Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LE CARREFOUR

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 Ceux qui ont vécu et réfléchi sérieusement aux questions que pose la vie humaine ont, sans doute, déjà rencontré ce que nous appellerons des carrefours où se cache et se révèle, tout à la fois, la vérité qui sauve.
Suivant la route des exigences de la conscience, par exemple, ils ont entrevu vers quel terme ces exigences tendent, irrésistiblement.
Prenant ensuite cette autre route, partie d'un autre point de l'horizon, que tracent les ambitions d'un coeur qui aime, ils ont été comme contraints d'imaginer vers quel but s'oriente ce grand amour.
Lisant, enfin, les Écritures et y déchiffrant le tracé d'une route providentielle, ils ont deviné à quel lieu de drame et de gloire aboutit ce que l'on appelle la voie du salut.

Et puis, un beau jour, à la suite d'une longue et pieuse étude ou tout à coup, l'âme en quête de l'éternelle vérité s'est aperçue que ces chemins convergent vers un même centre, se rencontrent en un même carrefour. Et c'est en cet endroit même, ô merveille, que brille l'évidence libératrice, c'est là que s'opère cette trouvaille unique en son genre qui est la trouvaille.
Peut-être la description que nous venons de donner paraît-elle à quiconque un peu obscure, un peu abstraite, malgré l'image qui la pare.

Engageons-nous donc successivement dans chacune des trois routes que nous avons indiquées et nous verrons, de nos yeux, où elles mènent. Nous serons ainsi conduits au divin carrefour.
Voici d'abord la route des exigences de la conscience. Quelle est-elle et où tend-elle? Cette route, bien entendu, pourrait être considérée en divers points de son tracé. Nous n'en retenons qu'un seul. Prenant la conscience après que l'homme a désobéi aux saintes injonctions de la loi, nous demandons où cette conscience entend conduire le coupable.
Nous répondons : Cette conscience cherche ardemment l'expiation de la faute dans une punition volontaire. Là-bas, au bout d'une montée douloureuse, elle entrevoit, elle espère le repos. Quand ce terme, encore dissimulé au regard, sera-t-il atteint? Comment sera-t-il atteint? Le sera-t-il jamais? Ces questions ne reçoivent que des réponses incomplètes. Il n'importe, le coupable se met en marche et, de toute son âme, il s'efforce de parvenir au but.

Voulez-vous des exemples? En voici un emprunté à nos souvenirs.
Un homme, autrefois alcoolique, avait, au cours d'une rixe après boire, frappé mortellement d'un coup de couteau, un de ses compagnons. Jugé et condamné, le malheureux avait purgé sa peine. Puis, libéré, il s'était retiré en un coin perdu, vivant misérablement et gagnant à grand'peine son pain. Un spectateur non prévenu eût pu croire cet homme intérieurement tranquille. De fait il ne l'était point. Il avait avoué aux confidents de ses pensées sa constante torture. Et savez-vous ce qu'il disait, alors que le vin ou la bonté d'une âme charitable le rendait disert? Il s'écriait: « Je ferais bien deux ans de pénitencier de plus et puis que ça ne soit pas vrai ! »

Profonde et juste pensée! Sens naturel des exigences de la conscience! Voyez-vous, comme de vos yeux, où tend la route que nous considérons? Elle tend à une suppression du remords par des expiations suffisantes. « Deux ans de pénitencier », c'est beaucoup dire, mais ce n'est pas trop aux yeux de la conscience. « Et puis que ça ne soit pas vrai », c'est-à-dire: que je sois de nouveau comme un homme qui n'a pas tué. - Impossible ! pauvre vieux.
Et si pourtant, espère obstinément l'âme qui souffre, cette impossibilité devenait possible!
Il serait facile de multiplier de semblables exemples.

Mais vous direz peut-être : « Vous vous faites la tâche trop facile, vous prenez un cas extrême. Votre affirmation cesserait d'être vraie si vous envisagiez la vie médiocre, mais pas tragique, de la masse »
Croyez-vous? Pour nous, nous avons la certitude qu'il n'en est rien. Nous affirmons que toute conscience d'homme, dûment réveillée, visera à l'expiation avec autant de régularité que met l'aiguille aimantée d'une boussole à se tourner vers le Nord.

Regardez donc à vous-même! Vous savez ce que c'est que le remords. Il vous est arrivé, hélas 1 de faire souffrir quelqu'un que vous aimiez et de chercher ensuite, avec une âpre énergie, à expier vos méchantes paroles ou vos actes indignes. Mari, t'es-tu pardonné gratuitement telle offense faite à ton épouse? Femme, as-tu si aisément passé l'éponge sur ce coupable abandon à un amour défendu? Parents ou éducateurs, avez-vous oublié allégrement les brutalités infligées à un. enfant, dans une minute de colère? Non, non, vous dis-je, vous n'avez pas pu effacer cette tache sans tenter d'expier. Vous avez pleuré et espéré que vos larmes amères enlèveraient la souillure. Vous avez demandé pardon, cherché à mieux faire et vous avez espéré que ces efforts d'humiliation et de bonne volonté compenseraient la faute.

Pour corroborer les données de notre propre expérience regardons autour de nous. Il y a, dans nos cimetières, des monuments funéraires qui proclament autre chose que la fidélité d'un pieux amour. Vous ne l'ignorez pas. Il en est dont le prix, trop élevé pour la bourse qui le paya, expie les avanies que les vivants ont fait subir au disparu.
De même, certaines générosités - munificences de la libéralité ou actes de dévouement - n'ont pas d'autre sens. C'est en souvenir d'un défunt, sans doute, que l'on a donné, mais, sans l'avouer, c'est pour expier d'impardonnables forfaits.

Nous avons décrit ce qui se passe quand l'homme offense l'homme, pensez-vous que ce que nous en avons dit soit moins juste quand l'homme offense Dieu? Ce serait, en vérité, bien extraordinaire!

En réalité, ce qui se passe dans nos relations humaines troublées par le mal, se retrouve, élevé à la centième puissance, lorsqu'il s'agit de nos rapports avec le Dieu saint. Là aussi, là surtout, toute désobéissance et toute incrédulité coupable jette la conscience dans un trouble mortel et la pousse vers les expiations, avec une lueur d'espoir, parfois bien faible, d'aboutir à la paix. Voyez Pierre renégat. « Il sortit, nous est-il dit, et pleura amèrement (Matt. XXVI, 75.). » C'est qu'il n'a pas offensé son frère seulement ni même seulement son maître, il a offensé son Seigneur et son Dieu.
Ah! comme nous comprenons Judas qui, traître au Christ, a jeté dans le gouffre de son remords les trente pièces d'argent : tentative désespérée pour expier.

Une heure sonne toujours dans la vie de ceux à qui Dieu s'est révélé et qui l'ont repoussé, une heure tragique où ils voient leur condamnation, où, anxieusement, ils se demandent comment ils pourront découvrir et porter la juste peine de leurs infidélités et, ce faisant, espérer la paix.
Vous le voyez, les exigences de la conscience tracent inévitablement la route qui tend vers l'expiation consommée.

Et maintenant, venez avec nous. Par la pensée, nous allons nous engager dans la seconde route.
Considérons les ambitions d'un coeur qui aime. Où mènent-elles?
Nous répétons ici ce que nous disions tout à l'heure. On peut envisager en diverses parties de son parcours cette voie sacrée. Considérons-la en une seule de ses étapes. Où le coeur aimant et intègre s'en va-t-il, quand l'objet de son amour est coupable?
Ne le savez-vous pas? Ce coeur, par un geste spontané de sympathie profonde, par un impérieux besoin de se solidariser, pour le sauver, avec celui qui se perd, ce coeur prend sur lui les souillures du malheureux. Il les fait siennes et s'efforce, avec une véhémence douloureuse, d'en apporter aux hommes ou à Dieu l'équivalence, dans un repentir, dans une souffrance, dans une réparation qui expieront les fautes commises.

Tenez, allons au sanctuaire de l'amour le plus pur que la terre offre à nos regards. Contemplons ce que devient un coeur maternel en face d'un fils coupable. Lui, ce fils, léger peut-être et dur comme la pierre, ne souffre point de ses désordres. Il a volé et il n'en meurt point de honte. Il s'est livré à la débauche et il parcourt les rues d'un air dégagé. Il a menti, ou blessé la tendresse des siens. Sa conscience, endormie encore, n'est pas de force à l'engager sur la route des expiations.

Et sa mère? Sa mère, femme pieuse et pure, va-t-elle abandonner son enfant, va-t-elle, du haut de sa propre dignité, le condamner? Ce serait mal connaître les divines ressources du coeur maternel que de le supposer.
Elle va aimer quand même. Son amour grandira de la connaissance du danger couru. Son amour souffrira, son amour se repentira, son amour expiera, son amour espérera le salut du coupable.

Regardez! La voilà, cette mère, comme vêtue de deuil. Elle s'en va, l'air désolé, vers la demeure d'une famille que les mauvaises passions de son fils ont déshonorée. Que va-t-elle faire là? Suivez-la. Elle entre, elle ne craint ni les rudesses du chef de famille ni ses reproches; elle accepte d'avance toutes les mortifications. Et, quand elle est face à face avec celui que son fils a outragé, elle se prosterne presque, tant est grande sa honte, tant est ardent son désir de demander pardon. Oh ! comme elle s'humilie, comme elle offre tout ce que l'on peut offrir pour réparer! Des démarches? de l'argent? Tout ! n'importe quoi! pourvu qu'elle puisse expier les fautes du prodigue. Il n'y a rien - pas même sa vie - qu'elle ne donnerait pour assurer le salut de son bien-aimé.

La réaction est plus vive encore quand l'offense est conçue comme un outrage au Dieu vivant. Dans le journal intime d'une mère, nous trouvons la déclaration que voici « Il me semble que j'accepterais volontiers l'enfer pour l'éternité pourvu que nos enfants soient sauvés. Eux, eux, eux, avant tout ! 0 Dieu ! exauce ce cri d'une mère. » Et encore cette prière : « Ne t'en prends qu'à moi, Seigneur, je t'en conjure, s'il t'a offensé (il s'agit d'un fils) pardonne-lui ! pardonne-moi ! pardonne-nous ! et sauve-nous ! ».

Ces cris de l'amour maternel, si déchirants et si vrais, se passent de commentaires.
Dites si le coeur qui aime saintement ne rêve pas d'une expiation que lui-même prendrait à sa charge et achèverait à n'importe quel prix?
Oh ! sainte via dolorosa où tant d'âmes maternelles ou fraternelles, tant d'âmes sacerdotales, se sont vaillamment engagées. Qui dira les détresses et les agonies, les défaillances et les redressements dont chaque pierre de la route pourrait parler? Et qui dira les espoirs qui ont soutenu, dans la marche, ceux qui souffraient par amour?

Et maintenant nous vous prenons vous-mêmes à témoin. Peut-être votre propre amour a-t-il été, jusqu'ici, tellement indigent que ces mystères vous soient comme scellés. Vous avez connu l'amour qui aide et qui pardonne, vous n'avez pas connu l'amour qui expie. Pourtant, n'est-ce pas, vous êtes contraints de reconnaître que c'est vraiment là aimer. Vous jugez sévèrement votre propre tiédeur. Bien loin de taxer d'exagération les labeurs de ceux qui disent, avec Mme de Pressensé : « J'aime et je veux souffrir », vous estimez que l'humanité serait découronnée si l'on rayait de son histoire le souvenir de ces héros de la charité. Vous faites plus encore, sans doute. Bénissant Dieu pour les premiers signes d'un amour semblable dans votre coeur, vous demandez au Père de vous rendre plus aimants encore.

Et vous convenez, avec nous, que la route prise a bien le tracé que nous avons décrit et vise bien au terme sublime que nous avons entrevu.




Cela étant, une question se pose.
Ces deux chemins atteignent-ils jamais, de manière certaine, le but visé?
Vient-il un moment où le coupable est sûr d'avoir satisfait, pleinement satisfait, aux exigences de la justice? un moment où le coeur qui aime est enfin conscient d'avoir racheté le coupable?
Hélas ! la réponse qui s'impose est douloureusement claire. Non! la route n'aboutit point au but. Non 1 la conscience et le coeur, avides d'absolu, ne peuvent jamais conclure que le dénouement entrevu est survenu. Certains que la route ne les a pas trompés, que c'est bien là qu'il faut aller, coûte que coûte, les pauvres pèlerins harcelés, s'exténuent vers un mirage.
Oh ! quelle misère ! si nous n'avions rien de plus à dire, si l'humanité était vouée à cette fatalité : marcher vers un but éternellement inaccessible.
Mais l'évangile de Jésus-Christ est là.

Voici, les routes humaines n'égarent point. Elles sont comme autant de prophéties. Elles nous amènent, par le fait même qu'elles laissent voir le terme et n'y parviennent jamais, à découvrir, avec allégresse, la route divine. Celle-ci existe, celle-ci aboutit, parce qu'elle conduit au carrefour où se découvre, radieuse et parfaite, l'oeuvre toujours entrevue et jamais réalisée.
Regardez ! regardez avec votre âme, regardez et bénissez!

Il serait facile de montrer que, dès les origines, le peuple d'Israël a été éduqué de telle sorte que le besoin d'une expiation soit entretenu dans sa conscience.
Tout le cérémonial des sacrifices légaux marquait, d'une part, la nécessité d'une expiation et, d'autre part, l'incapacité de l'homme à l'assurer lui-même. Le message des prophètes ou des psalmistes, s'il élève à plus de spiritualité la pensée morale d'Israël, ne contredit point à ces exigences fondamentales de la loi. Il suffit, pour s'en convaincre, d'évoquer ici la vision du Serviteur souffrant, dans la prédication d'Esaïe.
Mais hâtons-nous vers la pleine lumière et arrêtons-nous devant Jésus-Christ.

Comment Jésus a-t-il envisagé les routes mystérieusement tracées dans la conscience du coupable ou dans le coeur compatissant?
Aurait-il fait observer, dans sa sagesse, qu'elles ne peuvent aboutir? Aurait-il arrêté, dans leur marche sans terme, les pauvres âmes fatiguées? C'eût été un acte d'apparente miséricorde, en vérité. Et cet acte, beaucoup de consolateurs, aussi maladroits que bien intentionnés, le font: « Paix, paix, disent-ils, et il n'y a point de paix. Ils pansent à la légère la plaie de mon peuple (Jér. VI, 14.). »
Jésus ne l'a jamais fait.

Jésus a, au contraire, aiguisé jusqu'à l'extrême, le sens de la culpabilité humaine. Il a mis à nu, avec une impitoyable sévérité, les racines mêmes de tout mal. Il en a tant dit que plus personne, en présence de ses saintes revendications, ne peut se croire moralement en santé. Il a dénoncé le manque de véracité jusque dans les serments qui accompagnent le oui; il a dénoncé l'impudicité jusque dans le regard de la convoitise; il a dénoncé le manque d'amour, l'hypocrisie et l'incrédulité vous savez avec quelle rigueur.
Et il n'a jamais dit que les hommes coupables de ces fautes ne seraient point punis. Il a éveillé, avec le sens du péché et le remords, la crainte salutaire du jugement de Dieu.

Plus que cela. Il a manifesté, par la manière dont il a souffert les dédains, les haines et l'injuste condamnation, combien grave était l'état moral et religieux de sa génération. Sa présence au milieu d'elle a mis le comble au crime de son peuple. La sainte patience de Jésus n'a épargné aux consciences droites aucune révélation sur la méchanceté de l'homme. Il a fallu tout voir, jusqu'à ce geste horrible par lequel notre race déchue a expulsé de son sein, avec un raffinement de malveillance et de violence, le représentant de Dieu. Il a fallu constater que les mobiles inspirateurs de ce meurtre s'agitent ou sommeillent dans tous les coeurs humains.

C'était donner au péché toute sa tragique réalité. C'était mettre tout pécheur sous le coup du juste jugement de Dieu.

Inévitablement, la question se pose, plus instante que jamais : comment expier un tel crime, sommaire tragique de toutes les fautes humaines? Les pardons n'y suffisent point. Va donc, conscience tourmentée, va sur la route vers l'expiation. Jésus ne t'y arrête point, il t'y pousse.
Mais, ô délivrance ! en Christ il n'y a pas seulement le divin dénonciateur du mal, il y a l'incarnation des divines compassions. Jésus juge le péché, mais il aime le pécheur. Il l'aime d'un tel amour, qu'il éprouve, du péché de celui-ci, une douleur plus cuisante que le coupable ne sait l'éprouver lui-même. Ce que cette mère ressentait, il le ressent mille fois davantage. Ce que cette mère tentait de faire pour amener son fils à la repentance et pour expier la faute, il le réalise.
Il se solidarise, pour mieux souffrir, pour mieux avoir honte, pour mieux intercéder, pour mieux prendre sur son coeur l'horreur du châtiment.

Regardez-le, quand il descend au Jourdain pour recevoir le baptême. Que fait-il là, lui l'homme intègre absolument? - Il demande pardon pour les autres dont le crime le hante.

Regardez-le, en Gethsémané. Que fait-il là, le Fils sans reproche qui n'a jamais laissé l'ombre d'un nuage se glisser entre son Père et lui? Que fait-il là, agonisant et suppliant, suant une sanglante sueur? - Il tremble à la perspective de porter toute la peine que nous méritons, mais il accepte de la porter. « Mon Père, s'il est possible, que cette coupe s'éloigne de moi ! Toutefois non pas ce que je veux, mais ce que tu veux ! ( Matt. XXVI, 39.). »

Regardez-le, en Golgotha. Que fait-il sur cette croix d'infamie? Que fait-il sur ce gibet des condamnés? Subit-il seulement l'injustice des hommes? - Il le pourrait faire dans la paix de Dieu et dans le tranquille courage de la foi.
Mais non ! ce n'est pas cela. Le voilà, ce mourant, qui jette un tragique appel, dans la détresse d'une mort de l'âme plus redoutable que la mort corporelle : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné (Matt. XXVII, 46.)? »

Que fait-il là, je vous le demande?
- Frères, il poursuit son oeuvre. Frères, il expie. Frères, il consomme notre Rédemption. « Il est blessé pour nos péchés, brisé pour nos iniquités. Le châtiment qui nous donne la paix est tombé sur lui et c'est par ses meurtrissures que nous sommes guéris (Es. LIII, 5.). »
« Tout est accompli (Jean XIX, 30.) », s'écrie le Sauveur en rendant l'esprit.

Pour que nul n'ignore que tel est bien son divin programme, Jésus a, d'avance, interprété sa mort salvatrice. « Le Fils de l'homme est venu, dit-il, non pour être servi mais pour servir et pour donner sa vie en rançon pour plusieurs (Matt. XX, 28.) ». Et, lors du dernier souper, célébré à l'occasion de la Pâque juive, Jésus s'est identifié avec l'agneau pascal, immolé dans la nuit de la surnaturelle délivrance. « Ceci est mon corps, dit-il en distribuant le pain à ses apôtres, qui est donné pour vous. Cette coupe, dit-il en leur passant le vin, est la nouvelle alliance en mon sang qui est répandu pour vous (Luc XXII, 19 et 20.). »

Ainsi, ce que toutes les consciences éveillées ont proclamé nécessaire, il l'accomplit au nom des pécheurs. Ainsi, ce que tous ceux qui aiment, en une imparfaite ébauche ont essayé de faire, il le fait parfaitement et une fois pour toutes.

Est-ce que vous discernez le mystérieux carrefour ? Voyez-vous ces trois routes qui se rejoignent en Christ et par Christ? La route des exigences de la conscience, la route des ambitions de l'amour, la route divine de la Rédemption par le sang de Christ?




Que nous reste-t-il à faire? Une seule chose. Au clair sur notre culpabilité, accepter, dans un acte d'humble foi, le salut que Jésus-Christ nous a acquis et vouer notre vie, sans partage, à celui qui a droit de propriété sur elle.
Plus que cela. Engagés nous-mêmes dans les agonies de l'amour qui veut sauver, réalisons que la rédemption n'est pas notre oeuvre à nous. Continuons à en vivre certaines douleurs, comme saint Paul qui « achevait en sa chair » les souffrances de Jésus-Christ, mais rappelons-nous que notre tâche consiste toujours à tourner vers le Christ les regards des hommes. Que le peu d'amour solidaire, le peu de honte solidaire, le peu de douleur solidaire dont nous sommes capables, soit une constante invite à lever les yeux vers l'oeuvre unique et suffisante du Christ de Dieu!

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(1) Prédication prononcée au studio du Radio-Berne, en 1927. 
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