(1)
Ceux qui ont vécu et
réfléchi sérieusement aux
questions que pose la vie humaine ont, sans doute,
déjà rencontré ce que nous
appellerons des carrefours où se cache et se
révèle, tout à la fois, la
vérité qui sauve.
Suivant la route des exigences de la
conscience, par exemple, ils ont entrevu vers quel
terme ces exigences tendent,
irrésistiblement.
Prenant ensuite cette autre route,
partie d'un autre point de l'horizon, que tracent
les ambitions d'un coeur qui aime, ils ont
été comme contraints d'imaginer vers
quel but s'oriente ce grand amour.
Lisant, enfin, les Écritures et y
déchiffrant le tracé d'une route
providentielle, ils ont deviné à quel
lieu de drame et de gloire aboutit ce que l'on
appelle la voie du salut.
Et puis, un beau jour, à la suite
d'une longue et pieuse étude ou tout
à coup, l'âme en quête de
l'éternelle vérité s'est
aperçue que ces chemins convergent vers un
même centre, se rencontrent en un même
carrefour. Et c'est en cet endroit même,
ô merveille, que brille l'évidence
libératrice, c'est là que
s'opère cette trouvaille unique en son genre
qui est la trouvaille.
Peut-être la description que nous
venons de donner paraît-elle à
quiconque un peu obscure, un peu abstraite,
malgré l'image qui la pare.
Engageons-nous donc successivement dans
chacune des trois routes que nous avons
indiquées et nous verrons, de nos yeux,
où elles mènent. Nous serons ainsi
conduits au divin carrefour.
Voici d'abord la route des exigences de
la conscience. Quelle est-elle et où
tend-elle? Cette route, bien entendu, pourrait
être considérée en divers
points de son tracé. Nous n'en retenons
qu'un seul. Prenant la conscience après que
l'homme a désobéi aux saintes
injonctions de la loi, nous demandons où
cette conscience entend conduire le
coupable.
Nous répondons : Cette conscience
cherche ardemment l'expiation de la faute dans une
punition volontaire. Là-bas, au bout d'une
montée douloureuse, elle entrevoit, elle
espère le repos. Quand ce terme, encore
dissimulé au regard, sera-t-il atteint?
Comment sera-t-il atteint? Le sera-t-il jamais? Ces
questions ne reçoivent que des
réponses incomplètes. Il n'importe,
le coupable se met en marche et, de toute son
âme, il s'efforce de parvenir au but.
Voulez-vous des exemples? En voici un
emprunté à nos souvenirs.
Un homme, autrefois alcoolique, avait,
au cours d'une rixe après boire,
frappé mortellement d'un coup de couteau, un
de ses compagnons. Jugé et condamné,
le malheureux avait purgé sa peine. Puis,
libéré, il s'était
retiré en un coin perdu, vivant
misérablement et gagnant à
grand'peine son pain. Un spectateur non
prévenu eût pu croire cet homme
intérieurement tranquille. De fait il ne
l'était point. Il avait avoué aux
confidents de ses pensées sa constante
torture. Et savez-vous ce qu'il disait, alors que
le vin ou la bonté d'une âme
charitable le rendait disert? Il s'écriait:
« Je ferais bien deux ans de
pénitencier de plus et puis que ça ne
soit pas vrai ! »
Profonde et juste pensée! Sens
naturel des exigences de la conscience! Voyez-vous,
comme de vos yeux, où tend la route que nous
considérons? Elle tend à une
suppression du remords par des expiations
suffisantes. « Deux ans de pénitencier
», c'est beaucoup dire, mais ce n'est pas trop
aux yeux de la conscience. « Et puis que
ça ne soit pas vrai »,
c'est-à-dire: que je sois de nouveau comme
un homme qui n'a pas tué. - Impossible !
pauvre vieux.
Et si pourtant, espère
obstinément l'âme qui souffre, cette
impossibilité devenait possible!
Il serait facile de multiplier de
semblables exemples.
Mais vous direz peut-être : «
Vous vous faites la tâche trop facile, vous
prenez un cas extrême. Votre affirmation
cesserait d'être vraie si vous envisagiez la
vie médiocre, mais pas tragique, de la masse
»
Croyez-vous? Pour nous, nous avons la
certitude qu'il n'en est rien. Nous affirmons que
toute conscience d'homme, dûment
réveillée, visera à
l'expiation avec autant de
régularité que met l'aiguille
aimantée d'une boussole à se tourner
vers le Nord.
Regardez donc à vous-même!
Vous savez ce que c'est que le remords. Il vous est
arrivé, hélas 1 de faire souffrir
quelqu'un que vous aimiez et de chercher ensuite,
avec une âpre énergie, à expier
vos méchantes paroles ou vos actes indignes.
Mari, t'es-tu pardonné gratuitement telle
offense faite à ton épouse? Femme,
as-tu si aisément passé
l'éponge sur ce coupable abandon à un
amour défendu? Parents ou éducateurs,
avez-vous oublié allégrement les
brutalités infligées à un.
enfant, dans une minute de colère? Non, non,
vous dis-je, vous n'avez pas pu effacer cette tache
sans tenter d'expier. Vous avez pleuré et
espéré que vos larmes amères
enlèveraient la souillure. Vous avez
demandé pardon, cherché à
mieux faire et vous avez espéré que
ces efforts d'humiliation et de bonne
volonté compenseraient la faute.
Pour corroborer les données de
notre propre expérience regardons autour de
nous. Il y a, dans nos cimetières, des
monuments funéraires qui proclament autre
chose que la fidélité d'un pieux
amour. Vous ne l'ignorez pas. Il en est dont le
prix, trop élevé pour la bourse qui
le paya, expie les avanies que les vivants ont fait
subir au disparu.
De même, certaines
générosités - munificences de
la libéralité ou actes de
dévouement - n'ont pas d'autre sens. C'est
en souvenir d'un défunt, sans doute, que
l'on a donné, mais, sans l'avouer, c'est
pour expier d'impardonnables forfaits.
Nous avons décrit ce qui se passe
quand l'homme offense l'homme, pensez-vous que ce
que nous en avons dit soit moins juste quand
l'homme offense Dieu? Ce serait, en
vérité, bien extraordinaire!
En réalité, ce qui se
passe dans nos relations humaines troublées
par le mal, se retrouve, élevé
à la centième puissance, lorsqu'il
s'agit de nos rapports avec le Dieu saint.
Là aussi, là surtout, toute
désobéissance et toute
incrédulité coupable jette la
conscience dans un trouble mortel et la pousse vers
les expiations, avec une lueur d'espoir, parfois
bien faible, d'aboutir à la paix. Voyez
Pierre renégat. « Il sortit, nous
est-il dit, et pleura amèrement
(Matt.
XXVI, 75.). » C'est qu'il
n'a pas offensé son frère seulement
ni même seulement son maître, il a
offensé son Seigneur et son Dieu.
Ah! comme nous comprenons Judas qui,
traître au Christ, a jeté dans le
gouffre de son remords les trente pièces
d'argent : tentative
désespérée pour
expier.
Une heure sonne toujours dans la vie de
ceux à qui Dieu s'est
révélé et qui l'ont
repoussé, une heure tragique où ils
voient leur condamnation, où, anxieusement,
ils se demandent comment ils pourront
découvrir et porter la juste peine de leurs
infidélités et, ce faisant,
espérer la paix.
Vous le voyez, les exigences de la
conscience tracent inévitablement la route
qui tend vers l'expiation consommée.
Et maintenant, venez avec nous. Par la
pensée, nous allons nous engager dans la
seconde route.
Considérons les ambitions d'un
coeur qui aime. Où
mènent-elles?
Nous répétons ici ce que
nous disions tout à l'heure. On peut
envisager en diverses parties de son parcours cette
voie sacrée. Considérons-la en une
seule de ses étapes. Où le coeur
aimant et intègre s'en va-t-il, quand
l'objet de son amour est coupable?
Ne le savez-vous pas? Ce coeur, par un
geste spontané de sympathie profonde, par un
impérieux besoin de se solidariser, pour le
sauver, avec celui qui se perd, ce coeur prend sur
lui les souillures du malheureux. Il les fait
siennes et s'efforce, avec une
véhémence douloureuse, d'en apporter
aux hommes ou à Dieu l'équivalence,
dans un repentir, dans une souffrance, dans une
réparation qui expieront les fautes
commises.
Tenez, allons au sanctuaire de l'amour
le plus pur que la terre offre à nos
regards. Contemplons ce que devient un coeur
maternel en face d'un fils coupable. Lui, ce fils,
léger peut-être et dur comme la
pierre, ne souffre point de ses désordres.
Il a volé et il n'en meurt point de honte.
Il s'est livré à la débauche
et il parcourt les rues d'un air
dégagé. Il a menti, ou blessé
la tendresse des siens. Sa conscience, endormie
encore, n'est pas de force à l'engager sur
la route des expiations.
Et sa mère? Sa mère, femme
pieuse et pure, va-t-elle abandonner son enfant,
va-t-elle, du haut de sa propre dignité, le
condamner? Ce serait mal connaître les
divines ressources du coeur maternel que de le
supposer.
Elle va aimer quand même. Son
amour grandira de la connaissance du danger couru.
Son amour souffrira, son amour se repentira, son
amour expiera, son amour espérera le salut
du coupable.
Regardez! La voilà, cette
mère, comme vêtue de deuil. Elle s'en
va, l'air désolé, vers la demeure
d'une famille que les mauvaises passions de son
fils ont déshonorée. Que va-t-elle
faire là? Suivez-la. Elle entre, elle ne
craint ni les rudesses du chef de famille ni ses
reproches; elle accepte d'avance toutes les
mortifications. Et, quand elle est face à
face avec celui que son fils a outragé, elle
se prosterne presque, tant est grande sa honte,
tant est ardent son désir de demander
pardon. Oh ! comme elle s'humilie, comme elle offre
tout ce que l'on peut offrir pour réparer!
Des démarches? de l'argent? Tout ! n'importe
quoi! pourvu qu'elle puisse expier les fautes du
prodigue. Il n'y a rien - pas même sa vie -
qu'elle ne donnerait pour assurer le salut de son
bien-aimé.
La réaction est plus vive encore
quand l'offense est conçue comme un outrage
au Dieu vivant. Dans le journal intime d'une
mère, nous trouvons la déclaration
que voici « Il me semble que j'accepterais
volontiers l'enfer pour l'éternité
pourvu que nos enfants soient sauvés. Eux,
eux, eux, avant tout ! 0 Dieu ! exauce ce cri d'une
mère. » Et encore cette prière :
« Ne t'en prends qu'à moi, Seigneur, je
t'en conjure, s'il t'a offensé (il s'agit
d'un fils) pardonne-lui ! pardonne-moi !
pardonne-nous ! et sauve-nous ! ».
Ces cris de l'amour maternel, si
déchirants et si vrais, se passent de
commentaires.
Dites si le coeur qui aime saintement ne
rêve pas d'une expiation que lui-même
prendrait à sa charge et achèverait
à n'importe quel prix?
Oh ! sainte via dolorosa où tant
d'âmes maternelles ou fraternelles, tant
d'âmes sacerdotales, se sont vaillamment
engagées. Qui dira les détresses et
les agonies, les défaillances et les
redressements dont chaque pierre de la route
pourrait parler? Et qui dira les espoirs qui ont
soutenu, dans la marche, ceux qui souffraient par
amour?
Et maintenant nous vous prenons
vous-mêmes à témoin.
Peut-être votre propre amour a-t-il
été, jusqu'ici, tellement indigent
que ces mystères vous soient comme
scellés. Vous avez connu l'amour qui aide et
qui pardonne, vous n'avez pas connu l'amour qui
expie. Pourtant, n'est-ce pas, vous êtes
contraints de reconnaître que c'est vraiment
là aimer. Vous jugez
sévèrement votre propre
tiédeur. Bien loin de taxer
d'exagération les labeurs de ceux qui
disent, avec Mme de Pressensé : «
J'aime et je veux souffrir », vous estimez que
l'humanité serait découronnée
si l'on rayait de son histoire le souvenir de ces
héros de la charité. Vous faites plus
encore, sans doute. Bénissant Dieu pour les
premiers signes d'un amour semblable dans votre
coeur, vous demandez au Père de vous rendre
plus aimants encore.
Et vous convenez, avec nous, que la
route prise a bien le tracé que nous avons
décrit et vise bien au terme sublime que
nous avons entrevu.
Cela étant, une question se pose.
Ces deux chemins atteignent-ils jamais,
de manière certaine, le but
visé?
Vient-il un moment où le coupable
est sûr d'avoir satisfait, pleinement
satisfait, aux exigences de la justice? un moment
où le coeur qui aime est enfin conscient
d'avoir racheté le coupable?
Hélas ! la réponse qui
s'impose est douloureusement claire. Non! la route
n'aboutit point au but. Non 1 la conscience et le
coeur, avides d'absolu, ne peuvent jamais conclure
que le dénouement entrevu est survenu.
Certains que la route ne les a pas trompés,
que c'est bien là qu'il faut aller,
coûte que coûte, les pauvres
pèlerins harcelés, s'exténuent
vers un mirage.
Oh ! quelle misère ! si nous
n'avions rien de plus à dire, si
l'humanité était vouée
à cette fatalité : marcher vers un
but éternellement inaccessible.
Mais l'évangile de
Jésus-Christ est là.
Voici, les routes humaines
n'égarent point. Elles sont comme autant de
prophéties. Elles nous amènent, par
le fait même qu'elles laissent voir le terme
et n'y parviennent jamais, à
découvrir, avec allégresse, la route
divine. Celle-ci existe, celle-ci aboutit, parce
qu'elle conduit au carrefour où se
découvre, radieuse et parfaite, l'oeuvre
toujours entrevue et jamais
réalisée.
Regardez ! regardez avec votre
âme, regardez et bénissez!
Il serait facile de montrer que,
dès les origines, le peuple d'Israël a
été éduqué de telle
sorte que le besoin d'une expiation soit entretenu
dans sa conscience.
Tout le cérémonial des
sacrifices légaux marquait, d'une part, la
nécessité d'une expiation et, d'autre
part, l'incapacité de l'homme à
l'assurer lui-même. Le message des
prophètes ou des psalmistes, s'il
élève à plus de
spiritualité la pensée morale
d'Israël, ne contredit point à ces
exigences fondamentales de la loi. Il suffit, pour
s'en convaincre, d'évoquer ici la vision du
Serviteur souffrant, dans la prédication
d'Esaïe.
Mais hâtons-nous vers la pleine
lumière et arrêtons-nous devant
Jésus-Christ.
Comment Jésus a-t-il
envisagé les routes mystérieusement
tracées dans la conscience du coupable ou
dans le coeur compatissant?
Aurait-il fait observer, dans sa
sagesse, qu'elles ne peuvent aboutir? Aurait-il
arrêté, dans leur marche sans terme,
les pauvres âmes fatiguées?
C'eût été un acte d'apparente
miséricorde, en vérité. Et cet
acte, beaucoup de consolateurs, aussi maladroits
que bien intentionnés, le font: « Paix,
paix, disent-ils, et il n'y a point de paix. Ils
pansent à la légère la plaie
de mon peuple
(Jér.
VI, 14.). »
Jésus ne l'a jamais fait.
Jésus a, au contraire,
aiguisé jusqu'à l'extrême, le
sens de la culpabilité humaine. Il a mis
à nu, avec une impitoyable
sévérité, les racines
mêmes de tout mal. Il en a tant dit que plus
personne, en présence de ses saintes
revendications, ne peut se croire moralement en
santé. Il a dénoncé le manque
de véracité jusque dans les serments
qui accompagnent le oui; il a dénoncé l'impudicité
jusque dans
le regard de la convoitise; il a
dénoncé le manque d'amour,
l'hypocrisie et l'incrédulité vous
savez avec quelle rigueur.
Et il n'a jamais dit que les hommes
coupables de ces fautes ne seraient point punis. Il
a éveillé, avec le sens du
péché et le remords, la crainte
salutaire du jugement de Dieu.
Plus que cela. Il a manifesté,
par la manière dont il a souffert les
dédains, les haines et l'injuste
condamnation, combien grave était
l'état moral et religieux de sa
génération. Sa présence au
milieu d'elle a mis le comble au crime de son
peuple. La sainte patience de Jésus n'a
épargné aux consciences droites
aucune révélation sur la
méchanceté de l'homme. Il a fallu
tout voir, jusqu'à ce geste horrible par
lequel notre race déchue a expulsé de
son sein, avec un raffinement de malveillance et de
violence, le représentant de Dieu. Il a
fallu constater que les mobiles inspirateurs de ce
meurtre s'agitent ou sommeillent dans tous les
coeurs humains.
C'était donner au
péché toute sa tragique
réalité. C'était mettre tout
pécheur sous le coup du juste jugement de
Dieu.
Inévitablement, la question se
pose, plus instante que jamais : comment expier un
tel crime, sommaire tragique de toutes les fautes
humaines? Les pardons n'y suffisent point. Va donc,
conscience tourmentée, va sur la route vers
l'expiation. Jésus ne t'y arrête
point, il t'y pousse.
Mais, ô délivrance ! en
Christ il n'y a pas seulement le divin
dénonciateur du mal, il y a l'incarnation
des divines compassions.
Jésus juge le péché, mais il
aime le pécheur. Il l'aime d'un tel amour,
qu'il éprouve, du péché de
celui-ci, une douleur plus cuisante que le coupable
ne sait l'éprouver lui-même. Ce que
cette mère ressentait, il le ressent mille
fois davantage. Ce que cette mère tentait de
faire pour amener son fils à la repentance
et pour expier la faute, il le
réalise.
Il se solidarise, pour mieux souffrir,
pour mieux avoir honte, pour mieux
intercéder, pour mieux prendre sur son coeur
l'horreur du châtiment.
Regardez-le, quand il descend au
Jourdain pour recevoir le baptême. Que
fait-il là, lui l'homme intègre
absolument? - Il demande pardon pour les autres
dont le crime le hante.
Regardez-le, en
Gethsémané. Que fait-il là, le
Fils sans reproche qui n'a jamais laissé
l'ombre d'un nuage se glisser entre son Père
et lui? Que fait-il là, agonisant et
suppliant, suant une sanglante sueur? - Il tremble
à la perspective de porter toute la peine
que nous méritons, mais il accepte de la
porter. « Mon Père, s'il est possible,
que cette coupe s'éloigne de moi ! Toutefois
non pas ce que je veux, mais ce que tu veux ! ( Matt.
XXVI, 39.). »
Regardez-le, en Golgotha. Que fait-il
sur cette croix d'infamie? Que fait-il sur ce gibet
des condamnés? Subit-il seulement
l'injustice des hommes? - Il le pourrait faire dans
la paix de Dieu et dans le tranquille courage de la
foi.
Mais non ! ce n'est pas cela. Le
voilà, ce mourant, qui jette un tragique appel,
dans la
détresse d'une mort de l'âme plus
redoutable que la mort corporelle : « Mon
Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné
(Matt.
XXVII, 46.)? »
Que fait-il là, je vous le
demande?
- Frères, il poursuit son oeuvre.
Frères, il expie. Frères, il consomme
notre Rédemption. « Il est
blessé pour nos péchés,
brisé pour nos iniquités. Le
châtiment qui nous donne la paix est
tombé sur lui et c'est par ses meurtrissures
que nous sommes guéris
(Es.
LIII, 5.). »
« Tout est accompli
(Jean
XIX, 30.) »,
s'écrie le Sauveur en rendant
l'esprit.
Pour que nul n'ignore que tel est bien
son divin programme, Jésus a, d'avance,
interprété sa mort salvatrice. «
Le Fils de l'homme est venu, dit-il, non pour
être servi mais pour servir et pour donner sa
vie en rançon pour plusieurs
(Matt.
XX, 28.) ». Et, lors du
dernier souper, célébré
à l'occasion de la Pâque juive,
Jésus s'est identifié avec l'agneau
pascal, immolé dans la nuit de la
surnaturelle délivrance. « Ceci est mon
corps, dit-il en distribuant le pain à ses
apôtres, qui est donné pour vous.
Cette coupe, dit-il en leur passant le vin, est la
nouvelle alliance en mon sang qui est
répandu pour vous
(Luc
XXII, 19 et 20.). »
Ainsi, ce que toutes les consciences
éveillées ont proclamé
nécessaire, il l'accomplit au nom des
pécheurs. Ainsi, ce que tous ceux qui
aiment, en une imparfaite ébauche ont essayé
de faire, il le fait parfaitement et une fois pour
toutes.
Est-ce que vous discernez le
mystérieux carrefour ? Voyez-vous ces trois
routes qui se rejoignent en Christ et par Christ?
La route des exigences de la conscience, la route
des ambitions de l'amour, la route divine de la
Rédemption par le sang de Christ?
Que nous reste-t-il à faire? Une seule
chose. Au clair sur notre culpabilité,
accepter, dans un acte d'humble foi, le salut que
Jésus-Christ nous a acquis et vouer notre
vie, sans partage, à celui qui a droit de
propriété sur elle.
Plus que cela. Engagés
nous-mêmes dans les agonies de l'amour qui
veut sauver, réalisons que la
rédemption n'est pas notre oeuvre à
nous. Continuons à en vivre certaines
douleurs, comme saint Paul qui « achevait en
sa chair » les souffrances de
Jésus-Christ, mais rappelons-nous que notre
tâche consiste toujours à tourner vers
le Christ les regards des hommes. Que le peu
d'amour solidaire, le peu de honte solidaire, le
peu de douleur solidaire dont nous sommes capables,
soit une constante invite à lever les yeux
vers l'oeuvre unique et suffisante du Christ de
Dieu!
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