Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE VI

Plan d'avenir et expériences religieuses.

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 Lorsque Ramabaï avait demandé à ses amies des États-Unis leur appui financier pour une période de dix ans, elle espérait pouvoir à la fin de celle-ci se passer de leur soutien. Les Hindous eux-mêmes, pensait-elle, persuadés de l'utilité de son asile, en feraient tous les frais. Mais plus les années s'écoulaient, plus la vaillante femme sentait la vanité de cet espoir. Parmi ses compatriotes les hommes riches et influents ne comprenaient pas ses nobles intentions.


Une bonne idée.

Que faire ? Elle réfléchit et pria. Puis la solution fut trouvée : Acheter un terrain et y planter des arbres dont les fruits seraient d'un bon rapport. Avec Sunderbaï elle demanda au Seigneur la somme nécessaire et annonça son projet à ses amies des Indes et de l'Amérique. Deux ans après, en 1894, le terrain fut acheté et put être payé comptant. Il se trouve dans le voisinage de Khedgaon, à environ soixante-dix kilomètres au sud de Poona, près d'une ligne de chemin de fer. Des centaines d'orangers, de citronniers, de cannes à sucre et de manguiers furent plantés ; on creusa un puits ; on bêcha et ensemença le jardin potager dont les légumes furent expédiés à l'asile. Le reste des cent acres, c'est-à-dire des 4000 hectares, fut peu à peu défriché et, de jungle qu'il était, transformé en champs fertiles qui donnèrent d'utiles moissons. On laissa inculte une partie rocailleuse par laquelle le gouvernement fit passer une route. L'achat de cette vaste campagne fut providentiel, car il eut pour l'avenir de l'oeuvre une importance insoupçonnée.


Baptême de plusieurs élèves.

Expériences religieuses de Ramabaï.

Dans le Sharada Sadan, la lumière de l'Évangile brille d'un éclat toujours plus vif. Les réunions d'activité chrétienne sont prospères et les cultes du matin et du soir, célébrés dans une grande salle, groupent la majorité des élèves. La fille de la maîtresse de la maison, Manorama, instruit les plus jeunes et les édifie par sa vivante piété. Plusieurs demandent le baptême pour se rattacher officiellement à une communauté chrétienne. Comme Ramabaï éprouve quelque appréhension, son école étant destinée aux Hindoues, elles vont se faire baptiser dans l'une des églises de Poona. Toutes ces néophytes qui étaient en état de gagner leur vie trouvèrent des places d'institutrices dans des oeuvres chrétiennes ou restèrent au Sadan comme institutrices primaires ou comme domestiques. Cette solution assurait la neutralité de l'école en matière religieuse et lui permettait de continuer sa noble tâche : l'éducation de la veuve hindoue.
Cependant Ramabaï ne se laisse pas absorber par les préoccupations pratiques. Elle médite, lit sa Bible et prie chaque jour, sa foi se développe et se fortifie. Son christianisme, assez vague autrefois, s'affirme depuis qu'elle est débarrassée de l'influence des brahmanes.

Dans une brochure parue à Bombay en 1895 elle nous raconte le développement progressif de sa foi :
« Préoccupée de chercher la vérité dans les religions hindoue et chrétienne, je les comparai l'une avec l'autre. Ayant trouvé le christianisme meilleur, je l'acceptai et fus baptisée dans l'Eglise anglicane. je croyais au Symbole des Apôtres et aux doctrines essentielles du christianisme ; mon âme était en paix, j'avais confiance en Dieu et priais en son nom. je ne me rattachai pas à une communauté particulière et je ne le fais pas non plus maintenant ; il me suffisait pour m'appeler chrétienne d'avoir la foi en Christ, le Sauveur de l'humanité. Mes prières avaient un caractère général, car il me manquait encore cette certitude : « Crois au Seigneur Jésus et tu seras sauvée. » Le salut, pensais-je, me sera donné dans l'avenir. Les nouveaux convertis, en particulier les intellectuels, abusent de ce verset dont l'un des temps est au futur (pour renvoyer à plus tard le soin de chercher le salut). Bien des doutes m'assaillirent et bien des difficultés surgirent devant moi. Tant de sectes, tant d'opinions différentes, un si grand manque de spiritualité et tant de paroles frivoles prononcées au nom de la religion... mais je continuai à lire ma Bible et à croire à la bonté divine. »

« Quelques années après, je compris que ma foi était purement intellectuelle et sans vie. je plaçais le salut dans l'avenir, après la mort, et ainsi mon âme n'avait pas passé de la mort à la vie. Dieu me fit voir le danger de la situation, mon état de péché et la nécessité d'être sauvée pour le temps présent et non pas seulement pour un vague et lointain avenir. Je me repentis longtemps, je perdis le repos, je fus presque malade et passai mainte nuit sans sommeil. Le Saint-Esprit ne me laissa nul répit jusqu'à ce que j'eusse trouvé le salut. Après que j'eus demandé sérieusement à Dieu le pardon de mes péchés, par Jésus-Christ, il me fit comprendre que j'étais réellement sauvée. je crus à la promesse de Dieu et je le pris au mot. Ensuite mon fardeau tomba et je compris que j'étais pardonnée et libérée de la puissance du péché. L'Esprit témoigne lui-même à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. (Romains 8: 16.) Dès lors je fus vraiment heureuse ; sans l'ombre d'un doute, j'avais obtenu le salut par Jésus-Christ. »

Il nous a semblé utile de citer ce témoignage personnel de Ramabaï. La foi intellectuelle fut ainsi remplacée par la foi du coeur et par le sentiment de sa régénération. Se basant sur les promesses contenues dans la Bible, elle désirait encore recevoir le Saint-Esprit dont elle attendait de grandes bénédictions. Des réunions étaient organisées à Bombay, elle y assista. Le sujet traité fut précisément celui qu'elle souhaitait. Ses impressions furent fortifiées par un entretien particulier qu'une de ses amies et elle-même eurent avec l'orateur, M. Gelson Gregson.

« Alors, écrit-elle, nous priâmes afin que le Saint-Esprit descendit sur moi et le soir de la même journée n'était pas encore arrivé que je sentis sa présence. Depuis lors, j'ai reçu mainte bénédiction et je serai toujours reconnaissante envers Dieu de m'avoir montré le secret d'une vie heureuse. »


Elle demande à Dieu « de grandes choses. »

L'usage des camps de vacances avec réunions religieuses a passé des pays anglo-saxons dans le monde entier. Les chrétiens de l'Inde en apprécient aussi les bienfaits. L'un de ces camps est situé dans les montagnes des Ghâts occidentales, au milieu des forêts de Lanouli, à cent cinquante kilomètres de Bombay. Entouré de sommets, il offre un emplacement idéal et fait penser au beau texte du Psaume CXXV, v. 2: « Comme les montagnes entourent Jérusalem, ainsi le Seigneur entoure son peuple. » Les arbres répandent leurs frais ombrages qui sont les bienvenus quand on arrive accablé soit par la chaleur de Bombay, soit par les vents embrasés du Deccan. Des chrétiens de toutes dénominations viennent y trouver des forces nouvelles pour leur âme et leur corps. Ces réunions ont lieu en avril ou en mai, qui sont aux Indes les mois les plus chauds de l'année. Ramabaï prit part à celles de Pâques 1896.

« Ce camp, raconte-t-elle, me procurait une joie particulière, car j'étais accompagnée de quinze de mes élèves qui croient au Seigneur Jésus. Au milieu de mes difficultés je me réjouissais à la pensée que le Sauveur m'avait donné ces quinze âmes immortelles que je pouvais appeler mes filles spirituelles. Un matin, retirée dans un endroit solitaire pour voir le lever du soleil, je pensai au soleil de justice et souhaitai que mon peuple « assis dans les ténèbres » ouvrît les yeux pour le contempler dans sa gloire. Le coeur débordant de joie, je présentai à notre Père céleste des actions de grâces pour le don de ces quinze enfants et fus conduite par l'Esprit à demander au Seigneur de m'en donner quinze fois autant, c'est-à-dire deux cent vingt-cinq, avant le camp de l'année suivante. Toutes les circonstances s'opposaient à la réalisation de ce voeu. Notre école pouvait recevoir au maximum soixante-cinq élèves et quelques-unes d'entre elles devaient nous quitter avant les vacances de l'été. Comment réaliser mon projet ? je me mis à douter. À ma prière Dieu répondit : Voici, le suis l'Éternel, le Dieu de toute chair ; y aura-t-il quelque chose qui me soit difficile ? (Jérémie XXXII : 27.) C'était un reproche à mon âme qui manquait de foi et une promesse des grandes choses que Dieu ferait pour moi ! Je notai ces paroles dans mon calepin et, après avoir inscrit la date à laquelle j'avais fait cette demande, j'en attendis l'accomplissement en son temps. »

Six mois après le nombre des élèves loin d'augmenter avait diminué. Mais en octobre parvint la nouvelle d'une famine dans les Provinces centrales et Ramabaï se sentit appelée à porter secours aux jeunes veuves menacées de mourir de faim. Les locaux et l'argent manquaient, car l'envoi habituel d'argent collecté en Amérique avait tardé. Dieu voulait faire passer Ramabaï par le chemin de la foi. N'écoutant que la voix de sa conscience, elle partit malgré l'absence de tout secours matériel. Ses souvenirs d'enfance lui rappelaient les tortures de la faim qu'elle avait endurées elle-même avec toute sa famille ; elle voulut coûte que coûte organiser une oeuvre de sauvetage. Son initiative fut récompensée ; à peine la nouvelle de son voyage fut-elle connue que les dons affluèrent des villes de Poona et de Bombay ; une fois de plus la foi était victorieuse !




CHAPITRE VII

La famine de 1897.

Mukti.

Il nous est difficile de nous représenter un pays ravagé par plusieurs années de sécheresse. La pluie attendue ne tombe pas et de vastes contrées se transforment en déserts. L'herbe jaunit et se fane, les arbres des vergers et des forêts perdent leur feuillage, la sécheresse implacable rend les champs stériles. Les sources tarissent, le lit des fleuves se vide et les puits eux-mêmes manquent d'eau. Dans la jungle, le gibier succombe et dans les fermes les animaux domestiques périssent. La pauvreté des habitants et la rareté des voies de communication empêchent l'achat des denrées alimentaires. Par centaines, par milliers, les affamés meurent ; d'autres ont la force de se traîner dans les camps de secours organisés par les autorités. Rapidement, ces asiles improvisés sont surpeuplés et font courir de grands dangers aux jeunes filles et aux veuves qui s'y réfugient.


Enfants sauvés de la famine

Ramabaï arriva en libératrice, elle découvrit les affamées et les confia à sa compagne, une lectrice de la Bible, qui les ramena à Poona par groupes de dix ou de vingt. La collaboratrice chrétienne Sunderbaï Powar, aidée par les élèves, se chargea de les recevoir. Toutes étaient dans un état sanitaire déplorable. La privation prolongée de nourriture provoque non seulement la faiblesse et l'amaigrissement du corps mais aussi des tumeurs à la tête, dans la bouche et d'autres maladies encore. Elles arrivaient au Sharada Sadan le corps décharné, les os saillants et réclamaient impérieusement à manger. Satisfaire leur vorace appétit eût été dangereux ; il fallut les accoutumer progressivement à l'alimentation. Un journal de cette époque, le Bombay Guardian, recueillit les impressions rapportées de la première expédition de sauvetage, qui fut tôt après suivie d'une seconde.

« Le Père qui nous est un véritable secours dans la détresse m'a permis de réunir soixante veuves ; quarante-sept d'entre elles feront des études dans notre école et les autres seront chargées des travaux manuels. Découvrir ces veuves, les amener ici de l'Inde centrale, les nourrir et les habiller sont choses coûteuses. Il est plus difficile encore de les éduquer et de leur donner des habitudes de propreté. Quelques-unes ne valent guère mieux que des brutes. Les habitudes de saleté acquises pendant la famine leur deviennent une seconde nature. Il faudra beaucoup de temps pour les réformer. Toutes choses sont possibles par la puissance du Seigneur. Il m'a donné l'idée de sauver de la famine trois cents veuves, je me mets au travail que je fais en son nom. Les fonds envoyés par nos amies d'Amérique suffisent à peine pour nourrir et instruire cinquante personnes et on me demande comment je pourrai payer les frais que nécessiteront les nouvelles arrivées. Outre l'achat de nourriture et de vêtements, il faudra bâtir des dortoirs et des réfectoires.
Notre école ne peut recevoir actuellement plus de cent personnes. Comment faire face à ces dépenses ? Je ne sais, mais le Seigneur sait ce qu'il nous faut. »


Esprit de sacrifice.

« Mes élèves et moi, écrit Ramabaï dans le même article de journal, nous sommes prêtes à abandonner tout confort pour vivre dans la plus grande simplicité. Chaque jour, nous nous contenterons d'un seul repas d'aliments grossiers, s'il le faut, et aussi longtemps qu'il nous restera la moindre place et un peu de grain nous secourrons nos soeurs qui vont périr. Vivre dans cette maison bien construite, manger à satiété de bons aliments, tandis que des milliers de créatures sans abri meurent de faim serait un péché. Si chacune de nous fait sa part avec fidélité, Dieu est fidèle dans l'accomplissement de ses promesses et nous enverra de l'aide. » La femme généreuse, qui connaissait par expérience la faim, ne pouvait supporter la pensée de laisser des affamés sans les secourir. Ses articles furent tirés à part à un nombre considérable d'exemplaires ; les missionnaires en envoyèrent à leurs amis d'Europe et d'Amérique. De ces pays arrivèrent des sommes considérables pour l'Inde en détresse, démontrant que la solidarité chrétienne n'est pas un vain mot.


Établissement provisoire à Khedgaon.

Un second voyage dans les régions desséchées devait compléter le chiffre des 225 protégées, mais au cours de celui-ci un télégramme rappela Ramabaï à Poona. La peste bubonique ayant éclaté, les autorités prirent des mesures rigoureuses pour écarter cette grave épidémie. Elles interdirent toute nouvelle admission au Sharada Sadan et envoyèrent dix-huit des nouvelles arrivées en observation à l'hôpital. Ces précautions se justifiaient, car les maladies contagieuses se propagent avec une rapidité foudroyante parmi les affamées dont le corps est affaibli. Ramabaï ne se laissa pas arrêter par cet obstacle. Il lui fallut abandonner la construction, déjà commencée, des annexes du Sadan et préparer un autre asile pour les nouveaux convois. Après avoir établi celui-ci, dans les environs de la ville, elle eut, peu de temps après, l'ingénieuse idée d'utiliser les terrains de Khedgaon qui reçurent ses protégées sous des abris provisoires. On édifia ensuite un hangar, afin d'avoir un abri suffisant pour la prochaine saison des pluies, que l'on attendit avec foi. Quand celle-ci arriva enfin, saluée avec joie et reconnaissance, les élèves capables de faire des études furent envoyées au Sadan, et les autres restèrent à Khedgaon. Des élèves qui étaient en observation à l'hôpital, dix-sept furent rendues à Ramabaï ; on lui déclara que la dix-huitième était décédée. Or, une enquête minutieuse révéla que cette dernière avait été enlevée par un employé du gouvernement, qui la retenait captive chez lui. D'énergiques démarches obligèrent cet individu sans conscience et débauché à rendre la jeune fille tout heureuse de rentrer à l'asile.

Quelques fillettes, faibles de santé, avaient besoin de soins dévoués. Un appel fut adressé aux élèves, qui répondirent avec empressement. Une chrétienne de quatorze ans, l'intelligente Soubhodra, se chargea de celle qui avait l'aspect le plus misérable. Raillée par ses camarades pour cette préférence inattendue, elle s'écria : « La charité ne consiste pas à soigner une enfant jolie et sympathique, mais à soigner une enfant laide et repoussante. » Soubhodra tenait à témoigner à Dieu sa gratitude par ce travail dévoué, car elle avait apprécié la charité chrétienne. Son père, Hindou au coeur dur, l'avait autrefois chassée de la maison afin qu'elle pérît sur la grande route. Conduite au Sharada Sadan, elle s'était convertie au christianisme ; ce fut une excellente élève et plus tard une aide de l'asile. Ainsi continua le sauvetage jusqu'en automne 1897. Les récoltes abondantes mirent fin à la famine. Le chiffre de trois cents élèves était atteint, dépassant ainsi celui qui avait été demandé à Dieu l'année précédente, au camp de Lanouli.
Bientôt Ramabaï eut la joie d'annoncer que quatre-vingt-dix d'entre elles étaient chrétiennes. Un soir, avant de s'endormir, l'une des plus jeunes réunit ses camarades et pria à haute voix les assistantes répétèrent ses paroles phrase après phrase « 0 notre bon Père céleste, nous te remercions de nous avoir conduites ici et de nous avoir donné de si chères amies, en particulier Ramabaï. Garde pur le coeur de celles qui t'aiment et purifie bientôt, par ton Esprit, le coeur de celles qui ne t'aiment pas encore. Prends soin de nous dans cet asile (de Khedgaon) et dans celui de Poona ; bénis toutes les personnes qui s'occupent de nous et particulièrement Ramabaï et Sunderbaï. Père, nous te remercions de nous avoir donné Jésus qui nous promet de nous sauver. Prends soin de nous cette nuit et pardonne-nous, au nom de Jésus, la peine que nous t'avons faite aujourd'hui. Amen. » Ramabaï qui avait entendu, par la porte entr'ouverte, cette touchante prière loua le Seigneur d'un coeur débordant de joie et songea au beau passage Éphésiens 3 : 20 : « Par la puissance qui agit en nous, il peut faire infiniment plus que tout ce que nous demandons et pensons. »


Mukti.

Les baraquements édifiés à la hâte sur le domaine de Khedgaon prirent le nom de Mukti (1). Le choix de ce mot qui signifie le salut est une preuve de l'évolution des idées et des convictions de Ramabaï. Sa première école avait été appelée Sharada Sadan, la maison de la sagesse, parce que la fondatrice voulait enseigner à ses élèves la sagesse et la science qu'elle mettait au premier plan. Elle nomme son nouvel établissement le salut parce qu'elle voit dans le salut de l'âme le but suprême de la vie. Mukti, au début demeure provisoire, était destiné à devenir le centre de l'oeuvre. Il se transforma en colonie agricole et industrielle qui reçut toutes les femmes et jeunes filles bien douées pour les travaux manuels tandis que le Sharada Sadan fut réservé à celles, moins nombreuses, qui faisaient des études. Pour une si grande foule de protégées, Mukti a besoin d'un état-major d'institutrices, de surveillantes et de garde-malades. C'est le Sharada Sadan qui les fournit. Une missionnaire anglaise, Miss Minnie F. Abrams, entra au service de l'oeuvre et fut la première des vingt Anglaises, Américaines et Australiennes qui y ont collaboré ou qui y travaillent encore avec succès. N'oublions pas de mentionner le brahmane Gadre, secrétaire des asiles, resté attaché au paganisme, cet homme fit, pendant plusieurs années, une opposition secrète à Ramabaï ; puis, touché par la grâce de Dieu, il demanda le baptême et devint un auxiliaire précieux.

À la suite du passage du Rev. W. W. Bruere, un réveil religieux éclata et en un jour cent-seize baptêmes furent célébrés. Ramabaï glorifia l'Éternel qui exauçait ses prières d'une façon si remarquable et organisa, en décembre 1897, à Mukti, un camp de vacances, semblable à ceux de Lanouli. À cette occasion, les édifices définitifs qui devaient remplacer les tentes et baraquements provisoires furent solennellement commencés en présence de plusieurs missionnaires européens et américains et d'une foule de chrétiens indigènes. Les réunions du camp furent abondamment bénies pour tous les assistants. Ramabaï et ses collaboratrices relurent avec reconnaissance le passage d'Esaïe 60 : 18, qui leur avait suggéré le nom de Mukti : « Tu appelleras tes murailles salut et tes portes louange. »


Second séjour aux États-Unis. 1898.

Cependant une démarche importante devenait nécessaire. L'Association Ramabaï aux États-Unis s'était engagée à subvenir aux frais de l'oeuvre pendant dix ans. Cette période expirant en mars 1898, les amies américaines écrivirent à Ramabaï que sa visite était indispensable pour maintenir l'intérêt dont son oeuvre était l'objet et pour donner à l'Association une organisation adaptée aux nouvelles circonstances. Cette absence était possible puisque Miss Abrams la remplacerait à la direction de Mukti, que Sunderbaï serait à la tête du Sharada Sadan et que Gadre se chargerait du secrétariat.

Le départ eut lieu en janvier 1898. Les témoignages d'affection donnés par les élèves le transformèrent en une manifestation émouvante. À l'heure du passage du train, à minuit, une centaine des aînées furent autorisées à accompagner à la gare leur chère directrice. Les unes la précédaient, les autres l'escortaient ou la suivaient en s'efforçant d'être aussi près d'elle que possible. Toutes l'auraient volontiers suivie jusqu'aux États-Unis. Ramabaï emmenait sa fille et deux de ses meilleures élèves. Trois autres les avaient précédées depuis une année ; elles étaient chargées de faire des études et de se préparer à l'enseignement au Sharada Sadan ou dans une institution similaire. Une fidèle amie de New-York fit instruire à ses frais les cinq jeunes veuves et Manorama.

Un accueil chaleureux fut réservé aux voyageuses. L'Association se réunit en séance générale où l'on entendit un discours de Ramabaï. En voici quelques extraits : « Vous connaissez les rapports de l'école qui a été fondée en Inde il y a neuf ans... La première institutrice de celle-ci est devant vous, elle vient apprendre ici à remercier Dieu et à le louer. Cette oeuvre n'a pas été faite par une force humaine seulement, le Dieu éternel est derrière elle et soutient ses fondations. Comme il n'a pas de limites, il n'y aura pas de fin à son oeuvre... Vous dites être très occupées et avoir diverses responsabilités et quelques-unes d'entre vous se sentent âgées et incapables de nous continuer leur appui. Vous avez, je suppose, à secourir dans votre propre pays beaucoup de pauvres, de veuves et de femmes abandonnées, mais nos détresses en Inde sont encore plus grandes. Êtes-vous trop occupées pour intercéder en notre faveur ? Non, car vous êtes de celles qui ont le privilège de prier pour nous. Pourquoi ne pourriez-vous pas travailler pour nous ? Oui, certes, vous le pouvez et vous le voudrez. À celles qui prétextent la vieillesse pour nous refuser leur concours je dirai qu'à mon départ de l'Inde je me sentais fatiguée et désirais être déchargée de mes écoles et de mon oeuvre pour raison d'âge. Mais notre Père m'ordonna de lire ma Bible. Je trouvai dans l'Évangile selon saint Luc l'histoire d'Anne la prophétesse. Elle travailla jusqu'à l'âge de quatre-vingt-quatre ans et n'abandonna pas sa tâche au service du Temple. Dieu me dit : Même si tu vis jusqu'à cet âge, tu dois travailler jusqu'au bout. je vous apporte le même message, chères amies, ce sera glorieux pour vous de vous intéresser à notre oeuvre. »

L'assemblée se laissa persuader et vota la constitution légale de la nouvelle Association Ramabaï à laquelle furent transférées les propriétés de l'ancienne. Il fut décidé que le Sharada Sadan et Mukti seraient soutenus moralement et financièrement sans aucune limite de temps. La zélée et énergique Mrs Judith Andrews fut confirmée dans ses fonctions de présidente du Comité.


Secours dans l'angoisse.

Pendant ce voyage, la foi de Ramabaï fut mise à l'épreuve. À Mukti on construisait les nouveaux bâtiments qui devaient remplacer les baraquements provisoires. Un chrétien bengalais était chargé de la direction des travaux et Miss Abrams du payement des ouvriers. Les édifices devaient être assez vastes pour loger les trois cents veuves et orphelines avec leurs surveillantes. Pour ne pas faire de dettes il avait été convenu que les constructions seraient interrompues dès que l'argent manquerait.
Ramabaï aux États-Unis, épuisée par ses visites, ses conférences et ses voyages de propagande, apprit que la caisse était vide. Dans son angoisse, elle cria à Dieu, décidée à repartir immédiatement pour souffrir et, s'il le fallait, mourir avec ses protégées. Pendant toute une journée, elle exposa ses inquiétudes à son Père céleste. Quelques amies dévouées ayant appris sa détresse, organisèrent d'urgence une souscription dont le produit devait rendre possible la continuation des travaux. « Merci à Dieu et à ces chères amies, dit-elle ; cette nuit je pourrai dormir, car je n'ai pas dormi depuis plusieurs jours en pensant à mes pauvres affamées. »

Au commencement de juillet, elle s'embarqua à New-York pour l'Angleterre. Elle espérait fonder dans ce pays une association qui soutiendrait son oeuvre comme l'association américaine le faisait déjà. Son attente fut déçue, la saison d'été n'étant du reste pas favorable à cette entreprise. Après avoir assisté aux réunions de Keswik, elle continua son voyage de retour pour rentrer en Inde au mois d'août. Malgré le dévouement du personnel, quelques négligences furent constatées. Ainsi, faute de soins, le jardinier avait laissé périr plusieurs centaines d'arbres fruitiers ; il fallut le chasser de sa place. Cependant Ramabaï rendit grâce à Dieu, car le but de son voyage avait été atteint, puisque l'association américaine lui restait fidèle. Elle eut la joie de constater que les constructions, sans être finies, étaient en bonne marche. En septembre, le service d'inauguration fut célébré en présence d'un grand nombre d'amis.

Les ouvriers avaient assisté aux cultes organisés par les soins de Miss Abrams. Puis on songea à l'évangélisation de la contrée qui environne Mukti. Les nouvelles converties parmi les élèves offrirent leurs services et, abandonnant leurs études d'institutrices, elles suivirent un cours biblique. Peu de mois après, elles étaient prêtes à accompagner les lectrices de la Bible dans les villages voisins et à évangéliser leurs compatriotes. Chaque dimanche après-midi, dix à douze groupes allaient, et vont encore, porter au loin la bonne nouvelle du salut. Ainsi le caractère chrétien des asiles s'accentua et s'affirma plus nettement, mais les païennes furent admises comme autrefois : elles pouvaient librement suivre le culte de leur choix. La mission de Mukti eut d'heureux résultats et lorsque le magistrat supérieur anglais visita la région, ils constata l'influence profonde exercée sur les populations par la prédication de l'Évangile. Les asiles sont ainsi devenus un centre missionnaire sur lequel on ose fonder de grandes espérances. À leur exemple cinq institutions semblables furent créées dans d'autres parties de l'Inde. Le personnel est choisi de préférence parmi les anciennes élèves de Ramabaï.


Mukti en 1899.

La visite des établissements est des plus intéressantes et révèle une excellente organisation. Faisons une promenade à travers les bâtiments et les champs. Voici un groupe d'élèves qui vient d'une leçon et qui s'en va aux travaux du ménage ; un peu plus loin, sous un hangar, plusieurs métiers à tisser sont en activité. Les ouvrières, sous la direction d'un tisserand chrétien, fabriquent les étoffes, dont on fera le sari, le gracieux vêtement féminin de couleur rouge, bleue, verte ou jaune. Le fil à tisser est préparé par un autre groupe de travailleuses. Dans l'imprimerie, chose unique au monde, tous les travaux sont faits par des femmes. Des presses sont sortis de nombreux ouvrages religieux en langue mahratte, canaraise, et anglaise et même une Bible en cinq langues (hébreu, grec, latin, canarais et mahratte). La blanchisserie est confiée à plusieurs personnes dirigées par une sourde-muette qui sait admirablement son métier.


L'imprimerie de Mukti

Devant les cuisines, en plein air, sont préparés les légumes, tandis qu'à côté on moud le grain avec d'antiques meules semblables à celles dont il est question dans Matthieu 24 : 41. Un groupe d'aveugles fait de la vannerie. Des institutrices s'occupent des enfants et leur apprennent à lire. Les plus grandes, même les adultes, ont chaque jour leur leçon. Toutes travaillent par escouades quelque temps à la cuisine, puis à la blanchisserie, au jardin ; pendant la période des grands travaux tout le monde est occupé aux champs. Voici les troupeaux : quelques boeufs de trait et de bonnes vaches laitières avec leurs veaux. La ferme fournit le lait, le beurre, le ghee, beurre liquéfié, et le dhye, espèce de fromage de lait caillé. Ces aliments sont indispensables en Inde où l'on ne mange pas de viande. Quand ils sont rares on les remplace par une sorte d'huile végétale. Celle-ci est extraite, au moyen d'un moulin, du kardi, grain qui pousse dans les champs de Mukti. Admirons le jardin couvert d'une quantité de légumes. Il doit être constamment irrigué et arrosé. Des boeufs tirent l'eau des puits pour remplir les piscines de bain, très nécessaires dans ce climat, après quoi la même eau, transportée dans des arrosoirs, fertilisera les jardins. L'eau est rare, il faut savoir l'utiliser sans en perdre une seule goutte. Au loin s'étendent les champs de céréales, entre autres le jowari dont on fait le pain, et les cultures de curry, poivre rouge très fort et très apprécié des indigènes. Un hôpital reçoit les malades dont plusieurs souffrent encore des mauvais traitements qui leur furent infligés autrefois. Ailleurs un refuge, le Kripa Sadan (la maison de la grâce), accueille les victimes du vice, atteintes de maladies contagieuses ; il se fait là une remarquable oeuvre de relèvement. Partout la puissance de Dieu, qui transforme les coeurs les plus rebelles, est à l'oeuvre. Toute la colonie agricole et industrielle est sous une profonde influence religieuse. (Voir plus loin la description d'une journée à Mukti et le paragraphe consacré à l'église.)


1
Prononcez Moukti. 
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