Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



SANS DIEU DANS LE MONDE

Épisode de la vie du peuple Slovaque



X

Le jour où la muraille s'écroula complètement, les enfants étaient justement dans la forêt ; ils ne purent pénétrer jusqu'à leur chambre ; les gens craignaient que la masure entière ne s'effondrât et leur conseillèrent de dormir plutôt dehors ; ils suivirent ce conseil et couchèrent dans le hangar, en compagnie de Fidèle.

Cet été fut particulièrement pluvieux et les bergers eurent beaucoup de peine avec leur bétail ; il fallait veiller à détourner les bêtes de l'herbe mouillée et pourtant les faire paître ; de plus, on leur avait confié un nombre de brebis très considérable, qui se dispersaient dans toutes les directions ; il était heureux que Joseph sût bien compter, sans quoi le troupeau courait grand risque de ne plus être au complet.

Un certain soir, on retint longtemps Joseph chez le garde-forestier, puis on l'envoya porter une lettre au village. Martin fut seul à faire rentrer le troupeau ; deux ou trois fois il recompta les brebis pour voir si elles y étaient toutes, et il remarqua, en chemin, combien ce jour-là le bétail était indiscipliné ; il s'était tellement fatigué qu'il n'avait pu lire plus de deux versets et l'un de ces deux échappait à son intelligence : « Le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. » Que peut donc chercher le Seigneur Jésus ? les hommes ? mais pourquoi les cherche-t-il ? Personne ne pourra-t-il donc me l'expliquer ? »

Absorbé par ces réflexions, il atteignit le village avec son troupeau. Chacune des paysannes chercha son bétail, mais il manqua une brebis appartenant à la meunière.
« Toi... fainéant ! » menaça la femme irritée, l'accablant de toutes les injures qui lui venaient à l'esprit. « Voilà ton remerciement pour avoir nourri ton camarade ! Voilà le soin que tu prends du troupeau ! Et sais-tu la perte que tu me causes ? » Et elle continua longtemps ses horribles imprécations.

Martin restait immobile, frappé de stupeur, il fut au désespoir d'avoir fâché la meunière et plus encore d'avoir perdu un petit agneau ; que devait-il devenir, ce pauvret, là-bas, tout seul ?
Martin retourna en courant vers la forêt ; la pleine lune se leva tout à coup, en brillant comme si elle eût voulu dire : « Console-toi, Martin, je vais t'aider ; cherche avec soin et je t'éclairerai. »

L'émotion donnait de nouvelles forces à Martin ; il s'élança, hors de lui, et ne s'arrêta que lorsqu'il eut atteint la clairière, baigné de sueur. Là, il s'étendit un moment sur le sol pour laisser battre son coeur, puis il commença à chercher et à appeler : « Viens, petite, viens, viens ! » Il appela avec angoisse, il appela avec larmes ; enfin, dans le lointain, il lui sembla entendre un gémissement plaintif : « Bêee !... »

« Petit agneau, mon petit agneau », s'écria-t-il joyeux, en s'élançant au loin à travers les haies des buissons, les broussailles, les fossés, les ruisseaux, les rochers, les troncs d'arbres renversés et les vieilles racines ; ici il tomba, là il resta accroché, ici il déchira ses pieds nus, là il se blessa ; il ne faisait aucune attention à lui-même et ne pensait qu'à chercher et à appeler jusqu'à ce qu'il ait trouvé ; mais où ? la lune éclairait en plein cet endroit et là, très bas, entre les rochers et les broussailles, se trouvait le petit agneau, sa laine accrochée aux buissons d'épines ; il ne pouvait pas se lever, encore moins gravir la pente du précipice ; si on ne parvenait pas à l'en tirer, il devait périr.

Martin restait pétrifié lorsqu'une voix intérieure commença à lui dire : « Le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. » Ah ! maintenant il comprenait cette parole ; de même que cet agneau ne pouvait sortir de là tout seul, de même les hommes méchants et pécheurs ne pourraient atteindre le ciel ; les épines retenaient l'agneau, les péchés des hommes, Satan et la mort retenaient ceux-ci dans la perdition ; c'est pour cela que le Seigneur Jésus vint et appela, et la brebis qui répondit à son appel, il la chercha, la trouva et la prit avec lui. « Moi aussi, il m'a trouvé et il m'a pris avec lui, moi aussi. » Martin avait maintenant saisi le sens de ce verset.

Il se laissa glisser le long du rocher jusqu'à l'agneau ; mais, ô malheur, tout à coup une pierre s'ébranla sous son pied ; pour éviter qu'elle aille frapper la pauvre bête à la tête, il s'accrocha désespérément, mais ne trouva pas d'appui solide.
« Si le rocher que je tiens à gauche cède, il tuera sûrement mon agneau », pensa-t-il et, dans sa sollicitude pour la pauvre bête, il lâcha l'autre main ; ce fut alors comme un bourdonnement dans ses oreilles, tout devint obscur devant ses yeux et il lui sembla entendre un bruit de cloches, alors que tout était silencieux ; combien de temps cela dura-t-il, Martin n'en sut rien

Tout à coup il sentit quelque chose de chaud sur son visage et entendit un cri singulier et plaintif ; il reconnut l'aboiement de Fidèle ; il entendit aussi un autre bruit et s'efforça d'ouvrir les yeux.
« Où suis-je ? »

En travers de son corps était Fidèle ; à côté de lui, retenu par un buisson d'épines était le petit agneau ruminant en paix ; au ciel, les étoiles s'éteignaient l'une après l'autre, le jour commençait à luire et en haut, sur le rocher, Joseph était agenouillé en pleurant. Martin se souvint alors de ce qui était arrivé.
« Je suis tombé, pensa-t-il, et si j'avais péri, j'aurais fait comme le Seigneur Jésus ; lui aussi chercha et trouva, puis mourut ; il dut mourir pour ses petits agneaux, et de même que je me réveille maintenant, ainsi se réveilla-t-il le troisième jour et depuis il est venu chercher ses brebis et les arracher à la mort, comme je le fais pour cet agneau. »
Si Joseph n'avait pas pleuré ; en haut, Martin se serait de nouveau endormi, car la torpeur l'envahissait tout entier, mais il se leva et, au prix de grandes difficultés, chargea l'agneau sur ses épaules. Joseph lui raconta alors les inquiétudes qui l'avaient empêché de dormir et comment, avec le secours du chien, il l'avait cherché et trouvé ; tous deux n'avaient pu se reposer.



XI

Martin put regagner le village, mais bien péniblement, car il n'avait rien mangé depuis la veille ; en outre, il s'était horriblement fatigué et échauffé, il avait fait une chute grave et était resté inanimé jusqu'au matin, trempé d'humidité.
Et malgré cela, sa joie était immense de pouvoir rendre à la meunière son agneau bien ponant ; comme cela le réjouissait !

Mais voilà qu'au lieu de l'en remercier, la meunière recommença ses imprécations et ses jurements et d'autres femmes encore murmurèrent de ce qu'il arrivait en retard pour chercher le bétail et le menacèrent indignement ; le pauvre jeune homme était consterné et tout bouleversé ; plein de tristes pensées, il reprit le chemin de la forêt qui lui parut terriblement long, surtout au retour ; il confia le troupeau à Joseph et à Fidèle et s'assit sur son rocher favori. Ah ! si la meunière pouvait le voir là, si abattu, elle se repentirait de lui avoir reproché son père et sa mère et de l'avoir si indignement traité de vagabond et de lourde charge pour le village.

En vain Joseph essaya-t-il de le dérider, il ne put y parvenir ; Martin ne pouvait plus chanter, et lorsque Joseph lui faisait la lecture, il entendait bien, mais semblait perdu dans un rêve ; ce fut ainsi pendant deux ou trois jours.

Le dimanche, il autorisa Joseph à l'accompagner au pâturage ; lorsque celui-ci voulut faire sa lecture, le volume s'ouvrit tout seul à l'endroit où il était écrit que les Juifs voulaient lapider le Seigneur Jésus parce qu'il avait guéri un homme le jour du sabbat. Martin soupira profondément : « Ils voulaient te faire périr parce que tu avais arraché un homme à la mort ; pour moi, on m'a seulement injurié, quoique j'aie rapporté vivant le petit agneau, et voilà que je ne puis m'en consoler. Mais je pardonne maintenant à la meunière, comme toi-même tu as pardonné. »

Martin commença alors à pleurer, puis il sécha ses larmes et prit de grandes résolutions ; il apporta encore plus de soin à son travail et redoubla de bonté pour Joseph ; il salua de nouveau les promeneurs en leur souriant, comme il le faisait autrefois, mais quelque chose était changé en lui : il ne pouvait plus grimper sur les arbres ou sur les rochers qu'avec la plus grande difficulté et, dans le trajet qu'il avait à accomplir chaque joui, il devait se reposer par trois fois ; il n'avait plus d'appétit et ne demandait que de l'eau ; son visage n'était plus aussi frais et rose, et ses yeux brillaient d'un éclat étrange.

Cette année-là, les bergers durent quitter les prairies plus tôt que d'habitude ; Joseph s'en réjouit : « Nous reviendrons ensemble à l'école, disait-il, et le professeur nous placera tous deux sur le même banc, puisque maintenant tu peux tout lire. »

Le dernier jour qu'ils furent à la forêt, Martin laissa Joseph surveiller seul le troupeau et lui-même regagna son rocher sur lequel il s'était tant de fois assis et où il avait médité « Est-ce que tout a toujours existé ? - et si non, qui a fait cela - Où demeure Dieu et où reçoit-il les hommes lorsqu'ils meurent ? »

En ce jour, il ne se posait plus ces questions : il savait tout ce qu'il désirait savoir, qu'aux premiers temps rien n'existait sur la terre, que la terre même était informe, et que seul Dieu avait existé de tout temps ; que ce Dieu avait créé en six jours tout ce que nous voyons, la terre et le ciel ; il habitait dans le ciel et donna la terre aux hommes ; ceux-ci furent si méchants et si désobéissants qu'ils l'abandonnèrent, mais Dieu les a tellement aimés qu'il a donné son Fils unique afin que tous ceux qui croiraient en lui ne soient pas perdus mais qu'ils aient la vie éternelle, et ce cher Fils vint dans le monde pour chercher et sauver ceux qui étaient perdus ; il mourut sur la croix pour ses brebis afin de les arracher à la perdition ; ensuite il sortit vivant du tombeau et retourna auprès de son Père ; là il fit construire une ville qui ne peut être comparée à aucune ville de la terre • et lorsqu'une demeure sera préparée pour chacun, lorsque toutes les brebis auront leur nom inscrit dans le Livre de vie, alors il reviendra et les prendra toutes à lui afin que, là où il est, elles soient aussi pour le servir éternellement ; Martin savait que tout cela était vrai, comme dit le cantique :

Quand vous voudrez venir à lui,
Vous devrez le servir là.
Car celui qui veut servir Jésus dans le ciel doit déjà essayer de le servir sur la terre. Martin remerciait Dieu de lui avoir fait connaître tout cela et d'avoir appelé chaque homme à sa connaissance, car Dieu se révèle par la nature et par l'Écriture à tous ceux qui prient d'un coeur sincère.
Puis Martin jeta un long regard sur la forêt et le magnifique paysage ; dans la vallée descendait le brouillard semblable au voile de noce d'une fiancée ; le soleil inondait tout de sa lumière et semblait poser un baiser sur les joues de l'enfant ; celui-ci ne pouvait se lasser de ce spectacle ; pour la dernière fois de l'année, il contemplait, en ce beau jour d'automne, le soleil qu'il ne reverrait plus dans la forêt jusqu'au printemps suivant ; comme cela lui paraîtrait long ! Des feuilles jaunes, rouges, noires et dorées tombaient à terre, et, à travers la forêt, mugissait une harmonie lugubre, Aussi triste que la musique d'enterrement d'un grand personnage. Oui, chaque feuille, chaque bruissement semblait dire : « Martin, adieu, adieu, nous ne te reverrons plus ! »
Et Martin sembla à ce moment se rendre compte de la solennité de cette séparation ; il étendit les bras, comme s'il voulait presser contre son coeur ce paysage si beau et des larmes roulèrent de ses yeux.
« Dieu vous garde... adieu ! »

Et il rejoignit en hâte son troupeau ; sur le chemin, il se retourna souvent encore, aussi longtemps que le feuillage de la forêt ne lui fut pas complètement caché.



XII

Ils arrivèrent à la maison. Martin ne voulut pas se mettre à table, quoique des voisines lui eussent envoyé des morceaux de choix ; il pria seulement Joseph de lui lire encore une fois le passage de l'Écriture qu'ils avaient lu ensemble dans la forêt, là où le Seigneur Jésus dit : « Celui qui vient à moi n'aura jamais faim et celui qui croit en moi n'aura jamais soif. Celui qui voit le Fils de Dieu et croit en Lui aura la vie éternelle et je le ressusciterai au dernier jour. »
Puis ils prièrent ensemble et se disposèrent à dormir, mais Martin ne put que sommeiller C'était une nuit très froide et si quelque petite fleur se trouvait encore dans les prés, elle devait être gelée ; la lune, en se levant, éclairait les deux enfants dans leur hangar, et les étoiles brillaient autour d'elle comme des larmes ; oui, c'était une froide nuit.

Tout à coup, Martin se réveilla en sursaut, transi de froid ; les enfants étaient enveloppés tous deux avec la couverture de Joseph, et celui-ci toussait tout en dormant.
Il a froid, pensa Martin, la couverture est trop petite pour nous réchauffer tous deux, je vais la lui laisser en entier ; je supporterai bien ces quelques heures sans elle.
Il couvrit soigneusement son petit camarade et s'enveloppa dans son manteau, mais ceci était bien peu ; le froid commença à le saisir, au point que ses petites dents claquaient et qu'il frissonnait, avec une douleur dans le dos ; il ne savait plus comment faire.
«  Petit Joseph, appela-t-il de toutes ses forces, quoiqu'il pût à peine formuler un son, je t'en prie, donne-moi un peu de ta couverture, j'ai si froid ! »

Mais Joseph dormait toujours et ne l'entendait pas.
«  Il dort, Seigneur Jésus, justement comme tes disciples, lorsque tu allas auprès d'eux, à Gethsémané », murmura l'enfant au Seigneur.
Il avait comblé de biens Joseph avait même souffert de la faim pour lui et maintenant celui-ci dormait toujours et restait insensible à sa plainte
« Seigneur Jésus, j'ai si mal et je n'ai personne qui puisse me couvrir ; je ne puis presque plus nie remuer. Ne m'abandonne pas, Seigneur Jésus, aide-moi... »

Martin ne put continuer, mais tout à coup le froid le quitta et il se trouva dans une telle transpiration qu'on aurait cru qu'il était tombé à l'eau ; il ferma les yeux et s'endormit.

Onze heures sonnaient. Le fossoyeur venait de sonner le cor pour le couvre-feu et regagnait sa demeure pour se coucher jusqu'à une heure ; une force mystérieuse l'attira vers la demeure des petits bergers ; parfois, en effet, il allait les contempler dans leur sommeil ; il se plaisait à voir Joseph enlacé dans les bras de Martin, et tous deux reposant ensemble en souriant, plus paisiblement que des princes dans leur lit d'or et de soie.

Le fossoyeur se dirigea vers la couche des enfants baignée de la lumière de la lune ; il vit Joseph chaudement enveloppé jusqu'aux oreilles de sa couverture ; comme si une tendre mère l'avait choyé ; Martin reposait un peu plus loin, sur un peu de paille, mal garanti du froid par son vieux manteau, le front et les joues brûlants comme le feu, et les yeux aussi brillants que les étoiles du ciel.
« Martin, ne dors-tu pas ? Comment es-tu couché ? Ton ami a toute la couverture et tu n'as rien ! »

Mais le garçon ne répondit pas ; il regardait en souriant si étrangement que le fossoyeur ne put jamais oublier ce spectacle ; il quitta son manteau et en recouvrit l'enfant.
« Martin, qu'as-tu ? pourquoi ne parles-tu pas ? ne me reconnais-tu pas ? »

Le garçon secoua la tête en balbutiant d'une façon étrange : « Maintenant il viendra bientôt et je l'attends.
- Qui ?
- Le Fils de Dieu ; il vient me chercher ; en ce moment je traverse déjà les grandes eaux et je vais atteindre le rivage, heureusement, car j'enfonce jusqu'aux épaules, mais je ne crains rien.
- Martin, réveille-toi, tu ne sais ce que tu dis. »

Les yeux du brave homme se remplirent de larmes ; Martin semblait s'entretenir avec un être invisible :
« Es-tu arrivé ? Sois le bienvenu ! tu me tiens solidement, comme tu es bon !... Je ne puis plus tenir le rocher, cela me fait tant de mal... L'agneau est tombé bien bas et je me suis précipité dans l'abîme par amour pour lui ; je suis tout meurtri... Et encore on m'a injurié, mais je ne leur en veux pas, on a été bon pour moi, très bon, quoique je sois un enfant trouvé. Puisse Dieu le Père les récompenser, elles m'ont élevé, elles m'ont donné Joseph et nous ont nourris ; nous vivions si bien ensemble parce que nous nous aimions, mais maintenant je préfère aller avec toi ; je sais que tu te tiens auprès de moi et que là même je te verrai, n'est-ce pas, Seigneur Jésus, mon cher Sauveur ? »

Martin sourit encore et ferma les yeux.
Le fossoyeur courut vite chercher sa femme et tous deux transportèrent l'enfant dans leur demeure ; quoiqu'il fît encore nuit, quelques voisines accoururent, car le fossoyeur avait réclamé leur aide en tapant à leur fenêtre en disant : « Pour l'amour de Dieu, venez, Petit-Martin est au plus mal. »

Le garçon ne reconnaissait plus personne autour de lui, pas même Joseph qui pleurait à son côté, comme peu auparavant sur le rocher surplombant le précipice.
Les femmes essayèrent de le soulager.
« Si cela ne va pas mieux, dit la meunière, demain nous ferons venir le docteur. »
Elles lui préparaient des tisanes lorsque le malade revint et lui et jeta un regard sur ceux qui l'entouraient.
« Je vous remercie bien de tous vos soins, dit-il d'une voix brisée, mais je vivais dans le monde sans Dieu… et vous saviez tout de lui….. et aucune de vous ne m'a parlé de lui et (sa voix devenait de plus en plus triste), vous viviez vous-mêmes comme s'il n'y avait point de Dieu et vous croyez comme si cela n'était pas vrai... Si je meurs, ne me donnez aucun argent pour la traversée (2) ; le Seigneur Jésus me recevra sans cela et ne craignez pas que je vienne vous apparaître comme un fantôme, oh ! non, je ne reviendrai pas..., car je serai bien loin, et je ne pourrai pas retrouver le chemin. »

Les femmes écoutaient attentivement : « Il parle comme la Sainte Écriture", dirent-elles.
« Ne crains point, Martin, dit le fossoyeur, tu ne mourras pas ; cela passera aussi vite que c'est venu et tu retourneras au pâturage paître notre bétail.
- Et même nous te ferons un nouvel habit, promirent les femmes, et tu pourras prendre Joseph avec toi pour t'aider ; nous l'habillerons aussi et nous prendrons bien soin de vous deux.
- Dans l'hiver vous viendrez demeurer chez moi, dit la meunière, et vous ne courrez plus ainsi le risque d'être ensevelis sous les décombres de votre cabane ; au printemps nous réparerons votre maison ou nous vous en construirons une neuve !
- J'en ai déjà une toute prête, murmura Martin ; je vous remercie de toutes vos bontés... Levez-moi un peu, je vous prie... »

Les femmes l'assirent sur le lit et placèrent sa tête sur un oreiller.
« Le sommeil le gagne, dit la femme du fossoyeur, il va s'endormir. »
Mais le malade rouvrit les yeux avec effort ; Joseph se jeta sur lui en pleurant.
« Ne pleure pas, dit Martin plaçant une main sur la tête de son camarade tandis que l'autre caressait Fidèle qui la léchait, ne pleure pas ; Dieu a tellement aimé le monde qu'il a donné son Fils unique afin que tous ceux qui croient en lui ne périssent point, mais qu'ils aient la vie éternelle... et toi aussi...

En vain les femmes attendirent la suite de ses paroles ; il poussa seulement un grand soupir et il s'endormit.
« Laissons-le, conseilla la femme du fossoyeur, il est bon qu'il se repose, cela lui fera du bien. »
Comme l'aube matinale se levait, elle revint auprès du malade.
« Petite tante, cria-t-elle à Huda, il ne respire plus. »
Hélas ! c'était vrai, et la forêt avait prédit juste, le Seigneur Jésus avait recueilli l'enfant au matin ; le soleil avait bien fait de prendre congé de l'enfant dès la veille, il ne le reverrait plus.

Quelque quinze années auparavant, les obsèques de la mère de Martin avaient attiré un grand concours de monde, mais certainement aucun habitant du village n'avait encore jamais vu une cérémonie aussi nombreuse et aussi imposante que le fut l'enterrement du petit Martin lui-même. Les jeunes filles du village étaient ornées de couronnes, les jeunes gens réclamaient tous l'honneur de porter le cercueil ; l'instituteur y conduisit tous ses élèves, car, du moment que Martin avait été le plus appliqué d'entre eux, il voulut lui rendre tout l'honneur possible ; sur le cercueil étaient déposées une couronne de romarin et une croix de fleurs avec des rubans ; immédiatement après, marchait le pauvre Joseph, la tête découverte ; au cimetière on enterra Martin tout à côté de sa chère mère qu'il avait à peine connue, et lorsque le fossoyeur eut comblé la fosse, il ne put retenir ses larmes :
« Que la terre te soit légère, cher enfant. »

Le printemps reviendra, oui, il reviendra ; les prairies refleuriront, les forêts reverdiront, mais c'est en vain qu'elles attendront Martin avec son troupeau ; il ne reviendra plus. Il est parti pour une contrée lointaine où il a déjà vu Dieu et le Seigneur Jésus, et maintenant il séjourne là où les arbres portent des fruits douze fois dans l'année, là où il n'y a plus ni mort, ni misère, ni, souffrance, mais une joie éternelle, une musique admirable et les chants magnifiques des anges, dans cette ville splendide, aux portes de perles et aux pavés d'or où les maisons sont construites en pierres précieuses.

Les habitants de Raschovo enterrèrent Martin et le pleurèrent, mais un berger semblable, plein d'amour pour Dieu, travailleur et soigneux comme lui, ils n'en trouvèrent jamais un autre.
Et Dieu le Père prit soin de Joseph.

FIN

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