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TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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PROMENADES À TRAVERS LE PARIS DES MARTYRS
1523 - 1559



CHAPITRE XI

La place Maubert

La place Maubert. - Origine de ce nom. - Une représentation satirique en 1515. - Les martyrs. - Guillaume Joubert, Jacques de la Croix dit Alexandre ou Laurent Canus. - Antoine Augereau. - Deux exécutions en 1542. - Impressions d'un témoin catholique. - François Bribart. - Jean Chapot. - Étienne Dolet. - Nicolas Clinet. - Taurin Gravelle. - Philippe de Luns, dame de Graveron. - Conclusion. - Un mot d'Émile Boutroux. - Une citation de Michelet.

Le nom de place Maubert évoque des idées sinistres. La statue de Dolet que l'on y a dressée exprime la protestation de l'esprit moderne contre la barbarie d'autrefois. Cette place, devenue aujourd'hui banale, était une des plus curieuses du Paris d'autrefois.

D'où vient son nom ? « Il lui a été donné, dit un vieil auteur (1), par corruption de maître Albert, parce qu' Albert le Grand, qui a été de son temps l'ornement de l'Université, étant venu de Cologne en cette ville, fut suivi d'un si grand nombre d'écoliers, que la classe ordinaire n'étant pas assez grande pour les contenir, ce célèbre docteur fut obligé de donner ses leçons au milieu de cette place qui en a retenu le nom. » C'est la tradition légendaire. D'autres pensent que ce nom de Maubert vient d'un abbé de St-Germain-des-Prés qui permit le premier aux Parisiens de bâtir sur cette partie du territoire dépendant de son abbaye.

Quoi qu'il en soit, la place, était célèbre au Moyen-Age, et au XVIe siècle encore, par les fêtes universitaires qui s'y donnaient et les joyeux devis qu'on y pouvait entendre. Elle était en même temps le lieu d'exécution des « criminels » jugés par l'Université, et, comme en Grève, les marchés, les spectacles et les jeux y alternaient avec les pendaisons et les bûchers.

Au printemps de 1515, une, scène joyeuse avait fort amusé les écoliers de la place Maubert. Un prêtre qui se faisait appeler M. Cruche, y avait représenté certaine sottise, moralité, sermon et farce qui était une satire des grands seigneurs « qui portaient du drap d'or à crédit et emportaient leurs terres sur leurs épaules. » Il montrait aussi une certaine lanterne où l'on voyait une poule sous une salamandre (2) et « cette poule portait sur elle une chose qui était assez pour faire mourir dix hommes. » Cette poule symbolique était une allusion fort claire à Jeanne Le Coq, mariée à l'avocat Disome, et dont les complaisances pour le roi étaient connues de tous... Le roi était jeune. Il résolut de se venger de l'insolent sans recourir à la justice. Une dizaine de ses gentilshommes se rendirent à la Taverne du Château, rue de la Juiverie et le sieur Cruche y fut mandé pour y jouer sa farce. Il fut contraint de s'exécuter, après quoi il fut « dépouillé en chemise, battu de sangles merveilleusement et mis en grande misère. » Les amis du roi avaient même apporté un sac pour le mettre dedans et le jeter à la rivière. Mais le bonhomme cria si fort qu'il était prêtre, qu'il portait la tonsure, que les conjurés n'osèrent pousser plus loin leur vengeance.

La Réforme naissante ne tarda pas à avoir ses victimes place Maubert. Le premier martyr de la Réforme qui y ait été brûlé, s'appelait Guillaume Joubert. Voici ce qu'on lit à ce sujet dans le Livre de raison de Nicolas Versoris.

« Le samedi XVIIe jour de février (1526), en karesme, ung nommé maistre Guillaume Jobert, natif de la ville de la Rochelle, fils de l'avocat du roy de lad. ville, licientié en loix, demeurant pour lors à Paris, comme sont demeurant jeunes licentiés pour veoir et cognoistre de la pratique, pour plusieurs blasphèmes par luy dictz et recitez contre l'honneur de Dieu, de sa très sacrée et intémérée mère et vierge Marie, condempné fust à estre mené au parvy Notre-Dame et là faire admende honorable, de là mené dans ung tombereau devant l'Eglise madame Ste-Geneviève, intégrité de laquelle s'estoit efforcé de violer, faire pareille, amende honorable, puys mené à la place Maubert, après luy avoir percé la langue, estranglé fust et bruslé à ung instant. Les informacions et procès contre luy fait, fust trové si abhominable et honteux que par arrest fust condempné à estre brûlé quant et led. personnaige, parce que les choses dont il estoit accusé valloient mieux estre cellés que dictez et recitez. Dieu lui face pardon. Il mourust par conrection bon chrestien. Je estois présent. »

L'annotateur de Versoris, M. Fagniez, se trompe dans ses conjectures quand il suppose qu'il s'agit ici de deux personnages dont l'un était coupable de crime contre nature. Il a été trompé par la bigoterie de Versoris. Il s'agit simplement du crime reproché déjà à Jean Vallière, qui fut aussi brûlé avec son procès, parce qu'il s'élevait contre l'immaculée conception de la vierge Marie.

Le journal de Driart nous donne l'âge du martyr. il avait 24 ans. Driart lui-même, la Cronique , le Journal d'un bourgeois de Paris, s'accordent tous pour voir en Guillaume Joubert, non l'être impur qu'a supposé M. Fagniez, mais un jeune avocat qui avait proféré quelques paroles blasphématoires contre Dieu et sa glorieuse mère et les benoist saincts et sainctes. » On sait ce que cela veut dire dans la bouche d'un ecclésiastique du XVIe siècle : Joubert était simplement Imbu des idées de la Réforme (3).

Le 18 juin 1534, nouveau bûcher d'hérésie. Il s'agit cette fois, d'un ancien Jacobin qui, atteint et convaincu d'hérésie, fut dégradé devant Notre-Dame par l'évêque de Paris, et livré ensuite à la justice laïque qui le fit brûler tout vif place Maubert. Il s'appelait Jacques De la Croix, dit Alexandre ou Laurent Canus, natif de Caen au diocèse d'Évreux. Un document de la Bibliothèque nationale reproduit par divers auteurs, prétend, dans une sorte d'amphibologie voulue, qu'il avait été à Lyon où il s'était marié à deux femmes. Mais nous savons la facilité avec laquelle on calomnie les hérétiques ; le renseignement est absurde. Les auteurs du Martyrologe n'auraient point accueilli Alexandre Canus dans leur galerie de Martyrs, s'il y avait eu quelque chose à lui reprocher dans sa vie. S'il eût été « bigame », les réformés de Lyon où il exerçait son ministère, auraient été les premiers à le dénoncer.

Alexandre Canus désireux de professer librement sa foi s'était retiré en Suisse dans le canton de Neuchâtel, puis à Genève, au moment même où Farel s'efforçait d'y faire pénétrer l'Évangile. Là, il s'était trouvé en lutte violente avec le dominicain Furbity. Indigné d'entendre celui-ci traiter de chiens enragés, de juifs, de turcs, etc..., ceux qui mangeaient de la viande le vendredi, lisaient la Bible en langue vulgaire ou niaient la suprématie du pape, il lui tint tête et lui offrit de prouver publiquement ses erreurs. Le conseil de Genève le fit arrêter et le condamna au bannissement. Canus rentra alors en France, passa par Mâcon, prêchant hardiment l'Évangile. Venu à Lyon, il y prêcha le jour de Pâques 1534, et le lendemain devant un grand auditoire. Il y avait alors à Lyon des orfèvres « fidèles ». La justice avertie des assemblées que tenaient les réformés, fit arrêter Canus et le condamna à mort. Il en appela, et c'est ce qui l'amena à Paris. En route, il convertit le capitaine qui le conduisait. C'est qu'il était mû d'un grand zèle, dit Froment, et savant, « car il avait bien profité et longtemps étudié dans Paris. » Canus exerça dans les débuts de la Réforme française un rôle, assez important pour que Théodore de Bèze lui ait consacré un article dans ses Vrays Pourtraits (p. 173).

Mis à la torture à Paris, il en eut une jambe rompue. « Mon Dieu, s'écriait-il au milieu de ces tourments, il n'y a pitié ni miséricorde en ces hommes ; fais que je la trouve en toi. » Guillaume Budé « qui « était de grande autorité et crédit par son savoir et érudition exquise, », finit par faire observer aux bourreaux du Parlement, qu'on avait par trop tourmenté le pauvre patient.

Ses juges n'ayant pu lui extorquer les noms de ses frères, le condamnèrent à mort. Il devait être préalablement dégradé devant Notre Dame. « Pendant qu'on faisait tous les mystères accoutumés, » Canus restait silencieux, car il craignait qu'on lui coupât la langue. Mais ses gestes et son sourire disaient assez ce qu'il pensait de la sotte cérémonie dont il était le héros. Quand on l'eut revêtu d'une robe de fou, il bénit Dieu de lui avoir donné la livrée que Jésus lui-même reçut dans la maison d'Hérode.
Mené dans un tombereau à la place Maubert, il exhortait le peuple, qui le suivait... Plusieurs murmuraient qu'on le faisait mourir à tort.
Arrivé au pied du poteau, il obtint du lieutenant criminel du Châtelet, Jean Morin, et du chantre de la sainte Chapelle, la permission de parler. Il fit alors « un sermon excellent et de merveilleuse efficace, » dans lequel il rendait raison de sa foi et traitait de la Cène du Seigneur « avec telle véhémence et vivacité d'esprit », que plusieurs fidèles qui l'avaient entendu prêcher confessèrent qu'il n'avait jamais mieux parlé. (4).
Quand il eut finit, il dit : « Allons », et ayant prié les yeux levés au ciel, il disait au milieu du feu : « Prions Jésus-Christ qu'il ait pitié de nous et qu'il reçoive mon esprit. » Et, jusqu'à la fin on l'entendit crier à haute voix jusqu'à ce qu'il ait rendu l'esprit : « Mon Rédempteur, aie pitié de moi. »

Des morts comme celle-là, recrutaient en masse des adhérents à la Réforme française.
Parmi ceux qui virent mourir Canus, les uns, dit Crespin, disaient que si cet homme n'était sauvé, personne ne le serait, les autres se frappaient la poitrine en disant qu'on avait fait tort à cet homme qui ne parlait que de Dieu. D'autres enfin disaient qu'il était mort « obstiné en sa loi ».

Pour avoir une idée de la valeur du récit de Crespin, il est bon de relire le récit catholique de la mort de Canus. On sera frappé de la concordance. « Quand il fut à la place Maubert, et descendu d'un tombereau, il pria MM. les docteurs qui le conduisaient avec le greffier criminel du Parlement, lui donner congé de faire une petite harangue, ce qui lui fut octroyé, et commença fort bien à parler du saint sacrement de l'autel, mais à la fin n'en valut rien ; parquoi, mes dits seigneurs les docteurs ne le voulurent laisser achever et fut brûlé tout vif avec son procès ; mais toujours criait « Jésus ! » et encore lui étant dedans le feu. » (5)
On comprend que le Parlement pour éviter de pareils discours ait décidé dès lors de couper préalablement la langue à ceux qui étaient décidément des « hérétiques obstinés. » (6).
Canus mourut en juin.

Le 20 novembre, on amena place Maubert, pour y être étranglé et brûlé, un libraire qui demeurait tout près de là et dont le crime consistait à relier et à vendre des livres de Luther (7). Le 24 décembre, c'est le tour d'un imprimeur, Antoine Augereau.

Antoine Augereau était originaire de Fontenay-le-Comte, en Vendée. Il venait de publier à Paris, dans cette année 1533, le fameux livre de la reine Marguerite, Le miroir de l'âme pécheresse qui avait paru pour la première fois à Alençon, en 1531. La Sorbonne s'était jetée sur le livre et l'avait condamné sans en connaître l'auteur. Mais la reine Marguerite se fit connaître, se plaignit à son frère du traitement subi par son opuscule. Examiné à nouveau, celui-ci fut trouvé orthodoxe par l'évêque de Senlis, Guillaume Parvi, et le tout se termina par des excuses. L'imprimeur du volume ne réussit pas à se tirer aussi bien d'affaire. Condamné comme complice des afficheurs du placard de 1534, et comme imprimeur de « faux livres, » il fut étranglé dans une poterne avant d'être brûlé.

Le 18 septembre 1535, on brûla vif dans Paris, deux jeunes gens originaires de Tours. L'un, place Maubert, l'autre au cimetière St-Jean. C'étaient « de jeunes compagnons faiseurs de rubans de soie et de tissus. »
Quel effet produisait sur les spectateurs tant soit peu éclairés la barbare exécution d'aussi braves gens ? Le document qui suit va nous en donner une idée.

Deux exécutions à Paris pour cause d'hérésie.

Lettre d'un jeune allemand, témoin oculaire 1542.
(Communiqué par M. A. Müntz). Bull. 1858, p. 420

On lira sans doute avec un profond intérêt la lettre qui suit. Elle fut adressée, en 1542, par un jeune Allemand catholique, Eustalhius de Knobelsdorf, qui s'était rendu à Paris dans l'intérêt de ses études, au savant théologien Georges Cassander, catholique comme lui, mais comme lui porté à des sentiments de concession à l'égard du nouveau culte. Nous traduisons cette pièce du latin, sauf une vingtaine de lignes au commencement, que nous omettons paru qu'elles ne renferment que l'expression de l'attachement du jeune correspondant pour Gassander, dont il avait probablement été l'élève (8).

Au très savant George Cassander, professeur au collège de Bruges.

... Vous me priez, très honoré ami, de vous communiquer exactement ce que j'ai pu savoir des luthériens condamnés à être brûlés. Je sais le faire, autant que la brièveté du temps me le permet, car il faut que je réponde à votre lettre au moment même où je viens de la recevoir, sous peine de laisser le messager s'en retourner les mains vides.

Je vous ai parlé des services de prières qui se faisaient ici ; je pensais alors qu'ils n'avaient rien d'extraordinaire ; mais, depuis, j'ai su qu'ils ont une cause spéciale et qu'ils se rapportent à des événements malheureux. Le roi de France avait écrit au Parlement de Paris pour lui recommander d'ordonner des prières publiques à cette fin qu'il réussit à recouvrer son patrimoine légitime, détenu injustement par des usurpateurs (9) et à venger la mort de ses envoyés, qui avaient été tués contrairement au droit des gens, à toute humanité et à toute foi. En outre, le roi recommandait au Parlement de faire exécuter, selon l'usage, les gens hétérodoxes qui se trouvaient détenus dans les prisons. On se hâta d'obtempérer au voeu du roi et, après de nombreuses processions, un service général de supplications fut célébré avec beaucoup de pompe par tout le clergé et tout le peuple. Des prédicateurs furent chargés d'apprendre au peuple que le but principal de cette solennité était d'obtenir du ciel le succès des entreprises du roi et le relèvement de l'Eglise romaine, très gravement menacée, et qu'en conséquence on brûlerait vifs, après la solennité, huit individus qui avaient mal parlé du siège apostolique (10).

À peine le service de prières était-il terminé que la foule se porta à la place Maubert pour y attendre les victimes. Mais ce jour-là rien ne fut fait. Les luthériens, à ce qu'on disait, en avaient appelé au Parlement. J'en ai vu brûler deux. Leur sort m'inspira des sentiments bien divers. Si vous y aviez été, vous auriez souhaité à ces infortunés un châtiment moins rigoureux.

Le premier était un tout jeune homme, encore sans barbe, à peine un peu de duvet lui avait poussé au menton ; la plupart des assistants ne lui donnaient pas vingt ans. Il était fils d'un cordonnier. L'autre était un vieillard plus que sexagénaire, déjà affaissé par l'âge, d'une figure vénérable, avec une longue barbe blanche. Le jeune avait dit des choses malsonnantes sur les images miraculeuses (ici on ne les vénère pas seulement, on accourt de toutes parts pour les adorer) ; il avait soutenu qu'elles ne diffèrent guère des dieux de pierre des Gentils, et qu'on doit les rejeter des temples chrétiens si elles deviennent une occasion d'idolâtrie. Il était accusé d'avoir tenu encore d'autres propos qui se rapprochaient des doctrines de Luther. Quand on l'exhorta à se rétracter, loin de le faire, il se déclara prêt à confirmer même par sa mort ce qu'il avait avancé. Il fut amené devant les juges et condamné à avoir la langue coupée et à être brûlé ensuite. Sans changer de visage, le jeune homme présenta sa langue au couteau du bourreau, en la sortant autant qu'il pouvait. Le bourreau la tira encore davantage avec une pince, la coupa et en frappa plusieurs fois les joues du patient. On dit que ceux de la foule qui étaient le plus près (ô piété des Français !) ramassèrent cette langue encore palpitante et la jetèrent à la figure du jeune homme !

Placé ensuite sur une charrette, celui-ci fut conduit au lieu du supplice ; mais, à le voir, on eût dit qu'il allait à un festin. Il descendit spontanément et seul de la voiture, et se plaça à côté du poteau qui devait servir à l'exécution. Quand on lui eut mis la chaîne autour du corps, je ne puis vous dire avec quelle égalité d'âme et avec quelle expression dans les traits il supporta les cris d'allégresse et les insultes de la foule ameutée contre lui (insultantis turbae plausum et oblairationem). Il ne proférait aucun son ; de temps à autre il crachait le sang qui emplissait sa bouche, et il dirigeait ses yeux vers le ciel, comme s'il s'attendait encore à quelque secours miraculeux. Quand on eut couvert sa tête de soufre, le bourreau lui montra le feu d'un air menaçant ; mais le jeune homme, sans s'effrayer, fit comprendre, par un mouvement de son corps, qu'il se laissait brûler volontiers. En vérité, cher Cassander, je doute que les illustres philosophes qui ont tant écrit sur le mépris de la mort eussent supporté avec la même constance de si cruels tourments, tant cet adolescent paraissait élevé au-dessus de ce qui est de l'homme.

Le sort du vieillard fut un peu plus doux, mais me révolta beaucoup plus. C'était un bourgeois de Paris, père d'une nombreuse famille, estimé à cause de sa vie honnête. Ayant tenu quelques propos trop libres contre les moines au sujet de l'invocation des saints (car ici il faut être sur ses gardes), et ayant dit que tous les chrétiens sont prêtres, il fut convaincu par des témoins et jeté en prison. Attaqué là par des théologiens, il fut aisément réduit au silence ; il ne savait pas discuter. Il avoua son erreur et déclara qu'il se repentait. Ce triomphe vint fort à propos pour le clergé, car de telles gens donnent souvent beaucoup de besogne, même à nos docteurs les plus fameux. On exhorta le vieillard à persévérer dans ses sentiments de pénitence et on lui dit qu'il mourrait ainsi en chrétien, tandis que s'il ne s'était point rétracté, il serait mort en luthérien. Il fut lié par le bourreau et placé sur une charrette, à côté de deux jeunes gens qui furent attachés à lui, revêtus de chemises blanches et portant dans leurs mains des torches ardentes. Ils avaient entendu le vieillard parler contre les moines et ne l'avaient point dénoncé. C'était là leur crime. Conduits avec le vieillard à l'église de Notre-Dame (in templum Deiparae Virginis), ils y obtinrent leur pardon.

Le vieillard y dut de nouveau se rétracter en invoquant la sainte Vierge. De là il fut mené au gibet, où il répéta qu'il avait tout rétracté et qu'il n'avait rien de commun avec Luther. En conséquence, il fut subitement étranglé, puis jeté, demi-mort, dans les flammes. Beaucoup d'assistants jugeaient cette peine trop douce ; ils auraient voulu voir le vieillard brûlé vif. S'ils m'avaient interrogé, ils auraient trouvé en moi des sentiments tout à fait opposés. Qu'y a-t-il, en effet, de plus indigne que de livrer un homme au feu pour une erreur qu'il ne défend pas obstinément ? Les saints Pères eux-mêmes n'ont-ils pas dit que l'hérésie consiste dans l'opiniâtreté ? Ce malheureux vieillard fut brûlé peu de jours après le départ de Cornélius (11). J'apprends que le même sort attend des victimes innombrables. Prions Dieu pour que ces gens se convertissent s'ils sont dans l'erreur ; si au contraire ils ont raison, Dieu veuille leur donner de combattre intrépidement ! Mais en voilà plus qu'assez, il faut que je m'arrête. Veuillez lire, dans des sentiments d'indulgence et d'amitié, ce récit fait à la hâte. Adieu.

Paris, le 10 juillet 1542.

EUSTACHIUS DE KNOBELSDORF.

Les cendres n'avaient pas le temps de refroidir à la place Maubert. Voici ce que nous lisons dans le Martyrologe à la date de 1543. « En la fureur de cette persécution émue, par les Sorbonnistes (12) de Paris, plusieurs excellents témoins de la vraie et pure doctrine de l'Évangile furent exécutés en divers lieux en France. En la ville de Paris, François Bribart, secrétaire de Jean du Bellay, cardinal et évêque de Paris, donne ample et suffisant témoignage que la vérité du Seigneur lui était plus précieuse que les mensonges de ses adversaires, ni que sa propre vie... On le mena au supplice comme un agneau paisible. La langue lui étant coupée au sortir de la Conciergerie, il ne cessa, par signes manifestes, de déclarer l'espérance qui était en lui. Il fut brûlé, en la place Maubert, l'an 1543 (13). »

Et voici maintenant, le 19 juillet 1546, le martyre de Jean Chapot.
C'était un jeune dauphinois, instruit, qui, d'abord réfugié à Genève, en était sorti pour revenir à Paris où il s'efforçait de vendre et de distribuer des livres des Saintes-Écritures et autres traités réformés. Son zèle le fit tomber entre les mains du libraire Jean André qui faisait métier de trahir et de dénoncer ceux qui achetaient ou vendaient les livres suspects d'hérésie. Lizet destitué de sa charge au Parlement était devenu - malgré sa flagrante immoralité - abbé de St-Victor et il continuait à faire du zèle contre les novateurs qu'il ne pouvait plus brûler. Jean André était à sa solde et à celle des « Sorbonnistes ».

Pierre Chapot dénoncé et pris comparut devant la Chambre ardente du Parlement. Il sut si bien tenir tête aux conseillers et aux juges, il plaida si bien son bon droit de faire la Ste-Écriture juge dans la querelle alors soulevée, que la Cour fit chercher trois docteurs, Nicolas Clerici, doyen de la Faculté de théologie, Jean Picard et Nicolas Maillard. Ceux-ci, habitués à voir condamner les hérétiques sur leur simple rapport se refusèrent d'abord à la discussion sous prétexte que c'était une chance de mauvaise conséquence que de disputer avec des hérétiques. Cependant la douceur de Chapot les fit entrer dans la discussion. Tandis qu'ils se retranchaient derrière les conciles, les coutumes, les articles et déterminations, Chapot en revenait toujours à la règle certaine, l'Écriture, et il en appelait aux juges les exhortant à rechercher eux-mêmes la vérité sans se laisser empêcher et détourner par rien. Si bien que les maîtres Docteurs, confus de voir mise au jour « leur ânerie et impudence » se retirèrent furieux et menaçants.
Pendant ce temps, Chapot en prières rendait grâces à Dieu qui l'avait aidé dans la défense de sa cause et le suppliait d'inspirer à la noble compagnie un jugement juste et droit.

Chapot ayant été invité à se retirer, un débat violent s'engagea entre le Président et les conseillers et Chapot eût été absous sans l'acharnement du rapporteur de son procès (un homme confit en impiété, pollutions et vilenies) qui insista pour qu'on le fit mourir. Chapot rappelé eut beau montrer qu'en condamnant ses livres, c'est la Ste-Bible que l'on condamnait aussi. « L'impudence des plus effrontés gagna la couardise des autres, qui avaient été intimidés par les Sorbonnistes. Tout ce qu'il obtint c'est d'être brûlé vif sans avoir la langue coupée au préalable.

Parvenu à la place Maubert, Chapot que l'on avait soumis à la question extraordinaire pour essayer de lui faire dire le nom de ceux qui lui avaient acheté des livres, demanda que l'on soulevât son pauvre corps démembré pour qu'il pût un peu parler au peuple selon la permission de la Cour. Deux hommes le soulevèrent debout sur la charrette qui l'avait amené. Il commença à dire : Peuple chrétien, peuple chrétien, mais il eut une faiblesse et ne put que dire faiblement : « Seigneur, donne-moi la force que j'ai toujours demandée, de pouvoir rendre raison de ma foi aux hommes, afin qu'ils connaissent que je ne suis pas hérétique mais entièrement d'accord avec l'Eglise catholique et vraiment chrétienne ». Puis, retrouvant des forces il exposa sa foi, en commentant le symbole des apôtres et se défendant d'avoir offensé la Vierge Marie. Mais quand il en arriva à la Cène et à la différence qu'il y a entre elle et la Messe, Maillard l'arrêta tout net. Dans la foule, des écoliers protestèrent, il y eut un peu de tumulte dont Maillard profita pour faire descendre Chapot et pour hâter l'exécution. Chapot ayant été dépouillé de ses habits et élevé en l'air, Maillard lui criait : « Dites seulement Ave Maria et vous serez étranglé (14). Mais Chapot disait sans cesse : « Jésus, fils de David aie pitié de moi ! » Quelques-uns prétendirent qu'extrêmement pressé par Maillard il lui échappa de dire : « Jésus Maria ! » mais se repentant aussitôt, il s'écria : « 0 Dieu, qu'ai-je fait. Pardonne-moi, Seigneur, c'est à toi seul... ! »
Maillard trouva le mot suffisant il fit tirer la corde et le martyr fut étranglé.

Ce terrible épisode eut un épilogue. Après l'exécution, Maillard se rendit au Parlement et se plaignit vivement à la Chambre ardente de n'avoir pu empêcher le martyr de parler, que ses paroles avaient produit un tumulte et que si l'on faisait ainsi pour les autres, tout serait perdu. Il importuna tellement la Cour qu'il fut décidé que désormais on couperait toujours les langues des condamnés, dans la prison même pour que le peuple ne soit pas séduit par leurs discours (15).

De pareilles décisions provoquées par des docteurs de l'Eglise se passent de tout commentaire.


Table des matières

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(1) Les curiosités de Paris, t. I, p. 313.

(2) Allusion aux armes de François 1er.

(3) Voyez les arrêts du Parlement qui le concernent. Bull. 1895, p. 443. Cf. Bull. 1894, p. 257.

(4) Froment et Crespin reproduisent ces paroles qui « avaient été mises par écrit par gens fidèles. »

(5) Journal d'un bourgeois de Paris, éd. Bourilly, p. 435.

(6) Voyez sur Alexandre Canus : Martyrologe, éd. Toulouse, t. I. p. 285 ; Froment, Actes de Genève, p. 75 et ss. ; Herminjard, Corresp. des Réformateurs, III, 121 et passim ; de Bèze, Les vrays Pourtraits, p. 173.

(7) Journal d'un Bourgeois de Paris, p. 380.

(8) Cette lettre se trouve dans le recueil intitulé : Illustrium et Clarorum virorum epistoloe selectiores, superiore soeculo scriptoe vel à Belgis vel ad Belgas. Lugduni BaLavorum, 1617. Elle est citée par M. le professeur Baum, dans sa Vie de Th. de Bèze.
Ce même Eustache de Knobelsdorf est l'auteur d'un poème sur Paris intitulé : Lutetioe Parisiorum descriptio, authore Eustathio a Knobelsdorf, pruteno, Parisiis, apud Christianum Wechelium, 1543, in-8° (Bibl. Mazarine, n° 10675.). Cf. le texte latin de cette lettre dans Herminjard, Correspond. des Réformateurs, t. VIII, p. 59.

(9) Le Milanais, probablement.

(10) C'est-à-dire le siège de Rome : style introduit par les bulles pontificales, absolument comme s'il n'y avait eu d'apôtre que dans la ville aux sept collines. C'est par un abus semblable qu'on appelle l'Eglise de Rome, fondée après tant d'autres, Mater omnium Ecclesiarum.

(11) Cornelius Gualtherus (Wonters) chanoine à Bruges.

(12) C'est-à-dire la Faculté de théologie.

(13) Martyrologe, éd. Toulouse, I, 381. il y a ici une erreur de date ou plutôt simplement d'impression. François Bribart fut brûlé le 8 janvier 1545. Voyez Archives nationales X2a 97, et N. Weiss, qui fournit l'indication, Chambre ardente, p. XXXIII.

(14) Étranglé avant de sentir le feu.

(15) Martyrologe, I, 514 et suiv.

 

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