Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE VIII.

LE BOSQUET.

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LES jours et les semaines qui suivirent cette excursion à Rome passèrent rapidement et joyeusement à Roccadoro. Notre trio avait repris avec courage pioches et pelles. Elsa avait la noble ambition de découvrir le bébé de Jokébed, et aussi de seconder Rita dans ses recherches aurifères.
À côté de cela, les jeunes filles trouvaient du temps pour étudier la Bible sous la direction de Mme Mactavish, malgré les défenses et les menaces du père Gaspard. Elsa admirait beaucoup le courage de sa cousine, qui jusqu'alors n'avait jamais osé désobéir à son conducteur spirituel. Ce prêtre, en effet, exerçait une sorte de fascination sur la jeune fille ; lorsqu'elle était en sa présence, sa volonté était paralysée, et elle subissait son influence sans pouvoir s'y soustraire, quelque désir qu'elle en eût.

Le jour où M. Maxwell avait emmené les enfants à Rome, Mme Corvietti avait quitté le château sans dire où elle allait et sans donner son adresse. Marguerite aurait été scandalisée si on lui avait dit que cette absence était un soulagement pour elle ; mais il n'en était pas moins vrai que sa gaieté, son entrain étaient revenus, qu'elle circulait dans la maison en chantant comme un oiseau, et que Henri, en entendant ses joyeux éclats de rire, ne pouvait s'empêcher de dire : « Pauvre enfant ! elle est heureuse maintenant ! Pourvu que cela dure ! »

Ces bonnes dispositions de Marguerite avaient une heureuse influence sur son père. Celui-ci paraissait moins soucieux, prenait place plus souvent au cercle de famille, et s'intéressait même à la fièvre qui s'était emparée de la jeunesse. Il allait souvent assister à leurs travaux et les plaisantait sur le succès possible, quoique peu probable, de leurs fouilles.

Nanette et Mme Brindini étaient moins enchantées de cette toquade, l'une parce qu'on salissait ses vêtements, l'autre parce qu'elle était souvent privée de la douce société d'Elsa. Bruce fut le premier à deviner cette impression de sa tante, et pour lui procurer un peu de distraction, il parvint à installer un hamac sous les arbres à proximité de « leurs travaux, » de manière à ce que la malade pût venir, elle aussi, surveiller et encourager les travailleurs.

Le champ de leurs opérations était dans ce qu'on appelait « le bosquet, » non loin du nouveau jardin potager dont Henri dirigeait l'installation, et sur les confins de la propriété du comte Romualdo. Si nos jeunes amis ne faisaient pas encore les grandes découvertes auxquelles ils aspiraient, il ne se passait pourtant guère de jours sans qu'ils trouvassent quelque poterie, quelque beau morceau de marbre, etc.

Marguerite se rapprochait peu à peu de sa belle-mère, depuis que tante Cécile n'était plus là pour lui répéter sans cesse, que Mme Brindini ne l'aimait pas, qu'elle avait pris sa place dans le coeur de son père, et qu'on n'avait plus besoin d'elle à Roccadoro. Aimante et généreuse comme l'était Rita, elle se sentait émue de pitié en présence d'une pauvre créature toujours malade et toujours timorée.

Un soir que toute la famille était réunie au bosquet, un domestique vint prévenir que Mme Clarence demandait ces dames. Marguerite, prompte comme l'éclair, courut au salon et ramena leur aimable visiteuse. La conversation ne fut pas longue à s'engager, comme c'est toujours le cas quand une mutuelle sympathie attire les coeurs, et chacun regretta, au bout d'une heure, de voir Mme Clarence se lever pour prendre congé.
- Êtes-vous donc si pressée ? demanda Mme Brindini - promettez-nous au moins de revenir prendre le thé avec nous.
- Très volontiers, et j'espère que vous pourrez bientôt supporter la voiture et venir jusqu'à Bagatelle. Je serai très contente si vos enfants veulent bien venir faire connaissance avec les miens.

M. Maxwell arrivait à ce moment :
- Robert, voici Mme Clarence qui a été si bonne pour les enfants l'autre soir.

Le colonel la connaissait déjà un peu, ainsi que son mari, et ne demandait pas mieux que d'entrer en relations directes. Ce fut à regret que Mme Clarence quitta la famille Brindini ; mais c'était l'anniversaire de naissance d'un de ses enfants, et elle avait promis de revenir pour le goûter.
- J'avais une requête à vous adresser, colonel, dit-elle en se levant. Mon mari a l'habitude, tous les dimanches, de faire un service religieux. Permettriez-vous à Bruce et à Elsa d'y assister, ainsi que leur bonne ?
- Madame, répondit M. Maxwell, tous les membres de ma famille, quels qu'ils soient, ont ma pleine autorisation ; j'aurai soin de le leur faire savoir.

Un silence suivit des paroles. Marguerite était indignée de voir son père encourager des pratiques hérétiques, mais elle se tut.
Mme Clarence fut la première à revenir de sa surprise.
- Merci, dit-elle.

Puis, se tournant vers Mme Brindini
- Adieu, Madame ; je suis si touchée de votre aimable accueil, que je crains bien pour vous que mes visites ne deviennent très fréquentes.

On se sépara avec une entière cordialité.
Cette semaine devait être mémorable, car un matin que les jeunes gens étaient à leurs fouilles, Elsa s'arrêta brusquement. Sa pioche avait frappé contre quelque chose de dur. Elle se baissa pour voir ce qui en était et retira de la terre un bras en marbre blanc, d'un modelage exquis. Au-dessus du poignet se trouvait un bracelet admirablement sculpté. Marguerite disait que c'étaient des arabesques fantastiques. Elsa croyait à une inscription mystérieuse. Elle n'osait pas articuler la pensée qui lui était venue.
« Si nous avions retrouvé le bras qui manque à la statue de Jokébed ? » se disait-elle, « et que ces caractères illisibles en fussent la preuve ? »

Henri n'était pas à proximité, lui si versé dans les antiquités ; en sorte que les jeunes filles vinrent frapper à la porte de la bibliothèque, pour montrer leur trouvaille à M. Maxwell. Ce ne fut qu'en entendant des voix qui semblaient discuter, que Rita se souvint que M. Chigi, le notaire, devait venir ce jour-là. Mais il était trop tard pour reculer. La voix du colonel criait :
- Entrez.
- Pardonnez-nous de vous déranger, père ; nous avions oublié que vous n'étiez pas seul, et nous venions vous montrer ce qu'Elsa vient de trouver dans le bosquet.
- Oui, oui, c'est très joli, répondit M. Brindini, distrait, en mettant de côté le trésor d'Elsa.

Le notaire intervint :
- Parbleu ! dit-il en soulevant respectueusement ce bras de marbre, vous êtes bien dégoûté, colonel ; c'est un morceau rare, un vrai bijou. Phidias aurait volontiers signé cette oeuvre-là.
- J'avoue que je serais actuellement plus satisfait d'un trésor d'une espèce plus sonnante, riposta son client ; mais puisque vous assurez qu'il a de la valeur, nous le traiterons avec tout le respect qui lui est dû.

En parlant ainsi, il se leva, monta sur un marche-pied et déposa le marbre sous un globe de cristal, sur le haut d'un secrétaire.
- Que personne n'y touche désormais, car contenu et contenant sont également précieux.

Elsa, un peu désappointée de l'indifférence de son oncle, se consolait en songeant à l'admiration du notaire ; elle reprit sa pioche, pendant que Marguerite travaillait en silence. Celle-ci entendait encore ces paroles de son père : « J'aimerais mieux un trésor d'une espèce plus sonnante. »

Tout d'un coup, elle s'arrêta.
- Tu m'as dit, Elsa, que si Dieu ne nous envoyait pas d'or, il pouvait néanmoins nous envoyer un trésor infiniment plus précieux ; crois-tu donc que ce bras de marbre a plus de valeur qu'un morceau d'or ? Crois-tu toujours que ta manière de prier soit préférable à la mienne ? Il me semble qu'elles se valent.
- Oncle Alister nous a souvent répété que nous devons parfois attendre longtemps avant que Dieu nous réponde. Si Dieu avait voulu que nous nous adressions à quelque autre que lui, il nous l'aurait certainement dit, et il aurait recommandé aux apôtres d'enseigner à l'Eglise de prier Marie et les saints ; mais ils ne parlent jamais de Marie dans aucune de leurs épîtres. Nanette croit que Dieu a prévu ce qui devait arriver, car il a fait écrire par Paul à Timothée : Il y a un seul médiateur entre Dieu et les hommes : Jésus-Christ.

Avant que Rita pût répondre, Henri vint la prévenir que le pauvre père Ambroise avait eu une nouvelle attaque.
- Il a repris connaissance, ajouta l'intendant ; mais le meilleur remède pour lui sera une visite de sa chère demoiselle.
- Allons le voir tout de suite ; venez avec moi, dit Marguerite à ses cousins je vais voir si Dorothée a de la gelée ; c'est ce qui soutient le mieux mon vieil ami, et la nourriture qu'il préfère.

Quand elle se fut éloignée, Elsa demanda tout bas à son frère :
- Crois-tu que nous puissions aller chez un prêtre catholique ?

Henri, qui avait saisi ces mots, lui répondit :
- Oh ! Mademoiselle, le père Ambroise n'est pas à redouter ; au contraire, il est bienveillant et bon. Il ne vit que pour faire du bien aux pauvres et aux malades. Vous n'avez aucune crainte à avoir.
- Jésus-Christ lui-même n'est-il pas entré dans la maison de mauvaises gens ? demanda Bruce, qui avait très envie de voir un prêtre en chair et en os.
- Mais Jésus n'y allait que pour leur faire du bien.
- Et nous, ferons-nous du mal à M. Ambroise ?

Marguerite vint les rejoindre, et tous trois descendirent rapidement la colline jusqu'au village. Le bon vieux curé n'était pas, comme à l'ordinaire, dans son jardin ; il était dans son cabinet, sur un fauteuil, près de la fenêtre. Il sourit en voyant entrer Marguerite.
- Mon bon père, dit celle-ci en s'agenouillant pour recevoir sa bénédiction, je ne savais pas que vous aviez été souffrant. J'ai amené mes cousins pour vous les présenter.

Le vieillard essaya de se lever, mais il était trop faible ; il dut se contenter de leur tendre la main, que les jeunes Maxwell serrèrent avec plaisir, tant il avait de courtoisie et de bonté dans son accueil.
- Peut-être vos jeunes parents voudraient-ils, goûter mon miel et aller visiter mes ruches ?

Rita saisit cette occasion d'aller à la cuisine trouver la vieille Maruccia, aussi grognon que dévouée ; elle se déridait pourtant toujours à la vue de la « demoiselle » et lui laissait faire tout ce qu'elle voulait ; mais avant de convier ses cousins à goûter la collation qu'on leur offrait, Rita exigea que son cher confesseur avalât la gelée qu'elle lui avait apportée ; il essaya pour lui faire plaisir, mais il fut vite rassasié.
- Comment va-t-on à Roccadoro ? demanda-t-il ; votre tante a dû vous manquer ; on m'a dit qu'elle revenait la semaine prochaine.

Rita tressaillit, sa main tremblait.
- J'ai eu ce matin un mot du père Gaspard, continua le malade - il me dit qu'il fera probablement le voyage avec Mme Corvietti : ils quitteront le couvent mardi.
- Quel couvent, mon père ?
- Avez-vous oublié que le père Gaspard est le directeur de la congrégation du Sacré-Coeur ? Votre tante y a fait un séjour pour préparer l'admission de quelques novices, paraît-il.

Elsa fut frappée de la pâleur de sa cousine et saisit la tasse que Rita avait presque laissé tomber ; le prêtre, inconscient de l'effet que ses paroles avaient produit, continuait à parler, mais les mots lui arrivaient difficilement. Rita s'était détournée pour cacher son émotion quand elle fut réveillée comme en sursaut par ce cri d'Elsa :
- Rita ! Rita ! regarde le bon Père, il est malade !

Marguerite fut en un clin d'oeil à côté de son vieil ami qui avait perdu connaissance. Il était étendu sans mouvement, les yeux fermés, les traits tirés. La jeune fille, presque aussi défaite que lui, lui souleva la tête, lui frappa dans les mains et, voyant qu'il ne revenait pas à lui, envoya Elsa à la recherche de Maruccia.
La vieille femme accourut, dénoua la cravate, éventa son maître, invoquant la sainte Vierge et tous les saints du paradis, jusqu'à ce qu'enfin il entr'ouvrit lentement les yeux.
- Le voilà mieux, il reprend connaissance, dit-elle avec un soupir de soulagement ; je crois qu'il n'a plus besoin que de tranquillité.
- Nous allons vous quitter, Maruccia ; personne ne sait le soigner aussi bien que vous, dit Rita en embrassant les joues ridées de la brave femme qu'elle connaissait et aimait depuis qu'elle était au monde. Laissez-moi seulement lui arranger ses oreillers. Vous avez besoin de repos, bon Père, ajouta-t-elle en lui souriant avec tendresse.
- Oui, fut la faible réponse ; j'ai besoin de repos, je suis bien fatigué.
- Elsa, avant de nous en aller, chante un de tes cantiques, cela lui fera du bien.

Le programme d'Elsa en fait d'hymnes italiennes n'était pas bien étendu. Aussi eut-elle vite fait son choix :

J'ai entendu la voix de Jésus disant :
Venez à moi et vous reposez.
Repose donc en paix, toi qui es fatigué :
Viens dans mes bras, viens sur mon coeur.

Le vieillard écoutait avidement. Chaque mot répondait à ses besoins ; de grosses larmes coulaient lentement sur ses joues ridées ; au moment où Elsa, qui s'était agenouillée près du fauteuil pour mieux se faire entendre, allait se relever, la main du moribond se posa sur sa tête et il lui donna sa bénédiction comme il l'avait donnée à Marguerite.
- J'aime le curé et j'aime ses abeilles, dit Bruce pendant qu'ils retournaient au château ; mais personne ne lui répondit. Les deux jeunes filles étaient plongées dans leurs réflexions.
- Nanette, dit Elsa à sa bonne quand elles furent en tête-à-tête, quoique ce soit un prêtre catholique qui m'ait bénie, je crois que cela me portera bonheur. Dieu l'exaucera pour sûr.
- Soyez tranquille, ma chérie ; d'après ce que M. Baldi m'a raconté, le bon Père est un enfant de Dieu, un de ceux auquel il a été peu donné et par conséquent il sera peu redemandé. il est ignorant, mais il a le coeur droit et honnête.

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