Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

INTRODUCTION

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Hanna Faust ? Qui était-elle donc ? Il n'est point nécessaire de poser cette question dans les cercles chrétiens des deux villes soeurs d'Elberfeld-Barmen et même dans ceux d'un rayon beaucoup plus étendu. Hanna a été pendant plus de cinquante ans une personnalité en vue, parmi les riches aussi bien que parmi les petites gens. Rares sont les personnes dont on peut dire ce que Jésus disait de Marie : « Elle a fait ce qu'elle a pu ! » Mais tous ceux qui ont connu Hanna Faust pourraient affirmer qu'elle faisait partie de cette petite phalange. Elle avait trouvé le Sauveur dès son enfance et elle l'a servi durant toute sa vie sans partage, dans l'humilité et souvent dans les larmes. Le prédicateur Schrenk l'a appelée, un jour, « la grande puissance d'Elberfeld. » Oui, c'est bien là ce qu'elle était, la chère tante Hanna ! Grande dans sa vie intérieure, grande surtout dans la pratique de la charité qui sert et qui se donne. Ce n'était pas l'amour de l'humanité qui était la source de son activité, mais l'amour des âmes perdues, qu'elle voulait amener à Jésus. Aussi le but qu'elle ne perdait jamais de vue dans son travail était-il de sauver les âmes et de glorifier le nom de Christ. »

Ces paroles sont empruntées à un article publié, peu après la mort d'Hanna Faust, dans un journal évangélique. Elles expriment exactement ce que beaucoup de personnes éprouvèrent à la nouvelle de sa mort. Vraiment, celle dont les pages qui suivent doivent raconter la vie, a été grande dans le royaume de Dieu.




I

Le pays natal.

Le Wuppertal aujourd'hui et en 1840. Un produit authentique du pays de Berg.
« Notre tante Hanna », qui est entrée dans la gloire le 16 décembre 1903, était une personnalité absolument originale, formée dune manière toute spéciale par l'esprit de Christ. Nous ne pouvons pas parler d'elle sans faire mention du pays dont elle a porté l'empreinte fidèle - de ce Wuppertal qui forme le centre spirituel du pays de Berg.

Ce fut à tous les points de vue une époque d'épanouissement pour le Wuppertal, que celle où eurent lieu la conversion d'Hanna Faust, et les débuts de son activité ; on se sent saisi d'une certaine mélancolie, quand on se reporte par la pensée vers ces jours du second tiers du siècle passé. Elberfeld est dès lors devenue grande ville. Ceux qui se promènent, de quel côté que ce soit, sur les collines boisées qui l'entourent s'arrêtent, étonnés et surpris, à la vue du tableau qui se déroule tout à coup devant eux, au centre de la gracieuse vallée de la Wupper : du milieu d'une énorme agglomération de maisons s'élèvent une forêt de hautes cheminées, beaucoup d'églises, un imposant Hôtel de Ville de construction récente, autant de témoins des progrès qu'une activité haletante a fait réaliser dans un temps fort court, à une ville dont les commencements furent des plus humbles.
Mais bien des choses que nos pères considéraient comme sacrées se sont perdues, au cours de ce rapide développement ! La vie publique est divisée par les luttes des partis politiques, - les contrastes sociaux se sont accentués d'une façon qui paraît presque irrémédiable ; à côté de l'élégance de la grande ville a surgi la misère des grandes villes. Les différentes congrégations du Wuppertal, qui exerçaient autrefois une certaine influence dirigeante sur l'ensemble de l'Eglise, ont perdu ce rôle directeur. Et quand bien même nos paroisses comptent encore un grand nombre de personnes sincèrement croyantes, l'observateur pénétrant ne peut se dissimuler le fait que les gens cultivés sont devenus en grande partie étrangers à la vie de l'Eglise, tandis que la masse du peuple est, dans sa majorité, tombée au pouvoir de la démocratie sociale antireligieuse. Nos cercles chrétiens sont infiniment divisés et fractionnés ; le christianisme biblique simple et sobre qui était celui de nos pères n'est plus apprécié ; des influences du dehors, fanatiques et malsaines se font sentir de maintes façons, et livrent les coeurs sans défense à tout nouveau vent de doctrine. Certes, Dieu accomplit encore de nos jours une oeuvre au milieu de nous, mais ce que nous voyons nous fait cependant comprendre que sous beaucoup de rapports, notre vallée traverse un temps de décadence.

Ce second tiers du 19e siècle, par contre, ressemblait à un vrai printemps. Elberfeld était alors. une ville de moyenne grandeur. L'activité des habitants de la vallée était connue au près et au loin, l'industrie fleurissait, et les germes d'un développement toujours plus puissant se faisaient sentir dans toute la population. Mais les questions économiques ou politiques ne se plaçaient pas encore au premier plan, - les intérêts de l'Eglise dominaient tous les autres. La paroisse luthérienne vivait, par la grâce de Dieu, d'une vie tout particulièrement bénie ; l'esprit de Dieu agissait parmi ses membres, il saisissait les coeurs et s'en emparait. Le nom du pasteur Sander, un homme qui a été en grande bénédiction à notre congrégation, se rattache très spécialement à ce mouvement. Sander n'était pas seulement un homme des mieux doués pour la lutte contre la superstition et l'incrédulité, mais encore un prédicateur qui entraînait ses auditeurs par la puissance de ses convictions. Il se tenait avec une inébranlable fidélité sur le terrain de l'intégralité de la Parole de Dieu, dans le trésor de laquelle il puisait avec une ardeur et une assiduité particulières. Ses prédications étaient des témoignages, aussi produisaient-elles de grands effets et y avait-il, toujours, à cette époque, dans notre ville des mouvements de réveil. Cependant ce n'étaient pas seulement les prédicateurs qui annonçaient l'Évangile avec des dons divers et dans un même esprit. La vallée qui a produit des personnalités telles qu'un Diederich, un Philippe Rhode, a toujours vu, réunis sans bruit dans les maisons autour de la parole de Dieu, de petits groupes de personnes, pour lesquelles la chose la plus importante était de travailler à l'extension du règne de Dieu et de gagner des âmes à Christ.

C'est là le milieu d'où Hanna Faust est issue et auquel elle est restée fidèle jusqu'à sa fin. Elle n'a jamais renié ses origines, - la langue qui lui a toujours été la plus familière était le patois du pays de Berg - le Plattdeutsch - ; elle avait la compréhension vive et le sens pratique propres à sa race. Elle était humble dans ses relations avec les autres, mais d'une rare franchise, vis-à-vis des riches aussi bien que des pauvres. Elle possédait d'ailleurs le don de dire, même dans les situations les plus difficiles, le mot juste, sans faire de phrases, et c'était là ce qui la rendait si chère à tant de gens. Ce que le Seigneur a opéré en elle est, cependant, bien plus grand et bien plus magnifique encore. C'est Lui qui a sanctifié ses dons et ses qualités naturels, pour faire d'elle un instrument digne de Le servir.

Nous voudrions raconter ici un peu de ce qu'a fait notre Tante Hanna, pour honorer sa mémoire et plus encore pour la gloire de notre bien-aimé Seigneur et Sauveur « Glorifier Jésus ! » C'était la devise de sa vie, - que ce soit aussi celle de ce petit livre.




II

Jours de Jeunesse.

Parents et frères et soeurs. La maison de l'Arrenberg. Hanna soutien de famille. Le grand changement. « Je veux t'employer sur la terre ». À la fabrique. Hanna est sauvée et peut sauver à son tour.

Johanne Wilhelmine Kepler - tel est le nom de fille de notre amie - est née le 28 septembre 1825. Elle était fille de Johannes Kepler et de sa femme Gertrude, née Fischbach. Ils avaient encore trois autres enfants, un fils nommé Frédéric et deux filles « Mina » et « Drudchen ». Ces deux soeurs atteignirent un âge très avancé. Frédéric était un chrétien au coeur profond et croyant, Hanna, qui était particulièrement liée avec lui, l'a vu de bonne heure s'en aller auprès de son Sauveur. Il mourut en 1856.

Les parents d'Hanna habitaient l'Arrenberg, un quartier situé au sud-est d'Elberfeld. Il ne ressemblait guère alors à ce qu'il est aujourd'hui. L'Arrenberg était presque un petit village bâti, au pied du Kiesberg, et formait, comme toute notre banlieue, une petite localité à part, ayant sa population bien caractérisée. Les parents d'Hanna étaient de simples ouvriers et la gêne régnait presque constamment à leur foyer. Tante Hanna racontait avec quelle sévérité son père l'avait élevée. Elle avait dû apprendre de bonne heure à se contenter de peu et jusqu'à la fin de sa vie elle a pratiqué cette vertu d'une façon grandiose. Elle aurait pu se faire une existence plus confortable, mais elle est restée simple et n'a jamais eu de prétentions : on le lui avait ainsi enseigné dans la maison paternelle. Elle y avait appris également, grâce à ses propres expériences, à sympathiser avec la pauvreté. Nous n'avons pas lieu de croire que le christianisme de ses parents ait eu un caractère très vivant et accusé, mais ils étaient honnêtes et pieux, et bien qu'ils eussent souvent de la peine à faire face à leur situation, Hanna avait appris d'eux, dès son enfance, à pratiquer le devoir qui consiste à faire une part à d'autres dans ce qu'on possède et à mettre quelque chose de côté pour l'avancement du règne de Dieu.
C'est ainsi que ce très petit et pauvre ménage prélevait toujours sur ses maigres revenus une part fixe, qu'on déposait dans une boîte dont le contenu était destiné à l'oeuvre des missions.

Hanna avait neuf ans quand son père mourut ; des temps bien difficiles commencèrent alors pour sa mère. C'était une lourde tâche que celle de gagner le pain quotidien pour elle-même et pour ses quatre enfants en bas âge. La petite Hanna ne s'en effraya pas ; elle prétendait être bientôt une aide pour sa mère. Elle suivait l'école avec beaucoup de zèle et y faisait provision de belles histoires bibliques, de versets de la Bible et de cantiques ; elle n'y apprenait pas grand'chose à côté de cela, mais elle ne tenait pas à devenir une savante. Quand elle eut atteint douze ans, elle vint dire à l'instituteur :

« Je veux maintenant sortir de l'école, il faut que j'aide à ma mère en gagnant quelque chose ».
« Comment t'y prendrais-tu ? Tu ne sais rien du tout ».
« Oh ! Monsieur le maître, je sais écrire mon nom, cela me suffira bien pour faire mon chemin dans ce monde ».
« Mais tes petites mains ne sont pas capables de travailler, Hanna ».
« Si, si, je trouverai bien quelque chose à faire ». Et en effet, elle se mit en quête d'ouvrage et elle en trouva dans une fabrique de soieries où la petitesse de ses mains lui fut fort utile. C'est ainsi qu'elle apprit de bonne heure, comme beaucoup de jeunes filles d'Elberfeld, à connaître le sérieux de la vie et à aider sa famille en devenant ouvrière de fabrique.

Elle suivit l'instruction religieuse du pasteur Sander. Ce furent pour elle des heures bénies et inoubliables et elle resta toujours en rapports suivis avec le pasteur auquel elle les devait. Il fut l'instrument de sa conversion et elle ne cessa jamais de trouver auprès de lui les conseils et le secours dont elle avait besoin. Ce fut pour elle un grand chagrin que de voir cet homme aimé et vénéré quitter le Wuppertal en 1854, pour répondre à un appel du séminaire évangélique de Wittenberg. Elle avait déjà été réveillée pendant son instruction religieuse, mais sans arriver à une consécration et à une conversion entières. Elle racontait elle-même, plus tard, qu'elle avait été après sa confirmation particulièrement avide de plaisirs. Elle gagnait les coeurs par son humeur gaie et par son entrain, et partout où il y avait une fête, Hanna Kessler était certaine d'être la bienvenue. Mais quelque inconsidérée qu'elle fût souvent, Dieu dans sa bonté la préserva toujours de fautes graves.

Ce fut quatre ans après sa confirmation que se produisit dans sa vie le grand changement, qui fit d'une joyeuse enfant de ce monde une enfant de Dieu, plus heureuse encore. Ce fut une transformation si complète, qu'elle mit dès lors tout son plaisir à servir « son Jésus », et qu'elle l'aima d'un amour aussi ardent que profond. Nous ne pouvons dire ici comment s'opéra en elle cette conversion entière, mais elle a répété souvent que l'impulsion qui l'avait amenée à se donner à son Sauveur lui avait été communiquée par le fidèle pasteur Sander, auquel elle est restée reconnaissante sa vie durant,

C'est à cette époque que se place une maladie très grave, dont elle guérit contre toute attente. Nous lui laissons la parole :
« Je fus malade à la mort et le Seigneur me fit la grâce, non seulement d'éprouver une grande joie à la pensée de m'en aller auprès de Lui, mais encore de pouvoir - Lui rendre témoignage devant mon entourage. Un jour, mon père spirituel, le pasteur Sander, entre dans ma chambre en disant :
« Hanna, il te reste une longue route à parcourir, le Seigneur veut t'employer encore ».
Je savais qu'il disait vrai, car il m'était arrivé durant la nuit une chose étrange, que le pasteur Sander ignorait naturellement. J'étais étendue sur mon lit et me sentais si faible que je priais Dieu de me donner une fin paisible. Tout à coup, je me rappelai la parabole des talents et j'entendis clairement le Seigneur me dire :
« Je veux t'employer encore sur la terre ! »
J'eus à subir un rude combat avant d'arriver à accepter cette dispensation, mais je pus dire :
« Seigneur, si tu veux m'employer encore, donne-moi de pouvoir te servir auprès des âmes retenues loin de toi, auprès des plus perdues. »

Comme la vie d'Hanna s'est dès lors trouvée transformée ! Elle était encore plus joyeuse qu'auparavant, elle chantait toujours et d'une voix plus éclatante que jamais. Mais les gaies sociétés mondaines durent renoncer à la voir paraître dans leurs rangs et elle n'entonnait plus les chansons d'autrefois. Elle avait mieux à faire ; elle était si certaine d'avoir trouvé sa véritable voie, qu'elle s'inquiétait peu des critiques et des reproches que lui valait son attitude nouvelle. Sa brave mère elle-même trouvait qu'elle abusait un peu des cantiques et lui disait, de temps à autres, quand elle traversait la chambre en chantant à pleine voix :

« Mais tais-toi donc enfin ! »
« Pourquoi donc, mère ? »
« Les gens t'entendent jusque sur la rue, Hanna, et tu verras que tu te feras des ennemis, ainsi qu'à moi, avec tous tes cantiques. »
Hanna répondait, toute étonnée :
« N'est-ce pas une bonne chose que les gens entendent ces beaux cantiques qui parlent de Jésus ? »
La mère ne savait plus que répliquer et Hanna continuait à chanter.

Elle ne cachait, d'ailleurs, point ce qui s'était passé dans son coeur et disait, à qui voulait l'entendre que Jésus l'aimait et qu'elle avait trouvé la paix dans cet amour ; elle ne le disait pas d'une manière indiscrète, mais par ce qu'elle s'y sentait poussée par l'amour brûlant que Jésus avait allumé en elle.
On se figure sans peine que le mépris et les moqueries ne lui étaient pas épargnés à la fabrique, mais elle les subissait volontiers, n'était-elle pas assurée de posséder la grâce ? Déjà alors sa vie de prière était très intense, elle s'était habituée à parler au Seigneur de toutes les choses, grandes et petites qui la préoccupaient.

Elle n'a jamais regretté plus tard d'avoir dû gagner sa vie en allant à la fabrique. Elle a beaucoup travaillé parmi les jeunes ouvrières et il lui était précieux de connaître par expérience les dangers, les difficultés spéciales, et les tentations diverses auxquels elles sont exposées. Elle considérait comme une preuve de la protection divine d'avoir pu rester pure, mais elle avait su aussi, à l'occasion, se défendre d'énergique façon. Nous n'en citerons ici qu'un seul exemple qui pourra être utile à d'autres ouvrières. Un jour qu'elle se trouvait à l'ouvrage, à la fabrique, le contre-maître qui avait depuis longtemps jeté les yeux sur elle, mais n'avait pas encore pu l'approcher, croyant l'heure favorable venue, se glisse derrière elle, la prend dans ses bras et cherche à l'embrasser tendrement. Mais Hanna n'est pas empruntée, elle se retourne et applique un vigoureux soufflet sur la joue de son amoureux qui s'éloigne, tout honteux et déconfit, sans prononcer une parole.
Naturellement, se dit Hanna, je vais devoir m'en aller d'ici, le contre-maître ne me donnera plus d'ouvrage.

Elle pense déjà avec angoisse à l'avenir, car son gain est nécessaire à sa famille. Mais elle se rappelle qu'elle peut raconter cela aussi à son Dieu. Elle le fait avec une confiance parfaite et Dieu entend sa prière. Non seulement le contre-maître est complètement guéri de son caprice, mais Hanna s'est encore acquis son respect à un tel degré, qu'il se préoccupe dorénavant de ne lui donner que de l'ouvrage agréable et bien payé. Elle apprend ainsi, dès les premiers temps qui suivirent sa conversion, que « la prière peut délivrer de toutes les détresses ».

Une autre fois le Seigneur la secourut d'une façon remarquable, dans un danger auquel elle s'était exposée pour l'amour de son nom.

Nous avons dit déjà que dans sa joie débordante elle ne se gênait nullement de parler de Lui et d'inviter chacun à venir à Celui auprès duquel elle se sentait si heureuse. Un soir qu'elle traversait la rue, sans prévoir aucun danger, elle voit venir trois gars qui étaient fort irrités contre elle, depuis qu'elle n'apportait plus à leurs fêtes l'appoint de sa folle gaîté. Aussitôt elle se dit :
« Ils cachent des bâtons derrière leur dos et ils vont m'attaquer. » Que faire ?
Elle eut recours au moyen dont elle avait déjà si souvent fait l'expérience. Elle cria du fond de son coeur :
« Seigneur, fais donc comprendre à ces garçons combien il fait bon pour moi près de toi. »
En réponse à ce cri, le Seigneur lui donna le courage de s'avancer vers les trois compagnons, en disant :
« Bonsoir, les gars ! »
« Bonsoir Hanna ! » répondent-ils. Elle leur tend à chacun la main tout simplement, ce qui les oblige à faire passer leurs gourdins de la main droite dans la gauche. Ils cheminaient maintenant avec elle dans la direction de sa demeure et Hanna s'était mise à exhorter ces trois ennemis de Jésus, à leur raconter tout le bonheur qu'elle avait trouvé en Lui et à les supplier de venir aussi à ce Sauveur fidèle. Arrivée devant chez elle, Hanna leur dit encore cordialement bonsoir, ce qui nécessite un nouveau voyage des gourdins d'une main dans l'autre. Mais à peine Hanna était elle entrée dans la chambre commune, que la colère s'emparait des trois compères, honteux de n'avoir pas réussi à administrer « une roulée » à cette « mômière ».

Au bout d'un instant une pierre, suivie de plusieurs autres, volaient dans la chambre. Effrayées, les femmes éteignaient leurs lampes et gagnaient leurs lits en se glissant le long des murs. Dehors les assaillants criaient et vociféraient :
« Il faut qu'Hanna descende ».

Dans la chambre la mère gémissait, épouvantée, seule Hanna s'était ressaisie ; elle chantait, puis elle répétait :
« Ne pourrais-tu pas encore les prendre les trois, Seigneur ? »
Enfin le silence se rétablit, l'orage se dissipe et les femmes peuvent se livrer au sommeil. Mais une heure ne s'est pas écoulée qu'on frappe violemment à la porte de la maison.
« Qu'y a-t-il ? » demande Hanna, et quelqu'un répond d'en bas, d'une voix qui trahit une violente émotion :
« Hanna, Hanna, viens vite, Karl va mourir et il te demande avec insistance. »
Effrayée, Hanna murmure :
« Karl ? n'est-ce pas un de ces trois garçons ? »
Mais elle n'hésite pas une minute sur ce qu'elle a à faire. Elle s'habille en toute hâte et suit son guide jusqu'au café le plus proche. Là, elle trouve, étendu sur une gerbe de paille, le pauvre Karl, dans un état affreux ; il a été blessé par des coups de couteaux, et il a perdu tant de sang qu'il est près de rendre le dernier soupir. D'une voix faible il supplie Hanna de lui pardonner d'avoir eu l'intention de la frapper. Puis il parle avec une terreur poignante de ses péchés, il implore la pitié de Dieu. Agenouillée près du pauvre blessé, Hanna lutte avec Dieu pour l'âme de ce malheureux, puis elle lui expose avec force la vérité évangélique. Le combat fut rude, mais Karl s'endormit dans la grâce comme le brigand sur la croix. Ses deux compagnons, qui cherchèrent aussi plus tard le Seigneur, ont raconté eux-mêmes ce qui s'était passé après qu'Hanna les eût quittés. Ils avaient commencé par se reprocher mutuellement de ne pas lui être « tombé dessus », puis ils avaient donné essor à leur colère en lui jetant des pierres, après quoi ils s'étaient rendus au café où ils avaient bu coup sur coup. Les têtes s'étaient échauffées, des paroles toujours plus violentes avaient été échangées, enfin ils avaient tiré leurs couteaux et l'un d'entre eux était resté sur la place, victime de leurs mauvaises passions.

Nous ne saurions nous étonner de ce que des preuves pareilles de la grâce de son Sauveur aient attiré Hanna à lui toujours davantage, et aient rendu sa communion avec lui toujours plus intime.

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