Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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CLAUDE BROUSSON 

Défenseur des Eglises opprimées


CHAPITRE VIII

DERNIER VOYAGE MISSIONNAIRE

Meyrueis en Cévennes

 

Brousson avait l'intention, en pénétrant en France, de visiter le Poitou. Le séjour qu'il fait à Lyon modifie ses projets et c'est ailleurs qu'il se rendra.

Ce séjour commence bien. Il trouve un abri relativement sur au sein de la colonie suisse de Lyon, autour de laquelle se groupent les protestants de la ville. Malgré la prudence qu'il faut observer, les assemblées peuvent se réunir dans cette grande cite plus facilement peut-être qu'en d'autres lieux et Brousson y donne plusieurs prédications.

C'est à Lyon que le pasteur entend parler avec enthousiasme, par quelques personnes de son entourage et surtout par un notable d'Annonay, le sieur François de Mure, de l'explosion de foi exaltée qui s'est produite des 1688 dans le Dauphiné et le Vivarais au sein du peuple huguenot.

Ce peuple, prive de pasteurs, abandonné a lui-même, a vu se lever des prophètes inspirés qui tombent en extase et prêchent avec une ardeur, une force, une éloquence que leur entourage doit bien considérer comme surnaturelle, étant donnes la simplicité et le manque d'instruction de ces inspirés, presque tous des jeunes gens, souvent même des adolescents, pauvres bergers, laboureurs ou cardeurs de laine.

Beaucoup ont déjà payé de leur vie leur apostolat, pourtant la flamme prophétique continue à animer la foi et la piété des huguenots de ces régions.

Tout de suite, Brousson est vivement intéressé par les récits de ses interlocuteurs. Déjà, en Hollande, trois ans plus tôt, il avait été mis au courant, par des « relations circonstanciées », de ces événements et il avait eu l'occasion de défendre les inspirés contre leurs détracteurs. Mais, cette fois, il voit, il entend des témoins, des inspirés même, lui parler « a fond » de tous les prodiges arrivés. Avidement il les interroge: quels étaient donc ces prodiges ? On lui parle de prédictions réalisées, de voix célestes, on évoque devant lui les circonstances, l'atmosphère des réunions prophétiques: jeunes gens, jeunes filles, enfants mêmes, qui tombaient dans un profond assoupissement et qui, dans cet état extatique, prophétisaient, prêchaient, citaient avec un a propos remarquable l'Ecriture, exhortaient leurs auditeurs à la repentance, à la fidélité, à l'espérance.

Brousson écoute, interroge encore. s'émerveille. Il demande des noms. On lui parle de nombreux inspirés, on lui cite les deux plus célèbres: une jeune fille, Isabeau Vincent, un jeune homme, Gabriel Astier, l'une encore en vie sans doute, l'autre déjà mort.

A mesure qu'il entend le récit des « merveilles » du Vivarais et du Dauphiné, Brousson sent grandir en lui le désir d'aller prendre contact avec le, prophétisme, sur les lieux même où il fleurit encore. Renoncera-t-il donc à son premier projet qui était de visiter le Poitou ?

François de Mure met un terme a ses hésitations en lui représentant que la population huguenote de ces régions n'a eu, jusque-là, que des prédicants locaux qui ne se sont pas encore «étudiés» à donner la communion. Aussi la visite d'un pasteur régulier comblerait-elle de joie tous ces pauvres gens.

Ce dernier argument décide Brousson. Abandonnant son plan primitif, il se met en route pour le berceau du prophétisme.

Lorsque, le 4 novembre 1697, Brousson met le pied sur la terre du Vivarais, il n'ignore pas qu'il affronte les plus grands dangers. Il y retrouve son vieil ennemi, Bâville, dont la juridiction s'étend jusque sur cette province où sa tête est mise à prix et son signalement affiché partout. Il sait que Bâville doit avoir en sa possession la lettre séditieuse que, pousse par Vivent, il a jadis écrite à Schomberg, lettre qu'on a saisie sur le "guide qui l'emportait en Suisse et dont le souvenir pèse comme un remords sur le coeur du pasteur.

Le hors-la-loi frémit à la seule pensée de tomber entre les mains de l'implacable intendant. Pourtant, il va de l'avant, tout « à son devoir présent et a son oeuvre future », ayant fait d'avance le sacrifice de sa vie.

A Annonay où il se rend tout d'abord, il est reçu chez une noble veuve, « femme de considération, riche, fort pieuse, en vénération dans le pays », Judith de Lespinas de Suzeux. Et, tout de suite, l'émerveillement et le ravissement du pasteur commencent, car Mm" de Lespinas a vu et reçu de nombreux prophètes dont elle parle à Brousson avec enthousiasme. Il célèbre la Cène chez elle et c'est elle encore qui le met en rapport avec un prophète prédicant, Matthieu Duny, dit Laroche, qui lui servira d'accompagnateur.

Guide par « frère Laroche », Brousson parcourt la région vivaroise comprise entre Lamastre et Vernoux. La neige l'empêche de pousser jusqu'en Velay et le bloque quelques jours dans une maison amie où se trouvent rassemblés plusieurs inspirés. Puis, le temps s'étant radouci, il va de village en village, distribue de nombreuses copies de ses écrits, tient des assemblées de communion, durant lesquelles parfois des prédicants tombent en extase et prophétisent.

Au cours des entretiens qu'il a avec ses hôtes et avec les prédicants accourus, Brousson, lui si loquace, ne se lasse pas d'écouter les récits de ses interlocuteurs qui évoquent le passe récent: les événements de 1683, à la suite du fameux Projet élaboré ch, lui à Toulouse: assemblées enthousiastes tenues en « lieux interdits », combat de l'Herbasse, martyre du pasteur Homel a Tournon, pasteurs pourchasses, temples abattus; puis, à la Révocation, les abjurations massives, suivies chez beaucoup d'un vif repentir qui leur faisait regretter amèrement leur «révolte»; ensuite le réveil: petites assemblées nocturnes tenues par d'humbles prédicants, immenses assemblées prophétiques qui, quelques semaines durant, avaient groupé sur les collines qui dominent l'Erieux la plupart des nouveaux convertis vivarois; la dure répression qui s'ensuivit: massacre du Serre de la Palle, emprisonnements et aussi foi et courage des martyrs et des confesseurs; enfin les faits merveilleux: enfants prophétisant, auditeurs de l'assemblée du Serre de la Palle apercevant dans le ciel le ministre Homel vêtu de blanc, chant des psaumes par des voix céleste.

Avec une grande faculté d'enthousiasme allant jusqu'à la naïveté, Brousson écoute ces récits et les note soigneusement en vue d'une publication ultérieure. Là-bas, en Hollande, en pays de liberté, il a souffert des intrigues, des coteries qui divisaient les réfugiés et il a été profondément déçu de constater que, à Ryswick, les plénipotentiaires des puissances protestantes refusaient d'intervenir efficacement en faveur des protestants français auprès de Louis XIV. Et voici que, en ce coin de terre vivarois. il à la vision renouvelée de la puissance miraculeuse de Dieu. Qu'importent les extravagances du prophétisme ! Certes, il a dû, avec un vif regret, se séparer de sa femme et de son fils. Mais il peut écrire à celle-là qu'il est « témoin de grandes merveilles qui seront le sujet de l'étonnement et de l'admiration de toute la terre » et qu'il ne voudrait pas « pour des millions que le Seigneur lui eut refusé la grâce nécessaire pour venir encore travailler à son oeuvre ».

C'est le lieu d'essayer d'évoquer la forte personnalité religieuse de Claude Brousson. Elevé au sein des Eglises calvinistes, il en professe avec une ferme conviction les doctrines essentielles. Son rigorisme moral, sa forte culture biblique le préservent de tout ce qui pourrait être pure émotion religieuse, imagination dangereuse. Mais sa formation laïque, son tempérament religieux ne l'éloignent pas moins de la froide orthodoxie, du formalisme pharisaïque qui régnaient plus ou moins dans les Eglises du XVIIe siècle - davantage peut-être dans les milieux luthériens que dans les milieux réformés. A-t-il été touché par le courant spirituel dont le piétisme est l'expression la plus marquée et qui allait redonner vie et vigueur à bien des Eglises évangéliques ? A-t-il prêté un intérêt quelconque à la polémique qui, dans l'Eglise catholique, opposait Fénelon à Bossuet ? C'est peu probable. Mais les hommes, quelle que soit leur personnalité propre, subissent l'influence des courants de pensée et de vie spirituelle de leur époque. En tous cas, Brousson a certainement lu l'ouvrage, expression d'une piété intime et mystique, La voix de Dieu de l'Anglais Baxter, ouvrage qui eut plusieurs éditions françaises et dont un exemplaire allait providentiellement tomber entre les mains d'Antoine Court adolescent. Un mot qui revient souvent sous sa plume, bien qu'il ne lui donne pas son sens habituel, est révélateur de sa pensée: c'est le mot mystique. Pour lui, la religion chrétienne est bien à la fois doctrine et vie. Des lors, le Saint-Esprit n'est pas seulement la troisième personne de la Trinité, c'est une puissance actuelle, c'est Dieu en nous.

Donc Brousson, on ne saurait trop le souligner, croit réellement à l'action présente du Saint-Esprit dans les coeurs et dans l'Eglise. Lui qui, autrefois, a apostrophé les pasteurs réfugiés en leur rappelant la parole du Christ: S'ils se taisent (les pasteurs), les pierres (les prédicants) crieront, voit maintenant dans le mouvement prophétique la réalisation de cette autre parole: Vos fils et vos filles prophétiseront.

Ce qui le réjouit, ce qui l'émerveille, c'est la paix, la joie, la piété, le courage héroïque aussi de ces humbles Vivarois. Qu'il ait prêté une oreille trop complaisante ou trop crédule au récit de certains « prodiges », c'est probable. Mais l'homme qui a écrit: « Toutes les pensées qui pourraient venir dans l'esprit..., ou contre l'ordre qui est établi dans l'Eglise pour l'édification publique ou contre les choses qui sont fondées sur la Parole de Dieu, doivent être considérées comme des illusions de l'esprit d'erreur, et non pas comme des inspirations du Saint-Esprit qui, étant l'auteur des Saintes Ecritures. ne peut se contredire lui-même», cet homme donc savait le danger qu'il y aurait à laisser les inspirés donner libre cours à leurs imaginations et a leur individualisme. De plus, Brousson avait compris que si restaurer les âmes c'était bien, il fallait aussi restaurer les Eglises. il portait dans sa poche un projet d'adaptation de la Discipline des Eglises réformées aux circonstances particulières des Eglises du Désert, projet dont il avait tente en Cévennes et en Normandie une réalisation partielle. Son martyre allait l'empêcher de mener cette tache à bien.

Disons aussi que si Brousson attache une importance exagérée aux « prodiges » et aux prédictions des inspirés, c'est qu'il y trouve un motif de justifier et de confirmer les vues de Jurieu sur l'interprétation historique de l'Apocalypse. Mais cette erreur d'appréciation ne doit pas nous faire oublier le fait que Brousson et Jurieu ont rappelé avec force aux croyants et aux Eglises quelle doit être leur attitude normale: l'attente, dans la fidélité et l'obéissance, du retour de leur Maître et Seigneur.

Ainsi Brousson qui, de prime abord, pourrait nous apparaître avant tout comme un homme d'action, se révèle à nous comme un chrétien à la pensée religieuse originale, vivante et féconde. A ce titre, il demeure l'une des personnalités les plus attachantes de l'histoire du protestantisme français.

Rejoignons maintenant notre héros en Dauphine, où il préside, la veille de Noël, une assemblée au cours de laquelle trois femmes prophétisent. Quelques jours plus tard. cet infatigable voyageur par. court la région montagneuse du Diois.

A Mornans, il loge plusieurs fois chez un certain Mazel où, tout au long de la journée, il rencontre de nombreux inspirés dont il note les noms dans ses cahiers.

Le soir, à la veillée, quand les visiteurs se sont retirés, il devise à mi-voix au coin du feu avec ses hôtes. Leurs deux filles, Suzanne et Marie, toutes deux prophétesses, sont là. Les hautes flammes des genêts illuminent leurs visages ardents, leurs grands yeux pleins de visions. La salle n'est éclairée que par la lueur mouvante du feu. Des ombres dansent un capricieux ballet sur les solives du plafond et, dans les coins obscurs, des meubles craquent brusquement comme si un doigt invisible les heurtait dans les ténèbres.

La ville de Crest et sa Tour

 

Pas d'autre bruit que le sifflotement de la sève, s'échappant des bûches trop vertes ou peut-être le monotone ronronnement de quelque rouet... Dehors, autour de la maison, c'est la nuit, c'est l'oppressant silence de la campagne couverte de neige.

Toujours chuchotant, Mazel assure qu'il a entendu plusieurs fois, ainsi que sa femme et ses filles, une voix mystérieuse chanter des psaumes... Mazel se tait... Brousson se remémore tout ce qu'il a vu et entendu dans ce coin de France qui lui apparaît comme l'un des foyers ardents de la résistance huguenote. Là, toute proche, la forêt de Saoû où débuta, par le massacre des attroupés du Camp de l'Eternel l'action répressive des dragons. Vision d'horreur, illuminée par la foi rayonnante de quelques martyrs, tels Coutant à Crest et Chamier à Montélimar qui, tous deux, donnèrent lors de leur supplice, de beaux témoignages de leur piété, de leur foi et de leur espérance. Près de la aussi, la maison où une simple bergère, Isabeau Vincent, prononçait dans un sommeil extatique, d'émouvantes exhortations à la repentance, donnant ainsi le branle au mouvement prophétique. Aussi le pasteur pouvait-il appliquer également au Dauphiné ce qu'il écrivait quelques jours plus tôt du Vivarais à un ami de Hollande :

« Au reste, Monsieur, tout gémit, tout soupire après le rétablissement de Jérusalem. Il y a des pays où le peuple de Dieu a souffert des maux extrêmes qui ont abattu le courage d'une grande partie de ce pauvre peuple; mais l'autre partie que Dieu a fortifiée, et qui s'expose tous les jours aux plus grands dangers, est animée d'une piété mer veilleuse. » Rien n'était plus propre À soutenir son courage à cette heure tragique de sa vie où il sent confusément que le danger grandit, que le filet se resserre et que, bientôt, sonnera pour lui l'heure suprême qui mettra fin à son ministère.

Et c'est dans une grange « de la campagne de Poët-Laval », par une assemblée où le pasteur prêche et où le prédicant Martel improvise une exhortation, que se termine le voyage de Brousson au pays du prophétisme.

Avant de poursuivre son périlleux ministère, Brousson connut quelques jours de détente en se rendant à Orange.

Par le traité de Ryswick, Louis XIV avait accordé au roi Guillaume cette petite principauté, berceau de sa maison, et permis qu'y soient rétablies les Eglises réformées. En sorte qu'Orange apparaissait aux yeux des huguenots français, au sein de leur pays écrasé et ensanglanté par la contrainte et la persécution, comme une oasis de paix et de liberté.

Tous les dimanches, traversant le Rhône, précisément où Annibal passa avec ses éléphants, les Languedociens accouraient en foule à ses temples. Bâville s'en aperçut vite et défendit d'aller à Orange, sauf pour raison de commerce et, dans ce cas, il fallait une permission écrite de l'intendant ou du gouverneur militaire. Les gardes, sur la rive droite du fleuve furent multipliées et les soldats, placés à tous les bacs du Rhône, ne laissaient échapper que bien peu de privilégiés, assez, heureux pour déjouer leur surveillance.

La « détente » de Brousson fut donc achetée par un nouveau danger couru. Il parvint, cependant, à pénétrer dans la ville ou il fut heureux d'assister librement au culte, « d'avoir sa part de la consolation publique » et « d'y embrasser » le gouverneur, l'avocat Huygens de Zullichem, qu'il avait connu à La Haye à une époque où ce magistrat se dépensait généreusement pour les protestants réfugiés.

Mais il ne s'attarda pas dans ce havre de grâce où tout était bienfaisant et délicieux pour lui. Sécurité, liberté, joies de l'amitié ne le retinrent pas longtemps et il prit bientôt le chemin du Bas-Languedoc en longeant le Rhône jusqu'à Beaucaire.

Le jour où il traversa la petite ville, serrée au pied de son château démantelé, le jour où il pénétra dans la campagne de son pays natal, retrouvant les blanches routes poussiéreuses, les fuseaux noirs des cyprès, les pinèdes odorantes, les pâles oliviers, les champs, les vignes, le jour où il vit les premières fumées monter au-dessus des toits de villages aux noms familiers et la Tour-Magne de Nîmes surgir à l'horizon... Bâville était déjà informe de sa présence par ses innombrables espions.

Notre voyageur entra dans la province résolu, mais le coeur lourd et l'esprit préoccupé. Il avait, en cours de route, appris de mauvaises nouvelles. Non seulement le traité de Ryswick n'apportait aucun adoucissement au sort des réformés, mais, au contraire, les mesures de rigueur contre eux venaient de reprendre avec une violence inouïe. Une véritable terreur régnait dans le pays et, tandis que de nombreux protestants et la plus grande partie de la noblesse et de la bourgeoisie « lassés, désespérés, donnaient le spectacle de nouvelles conversions générales, le peuple fidèle que tes prédicants avaient dressé à la résistance se cabrait avec plus de colère sous la menace et sous les coups ».

La haute vallée du Coudoulous

 

Jurieu cite, dans sa Relation de tout ce qui s'est fait.... une lettre venue de Nîmes en Suisse, à cette époque, lettre dont le récit naïf met en évidence l'indomptable résolution de ce peuple.

« Le gouverneur de St-Hippolyte, écrit le correspondant de Jurieu, ayant fait assembler les principaux du lieu, après les avoir exhortés, par des raisons de soldat et de goinfre a aller à la messe, ces pauvres gens ne disant mot, ce gouverneur leur dit:

- Parlez-moi et dites-moi quelque raison !

Un de la troupe lui dit:

- Hé bien, Monsieur, puisque vous voulez que nous parlions, je vous dis de la part de tous ceux qui sont ici présents, que nous n'irons jamais à votre messe, ni nous ni nos enfants. Faites de nous ce que vous voudrez, c'est une résolution prise.

Le gouverneur repartit:

- Vous êtes de misérables gens. Allez à la messe, portez-y vos psaumes, lisez-les tant que vous en soyez las, faites, en votre particulier, tous vos actes de dévotion. Par ce moyen, vous vous moquerez du roi, de ses déclarations, de M. l'intendant, de moi, et de M. le curé que voilà, que vous envoyerez, si vous le voulez, à tous les diables !

- Tout beau! monsieur, dit le curé: j'aime mieux qu'ils y aillent que moi ! »

La fin de la lettre dit que « ces pauvres gens » ont été cruellement punis.

Partout, les troupes et les milices harcèlent les huguenots, occupent et pillent les maisons, maltraitent les habitants, poursuivent les « coupables » qui persistent à fréquenter les assemblées, arrêtent les prédicants qu'ils envoyent au supplice et à la mort.

Du palais de l'intendance, A Montpellier, Bâville préside a cette répression, stimule ses soldats, entretient des nuées d'espions. A ce moment-là, comme pendant tout son « règne » en Languedoc, sa sévérité est implacable, son incompréhension stupéfiante: cet homme intelligent, ce magistrat éclairé, n'a jamais pu considérer la cause protestante autrement que du point de vue politique.

Là où on lui parle « conscience », il répond « loi »; là où on lui parle foi, obéissance a Dieu, il répond « soumission au roi ».

Non seulement il n'éprouve aucune pitié pour les malheureux Français qu'il accable, mais il est plein d'un ironique mépris pour « cette plaisante nation », pour ces « fols » qui s'exposent à de dures représailles en allant écouter des prêches au Désert « sans nécessité ».

Sans nécessité! Voilà un mot qui résume tout le matérialisme et toute la légèreté de l'intendant... Un mot que les protestants français ont beaucoup de veine à pardonner à Nicolas de Lamoignon de Bâville.

Au sein de la désolation qui règne dans la province, on voit arriver un jour à Nîmes un gentilhomme voyageant à cheval, vêtu avec élégance d'un habit grise d'un manteau écarlate. Il dit se nommer M. de Beausobre... mais si quelque huguenot a l'occasion de l'aborder, s'il voit de près ce visage brun, à la fois ardent et doux, s'il entend cette voix dont le timbre évoque aussitôt pour lui les nuits au Désert et la Parole de Dieu s'élevant au-dessus des foules silencieuses, il pâlit, il perd soudain contenance et il balbutie à voix basse, tout ensemble épouvante et ravi :

- « Grand Dieu ! Monsieur le ministre... vous voila donc revenu parmi nous? »

La persécution sévit à ce moment-là avec une telle violence que Brousson ne semble pas avoir pu tenir d'assemblées dans la région de Nîmes. Les lettres qu'il envoie en Suisse et en Hollande nous le montrent atterre de l'état où il voit les huguenots français.

Quelles démarches pourrait-il faire ? A qui pourrait-il s'adresser afin d'obtenir aide et protection pour malheureux coreligionnaires ?

A qui ? Mais au roi !

Oui... si paradoxal, si insensé que cela puisse nous paraître, Brousson, dont toutes les précédentes requêtes sont restées sans effet, Brousson, qui écrit cependant : « On publie que toutes ces persécutions se font à l'insu du roi, mais c'est se moquer de nous. Des choses de cette conséquence ne se font pas à l'insu du roi et surtout lorsque les intendants le savent et donnent des ordres... », Brousson, qui ne se faisait aucune illusion quant au succès du Comité des Dix, lorsqu'il prétendait ne s'adresser qu'à Louis XIV pour obtenir. la liberté de culte à la paix de Ryswick, ce même Brousson ne voit pas d'autre recours que le roi pour mettre un terme à la grande pitié des protestants de France.

Poursuivi par. l'intendant du roi, traque par la police royale, terre dans une maison de Nîmes, témoin de souffrances pires qu'aux plus mauvais jours, Brousson se tourne une fois de plus avec une candeur, une confiance, une obstination étonnantes, vers le souverain qu'il aura respecté et chéri jusqu'à son dernier souffle, alors même qu'il désobéissait à ses ordres.

Au fond de sa retraite, il rédige une série de cinq requêtes où dans un style ferme et noble, il se propose de laver les réformés du reproche d'hérésie, lance un émouvant appel à la justice du roi et tient, sur l'inutilité des persécutions « le langage même de l'histoire et de la postérité».

Les cinq requêtes, écrites « en ayant la mort devant les yeux », furent mises à la poste de Nîmes (ce qui était de la dernière imprudence) en cinq paquets adressés à divers personnages de la Cour, et qui partirent successivement du 15 mars au 23 avril.

En même temps, Brousson envoyait les requêtes en Hollande et demandait qu'elles soient imprimées, nuis répandues à la Cour, dans le royaume et ailleurs». Par là, pensait-il, ces requêtes parviendraient plus facilement à la connaissance du roi. « Elles constitueraient du même coup, remarque Charles Bost, un appel renouvelé a l'opinion publique du royaume, et à celle aussi de l'Europe. »

Puisque l'exercice de son ministère se révélait pour le moment pratiquement impossible dans la région de Nîmes, Brousson n'était pas homme a s'y attarder. Il en partit juste à temps pour échapper à une arrestation. « J'avais été découvert dans la ville, dit-il, mais Dieu me fit la grâce d'en sortir deux heures auparavant qu'on eût investi le lieu où je m'étais retiré. »

Il monta vers les Cévennes et, dans une assemblée réunie le 17 mars aux environs de St-Hippolyte, il prononça un sermon intitulé « Confiance en l'Eternel ». Puis, il partit pour la région du Vigan ou il avait rendez-vous avec le jeune prédicant Daniel Bas, ancien joaillier originaire de Genève, « qu'il souhaitait d'embrasser ».

Près du Vigan, il manqua, une fois encore, d'être pris. Vendu par un faux-frère, il put se sauver, par miracle et vit lui-même, de loin, cent vingt dragons investir le village ou l'on croyait le trouver.

A La Baume, dans la vallée de Coudoulous, il trouva Daniel Bas, arrive le premier au rendez-vous, chez le sieur Grimal, huguenot fidèle et dévoué, qui recevait les prédicants chez lui « avec bien du plaisir » et qui montra beaucoup de courage et de sang-froid lorsqu'un danger terrible menaça ses hôtes.

C'était le soir du 28 mars, mais on se croyait encore en plein hiver et la neige couvrait la montagne. Le feu brûlait haut et clair sous le vaste manteau de la cheminée, le repas venait de finir et le maître de la maison, entoure de sa famille, causait tranquillement avec ses invites et leurs accompagnateurs.

Soudain, des coups précipités résonnent à la porte, un messager entre et, tout essoufflé, l'air épouvanté. il avertit Grimal qu'un traître d'Aulas a dénoncé la présence de Brousson dans la vallée. « Toutes les troupes d'Aulas et du Vigan sont sur pied, dit-il, il faut fuir promptement. »

Déjà, les hors-la-loi sont debout. Allons ! ils ne connaîtront pas, ce soir, la douceur des bons lits campagnards aux draps fleurant la lavande, qu'on avait préparés pour eux. En pleine nuit, Grimal fait accompagner les neuf hommes dans une grotte où ils resteront deux jours jusqu'au matin de Pâques.

Le pont de Grimal, au dessus de l'Aulas

 

Ce dimanche-là, Grimal voit surgir de toutes parts autour de sa maison les uniformes bleus gris et rouges des soldats qui envahissent son logis, où le commandant installe trente hommes, tandis qu'il lance les autres à la recherche des fugitifs, le long du Coudoulous.

Grimal tremble: « l'antre de roches » où se sont réfugiés Brousson et ses amis se trouve justement au bord de la rivière. Il n'a que le temps de les faire avertir d'avoir à fuir plus loin.

Mais, lorsque « ces Messieurs sortirent de la roche, ils virent les troupes au bas du coteau, se poster a tous les passages par où les pauvres persécutés pouvaient passer, tellement que tout moyen leur fut ôté de pouvoir sortir de ce vallon ».

Ils se cachent alors derrière des rochers et ils ont la chance de n'être pas aperçus par les soldats mais ils demeurent toute la journée sans manger ni boire.

La nuit venue, ils se réfugient dans une autre caverne, pour tenter de s'abriter quelque peu du froid.

Que fait Grimal ? Pourquoi ne vient-il pas à leur secours?

Le pauvre Grimal, surveille de près, est fort en peine. Il ne peut ni leur envoyer des provisions ni avertir personne, sa maison étant isolée.

Pourtant, le lundi, à midi, lorsque « tout glacés de froid et de faim », ils se risquent à sortir de la grotte, ils sont fort heureux de rencontrer un messager qui les cherche et qui leur apporte un pain de la part de Grimal... c'est tout ce qu'il a pu leur faire parvenir sans éveiller les soupçons des soldats. Brousson et ses compagnons n'osent pas manger plus de la moitié de la lourde miche ronde et, incertains de ce que leur apportera le lendemain, ils gardent le reste prudemment.

Mais l'astucieux Grimal se débrouille si bien que, dès le mardi matin, il leur fait tenir un autre pain, un gigot de mouton et un petit baril de vin, ce qui leur permet de subsister jusqu'au jeudi.

Ce jour-là, à bout de patience, l'un des accompagnateurs se risque dans le bois, où il trouve un sabotier du nom d'Ayral « fort honnête homme ». Il lui demande de la part de Brousson s'il est possible de passer dans la vallée de Valleraugues, en évitant les soldats.

Non... Ayral ne croit pas la chose faisable. Il a vu se poster les dragons. tous les passages sont gardes.

- Et par le sommet de la montagne ? demande l'envoyé de Brousson.

Le sabotier hausse les épaules et, sans répondre, il mène le fugitif à l'orée du bois et lui montre le Serre de la Luzette couvert d'une neige épaisse, infranchissable et encadré de deux corps de garde.

Mais l'homme ne se décourage pas. Il note exactement l'endroit où se trouvent les postes, prie Ayral d'aller lui chercher, au village voisin de l'Espérou, du pain, du fromage et deux bouteilles de vin, puis il va rejoindre ses compagnons.

A la nuit tombante, il les conduit tous jusqu'au point dangereux. La, tapis derrière les rochers, ils attendent que l'obscurité soit complète. Alors, le compagnon qui sait l'endroit précis où se trouvent les soldats s'engage, suivi de huit ombres silencieuses et presque sous l'oeil des sentinelles, dans le passage qu'il s'est proposé. La neige étouffe le bruit des pas, les soldats n'entendent rien et n'aperçoivent point les fugitifs qui avancent avec mille précautions... en sorte que, quelques heures plus tard, Brousson et ses amis se retrouvent sains et saufs, de l'autre côte de la montagne.

Les accompagnateurs connaissent bien cette nouvelle région et trouvent pour tout le monde des gîtes où, après sept nuits passées dans les cavernes, « ils sont bien aisé de se reposer dans des lits! »

Hélas ! à peine étendus, un ami vient les prévenir qu'un détachement de deux cents hommes se dirige vers le quartier. Il faut repartir!

Emportant quelques provisions, Brousson et ses compagnons vont se réfugier dans une bergerie écartée où ils doivent demeurer trois jours encore.

Enfin, le soir du troisième jour, ils s'entendent héler par une voix joyeuse. C'est Ayral qui vient les avertir que les soldats sont partis et qu'il n'y a plus rien à. craindre.

Peu après, la petite troupe se trouve réunie autour d'un repas réconfortant, dans le village de l'Espérou, après dix jours de peines et d'émotions.

Brousson quitte bientôt cette région, franchit l'Aigoual et vient du côté de Meyrueis. Il est triste, découragé et son abattement frappe son entourage. Un guide qui le rencontre à cette époque dit de lui: « Monsieur Brousson est fort mélancolique. Il parle fort lentement, il faut même le presser pour le faire parler. »

Où est donc le Brousson « toujours en mouvement et dont la faconde ne tarissait pas », le Brousson infatigable, plein d'ardeur et d'enthousiasme?

La vue du misérable état dans lequel se trouvent ses frères huguenots s'ajoutant à la déception causée par le traité de Ryswick plonge cet homme sensible dans de cruelles angoisses. « Plus j'avance dans ce royaume, écrit-il, plus j'y trouve de la misère et de la désolation. Le peuple y est abattu et comme consterné. »

Pourtant, sa confiance en Dieu reste inébranlable. C'est à cette époque même qu'il prononce un sermon sur ce texte de Job: « Quand il me tuerait, j'espérerais toujours en lui ».

Peu de jours après, il se voit contraint de quitter les Cévennes où la tenue des assemblées devient presque impossible à cause de l'étroite surveillance des milices et où il vient encore d'échapper à un nouveau danger.

Dénonce une fois de plus, il voit la maison où il se trouve cernée. Son hôte, affole, cherche à le cacher. Mais il n'y a chez lui ni un placard à double fond ni une « cache » derrière la plaque foyère, ni une trappe dans le plancher « dont les ais se soulèvent », comme dans tant d'autres demeures cévenoles.

Que faire ? Soudain une idée lui vient... Les soldats sont-ils déjà entrés dans la cour ? Non, pas encore, Dieu soit loué ! L'homme entraîne Brousson vers le puits, un de ces puits profonds de notre midi, qu'ombrage quelque figuier. Lorsqu'on se penche sur la margelle, on aperçoit tout en bas un miroir rond qui luit vaguement dans l'ombre, tandis qu'une pénétrante fraîcheur vous frappe le visage.

Au-dessus du puits, un arceau soutient une poulie sur laquelle glisse une corde où pend un seau.

- Il y a une niche, pratiquée à fleur d'eau, dans la maçonnerie du conduit. il faut y descendre, Monsieur le ministre, c'est le seul moyen de salut, dit l'hôte au pasteur.

Brousson n'hésite pas. Suspendu à la corde, il se laisse glisser dans les ténèbres, jusqu'à ce que son pied, qui tâte les pierres froides, rencontre un vide et se pose sur le bord de la niche OÙ il se blottit enfin... et il reste seul, devant l'eau profonde qu'il ne voit pas mais dont il sent, tout près de lui, l'humide fraîcheur et sans aucun moyen de remonter à la lumière, car, la-haut, la poulie grince doucement, retirant la corde ou se balance un seau débordant, que l'ami du pasteur dépose innocemment sur la margelle, juste au moment où les premiers soldats font irruption dans la cour.

La maison est fouillée de la cave au grenier et même, écrira plus tard Brousson, « les soldats qui me cherchaient regardèrent vingt fois dans le puits, les uns après les autres. Mais Dieu qui a voulu garder son serviteur n'a pas permis qu'aucun se soit mis en état de fouiller ce lieu-là ».

Après leur départ, il est remonté de sa cachette, tout grelottant, raidi par le froid et l'immobilité, mais sauvé.

Quittant les Cévennes devenues inhabitables pour lui, Brousson se dirige alors vers le Rouergue, où la persécution est moins violente.

Là, il est quelque peu réconforté par le zèle que montrent les huguenots de cette province et sa satisfaction augmente encore, quand poursuivant son voyage dans la région de Castres et de Mazamet, où commença sa carrière d'avocat, il y trouve les mêmes manifestations de courage et de ferveur.

Du pays natal de sa femme, il écrit à celle-ci: « je suis tellement édifie de vos quartiers que je ferai mon possible pour y passer et consoler les fidèles ». Castres, Mazamet, Montauban, Toulouse et leurs environs reçoivent, en effet, la visite du pasteur qui réunit des assemblées, donne la sainte Cène, célèbre baptêmes et mariages. Il décide ensuite de se rendre dans le Poitou, mais auparavant, il désire visiter le Béarn... Et il part, rasséréné et plein d'espérance, pour ce pays où doit s'achever brutalement son apostolat.

 

L'intendant Lamoignon de Bâville

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