(1)
Si nous voulions préciser le sens de
cette étude nous lui donnerions en
sous-titre ces mots : Pierre et Jésus, ou
Comment un homme lut arraché par
Jésus-Christ à la
médiocrité qui tue.
Il y a une médiocrité du
mal : le contact avec Jésus va faire
descendre Pierre aux abîmes, non des
abîmes nouveaux, mais des abîmes
ignorés. Il y a une médiocrité
correspondante du bien : le contact avec
Jésus va exalter Pierre jusqu'à la
plus haute destinée.
Ainsi certains paysages jurassiens que
bouleverserait, tout à coup, un tremblement
de terre. On marche aujourd'hui sous bois, dans une
lumière tamisée, on foule un gazon
fin, par moments les pas résonnent comme sur
des souterrains, mais l'aspect
général des choses est paisible et
sans grandeur. Que le bouleversement survienne et
cette vision modeste se transformera en paysage de
géants : crevasses béantes, cimes
blanches là-bas, vers le ciel.
Notre tâche sera de noter, d'une
part, les degrés de la
descente, les phases de l'écroulement,
d'autre part les degrés de l'ascension, les
phases de la reconstruction, en admirant toujours
l'agent divin, auteur de cette transformation :
Jésus-Christ.
Nous divisons, pour simplifier, cette
histoire en un certain nombre de
scènes.
1. - Le disciple.
PREMIÈRE SCÈNE :
Premier coup d'oeil
(Jean
I, 40 à 43).
Il y a là un premier appel et une
première promesse; une première
invitation à rompre avec la vie banale et
à s'engager dans la vie à ciel
ouvert. Deux mots résument tout : Tu es
Simon, fils de Jona, tu seras appelé
Pierre.
Jésus, de son regard
pénétrant, voit l'homme tel qu'il
est, sa personne, son passé, son avenir : tu
es Simon.
Simon est un excellent garçon.
Jésus ne lui adresse aucun reproche. Il
appartient à une bonne famille de
pêcheurs de Bethsaïda; c'est un jeune
homme sérieux, vrai unioniste de ce temps.
Il a écouté Jean-Baptiste et l'a
suivi, il a reçu le baptême et a
marché honnêtement. Il s'est
marié de bonne heure, s'est associé
à des hommes honorables pour gagner sa vie.
Voilà un tableau des plus dignes : tu es
Simon.
Présentement cet homme a du
tempérament. Il a de l'élan, des
capacités d'enthousiasme, de
l'autorité, une certaine force de
caractère. Mais, par contre, il connaît aussi la
faiblesse
de bien des forts : il y a chez lui de
l'inconstance, une disposition à la
lâcheté jointe à de l'orgueil;
même, à l'occasion, une pointe de
dissimulation. Tu es Simon.
Quant à l'avenir probable, il est
aisé à deviner. Simon fera une
carrière de pêcheur, homme moral et
pieux. Il travaillera beaucoup et arrivera à
l'aisance. Il aura ses honneurs : entrera, qui
sait? dans l'administration de Bethsaïda. Il
aura aussi des afflictions : un naufrage, des
deuils. Peut-être qu'il atteindra un grand
âge, peut-être qu'il mourra
prématurément. Ce sera la vie banale,
sans abîmes sans doute, et sans escarpements
grandioses. Tu es Simon.
Jésus ajoute - c'est le coin
enfoncé dans une vie et qui la fera craquer
-: Tu seras appelé Pierre. Je t'invite
à une autre vie. Je te convoque pour une
divine aventure et, comptant sur ton acquiescement,
je te prédis cette révolution : tu
seras appelé Pierre!
Un nom nouveau et un emploi nouveau sont
ainsi marqués. Un nom nouveau. Tu seras un
homme sur lequel on pourra faire fonds. Ton
enthousiasme deviendra fidélité, ta
lâcheté deviendra vaillance, ton
orgueil, humilité. Tu seras durable comme un
roc, solide comme un roc, humble comme le roc sur
lequel on bâtit. Un emploi nouveau. C'est
qu'en effet, moi, Jésus, j'ai une
construction en vue : le Royaume des cieux. Eh !
bien, tu serviras de base à mon
édifice.
Comme il serait facile de mettre sous
notre nom la vision d'une vie banale ! « Tu
es... » et l'on entreverrait le passé :
le milieu familial honorable, les débuts
sans catastrophe; le
caractère présent : les forts et les
faibles; l'avenir probable : ses travaux, ses
honneurs, ses tristesses, la mort.
Or Jésus se présente qui
nous appelle à tout autre chose, à
combien mieux! « Tu seras appelé...
» - et voici la vision d'une âme
rénovée et d'un emploi pour
l'édifice éternel de Dieu, la vie, la
vraie vie, la seule vie.
DEUXIÈME SCÈNE :
Premier effondrement et première
restauration
(Luc
V, 1 à 11).
Tout tourne autour de ces deux mots
:
- « Je suis un homme pécheur
», - « Tu seras pécheur d'hommes
».
Il y a deux catégories de
circonstances qui provoquent le sens du
péché, ou plutôt Dieu a deux
procédés principaux pour nous
révéler notre nature coupable : les
grandes détresses
(Psaume
130) ou bien les grandes
délivrances. Pour Pierre cette
dernière éventualité se
réalise. Il ne faut pas chercher à
comprendre, ni vouloir analyser à fond : il
faut contempler.
Dans la pêche miraculeuse, le
divin surgit pour Pierre et, brusquement, il se
produit dans la conscience de ce brave homme, comme
une dépression. Tout un sous-sol obscur et
répugnant lui apparaît.
Ainsi, à Paris, il y a quelques
années, une craquelure de la rue avait mis
à découvert les tunnels et les
égouts.
Pierre se voit pécheur. Il ne
s'agit pas de telle ou telle
faute passée : il a avoué ses fautes
à Jean-Baptiste et a reçu le pardon.
Il s'agit de tout un ensemble d'impressions qui le
rendent tout à coup haïssable à
soi-même et indigne de Dieu. Il se prosterne
et s'écrie : « Retire-toi de moi, car
je suis un homme pécheur ! »
Ainsi de l'homme éveillé
au sens du mal. Il se reconnaît impur et
paresseux. Il se reconnaît peu limpide dans
ses paroles. Il se reconnaît
égoïste, orgueilleux, vaniteux jusque
dans la modestie même, et il conclut : «
Retire-toi de moi Seigneur, toi le pur, toi le
propre, toi le Saint, car je suis un homme
pécheur! »
Or voici que l'agent même de cette
réaction en profite pour appeler l'indigne
à une oeuvre glorieuse : « N'aie pas
peur, dit Jésus à Pierre, tu seras
pêcheur d'hommes ».
Il pardonne et Il embauche.
Tu fais sortir - ainsi pouvons-nous
interpréter l'image - des glauques
profondeurs du lac, des poissons pour les faire
scintiller au soleil, tu seras l'instrument d'une
oeuvre semblable : arracher au demi-jour de la vie
sans Dieu, à la nuit des abîmes, des
âmes pour les plonger,
délivrées, dans l'air de
Dieu.
La vocation à l'apostolat
scellera, tôt après ce
contrat.
Il n'est pas difficile, prenant la
profession que vous avez choisie, de
répéter l'appel et la promesse du
Maître. Tu es semeur de blé? - Tu
seras semeur de la parole vivante. Tu es dans les
affaires? - Tu t'occuperas désormais «
des affaires de ton Père ». Tu es
médecin? - Tu seras le médecin des
âmes malades; au lieu de prolonger seulement
l'existence
des corps voués à la destruction, tu
travailleras pour l'immortalité. Tu fais ton
droit? - Tu seras avocat de Dieu devant les
âmes et avocat des âmes devant Dieu. -
Tu es dans l'industrie? Tu façonneras
quelque autre chef-d'oeuvre : un coeur d'homme,
à la gloire de Dieu.
Il faut marquer ici la place des trois
scènes qui s'intituleraient : La
splendeur du Maître.
Pierre eut le privilège d'adorer
la sagesse de Jésus dans le sermon sur la
montagne, sa puissance lors de la tempête sur
le lac, sa gloire à la
transfiguration.
Nous les indiquons seulement, pour
parvenir à une dernière
scène
SIXIÈME SCÈNE :
Contraste. Pierre avant la crise : un bienheureux
et un démon
(Matth.
XVI, 13 à 25; Jean
VI, 68).
À cette heure, point culminant de
son court passage à l'école de
Jésus visible, Pierre exprime toute sa foi
enthousiaste, tout son attachement
passionné, dans ce mot : « Seigneur,
à qui irions-nous qu'à toi? Tu as les
paroles de la vie éternelle... Tu es le
Christ. »
Désormais, tous les ponts sont
coupés derrière l'apôtre :
Jésus ou personne, Jésus dont la voix
a l'accent de l'éternellement vrai.
Le maître sanctionne cette
confession : « Tu es heureux, Simon, fils de
Jona, ce ne sont pas la chair et le sang qui t'ont
révélé cela, c'est mon
Père qui est dans les cieux. »
Sur celui qui le confesse en ces ternies
Jésus fondera son Église. « Sur
cette pierre, déclare-t-il, je bâtirai
». On pourrait dire - Sur ce Pierre, sur le
Pierre de cette foi, sur le Pierre de cette
appartenance convaincue au Saint de Dieu.
Heureux sommes-nous aussi, de l'aveu du
Maître, quand, après des effondrements
et des relèvements, toute notre âme
peut souscrire à la confession de
Pierre.
Mais voici qu'aux visions de victoire il
faut joindre une vision de douleur, c'est la loi
providentielle : la vie de pionnier de la
cité de Dieu comporte la souffrance. Le chef
souffrira, les disciples souffriront. «
Dès lors Jésus commença
à leur faire connaître qu'il fallait
qu'Il souffrit beaucoup... » - « Si
quelqu'un veut venir après moi, dit-il
encore, qu'il renonce à lui-même,
qu'il se charge de sa croix. »
Le Pierre terrestre, le Pierre amateur
de gloire et de facile triomphe, peureux devant la
douleur (ils sont deux encore !) au premier mot de
Jésus, est intervenu. Le malheureux se fait
mentor de son maître. Quelle
prétention insensée, quelle
présomption ! « A Dieu ne plaise ! cela
ne t'arrivera pas », dit-il d'un ton
pénétré.
Voilà bien les encouragements
d'un optimisme fourvoyé !
Nous ne jugeons pas notre pauvre
héros. Qui n'a connu, en soi-même, le
voisinage des plus saintes exaltations avec les
calculs commodes?
Jésus est d'une rigueur terrible.
Il repousse le tentateur qu'il discerne, il le
repousse avec horreur et décision. Et puis
Jésus, qui voit percer de nouveau Simon,
Simon sur lequel on ne peut rien bâtir, Simon
mouvant et lâche, s'écrie, pour le
salut de son apôtre:
« Arrière de moi, Satan ! Tu
m'es en scandale ».
Dans la lutte effrayante qui se livre
ici-bas entre la lumière et les
ténèbres, tôt ou tard, il faut
devenir conscient de ce fait : il y a en nous un
candidat au service de Satan. Par lueurs, nous
comprenons que nous risquons d'être
employé à ses maudites besognes.
Grâces soient rendues à
Jésus-Christ, qui nous le
révèle, mais pour nous arracher
à ce servage et pour restaurer en nous, sans
cesse, sa souveraineté à Lui.
Tel est l'homme dont nous esquissons
l'histoire, à la, veille de la crise
suprême. Il semble qu'il ne puisse descendre
plus bas dans la connaissance de lui-même; il
semble que tout soit dit et tienne en ces deux mots
: il y a Pierre, le bienheureux et il y a Simon, le
démon. L'amour du Christ terrassera celui-ci
et réalisera celui-là.
Non, tout n'est pas dit. Pierre ne se
connaît pas encore à fond. La
défaite et l'agonie de son Maître vont
lui révéler pire que tout ce qu'il a
vu.
2. - La crise.
Nous avons affirmé qu'il y avait
place encore pour un ultime effondrement de
l'orgueil de Pierre, pour un ultime
témoignage d'amour du Maître. Oui.
Pierre va faiblir sur le point
même où il se croit
invulnérable; il va faiblir là
où tout son coeur, d'un seul élan,
veut être héroïque; il va faiblir
dans des conditions inouïes : averti
expressément, assailli par un ennemi aux
inoffensives apparences. Il va commettre, par
lâcheté, un crime contre celui qu'il
aime le plus au monde.
Suivons l'histoire de cette
chute.
PREMIÈRE SCÈNE :
Les suprêmes témoignages de l'amour.
(Jean
XIII, 2 à 9; Matth.
XXVI, 20 à
46).
Nous rappelons, pour mémoire, les
événements du dernier soir, ces
événements où
transparaît l'enfer et où le ciel est
tout près. Pierre en est sorti
bouleversé.
Voici d'abord le lavage des pieds. Chez
Pierre, la réaction naturelle se produit :
il bondit de voir son Maître à genoux
auprès de lui. Il ne veut rien savoir de ce
service qui jure avec la grandeur de Jésus
comme avec l'indignité du disciple. Et
pourtant, sur l'avertissement du Seigneur, il se
soumet sans comprendre. Puis vient l'annonce de la
trahison. Pierre consterné se joint à
ses collègues pour dire ce « Est-ce
moi? » - admirable résultat de
l'éducation divine. Puis l'institution de la
Cène, l'allusion au sang qui va, couler.
Puis encore les entretiens de la Chambre haute : le
visible est devenu diaphane et l'invisible rayonne.
Enfin Gethsémané.
Il faut deviner le branle-bas
d'émotions ineffables ou étreignantes
qui envahit l'âme de Pierre.
DEUXIÈME SCÈNE :
L'enthousiasme présomptueux et
l'avertissement.
(Marc
XIV, 26 à 30).
Ce qui domine chez Pierre, c'est son
amour et Jésus n'en doute jamais. Ce qui met
dans cet amour - comme dans une barre d'acier une
paille - c'est la confiance en soi, la
présomption.
Jésus avertit tous ses disciples
: « Prenez garde! » Pierre proteste et se
met au-dessus des autres : « Quand même
tous trouveraient une occasion de chute, non pas
moi. » - Le Maître alors - n'y a-t-il
pas là de quoi inspirer une prudence
infinie? - précise : « En
vérité, je te dis que toi,
aujourd'hui, cette nuit même, avant que le
coq ait charité deux fois, tu me renieras
trois fois ».
Et Pierre? Il proteste encore.
TROISIÈME SCÈNE :
Faiblesse et courage.
(Matt.
XXVI, 40; Jean
XVIII, 10 à 11.)
Pierre rêve
d'héroïsme. Il vise trop haut et ne
sait pas faire les choses simples qu'on lui
demande. En Gethsémané Jésus
le prie de veiller : il s'endort. Quand les soldats
arrivent, l'apôtre pense l'heure venue de
donner essor à son courageux amour, il tire
l'épée et il frappe. « Remets
ton épée dans le fourreau », lui
dit Jésus, et Pierre, avec les autres, prend
la fuite. De loin, pourtant, il se met à
suivre la victime qu'on emmène.
QUATRIÈME SCÈNE :
Le crime de la lâcheté contre l'amour.
(Marc
XIV, 60 à 72; Jean
XVIII, 15 à 18 et 25
à 27.)
Ici, il faut faire plus serrée la
trame de notre analyse.
Jésus a été
arrêté, il est l'accusé, il va
être le condamné.
Tout le monde est contre lui. Pierre, qui l'a
toujours connu vainqueur, ne remonte pas sans
effort le courant qui se forme et qui,
bientôt, emportera tout un peuple. Cependant
le voici à la porte du Prétoire.
Entrera-t-il? - Oui. C'est à une
recommandation qu'il le doit. Malheureuse
recommandation!
Veillons, dans nos vies, à ne pas
solliciter de ces interventions intempestives qui
nous introduisent, trop souvent, sur le
théâtre d'une chute prochaine.
Entré, Pierre va s'installer
près du feu avec des soldats.
Une servante survient. Pierre n'avait
pas pensé à cela. Son imagination
exaltée était en garde contre les
grands assauts et méditait
d'héroïques résistances. «
Toi aussi, tu étais avec Jésus !
» Cette remarque, de la part d'une femme qui
appartient au camp des vainqueurs et des juges, qui
participe de leur assurance et se fait accusatrice,
cette remarque prend l'apôtre tout à
fait au dépourvu. « Je ne sais ce que
tu dis », répond-il un peu
évasivement, « je n'en suis point
».
Hélas! tout le mal est fait.
Quelle malédiction sur ceux que ne prennent
pas d'emblée position! Pierre a menti.
Désormais il faudra avouer un mensonge pour
retrouver le terrain de la fidélité;
la barrière qui le sépare du devoir
s'est doublée.
Sans doute il espère que tout
finira par là. Il revient en esprit, je
pense, à ce qu'il a dit, se refuse encore
à en discerner la gravité. Il
souligne mentalement la partie évasive de la
phrase et découvre quelque excuse
fallacieuse : mieux vaut rester encore un peu
caché pour demeurer
près du Maître et attendre l'heure
d'une intervention efficace.
Pierre se lève... la
clarté du feu le gêne. Il s'en va
faire un tour dans la région plus obscure du
portique d'entrée.
La servante, bavarde et peut-être
amusée de mettre ce provincial dans
l'embarras, revient à la charge : «
Mais si! tu en étais, ton accent te fait
reconnaître. »
Pierre, engagé dans l'engrenage
et comme poursuivi d'une fatalité, persiste.
Avec froideur il répond : « Je n'en
suis point. »
Une heure s'écoule - une heure !
Que s'est-il donc passé dans cette
âme? C'est une de ces heures de vide
intérieur. La conscience n'est pas encore
bouleversée. Pierre n'a point encore
consenti à descendre au fond de
lui-même. C'est une heure de
congélation ou, si vous voulez, une de ces
heures - nous en avons connues - où l'on ne
vit que par sa surface. On devine le grondement des
profondeurs, on sait ce qui va venir... mais on
crâne encore. Je crois que Pierre a
vécu ainsi cette longue heure.
Peut-être fredonnait-il même en esprit
une chanson de pêcheur.
Mais tout n'est pas dit. Il faut
consommer la tragique descente. Une nouvelle
fatalité : un parent de Malchus, le
blessé de Gethsémané, est
là. Il reconnaît bien l'agresseur de
la veille et n'hésite pas à le mettre
sur la sellette : « Ne t'ai-je pas vu quand tu
étais dans le jardin? »
Le témoignage se fait
écrasant : L'idée d'une servante, la
mention de l'accent galiléen, maintenant ce
: je t'ai vu!
Comment parer ce nouveau coup? Oh ! si
Pierre avait su profiter de l'heure
écoulée! Maintenant, sur la voie
où il est engagé et sous le fouet de
Satan, il faut qu'il marche.
Il jure : « Je ne connais point cet
homme ! » Cet homme? C'est ainsi, pauvre
égaré, que tu appelles ton
Maître bien-aimé? Peut-on être
plus loin de soi-même ! - Non: peut-on
être encore tel, dans le fond de sa nature
présomptueuse !
Que faudra-t-il pour t'éveiller
de cette torpeur? - Le cri d'un coq et un
regard.
Ce chant du coq renoue brusquement le
fil de sa vie d'apôtre par-dessus le
précipice qui vient de se creuser. Pierre
retrouve l'avertissement de son Maître et sa
prophétie : le revoilà
lui-même, lui, Pierre le disciple. Mais dans
quelle situation! Pour achever d'opérer le
réveil de l'âme, voici le regard de
Jésus : « Jésus, s'étant
retourné, regarda Pierre. » - Qui dira
la douleur de ce regard ?
Pierre, étant sorti, pleura
amèrement.
CINQUIÈME SCÈNE :
Dans l'abîme.
Les Évangiles se taisent sur les
deux journées et sur les deux nuits qui
suivirent. Il n'est, malgré cela, pas
difficile d'entrevoir ce qui se passa dans le coeur
du renégat.
Il se hait et il se méprise comme
jamais.
Il pense, avec une ironie poignante,
à ses sévérités
d'antan.
Il pense, avec amertume, à ses
déclarations triomphantes, elles lui font
horreur et il envie, rétrospectivement, le
silence qu'il avait jugé bien tiède,
de ses collègues. Il pense aux ravissements
d'autrefois, aux chers espoirs de sa foi.
De tout cela que restera-t-il? Oh ! que
restera-t-il? Surtout il pense à
Jésus et il se complaît, avec une
sorte de tragique volupté, dans cet affreux
examen. Il voit son Maître-souffrant et
délaissé, il le voit seul au milieu
de ses juges, et il se voit lui, aggravant cette
douleur, cet isolement, cet abandon. Comme un fer
rouge, ce souvenir le brûle.
Ce serait le désespoir pour
Pierre, si quelques mots ne lui restaient, auxquels
il se raccroche. Et puis le regard de Jésus,
douloureux, n'avait pas la rigueur glacée
d'une condamnation sans appel.
Il se souvient que Jésus,
à la question : « Combien de fois
pardonnerai-je?... » avait répondu
« Jusqu'à septante fois sept fois
». Il se rappelle « Quand tu seras
revenu... » faisant suite à la
prédiction même du reniement.
Ces mots le préservent de choir
dans la nuit.
Mais cela ne change qu'une chose
à sa position présente : il continue
de vivre, alors que Judas a donné à
la mort de son âme l'expression
matérielle qui lui convenait.
Oh! vous tous, bénissez les mots
divins que vos mères ont inscrits au fond de
vos mémoires : une fois, peut-être,
ils vous retiendront sur la pente de l'abîme,
en attendant la délivrance.
Pierre ne se pardonne pas, il ne se
pardonnera jamais. Il se condamne absolument.
Simon est descendu au tombeau. Qui l'en
fera remonter?
3. - Résurrection.
PREMIÈRE SCÈNE :
Premières lueurs
(Jean
XX, 2 à 7, 19
à 21; Luc
XXIV, 34).
Nous notons seulement ici la place.
Pierre, sur le mot de Marie de Magdala, au matin du
premier jour de la semaine, court. C'est le
repentir en quête de pardon. Il arrive le
second, mais il entre au sépulcre.
Quel frémissement
d'espoir!
Pourra-t-il demander pardon? obtenir son
pardon?
Que cette scène soit le secours
de ceux qui ont vu mourir la victime de leur
méchanceté, avant d'avoir
demandé pardon. Le pardon donné par
Jésus ressuscité porte en lui le
pardon donné par tous les morts qui ne
peuvent plus absoudre les coupables
repentants.
Puis vient l'entrevue mentionnée
par Luc : « Le Seigneur est apparu à
Simon ». - Qui devinera l'inexprimable
?
Enfin l'irruption de Jésus dans
la Chambre haute. « La paix soit avec vous!
» dit-il et il n'exclut pas le
renégat
Sa paix avec lui aussi.
Pourtant il faudra une explication, un
tête à tête.
DEUXIÈME SCÈNE :
Suprême jugement, suprême
réhabilitation
(Jean
XXI, 15 à 17).
Jésus n'en use pas
légèrement avec le mal. Il reste une
sévérité infiniment
délicate, mais grave dans cette scène. Cette
sévérité, elle s'exprime dans
un triple fait : Pierre est interrogé en
présence de ses collègues; une
question souligne que Jésus pourrait
légitimement douter de l'amour de son
apôtre; une question ne suffit pas : elle se
répète trois fois, par transparente
allusion aux trois reniements.
« Pierre m'aimes-tu? »
Et voyez Pierre dans ses réponses
: quel changement ! Plus de ces élans
présomptueux. Oh ! non, il sait ce qu'ils
valent. Seulement une affirmation sobre et nette,
affirmation qui s'en réfère
humblement à la toute science de
Jésus : « Oui! Seigneur, tu sais que je
t'aime. » Et enfin, quand surgit la
troisième question, - presque dans la
détresse de ce jugement si doux et si
sévère, Pierre répond : «
Seigneur, tu sais toute chose, tu sais que je
t'aime. »
Par trois fois Pierre a
déclaré son amour, par trois fois
Jésus le réhabilite. Il lui pardonne
et le confirme dans son ministère : «
Sois le berger de mes agneaux, sois le berger de
mes brebis. »
Je te confie quand même, Pierre,
ce que j'aime le plus. Je suis le bon berger, eh!
bien, mes brebis, mes agneaux, ceux pour qui j'ai
donné ma vie, je les remets à tes
soins.
Si quelque chose a abattu l'orgueil de
Pierre, ç'a été le jugement du
Maître, si quelque chose l'achève et
rebâtit un homme nouveau, c'est ce
témoignage de confiance.
Conclusion.
Nous avons parlé, au
début, d'un homme arraché à la
médiocrité par Jésus-Christ.
Dans quels abîmes Pierre est descendu !
Jésus ne l'y a pas fait tomber, mais lui a
montré ce qu'était ce Simon autrefois
si satisfait de soi-même. Vers quelle vie
merveilleuse Jésus l'entraîne! Ce sont
les cimes, il n'y a rien de plus haut: Dieu vivant
en Jésus-Christ, Dieu agissant en
Jésus-Christ et être son
racheté!
Entendez-vous l'appel qui crie vers vous
de cette vie de l'apôtre Pierre?
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