Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XIII.

PLUS PRÉCIEUX QUE L'OR.

-------

 QUELLE robe mets-tu ce soir, Elsa ? Tu sais que c'est l'anniversaire de naissance de papa et celui de son mariage avec petite mère. Il faut faire des frais pour leur montrer que nous nous en souvenons.
- Ce que je puis certifier, c'est que toi, tu es charmante, Rita. Quant à moi, peu importe.

Marguerite accepta le compliment comme s'il se fût simplement adressé à sa toilette ; car, bien qu'elle sût qu'elle était jolie, elle n'était nullement vaine de sa beauté.
- Nous avons, Henri et moi, orné la table de fleurs ; mais il a mis les plus fraîches de côté pour que nous les mettions dans nos cheveux. Il faut mettre cette robe de mousseline et des rubans mauve. Ne mettons pas de noir pour un jour de fête.

Les deux cousines descendirent ensemble dans le salon, où Mme Brindini les avait précédées et leur fit compliment sur leurs jolies toilettes. La cloche du dîner avait sonné, et Bruce n'arrivait pas ; on le découvrit enfin dans la serre, faisant de vains efforts pour introduire un énorme bouton de cactus dans la boutonnière de sa veste.

La soirée fut charmante ; parents et enfants étaient à l'unisson ; chacun payait de sa personne, et si le maître de la maison était toujours soucieux et préoccupé, il réussissait si bien à le dissimuler, qu'il parvenait presque à oublier. Après les jeux, le concert ; tout le monde paya son écot : même Elsa surmonta sa timidité pour chanter quelques vieilles ballades écossaises qui rappelaient mille souvenirs d'enfance au colonel, et le mirent si bien en verve que, pendant plus d'une heure, il amusa tout son auditoire par le récit de ses fredaines de jeunesse.
L'animation était à son comble quand le valet de chambre apporta le courrier du soir.
Marguerite fut la première à s'apercevoir du voile de tristesse qui se répandit sur le visage de son père pendant qu'il lisait une lettre, dont la forme et le volume trahissaient l'origine. C'étaient des papiers d'affaires.
- Qu'y a-t-il de nouveau, père ? demanda-t-elle.

Le colonel tendit la main à sa fille et passa le bras, autour de la taille de sa femme avant de répondre.
- C'est toujours la vieille histoire, dit-il enfin. Cette question d'hypothèque revient sur le tapis, et plus menaçante que jamais. Mon homme d'affaires ne voit pas le moyen de me tirer de là. Peut-être, et cela plus tôt que nous ne le pensons, serons-nous forcés de quitter Roccadoro. Longtemps je vous ai laissé ignorer ce qui nous menace, mais je ne me sens plus le droit de laisser cette catastrophe tomber sur vous sans que vous y soyez préparées.

Mme Brindini se serra contre son mari, sans parler.
- Et c'est l'oeuvre de mon oncle ? interrogea Marguerite. Comment peut-il être si cruel ?
- Je ne le comprends pas plus que toi ; cela ne lui ressemble pas, et pourtant les poursuites sont faites en son nom. Si j'avais un peu de temps devant moi, je crois que je pourrais me libérer ; mais...
- Ne pourrait-on obtenir un délai, père ?
- Moins que jamais maintenant, car je vais lui faire une communication qui mettra le feu aux poudres. Mes enfants, dit le colonel à Elsa et à Bruce qui se glissaient hors du salon, ne vous en allez pas ; vous êtes membres de la famille, et, comme tels, vous devez entendre ce que je vais dire. Je vais écrire au comte Romualdo que mon abjuration, il y a seize ans, n'était et n'est encore qu'une vaine comédie. Je ne partage pas les croyances de l'Eglise dont je suis censé faire partie, et je ne puis mentir plus longtemps à ma conscience et à Dieu. Quelles que puissent en être les conséquences pour les miens et pour moi-même, je dois dire la vérité.

Il se fit un silence que rompit Marguerite en se penchant vers sa belle-mère :
- Lui dirons-nous, vous et moi, petite mère, qu'il agit honnêtement, noblement, et que nous l'aimerons un peu plus après qu'avant ? Nous quitterons notre Roccadoro, sinon sans regrets, du moins sans désespoir, puisque nous serons toujours ensemble. Il nous restera notre tendresse... et un nom sans tache !

Le colonel, très ému, fit un tour ou deux dans le salon.
- La bonté et la miséricorde de Dieu sont sur moi, murmura-t-il. Je redoutais de faire ce pas décisif, à cause de mes bien-aimées, et ce sont elles qui me facilitent le chemin.

Bientôt la conversation reprit, et Rita développa d'une manière si animée ses projets pour l'avenir, que le malaise et la tristesse générale furent vite dissipés. Aussitôt qu'elle serait majeure elle rachèterait Roccadoro, qui leur semblerait cent fois plus beau et plus délicieux qu'avant l'exil.
- Sans compter, ajouta-t-elle gaiement, que nous trouverons peut-être encore le trésor après lequel nous soupirons si ardemment.

Le lendemain de la fête, le travail des jeunes gens n'avait pas été récompensé, car ils n'avaient absolument rien découvert. Rita était silencieuse et préoccupée.
- À quoi penses-tu, Rita ? lui demanda Elsa. Es-tu désappointée de notre insuccès d'aujourd'hui ?
- Jusqu'à un certain point ; mais cela ne m'empêche pas de me sentir calme et heureuse.
- Peut-être, Mademoiselle Marguerite, est-ce parce que vous pouvez dire comme le roi David : Ta loi m'est plus précieuse que mille pièces d'or et d'argent ? Vous éprouvez que les promesses de Dieu peuvent nous aider à porter nos fardeaux.
- Vous avez raison, Nanette ; faisons donc encore quelques fouilles bibliques.
- Rita, tu étais tourmentée l'autre jour par la doctrine du purgatoire. Demandons à ma bonne de nous trouver les passages qui disent que les enfants de Dieu iront droit au ciel.

Si la recherche ne fut pas longue, elle fut fructueuse ; néanmoins Marguerite ne se déridait pas.
- Qu'est-ce qui vous embarrasse encore, Mademoiselle Marguerite ? Il me semble que Paul est bien affirmatif quand il dit : Absent de corps, présent avec le Seigneur. N'avez-vous pas assez de confiance en Celui qui est mort pour vous sauver, pour croire qu'il vous introduira lui-même dans son royaume ?
- Oui, je crois à la vertu du sacrifice du Christ mais je trouve que vous, protestants, vous ouvrez bien facilement le ciel ; car enfin, si nous n'avons pas subi ici-bas la punition due à nos péchés, n'est-il pas naturel que nous souffrions dans le purgatoire ? que nous soyons ainsi purifiés de nos petits péchés, et rendus dignes d'entrer dans le paradis ?
- il n'y a pas de petits péchés ; nous sommes tous coupables, tous perdus pour avoir transgressé la loi de Dieu ; mais Jésus a payé notre rançon, il nous a réconciliés avec son Père ; son sang seul peut nous sauver et nous n'avons pas besoin du purgatoire.
- En supposant qu'il pût exister un endroit comme le purgatoire, dit Bruce solennellement, combien de temps, le diable nous y retiendrait-il ? Un an, croyez-vous ?
- Vous n'y comprenez rien, Bruce. Ce n'est pas le diable, mais Dieu qui nous envoie en purgatoire pour nous épurer. Personne ne sait pour combien d'années on y est prisonnier. Le père Gaspard m'a parlé de centaines d'années, et c'est pour abréger le supplice de ces pauvres âmes que nous faisons dire tant de messes.
- Ne vous inquiétez pas de faire dire des messes, Mademoiselle Marguerite ; soyez assurée que Dieu a lui-même recueilli votre mère dans ses bras. Vous pouvez bien la lui confier, n'est-ce pas ?

Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant