Heures de recueillement. Heures de travail.
À l'école du dimanche. Oeuvres
variées. Dans la prison. Parmi les
cholériques. Mariage et souffrance. Wilhelm
Faust. La bénédiction d'une croix
domestique.
Hanna avait une vie intérieure
abondamment bénie. Il n'est pas
étonnant que, douée comme elle
l'était de beaucoup d'énergie et
d'activité, elle ait été sans
cesse préoccupée de rendre au
Seigneur un peu de tout ce qu'elle tenait de sa
grâce. Celui qui veut travailler pour lui
trouve toujours de l'ouvrage en surabondance, Hanna
devait en faire l'expérience.
Il est vrai qu'elle ne s'y est pas prise
comme le font tant de jeunes filles d'aujourd'hui,
qui prétendent vouloir servir le Seigneur,
mais croient ne pouvoir le faire
qu'en s'en allant au loin entreprendre des choses
extraordinaires. Combien n'en voit-on pas qui
arrachent à leurs parents, alors qu'ils
auraient encore grand besoin d'elles, la permission
d'entrer dans une organisation chrétienne
qui absorbera toutes leurs forces. Dieu peut-il
voir de telles choses d'un oeil satisfait et
bienveillant ? J'en doute, pour ma part. Hanna
se sentait tenue de continuer à prendre soin
de sa mère. Du matin au soir sa place
était devant le métier à
tisser, et elle remplissait sa tâche avec une
grande assiduité. Mais quand venait le soir,
elle allait avec une amie de maison en maison,
visiter les malades. Et là, elle ne se
contentait pas de donner de bonnes paroles, mais
elle mettait la main à la pâte partout
où cela lui paraissait nécessaire.
Elle savait déjà, et elle
s'en est souvenue sa vie durant, qu'il ne suffit
pas de prêcher l'amour de Jésus, mais
qu'il faut le prouver par sa vie et qu'une parole
du Sauveur ne fait impression aux pauvres et aux
affligés que lorsqu'ils ont senti dans leur
misère quelque chose de cet amour. Elle
récurait donc les planchers, faisait les
lits et rendait à ceux qu'elle visitait tous
les services en son pouvoir. Elle ne pensait pas
que ce fût trop que de s'en aller au
crépuscule et jusque dans la nuit noire,
laver à la rivière
sa propre lessive et celle des autres gens.
N'est-ce pas parce qu'elle est restée dans
son travail pour Dieu une fille obéissante,
que sa vie a été en si grande
bénédiction à ceux qui
l'approchaient. Elle-même disait un
jour :
« Toute enfant, je me sentais
poussée à aider les autres et
à leur témoigner de l'affection.
Armée d'un seau, d'un balai et d'un torchon,
je me rendais dans les chaumières les plus
sales, je renvoyais les habitants hors de chez eux
et je mettais tout en ordre. Quand ils rentraient
et que, le visage rayonnant, quelques-uns d'entre
eux me disaient :
« Que tu es donc
bonne ! »
j'étais toute heureuse. Je
n'avais aucun repos que ma mère ne
m'eût donné de la soupe à
porter aux pauvres et aux malades. Le Seigneur
m'avait mis cet amour dans le coeur, sa grâce
prévenante agissait déjà en
moi ».
Elle fut une des premières
à entreprendre, dans notre vallée,
cette oeuvre des écoles du dimanche qui y
est maintenant si florissante. Elle désirait
gagner le coeur des gens pour pouvoir leur parler
de Jésus et les amener à lui, et elle
savait, en bonne observatrice qu'elle était,
que le chemin qui conduit au coeur des parents
passe, souvent, par les enfants. C'est pour cette
raison qu'elle s'occupait d'écoles du
dimanche.
Elle commença ce travail
dès l'année 1844, parce que le
Seigneur le lui avait mis sur la conscience. La
première école qu'elle fonda se
réunissait dans la chambre qu'elle habitait
à l'Arrenberg, comme jeune fille. Elle a
subsisté pendant bien des années,
jusqu'au moment où la Société
d'éducation se chargea des écoles du
dimanche et où elle fut réunie
à un autre groupe. Un jour qu'elle faisait
une promenade jusqu'à Kohlfurterbrücke,
un petit hameau situé au bord de la Wupper,
plus bas qu'Elberfeld, elle réunit autour
d'elle une bande d'enfants auxquels elle se mit
à raconter, de la façon la plus
captivante, des histoires de la vie du Sauveur.
Charmés et ravis, les enfants
écoutaient l'aimable jeune fille qui
était venue de la ville pour leur parler de
Jésus avec tant d'enthousiasme ; ils ne
se lassaient pas de l'entendre, mais il fallait
pourtant qu'elle se remît en route. En
prenant congé d'eux elle leur demanda s'ils
aimeraient qu'elle revînt chaque dimanche,
dans l'après-midi, pour leur raconter
l'histoire du Sauveur. Un
« oui » enthousiaste sort de
toutes les bouches à la fois et les visages
des enfants s'illuminent. Hanna tint parole. Elle
commença à réunir les enfants
en plein air, et avec quel bonheur ne les
faisait-elle pas chanter et ne leur apprenait-elle
pas à prier et à connaître leur
Sauveur ! Lorsque la saison avancée ne
permit plus de rester dehors, une famille amie
offrit joyeusement de recevoir chez elle Hanna et
ses enfants. C'est ainsi que prit naissance
l'école du dimanche du Greuel, près
de Cronenberg.
Elle n'a pas accompli seule tout ce
travail. Lorsqu'elle se trouva dans sa propre
demeure, à la Riemenstrasse, elle
rassemblait autour d'elle de jeunes commis, qui la
secondaient très heureusement dans son
travail. Les jeunes gens qui appartenaient à
la « Compagnie », comme ils
appelaient leur association, en ont reçu
beaucoup plus qu'ils ne lui ont donné.
Plusieurs d'entre eux ont été
déjà recueillis dans la gloire,
d'autres, en plus grand nombre, sont
dispersés ici et là ; tous ont
parlé ou parlent encore, avec joie et
reconnaissance, des jours bénis
passés sous la direction de tante Hanna.
Lorsqu'à la fin de la vie de la vaillante
femme, la « Compagnie » se
réunit encore une fois, pour
célébrer l'anniversaire de sa
fondation par une petite fête, on entendit de
touchants témoignages du bien que Dieu avait
fait aux uns et aux autres par son moyen.
Elle-même, peu de jours avant sa mort, disait
- prouvant ainsi que l'association formée
sur la terre l'avait été en vue de
l'éternité - :
« La compagnie devient
toujours plus petite ici-bas, mais elle se reforme
là-haut, toujours plus
nombreuse ».
Son oeuvre grandissait sans
cesse ;
elle était débordée. Les
malades qu'elle visitait, les pauvres qu'elle
devait secourir se multipliaient, mais en
même temps d'autres portes s'ouvraient devant
elle, et elle recevait des dons qu'elle distribuait
là où ils étaient le plus
nécessaires. De plus en plus ces
paroles : « Nous ne nous lassons
pas » devenaient la devise de sa
vie.
La profonde compassion qu'elle
éprouvait pour la misère et les
souffrances du peuple devait nécessairement
la conduire jusqu'à la prison, cette maison
où viennent échouer tant
d'êtres qui se sont laissés surmonter
par le mal. Elle avait trouvé moyen
d'obtenir, une fois pour toutes, la permission de
visiter les prisonniers. Là, en
présence des pécheurs les plus
endurcis, se manifesta le don qu'elle avait
reçu de savoir parler, au moment voulu, aux
âmes fatiguées et chargées.
Elle y rencontra, entre autres, une modiste qui
avait été poussée à la
banqueroute par la faute d'autrui et qui avait
été condamnée à la
prison. Elle se livrait dans sa cellule à
des accès de rage, criait, menaçait,
se répandait en imprécations contre
la méchanceté du genre humain; elle
était tellement révoltée que
personne ne pouvait arriver
à lui adresser une parole de consolation.
Tante Hanna n'eut pas plutôt entendu parler
d'elle, qu'elle manifesta l'intention d'aller la
voir. Le surveillant essaya de l'en dissuader en
l'assurant que cette personne se livrerait sur elle
à des voies de fait, si elle osait passer le
seuil de sa cellule.
Tante Hanna, loin de se laisser
intimider, répond tranquillement :
« J'entrerai avec mon Sauveur,
il saura bien me défendre. »
Elle entre, en effet, et la
prisonnière se met aussitôt à
blasphémer, de la façon la plus
épouvantable, Dieu et les hommes. Tante
Hanna, muette d'horreur, ne peut prononcer une
parole ; mais devant l'abîme d'amertume
et de colère que ce flot d'injures
révèle, elle se met à pleurer.
À la vue de ces larmes la prisonnière
tressaille ; personne encore n'a pleuré
pour elle. Peu à peu elle se calme et la
visiteuse peut se mettre à parler à
ce pauvre coeur outré, de l'amour du Sauveur
pour les pécheurs et du chemin par lequel on
parvient jusqu'à lui. La prisonnière
écoute, puis elle se met à parler
à son tour et à donner essor à
tout le ressentiment et à toute la rancune
amassés au dedans d'elle. Hanna sait bien
que rien ne saurait faire plus de bien à un
être aigri et révolté que de
s'épancher ainsi. Aussi
l'écoute-t-elle longtemps, puis
elle-même reprend la
parole ; elles causent, elles discutent. La
lutte entre la lumière et les
ténèbres fut chaude et dure, mais
Jésus remporta la victoire ; la
prisonnière finit par aller prendre sous la
paillasse de son lit une corde, qu'elle tendit
à Hanna en disant :
« Emportez-la ; je
voulais me pendre cette nuit même avec cette
corde, mais maintenant je n'en ai plus besoin.
Tante Hanna rencontra dans la prison une
autre jeune fille sur laquelle ses parents avaient
exercé dès son enfance une mauvaise
influence. Elle ne la perdit plus jamais de
vue ; elle la recueillit chez elle à sa
sortie de prison et lui trouva une place. Elle alla
la chercher un jour jusque dans une maison
malfamée et toujours, malgré ses
rechutes, elle la reprenait chez elle. Cette jeune
fille devint plus tard une honnête femme, qui
fut en bénédiction à son mari,
et qui sur son lit de mort déclara devant la
vieille tante Hanna, que sans l'amour fidèle
de cette amie maternelle, elle n'aurait jamais pu
être sauvée.
L'épidémie de petite
vérole, puis celle si violente de
choléra qui éclatèrent, l'une
après l'autre, dans la vallée furent
pour elle l'occasion d'une grande activité.
La dernière de ces maladies, si
redoutée à juste titre, éclata
d'abord à Vohwinkel et à Sonnborn,
deux faubourgs d'Elberfeld, puis atteignit bientôt
la ville
elle-même. C'était une époque
sérieuse durant laquelle l'ange de la mort
passait au travers des foules, n'épargnant
presque aucune maison. La petite pièce de
l'Arrenberg où se tenaient depuis longtemps
des réunions de prières, pouvait
à peine contenir tous les lits qui avaient
dû y être dressés. Comme les
gens sentaient alors le sérieux de
l'éternité ! Des hommes qui se
rendaient le matin à leur ouvrage
n'étaient plus, le soir, que des cadavres.
Hanna avait compris, dès le début de
l'épidémie, que son devoir
était de soigner les malades pauvres et de
leur annoncer la parole de vie. Elle
commença son oeuvre à Vohwinkel et
à Sonnborn, puis elle la poursuivit à
Elberfeld et là où les hommes
fuyaient et se dérobaient, elle restait,
fidèle à sa tâche. Aucun malade
ne lui paraissait trop répugnant, aucune
mansarde trop sordide, elle se dépensait
sans repos et sans trêve et le Seigneur la
soutenait puissamment. Elle veillait deux nuits de
suite, en dormait une et reprenait ses veilles.
Elle pouvait aussi, écrit un de ses amis,
manger durant ses heures de repos des rations
doubles ! Elle fut préservée
merveilleusement de la terrible maladie.
Un soir, cependant, il lui sembla
qu'elle allait la
prendre ;
elle se sentait mal, avait des frissons, et
présentait tous les symptômes du
choléra. Elle dut se coucher et se mit
à crier :
« Seigneur, tu ne peux
vraiment pas me prendre à toi maintenant,
mes pauvres malades ont tant besoin de
moi ! »
À ce moment, quelqu'un frappe
à sa porte ; on venait la chercher pour
la conduire auprès d'un homme gravement
atteint, qui la réclamait avec insistance.
Elle jette sur le Sauveur un regard plein de foi,
puis elle se lève et s'en va chez le malade,
auprès duquel elle passe la nuit sans avoir
un instant pour penser à ses propres maux.
La maladie avait été vaincue avant de
s'être déclarée dans toute sa
violence. Elle pouvait bien dire plus tard :
« J'ai soigné jour et
nuit des malades atteints du typhus, de la petite
vérole noire et du choléra, et j'en
ai été préservée. Une
fois, après ne pas m'être
déshabillée pendant trois semaines,
je suis montée à Cronenberg, je me
suis couchée et j'ai dormi tout d'un somme
pendant dix-huit heures, après quoi j'ai pu
redescendre à Elberfeld toute fraîche
et reposée. »
Ce fut une vie riche et heureuse que
celle d'Hanna, jusqu'à l'année 1853.
Elle travaillait joyeusement à son
métier à tisser, en chantant les louanges du
Seigneur, et
dans ses
heures libres elle allait vers ses pauvres et ses
malades tant aimés, pour leur faire du bien
matériellement et spirituellement. Mais
quiconque veut agir dans le royaume de Dieu doit
apprendre à souffrir. C'est par beaucoup
d'afflictions qu'il nous faut entrer dans le
royaume des cieux. C'est par l'école de
l'humiliation que les enfants du céleste
Maître arrivent à posséder un
coeur vraiment humble et
désintéressé.
L'école d'Hanna, ce fut la vie
conjugale. Ses souffrances, ses luttes et ses
larmes n'ont pas à être
dévoilées ici, mais Dieu les
connaît. Nous, ses amis, nous avons pu nous
réjouir des fruits magnifiques produits par
la croix que le mariage a été pour
elle. Nous n'en dirons que ce qui est
déjà de notoriété
publique. Hanna s'était engagée dans
cette voie avec le sentiment très net que
c'était celle que le Seigneur avait
préparée pour elle. Le pasteur Sander
crut également devoir l'y encourager.
« Je ne soupçonnais
pas, racontait-elle un jour elle-même, de
quelle croix je me chargeais en me mariant. Ma vie
ne fut plus un seul jour en sécurité,
et quand mon pauvre mari rentrait ivre à la
maison, il arrivait encore que j'entendisse les
gens dire.
« Cette Hanna Faust ferait
bien mieux de s'occuper de son pauvre mari que de
tant faire pour
d'autres. »
Le pasteur Sander me disait qu'aucune
loi humaine ou divine ne m'obligeait à
rester avec lui, mais mon mari savait bien quel
sacrifice je faisais pour lui et il me
répétait souvent d'une voix
touchante :
« Hanna, tu ne veux pourtant
pas me quitter ? »
N'y eut-il dans la décision prise
par tante Hanna aucun vestige de volonté
propre ? Nous ne trancherons pas cette
question. Sa mère était, au
début, opposée à ce mariage et
ne donna son consentement à Hanna que
lorsqu'elle la vit absolument décidée
à aller de l'avant. Or, selon nous,
l'obéissance envers les parents est une
condition indispensable à remplir pour
conclure une union sur laquelle repose la
bénédiction de Dieu. Hanna se serait
épargnée bien des amertumes si elle
n'avait pas fait ce mariage. Mais une fois
placée à la rude école qu'il
fut pour elle, elle s'y conduisit en
chrétienne authentique et fidèle.
Plusieurs de ses amis essayèrent vainement,
à plusieurs reprises, de la persuader de
rompre une union si mal assortie, mais à ses
yeux c'eût été s'enfuir loin de
l'école. Elle voulait porter sa croix
jusqu'à ce que Dieu la lui enlevât,
quand bien même elle aurait risqué, en
agissant ainsi, de mécontenter quelques
personnes amies.
C'était au commencement des
années 1850 que son cher pasteur Sander
arriva un jour chez elle en disant :
« Hanna il faut que tu te
maries ».
Chose étrange, elle avait vu peu
de temps auparavant, en rêve, un homme debout
au bord d'un abîme, et auquel elle tendait la
main pour le sauver. Quelques jours plus tard, son
ancien camarade d'école Wilhelm Faust venait
demander sa main et elle se fiançait avec
lui.
Ce que furent ces fiançailles,
à mesure qu'elle apprenait à mieux
connaître son fiancé, un détail
le fera comprendre. Elle suivait, par une chaude
journée d'été, un chemin sous
bois, chargée de paniers. Très
fatiguée, elle s'assied et s'endort. De
nouveau elle voit en rêve un abîme, sur
le bord duquel son fiancé est debout ;
il va y tomber, mais d'un bond elle est près
de lui et tend la main pour l'arracher au danger,
il est sauvé. Le Seigneur lui fit comprendre
de façon très nette la signification
de ce rêve, elle sentit qu'elle
n'était pas obligée de
l'épouser, mais que ce n'était qu'en
lui tendant la main pour la vie qu'elle pourrait
l'arracher à la perdition.
Wilhelm Faust était un homme
étrange, un esclave à bien des
égards, et plus particulièrement de
l'ivrognerie, à laquelle il succombait
à des époques
régulières. Le sentiment du
péché était pleinement
éveillé en lui, il était
convaincu que seul le Sauveur, venu pour que le
plus grand pécheur parvienne au salut,
pouvait lui aider à rompre ses liens, et
cependant il ne s'en libérait pas. Il est
juste d'ajouter que des causes physiques avaient
contribué à affaiblir sa
volonté. Dans les intervalles où il
ne buvait pas, c'était un homme aimable et
avenant. Quelle joie pour lui de recevoir chez eux,
de la façon la plus hospitalière, les
membres de la « Compagnie »,
qu'Hanna invitait à entrer, quand ils
revenaient avec elle de l'école du dimanche
ou des réunions d'étude biblique.
Elle le faisait pour qu'il trouvât dans leur
société un soutien ; une fois
qu'un de ces jeunes gens tomba gravement malade,
Wilhelm Faust le soigna avec le plus grand
dévouement, jusqu'à son
entière guérison.
C'est en 1853 que le mariage des
époux Faust fut béni par le pasteur
Sander. Dieu donnait au pauvre Faust une compagne
fidèle, qui ne devait jamais cesser de le
soutenir par ses prières. Il retombait sans
cesse dans son péché et chaque fois
qu'il se relevait, après une de ses chutes,
il s'accusait lui-même de la façon la
plus émouvante. Mais pendant ces mauvaises
crises Hanna souffrait horriblement. Il l'accablait
des
pires injures. Il semblait être
possédé par l'esprit du mal et il
disait lui-même, qu'il ne pouvait faire
autrement, dans ces moments-là, que de jurer
et de tempêter. Lorsqu'il revenait à
lui, il était inexprimablement reconnaissant
à sa femme de son support et il suppliait
aussi Dieu de lui pardonner. Il restait souvent
absent pendant plusieurs jours, qu'il passait dans
les cafés. Combien de fois des amis
n'ont-ils pas fait l'impossible pour le ramener
à la maison ! Et combien de nuits
blanches sa femme n'a-t-elle pas passées,
criant, dans son angoisse, au Seigneur,
jusqu'à ce qu'on lui rapportât son
mari. Une fois, entre autres, elle se sentit
poussée, vers trois heures du matin,
d'intercéder pour lui avec une ardeur toute
particulière. Peu après quelqu'un,
qui l'avait trouvé au moment où il
allait se jeter dans la Wupper, le lui ramenait.
Dieu avait entendu la prière de sa
fidèle servante et envoyé quelqu'un,
au dernier moment, pour empêcher le
malheureux d'exécuter son dessein.
Quel fardeau n'était-il pas
également pour sa pauvre femme, au point de
vue matériel. Quand il était à
l'auberge, il y était toujours
entouré d'une horde de bons amis, qu'il
traitait de la plus généreuse
façon, et c'était Hanna qui devait
ensuite se tourmenter pour pouvoir payer les
énormes dettes qu'il contractait dans ses
heures de folie. Mais elle a payé toutes les
traites qu'il avait signées, soit dans des
cafés, soit dans d'autres mauvais lieux. Il
se trouve malheureusement toujours et partout des
gens qui ont le courage de s'enrichir avec de
l'argent pareillement gagné. C'est à
cette époque que Hanna Faust abandonna le
métier à tisser, pour commencer le
commerce de café qu'elle a continué
jusqu'à la fin de sa vie.
Un médecin avait
déclaré que Wilhelm. Faust
était constitué de telle
façon, qu'il ne pouvait finir que par le
suicide ou la maison de fous. Mais Hanna ne se
lassa pas de prier, d'intercéder.
Jésus se montra le plus fort et quand son
mari mourut, en 1887, elle eut la joie de le voir
s'endormir dans la paix complète d'un
pécheur pardonné.
Dieu s'est servi de ces années de
mariage pour rendre notre amie
particulièrement propre au travail qu'Il lui
réservait. Elle a pu jeter, pendant ce laps
de temps, un regard dans des profondeurs de
péché dont elle n'avait aucune
idée auparavant ; mais elle a pu aussi
- ce qui était encore plus important son
oeuvre - faire une expérience toute spéciale de la
grâce de son Sauveur, dont elle a
dépendu entièrement pendant qu'elle
cheminait sur ce chemin bordé
d'épines. Elle avait appris aussi à
comprendre ce qui se passait dans une foule de
ménages et à sympathiser, de toute la
force de son coeur compatissant, avec ceux auxquels
le péché cause des souffrances sans
nom. Elle disait elle-même, au cours de la
trente-et-unième année de son
mariage :
« Vous demandez pourquoi le
Seigneur m'a fait passer par cette route
obscure ? »
Comme femme mariée, je pouvais
pénétrer dans les quartiers les plus
mal famés ; là où ni les
pasteurs ni la police n'auraient osé
s'aventurer, je pouvais aller. Mon mari ne m'a
jamais empêchée ou gênée
dans mon activité, et pourtant voici
trente-et-un ans que nous vivons ensemble. Pendant
ce temps, le Seigneur a été tout pour
moi. je suis heureuse et ne voudrais changer mon
sort contre celui de personne. Il y a quelques
jours un riche fabricant me dit, en me
rencontrant :
« Madame Faust, comme vous
avez l'air heureux ! »
« Il ne tient qu'à vous
de devenir aussi heureux que moi », lui
ai-je répondu, après quoi j'ai pu lui
dire que notre coeur ne trouve le bonheur et la
paix qu'auprès de
Jésus ».
N'est-il pas étrange, - et
n'est-ce pas cependant une
vérité très ancienne, - que
les perles soient formées dans l'eau
amère, que le Seigneur fasse trouver aux
siens la joie dans la souffrance et que les yeux
gais et brillants de tante Hanna aient
été le produit des larmes
amères, répandues pendant sa vie
conjugale ?
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