TOPSI
Avant de commencer, je vous conseille vivement
de vous procurer un atlas de géographie, de
chercher une carte de l'Asie et de vous
familiariser avec la position de la Chine, du
Tibet, des grandes chaînes de montagnes qui
séparent ces pays, des fleuves qui les
arrosent. Ceci rendra votre lecture beaucoup plus
intéressante et instructive.
La ville dont il est question dans cette
histoire est située à l'ouest de la
Chine, au nord se trouve la Mongolie, au sud le
Tibet. Dans un recoin de cette ville se trouve la
demeure de trois dames missionnaires. Dans notre
récit, elles sont nommées la Dame
Grise, la Dame Bleue et la Dame Brune,
d'après la couleur de la robe chinoise
qu'elles portent.
Et maintenant voici ce qui se
passa :
Tap, tap, tap ; tap, tap, tap, la
petite canne frappait les pavés
inégaux devant la porte de la cour.
Certainement ce devait être un mendiant en
quête de nourriture. Les hôtes de ce
genre abondaient aux abords de la maison.
Encore tap, tap, tap, mais aucun autre
son. Les habitués de cette demeure,
où il n'y avait pas de chien et où
l'on ne refusait jamais d'ouvrir aux
affamés, n'étaient pas
généralement silencieux, bien au
contraire !
Tap, tap, tap, une fois de plus. La Dame
Bleue alla ouvrir la porte pour voir de quoi il
s'agissait.
- Je n'ai jamais vu cette petite fille, dit-elle
à quelqu'un derrière elle, puis
s'adressant à l'enfant en
chinois :
- D'où viens-tu, mon
enfant ?
La fillette qui se tenait là
pouvait avoir sept ans ; elle était
vêtue de quelques haillons retenus sur son
corps par une ficelle. Dès qu'elle
aperçut la dame, elle montra ses jambes nues
ensanglantées par les morsures des
chiens ; puis elle tendit un grossier petit
sac en coton quêtant un peu de nourriture.
Ses lèvres s'ouvrirent pour laisser passer
le son étrange que les sourds-muets sont
seuls à émettre. Le regard de ses
grands yeux errait anxieusement tout à
l'entour, cherchant si quelque chien se cachait
dans l'ombre. N'en découvrant point, elle
s'enhardit et de nouveau montra du doigt les
blessures dont ses jambes étaient
couvertes.
- L'enfant ne peut-elle pas
parler ? fit la Dame Bleue ; puis
s'adressant à sa compagne
invisible :
- Venez donc voir cette pauvre petite.
Elle semble être sourde et muette et ses
jambes sont couvertes de morsures.
L'appel fut immédiatement
entendu. La Dame Grise s'approcha et regarda
l'enfant, mais la Dame Brune se rendit directement
à la cuisine d'où elle revint
bientôt tenant dans une main un bol de soupe
bien chaude et, dans l'autre, un grand morceau de
pain. À la vue de la nourriture, la figure
de l'enfant s'illumina ; elle jeta à
terre son bâton et son sac pour saisir le bol
que lui tendait sa nouvelle amie. Mais avant de lui
permettre de s'en emparer, la Dame Bleue prit dans
la sienne les deux petites mains sales et montra le
ciel pour lui faire comprendre qu'il fallait
remercier Dieu. L'enfant parut saisir quelque
chose ; elle fit un rapide signe d'assentiment
et leva les yeux en haut avant de se mettre
à manger.
Lorsqu'elle eut achevé son repas,
la Dame Bleue examina ses blessures, les lava tant
bien que mal, puis la Dame Brune fit un savant
pansement destiné à résister
à tous les efforts
extérieurs.
Quoique l'enfant ne pût ni
entendre, ni parler, elle semblait tout comprendre.
Lorsque la Dame Bleue, lui montrant le soleil, lui
dit de revenir à la même heure le
lendemain pour recevoir un nouveau bol de soupe,
elle sourit et fit un signe affirmatif ; puis,
ramassant sa canne et son sac, elle sortit de la
cour, en jetant derrière elle un regard qui
semblait dire : "J'ai trouvé de bonnes
amies aujourd'hui".
Le lendemain l'enfant ne revint pas,
mais à sa place surgit une femme
échevelée qui s'introduisit dans la
cour en proférant les pires injures contre
les trois dames.
- Où est ce chien furieux qui,
hier, a mordu ma pauvre petite fille ? Ne
pouvez-vous donc pas tenir cette brute à la
chaîne ? Les jambes de mon enfant sont
déchirées. J'irai me plaindre chez le
Mandarin et vous aurez à lui
répondre.
Celle qui parlait ou plutôt criait
ainsi n'était pas une mendiante ; elle
était assez bien vêtue. Cependant le
but de sa visite sautait aux yeux. Elle voulait de
l'argent et pensait en extorquer aux missionnaires
en les effrayant. Mais elle trouva à qui
parler. La Dame Grise parut sur le pas de la
porte :
- Qu'est-ce donc que ce vacarme ?
demanda-t-elle avec calme. Nous n'avons pas de
chien et si vous êtes la mère de
l'enfant qui est venue ici hier, je vous conseille
de vous tenir tranquille. Une femme vêtue
comme vous l'êtes et qui envoie son enfant
mendier pourrait bien s'attirer des
désagréments.
La femme se rendit compte qu'elle avait
à faire à plus fort qu'elle et elle
se retira en maugréant.
- Lorsque le cuisinier eut fermé
la porte derrière elle, il dit à la
Dame Bleue : Maîtresse, ne touchez plus
à cette petite fille. Laissez ses blessures
se guérir toutes seules. La femme est un
triste numéro et l'enfant sans doute ne vaut
pas mieux que sa mère.
En ce moment arriva grand-maman Fan, une
vieille chrétienne chinoise qui, ayant eu
vent de l'affaire, venait prendre la défense
de ses chères maîtresses. On
l'installa sur le kang [un lit en boue ou en brique
chauffé au bois, sur lequel on dispose la
literie] bien chauffé avec une tasse de
thé à côté d'elle. Elle
fut vite au courant.
- J'ai vu cette ya-ba [en chinois :
sourde et muette] en ville, dit-elle, on l'appelle
Gwa Gwa.
- Gwa Gwa, « Toute
seule », quel triste nom pour une enfant,
fit la Dame Brune.
Le cuisinier fit entendre un grognement
désapprobateur, mais la Dame Bleue
déclara avec décision :
-Gwa Gwa ne trouvera jamais la porte
fermée chez nous !
Aussi lorsque le tap, tap retentit le
lendemain, elle courut ouvrir à sa petite
amie qui arrivait toute souriante et pleine de
confiance. Grand-maman Fan résolut de
s'enquérir de l'histoire de Gwa Gwa.
Méritait-elle ou non que les dames
s'occupent d'elle ? C'est ce dont il fallait
s'assurer.
Grand-maman s'absenta pendant plusieurs
heures et revînt débordante
d'informations diverses. Nous les résumerons
ici aussi brièvement que possible.
"C'est bien ce que je pensais,
Maîtresse, cette femme n'est pas la
mère de Gwa Gwa. L'enfant n'en sait
rien ; elle a été achetée
pour un franc soixante lorsqu'elle n'avait que
trois semaines. Elle est bien née et ne
s'est jamais habituée à
mendier ; si on lui donne quelque chose
à manger, elle cherche toujours à
rendre un service en retour. "
Grand-maman Fan en était
là de son récit, lorsqu'un son de
cloche retentit dans la rue. C'était un
garçon qui courait en agitant une grosse
sonnette. À ce signal bien connu, une foule
d'enfants de tous les âges surgirent comme
par enchantement de toutes les cours et de toutes
les ruelles et suivirent le jeune carillonneur
jusque dans une salle voisine où les
attendait la Dame Bleue, assise devant un petit
harmonium, tandis que la Dame Brune distribuait aux
amateurs des musiques à bouche, de petites
flûtes et des tambourins.
Tous les enfants réclamaient
naturellement un instrument, mais ceux-ci
étaient réservés aux plus
sages parmi eux qui vraiment ne se tiraient pas
trop mal d'affaire. Les missionnaires avaient
trouvé ce moyen pour attirer les enfants du
quartier auxquels elles désiraient enseigner
quelques cantiques très simples. Chacun de
ces petits voyait, dans sa demeure, ses parents qui
brûlaient de l'encens devant une idole de
bois, mais ici ils entendaient parler un peu et, ce
soir-là, ils avaient un sujet qui les
intéressait de chanter les cantiques qui
disaient ce que le Seigneur Jésus avait fait
pour eux.
Quand la leçon était
terminée, ils aimaient rester encore pour
parler un peu et, ce soir-là, ils avaient un
sujet qui les intéressait
spécialement, car tous savaient que Gwa Gwa
avait été invitée à
dîner chez les maîtresses. D'où
grande rumeur parmi la joyeuse bande.
- Sa mère la déteste et
voudrait qu'elle meure ! déclara
Parfum.v- Est-elle donc si méchante ?
demanda la Dame Bleue.
- Non, maîtresse, elle n'est pas
méchante du tout, seulement elle crie quand
on la bat.
- Alors pourquoi sa mère la
déteste-t-elle ?
- Parce qu'elle est une enfant
achetée, annonça hardiment un grand
garçon décharné. C'est ma
belle-soeur qui l'a dit et la femme est furieuse
parce qu'elle n'a pas eu ce qu'elle escomptait pour
son argent.
- Maîtresse, renchérit
Joyeuse, j'habite à côté de la
maison de Gwa Gwa et je l'entends pleurer pendant
la nuit. On ne lui permet pas de se coucher sur le
kang et tout l'hiver elle a dû dormir par
terre, dans la boue.
Pauvre petite Gwa Gwa ! De fil en
aiguille les missionnaires apprirent sa triste
histoire.
L'enfant était née bien
loin de la ville, parmi les hautes montagnes du
Tibet. Sa mère, ne se souciant pas de
l'élever, l'avait remise à une
parente qui, à son tour, avait vendu le
bébé à la femme que nous
connaissons. Celle-ci n'avait pas d'enfant et
était très fière de la jolie
figure et des habits luxueux de sa nouvelle
acquisition. Mais lorsqu'elle s'aperçut que
la fillette était muette, elle se mit
à la maltraiter. Puis, lorsqu'elle eut un
fils à elle, elle chassa Gwa Gwa de la
chambre familiale et l'envoya mendier de maison en
maison.
Lorsqu'elles surent tout cela, les dames
missionnaires, émues de pitié,
s'occupèrent chaque jour de la petite
malheureuse. La Dame Bleue soigna ses plaies et la
Dame Grise avait toujours un bol de soupe chaude
à offrir à l'enfant.
Gwa Gwa était sourde, mais elle
comprenait tout et, à part elle, elle se
demandait pourquoi ces dames étaient si
différentes des autres gens de la ville et
pourquoi elles ne la chassaient jamais de leur
porte. La fillette ne savait pas encore que ses
nouvelles amies aimaient le Seigneur Jésus
et que leur plus grand désir était
d'amener les enfants à la connaissance du
Sauveur.
Depuis bien des mois, les dames
missionnaires demandaient au Seigneur de leur
ouvrir une porte pour porter l'évangile au
Tibet. Le Seigneur répondit à leurs
prières et elles partirent pour leur long et
périlleux voyage.
Pendant ce temps, que devenait Gwa
Gwa ? En vérité, elle ne s'en
tirait pas trop mal.
Chaque jour elle pouvait compter sur un
bol rempli d'une excellente soupe bien chaude. Le
cuisinier avait reçu des ordres
précis à ce sujet. Lorsque les trois
dames furent de retour, il poussa un profond soupir
en déclarant : « Ai-ya, quel
appétit a cette enfant ! Elle mange
plus que moi pour son
dîner ! » Mais le brave homme
oubliait que lui faisait trois bons repas par jour,
tandis que Gwa Gwa n'en avait qu'un seul.
Les morsures sur les jambes de la
fillette s'étaient guéries, mais sur
son mollet gauche se voyaient encore des trous
profonds produits par le fer rouge de la
méchante femme chez laquelle elle habitait.
Du reste, celle-ci semblait détester encore
davantage Gwa Gwa depuis que d'autres gens
s'occupaient d'elle, aussi la fillette
l'évitait-elle autant que faire se
pouvait.
Un soir d'été, Gwa Gwa
s'était attardée plus que d'habitude
à jouer avec d'autres enfants dans le
voisinage de la maison de ses amies, si vide
maintenant, mais qui lui restait chère quand
même. Tout à coup un son bien connu
frappa les oreilles de la petite bande :
c'était le tintement de la cloche appelant
les enfants à l'école du soir. Gwa
Gwa n'entendit rien, mais elle courut comme les
autres et là, sur le seuil de la grande
salle, elle aperçut la Dame Brune et la Dame
Bleue qui venaient de rentrer du Tibet. Ah !
comme le coeur de la petite solitaire bondit de
joie !
Depuis ce soir-là, il se trouva
tout un groupe de garçons et de filles,
élèves réguliers de
l'école du soir, toujours prêts
à prendre le parti de Gwa Gwa et à la
défendre de toutes manières. La vie
de l'enfant en fut bien facilitée. Puis il y
avait beaucoup plus de personnes compatissantes qui
lui donnaient soit un morceau de pain, soit une
pièce de menue monnaie. Mais le plus beau de
tout c'était de rencontrer ses amies en
ville. Celles-ci la faisaient asseoir sur le
porte-bagages derrière leur petite voiture
et l'emmenaient dîner avec elles. Tous les
voisins disaient alors : « Gwa Gwa a
de la chance aujourd'hui ! »
À peu près à la
même époque une nouvelle fillette vint
se joindre à la troupe des enfants
mendiants. Son père avait été
courrier postal et devait se rendre trois fois par
mois en Mongolie. Le trajet était dangereux,
car il devait forcément traverser une
rivière pleine de sables mouvants. Un jour
son cheval mit le pied sur ce terrain dangereux et,
en un instant, la monture et son cavalier furent
engloutis. On ne les revit jamais. Sa femme mourut
de chagrin et l'enfant en fut réduite
à mendier son pain.
Gwa Gwa, qui comprenait la peine des
autres, eut grand-pitié de la fillette qui
devait apprendre ainsi à pourvoir à
ses propres besoins. Elle la conduisit donc chez
ses amies et maintenant il y avait deux enfants
pour vider deux bols de soupe fumante.
Un jour, les fillettes arrivant à
l'heure du dîner, trouvèrent leurs
trois amies en train de s'installer dans leur
petite voiture.
- Nous allons faire un pique-nique,
annonça la Dame Bleue ; si vous voulez
venir avec nous, vous n'avez qu'à grimper
sur le porte-bagages.
Les fillettes, vous pouvez m'en croire,
ne se le firent pas dire deux fois. Elles
s'installèrent, les jambes pendantes,
auprès d'un grand panier qui semblait devoir
contenir d'excellentes provisions et
traversèrent ainsi la ville en jetant des
regards de triomphe sur tous leurs camarades moins
favorisés qu'elles.
Elles atteignirent ainsi un beau lac, au
milieu d'un parc merveilleux. Ici la voiture
s'arrêta ; on déballa le contenu
du panier : des gâteaux, des biscuits,
un pâté à la viande, du fruit.
Que de richesses ! Les enfants en
reçurent une large part ; elles
allèrent s'asseoir au bord du lac où
elles se régalèrent à bouche
que veux-tu. Pourtant elles n'oublièrent pas
de jeter quelques miettes aux poules d'eau et aux
cygnes qui nageaient parmi les
nénuphars.
Le soleil se couchait quand les
promeneuses rentrèrent à la maison,
juste à temps pour l'école du soir.
Les enfants les accueillirent en
criant :
- Maîtresses, vous êtes en
retard ! Tout le monde est là
excepté vous !
Gwa Gwa était encore pauvre et
bien sale, mais sa vie avait changé. Elle
avait trouvé des amies et un sûr
refuge auprès d'elles. Les amies de Gwa Gwa
allaient et venaient beaucoup et elle avait
l'habitude de les voir partir, tantôt dans
une direction et tantôt dans l'autre.
L'enfant savait aussi que partout où les
dames s'arrêtaient, une foule s'assemblait
autour d'elles ; les gens achetaient des
livres et des conversations s'engageaient. Mais de
quoi on parlait et la raison pour laquelle les gens
voulaient tant de livres, demeurait pour Gwa Gwa un
mystère indéchiffrable. Cependant ce
que les dames faisaient était
nécessairement juste et, comme elles
finissaient toujours par revenir de leurs
tournées, l'enfant acceptait tout avec calme
et sérénité.
L'été suivant cependant un
sentiment tout nouveau envahit la maison et Gwa Gwa
pressentit un désastre imminent. Elle ne
pouvait poser aucune question, mais elle releva de
multiples détails qui annonçaient
l'approche d'une absence prolongée.
Plusieurs fois la Dame Bleue la regarda
avec tant de bonté et tant de tristesse
à la fois que le coeur de Gwa Gwa se serra
comme si elle avait appris de mauvaises nouvelles.
D'autres fois la Dame Grise et grand-maman Fan,
assises sur le kang, devaient discuter très
sérieusement. Leurs lèvres
bougeaient, puis elles regardaient Gwa Gwa ;
ensuite leurs lèvres bougeaient de nouveau
et la fillette sentait que c'était d'elle
que l'on parlait. Elle devinait que la Dame Grise
disait :
- Et Gwa Gwa ? Que deviendra-t-elle
lorsque nous serons parties ?
Un matin, la pauvre enfant, arrivant
comme d'habitude dans la chère maison,
trouva des chars devant la porte et chacun
animé d'une agitation fébrile. Elle
comprit que le moment de la séparation
était là. Le coeur lui manqua et les
caresses de ses amies, accompagnées d'un
petit cadeau, ne lui apportèrent aucune
joie.
Elle s'assit sur une pierre et contempla
les préparatifs. On apporta d'abord des
ballots de livres, puis des sacs de farine, de
millet, de pain séché. Des rouleaux
de couvertures et des sacs de couchage
trouvèrent leur place sous la bâche
qui protégeait la voiture ; ensuite ce
fut le tour de la poêle à frire et de
la marmite de fonte.
Une foule d'amis assistaient à ce grand
départ. Ils avaient apporté des
gâteaux, du sucre et des feuilles de
thé comprimées en forme de briques.
Quand le tout fut casé, Gwa Gwa, soulevant
la lourde bâche, se demanda où les
trois dames trouveraient encore une petite place au
milieu de cet encombrement de marchandises
diverses.
Lorsque le chargement fut prêt, il
se fit un silence et Gwa Gwa sut qu'on allait
parler à Dieu, aussi dès qu'elle vit
que l'on chantait un cantique, elle ouvrit aussi sa
bouche et, à sa manière, joignit sa
voix étrange à celle des
autres.
Alors les dames prirent congé,
s'inclinant poliment devant les uns et les autres,
mais lorsqu'elles arrivèrent auprès
de la petite solitaire, elles lui
caressèrent la main avec tendresse et
l'enfant réalisa que de longtemps, elle ne
les reverrait plus.
Aussitôt, elle prit une grande
résolution. Coûte que coûte et
où qu'elles aillent, elle suivrait ses
amies. Le charretier fit claquer son fouet, les
mules tirèrent dans les brancards et le
lourd véhicule s'ébranla. Gwa Gwa,
son bâton à la main, suivait par
derrière, tant bien que mal, le long de la
rue, franchissant les portes de la ville et les
faubourgs surpeuplés. Enfin on atteignit la
campagne. Les mules trottaient toujours ; Gwa
Gwa se sentait presque à bout de forces,
mais elle ne perdait pas la voiture de vue. Bien
souvent déjà. l'une ou l'autre des
dames lui avait fait signe de retourner à la
ville et lorsque enfin on s'engagea dans le chemin
raboteux qui s'en allait à. travers les
rizières, la Dame Bleue sauta du char et
revint auprès de Gwa Gwa.
- Tu dois retourner, mon enfant, tu le
dois.
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