SANS DIEU DANS LE MONDE
Épisode de la vie du peuple
Slovaque
PRÉFACE DU
TRADUCTEUR
Le petit volume que nous
présentons aujourd'hui au public
français est déjà connu dans
bien des pays ; traduit en plusieurs langues
dès son apparition, il a fait
connaître le talent de son auteur, dont il
est la production la plus appréciée.
Mlle Kristina Roy, née en 1860 dans un
presbytère d'une des régions les plus
originales de la Hongrie, a mis sa plume et son
activité au service de toutes les bonnes
causes ; elle a écrit plusieurs
ouvrages pour la jeunesse, Les Perdus, Le petit
Valet, Heureuses Gens, etc. ; elle a
fondé dans son pays un asile pour les
enfants de colporteurs et des
sociétés d'éducation
chrétienne et de
tempérance.
Les Slovaques sont un
peuple slave qui habite particulièrement les
régions septentrionales de la Hongrie ;
quoique ne formant pas d'État proprement
dit, il tient énergiquement à
conserver sa langue, ses moeurs et ses costumes
pittoresques.
Depuis les premières éditions de cet
ouvrage, les événements
internationaux ont permis aux Slovaques ainsi
qu'aux Tchèques de faire triompher leurs
légitimes désirs
d'indépendance.
Nous ne doutons pas que cette nouvelle
édition contribue, comme les
précédentes, à faire
connaître davantage et mieux aimer nos
frères en la foi de cette contrée si
digne d'intérêt.
Gaston TOURNIER.
I
Personne, parmi les gens les
plus âgés, ne se souvenait d'un hiver
aussi rigoureux que celui qui régna en
décembre 18..., lorsque, par une froide
soirée de l'Avent, quelques voituriers du
village de Raschovo découvrirent,
près de la porte du cimetière, le
corps glacé d'une femme qu'ils
transportèrent aussitôt dans la maison
du bourgmestre.
Près de la femme de celui-ci se trouvaient
justement quelques voisines qui, par suite, ne
manquèrent pas de besogne : l'une
déshabillait doucement la pauvre femme, une
autre lui soutenait la tête, la
troisième éclairait la lugubre
scène. Soudain, toutes
s'écrièrent à la fois :
« Un enfant, un enfant ! »
En effet, de son bras engourdi, la malheureuse
serrait encore sur sa poitrine inanimée un
charmant petit garçon plein de vie. À
ce touchant spectacle, ces âmes
compatissantes ne purent retenir leurs
larmes ; le bruit réveilla l'enfant qui
se mit à pleurer aussi, et les voituriers
présents à cette scène
sentirent eux aussi leurs yeux se mouiller. Pauvre
petit enfant !
Trois jours après, l'étrangère
fut enterrée aux frais de la commune ;
une grande foule de gens suivit son cercueil, comme
si elle eût été une grande
dame. Mais ensuite, que faire de l'enfant ? Ni
le notaire, ni le bourgmestre ne purent arriver
à découvrir le domicile ou l'origine
de la pauvre défunte.
« C'est encore notre pauvre commune qui,
devra se charger de l'élever »,
gémissaient quelques avares, mais ils en
furent pour leurs craintes. La femme du bourgmestre
déclara se charger du petit, et, si elle ne
l'éleva peut-être pas aussi tendrement
que s'il eût été son propre
enfant, personne ne put par contre lui reprocher de
ne pas l'avoir soigné suffisamment bien pour
l'arracher à la mort.
Petit-Martin - ainsi fut appelé l'enfant,
puisqu'on ignorait le nom qu'il avait reçu
à son baptême, - grandit dans la
maison du bourgmestre, sans éducation, comme
un petit chien ; il n'avait souci de rien, et
pourtant il se développait ; à
peine sorti de l'enfance, il devint d'un vrai
secours pour sa bienfaitrice ; il s'acquittait
ponctuellement de sa tâche journalière, soit
en apportant du bois de chauffage, soit en prenant
soin des porcs ou en préparant la nourriture
des jeunes oies ; rien ne le rebutait. En
échange, on lui donnait le strict
nécessaire en fait de vêtements et de
nourriture ; dans les premiers temps, il
dormait la nuit près du poêle, dans le
coin de la chambre où on l'avait justement
déposé le soir de sa venue ;
à peine âgé de cinq ans, il fut
installé dans une petite couchette
placée dans l'écurie.
Parfois, les lapins s'assemblaient auprès de
lui comme s'ils eussent voulu tenir conseil ;
la grande vache tachetée de noir se
rapprochait de lui lorsqu'il se glissait dans son
petit coin, où il ne tardait pas à
s'endormir. S'il ne pensait pas à faire sa
prière auparavant, il n'en était pas
responsable ; les coupables en cela
étaient les protecteurs de Petit-Martin qui
auraient dû lui enseigner à prier,
mais ceux-ci n'avaient pas l'air de s'en
soucier ; peu leur importait que Petit-Martin
sût prier ou non.
La digne femme du bourgmestre ne maltraitait pas
l'enfant, et chacun la louait pour sa bonne action,
mais, hélas ! elle ne l'envoya pas
à l'école. « Pourquoi
instruire un enfant de mendiant ? À
quoi bon ? Il a du reste bien assez de besogne
chez nous », disait-elle souvent à
ses voisines.
Tout de même, lorsque l'enfant eut atteint
ses onze ans, elle l'amena au presbytère
pour le faire admettre parmi les
élèves du catéchisme, mais
comme il ne savait ni lire, ni réciter des
prières telles que « Notre
Père qui es aux cieux... », on
l'éconduisit.
II
À l'automne suivant,
le bourgmestre perdit sa femme et dut alors placer
le petit garçon comme aide du berger de la
commune.
Le vieil André, - c'est ainsi qu'on appelait
celui-ci, ne lui connaissant pas d'autre nom, -
était déjà à cette
époque affaibli et malade et ne pouvait
presque plus conduire les troupeaux au
pâturage (car il est d'usage, à
Raschovo, de faire paître tous les troupeaux
ensemble dans un lieu écarté, tout
proche de la forêt). Mais comme il
était depuis de longues années au
service de la commune, on ne voulut pas le
congédier, et l'on décida de lui
adjoindre un aide. On n'eut pas à regretter
la décision qui appela Petit-Martin à
ces fonctions ; celui-ci semblait être
créé exprès pour être
berger ; depuis sa plus tendre enfance, il
s'était occupé des bêtes, avait
couru derrière elles, et tout cela l'avait
formé. Il fallait le voir, le matin,
lorsqu'il parcourait le village en soufflant du
cor ; à ce bruit, les animaux levaient
brusquement la tête dans leur écurie,
puis accouraient à lui, vaches, veaux,
brebis, tous aussi dociles que de petits chiens.
Fidèle, le vieux chien d'André,
trottait gaiement en balayant la route
poussiéreuse de sa large queue ; il
dressait les oreilles, fixait les yeux sur son
jeune maître et attendait impatiemment, une
patte en l'air, le premier coup de fouet ;
à ce signal, le troupeau
s'élançait joyeusement sur le chemin
de la forêt.
Bref, on fut si satisfait du petit berger, que, un
an plus tard, lorsque mourut le vieil André,
on le nomma aussitôt berger en chef.
En dehors du village, non loin du cimetière,
était une masure qu'un vieux
célibataire avait autrefois
léguée à la commune ; la
moitié de cette maisonnette s'était
déjà effondrée et il ne
subsistait guère qu'une petite chambre et la
petite cuisine, couvertes par le toit qui
s'étayait sur la colline en pente. Cette
chaumière avait abrité le vieil
André durant seize ans, et maintenant
c'était à son successeur qu'en
revenait la jouissance. Le vieil André avait
bouché les petites fenêtres avec de la
paille, et Petit-Martin les retrouvait ainsi ;
en été, le soleil ne pouvait pas
pénétrer et en hiver on y
était à l'abri du vent ;
n'était-ce pas suffisant ? et pourquoi
le vieil André aurait-il eu besoin de
lumière ? En hiver, il n'était
pour ainsi dire jamais chez lui, allant de maison
en maison, d'un voisin chez un autre ; en
été, lorsqu'il rentrait, il
était rompu de fatigue et s'endormait
aussitôt. Mais, pour Petit-Martin, quelle
pénible impression que celle de cette
première visite dans ce taudis, en pensant
que c'était là qu'il devrait
désormais habiter !
Les murs étaient branlants, enfumés
et couverts de toiles d'araignées, le sol
caché sous une épaisse couche
d'ordures, de débris de paille et de
poussière, amoncelés depuis des
années. Ah ! combien l'écurie du
bourgmestre semblait un palais à
côté de ce réduit ! Le
pauvre enfant se prit la tête entre les mains
et s'assit sur le seuil en pleurant. Jamais encore
il n'avait autant ressenti la tristesse de sa
situation, abandonné de tous, comme
l'était du reste cette maisonnette. Il
pleurait encore lorsque le gazouillement d'un petit
oiseau lui fit lever la tête ; il
aperçut tout contre le toit un nid
d'hirondelles ; ces petits oiseaux arrivaient
des lointains pays et nettoyaient leur petit
logement de l'été, qu'ils
occuperaient jusqu'à leur prochain
départ au loin, bien loin...
L'enfant rougit : « Je ne puis
pourtant pas laisser mon logement dans cet
état », dit-il en lui-même
et il se mit aussitôt au travail ; il
retira d'abord la paille qui obstruait les
fenêtres et balaya à fond le sol, avec
un vieux balai trouvé dans un coin. Il ne
restait plus qu'une seule vitre à chaque
fenêtre ; les autres avaient
été brisées ; il nettoya
ensuite les murs et les poutres, enleva les toiles
d'araignées avec une telle ardeur que la
poussière semblait l'étouffer. Chaque
jour ; au retour du pâturage, il
reprenait cette tâche rebutante.
Comme il l'avait souvent vu faire à sa
défunte protectrice, il se procura de la
terre glaise, car il savait bien où en
trouver, et boucha les trous et les fentes du sol
et des murs. Passant par là, la femme du
fossoyeur le vit occupé à ce travail,
elle sourit, félicita le garçon pour
sa propreté et continua son chemin. Mais le
lendemain, comme le berger rentrait chez lui, il
trouva ses deux pièces avec les murs
réparés et le sol recouvert de sable
fin. Ce fut une vraie joie !
Le pauvre enfant ne savait s'il devait rire ou
pleurer. Comme l'exemple du bien est parfois
contagieux, après que la femme du fossoyeur
se fut vantée de sa belle action
auprès de l'épouse du
garde-champêtre, celle-ci, de concert avec
quelques amies, procéda au
recrépissage extérieur de la
maison ; les hommes eux-mêmes,
émus à jalousie,
réparèrent le toit ; la commune
fit placer de nouvelles fenêtres ; le
fossoyeur, lorsqu'il n'avait pas trop bu, faisait
de jolies menuiseries : il répara le
banc, la vieille table et le lit plus vieux
encore ; enfin, le bourgmestre poussa la
générosité jusqu'à
donner un matelas de paille.
« Eh bien ! Petit-Martin, tu peux
maintenant te marier », plaisantaient les
hommes. Mais quoiqu'il eût maintenant un vrai
domicile bien attrayant, l'enfant se plaisait
encore plus dans la forêt. C'était si
beau là-bas ! Il s'asseyait sur un
rocher et, tel un roi son royaume, il contemplait
de là son troupeau et le gouvernait de la
voix.
À sa gauche s'étendaient des
montagnes escarpées, couvertes de
hêtres, de chênes et de sapins.
Lorsqu'une légère brise
s'élevait de ce côté, elle lui
apportait la douce senteur de la résine, et
lorsqu'elle cessait de souffler, une sorte de
musique résonnait sur la forêt. Les
arbres murmuraient, les branches bruissaient, et
les feuilles semblaient s'embrasser en chantant.
Mais à l'automne, à la chute des
feuilles, les sapins faisaient entendre comme un
chant funèbre. Sous le rocher
s'étendait le pâturage, semblable
à une grande étoffe de soie
brodée de fleurs qu'un petit ruisseau
parcourait comme un ruban d'argent.
À sa droite s'étendait une
clairière parsemée de buissons
ornés au printemps les uns de fleurs, les
autres de feuilles seulement ; les belladones
et les airelles brillaient sur la verdure, en
été et en automne. Le petit berger
connaissait bien toutes ces plantes, les bonnes et
les dangereuses ; c'était le vieil
André qui lui avait appris à les
distinguer.
Quelle splendeur, lorsque le soleil baignait tout
cela de sa lumière d'or ; Petit-Martin
pouvait alors tout oublier autour de lui ;
tandis que le bétail paissait
tranquillement, lui-même tressait avec des
joncs toutes sortes d'objets ; il confectionna
d'abord des balais, puis réussit des paniers
pour les poules, enfin il essaya des corbeilles
pour les pots à fromages ; chaque jour
il rapportait le produit de son travail et les
paysannes auxquelles il le cédait lui en
donnaient le prix qu'il voulait. Cela lui permit
alors d'économiser une petite somme.
« Qui sait, aimait-il à se dire,
cela pourra bien me servir un four ; il faut
bien que je pense un peu à
moi ! » Souvent, tout en se livrant
à son travail de vannerie, il laissait
flotter ses pensées. « Cette belle
nature que je vois s'est-elle faite toute
seule ? Si non, qui donc l'aurait faite ?
Peut-être est-ce le Dieu dont le bourgmestre parlait toujours
lorsqu'il jurait, et dont sa femme disait lorsque
quelqu'un venait à mourir : (Que le
Seigneur Dieu soit loué de l'avoir repris
à lui. » Où habite ce Dieu
et où reprend-il les gens ? Aurait-il
aussi pris ma mère avec lui ? Si c'est
lui qui a créé tout ce que je vois,
comme il doit être intelligent et bon !
Comme tout est bien organisé :
plusieurs plantes croissent pour notre nourriture,
d'autres peuvent être employées comme
remèdes ; celles qui aiment l'ombre,
Dieu les a semées sous les arbustes, par
contre, d'autres se développent librement au
soleil. Lorsqu'il pleut, tout renaît à
la vie, mais comme trop de pluie est nuisible, il
envoie ensuite le vent et fait de nouveau luire le
soleil. Si c'est vraiment un Dieu qui a fait cela,
comme c'est un Dieu grand et sage !
« Et l'endroit où il accueille les
gens, est-ce une aussi jolie terre ? Lorsque
ma bienfaitrice est morte, on lui a placé
une pièce d'argent dans la main :
« Pour la traversée »,
disait-on (1)
Qu'est-ce que la
traversée ? Il existe peut-être
entre cette terre-ci et l'autre une grande
étendue d'eau, et qui donc alors conduit les
gens sur l'autre rive ?
Pendant une semaine, il fut interdit de se livrer
au moindre travail dans la maison de la
défunte pour que son âme ne soit pas
troublée, puis on cuisit le pain, car cela
doit être agréable à
l'âme, le parfum du pain frais.
« Pourquoi les âmes n'ont-elles
aucune paix ? Ce n'est peut-être pas,
auprès de Dieu, aussi beau qu'ici.
Hélas ! quel malheur que nous soyons
tous appelés à
mourir ! » De telles pensées
obsédaient souvent l'enfant, et il aurait
volontiers voulu approfondir ces choses, mais il
n'avait personne à qui s'adresser.
Petit-Martin exerçait depuis un an
déjà ses nouvelles fonctions de
berger en chef lorsque le printemps reparut ;
ce fut à cette époque que le
bourgmestre mourut subitement ; il
s'était, dans les derniers temps,
adonné à la boisson, et il fut
rapidement emporté par une attaque ;
l'enfant ne pouvait s'empêcher de se demander
ce qu'il était advenu de lui :
où était-il maintenant ?
était-il en présence de Dieu ?
Quel aspect revêtait Dieu ?
Il arrivait que le jeune berger passait des jours
entiers sur son rocher, occupé à
tresser des corbeilles de jonc ; il levait
alors les yeux au ciel en s'écriant :
« Mon Dieu, je ne sais presque rien de
toi, mais puisque tu peux tout, enseigne-moi
quelque chose de toi et dis-moi où se trouve
le pays où tu reçois les hommes
après la mort ! Les retrouve-t-on
là tous ensemble, bons et
méchants ?
L'enfant était persuadé que Dieu
entendait le cri de son âme ; il
continuait paisiblement son petit travail, lorsque
soudain un bêlement plaintif frappa son
oreille ; Fidèle et lui coururent en
hâte et il aperçut son petit agneau
préféré, d'un blanc
tacheté de noir, qui avait roulé dans
un précipice et gisait au milieu des
broussailles.
« Ah ! cher petit, comment
pourrai-je arriver jusqu'à toi ? Les
pierres sont si glissantes ! »,
s'écriait-il. Avec peine, il se laissa aller
jusqu'en bas, puis, avec plus de peine encore, il
gravit la montée, chargé de son petit
agneau. Oh ! quelle joie ! Il le portait
sur son épaule et le caressait tendrement
tout en lui adressant d'affectueux reproches,
jusqu'à ce qu'il ait rejoint le
troupeau ; l'agneau sauta alors d'un joyeux
bond et se remit à paître avec
délices.
Vers midi, lorsqu'il était occupé
à abreuver le troupeau, quelques femmes
arrivèrent et se mirent à la
recherche des champignons ; il leur raconta
alors l'événement du matin.
« Petit-Martin, dit la vieille Huda, cela
nous rappelle justement ce passage de la
Sainte-Écriture où il nous est dit
qu'un berger avait cent brebis dont une se perdit,
et qu'il laissa les quatre-vingt-dix-neuf autres
pour se mettre à la recherche de
l'égarée.
- Et qu'arriva-t-il alors ?
- Le berger la chargea sur son épaule,
la rapporta chez lui et se réjouit de
l'avoir retrouvée ; il appela
même les voisins pour que ceux-ci
partageassent sa joie. »
Cette histoire ravit Martin.
« Et qui était ce berger ?
où demeurait-il
- Cela, je ne le sais pas ; c'est le Seigneur
Jésus qui a raconté cette histoire
à ses disciples.
- Et qui était Jésus ?
- Mais, Martin, s'étonnèrent les
femmes, comme tu es ignorant !
- Ne vous moquez pas de lui, s'écria la
vieille Huda, le pauvre enfant n'a jamais eu
personne pour l'instruire de cela, et il n'a jamais
été à l'école...
« Martin, tu sauras que
Jésus-Christ est le Fils de Dieu. - Mais
voici pour nous l'heure de rentrer. »
Les femmes s'éloignèrent ; le
garçon avait déjà
oublié qu'on avait raillé son
ignorance, mais il se réjouissait vivement
d'avoir appris quelque chose de Dieu, que Dieu
avait un Fils qu'on appelait Jésus-Christ.
Jésus,
ce nom lui plaisait
extrêmement. Ce Jésus était
certainement lui aussi un berger ;
peut-être était-ce lui-même qui
possédait ces cent brebis ; mais alors,
s'il y a là des pâturages, il doit y
avoir des forêts ; comme cela doit
être beau !
Sur le chemin du retour, Martin examinait plus
attentivement le ciel.
Peut-être rentre-t-on aussi en ce moment le
troupeau du pâturage, et le Fils de Dieu,
Jésus lui-même, doit souvent parler de
brebis et les mener paître comme je le fais.
Peut-être me voit-il en ce moment ? Je
mourrais bien volontiers si j'étais
assuré qu'il me prenne comme aide-berger
à son service ; je pourrais aller voir
comment il est.
Le lendemain, Martin se réveilla dans une
joie extrême ; il se
débarbouilla, se peigna soigneusement et
revêtit ses plus beaux habits ;
lorsqu'il eut ramené en son étable la
vache blanche du fossoyeur, il interpella soudain
la femme de celui-ci : « Petite
tante, dites-moi, je vous prie, si Dieu voit tout
ce que nous faisons. »
La femme le regarda de travers ; elle venait
justement de se quereller avec son mari, et
celui-ci était allé jusqu'à la
rouer de coups.
« Oui, certes, il voit tout, mon enfant,
et si tu fais le mal, il te punira »,
menaça-t-elle.
- Je ne veux pas faire le mal, petite tante,
protesta le garçon.
Et elle s'apprêtait à le
congédier.
« Eh ! petite tante, dit encore
Martin en se retirant, son Fils nous voit-il
aussi ?
- Quel Fils ?
- Jésus.
- Le Seigneur Jésus ? Sans doute, mon
enfant
- Mais il est temps pour toi de t'en
aller. »
Martin la quitta, mais tout le long du chemin, il
se demandait comment tout cela pouvait être.
Durant toute cette journée, il n'osa plus
jurer, comme il en avait l'habitude, car, n'est-ce
pas, si Jésus voyait tout, certainement il
entendait aussi tout.
|