Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



CLAUDE BROUSSON 

Défenseur des Eglises opprimées


CHAPITRE III

INSPIRATEUR DU MOUVEMENT DE REVEIL ET DE RESISTANCE

Un dragon missionnaire, vieille caricature

 

Quelques semaines plus tard, la maison où Brousson est rentré seul et triste, après la mémorable plaidoirie au Parlement, est pleine de visiteurs. Ils se pressent, non seulement dans le cabinet de travail de l'avocat, mais encore dans les chambres voisines dont on a dû laisser les portes ouvertes.

Les pourparlers en vue d'une union entre les diverses provinces synodales du Midi de la France ont abouti, et les directeurs représentant ces provinces sont venus du bas et du haut Languedoc, des Cévennes, du Dauphiné, de la Guyenne et de la Saintonge, pour tenir leur première assemblée chez Claude Brousson.

Celui-ci les reçoit avec joie et leur offre la plus cordiale hospitalité, aide par sa seconde femme, Marthe Dolier, qu'il a épousée à Castres, après un court veuvage.

Marie de Combelles s'en est allée, en effet, après avoir vécu bien peu de temps a Toulouse, laissant ses deux enfants, Barthélemy et Claude, à la charge d'un père accablé de besogne et souvent en voyage. Les petits garçons ont grandi quelque temps dans un logis morose, abandonné aux servantes. Puis Brousson leur a donne une seconde mère dont. comme nous l'avons dit, nous savons très peu de choses, sinon qu'elle fut bonne pour eux et s'occupa fidèlement, comme de son propre fils, de Barthélemy, qui vécut auprès d'elle en exil pendant les fréquentes absences de son père. Le petit Claude, lui, devait mourir tout jeune, deux ans avant la Révocation.

Donc, l'avocat accueille ce jour-là les représentants de nombreuses Eglises méridionales et il espère que les décisions prises par ces hommes choisis parmi les plus qualifiés de leurs paroisses, contribueront à améliorer le sort de tous les protestants de France.

C'est au cours de cette réunion que fut élaboré le fameux « Projet de Toulouse », et qu'on décida d'envoyer à Louis XIV une requête générale, inspirée et en grande partie rédigée par Brousson. Le Projet, qui contenait dix-huit articles, présentait tout un programme d'action'.

Il était temps d'agir en effet. jusqu'à ce jour, « aux outrages les plus sanglants, à la tyrannie la plus insupportable », les protestants n'avaient répondu que par des plaintes timides. Ils avaient enduré - et cela malgré les promesses formelles de l'Edit de Nantes - la privation de la plupart de leurs droits civils, leur exclusion des Consulats, l'interdiction d'exercer des professions libérales, la suppression de leurs garanties juridiques et de leurs Académies et l'inique arrêt qui permettait l'enlèvement de leurs enfants, dès l'âge de sept ans... On voulait main. tenant leur interdire de s'assembler dans les lieux mêmes où l'Edit de Nantes accordait le libre exercice du culte: c'en était trop... « Une patience de huguenot », disait-on par dérision... Il fallait ouvrir les yeux au roi, montrer que les protestants de France entendaient faire respecter leurs droits, empêcher enfin les ennemis de leur religion de continuer leur oeuvre de destruction.

L'émouvante requête au roi exprime une fois de plus le drame des consciences huguenotes désireuses de servir le roi tout en restant fidèles à leur foi.

« Sire, disait le dé but de cette supplique, vos très humbles sujets de la R. P. R., ne pouvant résister au mouvement de leur conscience, sont contraints de s'assembler pour invoquer le saint nom de Dieu et pour chanter ses louanges, et de s'exposer, par cette action religieuse, à toutes les rigueurs qu'un zèle trop ardent pourrait inspirer à vos officiers.

« Ces assemblées, Sire, ne blessent point la fidélité que les suppliants doivent à Votre Majesté. Ils sont tout disposés à sacrifier leurs biens et leur vie pour son service. La même religion qui les contraint de s'assembler pour célébrer la gloire de Dieu, leur apprend qu'ils ne peuvent jamais être dispensés, sous quelque prétexte que ce soit, de la fidélité qui est due a Votre Majesté par tous ses sujets... » Quant au projet, il stipulait, dans le plus important de ses articles que les fidèles des Eglises où l'exercice public du culte était interdit, se réuniraient malgré cette interdiction, le 27 juin, pour célébrer le service divin. Ils se rassembleraient « modestement, dans les maisons, dans les jardins, dans les bois et les champs, mais non dans les places publiques ou sur les ruines des temples détruits ».

Mais si cette manifestation devait se faire avec calme et sans bruit, il ne fallait pas, pour autant qu'elle passe inaperçue, car il importait que la Cour en fût informée et sût que les protestants « étaient en état de tout souffrir pour continuer à rendre à ce grand Dieu le service solennel qui lui est dû ».

Il s'agissait, en somme, d'une affirmation de droits incontestables, et d'une « protestation pacifique pour la liberté de la conscience et de la prière».

Les Directeurs quittèrent la maison de Brousson, emportant dans leurs provinces respectives le Projet, sur lequel ils fondaient tant d'espérances, et il ne resta plus qu'à en attendre l'exécution, fixée au 27 juin.

Une nouvelle déception s'annonçait. Le Projet, si modéré cependant, que Brousson avait inspiré et sur lequel il aimait à compter, ne réussit pas. Il eût fallu, pour cela qu'il obtint l'adhésion de tous les réformes du Midi, et qu'il fût exécute en masse, dans un même esprit de calme mais ferme protestation, ce qui eût donne a cette grande manifestation la force et le poids suffisant pour impressionner les « Puissances ».

Hélas ! le terrible travers qui, tout au long de son histoire, a fait tant de tort au protestantisme, se manifesta dès la communication du Projet aux diverses Eglises. Le manque de discipline, les divergences d'opinion quant à l'attitude à observer vis-à-vis des ordres royaux, le désordre, l'individualisme outré des paroisses, firent échouer l'action préparée avec tant de soin, à Toulouse, par les Directeurs réunis.

Au jour dit, une partie seulement des réformés célébra le culte défendu'. De grandes Eglises, comme celles de Castres et de Nîmes où la majorité du Consistoire désapprouvait le Projet et prônait la soumission absolue au roi, s'abstinrent. Celle de Montpellier fit de même et sa défection entraîna l'abstention de maintes paroisses de moindre importance, qui attendaient qu'elle donnât l'exemple, Et, pour comble de disgrâce, le marquis de Ruvigny, député général des Eglises Réformées auprès de la Cour, adressa à tous les Consistoires une lettre où il blâmait « la conduite criminelle de ceux qui s'étaient rendus aux assemblées interdites, fournissant, par leur désobéissance, à S. M. un légitime prétexte de les châtier sévèrement ».

Brousson ne fut nullement découragé par l'échec du Projet et il se mit sans hésiter à la tête de la minorité décidée à continuer la résistance. Dans les villes où ce Projet avait été désapprouvé, des « zélateurs » ardents se réunissaient en secret. A Nîmes, par exemple, où Brousson était venu au mois d'août, les ministres du Colloque de cette ville se rassemblèrent chez un marchand, membre du Consistoire et signèrent un acte dans lequel ils affirmèrent le devoir des pasteurs de prêcher partout où l'Edit de Nantes leur en conférait le droit, et cela, malgré les défenses royales et les dangers que cette action pouvait entraîner pour eux. Claude Brousson assistait certainement à cette réunion.

Et cependant, malgré la part active qu'il avait prise aux événements de ces dernières années, l'avocat n'était pas encore connu des autorités dont il devait devenir plus tard le cauchemar, l' « ennemi numéro ! ».

Un simple fait le prouve: le comte du Roure, gouverneur général du Languedoc, esprit conciliant, « homme doux et lettré », avait réussi à obtenir une amnistie pour les rebelles qui s'étaient réunis malgré les défenses royales et dont la plupart languissaient en prison.

Cette amnistie, après s'être fait beaucoup attendre, revêtait bien plutôt la forme d'un jugement que celle d'une mesure de clémence. Tous les ministres qui avaient prêché en des lieux interdits, en étaient exclus, ainsi qu'un certain nombre de personnes dont on donnait la liste. Or, Brousson ne figure pas sur cette liste.

« O vétérans de nos vallées
Vieux châtaigniers aux bras tordus,
Les cris des mères désolées
Vous seuls les avez entendus.
Suspendus au flanc des collines
Vous seuls, savez que d'ossements
Dorment, là-bas, dans les ravines,
jusqu'au grand jour des jugements. »

Ainsi chante la « Cévenole », la populaire complainte des huguenots de France.

De nos jours encore, les tribulations qu'elle évoque ne sont pas oubliées et c'est à cette époque de notre récit que commencent les inimaginables souffrances des Cévennes et du Languedoc protestants.

Au moment même où l'amnistie était accordée, Louvois expédiait dans le Midi, à la tête de ses dragons, le marquis de Saint-Ruth, homme de guerre sans pitié, grand reître brutal et sanguinaire, avec ordre de réduire par la force les huguenots obstinés.

Plusieurs d'entre eux, arrêtés, subirent héroïquement le martyre. Le pasteur Homel, qui avait été l'âme du mouvement en Vivarais, fut, par « un jour de bise grande et froide », roue vif à Tournon, prononçant des paroles remarquables d'humilité et de foi, pieusement recueillies par sa fille.

Après avoir ravage le Dauphiné et le Vivarais, dispersé, massacré, torture les rebelles, pille leurs maisons et détruit leurs temples, les « missionnaires bottes » arrivent dans ces Cévennes dont, pendant plus de cent ans encore, ils vont être la terreur et les hôtes détestés.

Ils y redoublent de brutalité, furieux de trouver devant eux une population insaisissable, un pays pauvre et sauvage.

Oui, le pays lui-même semble les repousser, Peu de routes, de vastes châtaigneraies silencieuses, de maigres champs de sarrasin étagés sur les « traversiers » que soutiennent des murettes de pierres sèches, quelques près, quelques potagers, mais, surtout, des déserts de pierrailles, de genêts, de « bouscas », et, plus haut, de sombres bois de hêtres et de pins que hantent les sangliers. Dans les vallées profondes, mugissent des torrents qui tombent en cascades écumantes en des gouffres d'un vert presque noir.

D'humbles villages, d'austères châteaux perches sur leurs socles de rochers, de rares fermes isolées que décèlent seuls la fumée qui s'élève au-dessus de leurs toits de lauzes grossières, ou les abois lointains de quelque chien.

Dans la garrigue

 

Ah! que la répression des rebelles sera difficile en ce pays! Bien sûr, les dragons pourront envahir les maisons, s'y installer en maîtres, piller et torturer... mais ces Cévenols obstinés n'en seront pas réduits pour autant. Beaucoup d'entre eux, sans doute, dans un moment de faiblesse vite regrettée et sous la menace des mousquets, abjureront, du bout des lèvres, la religion de leurs pères; mais ils continueront, caches dans leurs maisons, d'abord, et, bientôt dans les assemblées clandestines, à la pratiquer en secret.

Le secret! Il est partout en ces maudites montagnes! Il y a des trappes, des placards a double fond, des « caches » derrière les plaques foyères, dans tous les logis... il y a des grottes dans les basses Cévennes et des déserts perdus, où ne mène aucun sentier. du côté de l'Aigoual, du Bougés, de la Lozère... il y a des vallées cachées dont on ne soupçonne même pas l'existence et, sur d'arides « causses » balayes par un vent fou, d'étranges entassements de rochers derrière lesquels on croit toujours que s'embusque une présence hostile, un regard qui vous suit... Il y a, dans les bois de fayards des bruits inquiétants : mystérieux murmures, froissements de branches, fuites de pas sur le craquant tapis de feuilles mortes... La nuit. les troncs tourmentés des châtaigniers prennent des formes impressionnantes et le bruissement des torrents, au fond des vallées, semble accompagner des voix humaines... qui chantent... ou qui gémissent.

Pleurs des martyrs... chant des psaumes dans les assemblées nocturnes, les persécuteurs croient les entendre partout. Le psaume huguenot, surtout, sera pour eux comme une hantise, planant dans le silence des nuits d'été, ou mêlé au hurlement du vent d'hiver et au grondement de l'eau. Le dragon se flattera souvent de l'avoir définitivement étouffé... et voilà qu'il renaîtra de nouveau... autre part... plus loin... on ne sait où...

Alors, il lui faudra se remettre en campagne, battre les taillis, fouiller les bois, se frayer un chemin dans d'inextricables genêts, parmi les pierrailles glissantes, traverser des rivières glacées, suer sur de raides pentes, brûlées de soleil, ou se glisser de nuit, dans de sauvages ravines, au risque de se casser cent fois le cou.

Ah ! vraiment, la vie de dragon n'est point drôle, en Cévennes!

Il est vrai que celle de huguenot l'est encore moins !...

Après avoir pendu quelques rebelles à Saint-Hippolyte-du-Fort, une partie des hommes de Saint-Ruth se dirigea vers le « bas-pays », plus riche et plus riant, et principalement vers les deux villes considérées comme « le centre de l'hérésie » : Uzès et Nîmes.

Uzès, la ravissante petite cite qui inscrit sur le bleu du ciel la masse de son duché, tout doré de soleil et la dentelle de sa « tour fénestrele », Uzès, où Jean Racine, une dizaine d'années plus tôt, lisait Virgile sous les oliviers et « languissait » loin de Paris, Uzès connut donc la brutalité des dragons.

En même temps, trois cents soldats quittaient Anduze, « la porte des Cévennes », pour se rendre à Nîmes où ils avaient ordre d'arrêter les pasteurs Icard et Peyrol et le jeune monsieur de Fonfrède, fils d'un Conseiller au Présidial, ainsi que Claude Brousson, connu maintenant comme y l'un des boute-feu de la rébellion ».

Les cavaliers sont partis avant le jour. Maintenant, une aube pâle commence à luire. Derrière eux, les Cévennes déroulent à l'horizon leur guirlande violette... Ils avancent à travers des garrigues où l'aiguail emperle l'aspic et la férigoule. Secs et sonores, les martellements des chevaux sur la route déserte emplissent le silence de la campagne encore endormie.

Or, à quelque distance en arrière, sur cette même route, un voyageur solitaire, venant d'Anduze, chevauche sans hâte vers Nîmes.

Soudain, il s'arrête, il tend l'oreille: cette rumeur, au loin... semblable a quelque averse de grêle... qu'est-ce donc? On dirait... oui... on dirait d'une troupe de cavaliers en marche...

Inquiet, l'homme presse sa monture. Bientôt, dans le clair-obscur de l'aube, il aperçoit devant lui des soldats qui trottent vers Nîmes. Plus de doute! Ce sont les dragons... On distingue en approchant leur uniforme détesté, leur mousquet en bandoulière, le gland de leur bizarre bonnet qui sautille sur leur épaule...

Le voyageur les rejoint enfin, dissimule son trouble, en passant auprès d'eux, les dépasse et, sitôt hors de leur vue, il enfonce les éperons dans les flancs de son cheval, qui part au grand galop.

Vite ! Vite ! Encore plus vite ! Il faut arriver avant eux. Béni soit le Seigneur de ce que ce marchand nîmois soit ce matin sur cette route, car c'est un huguenot du parti des zélateurs, un ami des malheureux que les dragons vont arrêter.

Il a deviné que ceux-ci se rendent à Nîmes, il soupçonne leurs desseins, il est fort en souci pour ses amis, et, juste avant d'entrer dans la ville, une rencontre confirme ses soupçons. Arrivé à la Croix-de-Fer, il aperçoit quelques hommes à cheval, le manteau sur le nez, qui semblent attendre. A sa vue, ils font un signe et force. lui est bien de s'arrêter.

- N'êtes-vous point, lui demande-t-on, de l'avant-garde des dragons d'Anduze ?

- Non, Messieurs, je suis un commerçant de cette ville, pour vous servir et je rentre chez moi.

Les cavaliers s'excusent et s'écartent. Le marchand donne de l'éperon et continue sa route avec plus de hâte encore, car il a reconnu ses interlocuteurs: ce sont M. de Rochemore, premier président, M. de Saint-Côme et d'autres personnalités de Nîmes. Certainement, ces Messieurs sont venus au devant des dragons pour les introduire dans la ville et en faire immédiatement fermer les portes derrière eux.

En effet, une heure plus tard, le peuple nîmois, en s'éveillant, voit les rues pleines de soldats et constate avec stupeur que personne ne peut plus sortir de la cité.

Mais les quatre hommes poursuivis ont été avertis à temps, cachés et sauvés. Les dragons fouillent les maisons, sans réussir à les trouver.

Défense est faite alors, sous peine de mort, à tous les habitants, de donner asile aux fugitifs.

Brousson s'est réfugié dans une maison amie. Les heures passent lentement sans qu'il puisse songer à sortir. La nuit vient mais il n'est pas question pour lui de dormir. Il veille, guette, tend l'oreille, tressaille quand le guet passe dans la rue au pas cadencé.

S'arrêtera-t-il devant ce logis ? Va-t-on ébranler toute la demeure à coups de heurtoir et entrer ? Non... les pas s'éloignent... ce n'est pas pour cette fois.

Les hôtes de Brousson partagent son anxiété. A mesure que le temps s'écoule, ils deviennent de plus en plus nerveux: le ministre hors-la-loi est une lourde charge pour eux et sa présence leur fait courir un terrible danger.

Le surlendemain soir, de la chambre retirée où il se confine, l'avocat, à travers la mince cloison qui le sépare de la salle où se tiennent ses hôtes, entend prononcer son nom, et les mots qui parviennent à ses oreilles le glacent et l'immobilisent, le coeur battant.

La maîtresse de maison, à bout de patience et folle de terreur, parle de le livrer. Son époux proteste avec indignation: « plutôt s'exposer à tout que de commettre une si méchante action », dit-il. Mais la femme insiste... son mari va faiblir, peut-être...

Brousson ne lui en laisse pas le temps. Il prend son manteau, enfonce son chapeau sur ses yeux, gagne la porte de la rue qu'il entr'ouve avec précaution et se glisse dehors. Malheureusement, il ne peut sortir de la ville dont les portes sont fermées afin que les hommes poursuivis ne puissent prendre le large.

Où aller? Où chercher un refuge? Les maisons amies auxquelles il va frapper ne se ferment point devant lui, mais on le supplie de ne pas rester et il voit les gens si tremblants d'être surpris donnant asile au hors-la-loi que le malheureux repart, erre à l'aventure, courant cent fois le risque d'être pris et passe une seconde nuit affreuse, pendant laquelle il marche sans trêve, de rue en rue, pour échapper à la maréchaussée.

Et, soudain, il s'aperçoit qu'il est suivi, Derrière lui, un pas semble se régler sur le sien. S'il s'arrête, le pas s'arrête aussi... et s'il se hâte, le pas sonne, plus pressé, sur le pavé inégal.

Le fugitif n'ose pas se retourner. Au comble de l'angoisse, il se met à courir, parvient à distancer le suiveur et à tourner un coin de rue, échappant pour quelques instants aux regards que l'inconnu doit attacher sur son ombre fuyante.

Eperdu, il hésite, il ne sait où se diriger. Sait-il seulement où il se trouve ? Oui... bien que l'obscurité soit presque complète, il distingue, masse noire sur le ciel nocturne, le dôme et les quatre clochetons de l'église que les jésuites ont élevée sur les ruines du collège protestant. La Grand'Rue est à côté: Brousson flaire l'odeur nauséabonde qui la caractérise... Brusquement il s'y précipite.

La rue est parcourue dans toute sa longueur par un égout à ciel ouvert, dans lequel s'écoulent les eaux et les immondices de tout le quartier. Au moment même où l'inconnu qui le suit tourne le coin, Brousson entre bravement dans l'égout et, lentement, sans bruit, au milieu d'une boue noire et puante, il le suit en rampant, dans la direction de la porte des Carmes et du quartier des Calquières.

Il avance sans faiblir, malgré l'affreuse sensation d'être englué tout entier dans la vase la plus infecte et la plus souillée et, serrant les lèvres, retenant son souffle, il atteint le fossé des Calquières, où les écoulements des tanneries en rejoignant la fange corrompue au delà de l'égout, en rendent l'odeur plus épouvantable encore.

Mais ce fossé conduit hors de la ville et, vers la fin de la nuit, une forme dégoûtante surgit au delà de l'enceinte et des portes fermées et se hâte vers le plus proche village où, dans quelque maison amie, le fugitif trouvera l'eau pure, les vêtements propres, la nourriture et le sommeil, avant de gagner les Cévennes et d'entreprendre ensuite le grand voyage vers l'exil, vers les libres cantons suisses.

Uzès, la tour Fénesrelle



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