Histoire de Topsy
II
À l'ouest de la Chine, dans une
ville située au sud de la Mongolie et au
nord du Tibet, se trouve la demeure de trois dames
missionnaires. Dans notre récit, elles sont
nommées la Dame Grise, la Dame Bleue et la
Dame Brune d'après la couleur de la robe
chinoise qu'elles portent. Elles
s'intéressent aux enfants pauvres de la
ville et les réunissent chaque soir pour
leur parler du Seigneur Jésus et leur
apprendre à chanter des cantiques. Beaucoup
de mendiants viennent aussi frapper à leur
porte et, plus misérable qu'aucun d'entre
eux, arrive régulièrement une petite
fille mongole, sourde et muette. On l'appelait
« Gwa Gwa », ce qui veut dire
« Solitaire ». Les Dames
décidèrent d'adopter la pauvre
enfant. Par l'entremise du mandarin Lin, elles
purent l'acquérir à prix d'argent, de
la méchante femme à qui elle
appartenait et qui n'était pas sa propre
mère. On lui changea son nom de Gwa Gwa en
celui d'« Ai-Lien », qui veut
dire « Lien d'amour », mais on
l'appelait ordinairement Topsy.
Dès sa sixième année, Topsy
avait été sa propre maîtresse
durant toutes les heures du jour. Chaque moment lui
apportait tant de nouvelles difficultés
à surmonter, c'est ce qui
précisément avait
développé chez l'enfant de la
volonté, de l'assurance et de la confiance
en soi. Elle avait dû apprendre à
défendre ses droits et à garder
férocement ce qu'elle avait gagné. On
ne lui avait jamais enseigné à
être serviable, aimable ou
généreuse, à céder
volontiers, ces vertus n'ayant aucun prix dans le
monde qu'elle fréquentait.
Dans son nouveau genre de vie tout
allait changer. On allait lui apprendre à
partager avec les autres, à abandonner sa
propre volonté et par-dessus tout à
obéir à ses trois mamans et à
grand-maman Fan. Elle était traitée
avec bonté par toutes ces personnes qui
l'aimaient, mais en retour on s'attendait à
la voir faire ce qui lui était
ordonné ; ce n'était pas une
leçon facile à apprendre.
La première cause de sa
résistance fut à propos de quelques
bouts d'étoffe d'indienne. Quand grand-maman
Fan cousait, elle permettait à Topsy de
ramasser tout ce qui tombait de son ouvrage et d'en
faire ce qu'elle voulait. La petite fille
considérait cela comme un trésor
précieux et, quand elle devint l'heureuse
propriétaire d'une aiguille, elle se mit
tout de suite à assembler quelques morceaux
bariolés pour s'en faire un porte-aiguilles.
Tout marchait à souhait quand on l'appela
pour aller balayer le petit salon des Dames.
Tranquillement elle leur fit comprendre qu'elle
n'irait pas avant d'avoir fini son petit ouvrage.
Cela amena une discussion très vive pour
savoir qui était la maîtresse. Topsy
dut convenir, bien à regret, que
c'était elle qui devait céder et
obéir. Elle le fit, mais avec la ferme
intention d'en faire le moins possible.
Le deuxième débat survint
un jour où l'on attendait des visites. Sur
la table étaient disposés des plats
garnis de gâteaux et de friandises. Topsy ne
put résister à la tentation et,
profitant de ce que tout le monde était
occupé ailleurs, elle se servit de plusieurs
bonbons qu'elle cacha dans la ceinture de son
pantalon (1).
Elle savait bien pourtant qu'après le
départ des visites elle en aurait sa part.
Quand ses mamans entrèrent dans la chambre,
elle rougit si fort que son secret fut
dévoilé. Avant même qu'on lui
posât une question, elle faisait
« non » de la tête,
voulant indiquer par là qu'elle n'avait rien
pris.
Elle portait ce jour-là son
pantalon du dimanche, à cause des visites
qu'on attendait ; il était large autour
des chevilles, tandis que celui de
tous les jours était serré par une
bande ; pendant qu'elle secouait
négativement la tête pour bien
convaincre ses mamans qu'elle n'avait rien fait de
mal, les bonbons dégringolaient tout le long
de son pantalon et venaient rouler en cascade
à ses pieds ! Elle avait oublié
qu'il n'y avait rien pour les retenir. La preuve de
son larcin était trop évidente !
La pauvre petite Topsy passa toute une heure
à pleurer dans un coin.
Comme elle était vive et
intelligente, elle ne fut pas longue à
apprendre que, quand elle désirait une
chose, il fallait la demander, et que se servir de
gâteaux sans permission n'était pas
bien ; mais c'était une petite offense
comparée au fait d'avoir dit qu'elle n'avait
rien pris quand vraiment elle l'avait
fait !
Topsy aimait les gravures plus que tout
autre chose et les murs de sa chambre devinrent
bientôt une vraie galerie de tableaux.
D'abord un morceau de papier bariolé ou
l'enveloppe d'une boîte d'allumettes
satisfaisaient son amour de la couleur, mais
graduellement ces bouts de papier furent
remplacés par des gravures
découpées dans des journaux
illustrés qui arrivaient quelquefois
à la maison.
Un jour, la Dame Bleue la fit venir et
lui montra la plus jolie gravure coloriée
qu'elle eût jamais vue. Elle
représentait un berger avec un troupeau de
moutons. Il portait dans ses bras un petit agneau.
Topsy vit tout de suite que l'agneau était
bien fatigué et que le berger était
très bon.
Elle ne put contenir sa joie quand on
lui permit de suspendre le tableau au-dessus de son
lit. Le soir, agenouillée aux
côtés de grand-maman Fan qui priait
à haute voix, la fillette fixait tout le
temps de ses yeux la belle gravure.
Les Dames se demandaient ce qui se
passait dans cette petite tête ; il leur
semblait qu'un ange lui était envoyé
pour lui faire comprendre certaines choses, car,
quelque temps après, quand on lui donna une
nouvelle gravure du Bon Berger, elle en comprit
tout de suite la signification. Sur cette gravure
on voyait un rocher élevé, au-dessus
duquel planait un aigle immense. Au pied
du rocher se tenait un pauvre
petit agneau retenu dans les broussailles par des
ronces dont il ne pouvait se débarrasser. Un
berger se penchait pour le délivrer.
Topsy avait souvent vu un grand aigle
descendre et saisir quelque chose sur le sol, elle
savait fort bien que, si le berger ne
s'était pas trouvé là,
l'agneau aurait été emporté
dans les serres cruelles de l'oiseau,
jusqu'à son aire, où il aurait
été dévoré.
Avec des gravures et des signes, la Dame
Bleue faisait comprendre à Topsy,
qu'au-dessus du ciel bleu, elle avait un Ami qui
l'avait toujours aimée et, quand Il avait vu
qu'elle était dans un danger terrible, Il
avait envoyé Quelqu'un pour la conduire dans
une demeure où elle serait en
sécurité. Elle saisit la
pensée en un instant et, dès lors, se
vit toujours elle-même comme l'agneau
délivré d'un grand danger par le Bon
Berger qui avait dit à ses trois amies de
prendre soin d'elle.
Évidemment un grand nombre de personnes
savaient où et qui était la maman de
Topsy, mais comme il avait été
convenu entre elle et la méchante femme que
personne ne devait savoir que l'enfant avait
été vendue, on n'en parlait
qu'à mi-voix. Quant au père de Topsy,
c'était un chef mongol et chaque
année il allait à cheval à la
grande fête thibétaine, pour porter de
la part de sa tribu un présent au
« Bouddha Vivant » de la
Lamaserie. Jamais il ne s'était
intéressé au bébé
Topsy, étant bien trop occupé avec
ses grands troupeaux.
Bien qu'il ne donnât jamais une
pensée à sa fille, elle existait,
chaque année ressemblant davantage à
une Mongole. Elle en avait la forte charpente et
les manières vives et spontanées qui
contrastaient avec celles des jeunes Chinoises de
son entourage plutôt calmes et retenues.
Personne, en voyant Topsy à
cheval sur son poney, ne pouvait douter de son
origine mongole, tant elle montrait de sang-froid
et de sûreté.
Dans la nouvelle maison de Topsy on parlait d'un
voyage en Mongolie qu'on allait entreprendre sous
peu. Pendant qu'on en discutait, grand-maman Fan
eut une idée merveilleuse.
- Il y aurait une place dans ma
charrette pour Topsy, dit-elle, nous pourrions la
prendre avec nous, qu'en pensez-vous ? Elle
serait des plus utiles pour garder la tente pendant
les réunions.
Tout le monde fut enchanté de la
proposition et, quand Topsy apprit qu'elle serait
du voyage, elle ne sut comment exprimer sa
joie. Tout de suite elle rassembla
ses petits trésors avec soin pendant que
grand-maman Fan emballait tout ce qui était
nécessaire pour le voyage.
Grand-papa Fan désirait qu'on
commençât le tour en Mongolie par
« le Temple de la Colline
Solitaire » où, une fois l'an, il
y avait une grande fête en l'honneur d'une
idole qui, disait-on, décidait du temps
pendant la moisson. Aucun fermier n'aurait
osé négliger une idole aussi
importante ; tous ceux qui le pouvaient lui
apportaient une offrande et lui brûlaient de
l'encens dans le temple.
- Si nous partons mardi à midi,
dit grand-papa Fan, nous pourrons fixer nos tentes
sur « la Colline Solitaire » le
soir même et passer les journées de
mercredi et de jeudi à la foire.
La route qui conduisait à ce
temple éloigné était
généralement déserte, mais, ce
mardi-là, elle était couverte de
marchands et de colporteurs se rendant à la
foire. Ils portaient leurs marchandises sur leurs
épaules, ainsi que le bois destiné
à monter leurs baraques ; les
villageois qui viendraient à la foire
seraient heureux de trouver à acheter un
bonnet pour leur bébé, une lampe de
cuivre, un tamis à grains, ou encore un joli
baquet ; toutes ces choses allaient être
bien exposées pour attirer la
clientèle.
En haut, près du temple, on
pouvait voir quelques hommes occupés
à monter de petits fourneaux de boue,
d'autres édifiaient des échoppes
qu'ils entouraient de grands carrés de toile
pour préserver les boutiquiers du soleil
brûlant. Des cuisiniers pétrissaient
de la pâte, hachaient de la viande et des
oignons, raclaient des carottes et faisaient de la
farce pour les beignets de mouton dont tout le
monde était friand.
Un homme se tenait devant une
poêle à frire pleine de graisse
fumante et y faisait tomber avec adresse de la
pâte à beignets. Un moment
après il sortait les beignets dorés
et croustillants. Ces délicatesses
étaient du goût de Topsy qui resta une
bonne demi-heure à se régaler,
grand-papa Fan lui ayant donné trois
pièces de cuivre pour en faire ce qui lui
plairait.
Dès l'aube on avait pu voir des
charrettes attelées de bouvillons,
chargées de femmes et d'enfants, arriver de
la plaine, tandis que les hommes, soit à
cheval soit à dos d'âne,
s'avançaient à toute allure.
À midi, les musiciens
commencèrent à jouer en faisant un
tintamarre assourdissant et sauvage, avec leurs
cymbales, leurs tambours et leurs trompettes
tonitruantes. Avant même que la
première charrette ne soit arrivée,
les missionnaires étaient prêts. Ils
avaient dressé une grande tente blanche
autour de laquelle ils avaient suspendu des
gravures. Dans la tente on avait mis quelques
tables sur lesquelles étaient
disposés des livres aux reliures de couleurs
vives. Il y avait des bancs où l'on pouvait
se reposer en écoutant une des dames qui
jouait de l'harmonium. Cette musique attirait
beaucoup de monde. Ils entendirent, ce
jour-là, des choses merveilleuses, car
beaucoup d'entre eux ignoraient que Dieu les aimait
jusqu'à donner son Fils unique qui
était mort sur la croix pour sauver les
pécheurs.
Parmi les gravures, il y en avait une
série qu'ils aimaient
particulièrement.
C'était d'abord l'image d'un
jeune garçon qui s'était enfui de la
maison et avait dépensé tout l'argent
que son père lui avait donné.
Finalement il était devenu si pauvre qu'il
avait dû se mettre à garder des
pourceaux.
On voyait ensuite comment, au bout d'un
certain temps, se repentant de la façon dont
il avait quitté son père, il rentra
à la maison pour lui demander pardon. Alors
le père lui pardonna et même fit une
grande fête en son honneur, le revêtant
d'habits neufs et de belles sandales.
Les gens pouvaient lire cette histoire
eux-mêmes dans le livre relié en jaune
appelé « Lu-gia
Fuh-yin » (évangile de Luc en
chinois). Après l'avoir entendu raconter,
beaucoup de personnes désirèrent
posséder le livre et achetèrent tant
d'exemplaires qu'il n'en resta plus un seul sur les
tables.
Tout était si merveilleux et
surprenant. On leur avait toujours dit que les
dieux étaient terrifiants et voulaient leur
faire du mal toutes les fois qu'ils en avaient
l'occasion ; cependant le prédicateur
disait :
- Ce fils prodigue est comme vous et
moi, et le Père qui pardonne, c'est
Dieu.
Cela pouvait-il être vrai ?
Quelques-uns d'entre eux s'approchaient de
grand-papa Fan et lui posaient la question bien en
face.
- Oui, répondait-il, c'est tout
à fait vrai, je le sais parce que Dieu m'a
pardonné.
- Alors vous ne brûlez pas
d'encens dans le temple ?
- Non, répondait grand-papa Fan,
je ne le fais pas. Dieu nous demande de l'aimer de
tout notre coeur, de toute notre force et de toute
notre pensée, et d'aimer notre prochain
comme nous-mêmes. L'idole, bien qu'elle ait
des oreilles, n'entend pas ; elle a des yeux,
mais ne voit pas. Dieu, Lui, vous voit, vous
connaît et vous aime.
Quelques-uns rentrèrent à
la maison pour réfléchir à ce
qu'ils avaient entendu, et presque tous
achetèrent des Évangiles, car les
dames avaient dit :
- Ce Livre vous dira tout ce que vous
avez besoin de savoir concernant Dieu.
Ainsi, les gens emportèrent chez
eux des portions de la Parole aux reliures jaunes,
vertes ou roses, se promettant de les lire
tranquillement pendant les longues soirées
d'hiver.
Au coucher du soleil, Topsy rassembla
les livres qui n'avaient pas été
vendus et mit tout en ordre pour le
lendemain.
Quand la foire fut terminée, que
le dernier paysan fut rentré dans sa ferme,
pendant que marchands et colporteurs tiraient en
bas leurs baraques, que les petits serviteurs du
temple balayaient et enlevaient la litière
du sol, la grande tente blanche fut pliée et
soigneusement fixée à
l'arrière de la charrette. Avant le lever
du jour tout le monde doit
être prêt, car, plus tard, vers midi,
le soleil est brûlant et, par amour pour les
bêtes, on doit partir de bonne heure. Ainsi
la caravane entière s'ébranla et se
dirigea du côté du désert de
sable vers le Nord, laissant derrière elle
le temple déserté avec son dieu de
boue.
Après quelques jours de voyage, les
charrettes furent abandonnées. On loua des
chameaux, qui seuls peuvent transporter les
voyageurs à travers les sables mouvants. On
en amena toute une rangée qu'on fit
s'agenouiller de manière à ce qu'on
pût attacher les bagages sur leurs dos. Ce
travail accompli, chaque personne enjamba le cou du
chameau qui lui était destiné. Les
intelligentes bêtes, bien dressées,
levèrent alors la tête, soulevant le
cavalier pour le placer sur cette selle naturelle
qu'a le chameau, entre les deux bosses. Topsy
s'agrippa fermement à la touffe de poils du
cou de sa monture afin d'éviter de tomber
quand celle-ci déplierait ses longues jambes
pour se tenir debout.
Quand tout le monde fut prêt, les
conducteurs donnèrent une petite secousse
à chaque rêne. À ce signal, les
grandes créatures ayant déplié
leurs jambes de derrière, puis celles de
devant, se dressèrent et, hop !
voilà le cavalier élevé
très haut sur sa bête. La caravane se
mit alors en marche d'un pas égal. Topsy
aimait beaucoup à être balancée
deci delà tout en touchant son chameau d'une
branche de saxaul
(2).
On voyagea de cette manière
pendant plusieurs jours avant d'arriver à
proximité de tentes que les voyageurs
n'auraient jamais remarquées s'ils n'avaient
connu les signes qui en indiquent la
présence. C'est pourquoi ils ouvraient tout
grands leurs yeux pour voir s'il y avait
peut-être une petite touffe de laine d'agneau
attachée à une branche ou un fil
écarlate dans un buisson. De tels signes
montrent qu'on est près d'un campement et
qu'il faut descendre de chameau pour traverser le
taillis. Bientôt ils entendirent aboyer les
chiens, les chameliers firent alors claquer leurs
longs fouets. Quand les chiens virent les fouets,
ils se tinrent à distance, grondant et
montrant les dents.
Enfin les tentes furent en vue,
camouflées avec des branches de tamaris
entrelacées.
À la vue
d'étrangères, les femmes
appelèrent les hommes, car un nouveau venu
peut être n'importe qui, du percepteur
d'impôts au voyageur en détresse ou
encore l'espion d'une bande de brigands. Les hommes
ne tardèrent pas à arriver, chacun
d'eux portant un fusil en bandoulière et un
grand couteau dans la tige de sa botte ; mais
quand les voyageurs levèrent les mains pour
bien faire voir qu'ils n'étaient pas
armés, tout soupçon
s'évanouit, plus personne ne fut
effrayé. Alors le chef, soulevant la
portière de sa tente, invita les dames
à entrer.
L'intérieur d'une tente a
toujours l'air étonnamment confortable, tout
spécialement quand le
« blizzard » fait rage
dehors.
Au centre, brûle un bon feu de
fiente de vache, qu'on alimente avec des racines de
tamaris quand on désire une flamme vive.
La fumée monte en spirales bleues
et s'échappe par une ouverture
pratiquée dans le toit de la tente. Tout
près du feu il y a un grand coquemar de
cuivre où s'infuse le thé dans l'eau
bouillante ; à côté,
suspendu par une chaîne sur l'âtre, se
trouve le chaudron qu'on va remplir de lait de
chamelle. Vis-à-vis de la porte
d'entrée, on peut voir un siège
surélevé, recouvert d'un tapis rouge,
derrière lequel se trouve une table garnie
de petits bols de laiton emplis jusqu'au bord d'eau
fraîche. Le siège est la place
d'honneur où seul le maître a le droit
de s'asseoir et la table et les bols de laiton sont
les offrandes qu'il fait à ses
dieux.
Sur les côtés de la tente
sont placés des coffres incrustés de
métal brillant. C'est là qu'on serre
les peaux, le cuir de réserve pour les
chaussures et les lourds ornements d'argent dont
les femmes aiment à se parer.
Quand les voyageurs entrèrent, le
maître de céans leur offrit une prise
de tabac, manière polie de leur souhaiter la
bienvenue. Au bout de quelques minutes, tout le
monde était assis par terre autour du feu.
Alors le fils de la femme la plus âgée
sortit des bols de porcelaine d'un des coffres
incrustés. Les Dames, qui connaissaient les
coutumes des nomades, furent bien contentes de voir
que les bols avaient été proprement
lavés - il arrive parfois qu'on les trempe
simplement dans un peu de lait et la
maîtresse de maison les polît avec sa
langue !
Le maître ouvrit alors une belle
boîte de laque et offrit à ses
hôtes du « zamba »
(céréales grillées et
moulues). On le mélangea au lait de chamelle
dans les bols et le tout fut trouvé
excellent.
La tente était de feutre
épais, garantissant du froid en hiver et
maintenant de la fraîcheur en
été. Ce feutre avait
été foulé par les femmes, du
poil de leurs chèvres ; il était
disposé sur des treillis de bois habilement
travaillés. À l'intérieur,
cette carcasse était ornementée de
lainages aux couleurs vives, tissés sur
l'herbe drue du désert. Le tout avait fort
bon air et était admirablement fait.
Les habitants des tentes sont toujours
très occupés ; ils doivent faire
sécher du fumier de vache pour le
combustible, ils tannent les peaux, cousent leurs
chaussures, tressent des cordes de poils de vache
et tissent des étoffes pour embellir leur
tente, en plus des travaux journaliers. Ceux-ci
consistent en la traite d'une grande
quantité de chèvres, de brebis et de
chamelles. Pour faire le beurre c'est tout un
travail. La crème doit être battue
dans une baratte de cuir avec un grand battoir de
bois, puis on serre ce beurre dans de petites
poches de peau et on le garde ainsi un temps assez
long avant de pouvoir s'en servir. Personne au
monde, excepté les Mongols, n'aime le beurre
fabriqué de cette manière. On ne lave
jamais la baratte, aussi le beurre en acquiert-il
un goût très bizarre.
Les petits des chameaux donnent beaucoup
de travail. Quand les mères sont
envoyées au loin pour pâturer, il faut
nourrir les chamelons au biberon : on prend
alors une corne de boeuf percée d'un assez
grand trou auquel on adapte une embouchure de
cuir.
Les hommes mènent leurs troupeaux
de pâturage en pâturage et veillent
à ce qu'ils ne s'éloignent pas trop.
Pour cela, il faut tourner autour des troupeaux,
les grouper. Cela se fait à cheval, les
distances étant très grandes, mais
les bergers aiment pardessus tout ces
galopades.
Les nomades sont très bons et
aimables envers les visiteurs paisibles, mais ils
deviennent féroces s'ils sont
attaqués. Ils ne sortent jamais sans leur
grand couteau caché quelque part sur eux et
leur fusil suspendu à l'épaule. En
quittant leur tente, ils laissent devant la porte
du lait et un peu de « zamba »,
afin que le voyageur affamé puisse se
restaurer, c'est la loi de l'hospitalité
mongole. Mais si quelqu'un vole quelque chose dans
la tente ou une bête du troupeau, il est
traqué et la poursuite durera jusqu'à
ce qu'on trouve le voleur qui alors est
condamné à une punition très
sévère.
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