur ce chemin bordé d'épines. Elle avait appris aussi à comprendre ce qui se passait dans une foule de ménages et à sympathiser, de toute la force de son coeur compatissant, avec ceux auxquels le péché cause des souffrances sans nom. Elle disait elle-même, au cours de la trente-et-unième année de son mariage :
« Vous demandez pourquoi le Seigneur m'a fait passer par cette route obscure ? »
Comme femme mariée, je pouvais pénétrer dans les quartiers les plus mal famés ; là où ni les pasteurs ni la police n'auraient osé s'aventurer, je pouvais aller. Mon mari ne m'a jamais empêchée ou gênée dans mon activité, et pourtant voici trente-et-un ans que nous vivons ensemble. Pendant ce temps, le Seigneur a été tout pour moi. je suis heureuse et ne voudrais changer mon sort contre celui de personne. Il y a quelques jours un riche fabricant me dit, en me rencontrant :
« Madame Faust, comme vous avez l'air heureux ! »
« Il ne tient qu'à vous de devenir aussi heureux que moi », lui ai-je répondu, après quoi j'ai pu lui dire que notre coeur ne trouve le bonheur et la paix qu'auprès de Jésus ».

N'est-il pas étrange, - et n'est-ce pas cependant une vérité très ancienne, - que les perles soient formées dans l'eau amère, que le Seigneur fasse trouver aux siens la joie dans la souffrance et que les yeux gais et brillants de tante Hanna aient été le produit des larmes amères, répandues pendant sa vie conjugale ?

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