DANS LE MONDE DE LA FOI
Avec
Abraham
VIII
Le vent du doute et Celui qui
l'apaise.
Après ces
événements, la parole de
l'Éternel fut adressée à Abram
dans une vision et il dit : Abram, ne crains
point ; je suis ton bouclier et ta
récompense sera très grande. Abram
répondit : Seigneur Éternel, que
me donneras-tu ? Je m'en vais sans
enfant ; et l'héritier de ma maison,
c'est Eliézer de Damas. Et Abram dit :
Voici, tu ne m'as pas donné de
postérité, et celui qui est né
dans ma maison sera mon
héritier.
Alors la parole de
l'Éternel lui fut adressée
ainsi : Ce n'est pas lui qui sera ton
héritier, mais c'est celui qui sortira de
tes entrailles qui sera ton héritier. Et,
après l'avoir conduit dehors, il dit :
Regarde vers le ciel, et compte les étoiles
si tu peux les compter. Et il lui dit : Telle
sera ta postérité.
Gen. XV, 1-5.
1. Une colonne qui chancelle.
Je vis pour la première fois, par un
beau matin d'automne, le dôme de Cologne dans
toute la gloire de son récent
achèvement. Aucun échafaudage ne le
défigurait plus - les poutres
accotées n'en masquaient plus les belles
formes. C'est une hardie conception, un
poème sculpté dans la pierre.
Quiconque a des yeux pour la beauté sera
plongé dans le ravissement
devant cette oeuvre magnifique du génie
humain. Chacune des petites tours de
l'édifice, chacune de ses pierres semble
chanter un magnifique alléluia. Or jamais
sans doute l'esprit humain n'eût eu
l'idée de ces lignes hardies et harmonieuses
sans la culture que lui a donnée
l'Évangile !
« O mon Dieu, m'écriai-je
intérieurement, si cette église
terrestre est si belle déjà, quelle
ne sera pas la splendeur de ton Église
invisible, lorsqu'elle sera achevée, de
cette Église dont Jésus est
l'architecte et le
fondateur ! »
Et je fus saisi de l'ardent désir de
pouvoir voir le jour où tous les peuples,
toutes les races seront entrées dans
l'édifice céleste, où les
âmes sauvées brilleront d'une pure
lumière, où un puissant
alléluia montera du sein de
l'humanité transfigurée jusqu'au pied
du trône du Tout-Puissant. Hélas, ces
jours prédits par la prophétie, dans
lesquels la terre sera couverte de la connaissance
de l'Éternel, comme le fond de la mer l'est
par les eaux, sont encore lointains.
Nous en sommes au moment où la
cathédrale se bâtit. Et il est
malheureusement nombre de chrétiens qui
prennent le grossier échafaudage de nos
formules, de nos systèmes, de nos
confessions de foi pour l'édifice
céleste. On dispute sur la valeur de
l'appareil de planches et de poutres destiné
à disparaître, comme s'il s'agissait
de la construction définitive. En maint
endroit, celle-ci n'est pas même
commencée ; les pierres taillées
gisent pêle-mêle, çà et
là, sur le sol. Les ouvriers se
promènent parmi elles, sans savoir par
laquelle entreprendre leur oeuvre. Ailleurs on est
un peu plus avancé, mais certaines parties
du bâtiment qu'on élève sont
lézardées. D'où vient
cela ? C'est l'effet des tremblements de
terre, des orages venus du ciel. Ces ruines sont
à la fois l'oeuvre des démons et des
disputes des ouvriers.
- Aussi beaucoup craignent-ils que l'ouvrage
ne finisse jamais.
Cette inquiétude ne saurait
être partagée par l'âme qui
a fait l'expérience de la
communion avec Dieu en Christ. Le croyant sait que
le Fils de Dieu est un grand Vainqueur, qui ne se
donnera point de repos jusqu'à ce qu'il ait
achevé, tout l'ouvrage. Et, bien que les
puissances coalisées du péché
et de la mort ne cessent de battre en brèche
le temple de Dieu, bien que jusqu'à
l'avènement des nouveaux cieux et de la
nouvelle terre, ou, si l'on veut, jusqu'au jour
plus proche où il n'y aura qu'un seul
troupeau et un seul berger, des siècles
doivent encore très probablement
s'écouler, il faut avouer qu'une certaine
partie du travail de l'édification de la
véritable Église de Dieu sur la terre
est déjà accomplie. Il y a 4000 ans,
le royaume de Dieu était encore
limité à quelques croyants, comme
Melchisédek, Abram. Celui-ci est presque
seul à connaître les pensées de
paix de Dieu, à l'égard de
l'humanité. Il a la foi véritable,
parce qu'il se fait une idée juste de Dieu.
Et pourtant il devait arriver à ce vaillant,
qui fut, il y a 4000 ans, la forte colonne
représentant l'Eglise du Dieu vivant au
milieu du paganisme, de chanceler. C'est ce que
nous fait voir notre texte. Je ne sais rien de plus
encourageant, permettez-moi de le dire, que le
découragement montré par Abram.
La nuit règne sur la terre. Des
pensées en harmonie avec l'obscurité
ont envahi l'âme du patriarche. Il sent
monter dans son âme l'angoisse du doute. Et
Jéhovah qui voit ce qui se passe dans le
coeur de son serviteur, s'approche, lui fait
entendre des paroles propres à le
fortifier : « Abram, ne crains
point ; je suis ton bouclier et ta
récompense sera très
grande ! » Mais ces mots
compatissants, pleins d'affection, n'ont pas leur
effet habituel sur Abram. Il secoue la tête,
et donnant cours à son amertume, il
répond : « Seigneur
Éternel, que me donneras-tu ? Je m'en
vais sans enfant ! » C'est comme
s'il disait : Oh ! tes promesses sont
admirables, infiniment grandes, mais à quoi
me servent-elles, tant que je n'ai pas une
postérité. Celle-ci ne m'a point
encore été donnée. Mes
années s'écoulent ; je suis un
vieillard ; ma journée d'existence
touche à son terme.
Serai-je obligé de choisir comme mon
héritier, mon intendant,
Eliézer ? Voilà où j'en
suis réduit, car j'ai renoncé
à l'espoir d'avoir une descendance qui
m'appartint en propre.
Ainsi celui que nous envisagions comme une
sorte de colonne inébranlable, qui
était pour nous l'image de la fermeté
de la foi, vacille dans ses espérances. Il a
regardé aux choses visibles, et il en est
arrivé à conclure à
l'impossibilité de la réalisation de
la promesse. L'adoption de l'enfant
d'Eliézer lui parait le seul moyen
d'accomplissement de l'oracle divin. Naturellement
l'expédient ne le satisfait point au fond.
La pensée en est pour lui pleine d'amertume.
Il sent vaguement qu'il condamne son ancienne foi
en énonçant le projet de choisir
comme héritier Eliézer. Il ne peut
d'ailleurs ignorer que, parce projet, il met en
doute d'une manière générale
la fidélité de Dieu. La certitude de
la promesse qui lui avait été faite,
d'une nombreuse postérité, demeurait
intacte dans son esprit. Mais il devait se dire
pourtant, que si Dieu ne tenait pas sa promesse, la
parole divine perdait de son crédit.
Pourrait-il en une autre circonstance, après
l'expérience décevante qu'il
était en voie de faire, se fier encore
à Dieu ? Et un Dieu auquel on ne se fie
pas, mérite-t-il encore son nom ?
Je ne dis point qu'Abram eût le
sentiment très net des conséquences
de son doute. Elles pèsent cependant
vaguement sur lui. Il les a entrevues. Et sa paix a
disparu. Au reste, il passera encore par des crises
analogues motivées par le retard que
continuera à subir la réalisation de
la divine promesse
(Gen. XVI, 1-12 ;
XVII, 18). Abram s'est
égaré, parce qu'il a regardé
aux réalités tangibles. Ces
réalités, avec leur apparence de
solidité, ne sont jamais que sable
ondoyant ! Quand nous regardons à
elles, c'est alors que nous sommes perdus. Vous
appelassiez-vous Moïse, Jean ou Luther, si
vous ne considérez que ces
réalités, vous êtes perdu. La
parole immuable de Dieu est seule un ferme terrain
sur lequel poser les pieds dans
nos moments d'angoisse. Là est le roc. Que
serait-il advenu d'Abram, si Dieu n'était
intervenu dans cet instant de défaillance,
si Dieu ne lui avait parlé ?
Si un Abram a pu être la proie de
telles variations dans sa vie spirituelle, que
sera-t-il de nous ? Combien
d'expériences humiliantes à cet
égard vous auriez probablement à
raconter, vous qui me lisez ! Il y a quelques
jours, je consultais mon baromètre. La
veille il était au beau ; à
cette heure, il était descendu
jusqu'à « tempête et
pluie. » Je ne pus m'empêcher de
sourire. Il me sembla qu'il y avait là une
leçon sur les variations de mon propre
coeur : mon âme venait, en effet, sous
l'influence de quelque petit mécompte, de
passer de l'adoration à l'égard des
voies de Dieu à une profonde amertume. Cette
chute du baromètre me fit faire de
salutaires réflexions sur
l'instabilité de ma propre humeur.
Étrange mobilité du coeur
humain, où les sentiments montent et
descendent plus vite que le mercure d'un
baromètre ou d'un thermomètre !
Aujourd'hui infatuation de vous-même, demain
découragement ; aujourd'hui
idolâtrie de l'homme, dans quelques instants
mépris des créatures ;
aujourd'hui joie, bientôt aplatissement
moral. Telles sont les émotions qui se
succèdent en vous sans trêve ni
raison.
O coeur humain, coeur humain, comme tu
ressembles à une boussole
affolée ! Tantôt les promesses de
Dieu nous élèvent jusqu'au ciel,
tantôt elles nous paraissent une duperie. Le
matin, nous nous égayons dans le sentiment
glorieux de notre force, de notre vocation
d'enfants de Dieu ; le soir nous envierons
peut-être un mondain léger et bruyant.
Quel trésor que la constance ! Oui,
c'est un trésor, mais on ne l'obtient que de
la grâce divine. Notre volonté seule
est incapable d'y atteindre.
Même ceux qui sont avancés dans
la foi sont sujets à de singulières
défaillances. Il entre dans le plan divin
que nous passions sans cesse par de nouvelles
obscurités. C'est pourquoi les plus
inébranlables sont parfois
ébranlés. Aucun croyant n'est
à l'abri de ces tentations ; ce qui
arriva à Abram a
été écrit pour notre
consolation. Si donc vous chancelez dans votre foi,
si vous êtes agité par les
événements, ne
désespérez pas de
vous-même.
En songeant à nous, nous oublions
trop souvent les adversités dont les autres
sont la proie. Laissez-moi vous raconter les
spectacles divers qui passèrent hier devant
mes yeux, dans l'espace d'une seule heure. Je
visitai d'abord un jeune homme dont une maladie de
la moelle épinière avait fait en peu
de temps un vieillard. Les douleurs dont il
souffrait, jour et nuit, ne constituaient pas pour
lui un tourment aussi pénible que les pleurs
de sa jeune femme et la vue de son petit enfant
souriant à son père.
« Maintenant, me disait avec un soupir le
jeune malade, je ne puis plus travailler, moi qui
aimais tant le travail. Il faut que j'abandonne mes
bien-aimés, que je les confie à la
miséricorde des hommes. »
Il ajouta : « Mes membres
deviennent insensibles ; mes yeux ne voient
presque plus ; j'éprouve une pression
au cerveau. » Le médecin arriva.
Le prenant à part je lui demandai s'il y
avait un espoir de guérison. Il hocha la
tête négativement. « Combien
de temps pourrons-nous encore le garder au milieu
de nous ? » lui demandai-je.
« Un ou deux mois ! » fut
la réponse. Et le malade me criait :
« Oh ! monsieur le pasteur,
aidez-moi ! Je ne sais plus
croire ! » Ce jeune homme avait
donné autrefois par sa conduite des preuves
d'une foi vivante. Je ne pouvais douter qu'il
fût un enfant de Dieu. Vous me dites que sa
foi n'était peut-être qu'apparente.
Détrompez-vous ; songez à la
défaillance morale que traversa le
patriarche, et vous comprendrez l'obscurité
par laquelle passait l'âme de ce malade.
Je poursuivis le cours de mes visites.
J'arrivai chez des époux déjà
âgés. Ils avaient deux fils :
l'un né imbécile, l'autre bien
doué, fort aimable. Le dernier avait
été matelot et était parvenu
au grade de pilote. Et voici que le père
venait de recevoir une lettre officielle, lui
annonçant que son fils avait péri
dans un naufrage du navire, sur les côtes de
la Hollande.
L'infortuné père tenait le
papier entre ses mains. Il se disait qu'il ne
reverrait plus jamais ce fils, sa joie et son
orgueil. Sa femme faisait la même
réflexion, et le pauvre idiot interrogeait
d'un regard hébété ses parents
sur la cause de leurs larmes. Croyez-vous que la
foi des parents fût d'un mauvais
métal, parce qu'elle traversait en ce moment
une crise de doute, parce qu'elle repoussait les
consolations que je lui offrais dans les promesses
divines ?
Un quart-d'heure après, je rentrais
dans mon cabinet de travail. J'y trouvais assise
une jeune fille. Je ne la reconnus pas d'abord,
bien que je l'eusse rencontrée souvent
pendant de longues années. À force de
pleurer, elle avait perdu ses couleurs. Que lui
était-il arrivé ? Une soeur
jumelle, qu'elle aimait passionnément,
était tombée dans l'abîme du
péché. « Et maintenant, me
disait la pauvre enfant, je ne puis plus croire que
Dieu exauce nos prières. »
Pourtant elle venait me demander de l'aider
à ramener l'âme perdue. Il
m'était interdit, par les circonstances dans
lesquelles se débattait cette jeune fille,
de lui faire un crime de ses doutes, je ne pus que
mêler mes larmes aux siennes.
Parlerai-je du désespoir produit par
les défaites devant le
péché ? Parlerai-je des
conséquences terribles que peut avoir pour
une âme une seule grave faute ? Regardez
cet homme au tempérament bouillant. Il a
tué ou blessé quelqu'un dans une
heure d'emportement. Entre les murs de son cachot,
il est devenu un nouvel homme. Il s'est repenti. Il
a lutté contre le péché,
contre sa vivacité. Mais, hélas, le
sentiment de sa faute l'accable toujours. Il me
disait récemment que Dieu devait l'avoir
rejeté, qu'il craignait de ne pas pouvoir
retrouver la paix et d'être à jamais
exclu du royaume des cieux.
L'exemple que je vous cite n'est point
isolé. Et il est plus d'un pécheur
repentant pouvant dire en montrant ses
chaînes : « Voyez, nous sommes
de ceux qui gémissent et soupirent, avec la
création, après la
rédemption. »
Quelquefois les doutes dont on souffre sont
surtout intellectuels. Vous
priez, vous ne recevez pas ; et cette
pensée funeste, soufflée
peut-être par un démon, traverse comme
un éclair votre esprit :
« S'il n'était point
là-haut un Dieu qui nous
écoutât ; s'il n'y avait point de
Dieu ! » Vous vous
écriez : « Arrière de
moi, Satan ! » Mais la funeste
pensée revient, elle vous assaille, elle
vous tourmente. Ce n'était d'abord qu'une
ombre légère, et voici l'ombre
grandit, s'épaissit : la lumière
disparaît ; la nuit se fait autour de
vous ! Vous vous trouvez, par exemple, devant
la fosse où descend le sombre cercueil d'un
être aimé. Pendant que les mottes de
terre tombent pesamment, vous entendez je ne sais
quelle voix murmurer à votre oreille :
« Si tout finissait au cimetière.
Si le terme dernier de l'existence humaine
était la mort, le tombeau, la
corruption ! »
Et votre coeur est secoué. Un vent
d'orage gronde en lui, toujours plus fort, toujours
plus violent. Vous avez cru, au milieu de la
tempête, retrouver le calme en vous attachant
aux réalités visibles, vous vous
perdez par elles. Elles vous perdront
réellement, si vous ne parvenez pas à
douter de votre doute.
2. Doute et doute.
À notre époque, l'air est
saturé du doute. La question n'est pas de
savoir si on le respire, mais de savoir comment on
ne respirera pas cet air empesté. La plupart
ne veulent rien connaître de Dieu, ni des
choses éternelles. À lire les
journaux qui fournissent aux lecteurs actuels la
plus grande partie de leur pâture
intellectuelle, des milliers de livres, même
les manuels d'école en usage dans certains
pays, on dirait que les découvertes de la
science ont démontré, sans
réplique, la folie des croyances
chrétiennes. Il est difficile, dans le temps
où nous vivons, de garder sa foi quand on
n'a pas été élevé par
des parents pieux. Il est plus difficile
d'acquérir la foi, quand on ne la
possède pas dès son enfance. Ayons
quelque pitié dès lors de ceux qui
doutent. Approchons-nous d'eux avec beaucoup de
sympathie.
Gardons-nous de les rudoyer sans raison,
d'imaginer toujours que le doute est le fruit de la
mauvaise volonté, d'un manque de
sérieux.
Voici deux douteurs, mais combien leur doute
est différent ! L'un déplore son
incrédulité et ne cesse de crier avec
larmes : « Aide-moi, Seigneur, dans
mon incrédulité ! »
L'autre se complaît dans le
scepticisme ; il voudrait ne croire qu'en
lui-même. N'y a-t-il pas un véritable
abîme entre ces deux personnages ? Le
dernier dit : « J'en ai fini avec le
petit conte de l'existence de Dieu ; ma devise
peut être jouissance, jouissance, sans autre
borne que mes convenances ! » Mais
son frère se désespère,
s'attriste, se voile la face devant son
incrédulité, et sent qu'il a tout
perdu en perdant la foi.
Ceux qui pleurent sur leur
incrédulité s'en vont verser leurs
larmes devant Dieu. Ainsi fait Abram. Il ne s'en
est pas allé confier ses tristesses à
l'homme. Il les expose à Dieu. Il
répand son coeur devant l'Éternel. Il
lui dit qu'il n'attend plus une réalisation
complète de sa promesse.
Le sceptique se tromperait qui, se frottant
les mains, dirait à Abram :
« Ah ! ah ! tu es aujourd'hui
avec nous, tu es des nôtres ! Tu as donc
compris que les promesses divines sont
vanité, qu'un tien vaut mieux que deux tu
l'auras, que l'oiseau qu'on a dans la main a plus
de prix que celui qui vole dans les airs !
Folie, tromperie, que de vouloir nourrir son coeur
avec des énigmes religieuses ! Rien de
plus contraire à la raison, à une
haute culture que de croire aux récits
miraculeux de la Bible, au Dieu de la Bible. La
sincérité vis-à-vis de
nous-mêmes nous oblige à chercher
courageusement en nous notre force. Nous saurons,
quand nous mourrons, serrer pour toujours nos
lèvres, entrer dans le bienheureux Nirvana,
dans le grand Tout qui est le
néant. » Supposons qu'Abram
entendit ce langage. Que
répondrait-il ? Je pense qu'il
s'écrierait :
« Éloignez-vous, esprits
ténébreux ! Je n'ai rien de
commun avec vous. Mille fois mieux souffrir et
garder dans mon âme une étincelle de
foi que de triompher dans vos rangs. Plutôt
que laisser cette dernière
étincelle s'éteindre en moi, je
préférerais briser ma harpe de
prophète sur quelque rocher, renoncer
à toute joie, car celui qui perd Dieu perd
tout. Avant donc de laisser mon coeur
s'épuiser dans l'incrédulité,
je concentrerai mes forces dans un seul
désir : Retrouver Dieu, raffermir ma
foi. » Ainsi aurait parlé Abram.
Car, dans sa tristesse, c'est à Dieu qu'il a
parlé, à ce Dieu qui lui semble
infidèle et dont il ne saurait pourtant se
passer.
O mon frère, s'il vous arrive de
traverser des jours où le sol se
dérobe sous vos pas, où votre foi et
votre espérance religieuses, battues en
brèche, se replient sur elles-mêmes,
grièvement blessées par la
brutalité des réalités
extérieures, sachez vous prosterner devant
le mystère de la majesté divine et
chercher Dieu dans l'obscurité dont il
s'enveloppe. Dites-lui : « O Toi en
qui je ne puis plus croire, parce que tout ce que
je vois témoigne contre toi, je veux
cependant continuer à me confier en
toi ; oui, je le veux, en dépit de tous
les arguments de mon esprit, en dépit du
monde entier ! » Dites cela, vous
n'aurez rien dit que de raisonnable, de
profondément humain. Notre raison habituelle
ne saurait dans une crise pareille ni nous retenir,
ni nous pousser en avant. Elle doit se borner
à reconnaître qu'il est des choses qui
la dépassent, et des instincts secrets, mais
sûrs, auxquels il faut parfois se
remettre.
Dieu est le saint aimant vers lequel
s'oriente involontairement tout coeur d'homme. Mais
si nous nous sentons attirés vers lui aux
heures saintes de notre vie, c'est qu'il est. Ce
qui n'est pas aurait-il une telle puissance ?
On objectera ce qu'on voudra à cet attrait,
c'est lui qui nous distingué en
première ligne des créatures
inférieures, des animaux. Quand David
s'écrie au psaume XLII :
« Comme une biche soupire après
des courants d'eau, ainsi mon âme soupire
après toi, ô Dieu, » il a
décrit l'aspiration profonde de l'âme
humaine. Il a donné une voix à
l'humanité, en indiquant ce qui la
sépare de l'animalité.
Mon cher lecteur, le grand instinct des
créatures est l'instinct de conservation. La
petite plante tend, malgré
tous les obstacles, à se
tourner du côté du soleil, parce que
la lumière du soleil est sa vie. Le petit
oiseau cherche la liberté de l'espace, parce
qu'il est fait pour elle ; il a beau trouver
dans sa cage une nourriture abondante, de l'eau
pure, si la porte de sa demeure s'ouvre devant lui,
il s'envole. Les animaux de la terre, de l'eau, de
l'air savent trouver l'aliment qui leur convient.
Leur femelle nourrit ses petits, les
protège. Ceux-ci suivent leur mère.
Oeuvre admirable de l'instinct !
Mais l'homme ne connaîtrait-il pas
cette puissance ? En serait-il réduit
à sa seule raison ? Assurément
celle-ci est une lumière. Toutefois c'est
une lumière qui en nombre de cas
n'éclaire pas. Mille fois la raison vous
refusera son conseil et vous laissera dans une
impasse. Heureusement, il est des impulsions
intérieures qui la suppléent. Mettez
quelques jeunes enfants en présence de
personnes de votre connaissance dont le
caractère vous est familier. Vous serez
surpris en général de voir avec
quelle sûreté ces enfants
apprécieront la nature des grandes personnes
qu'ils ont devant eux. La femme, qui vit beaucoup
avec l'enfant, est plus près de lui que
l'homme. Aussi obéit-elle davantage à
ses impulsions. Et celles-ci sont en
général justes. Que de fois, la
femme, en voyant son mari plongé dans la
perplexité, lui dira : « A ta
place je ferais ceci, je ferais
cela ; » dans la règle, au
cas où son propre sentiment ne lui aura rien
dit, le mari se trouvera bien de suivre cet avis.
Le tact des femmes au caractère
élevé est exquis. Un sentiment
intérieur leur indique les écueils
à éviter dans leur conduite, les
sociétés à fuir, celles
à rechercher. Mais je crois une femme bien
près de déraisonner quand elle se met
à demander, au nom de la raison, pourquoi
tout ce qui est permis à l'homme ne le lui
serait pas également. La femme qui veut
ressembler à l'homme, par la raison, est
infidèle à sa nature.
Nous autres hommes, d'ailleurs, nous ne nous
laissons nullement, dans toutes les circonstances,
diriger par la raison. Dans les moments les plus
importants de notre vie spirituelle, alors qu'un
saint enthousiasme nous anime,
nous ne consultons point le jugement ordinaire.
Nous obéissons alors à une impulsion
immédiate. On donnera à celle-ci le
nom que l'on voudra. Elle existe. Au fond du coeur
de tous les êtres humains, enfants, femmes,
hommes faits est profondément inscrite cette
loi : « Lève les yeux en
haut ! » C'est en Dieu, dans la
communion avec Lui, que se trouvent en effet les
éléments nécessaires à
la vie. Toutes les racines de notre être sont
en lui ! Ce sont les femmes, les enfants qui
sont le plus dociles à la loi
signalée, parce qu'ils sont plus simples,
parce qu'ils subissent moins les influences, les
courants de l'opinion ; ils sont dès
lors plus croyants et plus religieux que les
hommes, ils se laissent moins facilement
entraîner à abandonner Dieu.
O homme, si l'attrait des choses visibles,
les difficultés et les chagrins de la vie,
ta philosophie et ta propre sagesse t'ont fait
perdre la foi de l'enfant, sache redevenir un
enfant ! Écoute la voix
intérieure, laisse-la parler en toi,
malgré les conseils du monde. Tourne-toi
vers Dieu, dis-lui : « Malgré
tout, je veux, je dois croire ! Tu existes,
ô mon Dieu, tu es pour moi, si les hommes
sont contre moi. Je veux aussi, je dois être
pour toi au milieu des disputes auxquelles ton nom
est livré ! » Suis cette
voie, ô homme, et tu feras
l'expérience de ce que dit la Bible. Tu
éprouveras que Dieu se révèle,
se laisse voir aux coeurs purs. Tu t'en rendras
compte : c'est l'instinct de ton salut, donc
l'instinct de conservation qui te poussait vers
Dieu. Et la joie, la paix, la consolation, l'amour,
l'espérance, s'éveilleront en toi. Tu
comprendras que notre humanité
s'achève dans la communion de
l'éternel amour. Être en Dieu, c'est
vivre de la plénitude de la vie. Se tenir
loin de Dieu, c'est appauvrir sa vie, l'alanguir,
la vouer à la tristesse.
3. compte les
étoiles.
Devant les fenêtres de mon cabinet de
travail, s'étendait naguère un joli
et vaste jardin. Une route étroite et
pavée me séparait
seule de ce paradis, sur lequel j'aimais à
laisser errer mes yeux. Si ce jardin n'était
pas à moi, je n'en jouissais pas moins de
lui. Il envoyait dans ma chambre, par les
croisées ouvertes, un air embaumé.
Quel plaisir sa vue m'a procuré !
Combien de fois je me suis amusé à
considérer la fuite des oiseaux à
travers ses bosquets, celle des nuages au-dessus
des arbres ! Le soleil du matin me semblait
plus doux, parce qu'il réchauffait toute
cette végétation - le soir, les
étoiles me paraissaient plus
étincelantes au-dessus du vert feuillage. De
nobles inspirations sont nées pour moi de la
vue de ce jardin. Et maintenant vous n'êtes
plus là, cieux qui attiriez mes yeux,
nuages, étoiles, arbres, fleurs, oiseaux,
chansons, nobles pensées
suggérées par tout cela.
On a bâti devant mes fenêtres
une immense et prosaïque maison. Mon cabinet
est devenu une prison. Le toit de la maison
m'empêche d'embrasser le ciel ; une
muraille blanche me fait vis-à-vis.
L'érection de cette bâtisse me
fut un gros chagrin. J'ai pu suivre de jour en jour
les progrès de la diminution du ciel, de
l'élévation de la paroi qui me sert
d'écran. Je me souviens du dimanche,
où pour la dernière fois, un rayon de
soleil pénétra par-dessus le mur en
construction jusque chez moi ; le lundi, le
mur était trop élevé pour
laisser passer le rayon. J'aurais volontiers
pleuré. Mais comme je racontais
récemment à quelqu'un ma
déconvenue sur ce sujet, les paroles que
j'entendis me consolèrent. Le quelqu'un
était un douteur. Il me dit :
« Hélas ! de même que
vous avez vu peu à peu disparaître le
soleil et le ciel derrière ce mur, j'ai vu
s'effacer un autre soleil et un autre ciel. En
étudiant ce qui se passe dans ce monde, j'ai
senti que la foi de mon enfance était une
illusion. Mes croyances sont tombées l'une
après l'autre, mais j'ai beaucoup perdu avec
elles. Je me sens désormais si pauvre, si
vide, si faible ! ... » Et mon
interlocuteur se mit à pleurer comme un
petit enfant. Je n'ai pas à rapporter ce que
je lui dis. Le lecteur peut le deviner par le
chapitre précédent. Ce que je puis
affirmer, c'est que j'eus honte
de ma propre tristesse ; je sentis qu'en
comparaison de cet homme j'étais encore un
heureux. J'ai perdu la vue du ciel visible. Mais ne
vaut-il pas mille fois mieux perdre celle-là
que celle du ciel invisible ? Je songeai au
temps malheureux où j'aurais presque pu
parler comme cet homme. Je remerciai Dieu qui m'a
tiré de la nuit de
l'incrédulité, pour faire briller de
nouveau sur mon coeur le soleil de justice.
Mais Dieu ne se révèle-t-il
pas également à quiconque aspire
à la lumière et à la
vérité ? Il le fait, car s'il ne
le faisait pas, il ne serait pas ce qu'il est.
Avez-vous perdu Dieu, lui, ne vous a pas perdu de
vue, il ne vous a pas abandonné ;
avez-vous de la peine à le trouver, il vous
cherchera lui-même jusqu'à ce qu'il
vous ait trouvé, pourvu que vous vous
laissiez seulement trouver. Quand la nuit du doute
vous étreint de ses angoisses, il est
là, vous entourant de sa puissance,
jusqu'à ce que le jour ait lui sur votre
âme.
Je ne connais pas d'histoire plus
réconfortante que celle des moyens
employés par Dieu pour ramener à lui
un esprit égaré. Notre texte nous
montre comment s'accomplit cette guérison.
Nous allons voir Dieu faire renaître la
confiance dans l'âme de son serviteur, le
consoler et le punir en même temps.
Jéhovah s'approcha de lui et lui
dit : « Ce n'est pas lui
(Eliézer) qui sera ton héritier, mais
c'est celui qui sortira de tes entrailles qui sera
ton héritier. »
(Gen. XV, 4.). Ainsi Dieu lui
répète ce qu'il lui a
déjà dit. Il ne change pas une ligne
à son message. Il le confirme au contraire.
Il veut que ce message demeure ce qu'il est. Dieu
paraît lui dire : « Tu as pu
changer, moi je ne changerai pas. Je reste ce que
je suis - ma parole est ma parole. Le jour et la
nuit ont beau se succéder autour de ton
âme, tu ne dois point douter dans le fond de
ton être de ma fidélité et de
ma puissance. »
À ces mots, Abram respira. Il lui
sembla qu'un poids était enlevé de
dessus son coeur. N'avez-vous pas remarqué,
chrétien qui me lisez, combien, dans une
heure de tentation, fut douce
à vos oreilles la voix humaine qui de la
part de Dieu vint mettre en fuite vos doutes. Ce
n'est pas par la discussion, je pense, que ceux-ci
ont été vaincus. Oh ! non,
règle générale, plus on
discute plus on s'entête et plus on
s'égare. Il arrive souvent que le croyant le
plus convaincu est celui qui sait le moins
expliquer les raisons de la foi. D'autre part,
celui qui expose le mieux les raisons de la foi
n'est pas toujours celui en qui elle est le plus
profonde. Celui qui laissera l'impression d'avoir
trouvé la paix dans l'Évangile, la
force, une nouvelle activité
dévouée au bien, sera le meilleur des
apologètes. Il n'importe qu'il parle avec
simplicité, même qu'il s'exprime mal.
Ceux-là seuls que l'on sent prêts
à donner leur vie pour Christ, qui la
dépensent en réalité jour
après jour pour lui sont assurés
d'être écoutés. Lorsqu'un de
ces chrétiens, que je viens de
dépeindre, vous met la main sur
l'épaule, votre coeur s'ouvre d'avance
à ce qu'il va vous dire. Et il vous
dira : « L'Évangile est la
vérité. Les choses se sont bien
passées comme il nous les présente.
Dieu est près de vous, mon cher ami,
cherchant votre âme. Le soleil continue
à être présent dans les cieux,
alors même que nous ne le voyons
plus. »
C'est de la sorte, vos expériences en
témoignent, que Dieu chasse le doute. Comme
Abram dut être fortifié en entendant
celui qui l'avait conduit si merveilleusement lui
parler avec tant de simplicité ! Des
difficultés de l'accomplissement de sa
parole, des obstacles que celui-ci rencontrera,
Dieu n'en tient nul compte. Il se borne à
jeter le poids de son moi, de sa volonté
dans la balance.
En même temps, pour consoler Abram,
pour achever de le persuader, Dieu lui
révélera dans une vision des
détails de l'histoire future de sa
descendance.
(Gen. XV, 13-16). Israël sera
opprimé pendant quatre cents ans par un
peuple étranger, parce que l'iniquité
des Cananéens n'est pas encore comble.
Après ce laps de temps, les chaînes
d'Israël seront brisées. Dieu jugera la
nation qui l'aura asservi. Israël sortira de
sa servitude avec de grandes
richesses. Toutes ces perspectives offertes
à Abram sont encore bien obscures. Leur
développement n'en montrait pas moins au
patriarche que Dieu avait un plan tout
préparé pour l'avenir. On croit plus
facilement à une promesse qui entre
elle-même dans les détails de sa
réalisation, en pose les conditions,
qu'à une promesse générale.
Annoncez en termes vagues à un enfant
quelque don extraordinaire, il ne vous croira pas
toujours. Mais décrivez les
particularités du don, vous serez cru.
Dieu tient en réserve pour son
serviteur un autre encouragement. Après
avoir simplement répété, ainsi
que nous l'avions dit, l'antique promesse, il l'a
invité à sortir de sa tente, à
regarder les étoiles du ciel, à les
compter si cela lui est possible. Puis il a
ajouté : « Telle sera ta
postérité. »
(Gen. XV, 5).
C'est l'une de ces splendides nuits de
l'Orient, où les astres brillent d'un
éclat auquel nos yeux d'Occidentaux ne sont
pas accoutumés. Le patriarche est sorti de
sa tente. Du haut de la colline où celle-ci
est dressée, il embrasse le firmament
jusqu'à l'horizon. Il essaie alors de
compter les étoiles. Mais il est
bientôt obligé de renoncer à la
vaine entreprise et de détourner ses regards
fatigués. Il élève ses mains
suppliantes et il murmure tout bas :
« Comment pourrais-je compter ce qui est
innombrable ? » La toute-puissance,
la gloire céleste peuvent-elles être
pesées à la balance ? L'infini,
l'incommensurable se mesurent-ils ? Tout
l'être d'Abram frémit à la
pensée de la grandeur de Dieu. Il se
répète à lui-même avec
émotion la promesse divine :
« Telle sera ta
postérité. »
Il existe sans doute actuellement des
instruments perfectionnés à l'aide
desquels nous apercevons des étoiles
invisibles à l'oeil nu, nous les comptons
même jusqu'à un certain point à
force de patience. Les astronomes modernes
distinguent dans les étoiles vingt
degrés de grandeur, tandis que l'oeil nu ne
voit que les étoiles des six premiers
degrés. Nos savants affirment enfin
qu'à l'aide du télescope, ils
arrivent à percevoir 500 milliards
d'astres. Ce chiffre est vite
énoncé. Mais celui qui le prononce
conçoit-il l'étendue que
représentent ces 500 milliards semés
à des distances diverses ? Au surplus,
Herschel nous apprend que derrière ces 500
milliards existent d'autres étoiles en
nombre infini. La parole de Dieu à
Abram : « Compte les étoiles,
si tu peux les compter, » s'adressant
encore aujourd'hui à nous, nous convaincrait
donc d'impuissance, malgré tous les
progrès de l'astronomie.
Dieu est un grand éducateur. Il a
rappelé du même coup à Abram
les bornes du savoir humain et l'immensité
de son pouvoir. Comment le patriarche
continuerait-il, sur la foi des apparences,
à se défier de la promesse
divine ? Êtes-vous peut-être,
lecteur, de ceux qui disent : « Quel
rapport y a-t-il entre la quantité
incalculable des étoiles et la descendance
extraordinaire annoncée ? Ce qu'il
fallait établir, c'était
précisément cette relation. Dieu
s'est borné à montrer que le nombre
des astres du firmament échappe à nos
calculs, et c'est tout ! » Ah !
si vous vous exprimez ainsi, j'aurai peu d'espoir
de vous persuader, de vous faire admirer la
beauté du symbole employé par Dieu.
Je veux pourtant l'essayer.
Quand vous levez votre front vers le ciel
étoilé, ne lisez-vous pas dans le
firmament autre chose que le nombre incalculable
des étoiles ? En réalité,
le spectacle grandiose offert par une belle nuit
fascine depuis l'origine du monde les regards des
hommes. Les esprits les plus profonds, les coeurs
les plus nobles en ont été
émus. Des peuples entiers ont choisi pour
objet de leur culte les étoiles. En elles,
les sages de l'antiquité, les mages de la
Chaldée ont cherché le secret de la
destinée des individus et des nations. Les
poètes de tous les temps ont
contemplé avec recueillement l'harmonie
ravissante des sphères célestes.
Aujourd'hui, nos populations sont persuadées
que la lumière des astres possède une
mystérieuse influence, non seulement sur les
marées, mais encore sur la croissance des
plantes.
Erreur ou vérité ? Nous
n'avons pas à le rechercher ici. Ne nous
préoccupons pas non plus des enseignements
de la science sur la grosseur des étoiles.
Sans doute nous savons ce qu'Abram ne savait pas,
que telle petite étoile, toute petite, qui
scintille à peine à l'horizon, est un
monde énorme, un monde géant,
à côté duquel notre terre ne
paraîtrait pas plus grosse qu'un grain de
blé ; ce que nous savons encore, c'est
que tous ces mondes que sont les étoiles
circulent, qu'ils se meuvent parfois avec une
rapidité laissant bien loin derrière
elle la vitesse de nos trains express.
Je fais abstraction de toutes nos
connaissances ! Je vous invite à
regarder le ciel avec des yeux d'enfants et des
coeurs d'enfants. En présence de la
voûte étoilée, chacun de nous
n'a-t-il pas le sentiment immédiat de la
majesté du Créateur, de sa puissance
et de sa sagesse ; ne comprenons-nous pas que
celui qui a fait les étoiles, qui les
appelle par leur nom et conduit leur armée,
est un être souverainement
élevé, dépassant infiniment
nos pensées, capable de produire, s'il le
veut, l'impossible ? Ne sommes-nous pas
obligés d'avouer notre faiblesse, d'agrandir
notre notion de Dieu ? Ne sommes-nous pas
forcés de mettre la main sur nos bouches,
d'imposer silence à nos doutes ? Ne
nous sentons-nous pas entraînés
à adorer ? Quand, dans une heure
d'angoisse, au milieu des orages de la passion ou
de l'épreuve, vous avez tourné vers
le ciel étoilé des yeux
mouillés de larmes, ne vous a-t-il pas
semblé entendre une voix tantôt douce
comme un soupir, comme le murmure de la brise,
tantôt éclatante et forte, vous
dire : « Le Créateur de
pareils ouvrages ne saurait avoir à ton
égard que des pensées pleines de
bonté. Il est nécessairement l'ami,
l'allié de l'enfant des hommes au milieu des
luttes qu'il a à soutenir ! »
De telles impressions ne s'oublient pas. Elles
suffisent à nous expliquer l'état
d'âme dans lequel Abram rentra sous sa tente.
La lumière des cieux avait rendu
témoignage devant son coeur à la
fidélité, au pouvoir de Dieu. Le
patriarche ressentait le saisissement de
l'adoration. Il ne songeait plus
à l'expédient qu'il avait
inventé pour aider à la
réalisation des promesses divines ; il
était intérieurement inondé de
joie, de confiance. Il croyait comme un enfant
à l'accomplissement des oracles divins.
O lecteur, qui que vous soyez, laissez-vous
gagner par les impressions d'Abram ! Apprenez
à votre tour à vos enfants à
contempler le ciel étoilé ! En
dirigeant leurs regards du côté d'en
haut, vous les inviterez par là même
à écouter la voix intérieure.
Elle s'éveille au spectacle des ouvrages
divins. Je vous assure qu'un petit enfant,
regardant le ciel étoilé, comprend
mieux que vous ne le supposez la nature de la
puissance divine. Un mot sur le Père qui est
aux cieux, sur sa miséricorde et sa
sainteté, pénètre en de
pareils moments jusqu'au fond d'un jeune coeur et y
laisse des traces durables.
Vous-même, qui êtes
peut-être savant, peut-être illustre,
instruit par les expériences de la vie,
disposant de la plénitude de la force,
laissez-vous engager par Dieu à sortir de
vous-même, des bruits de ce monde. Comme
Abram, quittez maintenant votre tente, pour
écouter, dans le recueillement, la voix de
l'invisible et de l'éternel. Levez les yeux
en haut, considérez le ciel
étoilé, lisez-y le poème de
Dieu. Ne lisez pas à la façon de
l'astronome, en quête de constatations, et de
découvertes scientifiques ; lisez
à la façon de l'enfant qui a devant
lui une lettre de son père. Quand vous vous
approcherez ainsi du ciel étoilé,
vous sentirez un rapport étroit entre la
lumière qui descend sur vous du ciel et les
antiques promesses de Dieu. Vous sentirez que
celles-ci sont aussi réelles que le sont les
corps brillants, dont les orbites se croisent
là-haut. Vous sentirez que le Dieu qui a
fait les cieux aux pures étoiles doit
s'occuper de sa pauvre créature
pécheresse et perdue pour la relever, pour
la ramener à la lumière ; qu'il
est assez puissant pour accomplir en son temps ses
anciens oracles, Vous croirez à l'existence
d'un monde invisible que nul oeil n'a vu ni ne peut
voir, plus beau que le monde visible, et que Dieu a
préparé pour ceux qu'il aime.
Mais j'en ai dit assez. Par le spectacle
qu'il a sous les yeux, Abram est rentré en
lui-même, il a ressaisi sa foi. Il prie, il
adore intérieurement. Le Tout-puissant
accueille cette prière sans mots, qui semble
murmurer : « Je veux ce que tu veux.
Je retiendrai fidèlement ta
promesse. » En résumé Abram
crut en Dieu. Le vieil homme, le fils de
Thérach est désormais mort en
lui ; mais le nouvel homme, l'enfant de Dieu,
a repris vie. Abram n'a pas voulu vivre sans son
Dieu, et Dieu n'a pas voulu non plus abandonner son
serviteur revenu à lui. Comprenons
l'intimité, la force du lien qui unit
désormais ces deux êtres.
Efforçons-nous de l'établir entre
Dieu et nous.
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