Hanna Faust ? Qui était-elle donc ? Il n'est point
nécessaire de poser cette question dans les cercles chrétiens des deux
villes soeurs d'Elberfeld-Barmen et même dans ceux d'un rayon beaucoup
plus étendu. Hanna a été pendant plus de cinquante ans une
personnalité en vue, parmi les riches aussi bien que parmi les petites
gens. Rares sont les personnes dont on peut dire ce que Jésus disait
de Marie : « Elle a fait ce qu'elle a pu ! » Mais
tous ceux qui ont connu Hanna Faust pourraient affirmer qu'elle
faisait partie de cette petite phalange. Elle avait trouvé le Sauveur
dès son enfance et elle l'a servi durant toute sa vie sans partage,
dans l'humilité et souvent dans les larmes. Le prédicateur Schrenk l'a
appelée, un jour, « la grande puissance d'Elberfeld. » Oui,
c'est bien là ce qu'elle était, la chère tante
Hanna ! Grande dans sa vie intérieure, grande surtout dans la
pratique de la charité qui sert et qui se donne. Ce n'était pas
l'amour de l'humanité qui était la source de son activité, mais
l'amour des âmes perdues, qu'elle voulait amener à Jésus. Aussi le but
qu'elle ne perdait jamais de vue dans son travail était-il de sauver
les âmes et de glorifier le nom de Christ. »
Ces paroles sont empruntées à un article publié, peu
après la mort d'Hanna Faust, dans un journal évangélique. Elles
expriment exactement ce que beaucoup de personnes éprouvèrent à la
nouvelle de sa mort. Vraiment, celle dont les pages qui suivent
doivent raconter la vie, a été grande dans le royaume de Dieu.
Le Wuppertal aujourd'hui et en 1840. Un produit authentique du pays
de Berg.
« Notre tante Hanna », qui est entrée dans la
gloire le 16 décembre 1903, était une personnalité absolument
originale, formée dune manière toute spéciale par l'esprit de Christ.
Nous ne pouvons pas parler d'elle sans faire mention du pays dont elle
a porté l'empreinte fidèle - de ce Wuppertal qui forme le centre
spirituel du pays de Berg.
Ce fut à tous les points de vue une époque
d'épanouissement pour le Wuppertal, que celle où eurent lieu la
conversion d'Hanna Faust, et les débuts de son activité ; on se
sent saisi d'une certaine mélancolie, quand on se
reporte par la pensée vers ces jours du second tiers du siècle passé.
Elberfeld est dès lors devenue grande ville. Ceux qui se promènent, de
quel côté que ce soit, sur les collines boisées qui l'entourent
s'arrêtent, étonnés et surpris, à la vue du tableau qui se déroule
tout à coup devant eux, au centre de la gracieuse vallée de la
Wupper : du milieu d'une énorme agglomération de maisons
s'élèvent une forêt de hautes cheminées, beaucoup d'églises, un
imposant Hôtel de Ville de construction récente, autant de témoins des
progrès qu'une activité haletante a fait réaliser dans un temps fort
court, à une ville dont les commencements furent des plus humbles.
Mais bien des choses que nos pères considéraient comme
sacrées se sont perdues, au cours de ce rapide développement ! La
vie publique est divisée par les luttes des partis politiques, - les
contrastes sociaux se sont accentués d'une façon qui paraît presque
irrémédiable ; à côté de l'élégance de la grande ville a surgi la
misère des grandes villes. Les différentes congrégations du Wuppertal,
qui exerçaient autrefois une certaine influence dirigeante sur
l'ensemble de l'Eglise, ont perdu ce rôle directeur. Et quand bien
même nos paroisses comptent encore un grand nombre de personnes
sincèrement croyantes, l'observateur pénétrant ne
peut se dissimuler le fait que les gens cultivés sont devenus en
grande partie étrangers à la vie de l'Eglise, tandis que la masse du
peuple est, dans sa majorité, tombée au pouvoir de la démocratie
sociale antireligieuse. Nos cercles chrétiens sont infiniment divisés
et fractionnés ; le christianisme biblique simple et sobre qui
était celui de nos pères n'est plus apprécié ; des influences du
dehors, fanatiques et malsaines se font sentir de maintes façons, et
livrent les coeurs sans défense à tout nouveau vent de doctrine.
Certes, Dieu accomplit encore de nos jours une oeuvre au milieu de
nous, mais ce que nous voyons nous fait cependant comprendre que sous
beaucoup de rapports, notre vallée traverse un temps de décadence.
Ce second tiers du 19e siècle, par contre, ressemblait à
un vrai printemps. Elberfeld était alors. une ville de moyenne
grandeur. L'activité des habitants de la vallée était connue au près
et au loin, l'industrie fleurissait, et les germes d'un développement
toujours plus puissant se faisaient sentir dans toute la population.
Mais les questions économiques ou politiques ne se plaçaient pas
encore au premier plan, - les intérêts de l'Eglise dominaient tous les
autres. La paroisse luthérienne vivait, par la
grâce de Dieu, d'une vie tout particulièrement bénie ; l'esprit
de Dieu agissait parmi ses membres, il saisissait les coeurs et s'en
emparait. Le nom du pasteur Sander, un homme qui a été en grande
bénédiction à notre congrégation, se rattache très spécialement à ce
mouvement. Sander n'était pas seulement un homme des mieux doués pour
la lutte contre la superstition et l'incrédulité, mais encore un
prédicateur qui entraînait ses auditeurs par la puissance de ses
convictions. Il se tenait avec une inébranlable fidélité sur le
terrain de l'intégralité de la Parole de Dieu, dans le trésor de
laquelle il puisait avec une ardeur et une assiduité particulières.
Ses prédications étaient des témoignages, aussi produisaient-elles de
grands effets et y avait-il, toujours, à cette époque, dans notre
ville des mouvements de réveil. Cependant ce n'étaient pas seulement
les prédicateurs qui annonçaient l'Évangile avec des dons divers et
dans un même esprit. La vallée qui a produit des personnalités telles
qu'un Diederich, un Philippe Rhode, a toujours vu, réunis sans bruit
dans les maisons autour de la parole de Dieu, de petits groupes de
personnes, pour lesquelles la chose la plus importante était de
travailler à l'extension du règne de Dieu et de gagner des âmes à
Christ.
C'est là le milieu d'où Hanna Faust est issue et auquel
elle est restée fidèle jusqu'à sa fin. Elle n'a jamais renié ses
origines, - la langue qui lui a toujours été la plus familière était
le patois du pays de Berg - le Plattdeutsch - ; elle avait la
compréhension vive et le sens pratique propres à sa race. Elle était
humble dans ses relations avec les autres, mais d'une rare franchise,
vis-à-vis des riches aussi bien que des pauvres. Elle possédait
d'ailleurs le don de dire, même dans les situations les plus
difficiles, le mot juste, sans faire de phrases, et c'était là ce qui
la rendait si chère à tant de gens. Ce que le Seigneur a opéré en elle
est, cependant, bien plus grand et bien plus magnifique encore. C'est
Lui qui a sanctifié ses dons et ses qualités naturels, pour faire
d'elle un instrument digne de Le servir.
Nous voudrions raconter ici un peu de ce qu'a fait notre
Tante Hanna, pour honorer sa mémoire et plus encore pour la gloire de
notre bien-aimé Seigneur et Sauveur « Glorifier
Jésus ! » C'était la devise de sa vie, - que ce soit aussi
celle de ce petit livre.
Parents et frères et soeurs. La maison de l'Arrenberg. Hanna
soutien de famille. Le grand changement. « Je veux t'employer
sur la terre ». À la fabrique. Hanna est sauvée et peut sauver
à son tour.
Johanne Wilhelmine Kepler - tel est le nom de fille de
notre amie - est née le 28 septembre 1825. Elle était fille de
Johannes Kepler et de sa femme Gertrude, née Fischbach. Ils avaient
encore trois autres enfants, un fils nommé Frédéric et deux filles
« Mina » et « Drudchen ». Ces deux soeurs
atteignirent un âge très avancé. Frédéric était un chrétien au coeur
profond et croyant, Hanna, qui était particulièrement liée avec lui,
l'a vu de bonne heure s'en aller auprès de son Sauveur. Il mourut en
1856.
Les parents d'Hanna habitaient l'Arrenberg, un quartier
situé au sud-est d'Elberfeld. Il ne ressemblait guère alors à ce qu'il
est aujourd'hui. L'Arrenberg était presque un petit village bâti, au
pied du Kiesberg, et formait, comme toute notre banlieue, une petite
localité à part, ayant sa population bien caractérisée. Les parents
d'Hanna étaient de simples ouvriers et la gêne régnait presque
constamment à leur foyer. Tante Hanna racontait avec quelle sévérité
son père l'avait élevée. Elle avait dû apprendre de bonne heure à se
contenter de peu et jusqu'à la fin de sa vie elle a pratiqué cette
vertu d'une façon grandiose. Elle aurait pu se faire une existence
plus confortable, mais elle est restée simple et n'a jamais eu de
prétentions : on le lui avait ainsi enseigné dans la maison
paternelle. Elle y avait appris également, grâce à ses propres
expériences, à sympathiser avec la pauvreté. Nous n'avons pas lieu de
croire que le christianisme de ses parents ait eu un caractère très
vivant et accusé, mais ils étaient honnêtes et pieux, et bien qu'ils
eussent souvent de la peine à faire face à leur situation, Hanna avait
appris d'eux, dès son enfance, à pratiquer le devoir qui consiste à
faire une part à d'autres dans ce qu'on possède et à mettre quelque
chose de côté pour l'avancement du règne de Dieu.
C'est ainsi que ce très petit et pauvre ménage prélevait
toujours sur ses maigres revenus une part fixe, qu'on déposait dans
une boîte dont le contenu était destiné à l'oeuvre des missions.
Hanna avait neuf ans quand son père mourut ; des
temps bien difficiles commencèrent alors pour sa mère. C'était une
lourde tâche que celle de gagner le pain quotidien pour elle-même et
pour ses quatre enfants en bas âge. La petite Hanna ne s'en effraya
pas ; elle prétendait être bientôt une aide pour sa mère. Elle
suivait l'école avec beaucoup de zèle et y faisait provision de belles
histoires bibliques, de versets de la Bible et de cantiques ;
elle n'y apprenait pas grand'chose à côté de cela, mais elle ne tenait
pas à devenir une savante. Quand elle eut atteint douze ans, elle vint
dire à l'instituteur :
« Je veux maintenant sortir de l'école, il faut que
j'aide à ma mère en gagnant quelque chose ».
« Comment t'y prendrais-tu ? Tu ne sais rien du
tout ».
« Oh ! Monsieur le maître, je sais écrire mon
nom, cela me suffira bien pour faire mon chemin dans ce monde ».
« Mais tes petites mains ne sont pas capables de
travailler, Hanna ».
« Si, si, je trouverai bien quelque chose à
faire ». Et en effet, elle se mit en quête d'ouvrage et elle en
trouva dans une fabrique de soieries où la petitesse de ses mains lui
fut fort utile. C'est ainsi qu'elle apprit de bonne heure, comme
beaucoup de jeunes filles d'Elberfeld, à connaître le sérieux de la
vie et à aider sa famille en devenant ouvrière de fabrique.
Elle suivit l'instruction religieuse du pasteur Sander.
Ce furent pour elle des heures bénies et inoubliables et elle resta
toujours en rapports suivis avec le pasteur auquel elle les devait. Il
fut l'instrument de sa conversion et elle ne cessa jamais de trouver
auprès de lui les conseils et le secours dont elle avait besoin. Ce
fut pour elle un grand chagrin que de voir cet homme aimé et vénéré
quitter le Wuppertal en 1854, pour répondre à un appel du séminaire
évangélique de Wittenberg. Elle avait déjà été réveillée pendant son
instruction religieuse, mais sans arriver à une consécration et à une
conversion entières. Elle racontait elle-même, plus tard, qu'elle
avait été après sa confirmation particulièrement avide de plaisirs.
Elle gagnait les coeurs par son humeur gaie et par son entrain, et
partout où il y avait une fête, Hanna Kessler était
certaine d'être la bienvenue. Mais quelque inconsidérée qu'elle fût
souvent, Dieu dans sa bonté la préserva toujours de fautes graves.
Ce fut quatre ans après sa confirmation que se produisit
dans sa vie le grand changement, qui fit d'une joyeuse enfant de ce
monde une enfant de Dieu, plus heureuse encore. Ce fut une
transformation si complète, qu'elle mit dès lors tout son plaisir à
servir « son Jésus », et qu'elle l'aima d'un amour aussi
ardent que profond. Nous ne pouvons dire ici comment s'opéra en elle
cette conversion entière, mais elle a répété souvent que l'impulsion
qui l'avait amenée à se donner à son Sauveur lui avait été communiquée
par le fidèle pasteur Sander, auquel elle est restée reconnaissante sa
vie durant,
C'est à cette époque que se place une maladie très grave,
dont elle guérit contre toute attente. Nous lui laissons la
parole :
« Je fus malade à la mort et le Seigneur me fit la
grâce, non seulement d'éprouver une grande joie à la pensée de m'en
aller auprès de Lui, mais encore de pouvoir - Lui rendre témoignage
devant mon entourage. Un jour, mon père spirituel, le pasteur Sander,
entre dans ma chambre en disant :
« Hanna, il te reste une longue route à parcourir,
le Seigneur veut t'employer encore ».
Je savais qu'il disait vrai, car il m'était arrivé durant
la nuit une chose étrange, que le pasteur Sander ignorait
naturellement. J'étais étendue sur mon lit et me sentais si faible que
je priais Dieu de me donner une fin paisible. Tout à coup, je me
rappelai la parabole des talents et j'entendis clairement le Seigneur
me dire :
« Je veux t'employer encore sur la
terre ! »
J'eus à subir un rude combat avant d'arriver à accepter
cette dispensation, mais je pus dire :
« Seigneur, si tu veux m'employer encore, donne-moi
de pouvoir te servir auprès des âmes retenues loin de toi, auprès des
plus perdues. »
Comme la vie d'Hanna s'est dès lors trouvée
transformée ! Elle était encore plus joyeuse qu'auparavant, elle
chantait toujours et d'une voix plus éclatante que jamais. Mais les
gaies sociétés mondaines durent renoncer à la voir paraître dans leurs
rangs et elle n'entonnait plus les chansons d'autrefois. Elle avait
mieux à faire ; elle était si certaine d'avoir trouvé sa
véritable voie, qu'elle s'inquiétait peu des critiques et des
reproches que lui valait son attitude nouvelle. Sa brave mère
elle-même trouvait qu'elle abusait un peu des cantiques et lui disait,
de temps à autres, quand elle traversait la chambre en chantant à
pleine voix :
« Mais tais-toi donc enfin ! »
« Pourquoi donc, mère ? »
« Les gens t'entendent jusque sur la rue, Hanna, et
tu verras que tu te feras des ennemis, ainsi qu'à moi, avec tous tes
cantiques. »
Hanna répondait, toute étonnée :
« N'est-ce pas une bonne chose que les gens
entendent ces beaux cantiques qui parlent de Jésus ? »
La mère ne savait plus que répliquer et Hanna continuait
à chanter.
Elle ne cachait, d'ailleurs, point ce qui s'était passé
dans son coeur et disait, à qui voulait l'entendre que Jésus l'aimait
et qu'elle avait trouvé la paix dans cet amour ; elle ne le
disait pas d'une manière indiscrète, mais par ce qu'elle s'y sentait
poussée par l'amour brûlant que Jésus avait allumé en elle.
On se figure sans peine que le mépris et les moqueries ne
lui étaient pas épargnés à la fabrique, mais elle les subissait
volontiers, n'était-elle pas assurée de posséder la grâce ? Déjà
alors sa vie de prière était très intense, elle s'était habituée à
parler au Seigneur de toutes les choses, grandes et petites qui la
préoccupaient.
Elle n'a jamais regretté plus tard d'avoir dû gagner sa
vie en allant à la fabrique. Elle a beaucoup travaillé parmi les
jeunes ouvrières et il lui était précieux de connaître par expérience
les dangers, les difficultés spéciales, et les tentations diverses auxquels
elles sont exposées. Elle considérait comme une preuve de la
protection divine d'avoir pu rester pure, mais elle avait su aussi, à
l'occasion, se défendre d'énergique façon. Nous n'en citerons ici
qu'un seul exemple qui pourra être utile à d'autres ouvrières. Un jour
qu'elle se trouvait à l'ouvrage, à la fabrique, le contre-maître qui
avait depuis longtemps jeté les yeux sur elle, mais n'avait pas encore
pu l'approcher, croyant l'heure favorable venue, se glisse derrière
elle, la prend dans ses bras et cherche à l'embrasser tendrement. Mais
Hanna n'est pas empruntée, elle se retourne et applique un vigoureux
soufflet sur la joue de son amoureux qui s'éloigne, tout honteux et
déconfit, sans prononcer une parole.
Naturellement, se dit Hanna, je vais devoir m'en aller
d'ici, le contre-maître ne me donnera plus d'ouvrage.
Elle pense déjà avec angoisse à l'avenir, car son gain
est nécessaire à sa famille. Mais elle se rappelle qu'elle peut
raconter cela aussi à son Dieu. Elle le fait avec une confiance
parfaite et Dieu entend sa prière. Non seulement le contre-maître est
complètement guéri de son caprice, mais Hanna s'est encore acquis son
respect à un tel degré, qu'il se préoccupe dorénavant de ne lui donner
que de l'ouvrage agréable et bien payé. Elle
apprend ainsi, dès les premiers temps qui suivirent sa conversion, que
« la prière peut délivrer de toutes les détresses ».
Une autre fois le Seigneur la secourut d'une façon
remarquable, dans un danger auquel elle s'était exposée pour l'amour
de son nom.
Nous avons dit déjà que dans sa joie débordante elle ne
se gênait nullement de parler de Lui et d'inviter chacun à venir à
Celui auprès duquel elle se sentait si heureuse. Un soir qu'elle
traversait la rue, sans prévoir aucun danger, elle voit venir trois
gars qui étaient fort irrités contre elle, depuis qu'elle n'apportait
plus à leurs fêtes l'appoint de sa folle gaîté. Aussitôt elle se
dit :
« Ils cachent des bâtons derrière leur dos et ils
vont m'attaquer. » Que faire ?
Elle eut recours au moyen dont elle avait déjà si souvent
fait l'expérience. Elle cria du fond de son coeur :
« Seigneur, fais donc comprendre à ces garçons
combien il fait bon pour moi près de toi. »
En réponse à ce cri, le Seigneur lui donna le courage de
s'avancer vers les trois compagnons, en disant :
« Bonsoir, les gars ! »
« Bonsoir Hanna ! » répondent-ils. Elle
leur tend à chacun la main tout simplement, ce qui les oblige à faire
passer leurs gourdins de la main droite dans la
gauche. Ils cheminaient maintenant avec elle dans la direction de sa
demeure et Hanna s'était mise à exhorter ces trois ennemis de Jésus, à
leur raconter tout le bonheur qu'elle avait trouvé en Lui et à les
supplier de venir aussi à ce Sauveur fidèle. Arrivée devant chez elle,
Hanna leur dit encore cordialement bonsoir, ce qui nécessite un
nouveau voyage des gourdins d'une main dans l'autre. Mais à peine
Hanna était elle entrée dans la chambre commune, que la colère
s'emparait des trois compères, honteux de n'avoir pas réussi à
administrer « une roulée » à cette « mômière ».
Au bout d'un instant une pierre, suivie de plusieurs
autres, volaient dans la chambre. Effrayées, les femmes éteignaient
leurs lampes et gagnaient leurs lits en se glissant le long des murs.
Dehors les assaillants criaient et vociféraient :
« Il faut qu'Hanna descende ».
Dans la chambre la mère gémissait, épouvantée, seule
Hanna s'était ressaisie ; elle chantait, puis elle
répétait :
« Ne pourrais-tu pas encore les prendre les trois,
Seigneur ? »
Enfin le silence se rétablit, l'orage se dissipe et les
femmes peuvent se livrer au sommeil. Mais une heure ne s'est pas
écoulée qu'on frappe violemment à la porte de la maison.
« Qu'y a-t-il ? » demande Hanna, et
quelqu'un répond d'en bas, d'une voix qui trahit
une violente émotion :
« Hanna, Hanna, viens vite, Karl va mourir et il te
demande avec insistance. »
Effrayée, Hanna murmure :
« Karl ? n'est-ce pas un de ces trois
garçons ? »
Mais elle n'hésite pas une minute sur ce qu'elle a à
faire. Elle s'habille en toute hâte et suit son guide jusqu'au café le
plus proche. Là, elle trouve, étendu sur une gerbe de paille, le
pauvre Karl, dans un état affreux ; il a été blessé par des coups
de couteaux, et il a perdu tant de sang qu'il est près de rendre le
dernier soupir. D'une voix faible il supplie Hanna de lui pardonner
d'avoir eu l'intention de la frapper. Puis il parle avec une terreur
poignante de ses péchés, il implore la pitié de Dieu. Agenouillée près
du pauvre blessé, Hanna lutte avec Dieu pour l'âme de ce malheureux,
puis elle lui expose avec force la vérité évangélique. Le combat fut
rude, mais Karl s'endormit dans la grâce comme le brigand sur la
croix. Ses deux compagnons, qui cherchèrent aussi plus tard le
Seigneur, ont raconté eux-mêmes ce qui s'était passé après qu'Hanna
les eût quittés. Ils avaient commencé par se reprocher mutuellement de
ne pas lui être « tombé dessus », puis ils avaient donné
essor à leur colère en lui jetant des pierres, après quoi ils
s'étaient rendus au café où ils avaient bu coup sur coup. Les têtes s'étaient
échauffées, des paroles toujours plus violentes avaient été échangées,
enfin ils avaient tiré leurs couteaux et l'un d'entre eux était resté
sur la place, victime de leurs mauvaises passions.
Nous ne saurions nous étonner de ce que des preuves
pareilles de la grâce de son Sauveur aient attiré Hanna à lui toujours
davantage, et aient rendu sa communion avec lui toujours plus intime.
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