Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

PIERRE ET JÉSUS

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Si nous voulions préciser le sens de cette étude nous lui donnerions en sous-titre ces mots : Pierre et Jésus, ou Comment un homme lut arraché par Jésus-Christ à la médiocrité qui tue.

Il y a une médiocrité du mal : le contact avec Jésus va faire descendre Pierre aux abîmes, non des abîmes nouveaux, mais des abîmes ignorés. Il y a une médiocrité correspondante du bien : le contact avec Jésus va exalter Pierre jusqu'à la plus haute destinée.

Ainsi certains paysages jurassiens que bouleverserait, tout à coup, un tremblement de terre. On marche aujourd'hui sous bois, dans une lumière tamisée, on foule un gazon fin, par moments les pas résonnent comme sur des souterrains, mais l'aspect général des choses est paisible et sans grandeur. Que le bouleversement survienne et cette vision modeste se transformera en paysage de géants : crevasses béantes, cimes blanches là-bas, vers le ciel.

Notre tâche sera de noter, d'une part, les degrés de la descente, les phases de l'écroulement, d'autre part les degrés de l'ascension, les phases de la reconstruction, en admirant toujours l'agent divin, auteur de cette transformation : Jésus-Christ.
Nous divisons, pour simplifier, cette histoire en un certain nombre de scènes.

1. - Le disciple.

PREMIÈRE SCÈNE : Premier coup d'oeil (Jean I, 40 à 43).

Il y a là un premier appel et une première promesse; une première invitation à rompre avec la vie banale et à s'engager dans la vie à ciel ouvert. Deux mots résument tout : Tu es Simon, fils de Jona, tu seras appelé Pierre.
Jésus, de son regard pénétrant, voit l'homme tel qu'il est, sa personne, son passé, son avenir : tu es Simon.

Simon est un excellent garçon. Jésus ne lui adresse aucun reproche. Il appartient à une bonne famille de pêcheurs de Bethsaïda; c'est un jeune homme sérieux, vrai unioniste de ce temps. Il a écouté Jean-Baptiste et l'a suivi, il a reçu le baptême et a marché honnêtement. Il s'est marié de bonne heure, s'est associé à des hommes honorables pour gagner sa vie. Voilà un tableau des plus dignes : tu es Simon.
Présentement cet homme a du tempérament. Il a de l'élan, des capacités d'enthousiasme, de l'autorité, une certaine force de caractère. Mais, par contre, il connaît aussi la faiblesse de bien des forts : il y a chez lui de l'inconstance, une disposition à la lâcheté jointe à de l'orgueil; même, à l'occasion, une pointe de dissimulation. Tu es Simon.
Quant à l'avenir probable, il est aisé à deviner. Simon fera une carrière de pêcheur, homme moral et pieux. Il travaillera beaucoup et arrivera à l'aisance. Il aura ses honneurs : entrera, qui sait? dans l'administration de Bethsaïda. Il aura aussi des afflictions : un naufrage, des deuils. Peut-être qu'il atteindra un grand âge, peut-être qu'il mourra prématurément. Ce sera la vie banale, sans abîmes sans doute, et sans escarpements grandioses. Tu es Simon.
Jésus ajoute - c'est le coin enfoncé dans une vie et qui la fera craquer -: Tu seras appelé Pierre. Je t'invite à une autre vie. Je te convoque pour une divine aventure et, comptant sur ton acquiescement, je te prédis cette révolution : tu seras appelé Pierre!

Un nom nouveau et un emploi nouveau sont ainsi marqués. Un nom nouveau. Tu seras un homme sur lequel on pourra faire fonds. Ton enthousiasme deviendra fidélité, ta lâcheté deviendra vaillance, ton orgueil, humilité. Tu seras durable comme un roc, solide comme un roc, humble comme le roc sur lequel on bâtit. Un emploi nouveau. C'est qu'en effet, moi, Jésus, j'ai une construction en vue : le Royaume des cieux. Eh ! bien, tu serviras de base à mon édifice.

Comme il serait facile de mettre sous notre nom la vision d'une vie banale ! « Tu es... » et l'on entreverrait le passé : le milieu familial honorable, les débuts sans catastrophe; le caractère présent : les forts et les faibles; l'avenir probable : ses travaux, ses honneurs, ses tristesses, la mort.
Or Jésus se présente qui nous appelle à tout autre chose, à combien mieux! « Tu seras appelé... » - et voici la vision d'une âme rénovée et d'un emploi pour l'édifice éternel de Dieu, la vie, la vraie vie, la seule vie.

DEUXIÈME SCÈNE : Premier effondrement et première restauration (Luc V, 1 à 11).

Tout tourne autour de ces deux mots :
- « Je suis un homme pécheur », - « Tu seras pécheur d'hommes ».

Il y a deux catégories de circonstances qui provoquent le sens du péché, ou plutôt Dieu a deux procédés principaux pour nous révéler notre nature coupable : les grandes détresses (Psaume 130) ou bien les grandes délivrances. Pour Pierre cette dernière éventualité se réalise. Il ne faut pas chercher à comprendre, ni vouloir analyser à fond : il faut contempler.

Dans la pêche miraculeuse, le divin surgit pour Pierre et, brusquement, il se produit dans la conscience de ce brave homme, comme une dépression. Tout un sous-sol obscur et répugnant lui apparaît.
Ainsi, à Paris, il y a quelques années, une craquelure de la rue avait mis à découvert les tunnels et les égouts.
Pierre se voit pécheur. Il ne s'agit pas de telle ou telle faute passée : il a avoué ses fautes à Jean-Baptiste et a reçu le pardon. Il s'agit de tout un ensemble d'impressions qui le rendent tout à coup haïssable à soi-même et indigne de Dieu. Il se prosterne et s'écrie : « Retire-toi de moi, car je suis un homme pécheur ! »

Ainsi de l'homme éveillé au sens du mal. Il se reconnaît impur et paresseux. Il se reconnaît peu limpide dans ses paroles. Il se reconnaît égoïste, orgueilleux, vaniteux jusque dans la modestie même, et il conclut : « Retire-toi de moi Seigneur, toi le pur, toi le propre, toi le Saint, car je suis un homme pécheur! »
Or voici que l'agent même de cette réaction en profite pour appeler l'indigne à une oeuvre glorieuse : « N'aie pas peur, dit Jésus à Pierre, tu seras pêcheur d'hommes ».

Il pardonne et Il embauche.
Tu fais sortir - ainsi pouvons-nous interpréter l'image - des glauques profondeurs du lac, des poissons pour les faire scintiller au soleil, tu seras l'instrument d'une oeuvre semblable : arracher au demi-jour de la vie sans Dieu, à la nuit des abîmes, des âmes pour les plonger, délivrées, dans l'air de Dieu.
La vocation à l'apostolat scellera, tôt après ce contrat.

Il n'est pas difficile, prenant la profession que vous avez choisie, de répéter l'appel et la promesse du Maître. Tu es semeur de blé? - Tu seras semeur de la parole vivante. Tu es dans les affaires? - Tu t'occuperas désormais « des affaires de ton Père ». Tu es médecin? - Tu seras le médecin des âmes malades; au lieu de prolonger seulement l'existence des corps voués à la destruction, tu travailleras pour l'immortalité. Tu fais ton droit? - Tu seras avocat de Dieu devant les âmes et avocat des âmes devant Dieu. - Tu es dans l'industrie? Tu façonneras quelque autre chef-d'oeuvre : un coeur d'homme, à la gloire de Dieu.




Il faut marquer ici la place des trois scènes qui s'intituleraient : La splendeur du Maître.
Pierre eut le privilège d'adorer la sagesse de Jésus dans le sermon sur la montagne, sa puissance lors de la tempête sur le lac, sa gloire à la transfiguration.
Nous les indiquons seulement, pour parvenir à une dernière scène

SIXIÈME SCÈNE : Contraste. Pierre avant la crise : un bienheureux et un démon (Matth. XVI, 13 à 25; Jean VI, 68).

À cette heure, point culminant de son court passage à l'école de Jésus visible, Pierre exprime toute sa foi enthousiaste, tout son attachement passionné, dans ce mot : « Seigneur, à qui irions-nous qu'à toi? Tu as les paroles de la vie éternelle... Tu es le Christ. »

Désormais, tous les ponts sont coupés derrière l'apôtre : Jésus ou personne, Jésus dont la voix a l'accent de l'éternellement vrai.
Le maître sanctionne cette confession : « Tu es heureux, Simon, fils de Jona, ce ne sont pas la chair et le sang qui t'ont révélé cela, c'est mon Père qui est dans les cieux. »

Sur celui qui le confesse en ces ternies Jésus fondera son Église. « Sur cette pierre, déclare-t-il, je bâtirai ». On pourrait dire - Sur ce Pierre, sur le Pierre de cette foi, sur le Pierre de cette appartenance convaincue au Saint de Dieu.

Heureux sommes-nous aussi, de l'aveu du Maître, quand, après des effondrements et des relèvements, toute notre âme peut souscrire à la confession de Pierre.
Mais voici qu'aux visions de victoire il faut joindre une vision de douleur, c'est la loi providentielle : la vie de pionnier de la cité de Dieu comporte la souffrance. Le chef souffrira, les disciples souffriront. « Dès lors Jésus commença à leur faire connaître qu'il fallait qu'Il souffrit beaucoup... » - « Si quelqu'un veut venir après moi, dit-il encore, qu'il renonce à lui-même, qu'il se charge de sa croix. »

Le Pierre terrestre, le Pierre amateur de gloire et de facile triomphe, peureux devant la douleur (ils sont deux encore !) au premier mot de Jésus, est intervenu. Le malheureux se fait mentor de son maître. Quelle prétention insensée, quelle présomption ! « A Dieu ne plaise ! cela ne t'arrivera pas », dit-il d'un ton pénétré.
Voilà bien les encouragements d'un optimisme fourvoyé !

Nous ne jugeons pas notre pauvre héros. Qui n'a connu, en soi-même, le voisinage des plus saintes exaltations avec les calculs commodes?
Jésus est d'une rigueur terrible. Il repousse le tentateur qu'il discerne, il le repousse avec horreur et décision. Et puis Jésus, qui voit percer de nouveau Simon, Simon sur lequel on ne peut rien bâtir, Simon mouvant et lâche, s'écrie, pour le salut de son apôtre:
« Arrière de moi, Satan ! Tu m'es en scandale ».

Dans la lutte effrayante qui se livre ici-bas entre la lumière et les ténèbres, tôt ou tard, il faut devenir conscient de ce fait : il y a en nous un candidat au service de Satan. Par lueurs, nous comprenons que nous risquons d'être employé à ses maudites besognes. Grâces soient rendues à Jésus-Christ, qui nous le révèle, mais pour nous arracher à ce servage et pour restaurer en nous, sans cesse, sa souveraineté à Lui.
Tel est l'homme dont nous esquissons l'histoire, à la, veille de la crise suprême. Il semble qu'il ne puisse descendre plus bas dans la connaissance de lui-même; il semble que tout soit dit et tienne en ces deux mots : il y a Pierre, le bienheureux et il y a Simon, le démon. L'amour du Christ terrassera celui-ci et réalisera celui-là.

Non, tout n'est pas dit. Pierre ne se connaît pas encore à fond. La défaite et l'agonie de son Maître vont lui révéler pire que tout ce qu'il a vu.

2. - La crise.

Nous avons affirmé qu'il y avait place encore pour un ultime effondrement de l'orgueil de Pierre, pour un ultime témoignage d'amour du Maître. Oui. Pierre va faiblir sur le point même où il se croit invulnérable; il va faiblir là où tout son coeur, d'un seul élan, veut être héroïque; il va faiblir dans des conditions inouïes : averti expressément, assailli par un ennemi aux inoffensives apparences. Il va commettre, par lâcheté, un crime contre celui qu'il aime le plus au monde.
Suivons l'histoire de cette chute.

PREMIÈRE SCÈNE : Les suprêmes témoignages de l'amour. (Jean XIII, 2 à 9; Matth. XXVI, 20 à 46).

Nous rappelons, pour mémoire, les événements du dernier soir, ces événements où transparaît l'enfer et où le ciel est tout près. Pierre en est sorti bouleversé.

Voici d'abord le lavage des pieds. Chez Pierre, la réaction naturelle se produit : il bondit de voir son Maître à genoux auprès de lui. Il ne veut rien savoir de ce service qui jure avec la grandeur de Jésus comme avec l'indignité du disciple. Et pourtant, sur l'avertissement du Seigneur, il se soumet sans comprendre. Puis vient l'annonce de la trahison. Pierre consterné se joint à ses collègues pour dire ce « Est-ce moi? » - admirable résultat de l'éducation divine. Puis l'institution de la Cène, l'allusion au sang qui va, couler. Puis encore les entretiens de la Chambre haute : le visible est devenu diaphane et l'invisible rayonne. Enfin Gethsémané.
Il faut deviner le branle-bas d'émotions ineffables ou étreignantes qui envahit l'âme de Pierre.

DEUXIÈME SCÈNE : L'enthousiasme présomptueux et l'avertissement. (Marc XIV, 26 à 30).

Ce qui domine chez Pierre, c'est son amour et Jésus n'en doute jamais. Ce qui met dans cet amour - comme dans une barre d'acier une paille - c'est la confiance en soi, la présomption.

Jésus avertit tous ses disciples : « Prenez garde! » Pierre proteste et se met au-dessus des autres : « Quand même tous trouveraient une occasion de chute, non pas moi. » - Le Maître alors - n'y a-t-il pas là de quoi inspirer une prudence infinie? - précise : « En vérité, je te dis que toi, aujourd'hui, cette nuit même, avant que le coq ait charité deux fois, tu me renieras trois fois ».
Et Pierre? Il proteste encore.

TROISIÈME SCÈNE : Faiblesse et courage. (Matt. XXVI, 40; Jean XVIII, 10 à 11.)

Pierre rêve d'héroïsme. Il vise trop haut et ne sait pas faire les choses simples qu'on lui demande. En Gethsémané Jésus le prie de veiller : il s'endort. Quand les soldats arrivent, l'apôtre pense l'heure venue de donner essor à son courageux amour, il tire l'épée et il frappe. « Remets ton épée dans le fourreau », lui dit Jésus, et Pierre, avec les autres, prend la fuite. De loin, pourtant, il se met à suivre la victime qu'on emmène.

QUATRIÈME SCÈNE : Le crime de la lâcheté contre l'amour. (Marc XIV, 60 à 72; Jean XVIII, 15 à 18 et 25 à 27.)

Ici, il faut faire plus serrée la trame de notre analyse.
Jésus a été arrêté, il est l'accusé, il va être le condamné. Tout le monde est contre lui. Pierre, qui l'a toujours connu vainqueur, ne remonte pas sans effort le courant qui se forme et qui, bientôt, emportera tout un peuple. Cependant le voici à la porte du Prétoire. Entrera-t-il? - Oui. C'est à une recommandation qu'il le doit. Malheureuse recommandation!

Veillons, dans nos vies, à ne pas solliciter de ces interventions intempestives qui nous introduisent, trop souvent, sur le théâtre d'une chute prochaine.

Entré, Pierre va s'installer près du feu avec des soldats.
Une servante survient. Pierre n'avait pas pensé à cela. Son imagination exaltée était en garde contre les grands assauts et méditait d'héroïques résistances. « Toi aussi, tu étais avec Jésus ! » Cette remarque, de la part d'une femme qui appartient au camp des vainqueurs et des juges, qui participe de leur assurance et se fait accusatrice, cette remarque prend l'apôtre tout à fait au dépourvu. « Je ne sais ce que tu dis », répond-il un peu évasivement, « je n'en suis point ».

Hélas! tout le mal est fait. Quelle malédiction sur ceux que ne prennent pas d'emblée position! Pierre a menti. Désormais il faudra avouer un mensonge pour retrouver le terrain de la fidélité; la barrière qui le sépare du devoir s'est doublée.

Sans doute il espère que tout finira par là. Il revient en esprit, je pense, à ce qu'il a dit, se refuse encore à en discerner la gravité. Il souligne mentalement la partie évasive de la phrase et découvre quelque excuse fallacieuse : mieux vaut rester encore un peu caché pour demeurer près du Maître et attendre l'heure d'une intervention efficace.

Pierre se lève... la clarté du feu le gêne. Il s'en va faire un tour dans la région plus obscure du portique d'entrée.
La servante, bavarde et peut-être amusée de mettre ce provincial dans l'embarras, revient à la charge : « Mais si! tu en étais, ton accent te fait reconnaître. »
Pierre, engagé dans l'engrenage et comme poursuivi d'une fatalité, persiste. Avec froideur il répond : « Je n'en suis point. »

Une heure s'écoule - une heure ! Que s'est-il donc passé dans cette âme? C'est une de ces heures de vide intérieur. La conscience n'est pas encore bouleversée. Pierre n'a point encore consenti à descendre au fond de lui-même. C'est une heure de congélation ou, si vous voulez, une de ces heures - nous en avons connues - où l'on ne vit que par sa surface. On devine le grondement des profondeurs, on sait ce qui va venir... mais on crâne encore. Je crois que Pierre a vécu ainsi cette longue heure. Peut-être fredonnait-il même en esprit une chanson de pêcheur.

Mais tout n'est pas dit. Il faut consommer la tragique descente. Une nouvelle fatalité : un parent de Malchus, le blessé de Gethsémané, est là. Il reconnaît bien l'agresseur de la veille et n'hésite pas à le mettre sur la sellette : « Ne t'ai-je pas vu quand tu étais dans le jardin? »

Le témoignage se fait écrasant : L'idée d'une servante, la mention de l'accent galiléen, maintenant ce : je t'ai vu!
Comment parer ce nouveau coup? Oh ! si Pierre avait su profiter de l'heure écoulée! Maintenant, sur la voie où il est engagé et sous le fouet de Satan, il faut qu'il marche.
Il jure : « Je ne connais point cet homme ! » Cet homme? C'est ainsi, pauvre égaré, que tu appelles ton Maître bien-aimé? Peut-on être plus loin de soi-même ! - Non: peut-on être encore tel, dans le fond de sa nature présomptueuse !

Que faudra-t-il pour t'éveiller de cette torpeur? - Le cri d'un coq et un regard.
Ce chant du coq renoue brusquement le fil de sa vie d'apôtre par-dessus le précipice qui vient de se creuser. Pierre retrouve l'avertissement de son Maître et sa prophétie : le revoilà lui-même, lui, Pierre le disciple. Mais dans quelle situation! Pour achever d'opérer le réveil de l'âme, voici le regard de Jésus : « Jésus, s'étant retourné, regarda Pierre. » - Qui dira la douleur de ce regard ?
Pierre, étant sorti, pleura amèrement.

CINQUIÈME SCÈNE : Dans l'abîme.

Les Évangiles se taisent sur les deux journées et sur les deux nuits qui suivirent. Il n'est, malgré cela, pas difficile d'entrevoir ce qui se passa dans le coeur du renégat.
Il se hait et il se méprise comme jamais.
Il pense, avec une ironie poignante, à ses sévérités d'antan.
Il pense, avec amertume, à ses déclarations triomphantes, elles lui font horreur et il envie, rétrospectivement, le silence qu'il avait jugé bien tiède, de ses collègues. Il pense aux ravissements d'autrefois, aux chers espoirs de sa foi.

De tout cela que restera-t-il? Oh ! que restera-t-il? Surtout il pense à Jésus et il se complaît, avec une sorte de tragique volupté, dans cet affreux examen. Il voit son Maître-souffrant et délaissé, il le voit seul au milieu de ses juges, et il se voit lui, aggravant cette douleur, cet isolement, cet abandon. Comme un fer rouge, ce souvenir le brûle.

Ce serait le désespoir pour Pierre, si quelques mots ne lui restaient, auxquels il se raccroche. Et puis le regard de Jésus, douloureux, n'avait pas la rigueur glacée d'une condamnation sans appel.

Il se souvient que Jésus, à la question : « Combien de fois pardonnerai-je?... » avait répondu « Jusqu'à septante fois sept fois ». Il se rappelle « Quand tu seras revenu... » faisant suite à la prédiction même du reniement.
Ces mots le préservent de choir dans la nuit.
Mais cela ne change qu'une chose à sa position présente : il continue de vivre, alors que Judas a donné à la mort de son âme l'expression matérielle qui lui convenait.

Oh! vous tous, bénissez les mots divins que vos mères ont inscrits au fond de vos mémoires : une fois, peut-être, ils vous retiendront sur la pente de l'abîme, en attendant la délivrance.

Pierre ne se pardonne pas, il ne se pardonnera jamais. Il se condamne absolument.
Simon est descendu au tombeau. Qui l'en fera remonter?

3. - Résurrection.

PREMIÈRE SCÈNE : Premières lueurs (Jean XX, 2 à 7, 19 à 21; Luc XXIV, 34).

Nous notons seulement ici la place. Pierre, sur le mot de Marie de Magdala, au matin du premier jour de la semaine, court. C'est le repentir en quête de pardon. Il arrive le second, mais il entre au sépulcre.
Quel frémissement d'espoir!
Pourra-t-il demander pardon? obtenir son pardon?

Que cette scène soit le secours de ceux qui ont vu mourir la victime de leur méchanceté, avant d'avoir demandé pardon. Le pardon donné par Jésus ressuscité porte en lui le pardon donné par tous les morts qui ne peuvent plus absoudre les coupables repentants.
Puis vient l'entrevue mentionnée par Luc : « Le Seigneur est apparu à Simon ». - Qui devinera l'inexprimable ?

Enfin l'irruption de Jésus dans la Chambre haute. « La paix soit avec vous! » dit-il et il n'exclut pas le renégat
Sa paix avec lui aussi.
Pourtant il faudra une explication, un tête à tête.

DEUXIÈME SCÈNE : Suprême jugement, suprême réhabilitation (Jean XXI, 15 à 17).

Jésus n'en use pas légèrement avec le mal. Il reste une sévérité infiniment délicate, mais grave dans cette scène. Cette sévérité, elle s'exprime dans un triple fait : Pierre est interrogé en présence de ses collègues; une question souligne que Jésus pourrait légitimement douter de l'amour de son apôtre; une question ne suffit pas : elle se répète trois fois, par transparente allusion aux trois reniements.
« Pierre m'aimes-tu? »

Et voyez Pierre dans ses réponses : quel changement ! Plus de ces élans présomptueux. Oh ! non, il sait ce qu'ils valent. Seulement une affirmation sobre et nette, affirmation qui s'en réfère humblement à la toute science de Jésus : « Oui! Seigneur, tu sais que je t'aime. » Et enfin, quand surgit la troisième question, - presque dans la détresse de ce jugement si doux et si sévère, Pierre répond : « Seigneur, tu sais toute chose, tu sais que je t'aime. »

Par trois fois Pierre a déclaré son amour, par trois fois Jésus le réhabilite. Il lui pardonne et le confirme dans son ministère : « Sois le berger de mes agneaux, sois le berger de mes brebis. »
Je te confie quand même, Pierre, ce que j'aime le plus. Je suis le bon berger, eh! bien, mes brebis, mes agneaux, ceux pour qui j'ai donné ma vie, je les remets à tes soins.

Si quelque chose a abattu l'orgueil de Pierre, ç'a été le jugement du Maître, si quelque chose l'achève et rebâtit un homme nouveau, c'est ce témoignage de confiance.

Conclusion.

Nous avons parlé, au début, d'un homme arraché à la médiocrité par Jésus-Christ. Dans quels abîmes Pierre est descendu ! Jésus ne l'y a pas fait tomber, mais lui a montré ce qu'était ce Simon autrefois si satisfait de soi-même. Vers quelle vie merveilleuse Jésus l'entraîne! Ce sont les cimes, il n'y a rien de plus haut: Dieu vivant en Jésus-Christ, Dieu agissant en Jésus-Christ et être son racheté!

Entendez-vous l'appel qui crie vers vous de cette vie de l'apôtre Pierre?

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(1) Travail présenté à la Retraite des Unions chrétiennes de jeunes gens de la Suisse romande, à Vaumarcus, en 1916.
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