Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XI.

Inspecteur général des armées.

-------

 Entre autres ambitions, l'apôtre Paul avait celle de prêcher l'Évangile "aussi à Rome". Le général Feng eût préféré rester gouverneur du Honan, mais Dieu voulait qu'il allât rendre témoignage à son Maître à Pékin, la Rome de l'Extrême-Orient. S'il n'y alla pas en prisonnier comme l'apôtre, cet avantage apparent eut cependant son revers.

Il avait à peine été six mois dans le Honan que sa situation fut ébranlée. Il plane une certaine obscurité sur les causes de son retrait d'emploi. Toutefois, quelqu'un qui réside à Kaifeng, le chef-lieu de la province, affirme que ce fut parce que le général avait refusé de se procurer des fonds pour son supérieur au moyen d'impôts trop lourds. Ce qu'il y a de sûr, c'est que la situation prenait une tournure qui l'angoissait, car il disait tristement, en confidence, à son ami, le Dr. Goforth, que, si on lui retirait le commandement de son armée, il se proposait de se vouer uniquement à la prédication de l'Évangile.

Quand vint la nouvelle de son rappel, la population envoya à Pékin une pétition, demandant instamment qu'il lui fût permis de rester. Mais la requête fut repoussée, et, vers le milieu de novembre 1922, le général, accompagné de son armée, laissa la place à son successeur, qui fit son entrée dans la ville avec toute la pompe usuelle. "Le départ de la onzième division nous a littéralement brisé le coeur", écrivait un habitant de la ville.... "Le contraste est par trop douloureux. Le quartier des lanternes rouges s'est repeuplé ... Les images et les maximes chrétiennes affichées sur les murs ont été effacées. La police est redevenue aussi insouciante qu'autrefois. Les mendiants en haillons ont recommencé à donner à nos rues leur aspect de jadis."

En vrai Spartiate, le général Feng partit sur un grand chariot, muni de quelques bancs et lits, tandis que son successeur arriva par train spécial. On verra, par le témoignage que lui rend un habitant de Kaifeng, à quel point le général et ses hommes s'étaient rendus chers à la population du Honan pendant ces quelques mois :
"Mardi dernier, nous avions à déjeuner les trois généraux de brigade de l'armée du général Feng, avec son chef d'état-major. Ils sont admirables. Le repas terminé, je saisis l'occasion de leur souhaiter la bénédiction de Dieu, et le général Chang se leva en demandant qu'on priât. Je doute fort qu'il y ait dans le monde une autre armée avec trois généraux de brigade et un chef d'état-major à la fois aussi simples et aussi virils, capables de converser aussi sérieusement et aussi aimablement, et de demander qu'on termine le repas par un moment de prière."

Le poste auquel le général Feng avait été appelé était celui d'Inspecteur général des armées à Pékin ; mais plusieurs craignaient qu'on ne l'eût mis ainsi dans une situation intenable. Comme gouverneur du Honan, il avait le droit de réquisitionner de quoi payer la solde de ses troupes, tandis qu'à Pékin il allait se trouver sans ressources de ce genre. Depuis plusieurs mois ses hommes n'avaient pas été payés ; à en croire le Tim'es, à l'arrivée de Feng à Pékin, ils n'avaient pas été payés depuis une année, et la discipline y était cependant si parfaite qu'on n'y remarquait pas la moindre irrégularité. Veut-on savoir dans quelles dispositions le général Feng et ses hommes allaient affronter ces circonstances nouvelles et difficiles ? Qu'on lise ce qu'en écrit le Dr. Stanley Jones, qui dirigeait des réunions à Kaifeng avec le Dr. Sherwood Eddy peu avant le départ de l'armée : jamais évangélistes ne sont allés à leur champ de travail avec des sentiments plus élevés et plus enthousiastes que ces hommes partant pour témoigner en faveur de Christ à Pékin."

Alors le général Feng ne recevait que 50,000 dollars par mois pour ses 30,000 hommes. Situation embarrassante. Chacun sut bientôt que la viande figurait rarement dans l'ordinaire de la troupe. Le général n'en maintint pas moins son attitude inflexible de chrétien et de témoin fidèle du Christ. La plus grande partie de son armée se trouvait à Nanyuan ; quelques détachements seulement à Tungchow et à Pékin. Il entra aussitôt en relations amicales avec les diverses Missions, comme avec les étudiants et les gradés de l'université de Pékin. Il invita un pasteur chinois, licencié de cette université, à tenir des réunions pour les fonctionnaires supérieurs, et ce fut un spectacle nouveau pour la Chine de voir les automobiles de ces grands personnages affluer autour de l'humble demeure d'un pasteur indigène.

Il pria aussi le Dr. Liu et le Dr. 0. L. Davis d'organiser pour ses divers camps une campagne d'évangélisation, avec le concours de quatorze étudiants de l'université de Pékin. Et, bien qu'il ne consentît pas à ce que ses hommes fussent baptisés avant de pouvoir réciter l'oraison dominicale et le Symbole des apôtres, et sans une attestation de bonne conduite, émanant d'un officier, 4000 hommes au moins furent baptisés à Nanyuan, et 500 à Tungchow. À titre d'exemple du soin avec lequel les candidats au baptême étaient examinés, mentionnons le fait qu'au Honan, sur 1510 candidats, 346 seulement furent admis.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur les diverses oeuvres chrétiennes organisées par le général Feng à Pékin et aux environs ; mais ces quelques détails suffisent pour montrer son zèle d'évangéliste ; au sujet de son activité dans le domaine militaire, voici quelques extraits d'un article du Peking and Tientsin Times, écrit par un journaliste après une visite au camp, alors que l'armée était à Pékin. Il s'agit d'une revue :
"Comme d'habitude, lorsqu'on a affaire à des troupes chinoises bien entraînées, ces exercices s'exécutèrent fort convenablement ; le maniement des armes, l'alignement et la marche, furent effectués militairement et avec une précision irréprochable. Les hommes étaient bien constitués et vigoureux. Je n'ai point aperçu de soldats trop jeunes, comme c'est souvent le cas. Ils portaient l'uniforme chinois gris-bleu habituel.

Après le défilé, on nous invita à inspecter quelques-unes des chambres de la caserne. Celles que nous avons vues étaient propres, mais ne contenaient que le strict nécessaire. Chaque chambrée est formée d'une section, ou p'eng, soit : un sergent, un caporal, et douze simples soldats. Les chambres sont grandes et pourraient aisément avoir un nombre double d'hommes. Pas un meuble : les hommes dorment tous ensemble sur une estrade de briques recouverte de paille et d'un drap propre et blanc. Point de couvertures, puisqu'ils ont leurs capotes. Ils ont aussi des oreillers de paille, et chacun a un carré de calicot dans lequel il enveloppe ses effets. À part cela, ces chambres au plancher de briques n'ont d'autres ornements que leurs décorations murales. Mais celles-ci sont assez intéressantes pour qu'on en dise quelques mots. Chaque chambre a une carte de la Chine d'il y a environ cent ans, du temps où son territoire n'avait pas encore été entamé par les étrangers. Les territoires perdus, la Corée, Formose, l'Indo-Chine française, etc., sont passés au rouge vif. Il y a en outre de nombreux tableaux bibliques en couleur ; d'autres qui doivent encourager à une bonne conduite. L'épargne est un sujet qui revient souvent : » Gagnez autant que possible, économisez autant que possible, donnez autant que possible", "L'épargne contribue au bonheur", voilà des maximes qu'on peut lire partout.

"Les casernes ont aussi leurs salles d'étude, où l'on donne des leçons sur des sujets divers, militaires et autres. Le Général Feng tient à ce que chaque soldat sache lire, et, dans toutes les classes que j'ai vues, on apprenait aux hommes les caractères chinois ordinaires.

"Voici les cuisines, une par compagnie ou lien de 125 hommes. Encore que très primitives, elles sont d'une propreté parfaite, comme d'ailleurs tous les bâtiments que j'ai vus. L'alimentation est des plus frugales : riz, millet, choux et autres légumes. Faute de fonds, la viande fait rarement partie du menu ....

"Nous fûmes aussi invités à visiter les "ateliers", ce qui nous est apparu comme l'événement le plus intéressant de tout le programme de la journée ... Autant que possible, chaque "ying", ou bataillon, doit apprendre un métier spécial ; c'est ainsi qu'il y a le bataillon des cordonniers, le bataillon des tisserands, etc. Dans les ateliers visités, j'ai vu des apprentis charpentiers, tisserands, tailleurs, cordonniers et savetiers, cardeurs de laine, etc. ; il y en a d'autres, où l'on forme des forgerons, des maréchaux, etc.

"Ce système est excellent à tous les points de vue. Ainsi les hommes sont intéressés, ils sont occupés et transformés en habiles artisans. Tous ceux que j'ai vus à l'ouvrage, - et j'en ai vu des centaines, - avaient l'air contents et heureux, et semblaient prendre le plus vif intérêt à leur travail.

Après les ateliers, la gymnastique. Les deux cents ou deux cent cinquante gymnastes qu'on nous a fait voir étaient tous des officiers, car c'est la règle que tous les officiers, à partir des colonels et au-dessous, prennent part aux exercices de gymnastique. Comme il faisait froid, ce fut court, mais nous vîmes d'excellent travail sur la barre horizontale, le chevalet, les barres parallèles, ainsi qu'au saut à la perche.

"Le dernier numéro du programme fut une visite aux écoles féminines. Nous avons vu quelque chose qu'on ne doit pas voir souvent en Chine, des femmes et des filles d'officiers à qui l'on apprend à lire et à écrire.

"Le général Feng est un chrétien zélé. J'ai eu un entretien des plus intéressants avec l'un des six "pasteurs" indigènes attachés aux troupes de Nanyuan. À l'entendre, tous les officiers du général Feng sont chrétiens, et environ le cinquante pour cent des soldats. Ils sont anglicans, méthodistes, ou presbytériens; il n'y a pas de catholiques. C'était quelque chose d'assez particulier d'entendre des soldats chinois chanter ces mélodies familières : "Écoutez le chant des anges", "En avant ! soldats chrétiens !" etc., et ce n'était pas pour nous qu'ils chantaient, c'était pour leur propre édification, sans se douter que nous passions devant leurs locaux. Les officiers de l'état-major chantèrent aussi un cantique avant de s'asseoir à table pour le repas préparé en notre honneur."

Dans un éditorial du même journal, il est dit que les troupes du général Feng sont les seules dont le personnel des chemins de fer ait pu dire du bien. Leur transport ne donna lieu à aucune plainte. Lorsque les trains se trouvèrent bloqués à Tientsin, les soldats restèrent patiemment dans les voitures en chantant des cantiques. On n'a pas entendu parler d'un seul cas de violence exercée ou de menaces proférées contre un employé, ni de la part d'un officier ni de la part d'un simple soldat.

Nul ne saurait prévoir ce que l'avenir réserve au général Feng et à son armée. "Si jamais un gouvernement digne de ce nom entre en scène, à Pékin ou ailleurs en Chine, l'armée du général Feng pourrait bien faire pencher la balance en sa faveur, car un gouvernement ne saurait réussir qu'en s'appuyant sur une armée puissante, et le général Feng est aujourd'hui en Chine le seul qui ne paraisse poursuivre aucun but personnel, et n'avoir d'autre ambition que de servir la patrie." (Péking and Tientsin Times.)




CHAPITRE XII.

La personnalité de Feng et ses idées.


L'éditeur du Chinese Recorder, dans son numéro de juin 1923, décrit d'une façon intéressante l'impression que lui a faite le général Feng lors d'une rencontre récente à Pékin. Donnons-en quelques extraits qui nous aideront à nous former une opinion sur l'homme lui-même et sur ce qu'il pense.

"Le général Feng ne nous a pas paru avoir l'air particulièrement belliqueux. Il a la voix douce. On nous a dit cependant que, lorsqu'il s'excite, elle rappelle plutôt un vent de tempête qu'une brise légère. Il nous fit l'impression d'un homme énergique qui sait se dominer. Ses yeux brillants et limpides vous regardent en face et vous font sentir qu'il est capable d'aller droit au but qu'il se sera proposé. Il ne laissa pas languir la conversation. Chacune de ses remarques était ponctuée de gestes calmes, mais naturels et éloquents. il pense avec ses muscles autant qu'avec son cerveau. Il est doux de la douceur qu'a la force tranquille, consciente d'elle-même et de ses responsabilités. Il employait parfois un langage presque élégant, et son ton montrait un vif intérêt pour les questions que nous lui posions. Ses phrases se détachaient fréquemment, sans liaison entre elles ; certaines locutions de quatre mots revenaient souvent d'une manière frappante. D'un bout à l'autre de l'entretien il se comporta en vrai "gentleman" chrétien."

L'auteur de l'article, le Dr. Rawlinson, profita de l'occasion pour poser à son interlocuteur un certain nombre de questions plus ou moins personnelles. Nous en reproduisons quelques-unes avec les réponses.
- "Quel est le plus grand besoin de la Chine ?" Sans la moindre hésitation, le général répondit :
- Nous avons besoin de la civilisation de l'Occident, de chemins de fer, de télégraphes, et d'autres améliorations. Ces choses ont beaucoup de valeur. Mais la Chine a surtout besoin de Jésus-Christ.
- Que peut faire l'Eglise pour aider la Chine pendant la crise actuelle ?
- Prêcher plus assidûment l'Évangile, car chaque nouveau chrétien signifie une diminution des forces du mal. Toute nation doit sa grandeur à l'action de l'Esprit de Dieu dans son sein."

Dans l'espoir d'obtenir quelques lumières nouvelles sur les applications pratiques de l'Évangile, le Docteur poursuivit :
- "Quels sont les problèmes sociaux dont l'Eglise peut s'occuper avec fruit ?

Avant de répondre, le général réfléchit, puis demanda au docteur de préciser sa question. Il répondit alors :
- "Que l'Eglise ouvre des asiles pour les pauvres, tant pour les enfants que pour les adultes, et qu'on y enseigne des métiers, tels que la confection des vêtements et la fabrication des meubles. Il s'étendit davantage sur la question des maux sociaux, n'approuvant guère l'intervention de l'État, qui se heurterait aux dispositions peu chrétiennes des populations, mais il recommanda plutôt l'ouverture de nouveaux asiles de relèvement. Il insista sur la lutte contre l'opium. Quant au travail imposé aux enfants, il s'exprima ainsi :
- En Occident, il n'a pas de raison d'être ; mais en Chine il est nécessaire, parce que les enfants n'y ont d'autre choix que de travailler ou de mendier .... Par exemple, dans mon armée nous avons des garçons comme petits domestiques. Cela peut les préserver de tomber dans l'immoralité par désoeuvrement." Il y aurait lieu cependant d'ajouter que les garçons qu'il occupe bénéficient de quelque éducation.
- "Quel est, à votre avis, le principal obstacle aux progrès de l'Eglise en Chine ?
- Il y a d'abord le confucianisme, dont les racines sont profondes, tandis que le christianisme est nouveau venu, et ne peut pas facilement supplanter cette antique religion nationale. Ensuite les prédicateurs sont trop peu instruits. Prenez, par exemple, les jésuites. Ils avaient acquis jadis une grande influence à la cour grâce à leur connaissance des lettres chinoises. Ils savaient parfaitement parler chinois, et ils étaient en mesure de citer nos classiques. Et de même les bouddhistes. D'où venait leur influence ? De ce qu'ils savaient donner leur enseignement en un style chinois impeccable. En outre, les prédicateurs sont aujourd'hui trop peu nombreux. C'est là une grave lacune."

Après cette intéressante conversation, le général, qui était étendu sur une chaise longue en raison d'une récente opération, insista pour se lever et pour accompagner son hôte jusqu'à la porte, ainsi que le veut la politesse chinoise.

Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant