Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LE DÉNOUEMENT

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(1)

 Espérer instinctivement, espérer confusément, est un des meilleurs trésors de l'humanité.
Espérer avec la clairvoyance de la foi et dans la certitude de n'être pas confondu, c'est l'apanage splendide de l'Église.

Oh ! que, dans les années sombres où nous sommes, il est nécessaire d'entretenir l'espérance! L'espérance, rayon clair après la nuit; l'espérance, petite fleur sur une ruine; l'espérance, chanson d'enfant dans la désolation muette d'un champ de bataille. Nous vous convions à communier dans l'espérance chrétienne. Nous voulons dire : à entrer dans la communion de celui qui fonde les seules espérances vraies : Jésus-Christ. Regardons vers l'avenir qui s'illumine et laissons monter dans nos coeurs la force et la joie que donne au croyant l'espérance de la foi.
Et d'abord, deux ou trois indications préalables.

À un point de vue tout humain, on peut dire que le besoin d'entrevoir l'avenir est un besoin universel et légitime. L'homme qui marche veut savoir où il va; il ne chemine d'un pas allègre que dans ces conditions-là.

Voici trois marcheurs. Le premier, c'est un badaud qui, dans l'oisiveté du soir, muse le long des rues. Quel pas traînant! quels bras ballants! quelle expression vague et dispersée! Le second, c'est un enfant qui court. En vérité, il n'a pas une minute de repos. Tantôt une fleur l'attire, tantôt un fruit. Affairé, il s'agite sans trêve, mais il ne va nulle part. Midi le trouvera où l'a trouvé huit heures. Le troisième, c'est un fiancé qui, un dimanche, de grand matin, au printemps, va rejoindre sa fiancée. À peine est-il besoin de lui demander où il va. Cette élasticité ravie, ce regard clair, ces refrains qui montent vers le bleu, tout crie que le marcheur à un but et que ce but, déjà vivant pour son imagination, fait couler du bonheur dans ses muscles.

Ainsi dans la vie des âmes. Ceux qui ne savent où ils vont, vrais badauds de l'existence, marchent sans direction et sans élan. Ceux qui, intelligences puériles sous des apparences de maturité, courent aux fleurs, aux fruits, aux cailloux des bords de la route, sans s'informer du sens de la destinée, s'agitent, il est vrai, mais n'avancent pas. Seuls ceux qui ont la vision radieuse d'un but certain, marchent comme le fiancé dont nous parlions. La direction est sûre, un cantique secret s'élève de l'âme et comme un tressaillement passe sur toutes les facultés harmonisées. C'est la marche de l'homme qui espère.

Nous savons bien que l'enseignement chrétien a toujours fait droit à ce besoin de savoir, lorsqu'il s'agissait de l'âme individuelle et de ses destinées par delà le tombeau. Aussi bien n'est-ce pas de cela que nous avons l'intention de vous entretenir ici.
Nous pensons aux espérances collectives et terrestres du peuple de Dieu et aux espérances individuelles en tant que s'encadrant dans les espérances collectives. Nous aurions pu, tout aussi bien, emprunter nos comparaisons à la marche des foules. Dire les remous inféconds d'une cohue et décrire la démarche vive d'un jeune bataillon qui rejoint ses foyers. Comme Israël au désert, l'Église spirituelle est engagée dans une immense aventure. Notre programme est d'entrevoir s'il y a, au bout du séculaire pèlerinage, une Terre promise et, si oui, ce que seront les étapes du voyage et les gloires de l'arrivée.

Cela dit, il faut avouer que cet appétit de prévoir peut se faire indiscret. Comme tout besoin que ne régénère ni ne discipline l'Évangile, il risque de prendre l'allure des curiosités effrénées. Il est vrai, d'autre part, qu'un certain esprit filial à l'égard de Dieu, peut comporter une ignorance consentie, faite de confiance implicite et d'espoir en blanc. Nous avons vu, autour de nous, ces deux manifestations extrêmes. D'un côté, c'était le débordement prophétique des groupes à manie eschatologique, les conférences au titre alléchant, voire les films cinématographiques. C'est l'excès. De l'autre côté, il y a eu le silence relatif de la prédication, dans nos églises, sur les choses de la fin. Cette réserve, toute respectable qu'elle puisse être, est-elle sage? Nous ne le pensons pas.

Dieu sait ce qu'il nous faut et vient au-devant de nos aspirations. Dans le domaine qui nous occupe ici, Dieu a voulu l'espérance chrétienne et s'est plu à la nourrir. Sans approuver les démangeaisons d'un insatiable désir de savoir, il nous donne tout ce qui contribue au bien moral et à la ferveur religieuse. Nous essaierons de prendre possession de ces révélations utiles. Et, croyez-le, il y a encore place pour l'ignorance qui se confie.

Une remarque encore avant d'entrer dans le vif de notre sujet. C'est une chose, croyons-nous, qui fait grand tort à la piété chrétienne que l'optimisme pour l'optimisme. Nous ne nous tromperons guère en affirmant que beaucoup attribuent au fait même de l'optimisme, indépendamment de son contenu, une valeur religieuse. Espérer, espérer toujours, tout espérer, c'est chrétien. Ainsi pensent plusieurs. Quiconque émet des craintes quant au triomphe d'une grande réforme, quiconque marque la relativité des progrès que la foule salue avec un enthousiasme un peu béat, est promptement classé parmi les défaitistes. On lui reproche d'avoir trop peu de foi, de ne pas connaître le coeur de son maître, d'être hanté par l'idée de péché, que sais-je?

Ce point de vue quant à l'optimisme, nous paraît parfaitement faux. Appelez-le, cette espèce d'optimisme intégral, appelez-le religieux, s'il vous convient, ne l'appelez pas chrétien. Est chrétien, ce qui peut, textes en main, se réclamer de Jésus-Christ. Or, Jésus n'a jamais cultivé, nous le verrons, cet optimisme superficiel et global. Il a toujours passé pour peu sage d'être plus royaliste que le roi, il nous semble que nous ne devons pas non plus être plus optimistes que le Sauveur du monde, ni nourrir de plus grandes espérances que n'en nourrissait « le Chef et le Consommateur de la foi (Héb. XII, 2.)».

Nous voilà donc en face d'un sujet très vaste puisqu'il embrasse tout l'avenir terrestre de l'Église. Il va bien sans dire que nous en détachons modestement quelques traits qui nous paraissent essentiels, sans prétendre être complet. Ces traits, nous les empruntons à Jésus seul, laissant de côté les prophètes et les apôtres.

Ce que nous allons faire ensemble, c'est exactement ce que firent, un jour, les disciples. La carrière du Maître approchait de son terme. Le ciel s'assombrissait. La crise, une crise décisive, était amorcée. Tandis que Jésus et les siens étaient assis sur le Mont des Oliviers et contemplaient les splendeurs de la ville sainte, les Douze, inquiets, mais désireux de profiter jusqu'au bout de la présence du Seigneur, lui posèrent cette question : « Dis-nous quand ces choses (les événements de la fin) arriveront et quel sera le signe que toutes ces choses sont sur le point de s'accomplir (Marc XIII, 3-4.). »

Ainsi, en cette époque troublée de l'histoire du monde, en face d'un avenir mystérieux, venons et nous asseyons aux pieds du « témoin fidèle et véritable ». Reprenons à notre compte le « dis-nous » des disciples.


I
L'échéance.

Quiconque parcourt les discours de Jésus concernant l'avenir, ne peut qu'être frappé d'un fait.

L'avenir, pour Jésus, n'est pas le déroulement illimité d'une route blanche que les yeux suivent jusqu'à son engouffrement, là-bas, dans la vibration bleue de l'air. Où va-t-elle? Arrive-t-elle quelque part? Mystère 1

L'avenir n'apparaît pas à Jésus - pour employer une autre comparaison - comme la ligne a peine perceptible qui, en pleine mer, marque la jonction du ciel immense et de l'Océan sans rive, cette ligne qui est partout et nulle part, qui fuit à mesure qu'on avance et qui, si la terre ne surgissait, ne serait jamais atteinte.
Non ! Pour Jésus, la troupe des disciples foule une route bien marquée. Cette route mène quelque part. Pour Jésus, la barque qui porte l'Église navigue suivant un itinéraire providentiel et touchera le port.
Il y a toujours, dans l'enseignement de Jésus sur la destinée des siens, une échéance prévue.
La variété des images employées est très grande. Laissez votre esprit aller de l'une à l'autre et, sans doute, l'évidence se fera.

Quand il parle des événements à venir, Jésus, après avoir esquissé les étapes à prévoir, conclut en disant, par exemple : « Alors viendra la fin (Matt. XXIV, 6; 14.). » La fin de quoi ? C'est un mot à la fois vague et précis. La fin de l'économie présente, la fin de la lutte, la fin de la souffrance, la fin du monde tel qu'il est. Comme finit le jour, ainsi finira la longue journée de la grâce et du travail. Comme finit une bataille, ainsi finira la lutte par excellence, celle qui est la caractéristique suprême de l'histoire, la lutte du bien et du mal, du Christ et de l'ennemi.
Nous ne sommes donc pas engagés, comme Église chrétienne, dans une destinée indéfinie sur la terre. Nous ne sommes pas voués non plus à ce dépérissement lent d'une pauvre race qui s'anémie, sur une planète refroidie et sous un soleil terni. Non point ! Il y aura, de par un décret souverain de Dieu, il y aura une fin, un bout, un terme.

Voulez-vous rappeler encore à votre souvenir les paraboles annonciatrices de l'avenir? Vous verrez que, dans chacune d'elles, surgit une échéance bien marquée.
Voici la parabole de l'Ivraie (Matt. XIII, 24-30.). Les serviteurs du maître, dans leur hâte, voudraient opérer un triage immédiat des plantes qui germent. - Non ! dit le propriétaire du champ, « laissez-les croître ensemble jusqu'à la moisson. À l'époque de la moisson je dirai aux moissonneurs... ».

La moisson, voilà l'image employée pour désigner l'échéance. Le temps de la moisson, c'est une courte période entre deux dates extrêmes. Il y a des années précoces et des années tardives, mais, une chose est certaine : on ne peut ni avancer ni reculer à son gré la moisson. Il y a un moment de maturité parfaite. À ce moment, les moissonneurs sortent et jettent la faux dans les blés mûrs : l'heure est là.
Ainsi, dans l'histoire de notre humanité, une heure sonnera où la moisson sera là. Elle n'aura rien de prématuré. Elle ne pourrait tarder, d'autre part, sans introduire le désordre dans le gouvernement divin.

Autre parabole : Le Filet (Matt. XIII, 47-50.). Les pêcheurs traînent le lourd filet gonflé. Ils ne le traîneront pas indéfiniment, ils ne le sortiront pas avant le temps. « Quand il est rempli, dit Jésus, les pêcheurs le tirent. » Le moment psychologique est venu. Pour les poissons longtemps halés sous l'eau, la fin est là.
« Il en sera de même, ajoute Jésus, à la fin du monde. » Notre humanité est comme cette masse, mouvante et bigarrée, de poissons. Les siècles, mailles de l'immense filet providentiel, charrient les générations sous les flots de l'océan des âges. Mais, prenons garde ! un temps viendra où seront comme retirés les filets. L'humanité émergera sur quelque plage mystérieuse : ce sera la fin.

Après les paraboles représentant le travail des hommes, en voici qui ont un cachet plus personnel ou, du moins, dans lesquelles un personnage central est mis en vedette. La fin, ce n'est pas une saison, ni un moment favorable seulement, c'est une libre et souveraine intervention. Vous avez tous présente à l'esprit la parabole des Vierges (Matt. XXV, 1-13.). Ici, l'échéance, c'est une arrivée. L'époux doit venir et les amies de noces le guettent. « Sur le minuit, dit Jésus, l'époux vint. » Les Vierges prêtes à l'accueillir se lèvent et se joignent, heureuses, au cortège nuptial qui entre dans la salle des noces.

D'autres paraboles précisent encore et donnent toute sa signification et à l'attente et à l'arrivée. L'échéance, c'est un retour. Que ce mot est riche, pour ceux qui aiment, d'émotions inexprimables !

Voici la parabole des Mines (Luc XIX, 11-27.). Il s'agit « d'un homme de haute naissance, qui s'en alla dans un pays lointain, pour se faire investir de l'autorité royale et revenir ensuite ». Il confie des fonds à ses serviteurs et les invite à les faire valoir. Jusqu'à quand? - « Lorsqu'il fut de retour, dit Jésus, investi de l'autorité royale... » Son retour marque la fin.

Vous connaissez, enfin, l'image saisissante des serviteurs qui, vigilants, attendent leur maître qui doit revenir des noces. « Que vos reins soient ceints et vos lampes allumées. Soyez semblables à des hommes qui attendent leur maître revenant (lu festin de noces, afin de lui ouvrir aussitôt qu'il arrivera et frappera. Heureux ces serviteurs que le Maître, en arrivant, trouvera veillant de la sorte (Luc XII, 35-37.). »
Ainsi pour l'Église. Le Maître (car c'est bien lui-même que Jésus désigne ici) est encore absent pour les yeux sinon pour la foi. Mais il reviendra.

Nous n'avons pas épuisé la liste des paraboles qui prédisent un terme à l'économie présente. Nous nous arrêtons cependant. Ce que nous avons dit suffit pour démontrer que Jésus a annoncé une échéance, échéance inexorable.

Quant à savoir à quel moment surviendra cette fin prévue, Jésus ne nous le dit pas. C'est le secret de Dieu. « Pour ce qui est de ce jour et de cette heure, est-il écrit, personne n'en sait rien, pas même les anges du ciel, ni même le Fils, mais le Père seul (Matt. XXIV, 36.). » Il y a, dans les textes, deux courants que l'on ne peut aisément harmoniser. L'un paraît faire prévoir une échéance toute proche, l'autre semble la reculer beaucoup. Peu importe d'ailleurs, une chose est certaine : la fin viendra ex abrupto. Elle sera inopinée. Comme dans ces régions du monde où il n'y a pas de crépuscule, la journée se terminera brusquement. Comme un voyageur qui n'a dit ni le jour ni l'heure de son retour se trouve, un beau soir, devant la porte, ainsi en sera-t-il du Maître. «Veillez donc, conclut Jésus, car vous ne savez pas à quelle heure votre Seigneur doit venir (Matt. XXIV, 42,). »

Ajoutons cependant, que le divin docteur, pour éclairer cette route vers l'avenir, a invité les siens à observer les signes des temps. De même que l'orage ou les journées claires ont leurs phénomènes précurseurs, de même que les saisons s'annoncent, de même, pour toute âme attentive, l'échéance ne sera pas absolument inattendue. Elle s'annoncera, elle aussi, par des événements avant-coureurs, de sorte qu'un sursum corda soit possible aux disciples avant leur délivrance.
Cette remarque nous servira de transition vers notre seconde partie.

 

Il
Événements préalables.

Donc, à l'active existence de l'Église il y aura une fin. Qu'est-ce qui marquera l'acheminement de cette échéance?
Une chose d'abord et bien entendu : Le fidèle accomplissement de l'oeuvre à laquelle sont appelés les disciples.
Cette oeuvre a deux faces. Elle comporte, en premier lieu, la perpétuelle revendication des droits de Dieu à l'obéissance intégrale. Elle comporte ensuite l'infatigable effort de l'amour qui, au nom de Jésus-Christ, discerne et porte secours.
Tant que l'histoire se déroule, il appartient aux chrétiens - sans impatience et sans découragement - de crier à leurs contemporains : « Convertissez-vous ! » Il leur appartient de montrer, par leurs actes, que le Dieu de la justice est le Dieu de toutes les pitiés.
Mais, sans cesse reconsacrée à cette oeuvre qui est son oeuvre, qu'est-ce que l'Église du Christ est autorisée à attendre? Un plein succès? Le recul progressif et la réduction décisive de toute hostilité contre Jésus-Christ? La conversion en masse des humains, et, pour finir, je ne sais quelle apothéose universelle à laquelle - enfin gagnée - toute l'humanité participera?
Il faut oser le dire : Jésus n'a pas annoncé cela. Il y a, dans ce fait, une des plus étonnantes originalités de notre Maître. Ce qui marquera l'acheminement de la fin, ce sont des crises de plus en plus étendues, de plus en plus sévères, à tel point que la foi et la charité des disciples seront menacées.
Que nous voilà loin du progrès mathématique et rectiligne qu'annoncent les optimistes superficiels!

La conversion du pécheur est déjà une rupture à caractère violent. La vie du croyant est une prolongation de cette crise. « Entrez par la porte étroite » (Matt. VII, 13.), dit Jésus. « Si quelqu'un veut être mon disciple, qu'il renonce à lui-même, qu'il se charge de sa croix et qu'il me suive (Matt. XVI, 24.). » La vie du corps des croyants ne peut obéir à une autre loi. C'est de crise en crise que se poursuivra sa destinée et l'aggravation des circonstances servira d'indicateur providentiel aux coeurs attentifs : le dénouement sera proche.

Il semble, en vérité, à lire les évangiles, qu'aucun domaine de la vie ne soit soustrait à cette loi redoutable. Écoutez plutôt. Jésus ne prédit point à ses néophytes, en tout état de cause, la paix familiale. « Je ne suis pas venu, dit-il, apporter la paix sur la terre, mais l'épée. Je suis venu mettre la division entre l'homme et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle-fille et sa belle-mère et l'homme aura pour ennemis les gens de sa maison (Matt. X, 34.). » Cette division dans les familles, cette opposition entre leurs membres croyants et leurs membres rebelles, si elle s'amende en de certaines périodes plus calmes, retrouve ses droits chaque fois qu'un redoublement de fidélité intensifie la ferveur des disciples, chaque fois aussi qu'un nouveau déploiement de la puissance du mal exaspère l'hostilité des incroyants. Les temps de la fin verront, au dire de Jésus, ces luttes intestines atteindre à leur paroxysme. « Le frère livrera son frère à la mort, dit-il, et le père son enfant; les enfants se soulèveront contre leurs parents et les feront mourir. Vous serez haïs de tous à cause de mon nom (Matt. X, 21 et suiv.). » Mais ces temps affreux seront le prélude du retour de Jésus.
Aux crises dans le sein de la famille s'en ajouteront de plus graves encore dans les cercles religieux.

Le Maître a eu pour ennemis, les plus éminents représentants de la piété juive : les Pharisiens, défenseurs du légalisme rigide et de la lettre, les Sadducéens, protagonistes de l'aristocratie sacerdotale et de tendance plus rationalisante. La piété officielle, stricte ou relâchée, a donc condamné le représentant du Dieu vivant.
Tragique fait historique!

Eh bien! à travers les âges, de par une inclination naturelle et viciée du coeur humain, la piété - même la piété qui se réclame de Jésus - a une perpétuelle tendance à s'immobiliser, à s'officialiser, à se figer dans des formes immuables. Aussitôt que cette cristallisation s'est faite, la religion, fût-elle chrétienne de nom, a perdu sa saveur. Sous couleur de défendre le patrimoine de son Chef contre des intrus, elle redevient intolérante. Elle méconnaît le vivant esprit du Maître dans la. personne des disciples et de nouvelles crises éclatent.

Hélas! qu'elle est éloquente, à cet égard, l'histoire de l'Église. Jésus dit aux siens : « Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups... Mettez-vous en garde contre les hommes... ils vous battront de verges dans leurs synagogues (leurs synagogues, des lieux de culte !) Le disciple n'est pas plus que son Seigneur... S'ils ont appelé Béelzébul le Maître de la maison (et vous savez qui, dans la carrière de Jésus, a imaginé ce rapprochement sacrilège), à combien plus forte raison appelleront-ils ainsi les gens de sa maison (Matt. X, 16-17 et 24-25.) ! »

Donc, que les disciples, bien loin d'attendre la sécurité et les honneurs du fait de certains établissements religieux, sachent qu'ils seront incompris jusque dans les synagogues du formalisme. Les crises finales seront caractérisées par une recrudescence de ces persécutions. Mais - glorieuse attente! - la fin viendra.
Ce n'est pas tout.

Si les cercles familiaux et religieux fournissent les éléments de conflits toujours renaissants, à combien plus forte raison le monde. lui-même, la société religieuse, irréligieuse ou anti-religieuse.

La christianisation relative des lois et des moeurs ne saurait faire illusion. La civilisation dite chrétienne qui donne des principes et des règlements de plus en plus équitables à la société (ce qui n'est point à dédaigner, certes !) laisse intact un fond d'inimitié foncière, chez un grand nombre. Certaines autorités gouvernementales, d'une part, des foules fanatisées, d'autre part, fermées à l'esprit de Jésus, peuvent donner carrière, en des temps critiques, à une haine persécutrice que l'on croyait impossible.

Les persécutions, ce mot revient sans cesse dans l'enseignement de Jésus. Dès le début de son ministère, il y fait allusion. Il parle de « ceux qui sont persécutés pour la justice », de « ceux que l'on outragera, desquels on dira faussement toute sorte de mal, à cause de lui (Matt. V, 10-11.). » Une de ses exhortations concerne l'amour à témoigner à ceux qui persécuteront : « Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent et priez pour ceux qui vous maltraitent et vous persécutent (Matt. V, 44.). »

C'est donc que les disciples auront des ennemis, seront maudits, haïs, maltraités, persécutés. Quand la fin approchera, cet état de choses, bien loin de s'amender, s'exaspérera. « Ils mettront les mains sur vous, dit Jésus, et vous persécuteront, vous livrant aux prisons; vous serez emmenés devant les rois et devant les gouverneurs, à cause de mon nom (Luc XXI, 12.). »

Ainsi - nous résumons ces premières données - Jésus annonce que la ligue qui s'est formée contre lui, la ligue constituée par les autorités pharisaïques, le gouvernement païen et la foule complice, ne se dissoudra pas, avec les années. Elle se reconstituera sans cesse et, aux temps de crise, elle reprendra son rôle persécuteur contre la descendance spirituelle de l'Homme de douleurs. L'Église du crucifié restera sous le signe de la croix. La tentation suprême des croyants, quand s'annonceront les souffrances qui font peur et la mort, ce sera de perdre la foi et d'abandonner les efforts d'une charité qui paraîtra trop au-dessous des détresses et des crimes avec lesquels elle aura à se mesurer.

Vous souvient-il de ce doute poignant exprimé par le Maître? « Mais le Fils de l'homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre (Luc XVIII, 8.) ? » Avez-vous remarqué ce qui est plus qu'un doute, une vraie prophétie : « Alors (quand la fin sera proche) l'iniquité s'étant accrue, la charité de plusieurs se refroidira (Matt. XXIV, 12.). »

Tout est à craindre, en effet, parce que - et cela donne une ampleur vraiment terrifiante aux perspectives ouvertes par Jésus - l'Église ne sera pas seule à souffrir. Entraînée en des vicissitudes successives, secouée par les spasmes de la fin, l'humanité tout entière sera comme en agonie. Des fléaux fondront sur elle. La planète elle-même, pauvre nacelle désemparée dans l'immensité de l'espace, ne sera plus un sûr asile. Enfin, pour comble, l'harmonie universelle donnera des signes de dislocation.

Vous connaissez ces prophéties. « Quand vous entendrez parler de guerres et de séditions, ne vous effrayez pas, car il faut que ces choses arrivent premièrement. Nation s'élèvera contre nation et royaume contre royaume; il y aura de grands tremblements de terre et, en divers lieux, des famines et des pestes; et il y aura des phénomènes effrayants et de grands signes dans le ciel. Il y aura des signes dans le soleil, dans la lune et dans les étoiles et, sur la terre, l'angoisse des nations qui ne sauront que faire, les hommes rendant l'âme de frayeur, dans l'attente des choses qui vont arriver à la terre, car les puissances des cieux seront ébranlées. »

« Lors donc, achève Jésus, que ces choses commenceront à arriver, regardez en haut et levez vos têtes, parce que votre délivrance approche (Luc XXI, 9 et suiv.). »

Vous le voyez, il ne faut pas parler à la légère de l'optimisme de Jésus.
Ses prévisions, telles que nous les racontent les évangiles, comportent de tragiques événements et acheminent la victoire au travers des crises les plus sévères.
Acheminent la victoire, disons-nous. C'est qu'en effet, la victoire viendra.

 

III
Le dénouement

En quoi consistera le dénouement du drame chrétien ici-bas?
Vous le devinez, il y aurait place ici pour tout un chapitre sur le jugement du monde. Ce sera le règlement des comptes, la confusion de ceux qui se seront délibérément prononcés contre le Christ. Fidèle à notre propos, nous restons dans l'axe de l'espérance et nous en venons aux disciples. Qu'en sera-t-il pour eux? Un mot suffit à caractériser le dénouement, à leur point de vue, ce sera le triomphe. Un triple triomphe : triomphe du Maître, triomphe des croyants, triomphe de la cause, la cause du Royaume.

Le triomphe du Maître, disons-nous. Ce qui marquera la fin ce sera - nous l'avons, par la force des choses, indiqué déjà - le retour de Jésus-Christ en gloire.

Soit quand il a parlé sans image, soit quand il a parlé sous le voile transparent de la parabole, Jésus a incontestablement affirmé la chose. Voici quelques textes : « Le Fils de l'homme, dit Jésus, doit venir dans la gloire de son Père (Matt. XVI, 27.) ». Ce mot de Fils de l'homme est un souvenir du livre de Daniel. Dans les visions de ce prophète, ce Fils de l'homme, venant sur les nuées, apparaît comme le souverain providentiel, fondateur du royaume éternel (Daniel VII, 13.). Jésus déclare encore, en parlant des derniers temps : « Comme l'éclair resplendit et brille d'une extrémité du ciel à l'autre, ainsi sera le Fils de l'homme en son jour (Luc XVII, 24.). » Image splendide de la certitude absolue, instantanée et universelle! « Et alors le signe du Fils de l'homme paraîtra dans le ciel : toutes les tribus de la terre verront le Fils de l'homme venant sur les nuées du ciel, avec grande puissance et gloire (Matt. XXIV, 30.). »
Voilà les affirmations expresses.

Rappelez-vous les images, non moins éloquentes. Jésus est le divin organisateur du travail qui, après son long voyage, revient, investi de l'autorité royale.

Jésus est celui que les Vierges attendent et qui, sur le minuit, fait irruption au milieu d'elles. Les croyants ne sont pas dans la situation d'une noce de village, lorsque, vainement, l'épouse et les invités espèrent l'époux qu'un accident, à leur insu, vient d'arracher à la vie. Non! l'Épouse est aux aguets depuis longtemps, mais « celui qui a fait les promesses est fidèle », il reviendra.

Jésus est le Maître de ces serviteurs qui travaillent et qui veillent, le Maître des économes qui administrent sa maison. C'est lui qui, subitement, heurte à la porte et se fait ouvrir.

Je reviendrai en gloire, tel est le résumé de ses affirmations sur ce thème. Il reviendra, telle est la certitude confiante des disciples, telle leur attente.

Avons-nous besoin de rappeler que les épîtres du Nouveau Testament, presque sans exception, témoignent de la persistance de cet espoir? Le Maître, paru dans l'humilité, inaugurera son triomphe en une seconde apparition glorieuse.
Libre à chacun de suspendre son jugement et de répéter : « Qui vivra verra! » Mais pensez-vous qu'il y ait quelque raison valable de laisser tomber ce qui est, si évidemment, partie intégrante de l'enseignement de Jésus? Nous aimons mieux accepter, avec une allégresse profonde, tout le contenu de l'espérance chrétienne et vivre, avec les croyants des siècles passés et tant de croyants d'aujourd'hui, dans l'attente ferme de ce retour.
Nous irons plus loin. Nous confesserons que seule la perspective de cette intervention nous sauve d'un bien dangereux pessimisme.

Nous escomptons la victoire de Jésus : il faut bien que cette victoire revête une forme concrète. Or, si nous renonçons à l'espoir d'une marche égale et progressive vers les régénérations individuelles multipliées et vers une organisation sociale et internationale toujours plus chrétienne d'inspiration, où se réfugiera notre optimisme sinon dans la perspective de cette Parousie annoncée par Jésus-Christ?

Qu'on nous entende bien! Nous croyons, de toutes nos forces, au devoir des croyants de travailler à la conversion des pécheurs. Nous croyons aussi à leur devoir de travailler à l'amélioration des conditions d'existence pour les sociétés et pour la collectivité des nations.
Mais, autre chose est ce labeur de l'amour intelligent, autre chose le succès que l'on en peut attendre. Les faits nous crient que ce succès recule toujours. Les prophéties de Jésus nous confirment dans cette pensée. Et alors - bon gré mal gré, si l'on peut dire - nous regardons en haut et attendons avec confiance l'intervention libératrice promise.

Jésus, disions-nous encore, a annoncé le triomphe et la délivrance des siens. Oui, l'heure de ce triomphe sonnera.
Aujourd'hui méconnu, aujourd'hui sous l'opprobre, son peuple, alors, sera manifesté et participera à la glorification de son chef.
Cette manifestation du peuple de Dieu aura deux faces.
Il sera reconnu devant Dieu. « Quiconque me confessera devant les hommes, je le confesserai aussi, promet Jésus, devant mon Père qui est dans les cieux (Matt. X, 32.). » La lumière de Dieu sera aveuglante pour les hommes, elle sera impitoyablement révélatrice. Les regards du Dieu trois fois saint feront baisser les yeux à toute créature coupable. Personne ne pourra se justifier ni supporter l'éclat de sa présence. Ce serait une universelle détresse si le Médiateur, qui a ramené du péché à Dieu les âmes dociles, ne couvrait de sa grâce ceux qui furent, sur terre, dans l'infirmité mais dans la vérité, ses témoins. Nous pouvons à peine nous faire une idée de ce que sera l'émoi puis la joie de cette heure pour nos âmes, si nous sommes conquis au Rédempteur.

Le triomphe des croyants devant Dieu sera, en même temps, leur triomphe sur le mal et devant les hommes. Non un triomphe arrogant mais le triomphe, divinement voulu et divinement organisé, des humbles. Ce sera l'heure ou s'accompliront parfaitement ces paroles :

Heureux les pauvres en esprit car le Royaume des Cieux est à eux.
Heureux ceux qui pleurent car ils seront consolés.
Heureux les débonnaires car ils hériteront la terre.
Heureux ceux qui ont le coeur pur car ils verront Dieu.
Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice car ils seront rassasiés
Nous aimons tant ce mot si fort et si généreux de rassasié ! ( Matt. V, 3 et suiv.)

Inutile d'insister sur ce que nous apprennent à cet égard les paraboles. Grande est la joie des serviteurs fidèles, de voir revenir celui qu'ils ont longtemps attendu. Grande, l'allégresse des Vierges sages. Partout, toujours, c'est le terme heureux de l'attente, le couronnement de l'espérance, la justification grandiose de la foi.
Victoire du Maître, délivrance des disciples, ces deux événements constitueront l'instauration du Royaume.

Ce Royaume, il n'a pas été seulement édifié par le travail des fidèles, il a été demandé comme on demande un don. « Notre Père qui es au cieux, ont prié séculairement les croyants, que ton règne vienne! » Et maintenant, sur les murs élevés dans la patience et dans les larmes, Dieu fait descendre, si l'on peut employer cette image, la coupole de gloire qui couronne le temple de Dieu. La prière est exaucée, le règne est venu. Il y a toujours un moment où l'oeuvre de Dieu se révèle tout grâce et où l'homme, prosterné, avoue qu'il a tout reçu et rien mérité, Jésus, par anticipation, disait à son infime groupe d'apôtres : « Ne crains point, petit troupeau, car il a plu au Père de vous donner le Royaume (Luc XII, 32.). »

Triomphe du Maître, triomphe des disciples, triomphe de la cause : n'est-ce pas là une perspective capable d'entraîner les hésitants et de gonfler d'allégresse le coeur des découragés? C'est à cette espérance, dans la plénitude de son contenu, que nous vous invitons. Venez et consacrez-vous au grand oeuvre, venez et espérez!

 

Conclusion

Il nous reste à rappeler, avant de mettre le point final à notre exposé, les dispositions intérieures qui doivent caractériser les chrétiens qui espèrent. Il est nécessaire de les indiquer, pour parer aux dangers qui accompagnent toutes les grandes espérances.

Il va sans dire que l'on pourrait énumérer, à ce propos, tous les devoirs chrétiens envers Dieu et envers le prochain. Ce qui vaut pour tous les temps, vaut deux fois pour les temps critiques. Contentons-nous de signaler ce que doit être, plus spécialement, l'attitude des disciples dans l'éventualité, toujours plausible, d'un dénouement imminent. Nous notons trois traits.

Le travail d'abord. Tout du long de son ministère, Jésus a insisté expressément sur le devoir du travail. On le comprend. La perspective, peut-être pas éloignée, d'un dénouement subit pourrait aisément entraîner à l'inaction béate, à une attente les bras croisés. L'Église, dès les premiers siècles, a commis cette erreur et a dû être rappelée à l'ordre par les apôtres. Non ! personne ne doit rester oisif. Le Maître ne reviendra pas que l'ouvrage par lui donné ne soit achevé à ses yeux. Le Maître entend trouver - surprendre s'il le faut - ses serviteurs au travail. Espérons donc, mais travaillons, travaillons, travaillons. La sainte besogne de l'amour et de la foi nous réclame. Rien n'est plus beau que de s'y vouer avec le grand espoir permis.

Après le travail, l'état de veille. Que de fois Jésus a relevé la nécessité de veiller. Il faut veiller parce que l'exercice d'une patience prolongée est guetté par l'assoupissement ou la distraction. Ne permettons pas à nos âmes de se lasser. Que ni soucis ni bien-être, ni labeurs ni plaisirs ne nous arrachent à notre attitude foncière de gens qui attendent avec ferveur.
Et puis, le caractère inopiné de l'arrivée du Seigneur invite les disciples à être constamment sur leurs gardes. Jésus, avec cette audace d'expression qui nous enchante, compare sa venue à l'irruption soudaine d'un voleur, dans la nuit. La même attention aiguë que prête au moindre bruit le chef de famille qui redoute une effraction, se retrouve, transposée du domaine de la crainte dans celui de la joie, au coeur du croyant.

Le travail, la vigilance, nous ajoutons un dernier trait et nous le désignons d'un mot qui est revenu vingt fois au cours de ces pages : l'espérance.

L'espérance, non plus son contenu seulement, mais sa valeur comme agent d'équilibre moral. Oh! l'homme qui espère! Quelle joie grave imprègne son âme qui va au devant du bonheur! Quelle force, au cours des heures noires! Quelle paix toujours! Que donc l'espérance s'incarne dans nos vies, et, céleste levain, en pénètre la pâte. Qu'elle rayonne de nos personnes. Qu'elle exalte nos énergies. Qu'elle soit, enfin, la lumière sereine du soir de la vie. Et cela, jusqu'à ce qu'un jour, comblée, elle se mue en bienheureuse possession.

À la victoire du Christ - disons cet ultime sujet d'allégresse - ne participeront pas seulement ceux de la génération contemporaine de son retour.

Il y a quelques années, on célébrait, à Paris, une fête de la victoire plus grandiose, sans doute, que tout ce qu'on a jamais vu. Sous l'arc de triomphe, les maréchaux de France aux sept étoiles, passèrent en vainqueurs, suivis des mutilés de la grande guerre et des troupes de combat. Vous n'avez pas pu lire le récit de cette journée, sans que votre gorge en fût serrée d'émotion. Mais il n'y avait, à cette cérémonie, que quelques représentants des armées combattantes. L'immense majorité de ceux qui souffrirent n'était pas là. Les absents étaient innombrables et les morts n'étaient rappelés que par un catafalque solennel. Cette injustice inévitable des victoires humaines jetait une ombre sur toutes choses.

Croyez-vous que, quand notre heure sonnera, quand nous aurons, à notre tour, non les fêtes brillantes d'une victoire militaire, mais les liesses de l'amour et de la sainteté, quand se formera le cortège du Fils de l'homme entouré de ses rachetés, quand les étoiles du maréchalat seront remplacées par les étoiles apocalyptiques, symboles des Églises, alors, pensez-vous que des absents et des morts manqueront à l'appel? Non, vous dis-je. À la pacifique armée se joindront les croyants de tous les âges. Nous y serons, vivants ou ressuscités.

Ah! que pâlissent les plus belles cérémonies de cette terre pour qui réserve son coeur aux fêtes triomphales du Christ de Dieu!

Haut les coeurs! dans la foi, dans l'amour et dans l'espérance. Dans la prière aussi, qui répète le dernier voeu de la Bible : « Viens, Seigneur Jésus! » et qui recueille la réponse du Maître : « Oui, je viens bientôt. »

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(1) Étude donnée au Camp des Unions chrétiennes de Jeunes Sens de la Suisse Romande, à Vaumarcus, en 1919.
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