Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LE CORPS DES VOLONTAIRES

L'histoire de la Finlande peut être divisée en trois époques principales. Au début, sans qu'on puisse établir depuis quand, ce pays fait partie de la Suède. Puis il en est détaché, en 1809, après une guerre malheureuse contre la Russie. Le Tsar l'incorpore à son empire et prend le titre de Grand Duc de Finlande. En 1918, au prix de toutes les souffrances d'une guerre civile, sanglante entre toutes, elle peut enfin rompre cette chaîne. Pour la première fois dans son histoire, la Finlande est un état indépendant. C'est à partir de là que commence la troisième période.

Les liens qui rattachent la Finlande à la Suède ne datent pas seulement d'avant 1809. Le suédois était, dans le passé, la seule langue des milieux cultivés. Il a exercé, une influence prédominante sur la culture intellectuelle, la pensée et le développement artistique finlandais. Une forte minorité finlandaise - 343.000 âmes sur une population totale de 3.800.000 - fait usage, aujourd'hui encore, du suédois comme langue maternelle.

Cette fidélité des Finlandais à l'égard de la Suède a toujours été considérée comme le rempart du sentiment national. Sous son influence se formèrent des personnalités, auxquelles la lutte contre la russification donna une allure combative que le Suédois de Suède ne connaît plus. C'est dans cette ambiance que s'est formé l'un des plus grands poètes scandinaves de langue suédoise, Johan-Ludwig Rüneberg.

La « passion » finlandaise date du début de ce siècle. Anxieux de venger ses insuccès dans d'autres régions de son vaste empire, le Tsar s'efforça de russifier la Finlande. La tyrannie exercée par le général Bobrikow n'eut cependant pas d'autre effet que de tremper l'âme des patriotes et de stimuler leur volonté de résistance.

La souffrance du peuple atteignait son point culminant, lorsqu'en 1918 la guerre civile s'étendit jusqu'en Finlande. Assistés de coreligionnaires finnois (1), les bolchévistes russes instituèrent un régime sanglant dans une grande partie du pays. La Finlande n'était pas suffisamment forte pour s'opposer seule à ce régime, aussi des courriers volèrent-ils à l'étranger pour appeler à la rescousse les puissances voisines.

En Suède, depuis plus de vingt ans, l'on se bornait à regarder, l'arme au pied, le voisin se débattre contre la « Terreur rouge ». Son peuple pouvait-il en conscience prendre son parti d'un tel fait ? La seule consolation de plusieurs était que de nombreux volontaires suédois, côte à côte avec leurs frères finnois, dormaient leur dernier sommeil, là-bas, dans le sol héroïquement défendu par eux. Mais lorsque la Finlande se trouva de nouveau en présence de la guerre, on vit se réveiller la conscience suédoise. Devait-elle rester cette fois encore dans l'inaction, se dérober derechef ? Non, personne ne l'entendait ainsi. Le désir d'aider la Finlande était unanime, mais, en tant qu'État, la Suède pouvait-elle, entrer, oui ou non, dans la lutte ? C'est sur ce point que s'engagèrent d'âpres discussions.
Celui qui se serait trouvé au Palais du Riksdag, à Stockholm, le jour de l'ouverture des hostilités, alors que furent radiodiffusées les premières nouvelles des cruels bombardements d'Helsingfors, aurait pu voir ministres et députés se partager en deux camps, sans considération de partis. Au groupe des Activistes - qui poussaient à l'intervention et que présidait le Ministre des Affaires étrangères Sandler -, s'opposait celui des Temporisateurs, formé de gens circonspects, qu'inspirait le Président du Conseil des Ministres Hansson. Quelques jours après, le Ministre des Affaires Étrangères dut démissionner et la suite des événements semble donner raison au Président du Conseil, dont les informations pouvaient alors expliquer l'attitude.

Personne n'essaya de mettre à l'épreuve la thèse de certains milieux militaires d'après laquelle les armées de Finlande et de Suède réunies seraient capables d'arrêter les Russes en Carélie ! Mais on doit reconnaître qu'il ne fut pas facile au gouvernement de défendre sa position au cours de ces mois de guerre. Le Roi lui-même dut intervenir pour convaincre la nation.

Tout fut donc laissé à la bonne volonté de chacun. L'esprit de sacrifice trouva son expression la plus visible dans les millions de couronnes suédoises offertes à la Finlande, offrande fraternelle à laquelle participèrent tous les milieux et toutes les classes de la nation. Son ampleur permit aux Finlandais d'acquérir en Suède une quantité appréciable de matériel de guerre. De leur côté les ouvriers décidèrent de travailler le dimanche, sans rien toucher pour eux-mêmes, leurs salaires étant affectés intégralement à la défense de la Finlande. Et le « treizième jour de Noël » - le 6 janvier - qui, en Suède, est strictement chômé, machines-outils, scies mécaniques et rabots ne s'arrêtèrent dans aucune usine et pas un centime ne fut réclamé par les travailleurs. Ne s'agissait-il pas de fournir à la nation soeur les armes dont elle avait besoin ?

Un brise-glaces ouvrit un chenal au travers du golfe de Botnie, un peu au sud des îles d'Aland. Sous la protection des champs de mines, les blancs paquebots, hissant de jour et de nuit, à la proue, un signe de reconnaissance, transportèrent, infatigables, les cadeaux et les dons.
La charge principale de ces transports incombait néanmoins aux chemins de fer, dont la ligne du Nord, à voie unique, conduit jusqu'à Haparanda. À partir de Tornea, les chemins de fer finlandais en prenaient charge à destination du sud. On juge de la longueur du parcours !... (2)

La Finlande a des voies du modèle russe, c'est-à-dire plus larges d'écartement que celle de la Suède, ce qui ne compliquait pas peu les choses : impossible aux wagons suédois d'emprunter le réseau ferroviaire finlandais ! Tous les chargements devaient être rompus et reconstitués à la gare-frontière de Haparanda. Mais ces difficultés multiples furent surmontées avec bonne humeur, on peut même dire avec joie.

Plus sérieuses étaient les discussions que soulevait, en Suède même, la défense militaire du pays. Tout le système des fortifications du Nord - le Norrland - avait besoin d'être renforcé d'urgence. La province de Norrbotten se transforma en un vaste camp militaire. De gros ouvrages de défense furent construits en hâte, nonobstant un sol gelé. Et bientôt l'aide aux Finlandais se ressentit du fait que le chemin de fer du Norrland devait aussi servir à de multiples tâches.

Cet état de défense renforcée réclama le concours d'officiers et d'hommes en grand nombre. Cela étant, le gouvernement laisserait-il partir les Volontaires qu'on avait recrutés parmi les hommes astreints au service militaire ? À part de rares exceptions, et contrairement à ce que firent la Norvège et le Danemark, le Pouvoir accorda les autorisations nécessaires. Il mit à la disposition du Corps des Volontaires, en le prélevant sur ses réserves, tout le matériel de guerre et l'équipement nécessaires.
Effectivement, le désir de prendre une part active à la lutte s'était réveillé chez de nombreux Suédois.

La solution du problème n'était certes point aisée. Il fallait d'une part organiser un Corps de Volontaires qui, en tant qu'unité indépendante, serait placé sous les ordres du général Linder ; il fallait d'autre part établir la juste proportion entre la troupe et les cadres ; il fallait encore organiser le recrutement suivant un plan dûment préparé ; mettre au point les questions complexes que soulevaient l'établissement d'une assurance sur la vie pour les hommes engagés et l'entretien de leurs proches. Il fallait enfin examiner beaucoup d'autres questions, car, du point de vue suédois, cette expédition n'était, pour chacun de ses membres, qu'une entreprise privée.

En se référant à une institution de vieille date, créée au XVIIe siècle par le roi Charles XI, on fit appel à des « Büsthalter », c'est-à-dire à des parrains, qui assumeraient, chacun pour sa part, les obligations financières de l'un des Volontaires, ainsi que les risques courus par lui.
De suite après les fêtes de Noël commencèrent les premiers transports à destination du pays de la nuit nordique. Un profond silence régnait dans la vaste gare de Stockholm, lorsque les partants prirent congé de leurs proches. Le choral de Luther :

C'est un rempart que notre Dieu...

s'éleva, puissant, alors que, dans la pénombre, le train s'ébranlait en direction d'Haparanda.

Deux jours après Noël, le mercredi 27 décembre, le pasteur Hans Akerhielm, pasteur de l'église Sainte-Eléonore à Stockholm, était appelé à prononcer à la Radio suédoise l'exhortation matinale qui va suivre.




PLUS PRÉCIEUX QUE LA VIE !

Prions Dieu, au nom du Christ, notre Seigneur :
« Seigneur, nous savons que notre vie est entre Tes mains. Nous sommes paisibles dans le danger. Nous savons que la mort ne vient pas sans que Tu le permettes. C'est pourquoi nous ne craignons pas la mort. Nous Te remercions de la vie que Tu nous as permis de vivre jusqu'ici. Et, nous T'en prions : bénis le peu de temps qui nous reste encore à vivre. Laisse-nous nous rapprocher de Toi chaque jour davantage afin qu'au jour de la mort, nous trouvions refuge auprès de Toi. Amen. »

Mais je n'attache pour moi-même aucun prix à ma vie, pourvu que j'achève ma course et le ministère que j'ai reçu du Seigneur Jésus, en rendant témoignage à l'Évangile de la grâce de Dieu.

ACTES DES APÔTRES 20 : 24.

C'est l'Apôtre Paul qui parle ici. On peut dire qu'il avait quelque expérience des dangers de la vie. N'a-t-il pas fait trois fois naufrage et passé par bien des dangers ? Mais il sait aussi que la valeur de la vie ne consiste pas dans le repos et la vie facile. Elle est dans une bonne conscience.

Je m'adresse aujourd'hui particulièrement à ceux qui sont prêts à risquer leur vie. Je m'adresse à vous tous, là-bas, sur la mer ou ailleurs, qui pouvez être surpris par la mort à chaque instant. Je m'adresse à vous tous qui êtes prêts à défendre notre sol, où que vous soyez, au près ou au loin. Et je m'adresse aussi à vous tous qui allez partir, Volontaires pour la défense du droit et de la justice.

Tous, chers amis, nous pouvons dire comme l'Apôtre Paul : « Je tiens ma vie pour peu de chose... ».
Certainement notre vie nous est chère, mais il vaut mieux la bien vivre que la conserver à tout prix.
« Personne n'a de plus grand amour » a dit le Christ, « que celui qui donne sa vie pour ses amis ». Ce que le devoir et la conscience ordonnent, il faut le faire, même si l'on doit, pour cela, risquer sa vie. Plutôt perdre notre vie que céder devant ce que nous savons être notre devoir !

Cela est plus difficile pour ceux qui ont charge de famille. Car si la vie a peu de valeur pour eux-mêmes, elle représente en revanche beaucoup de choses pour les leurs. Si donc, malgré cela, ils mettent en jeu leur vie, il importe qu'ils le fassent « au nom de Dieu ». La vie est quelque chose de si grand et de si beau, qu'elle ne doit être ni tachée, ni souillée. Dieu seul peut la conserver pure et sainte. Chacun de nous a reçu du Seigneur Jésus une vocation spéciale, celle de proclamer l'Évangile de la grâce divine.

On peut le faire dans ses actes, et cela est grand. Mais demandons à Dieu qu'Il se tienne près de nous quand nous aurons à témoigner de Lui par nos paroles.
Mes amis, ne soyez pas, sur ce point, si réservés les uns vis-à-vis des autres.
Toi, ne crains pas de t'affirmer car ainsi tes camarades sauront que tu crois en Dieu. La meilleure chose que l'on puisse faire de sa vie, c'est de proclamer l'Évangile de la grâce de Dieu, par ses actes et par ses propos.

Pendant que je parle, quelques-uns d'entre vous se disent peut-être : Il est facile de prêcher ainsi de Stockholm et de montrer de la confiance devant le danger. À cela, je suis heureux de pouvoir répondre :

Ce soir même je pars pour la Finlande. AMEN.

En effet, le même soir, le pasteur Akerhielm, membre du Corps des Volontaires, quittait Stockholm pour occuper le poste d'aumônier de ce corps.

1. Au cours de cet ouvrage, on emploie, indifféremment semble-t-il, les termes « Finlandais » et « Finnois ». En fait, ces deux termes ont chacun leur signification. On applique le mot de « finlandais » à l'aspect politique du peuple, alors que le mot « finnois » indique l'origine raciale. (Les traducteurs.) 

2. Pour permettre de l'apprécier, signalons que le trajet de la voie ferrée de Stockholm, par Haparanda et Helsinglors, jusqu'au front, à Viborg, est égal, à vol d'oiseau, à celui de Zurich à Leningrad. (Les traducteurs.)
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