Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE IV.

LA BONNE NANETTE.

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ELSA s'était endormie sur le canapé. Sa bonne, assise auprès d'elle, laissa glisser son ouvrage sur ses genoux et se perdit dans ses réflexions et ses souvenirs.

Nancy, ou comme on l'appelait par politesse, Mme Mactavish, était au service de la famille Maxwell depuis son adolescence. Après la mort de Mme Alister, elle avait dirigé le ménage et soigné les deux neveux orphelins que son maître avait adoptés. Sa tendresse, son dévouement, lui avaient valu le surnom de « bonne Nanette, » que tous les membres de la famille lui donnaient.


Malgré sa répugnance à quitter son pays, elle n'avait pas hésité à partir avec M. Maxwell et les enfants : elle les aurait plus volontiers suivis aux antipodes qu'en Italie ; mais elle garda ses pressentiments, ne fit aucune objection, et pourtant vivre dans le même pays que le pape et entourée de catholiques, lui paraissait une véritable épreuve ; mais elle comptait sur le courage et les fermes convictions de M. Alister pour combattre le prétendu vicaire de Jésus-Christ. Quand, au bout de dix-huit mois, Mme Mactavish ferma les yeux à son bien-aimé maître, et se trouva seule avec les enfants, en pays inconnu, tous trois étrangers dans une ville étrangère, son énergie fut près de l'abandonner. Le colonel Maxwell avait fait son possible pour l'encourager et la consoler, en l'assurant qu'ils trouveraient tous trois une réception affectueuse et une résidence agréable à Roccadoro. Elle comprenait elle-même que c'était l'arrangement le plus désirable, et néanmoins le coeur lui manquait au moment de se transporter aux environs de Rome.

Le soir de l'enterrement de son maître, la pauvre femme, se croyant bien seule, se laissa aller à son chagrin :
« Oh ! pourquoi avons-nous quitté notre patrie, » disait-elle en pleurant. « Que deviendrons-nous dans ce pays inconnu ? Je sais bien que M. Robert est là ; mais il s'est fait catholique, que Dieu le lui pardonne ! penser que nous sommes condamnés à vivre au milieu de ces quasi-idolâtres. Que deviendrons-nous ? que deviendrons-nous ? »
Elle s'arrêta brusquement, car Elsa, entrée sans bruit, était là, debout devant elle, toute pâle et tremblante à la vue du désespoir de sa chère bonne.
- Ne faites pas attention à ce que j'ai dit ; je n'ai pas plus de bon sens que tous ces pauvres ignorants qui nous entourent. Que pourraient nous faire le pape et tous ses cardinaux, si Dieu nous garde et nous conduit ?

Si Mme Mactavish eut d'autres accès de découragement, personne n'en sut jamais rien, sauf Celui auquel elle apportait tous ses soucis, toutes ses tristesses. Elle resta, ce qu'elle avait toujours été, le soutien, l'appui des deux orphelins, qui avaient appris à compter sur elle, en temps et hors de temps.
Ce fut un immense soulagement pour la vieille écossaise de trouver deux coreligionnaires à Roccadoro. L'intendant et sa femme étaient protestants, et si aux débuts de leur séjour dans le pays on les avait regardés d'un mauvais oeil, les préjugés tombaient un à un devant leur conduite si simple, si ferme, si conséquente avec leurs principes. Nanette constata avec reconnaissance que les Baldi, mari et femme, étaient universellement aimés et respectés, quoique évangéliques, comme on disait dans le pays.

Un an avant le mariage du colonel avec Blanche Brindini, le jeune officier avait été sauvé d'une mort certaine par Henri Baldi ; une amitié sérieuse et profonde se forma entre eux, en sorte que lorsque Henri eut terminé son service militaire il accepta avec joie la place d'intendant du château de Roccadoro. Depuis quinze ans il remplissait ces fonctions avec un zèle et un dévouement incomparables.
Dès le lendemain de son arrivée au château, Mme Mactavish avait été invitée à souper chez les Baldi. Ils habitaient un petit cottage, tout couvert de plantes grimpantes, à l'extrémité de la propriété. Comme on pouvait s'y attendre, la conversation tomba bien vite sur la famille Brindini, et Nanette écoutait avidement ce qu'on lui disait.
- Vous n'aurez pas à regretter d'être venue au milieu de nous, Madame Mactavish, et vous verrez bientôt que nous sommes d'assez bons diables. Je ne vous donne pas huit jours pour adorer le colonel. Oui, oui, je sais ce que tu veux dire en clignant de l'oeil, ajouta Henri en s'adressant à sa femme ; je le regrette autant que toi, et c'est une triste affaire.
Mais comptons sur la fidélité de notre Dieu, qui saura toujours faire triompher la vérité et qui tirera le bien du mal.
Et Mademoiselle Marguerite ? que pensez-vous d'elle ? demanda Mme Mactavish.
- Elle est la digne fille de son père ; vous la trouvez fière ? Détrompez-vous, c'est une enveloppe qu'elle prend comme un vêtement pour mieux cacher ce qu'elle est en réalité. Je trouve que cela lui va bien, cherchez sous cette carapace et vous trouverez un noble coeur.
- Je crois, Henri, dit Christine, que ce noble coeur, comme tu dis, n'est pas facile à découvrir.
- Tu ne la connais pas comme moi ; elle est encore jeune, presqu'une enfant, tu verras ce qu'elle sera un jour. Il faut que je vous mette en garde contre deux personnes dont je me défie instinctivement : Mme Corvietti et le père Gaspard.
- Comment ! l'homme en soutane ? qui baisse les yeux et ne sait pas regarder les gens en face ? On me l'a bien désigné comme le confesseur de Mlle Marguerite, mais je ne vois pas quel mal il peut me faire !
- Je ne sais pas, Madame, s'il y a quelque chose de l'homme dans ce personnage, mais ce que je sais pertinemment, c'est qu'il est singulièrement hypocrite et insinuant, on dirait un jésuite. Il vient constamment au château depuis quelque temps et je m'en méfie. Je crains que tant lui que Mme Corvietti n'exercent une funeste influence sur notre demoiselle. Elle a beaucoup changé durant ces derniers mois. N'oubliez pas ma recommandation : méfiez-vous des deux personnes que je vous ai signalées.

Mme Mactavish n'oublia pas cet avertissement, aussi suivait-elle avec intérêt Mme Corvietti et le père Gaspard, qui, un soir, étaient en conversation animée dans un bosquet au bout de l'avenue. Elle ne pouvait pas entendre ce qu'ils disaient, mais leur attitude, leur air mystérieux la remplissaient d'effroi. Qu'aurait-elle donc éprouvé si elle avait saisi les dernières phrases du prêtre ?
- Je ne puis que vous encourager à persévérer dans la voie où vous vous êtes engagée avec tant d'ardeur, ma soeur, disait-il. La tâche peut vous paraître difficile, mais souvenez-vous que vous devez une entière obéissance à notre sainte mère l'Eglise, dont nous, ses ministres, sommes les représentants. Quoi que vous prescrivent vos directeurs spirituels, il faut obéir ; c'est non seulement juste, mais méritoire. Vous savez aussi bien que moi que la pauvre enfant court le plus grand danger si elle reste sous l'influence et sous la direction d'un homme comme son père. Il n'est pas sincèrement des nôtres. J'ai toujours pensé que sa conversion était une affaire de convenance et non de conscience. Sa position est fausse vis-à-vis de l'Eglise et nuisible à tout le voisinage comme à sa propre fille ; celle-ci est plus menacée que jamais depuis qu'elle est entourée de ces nouveaux hérétiques. Ne perdez jamais de vue, ma fille, que le succès de notre plan doit procurer un grand avantage à l'Eglise et le salut éternel à cette enfant.

Mme Corvietti avait si souvent entendu ces mêmes exhortations qu'elle n'y faisait plus grande attention ; mais, ce soir-là, ces paroles lui tombaient lourdement sur le coeur et tout en elle se révoltait contre son Père confesseur. Mais la lutte fut courte ; habituée à obéir passivement, elle reprit bientôt possession d'elle-même et se mit en devoir de remplir la tâche qui lui était imposée.
- Marguerite, dit-elle, en passant son bras sous celui de sa nièce qu'elle rencontra sur la terrasse. je suis très angoissée par ce que le père Gaspard vient de me dire. Ton père lui a encore refusé de l'argent et on ne dit plus de messes pour le repos de l'âme de ta mère.

La jeune fille tressaillit.
- S'il en a refusé, dit-elle, c'est que sans doute il n'en a pas. Oh ! seraient-ce ces difficultés pécuniaires qui le rendent si sombre tous ces derniers temps ?
- Je ne le crois pas, répondit Mme Corvietti. Le père Gaspard dit que ton père ne paraît pas le moins du monde attristé ni anxieux quand on lui démontre les douloureuses conséquences de son refus. Je ne puis le comprendre, et mon coeur se brise quand je songe que, faute d'une petite somme, l'âme de ma sainte soeur reste dans les tortures du Purgatoire.
- Ne pouvons-nous donc rien faire ? s'écria Rita désespérée.

Il y eut un instant d'hésitation.
- Tu sais ce qu'il y a à faire, Marguerite ; c'est sur toi que repose la responsabilité.

Et Mme Corvietti disparut.

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