Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LE GLAIVE sous LA CROIX

En Finlande avec les Volontaires suédois



PARU EN ALLEMAND
(TRADUIT DU SUÉDOIS)
A
L'EVANGELISCHER VERLAG A. G.
ZOLLIKON - ZURICH
 
TRADUCTION FRANÇAISE
DE
CHARLES BRÜTSCH
ET
DAVID FRANCEY
Imprimé par
les Imprimeries Réunies
(Maison protestante)
Valence-sur-Rhône

Ouvrage visé par la Censure



AVANT-PROPOS

L'ouvrage que voici n'est point ce qu'il est convenu d'appeler un ouvrage d'édification. Il vous place d'emblée dans les brutalités de la vie réelle, telle que la vivent les soldats de ce temps au milieu du fracas des armes et du tonnerre des bombardements.
Cette vie est celle que chaque aumônier militaire est appelé à partager avec la troupe qui lui est confiée'.

L'auteur, le pasteur Akerhielm, est un soldat ou plus exactement un officier de réserve de l'armée suédoise. Et c'est en soldat qu'il fait connaître à ses camarades soldats le message de l'Évangile. Le ton de ses exhortations est vif, direct, pour tout dire : militaire. Ce n'est point, certes, le genre « gnan-gnan ». qu'on a parfois reproché à la prédication chrétienne.

Articles, conférences ou méditations sont courts, originaux, vécus. Chacun a son caractère propre. Au plaisir que l'on aura à les lire, on peut se représenter l'intérêt que, dans le feu de l'action, des soldats prenaient à les entendre. Car c'est un art difficile que de savoir capter l'intérêt du soldat ! Ces méditations pleines d'idées neuves sont enrichies de petits tableaux pris sur le vif ; elles nous font connaître un aspect nouveau de la piété scandinave : l'alliance si caractéristique de la valeur guerrière et de la foi, cette foi robuste et simple des légionnaires d'un autre âge. Instinctivement, l'on évoque les reîtres de Gustave Adolphe combattant pro aris et focis ou, plus près de nous, les arquebusiers confédérés conduits par un Ulrich Zwingli. Casque, épée et Bible en mains - tels paraissent être en raccourci les symboles de cette foi virile et forte.

Chez nous aussi, de tels accents doivent être entendus.

La tourmente qui dévaste l'Europe et va sans doute gagner la planète entière n'épargnera personne, - dans ses biens, ni dans son âme. C'est pourquoi, il faut retenir de ces expériences d'un lutteur, qui toujours reçut de Dieu le message topique, un enseignement qui « plaque », mieux encore : un mot d'ordre solennel.

 

Pour le droit et la vérité,
Pour la patrie et l'humanité,
Pour ceux dont les jours vont finir,
Pour ceux dont le jour doit venir,
Pour les peuples et pour les rois,
Il n'est d'espoir que dans la Croix.
Sois fidèle, tu seras fort,
Sois fidèle jusqu'à la mort



INTRODUCTION

« Le chrétien ne doit jamais recourir au glaive pour détendre sa propre vie et sa propre cause. Mais il lui est permis de s'en servir pour autrui lorsqu'il s'agit de s'opposer à la méchanceté et de détendre la foi. » LUTHER.

On sait en quoi consista la première réaction des gouvernements scandinaves lorsqu'en l'automne de 1939 se déchaîna sur l'Europe le conflit qui dure encore : avant toutes choses, maintenir la neutralité.
Une telle attitude s'imposait.

De par sa situation géographique et politique, la Scandinavie n'appartenait à aucun des deux camps ennemis. Elle n'avait pas été préparée à la lutte. Sa puissance militaire était trop réduite pour qu'on pût l'utiliser dans un but offensif et l'opinion publique n'entrevoyait même pas la possibilité d'une intervention armée. Ses dirigeants avaient su se dégager à temps des conventions que la Société des Nations imposait à ses adhérents. Ainsi, nulle divergence sur les principes régissant la politique extérieure.
Il en était tout autrement pour les individus.

Quoique neutres, ils se devaient de prendre position en face d'événements aussi tragiques. On assista, dès lors, au triomphe de l'opportunisme auquel se complaisent les âmes mercenaires, les profiteurs et, tout autant, les masses apeurées et dociles. Après avoir gémi sur les malheurs de la guerre, on calculait les chances de celles des parties belligérantes dont on souhaitait la victoire. N'est-ce point là l'échappatoire habile de qui veut par-dessus tout éviter les complications ?

Pour ceux, toutefois, qui n'abordaient pas à la légère le problème de la guerre, mais sentaient en eux-mêmes l'impérieux besoin de définir leur position à son endroit, la tâche ne laissait pas d'être ardue. Le problème surgissait à nouveau, pour la solution duquel les siècles ont peiné en vain ; plus insoluble que jamais, il ne s'en imposait pas moins à quiconque demeure conscient de sa responsabilité. L'individu doit-il refuser le service militaire, doit-il accepter de le subir, ou au contraire l'accomplir avec enthousiasme ? Telles étaient les questions auxquelles une réponse devait être donnée.

La tendance, qui voit dans l'État l'incarnation la plus haute de l'esprit du siècle et dans le nationalisme une question de convenance, ne survivait qu'au sein des classes bourgeoises dont la formation intellectuelle s'était opérée antérieurement à 1914 Demeurée entièrement étrangère à la jeunesse, elle gardait de puissants soutiens dans la presse et la littérature.

Les masses populaires, elles, inclinaient plus ou moins vers le pacifisme et faisaient de la paix un idéal qu'on ne discute pas. Cette position s'accordait à merveille avec la politique de neutralité qui dura jusqu'en 1939 et elle eut pour adhérents, outre ceux dont la sincérité ne fait pas de doute, bon nombre d'opportunistes sachant escompter les profits faciles d'un conflit qui ne les atteignait pas (1).

Pour étayer leurs points de vue respectifs, nationalistes autant que pacifistes avaient recours aux arguments d'ordre religieux. De tout temps les pacifistes ont puisé des arguments dans le Sermon sur la Montagne ; mais ne connaît-on pas aussi l'exemple du Bon Berger donnant sa vie pour ses brebis ? De plus, les interventionnistes chrétiens pouvaient invoquer l'autorité de Luther qui, en 1526, avait écrit que la guerre et l'emploi des armes étaient d'origine divine. Il est vrai que cette thèse du Réformateur n'était point le fruit d'une théorie politique, car, trois ans auparavant, n'avait-il pas déclaré aux victimes des persécutions religieuses « qu'il est agréable à Dieu que nous considérions comme seigneurs miséricordieux ceux qui sont des bourreaux et que nous nous prosternions devant eux en les servant en toute humilité ? »...

Or, les « bourreaux de Dieu » n'ont pas cessé d'être à l'oeuvre sur cette terre. Pour ceux qui basent leurs jugements sur des considérations humanitaires, le sang qui coule et les cris des victimes ne peuvent avoir qu'un sens très clair : le croyant doit voir, dans les événements qui se déroulent, un jugement de Dieu. S'il faut choisir entre les deux extrêmes du pacifisme et du nationalisme, on ne peut échapper à cette évidence.

Mais à ce point de vue d'ordre moral s'en est opposé un, tout différent, grâce à quoi les controverses ont pris une actualité infiniment plus grande.

Les événements actuels ont à leur origine une conception métaphysique selon laquelle la constitution des États, la lutte pour l'existence, la conquête et la guerre sont tout simplement des fonctions de l'espèce humaine. Ce sont là, déclarent les partisans de ces doctrines, des manifestations de la vie qu'on ne doit pas juger au nom d'un facteur moral plus qu'on ne le fait pour des constatations d'ordre matériel, comme en présentent la stratification géologique ou l'évolution du règne animal.

Le monde moral, - toujours selon ces doctrinaires - ce monde dans lequel l'individu doit faire ses preuves, est plutôt l'oeuvre de la collectivité, de l'État qui combat : aussi, dans l'ordre politique tel qu'il est constitué, le devoir de chacun est-il de se montrer obéissant en tant que sujet et vaillant en tant que soldat. L'attitude qui découle d'une telle conception ne saurait, il est vrai, constituer une base suffisante pour un absolu d'ordre moral, mais elle représente une ligne de conduite si claire qu'elle offre à la jeunesse sensible à des considérations idéalistes des perspectives que celle-ci peut envisager avec sérieux. Toutefois il convient de reconnaître qu'avec une telle conception du monde, disparaît toute considération d'ordre chrétien.

Aussi bien au point de vue politique qu'au point de vue moral, les Scandinaves se trouvaient donc divisés, en l'automne de 1939, en deux camps bien distincts : les uns se réclamant du pacifisme et du principe de neutralité, les autres penchant vers un dynamisme d'ordre politique sous sa forme la plus moderne. Numériquement, le premier groupe l'emportait de beaucoup.

Entre ces tendances, aucune conciliation possible, car ni l'une ni l'autre des deux solutions ne saurait enserrer, même approximativement, les problèmes dans toute leur étendue. Certains de leurs aspects, acceptables pour le chrétien, étaient incompatibles en tant que solutions globales. Fallait-il choisir entre une abstention totale et une intervention également totale ? Personne à ce jour n'avait encore répondu à la question : - Y a-t-il un devoir national basé sur l'obligation morale et chrétienne ?

C'est à ce moment - 30 novembre 1939 - qu'éclata la guerre russo-finlandaise. Il est superflu d'en rappeler la cause originelle : la Finlande ne pouvait de bon gré consentir à la cession des territoires que l'on exigeait d'elle. C'est pourquoi elle fut attaquée par l'Union des Républiques soviétiques dont la population est quarante-cinq fois plus grande que la sienne.

La Finlande était en état de légitime défense.
Mais, en ce qui concerne le peuple suédois, le moment était venu de préciser sa position. Jusqu'alors latent, le problème d'ordre moral apparut tout à coup en pleine lumière ; il passa du domaine de la théorie à celui de la pratique : l'heure de la décision avait sonné.

Nous devons à la guerre finlandaise de nous avoir fait voir plus clair en nous-mêmes. Elle fut, à proprement parler, un moyen de nous éduquer. Non pas en ce sens que la diplomatie suédoise eût à modifier son orientation, car le navire de l'État devait frayer sa voie à travers les récifs (qui demeurent invisibles aux profanes) de la politique des grandes puissances. Et pas non plus dans ce sens que la nation, comme telle, en soit venue à résipiscence, car, il faut le constater, l'opportunisme est la règle de vie le plus profondément enracinée dans la nature humaine. Mais en ce sens que notre peuple s'éveilla de sa torpeur et entendit un appel.
Or, on doit le souligner, cet appel fut écouté de plusieurs.

Pour apprécier à sa juste valeur l'intervention des Volontaires suédois en Finlande, rappelons-nous que, depuis le congrès de Vienne, la Suède n'a été entraînée dans aucun conflit armé et que, pour la génération actuelle, et cela jusqu'à l'hiver 1939-40, participer à une guerre était chose inconcevable. Il faut aussi comprendre qu'aux yeux des Suédois d'aujourd'hui la seule pensée d'un accroissement territorial semble une absurdité. N'a-t-on pas vu se récuser la Suède lorsqu'en 1919 la Société des Nations voulut lui confier la garde de l'archipel d'Aland ? Tout but de guerre autre que sa propre défense ne pourra donc jamais se présenter à elle. Militarisme et impérialisme sont ici phénomènes inconnus.

Aider le « frère finlandais », tel a été le seul mobile qui conduisit en Finlande des Suédois en armes. Obligation purement morale puisque son désintéressement était total : défendre la Suède sur les bords du lac Ladoga est une considération qui a pu se présenter lorsqu'on envisagea la question d'une guerre préventive aux côtés de la Finlande, mais elle n'a pas joué lors du départ des Volontaires.
De quoi s'agissait-il ? De secourir un peuple frère.

Non pas à cause des liens existant entre les deux peuples, puisqu'ils avaient été brisés depuis 1809 ; non pas à cause d'un apparentement de race, puisque les remous de la guerre linguistique n'avaient pas été sans laisser de l'un et de l'autre côtés de la Baltique, des germes d'animosité. Mais plutôt à cause de la communauté de destin de deux peuples qui, de tout temps, auront à partager un sort commun dans la région nordique, ou, pour mieux dire, sur les rives du golfe de Botnie. Et, avant tout, parce que l'attaque était menée par l'ennemi héréditaire de la culture scandinave : la Russie.

La paix à tout prix, d'accord, mais pourtant pas au prix de la domination russe ! - telle est la formule pacifiste dans sa version suédoise. Vous ne trouverez chez nous qu'un seul moyen d'obtenir l'unanimité des sentiments : évoquer le spectre moscovite. C'est sur cet élément-là que le déclenchement de la guerre finlandaise a fait porter l'accent. Et l'on a vu converger sur le champ de bataille, la triple fraternité d'une patrie, d'une culture et d'une foi communes.

Nous sommes en présence de quelque chose de plus qu'une constellation accidentelle de la politique mondiale née de l'actuelle tempête. Un fruit a mûri que nous avons cueilli et conservé.

Quelle qu'ait été la dureté de son sort, on voit, ayant en mains ce trésor, se dresser aujourd'hui dans le nord de l'Europe un peuple qui a vaincu. C'est en effet sous ce titre que l'aumônier du corps franc suédois, le pasteur Hans Akerhielm, a publié les exhortations et les appels qu'il fit entendre à l'occasion de cette crise. Une fois la guerre terminée, il a pu déclarer : « Le peuple qui vainquit l'a fait grâce à sa foi, et quiconque ne partage pas cette foi ne peut pas comprendre une telle victoire ».
C'est pour cela que nous avons à apprendre quelle est la foi qui, ici, a remporté la victoire.

On lira plus loin les fragments de ces récits relatifs à la guerre de Finlande. Ils font passer sous les yeux du lecteur un tableau de la tension intime devant laquelle a été placé le chrétien conscient de sa responsabilité à l'égard de Dieu, aussi bien à titre de combattant que de directeur spirituel. N'entrons pas ici dans le sujet : les pages qui suivent parlent un langage suffisamment éloquent.

Encore un mot d'avertissement !
En entrant dans la lutte, les Finlandais qui subirent leur martyre de cent jours à la frontière de Carélie. ainsi que les Volontaires suédois qui, au plus fort de la bataille, couvrirent de leurs corps le front du Nord, n'ont pas abandonné le camp des nations sur l'étendard desquelles flottent les mots de neutralité, d'indépendance et de liberté.
Mais, à ces notions abstraites, ils ont donné une interprétation plus moderne, plus véridique, plus actuelle. Trop longtemps la neutralité a passé pour un alibi des petits peuples devant leurs obligations politiques et cela jusqu'au moment où l'histoire mondiale a, de la vie des États européens, brutalement balayé les quiètes idylles. En vérité, ne nous reste-t-il comme alternative que le passage de l'un à l'autre camp ?

Du fait qu'une décision nous fut imposée, la guerre de Finlande nous a fait comprendre qu'il existe une neutralité active, une neutralité qui ne choisit pas comme objet préféré « l'éternel néant », la dernière issue de Méphisto, mais qui, parce que la liberté est un devoir, se sent dépendante des vérités fondamentales de la vie.

Une neutralité qui exclurait toute éventualité de guerre ne serait ni plus ni moins qu'un sauf-conduit accordé à des conquérants étrangers. La neutralité active ne tolère pas que le droit doive le céder à la force. Elle choisit la voie du Droit, de l'Entente, de la Paix portés à leurs extrêmes limites. Elle reconnaît l'existence d'une limite jusqu'à laquelle on peut chercher à s'entendre mais derrière laquelle il ne reste qu'une seule issue (ultima ratio) : les canons !

Nous en sommes responsables vis-à-vis de notre liberté et si nous perdons celle-ci sans avoir lutté pour elle, c'est que nous n'en sommes pas dignes, tout simplement. Car en fin de compte rien n'est plus vrai que ces vers du poète :

Celui-là seul mérite la liberté et la vie
Qui, chaque jour, les conquiert à nouveau.

Professeur BERTHOLD JOSEPHY.


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