Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



CLAUDE BROUSSON 

Défenseur des Eglises opprimées


CHAPITRE VI

PASTEUR DU DESERT. EN CEVENNES

L'Aigual, sommité des Cévennes

 

Pendant de longs jours, sous le torride ciel d'été, un homme chemine obstinément vers le but qu'il s'est fixe. Un homme qui se cache, qui ne s'attarde nulle part, qui ne parle à personne, sauf en cas de nécessite absolue.

Tantôt il chemine à pied, dans la poussière brûlante d'interminables 'routes, tantôt il emprunte prudemment quelque voiture publique, ou, passe Lyon, le « coche d'eau » qui descend vers le midi, en suivant la voie majestueuse et millénaire du Rhône.

Il atteint Valence puis Montélimar... mais il ne verra ni les clairs remparts d'Avignon, ni, à Tarascon, le château du roi René mirant ses créneaux dans le fleuve, ni, à Beaucaire, le castel démantelé des comtes de Toulouse, avec sa tour triangulaire fendant comme une proue l'azur du ciel.

Il bifurquera au Pont-St-Esprit, se dirigera vers Uzès, sans entrer dans la ville et continuera son chemin sur Ales et Anduze.

Et voici qu'un jour apparaissent au loin les montagnes cévenoles. Il les reconnaît entre toutes les autres à leur teinte de pale violette, à la ligne pure dont elles festonnent l'horizon et, sans doute, leur vue fait battre son coeur plus vite, car c'est vers elles que depuis des mois, vole sa pensée, c'est vers ce but, enfin tout proche, qu'ont tendu tous ses efforts.

Et devant ce haut lieu de la fidélité huguenote ses lèvres, en cet instant, peuvent murmurer l'antique parole du psalmiste:

Je lève les yeux vers les montagnes.
D'où me viendra le secours?
Le secours vient de l'Eternel...

Il l'implore, ce secours, avant de commencer sa tache périlleuse... Mais il ne se fait pas d'illusions: il sait qu'il marche presque sûrement vers la mort et ce qu'il demande à Dieu, ce n'est point d'éloigner de lui la coupe du suprême sacrifice, mais bien de le soutenir et de l'aider à remplir fidèlement sa mission.

Reprenant son bâton de voyageur, Claude Brousson se remet en route et franchit hardiment les quelques lieues qui le séparent encore des Cévennes.

C'est à Lasalle qu'il se rend, dans une région particulièrement favorable à l'action clandestine.

L'heure était à la répression, en France. Bâville qui croyait, après l'exil de Vivent et de ses collègues, avoir débarrasse les Cévennes des « religionnaires opiniâtres », voyait avec stupeur se lever d'autres prédicants, tandis que, dans le Vivarais, un puissant mouvement spirituel, dit prophétique, avait porte les « Nouveaux Convertis » à tenir d'immenses assemblées religieuses.

L'intendant et le commandant militaire, de Broglie, s'étaient transportés sur les lieux. Une assemblée avait été massacrée, de nombreuses personnes arrêtées furent exécutées ou envoyées aux galères ou la Tour de Constance.

Ces sauvages mesures ayant interrompu pour quelque temps les assemblées trop nombreuses et les huguenots se réunissant par petits groupes, plus facilement secrets, Bâville écrivit triomphalement à la Cour que les mesures violentes ne paraissaient plus nécessaires et que le bruit d'un retour des prédicants était faux. « Mais, dit Charles Bost, sa lettre est datée précisément du jour OÙ Vivent, Brousson et leurs compagnons se remettaient en 'route pour le Languedoc ! »

Brousson fut bientôt rejoint par Vivent, Dubruc et leurs compagnons. Et tous s'empressèrent aussitôt de prendre contact avec les prédicants en activité dans le pays. On imagine sans peine cette solennelle, cette émouvante rencontre. D'une part les voyageurs arrivant de Suisse, directement mis en présence de ces fameux prédicants dont ils ont tant entendu 'parler au Refuge, d'autre part, ces hommes miraculeusement surgis du sein du peuple pour remplacer les pasteurs exilés et qui voient s'offrir à eux une aide inattendue en la personne de ces nouveaux venus, prêts à se jeter dans l'action et à partager avec eux les fatigues et les dangers de leur apostolat.

Certainement, la puissante personnalité de Claude Brousson frappa tout particulièrement les prédicants. Quelle autorité devait avoir parmi eux ce grand bourgeois, cet avocat subtil, ce lettré distingué !

Ils étaient là, dans leurs sauvages montagnes, simples fils du peuple, ignorants, frustes, dépouillés de tous les prestiges du monde... Ils étaient là...

David Couderc, le cardeur, Jean Roman-, le colporteur au brun visage et aux yeux clairs, David Quet, du Pont-de-Montvert, David Gazan, du mas des Soliers, Dumas, le marchand de laine d'Anduze, Artigue, dit Laporte, un jeune homme de vingt ans, sorti du Collet-de-Dèze, Jean Mazel, d'un milieu social plus relevé, mais à qui ses dix-huit ans inexpérimentés avaient valu le surnom de « La Jeunesse » et d'autres encore... Ils étaient là, brûlant de foi, débordant de zèle, prêts au martyre, mais manquant d'initiative, d'esprit de cohésion, de vues d'ensemble... et voilà que, du fond d'un pays paisible où sa vie semblait devoir s'écouler sans heurts jusqu'au grand repos, un homme venait vers eux avec sa foi, aussi ardente que la leur, sa consécration, comme la leur, totale, mais aussi, mais encore, avec son autorité, son expérience, sa culture, sa finesse.

Dans ses belles mains patriciennes, il allait prendre la direction de tous leurs efforts, coordonner leur action, canaliser leurs clans et, du désordre et de la souffrance, faire surgir les bases de l' Eglise sous la Croix, l'Eglise forte, fidèle, paisible dans les tempêtes, obstinée dans l'épreuve.

Ce premier contact avec les prédicants eut lieu au cours d'une assemblée que Brousson et Vivent convoquèrent aux environs de Lasalle.

Vivent prêcha, puis Dubruc, seul pasteur consacré, fit subir aux prédicants présents une sorte d'examen et les éleva à la dignité de proposants... Quelques jours plus tard, le 25 août, un jeûne solennel, suivi d'une grande assemblée, eut lieu dans la même région. Brousson en a fait le récit dans une lettre à un ami de Suisse.

« Nous continuons encore, mon cher Monsieur, à éviter l'éclat autant qu'il nous est possible. En mon particulier, je ne suis encore connu que de peu de personnes qui sont discrètes... Cependant, comme nous célébrâmes hier le jeûne, nous ne pûmes empêcher que notre assemblée ne fût de deux ou trois cents personnes qui jeûnèrent tout le jour avec nous. Il y eut quatre prédications et une grande prière pour la clôture, le tout anime d'un esprit de zèle, de piété et d'intrépidité toute extraordinaire. Quoique l'assemblée ait été sur pied un jour entier, dans un pays environné de troupes, nous ne fûmes pourtant pas troublés, grâces à Dieu. »

Dans cette même lettre, Brousson revient ensuite au projet d'insurrection. « Nous sommes en état, dit-il, d'empêcher qu'on nous opprime facilement... mais nous ne jugeons pas à propos de lever encore le masque, outre qu'il nous manque encore un peu d'argent pour commencer d'agir. Si nous avions un seul homme qui eût commandé un régiment, nous ne serions pas en peine de dissiper toutes les troupes que nous avons ici et de mettre le pays en état de se défendre, »

Ce langage nous oblige à réviser l'image que le protestantisme populaire s'est faite de Brousson, « le débonnaire Brousson », le prédicateur qui ne souffrait point d'armes dans ses assemblées et que la piété huguenote se plaisait à opposer au sombre, ardent et passionné Vivent. Il faut s'incliner devant la vérité : ces deux hommes, profondément différents, se sont rencontres à ce moment-là dans la même certitude qu'ils poursuivaient une légitime défense et serviraient les desseins de Dieu en usant de la guerre civile contre un roi parjure.

Mais Brousson ne pouvait considérer la violence que comme une nécessité temporaire. Il savait que la Parole de Dieu est plus forte que les bandes armées.

Aussi, malgré les belliqueux projets, auxquels il donnait son adhésion, il n'abandonnait pas la diffusion de cette vérité, par de nombreux écrits qu'il tentait de répandre dans tout le royaume et, s'il ne songeait pas encore à prêcher, la vocation de prédicateur de l'Evangile germait déjà et grandissait dans le tréfonds de sa conscience jusqu'au jour où elle devait s'épanouir soudain au soleil de la grâce divine.

Une prise d'armes prématurée des huguenots, aux environs de Florac, échoua, en septembre. De nouvelles arrestations furent opérées, quelques hommes envoyés aux galères, trois autres pendus... Puis, un calme relatif revint en Cévennes où l'automne dorait les châtaigniers dont les fruits mûrs s'échappaient de leurs bogues épineuses et pleuvaient, bruns et luisants, sur l'herbe sèche et la bruyère défleurie.

Les orages fondirent sur la montagne, les échos répercutèrent longuement les grondements du tonnerre, les torrents, démesurément grossis, dévalèrent en écumant des hauteurs et mugirent au fond des vallées... et l'hiver commença, rude, comme il l'est toujours en ce pays, rendant impossibles les assemblées en plein air.

On se réunit alors dans les bergeries abandonnées, dans les « jasses » perdues parmi les « bouscas » et la pierraille, très loin des lieux habités.

Mais, pour les Cévenols, il y avait tout de même des maisons aux murs épais qui les défendaient du froid, des cheminées aux vastes manteaux, sous lesquels brûlaient de grands feux de genêts et rougeoyait l'ardente braise des châtaigniers... Il y avait, dans les marmites, suspendues aux crémaillères, le « bajana », la soupe aux châtaignes, qui mijotait, nourrissante et réconfortante et des fromages de chèvres dans les bahuts et des quartiers de lard sus. pendus aux solives... Il y avait des lits-armoires, bien clos par de bons rideaux d'indienne, des chandelles pour éclairer les veillées, des rouets au doux ronronnement entre les mains des femmes...

Pour Claude Brousson, pour Vivent, ces proscrits dont Bâville avait promis cinq cents livres à qui les ferait arrêter, il n'y avait rien de tout cela... une solitude affreuse... pas un asile sûr... pas un lieu où reposer leur tête. Toujours errants, exposés au froid, nourris de provisions qu'on leur apportait... quand on le pouvait, ils vivaient le plus souvent dans les bergeries où l'on parquait les moutons, en été, sur les hauteurs et qui se trouvaient vides en cette saison.

C'est pourtant au sein de cet extrême dénuement et dans une de ces misérables retraites que Brousson allait vivre une des heures décisives de sa vie. C'est là que lui fut révélée la mission pour laquelle Dieu l'avait conduit en ces montagnes.

C'était au début de l'hiver, mais la neige couvrait déjà « une des plus hautes montagnes des Cévennes », le Bougés, probablement, où l'avocat vivait depuis quelques jours dans une « jasse », en compagnie « de quelques-uns de ses frères prédicants », parmi lesquels se trouvaient Jean Roman et le jeune Mazel: on avait convoqué, ce jour-là, une petite assemblée de fidèles. Malgré le mauvais temps et les sentiers enneigés, ils furent exacts au rendez-vous.

Et voici que, spontanément, ces fidèles s'adressant à Brousson « le prièrent et le conjurèrent unanimement au nom du Seigneur de leur prêcher l'Evangile et de leur administrer la Sainte Cène. Le frère Vivent qui était avec lui dans la bergerie l'exhorta aussi à cela lui-même. »

Alors, Claude Brousson sut pourquoi il se trouvait en ce jour d'hiver sur ce sommet glacé et désolé des Cévennes, où une volonté mystérieuse l'avait poussé à venir... une volonté à laquelle il avait obéi, sans savoir au juste ce qu'elle voulait de lui...

Bouleversé, à l'appel unanime de Vivent et de ses compagnons, il répondit « qu'il voyait bien que Dieu leur mettait cela au coeur et qu'Il l'appelait à se consacrer à son service d'une façon plus particulière qu'il ne l'avait fait jusqu'alors ».

Et quelque temps plus tard, sans doute le jour de Noël 1689, devant les fidèles, A nouveau réunis, Vivent « demanda à Dieu, par une prière ardente... qu'il lui plût d'accorder à Brousson le secours de son Saint-Esprit, afin qu'il pût travailler fidèlement et avec succès a une oeuvre si sainte et si excellente ».

- Eh bien, mes frères, est-ce votre désir que je vous annonce la Parole de Dieu et que je vous administre le sacrement de son alliance ? demanda Brousson en s'adressant à l'assemblée.

D'une seule voix, les fidèles répondirent par l'affirmative.

Ç'en était fait. L'avocat était élevé, par le peuple huguenot lui-même, à la dignité de prédicateur de l'Evangile.

Après une fervente prière de consécration, il prêcha aussitôt sur 1 Corinthiens XI-28-29, son premier sermon qui nous a été conservé et qui se déroule selon l'ordre classique de la prédication réformée du XVIIe siècle.

Désormais pasteur du Désert, Brousson pensa qu'il devait se séparer de Vivent « afin que chacun travaillât de son côté au salut eu peuple ». Laissant son compagnon dans ces montagnes ou ils avaient ensemble« souffert de grandes peines », il quitta les Cévennes pour se rapprocher de son pays natal et commencer son ministère dans le Bas-Languedoc.

Dur et périlleux ministère ! Tache écrasante pour un homme habitue à une existence sédentaire et studieuse, pour un bourgeois qui a connu le confort d'une maison cossue, d'un train de vie large et raffiné, pour un quadragénaire vieillissant (car on vieillissait plus vite qu'aujourd'hui, sous Louis XIV... témoins les « barbons » de Molière qui n'ont pas quarante-cinq ans !) ... pour un être, enfin, d'une constitution délicate que soulignent les divers signalements que nous ayons de lui.

Voici comment Napoléon Peyrat, historien du siècle dernier, décrivait , il y a plus de cent ans, la vie mouvementée de Claude Brousson: « Il allait être presque toujours seul; voyager de nuit sous le vent, la pluie, la neige; passer au milieu des soldats ou parmi des brigands, moins redoutables pour lui; dormir dans les bois, sur la terre nue, sur une couche d'herbe ou de feuilles sèches et, comme disent les complaintes, « sous la couverture du ciel »; habiter des cavernes, des granges abandonnées, des cabanes de pâtres; se glisser furtivement, parfois, dans un village ou une ville et, recueilli dans une maison pieuse, ne pouvoir pas même, pour rasséréner son âme désolée, caresser le soir, près du feu, les petits enfants de son hôte généreux, de peur que leur babil innocent ne trahit leur père et lui-même en révélant son asile au prêtre ou au consul; être découvert dans sa retraite cernée par les soldats; se cacher sur les toits, dans les puits, ou bien jouer d'audace et de ruse en a-bordant hardiment les troupes et les lancer après un ami officieux qui s'expose pour lui donner le temps de s'esquiver; sortir travesti, passer devant les sentinelles en imitant les manies des insensés ou la pantomime des baladins. La fatigue, le froid, le chaud, la faim, l'angoisse, l'abandon, la solitude et enfin l'échafaud, voilà les plus ordinaires aventures d'un pasteur du Désert. »

le village de Lasalle et son vieux pont

 

Au milieu de toutes ces tribulations, environné de tant de dangers, toujours en alerte, souvent dévoré d'angoisse, Brousson, cependant, jugeait inutile de prendre les mêmes précautions que Vivent et de se faire escorter par des hommes armes. A quoi bon! Que pourrait cette poignée d'accompagnateurs contre des ennemis innombrables ?

Aussi marchait-il « comme un agneau », sans armes, sans protection et l'on reste confondu que, traqué de toutes parts et cent fois sur le point d'être pris, cet homme ait pu accomplir son oeuvre pendant plusieurs années de suite, échappant toujours de justesse à ses ennemis.

On admire au surplus que, dans des conditions si précaires, son activité ait pu s'organiser avec autant de soin et son travail s'accomplir avec une aussi parfaite régularité que s'il eût agi au grand jour et en toute tranquillité.

Comme il prêchait de nuit « dans les déserts, souvent trois ou quatre fois par semaine », c'est pendant la matinée qu'il s'accordait quelques heures de sommeil. Mais, dès le début de l'après-midi, il reprenait sa plume, cette plume féconde à laquelle ses nouvelles activités ne le firent jamais renoncer.

Mais ce n'était plus dans la paix studieuse de son cabinet de travail que sa main couvrait rapidement le papier de son écriture ronde et menue: en plein ,air, dans les garrigues ou dans le fragile abri d'une « capitèle » ou dans un réduit cache de quelque maison amie, dans un grenier, dans une cave, au fond d'une grotte, partout, sa table à écrire le suivait... car ce n'était qu' « un petit ais », une planche légère qu'il posait sur ses genoux et que ses amis appelaient « la table du Désert ».

C'est là qu'il composait ses sermons, rédigeait et recopiait des exhortations ou des prières pour l'édification des fidèles. C'est la que furent écrites ses plus fameuses lettres : la lettre à Schomberg, plusieurs lettres à Bâville, dont une seule est parvenue jusqu'à nous, et bien d'autres encore.

Puis, le soir venu, on pouvait voir sortir de quelque village languedocien ou de la ville de Nîmes, un personnage généralement vêtu de gris et portant perruque, comme les gens de qualité, qui se dirigeait, sans hâte apparente, vers les garrigues, les bois de chênes-kermès, les pinèdes écartées. Sur son chemin, de petits groupes de « promeneurs » sortaient de l'ombre pour le saluer et, lorsqu'il atteignait le lieu de rendez-vous clandestin, toute une foule silencieuse était là, qui l'attendait.

Alors, commençait le culte défendu.

Dans les assemblées ordinaires, « Brousson parlait avec véhémence durant trois heures et dans les assemblées de communion durant quatre heures, soit pour les prières, soit pour le chant des psaumes qu'il était obligé souvent de conduire et de soutenir ».

En cette année 1690, Brousson prêcha le 25 décembre à Nîmes, dans les bois de Vaqueirolles... C'était, sans doute, une de ces douces nuits de Noël de notre midi, nuit limpide où les pierres de la garrigue brillaient au clair de lune comme des blocs d'argent, où les hauts cyprès, les taillis de chênes rabougris, les ramures dépouillées des amandiers sauvages frémissaient à peine au faible souffle du vent.

Des touffes sèches de thym, foulées par les pas des fidèles, montait l'âpre parfum du Désert; la lanterne qu'on tenait suspendue au-dessus de la Bible pour que le pasteur put lire, scintillait devant la foule, comme si l'étoile de Noël était descendue du ciel pour éclairer les pages sacrées et la voix de Claude Brousson qui s'élevait dans le silence nocturne redisait l'éternel, l'émouvant récit que nous entendons aujourd'hui dans nos temples... « En ce temps-là, parut un édit de César Auguste... »

C'est dans cette période de son ministère que Brousson envoya les deux lettres célèbres dont nous avons parle plus haut: la lettre a Schomberg qui avait trait au projet insurrectionnel des Cévennes et la lettre a Bâville où le pasteur tentait d'expliquer à l'intendant le point de vue huguenot et de justifier l'attitude de ses coreligionnaires.

Le projet d'insurrection se précisait, en effet. En Cévennes, Vivent se dépensait pour intéresser et gagner a cet effort la petite noblesse montagnarde.

Du Refuge, où l'on se préoccupait du soulèvement huguenot, on fit savoir aux deux prédicateurs qu'une armée, placée sous les ordres de Charles de Schomberg, devait pénétrer en Dauphine par le Piémont.

Brousson et Vivent se rencontrèrent alors sur l'Aigoual et, comme il n'était pas question des Cévennes dans le projet de Schomberg, ils dressèrent un plan d'action dans cette région, et Brousson, vivement pressé par Vivent, écrivit à Schomberg, pour le lui exposer, une lettre qui constituera pour lui, lors de son procès, une charge accablante.

Cette lettre n'arriva pas à destination. Gabriel Pic, un guide sûr, qui devait la remettre à Schomberg, fut pris au moment où il franchissait la frontière et la lettre, découverte sur lui, fût remise a l'intendant qui allait la garder précieusement jusqu'au jour ou sa police enfin triomphante traînerait devant lui le pasteur capture.

Quant à la lettre de Brousson, écrite à Bâville qui résidait à Montpellier, elle atteignit son destinataire, mais il fallait beaucoup de candeur au hors-la-loi pour espérer toucher ou convaincre le féroce intendant et pour prétendre justifier à ses yeux le comportement des huguenots.

Brousson précisait dans cette lettre que les hommes revenus en France pour y prêcher l'Evangile ne l'avaient pas fait, pousses par des puissances étrangères, mais uniquement pour obéir à leur conscience. Il prévenait ensuite Bâville que les persécutions ne parviendraient point la réduire les huguenots et que ceux-ci persévéreraient dans leur religion jusqu'à ce qu'on leur rendit la liberté de conscience.

Enfin, le ministre expliquait et justifiait les mouvements insurrectionnels des religionnaires:

« Il est toujours étrange, dira-t-on, que des sujets prennent les armes contre leur prince, écrivait-il, mais ils ne les prennent que pour la défense de leur propre vie... La patience des plus modérés se change en fureur lorsqu'elle est poussée a bout. Les plus pacifiques se lassent enfin d'être dévorés sans sujet, d'être traités comme des esclaves et d'être égorgés comme des bêtes... Quel parti peut donc prendre ce misérable peuple ? Il a tenté inutilement une infinité de fois la voie des supplications et des remontrances... Faut-il trouver étrange qu'il prenne quelques précautions pour éviter d'être égorgé ? ... »

En terminant, Brousson demandait à l'intendant de transmettre sa lettre à la Cour.

Il est inutile de dire que Bâville se garda bien de le faire et que la lettre ne sortit point de Montpellier.

C'est a cette époque aussi que les relations entre Brousson et Vivent commencèrent à s'espacer.

Aucun fait précis ne semble cependant les avoir séparés, mais leurs points de vue divergeaient toujours davantage, et ils ne se sentaient pas à l'unisson.

Aussi ne les verrons-nous plus célébrer des cultes ensemble ou entrer en même temps dans les mêmes maisons amies.

Toutefois, les arrestations, les supplices, les exécutions se multipliaient. Des prédicants, des amis très chers de Brousson et de Vivent, furent pris et subirent le martyre en héros, louant Dieu « qui leur permettait de mourir pour leur religion ».

Fou de colère et de douleur, Vivent voulut venger leur mort et celle de tant d'autres martyrs. Ce proscrit résolut du fond de la caverne ignorée ou, traque de toutes parts, il s'était retiré, d'effrayer les tyrans par « une justice d'autant plus terrible qu'elle devait être mystérieuse et prompte comme la foudre ».

Bagard, ministre apostat, devenu consul à lasalle, Gauthier, un faux-frère qui dénonçait les prédicants, deux prêtres persécuteurs, deux officiers de milices, tombèrent sous les balles ou le poignard des religionnaires.

Si Vivent n'a pas commis lui-même tous ces meurtres, il les a approuvés et les justifiait en citant les plus farouches passages de l'Ancien Testament. L'Ecriture ne dit-elle point « il faut ôter les méchants du milieu de vous » ?

Brousson, plus doux, « plus délicat », comme disaient les Cévenols, blâmait ces représailles et, s'il acceptait - toujours avec réticence d'ailleurs - que les huguenots prissent les armes dans un soulèvement général pour conquérir la liberté de leur conscience, il ne participa jamais aux actes de vengeance permis par Vivent et ne se fit pas faute de les reprocher vivement au jeune prédicant.

C'est après une violente discussion entre les deux hommes, au cours de laquelle Brousson dit à Vivent « qu'il ne devait porter d'autres armes que la Parole de Dieu », que les rencontres entre le « lion rugissant et la colombe mystique » devinrent de plus en plus rares.

Brousson, pourtant, malgré ces divergences de vues, gardait toute son estime à Vivent, « ce jeune homme qui n'avait point d'études, ayant été seulement maître d'école et dont le zèle et le courage ont fait grand bruit... dont la vie était pure et sainte... et qui prêchait l'Evangile avec une force et une ardeur qui enflammaient les plus tièdes et les plus froids ».

Aussi, la fin tragique de ce héros de la foi fut-elle un coup très dur pour lui.

Vivent, aux abois et ne trouvant plus d'asile nulle part, s'était retiré avec ses fidèles accompagnateurs, d'abord dans la grotte de Paulhan, près d'Anduze, puis en une caverne plus cachée encore, « en un lieu presque inaccessible », dans les environs de Carnoulès.

Une épaisse broussaille dissimulait l'entrée de ce repaire, « surmontée d'un rebord semblable a un parapet de roche »...

C'était en hiver. Il avait fallu creuser dans la neige pour pénétrer sous la voûte souterraine. L'eau y ruisselait entre les pierres et l'on ne pouvait y allumer qu'un maigre feu de charbon, le feu de bois donnant trop de fumée.

Cependant, Valdeyron, dit Languedoc, un des compagnons de Vivent, se fit prendre et fut conduit au Fort d'Alès. Là, mis à la torture, il eut la faiblesse de révéler la retraite du prédicant.

Aussitôt, M. de Chanterenne, commandant la place d'Alès, se mit en campagne, escorte d'un corps de soldats et de miliciens.

Du fond de leur abri, Vivent et les deux accompagnateurs qui se trouvaient avec lui, entendirent le pas des troupes en marche... et tout de suite, le jeune homme sut qu'il était perdu.

Mais il ne se trouvait pas pris au dépourvu: cette heure, il l'attendait; il avait souvent pensé à ce moment suprême. Résolu à vendre chèrement sa vie, il saisit son fusil et se posta à l'entrée de la grotte.

Parut d'abord un sergent vêtu d'un justaucorps bleu. Vivent l'abattit. Deux soldats tombèrent après lui; un quatrième coup de feu blessa un lieutenant.

M. de Chanterenne surgit alors aux abords de la grotte. Vivent le couchait en joue, quand un milicien, monté sur le rocher qui surplombait la caverne, tira sur lui et le tua net.

- Mon Dieu ! Vivent est mort ! s'écrièrent avec désespoir les deux compagnons du jeune prédicant. Et, jetant leurs armes, ils se rendirent sans plus de résistance.

Le reste fut sordide et affreux...

Chanterenne ramena triomphalement le cadavre à Alès. Bâville, tout joyeux, accourut de Montpellier, fit le procès du mort, puis ordonna que son corps fut traîné sur une claie, la face contre terre, dans les rues de la ville, avant d'être livré aux flammes.

« La foule se pressait autour du bûcher pour voir le visage du prophète de Valleraugues qui, frappé dans le combat, en conservait dans la mort l'attitude terrible et semblait, du milieu des flammes qui le dévoraient, menacer encore de son formidable regard ses juges et ses bourreaux.

Ainsi périt Vivent, l'une des plus énergiques figures du Désert. »

 

Brousson fut profondément attriste par cette mort; il pleura en Vivent non pas le religionnaire qui combattait avec une mentalité de partisan, non pas !, « lion rugissant » dont il blâmait les violences, mais l'ardent croyant, celui dont la foi communicative l'avait ramené en France, celui qui lui avait révélé sa vocation de prédicateur de l'Evangile et le compagnon des mauvais jours qui partageait avec lui au Désert « de grandes peines » mais aussi de grands enthousiasmes et de grandes joies.

La mort de Vivent amena un profond changement dans l'esprit de Brousson.

Convaincu, désormais, qu'il fallait renoncer à tous moyens violents et s'en tenir au ministère spirituel, il s'engagea dans une voie nouvelle, entraînant à sa suite non seulement ses amis mais aussi les disciples de Vivent qu'il persuada d'abandonner toute velléité d'insurrection armée.

Or, c'est justement, en cette année 1692, que l'occasion tant attendue par les Cévenols d'une action des Alliés en France pour conquérir la liberté de conscience se présenta: en août, Schomberg envahissait le Dauphiné...

Comme une bête blessée, grondante, prête a bondir, mais domptée, le peuple des Cévennes et du Bas-Languedoc ne bougea pas. Les protestants, partout, donnèrent l'exemple du loyalisme et c'est à l'influence de Brousson, qui ne put jamais se défaire d'un attachement obstine à son roi, qu'il faut attribuer le calme dans lequel demeurèrent les huguenots français.

Nîmes, place de la cathédrale
D'après une gravure ancienne

 

Bâville ne leur en sut d'ailleurs aucun gré. Bien plus, il redoubla de sévérité envers les Nouveaux-Convertis, afin, disait-il, « d'avoir raison du mal qu'ils pouvaient faire et même de celui qu'ils n'avaient pas fait ».

Vivent mort, c'est contre Brousson qu'il va lancer ses espions, après avoir porté à cinq cents louis d'or la somme promise a qui le livrerait.

Le pasteur vécut alors les jours les plus terribles de son ministère... « Une infinité de fois », il se crut perdu et « ayant la mort devant les yeux, il a envisagé le martyre et s'est disposé a le souffrir ». Il a connu la solitude, les intempéries, la faim, la soif et supporté « des fatigues accablantes et mortelles », si bien que, complètement épuisé, « la poitrine ruinée », il dut se résigner, au printemps de 1692, à chercher à Nîmes un précaire asile pour y prendre un peu de repos.

Il n'était pas question de loger chez sa mère, dans la maison natale où il eût été si doux et si bienfaisant de retrouver son âme d'enfant insouciant et heureux. Des amis lui offrirent courageusement une retraite plus sûre dans leur demeure, rue de la Ferrage. Il s'y croyait à l'abri de toute surprise... et ne se doutait pas que Bâville, informé par ses espions du lieu où se trouvait l'insaisissable prédicant, écrivait aussitôt à l'évêque de Nîmes de faire barrer la rue par des soldats du Fort, pendant que d'autres fouilleraient les maisons.

Mgr Fléchier reçut cette lettre en son palais épiscopal dont la façade majestueuse s'élevait entre la place de la cathédrale et un paisible jardin.

L'ayant lue, il la posa sur sa table et soupira peut-être: il n'était pas un féroce persécuteur et se souciait plus de rimer en latin et en français ou d'écrire, en un style extraordinairement fleuri, quelques ouvrages aujourd'hui tombés dans l'oubli, que de pourchasser les huguenots pour les envoyer aux galères ou à la mort.

Une visite survint alors: celle d'un autre évêque dont le nom ne nous est pas connu.

Remettant à plus tard l'exécution des ordres de Bâville, Mgr Fléchier accueillit le prélat avec de grandes démonstrations de politesse en usage à cette époque et, bientôt, engagé dans une conversation animée, il oublia complètement la missive de l'intendant.

Or, au même moment, un homme se dirigeait vers le palais épiscopal. C'était un gentilhomme nouveau. converti, fort connu de Mgr Fléchier. Sans doute, un de ces opportunistes qui prononçaient du bout des lèvres une abjuration toute superficielle, afin d'être laissés en paix, mais qui restaient huguenots de coeur, célébraient en famille le culte défendu et se rendaient même aux assemblées clandestines.

Qu'allait faire à l'évêché notre gentilhomme?

C'est ce que ne nous dit pas la relation du temps qui rapporte le fait.... mais il y allait, grâce a Dieu, ce qui fut le salut de Brousson.

Introduit dans le grand vestibule d'où partait l'escalier de marbre blanc qui conduisait au premier étage, il trouva, au bas des degrés, l'évêque de Nîmes qui accompagnait son visiteur. La conversation des deux prélats n'étant pas terminée, Mgr Fléchier répondit au salut du gentilhomme et le pria aimablement de monter l'attendre en son cabinet de travail où il le rejoindrait bientôt.

Le « mal converti » entra dans la vaste pièce; un jour vert, tamisé par les marronniers et les platanes du jardin, tombait des hautes fenêtres, éclairant la table couverte de papiers.

Parmi ces papiers, une lettre s'étalait, grande ouverte, les cachets rompus... une lettre officielle... importante sans doute, car on distinguait, au bas de la page, l'impérieuse signature de M. l'intendant Lamoignon de Bâville... Que voulait ce tortionnaire ? Quels ordres cruels donnait-il ? Qu'allaient souffrir encore les huguenots de ce pays?

Sur la pointe des pieds, le gentilhomme s'approche de la table... lit rapidement la lettre et frémit... Pauvre Brousson ! C'en est fait de toi !

Le pas de l'évêque retentit dans l'escalier. Le gentilhomme se rejette brusquement en arrière et s'efforce de cacher son trouble.

Il voudrait bondir au dehors pour aller prévenir le pasteur. Mais il lui faut s'asseoir, rongeant son frein, et expliquer le motif de sa visite, qu'il ose à peine écourter.

Enfin libre, il court avertir les amis de Brousson. Ce dernier aura-t-il le temps de fuir, ayant que l'évêque ait fait barrer la rue?

Oui... le coup de téléphone qui, de nos jours, eut suffi a alerter la garnison du Fort, était remplacé à cette époque par une lettre qu'un valet allait remettre à M. le Commandant militaire. Et, pendant que l'envoyé de Fléchier suivait le Cours plante d'arbres et gravissait la raide cote ensoleillée qui menait au Fort, Brousson, averti, prenait le large, échappant une fois de plus à ses ennemis.

Il demeura cependant à Nîmes jusqu'au mois de juillet, sans doute cloîtré en quelque logis secret d'où il ne sortait ni jour ni nuit. Et, sans doute aussi, est-ce pendant ses longues heures de claustration, tandis que sa santé se remettait lentement, que cet homme, incapable de rester inactif, reprit sa plume et commença de rédiger plusieurs ouvrages qui furent publiés plus tard, entr'autres une Epître a tous les reformés de France qui persévèrent dans la révolte, auxquels il reprochait leurs compromissions: assistance à la messe, baptêmes et mariages à l'église, que n'excusait point à ses yeux le fait de célébrer en secret le culte ou de fréquenter les assemblées huguenotes.

En même temps, il recopiait sans relâche ses sermons et les faisait répandre de tous côtes. Fort souvent, ces sermons étaient lus aux assemblées par d'autres prédicants moins cultivés que lui. Ce fait nous est confirmé par les réponses à ses juges d'un bon compagnon du pasteur, le prédicant Paul Colognac, arrêté et exécuté au moment où Brousson, après son séjour à Nîmes, se trouvait dans la région d'Uzès.

- Pourquoi avez-vous fait des assemblées? demanda-t-on au prisonnier.

- Parce que Dieu le commande. Mon corps est au roi, mais ma conscience est à Dieu.

- Connaissez-vous Brousson?

- Je le connais. C'est un honnête homme...

- Brousson ne vous a-t-il pas donné des sermons qu'il prêche ?

- Je prêche ceux de Brousson et les autres.

- Brousson ne dirige-t-il pas tous les autres prédicants ?

- Non. Brousson est un habile homme, mais nous sommes tous égaux...

Pendant son repos forcé à Mines, Brousson rédigea encore ses Remarques sur une traduction du Nouveau Testament, due à un prêtre, Denis Amelote, qui renfermait « des obscurités et des falsifications », mais ce ne fut qu'en août, après avoir repris ses cultes au Désert qu'il écrivit sa Lettre pastorale sur la nécessité des saintes assemblées, destinée A réfuter les objections de certains pasteurs réfugies ou de protestants timorés qui prétendaient que le culte privé était suffisant.

Dès la fin juillet et quoiqu'à peine rétabli, Brousson s'était remis à prêcher dans la région d'Uzès où le peuple accueillit son retour avec une joie et une reconnaissance touchantes, en sorte « qu'il ne pouvait se retirer, après les saintes assemblées qu'il ne vint (le peuple) se jeter sur son cou, le baiser et lui souhaiter mille bénédictions ».

Brousson comptait dans cette région d'innombrables amis, absolument sûrs, de ceux dont il disait « qu'ils périraient plutôt que de le déceler ».

Lorsque le pasteur traqué errait dans la campagne sans pouvoir s'approcher des lieux habités, ces amis, inquiets, tentaient encore de l'aider et, dans l'ignorance de l'endroit exact où il se trouvait, ils apportaient des vivres « qu'on laissait à tout hasard dans les bois et sur les chemins en les couvrant de quelques feuilles, dans l'espérance que la Providence lui faisant rencontrer ces provisions, on l'empêcherait de mourir de faim ».

Il fallait que l'attachement des huguenots à leur pasteur fut grand pour qu'ils n'hésitassent pas à courir le risque de se faire arrêter venant en aide au hors-la-loi, alors que les Puissances venaient de faire afficher partout de nouveaux placards où elles renouvelaient l'offre de cinq mille livres à qui livrerait ce « perturbateur du repos public », offre qui valut aussitôt à Bâville une lettre de Brousson, venue, il ne savait par quel mystérieux chemin, datée, il ne savait d'où, qui faisait appel une fois de plus, avec une candeur obstinée, à la compréhension de l'intendant et lui prodiguait de sévères avertissements.

Comme on peut bien le penser, ces avertissements laissèrent le grand seigneur froid et méprisant et sa police, lancée aux trousses du pasteur, n'en ralentit pas, pour autant, son activité.

Cette activité fut même couronnée d'un certain succès. On ne parvint pas à prendre Brousson... mais, brusquement, à la fin décembre de cette année 1693, on apprit, non sans stupeur, qu'il avait quitte la France.

Ses ennemis s'en réjouirent, croyant son départ définitif. En réalité, Brousson n'avait gagne le Refuge que provisoirement.

Les raisons de ce départ ? Elles sont multiples. D'abord, la situation du pasteur devenait intenable. Des alertes incessantes le chassaient de lieu en lieu.

Le 11 octobre, il avait failli être capture. Il se trouvait avec son accompagnateur dans une bergerie où ils avaient passe la nuit. Au moment ou ils achevaient leur repas, un paysan les surprit. Les soldats prévenus accoururent aussitôt, mais Brousson avait déjà disparu et l'on ne trouva dans la bergerie « qu'une couverte de laine blanche et trois draps », les reste du repas et des livres de piété.

Ces livres que le propriétaire de la bergerie avait mis là, à la disposition des prédicants de passage, provenaient de la bibliothèque du pasteur cévenol Matthieu Malzac. Or ce pasteur, rentre en France après la Révocation, languissait à l'époque dans un cachot de l'île Sainte-Marguerite.

Les crieurs publics de tous les villages et de toutes les villes annoncèrent alors que la somme promise à qui livrerait Brousson était portée à dix mille livres et les mesures de répression furent appliquées avec un redoublement de rigueur.

Amendes, condamnations aux galères ou à la prison. plurent sur les fidèles, à tel point que quelques-uns d'entre eux commencèrent à entrer dans la voie des compromissions et firent célébrer par les prêtres leurs mariages.

La précarité de sa situation, le découragement causé par le relâchement de certains protestants, furent pour beaucoup dans la décision de Brousson de quitter momentanément la France. Il faut y ajouter une question de santé. Après quelques semaines de repos à Nîmes, il s'était cru rétabli, mais de nouvelles fatigues avaient eu raison de sa constitution délicate et « sa poitrine était tellement ruinée qu'il ne pouvait guère travailler de vive voix ».

Il pensait se rendre plus utile en faisant imprimer au Refuge « quelques ouvrages de piété et de religion qu'il croyait devoir donner au public ».

Enfin, des considérations de famille décidèrent aussi du départ de Brousson : « cette famille qu'il avait abandonnée en Suisse depuis si longtemps... y était dans une grande misère et son fils unique, encore jeune, privé de l'éducation dont il avait besoin ».

Claude Brousson était donc parti, en compagnie du prédicant Papus et, par Orange, Valence, Saint-Marcellin, Voiron, Chambéry, il avait atteint le pays de Vaud. Le 17 décembre 1693, il arrivait à Lausanne.

Entrée de la "Baume" de Vivent

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