LE SERMON SUR LA
MONTAGNE
Transposé dans notre langage
et pour notre temps
À LA MÉMOIRE DE SOPHIE
GODET
Au moment où nous nous décidons
à faire paraître une nouvelle
édition de notre livre, nous tenons à
consacrer une page à celle qui en lut la
traductrice et que la mort nous a enlevée il
y a deux ans.
Lorsque Mlle Sophie Godet
s'adressa à moi Pour solliciter
l'autorisation de faire paraître en
français mon livre intitulé Le Sermon
sur la Montagne, livre qui lui avait fait une
profonde impression et dont elle s'était
assimilé le contenu, j'en éprouvai
une grande joie. je n'aurais en effet pu imaginer
quelqu'un de mieux qualifié pour mener
à bien la tâche ardue de traduire ce
livre. Mlle Sophie Godet me semblait
prédestinée à cette entreprise
délicate.
Élevée dans la
maison de son père, le professeur de
théologie Frédéric Godet, dont
les ouvrages sont fort appréciés en
Allemagne, - Sophie Godet put se familiariser
très jeune encore avec la langue allemande,
qu'on cultivait dans sa famille et
qu'on y parlait couramment
à côté du français, et
son âme sensible se passionna pour
l'idée du Royaume de Dieu, tel qu'on le
concevait dans cette atmosphère
imprégnée de la lumière de
l'Évangile. De la sorte elle était
admirablement préparée à
saisir toute la portée de mon livre, qui
expose la révélation de la nouvelle
vie propre au Royaume de Dieu, et à en
transcrire les idées en langue
française. Elle était d'autant mieux
qualifiée pour cette entreprise que, depuis
bien des années déjà, elle
avait lu avec le plus grand intérêt
mes Blätter zur Pflege persönlichen
Lebens (Grüne Blätter) et qu'elle
s'était ainsi familiarisée avec mes
idées et mon style.
Ce fut donc avec le plus grand
plaisir que je répondis à Mlle Sophie
Godet que j'étais parfaitement d'accord avec
son projet. je la priai cependant de ne pas «
traduire » mon livre, mais plutôt de
s'imprégner de son contenu, de s'en
assimiler les idées, et de les exprimer
ensuite librement en français sans se
rapporter à la lettre du texte allemand.
C'est bien ce que Mlle Godet a fait, et c'est ainsi
qu'est née cette merveilleuse adaptation,
que l'on ne devrait pas qualifier du nom peu
adéquat de « traduction » du
livre, puisqu'elle en représente bien
plutôt une «re-création »
conforme au génie de la langue
française. Et comme Sophie Godet
était remarquablement douée pour les
langues, elle a réalisé dans ce
Sermon sur la Montagne en français une
oeuvre si excellente, qu'un pasteur allemand de
Moscou put affirmer un jour qu'il aimait mieux lire
la traduction française de mon livre que
l'original allemand.
Il n'en aurait certes pas
été ainsi, si Mlle Godet ne
s'était laissée guider par un
constant souci de s'acquitter
consciencieusement de sa
tâche. Ce scrupule de bien faire était
d'ailleurs un trait fondamental de son
caractère. Lorsqu'elle eut achevé la
première ébauche de l'oeuvre, elle
vint passer un mois au château de Mainberg,
où je résidais alors, afin de se
mettre encore mieux au courant de mes idées,
grâce à tout ce qu'elle voyait et ce
qu'elle entendait. En outre elle me soumit alors
tous les passages de mon livre qu'elle croyait ne
pas avoir entièrement compris, ou qu'elle
croyait avoir imparfaitement rendus en
français. De la sorte nous avons
discuté de bien des termes intraduisibles,
de bien des choses difficiles à exprimer,
jusqu'à ce que nos méditations en
commun nous eurent amenés à en
trouver les équivalents. En accomplissant ce
travail nous sommes restés
pénétrés de la profonde
vérité que, dans ce domaine plus que
dans d'autres, les paroles ne sont que les symboles
imparfaits d'une réalité que seule
l'expérience intime peut
révéler à l'âme, mais
qui reste inaccessible au langage.
Lorsque le Sermon sur la Montagne
parut en 1912, ce livre eut beaucoup plus de
succès en France et dans la Suisse
française que l'original n'en avait eu en
Allemagne quelques années auparavant, si
bien qu'il fut nécessaire de procéder
à un second tirage trois mois après
le premier. Cette deuxième édition
s'épuisa assez rapidement, de sorte que
depuis dix ans, il ne fut plus possible de se
procurer le volume en librairie, et les
événements s'opposèrent
à une réédition. Il en fut de
même d'un autre de mes livres que Sophie
Godet avait traduit sous le titre de Ce qui fait
obstacle à la vie.
Aujourd'hui que l'on
procède à la réédition
du Sermon sur la Montagne et qu'il est permis
d'espérer que l'autre livre sera
réédité un
jour, lui aussi, - nous pensons à celle qui
n'est plus et à laquelle nous aimons
à croire que les lecteurs et lectrices de ce
livre conserveront, comme son auteur, un souvenir
reconnaissant.
Schloss Elmau, le 10 mai
1929.
Johannes Müller.
AVANT-PROPOS DE LA TRADUCTRICE
Il y a quelques années, un
périodique allemand intitulé :
Blätter zur Pflege persönlichen
Lebens me tomba sous les yeux. Dès les
premières lignes, j'eus l'impression de
pénétrer dans une atmosphère
toute nouvelle, où se retrouvaient
cependant, ramenés à leur source et
à leur fin, tous les éléments
de vie que j'avais rencontrés ailleurs
épars et fragmentaires. Je me trouvais en
face de vérités qu'il ne s'agissait
plus de croire, d'admettre ou de discuter, car
elles portaient en elles-mêmes leur
évidence, s'imposaient à quelque
chose de plus profond que l'intelligence, le
sentiment et la conscience, et devaient
nécessairement se vérifier par
l'expérience. je n'étais plus sur le
terrain des idées, mais dans le domaine de
l'intuition immédiate, non sur le terrain
des principes, mais sur celui de la
réalité même, de la vie, - mot
dont on abuse aujourd'hui, mais dont le sens ne
nous apparaît encore que
confusément.
Un commerce familier avec les
oeuvres de Johannes Müller a encore
fortifié cette impression. Si, parmi ses
nombreux écrits, j'ai traduit de
préférence le Sermon sur la montagne
(Die Bergpredigt verdeutscht und
vergegenwärtigt), c'est qu'il m'a
semblé contenir en substance ce que
les autres développent et
précisent en l'appliquant aux diverses faces
de la pensée et de la conduite; je veux
parler de l' «art de vivre»,
révélé et pratiqué par
Jésus, et qu'il appartient à notre
temps de saisir dans sa vérité, et
à l'avenir de réaliser parfaitement.
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