Les études que nous réunissons ici en volume ne sont point - le
lecteur s'en sera vite convaincu - des dissertations théologiques,
moins encore des compositions littéraires. Ce sont autant de messages
adressés, en son temps, à des auditoires, plus particulièrement à des
auditoires de jeunes. Cinq de nos travaux sur sept étaient destinés à
des sociétés chrétiennes de jeunesse. Tous sont inédits, sauf un, le
second, qui a paru avec d'autres, en une brochure aujourd'hui épuisée.
Nous avons conservé à notre style, au moment d'imprimer,
le ton du témoignage et l'allure directe de l'interpellation
personnelle.
Faut-il nous excuser d'avoir donné deux études sur saint
Paul, études qui contiennent, forcément, bien des traits communs? On
nous pardonnera, sans doute, à cause de l'importance capitale de
l'expérience paulinienne et aussi à cause de notre prédilection pour
l'apôtre des Gentils.
Quant à l'ensemble du livre, il ne s'organise point en un
exposé systématique. Pourtant les sujets traités se coordonnent bien
et constituent les jalons d'une pensée théologique
cohérente. Au centre de tout et dominant tout, se silhouette la
personne du Christ de Dieu, le Christ qui rachète, qui fait vivre et
qui revient.
L'ambition de notre coeur sera comblée si les rameaux,
jetés, d'un coeur reconnaissant et fervent, sur la route ou le Fils de
David marche à son triomphe, engagent quelques âmes à regarder vers
Jésus-Christ.
Lausanne, janvier 1934.
L'AUTEUR.
(1)
Dieu est un Dieu objectif, vivant et personnel, ou il n'est pas. La
vie religieuse n'a de sens que si ce Dieu parle et agit. Or vous
pressentez, que dis-je, vous savez que Dieu est. Vous voulez donc en
venir au fait et au prendre. Après avoir abordé un problème - le
problème de Dieu - sous ses angles divers, vous voulez mettre en
oeuvre; passer du terrain des spéculations au terrain des réalités; du
monde des descriptions au monde des décisions.
Vous demandez au Dieu de Jésus un solennel tête à tête.
Vous avez raison, car la piété vraie est rapport de
personne à personne.
Plaise à l'Esprit d'accorder ce royal privilège aux
coeurs en quête de certitudes inébranlables !
Pour nous, humble porte-voix de la Parole, notre rôle
sera, fort des expériences faites par beaucoup et des évidences
surgies devant notre conscience, de vous montrer Dieu agissant dans
votre vie. Si nous doutions qu'il n'y fût, dès longtemps, à l'oeuvre,
nous nous tairions ou bien nous bornerions notre exposé à quelques
anodines considérations.
Peut-être ne vous retrouverez-vous pas tous dans tous les
événements moraux et spirituels que nous évoquerons. Il n'importe. Ce
qui est certain - et cela suffit - c'est que vous vous retrouverez
dans l'un ou l'autre d'entre eux.
Inutile de vous dire que le thème abordé ici est
illimité. Nous nous proposons donc de découper, dans l'immensité du
sujet, quelques vérités primordiales, quelques-unes de celles qui
appartiennent toujours à l'action de Dieu. Ces vérités se rapportent
toutes à l'histoire du début de nos relations avec Dieu.
Voici le plan que nous suivrons. Nous affirmerons
successivement ces trois faits : Dieu appelle, Dieu trouble, Dieu
comble.
Dieu appelle.
Indépendamment de la marche prudemment critique et vérificatrice de
la raison, en dehors des houles du sentiment, Dieu, le Dieu vivant,
parle à l'âme humaine. il vous a parlé, il vous parlera.
Cette parole, qui est un appel, vous crée une obligation
immédiate. et imprescriptible. Parce que Dieu a parlé,
parce qu'il a pris soin que vous sachiez parfaitement que cette voix
est sa voix, cette pensée sa pensée, vous êtes responsables de la
réaction que vous offrez à l'appel. Rien, aucune obligation préalable,
connexe ou ultérieure, ne change quoi que ce soit à cet état de fait.
Quand votre mère vous a dit, à vous petit enfant : « Je
te chéris », quand elle vous a dit : « Obéis », rien n'eût pu
justifier une longue étude qui précédât et votre émotion filiale et
votre obéissance. Enfant de votre mère, vous avez vibré en l'entendant
vous dire sa tendresse; vous avez accompli sa volonté
De même, exactement de même, quand Dieu parle, Dieu se
révèle et votre conscience le salue. Bon gré mal gré vous voilà
responsable et obligé pour l'éternité.
Cela est aussi simple que grave
Et si, parmi vous, il est quelqu'un qui, en toute
loyauté, sans faux-fuyant ni faux-semblant, puisse s'écrier : « Je ne
sais ce que vous voulez dire, cette voix de Dieu je ne l'ai jamais
entendue ! » en vérité, nous lui répondrions - « Mon frère, tu es
quitte devant Dieu! »... Mais, prends garde!
Prends garde, parce que, si Dieu parle en général de
telle manière qu'il soit reconnu, il y a pourtant comme un langage
momentanément anonyme de Dieu et qui veut être pris au grand sérieux.
Nous pensons à la loi morale dont tu portes en toi le témoignage. Elle
aussi, elle déjà, exige de toi une obéissance entière - dusses-tu, par
impossible, ignorer l'existence d'un législateur derrière la loi ou ne
point savoir son nom. Cette loi est telle qu'elle prend des allures
d'autorité incontestable et que, violée, elle se
dresse comme une accusatrice. Ce n'est pas impunément qu'on la
transgresse, quels que soient le sens ou la portée que,
philosophiquement, on croie devoir lui donner.
Prends garde, parce que ce besoin irrésistible de
chercher Dieu est déjà le signe de la vivante action de Dieu.
Prends garde, enfin, parce qu'aujourd'hui, peut-être,
Dieu te parlera et que demain ta déclaration d'aujourd'hui ne sera
plus vraie.
Mais, cette réserve dûment faite pour l'un ou l'autre
d'entre vous, nous maintenons notre affirmation et nous vous prenons à
témoins de sa vérité.
L'appel de Dieu a retenti à propos d'une grande joie. Son
appel a retenti dans une grande détresse où le secours t'est venu. Son
appel a retenti lors d'une affliction. Son appel a retenti sans que tu
saches pourquoi ni comment : c'est une bouche humaine qui l'a
transmis. Celui qui parlait et commentait les Écritures ne connaissait
rien de toi ni de tes circonstances, pourtant il a dit des choses si
incroyablement justes que tu t'es senti percé à jour, transparent
comme du cristal...
Dieu était là et te visait. Tu l'as compris malgré toi.
Permettez que nous illustrions d'exemples vécus ce que
nous venons de dire.
Un jeune garçon de notre connaissance a eu (cela se
passait il y a bien des années) une tragique aventure. Un soir, entre
10 et 11 heures, ayant eu quelque inoffensif cauchemar, le pauvre
enfant, au lieu de rentrer dans son lit, passa par la fenêtre de sa chambre
à coucher et tomba du premier étage sur une terrasse cimentée. Quand
ses parents le découvrirent, baigné dans son sang, savez-vous ce qu'il
leur dit spontanément? Étrange et émouvant mystère! Il prononça ces
paroles : « Je sens qu'il faut que je me donne à Dieu. » L'appel était
caché dans ce dramatique accident.
Nous avons fait allusion à des délivrances accordées en
réponse à d'ardentes prières. N'en avez-vous pas connues ?
Pour nous, nous nous souvenons d'un épisode qui ne
s'effacera plus de notre mémoire. Adolescent, nous nous trouvions, un
jour, avec un frère cadet, égaré dans les Alpes. Ce fut une heure
terrible. Et nous priâmes, déclarant solennellement à Dieu que, s'il
nous sauvait de ce grand danger, notre vie lui serait consacrée sans
par vous que cette délivrance ne comportât pas un appel direct?
Pensez-vous que la promesse faite, une fois les grandes vagues de
l'émotion apaisées, dût cesser de lier la volonté? Non certes! Pas
question d'invoquer, pour se délier, les exagérations d'une
imagination inquiète. Pas question d'expliquer que, une fois la
situation envisagée à froid, elle est apparue moins périlleuse et que,
par conséquent, les serments prêtés ont perdu leur caractère sacré.
Non! non! On ne se moque pas de Dieu. Autant vaudrait dire que le oui
prononcé par l'époux amoureux, au matin de ses noces, n'a plus de sens
quand un peu de désaffection menace le foyer, dix ans après. Le Dieu
qui parle net et à qui l'on donne une réponse nette ne délie point.
Nous avons évoqué des appels qui, venus d'un inconnu,
nous ont transpercé le coeur, tant ils semblaient inspirés par le
détail de nos circonstances personnelles.
Écoutez un fragment de lettre. Un prédicateur avait
prêché sur ce texte d'Ézéchiel : « Et l'on dira : cette terre dévastée
est devenue comme un jardin d'Éden (Ez.,
XXXVI, 35.) ». Voici en quels termes une auditrice écrivit au
pasteur : « Cette terre dévastée c'est moi et tout ce que renferme ce
chapitre 36 d'Ézéchiel que vous avez lu, ainsi que les détails
navrants qui s'y rapportent dans le livre des Chroniques, c'est
l'histoire exacte de ma vie. »
Inutile de dire que jamais l'idée ne serait venue au
prédicateur d'appliquer ce qu'il disait à la personne ainsi
bouleversée.
C'est Dieu qui avait parlé.
Et maintenant réveillez vos souvenirs! À chacun nous
voudrions dire : « Te rappelles-tu? » Et nous ajoutons :
« Quelle suite as-tu donnée, ô homme, à l'appel entendu?
» Là est la grande question.
Ce qui est rare, en effet, ce n'est point que Dieu parle,
c'est que l'homme veuille bien tirer de ce message direct toutes les
conséquences qu'il comporte.
Oh! la navrante histoire que l'on pourrait écrire sur les
défections qui ont suivi les libres consécrations, sur les recherches,
aux apparences loyales et tenaces, qui ont suivi la trouvaille
négligée! Malheur à l'homme qui englobe dans une espèce de doute
philosophique à la Descartes jusqu'aux révélations de Dieu! C'est unefélonie
et il n'est pas d'excuse valable à cette prétendue reprise en
sous-oeuvre. L'homme est un être à volonté libre dès qu'il arrive à la
conscience de lui-même. Il lui est interdit de suspendre l'exercice de
ses responsabilités ou de faire table rase des expériences faites dans
le tête à tête avec Dieu, pour recommencer à frais nouveaux. Dieu, le
grand initiateur, prend les devants, le plus souvent, sur nos
philosophiques réflexions. Nos obligations vis-à-vis de lui ne sont
point interrompues par les tyrannies de la pensée rationnelle.
Deux destinées douloureuses éclairent pour nous ce
domaine. Celle d'Edmond Scherer et celle de Sully-Prud'homme.
Edmond Scherer. Savez-vous ce qu'ont été ses expériences
religieuses à l'origine?
Écoutez comment il parle de Jésus-Christ : « Est-il vrai,
ô mon Seigneur? tu étais à ma porte et je ne le savais pas; tu
frappais et je ne t'ai point ouvert... Entre, ô mon hôte 1 c'est pour
demeurer que tu es venu, n'est-ce pas? Mets ta main sur mon front et
me bénis. Dirige ma pensée de ton regard; tiens-toi là, à ma droite,
afin que je sois soutenu. Quelle joie ! Déjà ta présence a illuminé
toute ma cellule. Elle était si sombre ! J'étais si seul ! Désormais
mes yeux ne pourront se lever de mon livre sans se poser sur toi.
Alors même que je ne te verrai point, je sentirai que tu es près.
Quand je serai fatigué, j'appuyerai ma tête sur ton épaule. Quand mon
coeur palpitera inquiet ou éperdu, je me jetterai sur le tien; quand
j'aurai besoin de conseil, je m'assoirai à tes pieds. J'avais bien
conscience qu'il me manquait quelque chose. J'aurais
dû comprendre ce qu'il me fallait. Ne me l'avais-tu pas dit?
N'avais-tu pas déjà demeuré une fois en moi? C'était il y a trois ans.
Tu restas trois jours. Et ma vie fut transformée, mes doutes se
dissipèrent, mes luttes furent oubliées, mes ténèbres devinrent
lumière. L'amour débordait de mon coeur, la mort ne m'inspirait plus
d'inquiétude, le martyre m'eût paru facile. Ma première pensée au
réveil, ma dernière en me couchant était pour toi. Et point d'effort
dans ces pensées, car tu étais là. Penser à toi c'était te voir (2).
»
C'est le même Edmond Scherer qui a composé ces strophes
dont on a fait un de nos plus beaux cantiques
- Je suis à toi! Gloire à ton nom suprême!
- 0 mon Sauveur, je fléchis sous ta loi.
- Je suis à toi; je t'adore, je t'aime,
- Je suis à toi, je suis à toi.
- J'errais, perdu dans les sentiers du doute,
- Le vide au coeur et la mort devant moi,
- Lorsque tu vins resplendir sur ma route.
- Je suis à toi, je suis à toi.
- En te trouvant, j'ai trouvé toute chose,
- Et ce bonheur m'est venu par la foi.
- C'est sur ton sein qu'en paix je me repose;
- Je suis à toi, je suis à toi!
Dites, peut-on proclamer de manière plus sincère et plus décisive sa
rencontre avec le Christ de Dieu?
Or vous savez ce qui en est advenu de ce chrétien. Loin
de nous la pensée de le juger. Nous nous affligeons avec vous sur sa
tragique destinée, mais nous estimons que notre droit est de nous
laisser avertir par une semblable catastrophe.
Cet homme, devenu professeur de théologie, s'est engagé
sur les voies d'un rationalisme de plus en plus exclusif, de plus en
plus implacable, de plus en plus destructeur. Petit à petit,
travaillées par l'acide d'un impérieux intellectualisme, toutes les
réalités de la vie spirituelle se sont dissoutes et l'heureux disciple
du Vivant a fini dans le morne scepticisme de l'incrédulité.
Pauvre frère en humanité! qu'as-tu fait des révélations
directes de ton Dieu? Pourquoi as-tu mis en doute la valeur de sa
parole? De quel droit as-tu porté sur son coeur qui s'était ouvert
pour toi, la main profane de ta critique?
Quant à Sully Prud'homme, voici comment un de ses
biographes parle de la période qui nous importe ici. Le jeune homme
avait vingt ans environ. Il venait de traverser une grande épreuve :
une ophtalmie avait interrompu les études scientifiques qui
l'acheminaient à l'École polytechnique; il préparait, à Lyon, son
baccalauréat ès lettres.
Nous citons : « Il se trouvait là dans un milieu doux et
pieux, conforme à un des côtés de sa nature : il y subit une crise de
mysticisme qui lui a laissé un profond souvenir et qui lui a permis,
dit-il, de comprendre parfaitement les états d'âme religieux. Bien
que, dès l'âge de quinze ans, il se fût, au milieu de ses travaux mathématiques,
livré avec passion à la lecture des philosophes grecs, français et
allemands, la foi simple de son enfance, qui s'était abolie en lui,
reparut tout à coup avec une pleine et lumineuse évidence intime. Tout
le dogme catholique lui semblait d'une vérité éclatante; il ne
concevait pas qu'il en eût pu douter. Il passait de longues heures en
contemplation et s'entretenait avec Dieu, avec Jésus-Christ de coeur à
coeur... » Un peu plus loin, le biographe ajoute : « Mais, rappelé à
Paris par l'examen, dès qu'il y fut rentré et qu'il eut pris son
grade, l'enchantement cessa presque aussi soudainement qu'il était
venu. Il lut alors les livres de Strauss, d'autres travaux de critique
religieuse, et il se trouva lancé dans l'infinie incertitude à
laquelle cette extase l'avait passagèrement enlevé (3).
»
Discernez-vous, sous le jargon psychologique employé par
l'auteur, ce qui s'est passé? Nous vous le déclarons : le Dieu vivant,
par la terrible épreuve d'abord, par la révélation ensuite, avait
parlé à l'âme du jeune homme.
Mais qu'est-ce que cette conscience a fait de l'appel
souverain? Hélas ! elle l'a voulu tellement passer au crible qu'elle
l'a méconnu pour errer ensuite, une vie durant, sans boussole. C'est
là « l'infinie incertitude » dont parle Gaston Paris. Et croyez-vous
que Dieu en soit responsable?
Ainsi, trop souvent, l'homme cherche ce qu'il a trouvé.
Il interroge indéfiniment les réalités qui l'entourent, pensées, faits
ou lois, et il ne trouve plus ce qu'il semble tant
désirer : le Dieu personnel.
L'on pourrait dire, avec justice, à ce coeur lassé et
désabusé : Oh! souviens-toi de cette audience que Dieu t'accorda.
Pourquoi as-tu voulu tenir compte de tout le reste et dédaigner cet
événement glorieux? Serait-ce que tu prétendes avoir l'orgueilleuse
satisfaction de trouver par tes propres moyens et qu'une révélation
gratuite t'humilie comme indigne d'un être pensant? Ainsi le lépreux
Naaman refusait les humbles procédés de guérison et eût accepté tous
les héroïques remèdes pour être purifié.
Nous terminons cette partie de notre exposé en répétant
la question de tout à l'heure : Quelle suite avez-vous donnée aux
appels de Dieu? Votre raison a-t-elle brouillé les évidences ou bien
votre conscience et votre coeur ont-ils maintenu, avec adoration et
humilité, les certitudes que Dieu vous a données? À vous de répondre.
Dieu trouble.
Les relations entre les êtres humains ne se manifestent pas seulement
par la parole. Il s'opère, dans le silence même, de mystérieux
échanges d'âme à âme.
Considérez ce couple d'amoureux. Comme le caractère des
heures que coule leur amour est divers! Voici une phase toute
d'allégresse et de libre communion. Puis c'est comme si un nuage avait
passé dans le ciel, étendant sur tout le paysage une ombre blonde. Il
y a. de la mélancolie dans l'air et les coeurs, hier si heureux, sont
maussades. Il arrive pire quelquefois. Le temps se gâte tout
à fait, la campagne devient austère, presque farouche : c'est un
malaise aigu qui s'installe. On ne se comprend plus, un mur est dressé
entre ceux qui s'aiment. Quelque chose, - quelque chose d'encore
ignoré, - un mensonge, un faux pas, que sais-je, a créé ce désarroi
redoutable. Il faut que l'on s'explique, à défaut de quoi toute
confiance est bannie et l'on marche à la rupture.
Ainsi de nos relations avec Dieu.
Nous avons vu ce Dieu prenant la parole et nous appelant
personnellement. Voyons-le, maintenant, adoptant une autre méthode.
Voyons-le laissant s'établir, sans parole, un secret malaise dans nos
âmes. Un malaise qui peut revêtir toutes les formes, depuis la gêne
discrète jusqu'à la douleur cuisante, en passant par toutes les
nuances intermédiaires. Cette souffrance, Dieu s'en sert pour nous
faire comprendre que quelque chose ne va pas dans nos relations avec
lui. De même que la douleur physique nous avertit de la maladie
menaçante et nous amène à nous soigner, de même le mal de l'âme nous
sert de bienheureux garde-à-vous. L'heure est venue de se mettre en
campagne et de chercher, à tout prix, la guérison.
Entendons-nous pourtant. Il n'est pas question de vous
engager à considérer anxieusement tous les vague-à-l'âme qui
s'emparent quelquefois de vos coeurs. Il y a, à ces impressions
fugitives, trop de causes qui n'ont rien à voir avec la vie
spirituelle : disposition naturelle, vaine rêverie, appel de
l'amour... Non ! Nous vous rendons attentifs à autre chose. Nous vous
rendons attentifs à cette conscience nette que nous
avons quelquefois, cette conscience qu'un trouble grave empoisonne
notre vie intérieure.
Tenez! la meilleure manière d'expliquer ce dont il s'agit
ici c'est d'emprunter à l'histoire de Saul de Tarse un trait et un
mot. Le fanatique persécuteur, terrassé sur le chemin de Damas, entend
son accusateur lui dire « Il te serait dur de regimber contre les
aiguillons ( Actes
XXVI, 14). »
Des aiguillons ! les aiguillons divins. Il n'est pas
question d'une parole expresse, mais d'un harcèlement secret : piqûre
sur piqûre, blessure sur blessure, assaut intérieur. Et cette douleur
anonyme se trouve être un agent de Dieu pour appeler l'âme à ses plus
hautes destinées.
Il faut que nous distinguions ici entre deux ordres de
malaise, bien qu'ils se mêlent souvent. Il y a le malaise moral; il y
a le malaise spirituel.
Le malaise moral. Nous avons tous connu le remords.
Quelques-uns, suivant aux protestations de plus en plus pressantes de
la conscience, ont marché à grands pas. Ils ont passé d'un remords
précis portant sur une faute précise, à un sentiment général de
médiocrité morale. « Vous vous prendrez vous-mêmes en dégoût », disait
le prophète Ézéchiel au peuple de Dieu (Ézéch.
XXXVI, 31). C'est ce qui arrive tôt ou tard pour toute âme
lucide et loyale. Et ce dégoût peut s'accuser jusqu'à la conscience
d'une perdition, perdition réelle, méritée, toute
proche. C'est que, derrière les offensés, derrière la loi
transgressée, s'est dressé le Dieu-maître et le Dieu-juge. L'homme
vaincu n'est plus un malheureux seulement ou un pauvre être qui se
condamne lui-même, il est une personne morale, libre et responsable
que Dieu condamne.
Nous touchons ici à l'une des réalités capitales de la
vie. Malheur à qui la fuit ou cherche à s'en débarrasser à la légère !
Heureux qui, attentif et prosterné, accepte la solennelle comparution
devant le Dieu Saint !
Faut-il vous donner des cas concrets?
Vous connaissez, je pense, l'histoire du littérateur
anglais Johnson. Étudiant intelligent et un peu fat, il refuse, un
certain jour, d'aller vendre, sur la place du marché, les livres dont
son vieux père, le bouquiniste, faisait commerce. Sans insister, le
vieillard regagne lui-même son poste sous les intempéries. Il prend
froid, et, peu après, meurt. Son fils, dès lors, rongé de remords, non
seulement se condamne moralement, mais s'impose, en manière
d'expiation, d'aller, quand revient l'anniversaire de la faute, se
tenir derrière l'éventaire paternel et s'humilier ainsi en public.
Ah! qu'on ne nous parle pas du besoin d'expiation, comme
d'un malencontreux vestige du temps des sacrifices!
Combien de jeunes ont, dans leur passé, une faute grave !
L'un a fait violence, dans une minute de colère aveugle, à son frère;
l'autre a dit à sa mère, pourtant sincèrement chérie, un de ces mots
insolents qui reste en sa mémoire comme une braise dans le creux de la
main. Celui-ci a donné un baiser qui constituait un premier pas sur la
voie du désordre moral. Cet autre a commis, dans les ténèbres, seul ou
pas seul, quelque secrète ignominie...
Consentez à regarder en face les tares de votre passé.
Acceptez ce malaise qu'est le remords et sachez que si Dieu, dans ce
malaise, vous accuse et vous condamne, Dieu, dans ce malaise aussi,
vous invite au repentir et vous achemine à la connaissance de son
amour qui sauve.
Un exemple encore de cet état de condamnation générale
portant sur toute la conduite et sur tout l'être.
Écoutez Gaston Frommel.
Il est malade, il est mourant. Voici comment il décrit ce
qu'il éprouve à cette heure : « Dans l'immobilité silencieuse,... la
conscience éleva la voix. Plus je l'écoutais, - et je ne pouvais pas
ne point l'écouter, - plus elle me jugeait, plus elle me condamnait...
Elle me jugeait et me condamnait moi-même, moi proprement, moi tout
entier, dans le mal que je confessais comme dans le bien que je
m'étais attribué. Il n'y avait plus de différence. Tout en moi était
également corrompu, tout était également souillé, parce que tout était
également entaché de volonté propre. J'étais moi-même perdu... Je
roulais désespérément dans l'abîme d'une perdition mille fois plus
redoutable que celle du néant. Toutes les terreurs du jugement, de ce
jugement que tout homme porte en soi - mais qui reste pour la plupart
indistinct et vague - tombaient sur moi. L'absolue sainteté d'un Dieu
que je connaissais à peine et que je n'osais plus
même nommer, tant son nom m'épouvantait, éclatait dans ma conscience;
à la clarté de son implacable lumière, je me voyais irrévocablement
jugé, condamné, perdu. »
Et G. Frommel ajoute : « C'est alors, et lorsque je
goûtais jusqu'à la lie l'horreur de ma perdition, que Dieu, par sa
grâce, me fit faire l'expérience de son salut... (4)
»
Pensez-vous qu'il y ait là je ne sais quelle exaspération
morbide d'un trouble de conscience? Non point. Il y a là une lucidité
parfaite. La vision juste de ce qui est.
Ne nous dérobons jamais au trouble que le Dieu saint
inspire à nos consciences; n'éludons pas les problèmes que posent ces
cuisants malaises. Regardons-les, puis, dans une recherche obstinée
que soutiendront des prières où n'entrera plus aucun formalisme,
arrivons aux divines solutions., Nous savons tel jeune qui ne s'est
épanoui dans sa vie religieuse que quand il a consenti à voir, à juger
et à liquider devant Dieu un souvenir honteux de son passé. Avant cela
sa foi précaire tablait sur des probabilités, ensuite elle s'est
fondée, avec bonheur, sur le roc des certitudes.
Nous avons parlé de malaise spirituel. Nous entendons par
là, tout ce qui, dans notre for intérieur, nous avertit
qu'un je ne sais quoi d'essentiel manque à notre vie. Il arrive que
nous ayons tout pour être heureux : santé, jeunesse, ressources
matérielles suffisantes, beaux projets d'avenir, amitiés ou pures
tendresses romanesques, et que, par une apparente aberration, le
sentiment amer nous tenaille que tout cela ne fait pas le bonheur. Ce
sont là les fleurs et les friandises qui remplissent la chambre d'un
malade. Mais le malade n'en est pas moins malade, il pleure, en
secret, sur sa santé délabrée. Ainsi de notre âme indigente quand
l'intelligence et le coeur sont privilégiés.
Permettez-nous de transcrire ici deux strophes inédites.
Elles ne sont pas très riches au point de vue littéraire, mais elles
disent bien le malaise dont nous parlons. C'est un jeune qui a raconté
ses angoisses sous forme de prière.
- De tous les biens dont, sur la terre,
- 0 Dieu ! tu peux combler les tiens,
- Tu m'as comblé - et ma prière,
- A souhaiter n'aurait plus rien.
- Hélas ! mon Dieu, dans ce bonheur,
- Un mal me ronge, ardente flamme
- J'ai tous les biens, mais toi, Seigneur,
- Je ne t'ai point encor dans l'âme.
Sûrement l'un ou l'autre d'entre vous a connu ce vide central. Toute
la vie, active, heureuse apparemment, gaie quelquefois, toute la vie
tourne autour de ce trou. Et ce n'est là ni le vague-à-l'âme que nous
condamnions tout à l'heure, ni une disposition neurasthénique, c'est
un symptôme révélateur.
Nous vous en prions, si ce tourment vous mord, ne vous
hâtez pas de l'écarter. Ne cherchez pas de vaines distractions; ne
sonnez pas précipitamment chez un médecin spécialiste des maladies
nerveuses et qui diagnostiquera que « vous faites de l'angoisse... »
Non ! Soyez vaillants et regardez à Dieu. Ce sont là ses aiguillons
qui vous labourent le coeur. Vous n'êtes pas les premiers à les
connaître. Ils sont légion ceux qui, avant vous, ont côtoyé les
abîmes, mais ont trouvé, au moment propice, la main divine qui les a
retenus et délivrés.
N'aie pas peur ! mon frère, tu seras sauvé si tu consens
à ne pas fuir et à ne pas chercher en toi les bases d'une guérison par
autosuggestion, si tu viens loyalement au Dieu qui te trouble.
Ce serait ici le lieu de noter encore deux observations
importantes. Nous ne pouvons le faire qu'en passant.
Et d'abord une observation concernant le réactif que Dieu
emploie, le plus souvent, pour troubler la tranquillité de notre
conscience. Il en est plusieurs, nous le savons, mais le réactif par
excellence, c'est la Bible.
Cette Bible, que les uns envisagent comme le bloc
intangible de l'inspiration littérale, cette Bible que d'autres
réduisent à n'être qu'une intéressante collection de documents
historiques et religieux, cette Bible peut devenir, pour nos
consciences, un livre brûlant. Il nous souvient d'un temps où nous
n'osions presque plus l'ouvrir tant le contraste entre ce que nous y
trouvions et ce qui se passait en nous était tragique. Oh! ces expériences
qui y sont consignées. Oh! ces affranchissements qui font entonner des
hymnes d'allégresse. Oh! cette foi sereine et ardente, cette communion
avec Dieu!... Désolé, le malheureux s'écrierait volontiers : « Ne me
parlez plus de tout cela; c'est trop beau et je suis trop misérable.
Ou plutôt, oui, plongez ces témoignages dans mon âme, comme on plonge
dans l'eau un fer rouge... Il faudra bien que j'en aie le coeur net et
que je sache s'il y a là de pieuses rêveries ou une solide réalité. »
Et ceci nous amène à notre seconde observation.
Le malaise spirituel dont nous avons analysé les signes
initiaux, revient assaillir l'âme croyante à chaque étape de son
développement. On ne vit pas indéfiniment d'une vérité contemplée et
assimilée. De même que l'enfant traverse, pour arriver à l'âge adulte,
une série de crises dites de croissance, de même, lorsque l'âme se
développe, elle voit naître en elle de nouveaux besoins que ne
satisfait plus la vérité savourée hier. Cette vérité demeure, sans
doute, mais il faut qu'elle soit complétée d'une vérité plus haute et
plus forte. Paul parlait à ses lecteurs du lait qu'il leur avait donné
jusqu'ici et de la viande dont il avait hâte de les nourrir quand leur
stature spirituelle le permettrait.
Ne nous étonnons donc pas si, ayant fait nos premières
expériences spirituelles, nous nous trouvons, cinq, dix ans plus tard,
appelés à une nouvelle révélation. Ne nous étonnons pas si c'est comme
à frais nouveaux qu'il faut conquérir une région neuve de la vérité
qui sauve. Cela est dans l'ordre.
Mais, là encore, n'éludons pas, affrontons. Cela nous
sera d'ailleurs plus facile, parce que cette recherche sera baignée
dans une atmosphère de confiance en Dieu. Ç'a été une crise que celle
qui a lié les apôtres à Jésus; ç'a été une nouvelle crise que celle
qu'inaugura le Vendredi-saint, mais, au cours de celle-ci, ces mêmes
hommes ont été soutenus par la foi totale qu'ils avaient donnée au
Christ.
La vie spirituelle est une lutte, mais la plus belle des
luttes. Vous savez que Paul dit de lui-même, au soir de sa vie : «
J'ai combattu - non pas le bon combat, comme le disent nos
traductions, - mais le beau combat... j'ai gardé la foi (II
Tim. IV, 7). »
Levons-nous, frères, et vaillamment, abordons les
batailles en regardant au Dieu qui nous donnera la victoire et les
victoires, jusqu'au suprême dénouement.
En effet, et c'est ce qu'affirmera notre dernière partie
: Dieu comble.
Dieu comble.
Nous aurions une bien triste image du Dieu vivant si nous nous le
représentions appelant et laissant en plan l'homme qui répond;
troublant la conscience jusqu'à l'agonie et incapable de proportionner
son secours à la détresse provoquée.
Ah ! que la réalité est autre. Qu'elle est glorieuse !
Tout l'Évangile proclame que Dieu n'agit que par amour.
C'est par amour qu'il créa; c'est par amour qu'il appelle; c'est par
amour qu'il trouble. Il le fait parce qu'il sait que, sans lui, nous
sommes les plus misérables de toutes les créatures. Avez-vous goûté
toute la saveur du qualificatif de jaloux que Dieu se donne dans le
décalogue? Certes, il y a une jalousie de l'égoïsme, une jalousie de
la dignité offensée, une jalousie du sens moral blessé. Celle de Dieu
est la jalousie de l'amour saint. Ce n'est pas parce que lui ne
pourrait pas se passer de nous qu'il nous harcèle quand nous lui
préférons des idoles, c'est parce que nous ne pouvons pas nous passer
de lui. Il le sait bien et il nous aime, alors il nous tourmente, dans
sa généreuse jalousie, jusqu'à ce que, revenus à lui, nous retrouvions
la paix.
Et qu'a-t-il à nous offrir? En vérité, nos désirs les
plus hardis ne s'élèvent point à la hauteur de ce qu'il nous a
préparé. Sa pensée à lui dépasse nos timides aspirations.
C'est à dessein que nous avons employé, tout à l'heure,
le mot de combler. Oui, Dieu nous comble. Il ne se borne pas à mettre
ses dons au niveau de nos désirs, il submerge nos voeux. Ce n'est pas
sous l'empire de l'exaltation oratoire que Paul a dit de l'Évangile: «
Ce sont des choses que l'oeil n'avait point vues, que l'oreille
n'avait point entendues et qui n'étaient point montées au coeur de
l'homme, mais que Dieu avait préparées pour ceux qui l'aiment (1.
Cor. II, 9). » C'est l'expression exacte de ce que nous venons
d'affirmer.
Mais revenons à notre question. Qu'est-ce donc que Dieu
nous offre?
Une révélation pour notre pensée? - Oui, sans doute. Une
consolation pour notre coeur? - Oui. Un pardon pour nos fautes? - Oui
encore. Mais toutes ces choses ne sont que les éléments d'un secours
plus grand et plus complexe. Ce que Dieu nous offre c'est le Salut.
Oh! le beau mot, banalisé par le verbiage religieux.
Salut veut dire guérison et santé.
Dites, vous qui avez été gravement malade, si le mot de
guérison, qui, lui aussi, court les rues et émaille les livres de
médecine, est resté banal pour vous quand il a désigné votre retour à
la santé? Ainsi du mot de salut. Je vous certifie qu'il n'est pas
emprunté au « patois de Canaan », pour l'âme malade qui en a
savouré la portée effective.
Oui Dieu donne un salut qui est le salut; une guérison
qui est la guérison.
Nous ne voulons pas, ici, nous abandonner aux
entraînements d'une certaine logique qui refléterait obligatoirement
les données de la dogmatique orthodoxe. Laissez-nous vous rappeler
plutôt les délivrances célébrées par quelques-uns.
Quand le sens du péché est devenu assez aigu, comme chez
Saul de Tarse, « le persécuteur, le blasphémateur, l'homme violent »,
ainsi qu'il se décrit lui-même (I
Tim. I, 13); comme chez Gaston Frommel dont nous citions, il y a
un instant, le témoignage; comme chez tant et tant d'autres,
ce n'est plus une parole de pardon qui suffit à apaiser le coeur, il
faut plus. Le salut que Dieu a accompli en Jésus-Christ et qu'il offre
au coupable, voilà ce qui répond, enfin, aux exigences impérieuses de
la conscience. Il est expiation des péchés et rachat de l'âme esclave.
L'apôtre Paul s'en était rendu compte et il s'écriait
« Je n'ai pas voulu savoir... autre chose que
Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié (I
Cor. II, 2). » « Loin de moi, la pensée de me glorifier d'autre
chose que de la croix de Jésus-Christ (Gal.
VI, 14). »
Libre à chacun de ne pas accepter la rédemption par la
croix de Jésus, une chose demeure, pourtant, manifeste : sans ce
salut-là, des hommes comme Paul, Augustin, Luther et des milliers
d'autres, auraient sombré dans le désespoir.
Nous osons donc offrir à votre conscience ce même salut,
sûr que lui seul parvient à vaincre la mortelle maladie qui intoxique
le coeur humain et qui s'appelle le mal.
Mais la guérison n'a pas seulement cette face, jusqu'à un
certain point négative. Elle ne répare pas seulement le passé, brisant
la chaîne des remords, elle a une face positive et constructive.
Comblé par le fait d'une rédemption, l'homme est comblé
encore par les divines restaurations que l'Esprit opère en lui
Que de fois nous nous sommes retrouvés dans les paroles
de Paul disant : « Je ne fais pas le bien que j'aime et je fais le mal
que je hais... Misérable que je suis, qui me délivrera de ce corps de
mort? » Mais avons-nous pesé les mots qui suivent? Avons-nous entendu
le carillon de fête qui sonne dans cette âme affranchie : « Grâces
soient rendues à Dieu, par Jésus-Christ notre Seigneur! (Rom.
VII, 15 et 24-25)
»
L'apôtre ne constate plus, lamentablement, son
impuissance morale, il a trouvé le secret de la force et de la,
liberté : il est comblé.
Comprenez-vous, mieux encore que tout à l'heure, le
caractère brûlant du livre qui nous fait témoins de délivrances
pareilles?
Nous nous arrêtons ici dans la description de ce salut
envisagé en ses effets. Nous voudrions mettre en lumière ce qui,
objectivement, constitue le don de Dieu.
Ces révélations, ces consolations, ces pardons, cette
rédemption et cette régénération, dont la gerbe bénie constitue le
salut, sont concentrés en une personne. Dieu nous a donné quelqu'un.
Ce quelqu'un c'est Jésus-Christ. « Vous avez tout
pleinement en Lui », disait Paul (Col.
II, 10).
De même que tout le bonheur de l'époux est dans l'épouse,
de même tout le trésor de Dieu pour nous est dans un être unique.
Jésus le messager, Jésus le rédempteur, Jésus le vivant,
voilà notre Sauveur. « Il n'y a de salut - dans le sens plein du mot -
en aucun autre (Actes
IV, 12). » Dieu l'a voulu ainsi. Quelle prévention, nous vous le
demandons, nous empêcherait de lui laisser le choix de ses moyens? Et
si, abandonnant toute idée préconçue, toute mesquine prétention de
mesurer l'amour de Dieu aux normes étroites de notre raison ou de
notre coeur, nous entrons dans la pensée de Dieu et acceptons
Jésus-Christ, alors, toujours mieux, nous nous apercevrons que seul un
tel salut peut vraiment dénouer le drame de la chute.
Le don, ici encore, l'a emporté de mille coudées sur le
besoin primitivement ressenti. Mais le besoin, approfondi par l'action
de l'Esprit, s'est révélé si grand, que seule la venue du Fils unique
le pouvait satisfaire.
Ainsi donc, fort du témoignage des apôtres, des croyants
de tous les siècles, fort aussi de notre propre expérience, nous vous
invitons à contempler le salut de Dieu et à le trouver tout entier,
pour hier, pour aujourd'hui et pour demain, en Jésus-Christ.
Écoutez encore, pour finir, comment Gaston Frommel décrit
l'issue de la crise dont nous racontions, il y a un moment, la
première phase.
« C'est alors, dit-il, et lorsque je goûtais jusqu'à la
lie l'horreur de ma perdition, que Dieu, par sa grâce, me fit faire
l'expérience de son salut. Déjà, aux heures les plus sombres et les
plus désolées, il m'avait fait entrevoir au loin la croix du Calvaire,
qui se dressait lumineuse et paisible, comme le
seul refuge offert à ma détresse. Mais elle était trop loin et j'étais
trop indigne. Maintenant il m'envoya l'un de ses serviteurs, l'un de
ces témoins vivants de la Rédemption qui est en Christ. Je ne saurais
vous dire ce que fut sa parole. Je ne le sais plus moi-même. Je sais
seulement qu'elle retentit dans mon âme, forte et douce, sévère et
consolante, sainte et miséricordieuse, irrésistible surtout, comme
celle de Dieu dont il m'apportait le message. Elle me jeta brisé,
vaincu, aux pieds du Christ, et là, sans hésitation, sans réticences,
sans curiosité théologique d'aucune sorte, simplement parce qu'il
était sauveur et que j'étais perdu, je m'abandonnai moi-même et me
donnai à lui (5). »
Le moment est venu de conclure. Nous le faisons en
offrant à vos imaginations deux tableaux. Il s'agit de deux
collectivités humaines entre lesquelles il faut que nous choisissions,
car on ne peut que s'affilier, ici-bas, à l'un ou l'autre groupe.
Voici d'abord la foule des ennemis de Jésus, lors de sa
crucifixion. Il y a le souverain sacrificateur et sa pieuse
indignation en face de l'accusé qui se déclare Messie et Fils de Dieu;
il y a ses comparses du Sanhédrin; il y a Pilate, assez clairvoyant
pour discerner l'innocence de' Jésus, mais trop lâche pour acquitter le
condamné des Juifs; il y a la masse moutonnière de ceux qui,
fanatisés, vocifèrent, réclament l'élargissement de Barabbas et le
crucifiement du roi couronné d'épines; il y a les soldats brutaux et
moqueurs...
Qu'en pensez-vous, quel est le grand crime de tout ce
monde? Est-ce la lâcheté, l'hypocrisie cachée sous la légalité ?
Est-ce la faiblesse, prétexte aux entraînements? Est-ce la violence,
est-ce le mépris? - Sans doute. Mais leur crime à tous, en son fond,
est un crime d'âme.
Ils ont eu devant eux, depuis longtemps, ils ont devant
eux, au cours du procès, le témoin du Dieu vivant. Dieu parle en Lui,
rayonne en Lui, évident aux consciences qui consentent à voir... et,
eux, les malheureux, ils se bouchent les yeux pour ne pas voir;
aveuglés par leur méchanceté, ils repoussent Dieu en Christ; ils le
condamnent. Voilà leur crime en son essence. Le reste en découle.
Prenons garde, en face du Dieu qui appelle, qui trouble
ou qui comble en Jésus, de commettre ce crime d'âme qu'est le refus
d'accepter l'évidence.
L'autre groupe que nous évoquons, c'est l'assemblée de la
Chambre haute à la veille de la Pentecôte.
Petite troupe modeste d'hommes et de femmes. Ils
appartiennent à l'humble armée que la mort de Jésus a vaincue, aux
yeux des persécuteurs. Mais, voyez quelle paix sereine éclaire les
visages! Écoutez ces psaumes qui montent au ciel avec un accent
d'allégresse ineffable. Prêtez l'oreille à ces prières. Quelles
louanges ! quelle confiance ! quelle heureuse attente !
Et voyez quel amour déborde de ces coeurs et quel
courage. Tout à l'heure, quand la promesse du Père se sera accomplie,
ils affronteront hardiment la foule, et, dans la ferveur de leur
certitude, ils proclameront le nom du Sauveur.
Ce ne sont pas des gens fortunés ou haut placés, ce ne
sont pas même des saints... ce sont des hommes comme nous. Mais, en
face de Jésus, gagnés par sa divine parole, par son action
compatissante, gagnés par sa mort féconde et par la résurrection dont
ils sont les témoins, ils ont rendu les armes.
« Celui qui m'a vu, disait Jésus, a vu le Père (Jean
XIV, 9). » Ils ont vu le Père en Lui, ils l'ont acclamé Lui
comme le Fils. Ils sont sauvés et ils vivent.
C'est à ce groupe-là, que, dans la loyauté de la foi et
du service, nous vous invitons à vous joindre avec nous.
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