AVANT
L'AURORE
APPEL AUX
HOMMES
PREMIÈRE PARTIE
Sentinelle, que dis-tu de la
nuit ?
(ESAÏE XXI, 11.)
La nuit est passée et le jour
est proche.
(Rom. XIII, 12.)
Le langage de cet appel ne sera pas compris de
tous. Celui qui le parle pleure sur le
péché, et il s'adresse à tous
ceux qui, à n'importe quel degré,
mènent ce deuil avec lui.
Il en est parmi nous qui ont perdu
l'estime de leurs semblables pour avoir fait une
chute morale ; à la conscience de leur
misère se joint encore ce douloureux
sentiment de la réprobation de la
société. D'autres ont au fond du
coeur un péché et une honte
cachée, tandis que leur réputation
reste intacte et qu'ils marchent le front haut dans
le monde. Il en est aussi qui n'ont fait aucun mal
positif à leurs semblables, mais qui
néanmoins sont remplis
d'une profonde douleur à cause de ce
péché incessant de l'âme contre
Dieu. Et d'autres qui dans la sainteté et le
renoncement ont mis leur vie entière au
service de leurs frères, mais qui parfois
ont des heures de doute et d'obscurité. Ils
combattaient avec l'épée de Dieu, et
pourtant ils tombent épuisés par la
lutte, ils ont sauvé les autres, mais ils ne
peuvent se sauver eux-mêmes.
Au milieu de la tempête, battus
des vagues, tristes et incertains, leurs yeux
autrefois clairvoyants sont obscurcis pour un
temps, leurs pas semblent se diriger au hasard, et
dans la nuit qui les environne, ils tendent vers le
Père des mains suppliantes. C'est à
eux que cet appel s'adresse ; une âme
soeur vient leur dire que la délivrance est
proche, vient ranimer leur espérance ou au
moins leur apporter le secours que peut procurer le
sentiment de la fraternité dans la
lutte.
Les hommes du monde ne verront là
que folie et exagération, car il y a des
milliers d'êtres qui, selon l'expression d'un
poète, « passent comme un troupeau
les yeux fixés à terre, »
sans aspirations au delà de la vie
présente, et dont l'âme n'a jamais
été traversée par un seul
rayon de cette lumière spirituelle qui nous
éclaire sur nous-mêmes. Ils ne sentent
pas leur péché; comment
comprendraient-ils ce que c'est
que la douleur du péché ? Ce
n'est pas à eux que je m'adresse ; ils
ne peuvent m'entendre, et pourtant mon coeur est
plein pour eux d'une profonde pitié et mon
âme est émue à leur vue comme
à celle de ces pauvres aveugles-nés
qui n'ont jamais aperçu la lumière du
soleil.
Nous pouvons distinguer plusieurs
degrés dans la douleur du
péché. Il y a une tristesse pleine de
crainte, mais il y a aussi un chagrin qui a sa
source dans le sentiment de l'amour de Dieu, uni au
sentiment de notre indignité et de notre
ingratitude.
À l'égard du
péché le mot componction a peut
être un sens plus clair que le mot
douleur ; il implique l'idée d'une
âme transpercée qui partage les
blessures faites à Notre Seigneur ; une
douleur de ce genre dure toute une vie, car l'amour
de Dieu est un sujet de contemplation infini. Ceci
nous explique ce fait étrange, mais souvent
remarqué, que les âmes les plus pures
sont aussi celles qui ont le plus souffert du
péché, que les plus grands saints
sont ceux qui ont éprouvé au plus
haut degré ce sentiment de contrition, parce
que ce sont eux qui ont le mieux compris l'amour de
Christ. Tel était saint Paul qui se nommait
le plus grand des pécheurs.
La douleur de son péché
augmente à mesure que l'âme est plus
éclairée, et c'est le
péché lui-même qui
empêche cette sainte tristesse d'envahir nos
âmes. Beaucoup de ceux qui sont couverts
d'une multitude de péchés ne l'ont
jamais éprouvée, tandis que ceux qui
se sont le plus approchés de Dieu en sont
écrasés, mais pour eux il y a une
consolation à leur douleur. « La
perception de ce sentiment dépend de ce que
nous sommes, et les coeurs les plus saints sont
aussi les plus éclairés. Le langage
de saint Paul n'est pas
exagéré ; c'est l'expression
exacte de ce qu'il ressentait. La douleur de
Jésus en Gethsémané est le
modèle de la parfaite contrition ; il
souffrait à cause du péché du
monde et de l'amour de Dieu ; c'était
une douleur profonde, envahissante, immense comme
les eaux de la mer
(1). »
« Ce n'est pas tant le
souvenir du péché que le sentiment de
l'amour de Dieu qui fait souffrir les âmes
saintes. Leur douleur arrive à s'assimiler
à celle de Dieu et ressemble à ce
céleste déplaisir avec lequel le
Saint-Esprit considère nos
péchés lorsque, comme dit
l'Écriture, nous « le
contristons ». La vraie contrition doit
engendrer la haine, non seulement
du péché, mais de
l'indifférence ; elle doit nous montrer
quelle est la grandeur du sacrifice que l'amour a
fait pour nous. La froideur en échange d'une
amitié ardente est intolérable dans
les relations humaines, de même entre
l'âme et Dieu
(2). »
Qu'ils n'approchent pas de nous, ceux
qui ne voient dans le cri de l'âme
transpercée par la douleur du
péché que l'expression d'une terreur
lâche et vulgaire en face des remords de
l'enfer, sans aucune aspiration vers un état
meilleur. Qu'ils se taisent, car ils ignorent les
plus saintes douleurs de l'âme et ne peuvent
entendre ces supplications de l'Esprit qui
intercède pour nous par des soupirs qui ne
se peuvent exprimer.
Si Dieu m'a donné
d'éprouver une pitié plus profonde
pour une classe de malheureux, c'est pour ceux qui
tout en étant esclaves du
péché ont conscience de leur
dégradation et craignent que la
régénération morale ne soit
pas possible pour eux. Dieu a déclaré
que cette régénération est
possible, la résurrection du Christ nous en
est un gage positif, et pourtant ces pauvres coeurs
brisés disent sans cesse :
« Ce n'est pas pour
nous. »
Eh bien, c'est à vous que je
m'adresse d'abord, à vous
qui ôtes sans espoir, meurtris, souffrants
dans votre corps, dans votre intelligence et dans
votre âme à cause du
péché, mais qui pourtant murmurez
parfois ce premier bégaiement de l'âme
qui naît à la lumière :
« 0 Dieu ! aie pitié de moi
qui suis pécheur. »
Je m'adresse aussi aux pécheurs
les plus dégradés, à ces
hommes dont le sang même a été
corrompu par le contact du mal, qui sont descendus
dans les dernières profondeurs de la
misère et du péché.
Ils sont pareils à ces malheureux
que Dante décrit dans sa vision : i
peccator carnali, chez lesquels le désir a
vaincu la raison. Le poète les entrevoit
vaguement dans les profondeurs des
ténèbres : ils passent,
portés sur les vents empestés de
l'enfer, entraînés dans un mouvement
perpétuel, perçant l'obscurité
de leurs lamentations, de leurs cris, de leurs
blasphèmes contre le ciel Je m'adresse aussi
à ceux qui après s'être
repentis sont retombés dans le mal. Nageurs
désespérés luttant contre une
mer orageuse, au moment où ils atteignent le
rivage une nouvelle vague les balaie, les emporte
avec elle dans le gouffre et les laisse presque
sans vie et sans force pour recommencer le combat.
Je m'adresse aux hommes du dix-neuvième
siècle qui sont pires que ceux de
Sodome et de Ninive et
d'Athènes, parce qu'ils ont
péché dans la pleine lumière
de la morale épurée par le
Christianisme et tout en entendant résonner
à leurs oreilles les accents du sermon sur
la montagne.
Je m'adresse aux chrétiens.
Plusieurs d'entre eux ont
péché contre cet amour qui a
donné sa vie pour eux, contre
Gethsémané, contre le Calvaire,
contre le Saint-Esprit.
Mon âme défaille à la
vue des péchés qui se dressent devant
moi; j'étouffe comme si j'étais dans
la fumée de Tophet.
Et pourtant, je l'affirme devant Dieu, je
vous aime, ô mes compatriotes, ô mes
frères ! J'aime même le
pécheur le plus dégradé, et
dans une certaine mesure, je le respecte. Lorsque
je considère cette victime du
péché, qui est mon frère,
quoiqu'il soit usé, corrompu,
empoisonné dans tout son être, je sais
que Dieu peut, s'il le veut, étendre le bras
et saisir ce lépreux qui lui-même se
dit souillé, le purifier, le transformer,
l'élever à lui et le faire asseoir
dans les lieux célestes parmi les saints et
les fils de Dieu.
Un des plus grands obstacles à la
régénération morale, c'est le
découragement et la résignation sans
espoir.
Le grand ennemi de Dieu et des âmes ne
se contente pas de nous tromper, il nous accuse.
Après nous avoir entraînés, il
essaie de nous faire plier encore plus bas sous le
joug du désespoir, et nous sommes d'autant
plus sujets à céder, que ses paroles
nous semblent d'accord avec les jugements d'un Dieu
offensé.
Vous dites, vous, hommes qui avez
l'expérience du péché, mais
non celle de la puissance
régénératrice et purificatrice
de Dieu, vous dites que la
régénération morale n'est pas
possible sur cette terre ; vous reconnaissez
les lois inexorables de la nature et celles du
monde qui vous entoure, vous êtes
persuadés que telles sont les semailles
telles seront les moissons, et que vous
récolterez ce que vous aurez
semé.
La nature, en effet, nous parle d'une
manière sévère et juste, et
vous entendez sa voix, mais vous n'écoutez
pas cette autre voix qui vient du ciel ; vous
croyez à ce qui est naturel et vous ne
voulez pas croire à ce qui est
surnaturel.
Vous vous soumettez en silence à
cette terrible Némésis qui est
descendue sur vous. Vous parlez avec
désespoir du sort, ce sort que vous avez
attiré sur vous dans une heure de folie
où votre jeunesse en proie à une
imagination non disciplinée
et à un besoin malsain d'expérience,
a commis par curiosité des fautes qui, en se
répétant, sont devenues des habitudes
invétérées. Vous vous inclinez
sans espoir, froidement, humblement
peut-être, devant ce que vous croyez
être un décret inexorable.
Eh bien ! je viens à vous, car
je connais votre chagrin, je comprends votre
désespoir, je suis blessé en esprit
pour vous et avec vous ; je viens vous dire,
au nom de Dieu, que la
régénération, une
régénération entière,
parfaite, est possible pour vous. Vous me dites que
les sources de la pensée ne peuvent
s'épurer, que vous avez l'enfer en
vous ; je vous réponds que les sources
de la pensée peuvent s'épurer. Il y a
une puissance que vous n'avez pas encore sentie,
mais qui est plus forte que la mort, plus forte que
le tombeau, plus forte que l'enfer.
Tout grand pécheur pense comme vous
au moment où il commence à avoir le
sentiment de sa dégradation. Sa conscience
lui dit qu'il s'est tué
lui-même ; sa santé
ruinée, son intelligence obscurcie, sa
volonté affaiblie, lui parlent hautement
d'une rétribution inévitable. Alors
une voix pareille au sifflement du serpent glisse
à son oreille ces mots :
« Maudis Dieu et meurs. » Ou
bien, si les plaisirs de la chair
ont encore quelque charme pour lui, son coeur lui
dit : « Mangeons et buvons, car
demain nous mourrons. »
Et c'est tout ! Quelle autre
inspiration pouvait-il attendre ? Sa
conscience contre laquelle il a péché
ne saurait lui parler d'espérance, de vie
nouvelle, de résurrection, de purification,
de sanctification. L'homme naturel ne peut recevoir
de pareilles nouvelles ; il ne peut y croire.
Je m'adresse à vous comme à
des égaux, non point comme à des
inférieurs. Ce n'est pas en vain que j'ai
été assis dans les
ténèbres et dans l'ombre de la mort,
je suis votre compagnon de péché et
de douleur. Je hais votre péché, mais
je vous aime, je vous réclame comme des
frères ; vos âmes me sont
précieuses ; plus vos douleurs sont
grandes, plus vous êtes faits pour devenir
mes amis et mes compagnons de route. Plus votre
chute est grande, plus mon coeur s'émeut
à votre sujet.
Ah ! ne rejetez pas le message d'amour
et d'espérance que je vous apporte. Je
connais assez la vie humaine mais aussi l'amour
divin pour vous dire que je vous aimerais,
même si vos péchés
étaient encore plus noirs qu'ils ne le sont.
Laissez-moi porter vos fardeaux, pleurer et prier
avec vous, et que l'amour que j'ai pour vous,
vous fasse comprendre combien le
Seigneur vous aime !
Christ hait votre
péché.
Pourrait-il habiter vos coeurs lorsque vous
êtes indifférents, hypocrites,
grossiers, impurs et cyniques ? Ah ! sans
doute, dans ces moments-là son Esprit se
retire de vous ; et pourtant, il vous aime
encore, il vous aime jusqu'à la mort. Son
esprit plane toujours au-dessus de vous ; il
s'afflige, il pleure, et il attend, prêt
à vous rendre saints à l'instant
où vous le voudrez.
Mais, voilà ! vous ne le voulez
pas, vous ne pouvez plus le vouloir. Cette
volonté, dont vous vous dites si fiers, est
maintenant plus faible que celle d'un petit
enfant ; avec la pureté, la force de
vouloir a disparu, vous êtes
paralysés. Agir, prendre une
résolution, autant de choses qui n'ont plus
de signification pour vous ; que veulent dire
ces mots pour celui qui est
enchaîné ? Je ne connais rien de
plus triste au monde que la déchéance
d'une volonté qui s'est
révoltée contre les lois de Dieu, que
la vue de cet enfer, que le pécheur se
crée lui-même sur cette terre. Je vous
avoue bien que dans un certain sens le jugement que
vous prononcez sur vous-mêmes est juste. Il
est évident que celui qui se livre
habituellement aux péchés les plus
grossiers ne peut être
placé sur le même rang que l'homme qui
se tient à l'abri de souillures de ce genre.
Le premier est blessé pour la vie : son
péché de prédilection laissera
sur lui la trace de sa morsure ; cet homme
pourra bien revenir à Dieu, mais il restera
triste, il sera poursuivi d'amers souvenirs, et
ressentira cette fatigue du prisonnier qui a
longtemps porté des chaînes. Il aura
besoin d'être constamment défendu
contre les retours offensifs de son ennemi.
Votre conscience vous dit bien qu'il ne
serait pas juste que vous fussiez estimés
à la même valeur que ceux qui ont
lutté sans cesse pour mener une vie pure. Et
c'est ici que le châtiment est le plus
douloureux.
Combien d'hommes se sentent rabaissés
au niveau de la brute, lorsque des souvenirs
honteux reviennent à leur esprit en
présence de quelque être pur et
aimé ; combien ont dû cacher
à la compagne de leur vie ce qu'ils avaient
été, ou, en le confessant, ont
voilé son bonheur et ébranlé
son estime ! Les beaux rêves de votre
jeunesse se sont évanouis pour
toujours ; il est bien rare qu'un homme qui a
fait de son corps le temple de la luxure puisse
jamais aimer purement ; les
péchés passés semblent
s'enrouler autour de ses affections
les plus profondes, et
empoisonner la source des plus douces jouissances.
Dans les moments de saintes émotions, ils se
dressent devant lui ; ces visions le
poursuivent partout, et jusqu'au jour de sa mort
peut-être. Ah ! ces mots de
l'Écriture seront toujours vrais :
« Ce que l'homme aura semé c'est
ce qu'il moissonnera aussi. »
« Celui qui sème pour la
chair moissonnera de la chair la
corruption. »
Je sais tout cela. Je sais que vous
êtes des hommes souillés, que jamais,
non jamais, vous ne pourrez redevenir ce que
vous étiez. Cependant,
écoutez-moi : je vous dis au nom de
Christ, que si vous ne pouvez pas annuler le
passé, ni retourner à l'innocence
première, vous pouvez, par la puissance de
la régénération, devenir
quelque chose de bien meilleur que ce que vous
étiez dans votre ignorante et pure enfance.
- Vous avez perdu beaucoup, c'est vrai. Au point de
vue de ce monde les expériences que vous
avez traversées ont appauvri votre vie. Vous
avez perdu pour toujours un bien
précieux : la pureté, mais un
bien tout aussi précieux vous est offert, et
je crois que dans le royaume de Dieu votre perte
deviendra un gain.
Dieu pourra faire de vous un instrument
puissant en raison même de vos blessures et
de votre misère. Le
serpent vous a mordu au talon, tournez votre fureur
contre lui et écrasez sa tête. Il y a
quelque vérité dans ce dicton :
« Un bras cassé, bien remis, est
plus fort qu'avant. »
Dorénavant, vous ramasserez les
pierres qui vous ont fait tomber et vous en paverez
le chemin du ciel afin de ne plus
trébucher.
Dieu vous offre sa toute-puissance ;
étendez votre main, toute faible et
paralysée qu'elle est, pour la saisir. Votre
main sera guérie et vous aurez acquis Dieu.
Par cet acte, Dieu et vous serez un, et toutes
choses sont possibles avec Dieu, toutes choses sont
possibles à celui qui croit.
Alors, dussiez-vous être, comme
Gédéon, le dernier dans la maison de
votre Père, la salutation céleste
vous sera adressée : « Le
Seigneur est avec toi, homme puissant et
valeureux ! »
Et maintenant, prenez vos armes pour la
bataille.
Ah ! sans doute, c'est un beau
spectacle que de voir un jeune guerrier bien
armé, qui vole à la victoire sans
être atteint de blessures. Sa force est comme
la force de dix hommes, parce que son coeur est
pur. Mais il y a un spectacle aussi grand et plus
touchant encore : c'est celui d'un soldat
blessé dans la lutte, dont le sang coule
à chaque pas, et qui pourtant se lève
encore pour combattre ; son
visage exprime une tristesse sans borne, mais aussi
une résolution inébranlable.
Épuisé, éperdu, sa foi le
guide à la victoire ; les anges du ciel
se réjouissent à son sujet, nous
est-il dit.
Si vous ne pouvez plus être le premier
de ces guerriers, vous pouvez être le second.
« Quand les forces de ton âme
seront dispersées, rallie-les par la foi et
souviens-toi que plus d'un soldat blessé a
décidé de la victoire
(3). »
Il se peut que quelques-uns de ceux auxquels
je m'adresse aient été corrompus
dès leur première enfance. Ils sont
nés peut-être dans un de ces milieux
perfides où le mal est souvent si bien
masqué qu'il échappe à la
vigilance de ceux qui cherchent les âmes pour
les sauver. S'il en est ainsi, la pitié de
Dieu pour vous est infinie et l'Esprit-Saint se
lèvera pour vous défendre. Il vous
vengera du malin qui, dans la personne de quelque
misérable tentateur, vous a flétri au
seuil même de la vie. Ces mots de notre
Seigneur sont terribles : « Prenez
garde de ne mépriser aucun de ces
petits. »
Cette chute dans votre jeunesse peut avoir
amené un nuage entre vous et Dieu. Vous
n'avez plus confiance en sa bonté, car vous
vous demandez pourquoi, s'il vous
aime, il a permis cette tentation à laquelle
vous avez succombé inconsciemment.
Hélas ! il est aussi difficile de
répondre à cette question dans un cas
particulier que dans son sens le plus
étendu, car c'est ici le grand
mystère de l'origine du mal. Laissons-le de
côté et écoutons le Dieu qui
est amour : « La volonté de
votre Père qui est aux cieux n'est pas
qu'aucun de ces petits périsse. - Que
personne ne dise lorsqu'il est tenté :
C'est Dieu qui me tente. »
« Toute grâce excellente et
tout don parfait viennent d'en
haut. »
La corruption et la flétrissure ne
peuvent venir d'en haut, et lorsqu'elles tombent
sur l'être faible et innocent, ce n'est ni
sur l'ordre, ni avec le consentement du
Tout-Puissant. Ah ! sa volonté n'est
pas qu'aucune de ses créatures attire le
péché et la souffrance sur une autre.
Non, mais il y a une autre volonté en
oeuvre dans ce monde, une puissance secondaire mais
cruelle qui s'oppose à celle de Dieu.
Dieu peut tirer le bien du mal
lui-même. Il peut tourner les desseins de
Satan à sa propre gloire et au bien de
l'homme.
Si Dieu permet que pour un temps le mal ait
libre carrière en ce monde, l'histoire de
l'homme nous prouve pourtant, et
l'avenir nous prouvera mieux encore, que son
dessein est d'éloigner le mal et d'en faire
sortir du bien. Il tire la vie de la mort, la force
de la faiblesse, la lumière des
ténèbres et la gloire de la honte.
« Cette maladie n'est point à la
mort, mais elle est pour la gloire de
Dieu. »
Croyez ceci et faites-en l'application
à toutes les maladies de votre âme et
de votre corps qui sont la suite du
péché ; acceptez cette
espérance, et un jour viendra où vous
louerez Dieu avec amour et étonnement.
Que de fois nous voudrions dire :
« Seigneur, si tu eusses
été ici, mon frère ne serait
pas mort. Si tu avais été
présent à l'heure de la
première tentation, tous ces maux ne
seraient pas arrivés. »
Christ n'était pas là dans cet
instant, et Satan a triomphé. Mais
écoutez la réponse de
Jésus : « Ton frère
ressuscitera ; ne t'ai-je pas dit que si tu
crois tu verras la gloire de
Dieu ? »
Mon frère, vous êtes
peut-être plus que malade, vous êtes
mort dans le péché, oui, mort depuis
longtemps déjà, corrompu, en proie
aux vers, si bien que vos timides amis seraient
aussi étonnés de vous voir vous
relever et réclamer vos droits de
parenté avec eux que le fut Marthe
lorsqu'elle s'écria :
« Seigneur, il sent déjà
mauvais. »
Et cependant, lorsque Celui qui est la
résurrection et la vie s'approcha du
cadavre, il lui dit :
« Lazare, sors de
là ! »
Mon frère, le Seigneur est prêt
à faire ce miracle pour vous. Il vous
demande seulement un peu de foi ; pas plus
« qu'un grain de moutarde »,
car le miracle ne dépend pas de la grandeur
de votre foi mais de la puissance de Dieu, et cette
puissance peut être réclamée
par la foi la plus faible. Satan ne triomphe que
pour un temps, mais Dieu triomphera pour
toujours.
Vous serez dans les mains de Dieu un
instrument d'autant plus utile que vous aurez
été éprouvé dans la
lutte avec l'ennemi des âmes.
Ah ! le coeur de Christ s'émeut
à votre égard. Il sait comme vous
avez été tentés. Vos
âmes étaient jeunes et ignorantes,
elles ont bu le poison sans s'en douter. Quelque
don de Dieu a peut-être été la
cause de votre chute. Vous aviez la beauté,
une nature franche, sensible, qui ne
soupçonne pas le mal, et ce sont ces
qualités qui ont attiré sur vous
l'oeil du malin, cet oeil qui flétrit tout
ce qu'il regarde. Ou peut-être que,
privé de ces charmes qui rendent la jeunesse
séduisante, lorsqu'une affection inattendue
s'est offerte à vous, vous y avez
répondu avec tout l'abandon de la
reconnaissance, et alors une main
ennemie a semé dans votre coeur les
mauvaises graines à côté des
fraîches fleurs. Des plantes
empoisonnées ont grandi côte à
côte avec de douces amitiés, et ainsi
des circonstances qui auraient dû
développer et fortifier votre être,
sont devenues des agents puissants du
péché. Il y a dans ce monde des
hommes si délicats qu'ils sont peinés
à l'ouïe d'une parole inconvenante, et
si charitables que l'idée d'entraîner
volontairement une âme dans le
péché est pour eux quelque chose
d'horrible ; et cependant, ces hommes se
sentent dégradés, car leur
passé pèse sur eux et ils ne peuvent
échapper au souvenir du péché.
Leur nature est essentiellement pure, et pourtant
ils se sentent impurs ; ils étaient
nés avec une répugnance instinctive
pour tout ce qui est vil et bas, et cependant leur
coeur ne peut chasser le souvenir de quelque
bassesse cachée qu'ils voudraient pouvoir
effacer à toujours.
Quand un homme grossier pèche
grossièrement, ses actions sont au moins en
harmonie avec sa nature ; mais lorsque celui
que Dieu a doué d'un caractère pur et
sensible se laisse entraîner à un
péché grossier, il ne pèche
pas seulement contre Dieu mais contre sa nature. Il
fait violence à la meilleure partie de
lui-même, et de là résulte un
désaccord, une lutte
terrible ; il y a en lui deux hommes qui se
haïssent ! Ses péchés ne
sont pas de même nature que son esprit, c'est
une tache noire sur un vêtement blanc. Les
souffrances d'un tel homme touchent
profondément mon coeur, car les âmes
nobles souffrent dans la partie la plus
délicate de leur être ; il est
blessé dans ses sentiments les plus intimes,
dans son besoin d'idéal, dans sa
dignité et son honneur.
Chez lui la perte de la pureté sera
suivie d'un regret éternel si profond et si
douloureux que des hommes façonnés
d'une argile plus grossière ne le
comprendront jamais ; il y a là quelque
chose de l'agonie qu'éprouve une femme qui a
été dépouillée de sa
vertu. Si cet homme possède une intelligence
claire et un jugement sain, la honte d'avoir
laissé triompher sa mauvaise nature sera
d'autant plus grande et sa responsabilité
plus vivement sentie. C'est en vain qu'il
essaierait de rejeter le blâme de son
péché sur son prochain, non, c'est
bien lui qui est coupable en face d'un Dieu
personnel et vivant. La douleur de cet homme sera
grande, mais sans doute il sera jugé avec
miséricorde par Celui qui « est
venu appeler à la repentance, non les
justes, mais les pécheurs », et
auquel on a pu faire ce glorieux reproche qu'il
« mangeait et buvait
avec les gens de mauvaise vie ». Et nous
oserions, nous, lui jeter la pierre !
Pour cet homme, recevoir le pardon de son
péché ce n'est pas assez, il demande
davantage. Il veut être nettoyé pour
toujours ; il faut que cette chose maudite
soit éloignée de lui
« comme l'orient l'est de
l'occident ». Ah ! comme parfois il
éprouve un désir passionné que
le passé n'ait pas été ou,
qu'ayant été, il ne soit plus :
grâce que Dieu lui-même ne peut nous
accorder, comme disaient les Grecs. Non, même
au prix de notre immortalité, nous ne
pourrions l'obtenir, mais il y a une promesse dont
l'accomplissement sera presque la
réalisation de ce désir, c'est que
Dieu ne se souviendra plus de nos
péchés.
Cela se peut-il ? Dieu peut-il
oublier ? Quel que soit le sens exact de cette
promesse, nous savons qu'aucune souillure ne pourra
subsister devant ses yeux et que près de lui
nous serons purs comme Il est pur. Que cette
espérance certaine nous suffise, et dans
l'attente de sa réalisation, faisons de nos
regrets, de nos remords, de notre
mécontentement de nous-mêmes, un
puissant mobile d'action pour le bien.
O vous qui aimez la pureté et qui
avez trahi l'objet de votre amour, n'avez-vous pas
un double motif de travailler
pour Dieu, de combattre pour la destruction du
royaume de Satan et pour l'avancement du
règne de Christ sur la terre ?
Qu'une sainte colère remplisse vos
âmes ; vous trouverez en elle une force
immense, qui ne saurait toutefois suppléer
à celle que vous donnera un amour
reconnaissant pour votre Sauveur. Il y a chez
certains hommes un principe d'opposition
très fort en sorte que s'ils convertissent
leurs forces morales, en même temps que leur
vie extérieure, ce qui chez eux était
mauvais ou dangereux pourra se tourner contre
l'ennemi de Dieu et le leur. Une sainte haine, un
saint mépris, mais aussi un saint amour se
développeront en eux et ils
éprouveront pour ceux qui sont
enlacés dans les filets du
péché une compassion bien plus grande
que celle de l'homme qui n'a pas été
profondément blessé
lui-même.
Je connais sur ce point le scepticisme de
ceux qui sont tombés et qui souffrent ;
je sais comme il leur est difficile de croire
à une nouvelle naissance. Il existe une
erreur qui a trop généralement cours
sur ce sujet : c'est de croire que le pardon
des péchés et la
régénération morale sont deux
choses distinctes. On entend souvent dire :
« Dieu peut pardonner les plus grandes
offenses et recevoir le
pécheur à cause de
sa grande miséricorde, mais il ne peut
produire une régénération
complète en moi ; une source
empoisonnée ne peut donner que de l'eau
corrompue. L'expérience me l'a appris et
l'on ne peut rien soutenir qui soit contraire
à l'expérience. »
Celui qui parle ainsi est dans l'erreur.
Sauver signifie deux choses : pardonner et
purifier. « Sans la sanctification,
personne ne verra le Seigneur. »
« C'est ici le chemin de la
sainteté, les impurs n'y passeront
pas. »
« Si quelqu'un n'a pas l'esprit de
Christ (un esprit de pureté),
celui-là n'est point à
lui. »
Croyez-moi, vous êtes dans une erreur
profonde et très répandue.
Cette illusion, qui gagne du terrain dans
les coeurs, influence la conduite de bien des
hommes sans qu'ils se l'avouent à
eux-mêmes. Pouvez-vous réellement
croire que Dieu rassemble les hommes en hâte
au dernier moment et les reçoive dans sa
cité alors même qu'ils continuent
à être impurs ? Même si
cela était, le ciel ne serait pas le paradis
pour eux.
Leur nature, complètement
différente de tout ce qui est
là-haut, serait une note discordante dans
l'harmonie universelle, et c'est bien à eux
que l'on pourrait adresser cette
question : « Comment es-tu
entré ici ? » Non, rien de ce
qui par son essence n'appartient à Dieu ne
pourra entrer au ciel. Le ciel et l'enfer
commencent dans nos coeurs, déjà sur
cette terre, par le fait de cette loi de la
permanence des caractères. C'est
nous-mêmes qui donnons à notre
être, par la liberté que Dieu nous a
accordée, sa direction et sa fixité,
mais Lui, avec une vigilance tendre et constante,
encourage le plus faible effort de notre
volonté lorsqu'elle se dirige vers Lui.
Beaucoup d'hommes marchent jusqu'à
leur dernier jour, se rassurant par cette
misérable idée d'une absolution
finale que celui qui n'a jamais senti le besoin
d'un changement moral pourra cependant obtenir au
moment de sa mort. Et ainsi ils vivent sans se
convertir et meurent dans l'impureté.
Mais si beaucoup ne désirent pas la
régénération morale, d'autres,
comme vous, mon frère, la désirent,
mais ne la croient pas possible. Pourquoi donc, je
vous le demande ? Vous accordez que Dieu peut
vous pardonner parce qu'il est
miséricordieux, mais qu'Il ne peut pas vous
donner un coeur pur. En quoi, je vous prie, la
seconde chose est-elle plus difficile à
faire pour Lui que la première ?
Dire que Dieu ne peut pas changer la
disposition de votre nature et briser la loi de la
chair qui règne en vous, c'est nier la
puissance de Dieu, c'est douter de sa parole.
Vous dites qu'un miracle est impossible.
(Hélas ! comme les hommes l'affirment
aisément de nos jours !) Alors vous
êtes un matérialiste, vous êtes
l'esclave des prétendues lois de la
nécessité, vous ne croyez pas
à un Esprit divin et créateur.
Libre à vous de vous soumettre
humblement à cette loi de la nature, mais
non pas de dire que Dieu veut ou approuve un seul
instant cet esclavage. Dieu agit par la nature. Il
se sert d'elle pour punir le mal, mais Il est
au-dessus de la nature et Il peut agir directement
contre elle lorsqu'Il le juge bon. Dieu ne peut pas
vouloir que vous soyez maudit,
désespéré, souillé. Si
vous l'êtes, c'est que vous avez agi contre
sa volonté.
Souvenez-vous de ces émouvantes
paroles de Jésus : « Vous
ne voulez point venir à moi pour avoir
la vie. » - « Que de fois
j'ai voulu... mais vous n'avez pas
voulu. »
« Tu es perdu, ô
Israël, mais ton secours est en
moi. »
Je le répète, je n'ignore ni
la puissance, ni les effets des
péchés grossiers. Je connais ce
poison mortel pour avoir vu ses ravages dans les
corps, dans les âmes et les intelligences. Je
me suis senti défaillir devant ce souffle
brûlant. Mais j'ai vu que là où
le péché a abondé, la
grâce a surabondé. J'ai vu des hommes
morts se lever de leur tombeau. Je sais la
puissance de Celui qui a dit :
« Voici, je vais faire toutes choses
nouvelles. »
Dieu, qui a ressuscité Christ et l'a
fait sortir de son tombeau, ne sera-t-Il pas
puissant pour nous changer ? Tâchez de
concevoir cette puissance de Jéhovah qui a
renversé l'ordre de la nature au point de
détruire la mort ! Cette puissance est
là, à votre porte, prête
à vous faire entrer dans une vie nouvelle et
glorieuse, si vous le voulez.
Cet enfantement à la justice et
à la pureté sera graduel et parfois
douloureux, mais l'Esprit qui travaille en vous est
si persévérant, si entreprenant et si
victorieux, qu'aucun péché, aucune
mauvaise habitude, aucune maladie, aucun souvenir
même du péché ne peut subsister
avec lui. Tout cède devant ce travail
silencieux et puissant.
Prisonniers désespérés,
prenez courage, réfugiez-vous dans la
forteresse. Allez vers Christ, le
Sauveur de nos âmes, qui
est aussi le Sauveur des corps. Touchez seulement
le bas de son vêtement et vous serez
guéris.
Ne perdez pas votre temps à
répandre des malédictions sur
vous-mêmes, il est dangereux de trop
considérer nos péchés,
même pour nous en repentir. Ne regardez pas
tristement le passé, il ne vous appartient
plus ; saisissez le présent, il est
à vous ; envisagez l'avenir avec
espoir.
Le plus sûr moyen d'arriver à
la vraie contrition, c'est de considérer
l'amour contre lequel nous avons
péché et de comprendre que nos
péchés sont une trahison envers cet
amour.
Nous sommes trop disposés à
demander du temps pour pleurer sur notre mort
plutôt que d'aller tout de suite à
Dieu afin de recevoir la vie. Que de fois j'ai
entendu ces mots : « Oui, je crois
que Dieu pourra me changer, mais il faudra
longtemps pour cela ! »
Mais pourquoi attendriez-vous longtemps pour
faire le premier pas ? Or, le premier pas
à faire, c'est de vous jeter dans les bras
de Dieu et de lui remettre votre cause. Cela fait,
vous aurez tout gagné.
Que ces jours où nous traînons
un deuil inutile sur nos espérances mortes
et sur nos forces
dissipées prennent fin, et
que la vraie tristesse et le véritable amour
nous accompagnent maintenant tous les jours de
notre vie.
Écoutez Christ :
« Laissez les morts ensevelir leurs
morts ! » « Viens et
suis-moi ! »
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