Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE IX.

Un appel aux armes.

-------

 L'ordre de marche qui était venu surprendre le général Feng au printemps de 1922 se trouvait être un appel à entreprendre quelques-unes des plus rudes batailles qu'il ait eu à soutenir. En même temps, il allait être ainsi lancé en pleines luttes politiques. Deux des ministres chinois de la guerre, le général mandchou Chang Tso-lin, un ci-devant bandit suspect de comploter avec le Japon, et le général Wu Pei-fu, un ardent patriote et le supérieur du général Feng, se préparaient dès longtemps à mesurer leurs forces respectives. Finalement, quand le général Chang Tso-lin marcha sur Pékin et menaça la république, le général Wu Pei-fu appela immédiatement à son aide le général Feng.

Cet appel exigeait une marche forcée d'environ deux cent quarante kilomètres pour rejoindre le chemin de fer, après quoi des trains transporteraient rapidement l'armée à l'endroit voulu. Toujours prête, l'armée se mit aussitôt en marche ; mais le général sut encore trouver le temps de s'adresser à ses hommes avant qu'ils entrassent en action. Un des principaux agents des Unions chrétiennes de jeunes gens, se rendant dans la province de Shensi, rencontra Feng et ses troupes au cours de cette marche forcée vers le Honan, et, chose surprenante, juste au moment où le général prêchait. Il faut bien qu'il ait une pitié peu commune pour couper les marches forcées par des heures de culte. Ce ne fut pas aux dépens de la rapidité, car le général Wu fit plus tard un éloge remarquable de cette randonnée et de l'action brillante de la brigade chrétienne qui, sous les ordres du général Li, un des plus habiles officiers de Feng, tourna l'aile droite de l'armée mandchoue et concourut ainsi à la victoire.
C'était près de Pékin. Le général Wu était fortement pressé par l'ennemi ; il était même en train de perdre du terrain. Mais le général Li, après avoir prié avec ses officiers, fit une attaque de flanc d'une vigueur extraordinaire, tandis que les soldats chantaient : "En avant ! soldats chrétiens !"

Une épreuve autrement terrible attendait un certain nombre des soldats du général Feng, chargés de protéger un centre de voies ferrées du Honan, à Chengchow. Ils furent traîtreusement attaqués par le gouverneur Chao Ti, qui se prétendait un allié. Cet endroit est d'une importance stratégique exceptionnelle, car la grande ligne Pékin-Hankow (nord-sud) y croise la ligne transversale, qui passe par Kaifeng, le chef-lieu de la province. Le gouverneur Chao Ti, de connivence avec son frère le général Chao San, tout en se déclarant en faveur de Wu, organisait un coup qui devait non seulement faire tomber entre les mains de son frère les deux lignes de chemins de fer, mais le général Feng lui-même. Cette tragédie ne fut évitée que grâce à ce qu'on appelle un hasard providentiel.

En parcourant les rues de la ville, le général Feng fut frappé de voir un nombre inusité de dames des hautes classes se rendre à la gare avec leurs familles. Cette vue éveilla ses soupçons, et il découvrit, presque trop tard, qu'environ 20,000 ennemis marchaient sur lui, et que leur avant-garde n'était plus qu'à dix-huit kilomètres de là.

Le péril était imminent. Toutes les troupes disponibles avaient été dépêchées dans la direction de Pékin, puisqu'on se croyait en sûreté à Chengchow. Le général n'avait plus sous la main que 280 hommes. Il les plaça sous les ordres du général Chang, celui de ses officiers en qui il avait le plus de confiance, en lui enjoignant de "tenir" à tout prix, pendant qu'il réclamait des renforts immédiats. Le général Chang et ses hommes, après avoir épinglé à leurs poitrines la devise : "Pour Dieu et pour la patrie", se retranchèrent solidement parmi des dunes de sable, prêts à mourir jusqu'au dernier. Ils parvinrent à arrêter là durant des heures la marée montante des ennemis, jusqu'à ce que les renforts fussent arrivés peu à peu, par centaines d'abord, puis par milliers. Mais il ne survécut que peu de ces braves pour raconter leurs exploits. La journée fut atroce ; pas un homme ne pouvait quitter son poste pour aller chercher à manger et à boire. Heureusement, les villageois, prompts à discerner les amis des ennemis, parvinrent à se glisser jusque-là au péril de leur vie, avec des provisions.

Mais le danger n'était pas encore passé. Pendant deux jours, malgré les renforts, ils ne furent que 2000 pour tenir tête à 20,000 ennemis. Ce ne fut que le quatrième jour que le général Feng put enfin disposer de réserves suffisantes pour écraser son adversaire.

Les jours suivants furent douloureux, comme c'est toujours le cas au lendemain des batailles. Blessés et mourants gisaient par milliers sur le terrain, réclamant des secours, tandis que les vaincus, en groupes nombreux, pillaient et ravageaient la campagne avoisinante. L'hôpital le plus rapproché était celui que possède à Kaifeng la Mission dans l'intérieur de la Chine. On y transporta aussitôt les blessés des deux armées. Lorsqu'on en eut occupé le dernier recoin, et que Mme Dr. Jessie Macdonald et ses aides eurent cédé leur propre maison, la place manqua encore ...

Le général envoya des télégrammes aux écoles de médecine de Pékin et de Tsinan, réclamant d'urgence des médecins, des détachements de la Croix-Rouge, et des appareils radiographiques. Puisqu'il s'agissait de ses soldats, rien n'était de trop. Bien que surchargé de besogne pressante, il venait chaque jour à l'hôpital, loin du théâtre des opérations militaires ; il regardait comment les médecins soignaient ses soldats, et de temps à autre on l'entendait murmurer avec émotion : "Ils sauvent mes garçons" ...

Il témoigna à la Mission une gratitude sans bornes. Apprenant que cet hôpital n'avait point d'appareil radiographique, il combla cette lacune au prix de 7000 dollars mexicains, et il offrit à la doctoresse J. Macdonald une bourse à l'école de médecine de Pékin, pour qu'elle pût suivre un cours de radioscopie. En voyant la paternelle sollicitude dont il entourait ses hommes, on ne s'étonnait plus de leur attachement pour lui, et l'on comprenait qu'ils fussent prêts à mourir à son service.




CHAPITRE X.

Responsabilités nouvelles.


Un décret présidentiel ne tarda pas à donner au général Feng le titre de gouverneur du Honan, l'une des provinces importantes de la région. C'était une lourde responsabilité ; mais il l'accepta comme venant de Dieu. Au bout de peu de jours, on put voir ses soldats occupés à recrépir et à blanchir les murailles massives des portes de la ville, et à y peindre des passages de la Bible et des maximes morales tirées des classiques chinois. Puis il fit poser partout où il y avait avantage à le faire de grandes images ou affiches coloriées mettant en garde contre le jeu, les boissons enivrantes et l'opium, en sorte qu'on put voir ici et là de petits groupes d'hommes qui étudiaient ces sages conseils. Il mit aussi sur pied son programme habituel d'évangélisation et de réforme sociale, et il débarrassa la ville de ses anciens foyers de vice et de tentations.

Toute la population de la ville, tant chinoise qu'étrangère, accueillit avec enthousiasme le général, qui ne laissa échapper aucune occasion de rendre témoignage à son Maître. Un de ses premiers actes publics fut d'aller le dimanche à la cathédrale de l'Eglise canadienne épiscopale, au centre de la ville, où les diverses missions avaient organisé une réunion commune de bienvenue et d'actions de grâces. Prenant lui-même pour texte la déclaration de S. Jacques : "Celui qui sait faire ce qui est bien et qui ne le fait pas commet un péché", il commença par raconter sa conversion, puis il parla de ce que Dieu attend de ceux qui le connaissent. De même que c'est le devoir d'un médecin de soulager son patient, c'est aussi le devoir du soldat de servir le peuple. Il y a bien des gens qui méprisent le nom de "chrétien" et qui pourtant admirent la vie des vrais chrétiens, et beaucoup qui ne savent pas lire les livres, surtout pas la Bible, mais qui sont instruits par la vie des disciples de Christ. Il exhortait donc tous les chrétiens à vivre de telle façon que leur vie pût contribuer à sauver la Chine.

Il y eut encore une séance de bienvenue ouverte au public dans les salles de l'Union chrétienne de jeunes gens de la ville. On y voyait des représentants des autorités civiles et de la petite colonie étrangère. Bien que le général Feng eût à sa disposition une automobile officielle, il s'en servait rarement, préférant aller à pied ou à bicyclette. En cette occasion, contrairement à tous les précédents officiels, il vint à bicyclette, escorté d'une demi-douzaine d'autres fonctionnaires, cyclistes comme lui. Pour ceux qui étaient habitués à toute la pompe et à tout le faste des fonctionnaires précédents, le contraste devait être frappant : point de gardes du corps, point de rues bordées de soldats, point de police munie de sifflets et faisant circuler la foule, point de cavalerie, rien qu'un entourage tranquille et simple.

Les discours de bienvenue qui furent lus au nouveau gouverneur lui promettaient un appui sincère et sans réserve.

À quoi le général répondit qu'il ne pouvait rien faire de mieux que d'exposer pourquoi il était venu de la province de Shensi : ce n'était pas pour dominer sur ceux du Honan, mais uniquement pour s'opposer, comme représentant du peuple, à la tentative des généraux Chang Tsolin et Chang Hsün, qui voulaient renverser la république et ressusciter les jours de la servitude. En parlant de ces "dignitaires" si peu dignes, il ne ménagea pas les termes de mépris : "clique corrompue", "chefs des voleurs de chevaux" ; ils ressemblaient à des chats domestiques qui, au lieu de détruire les rats, pilleraient le garde-manger, ou à des chiens de garde qui mordraient les talons de leur maître. Il stigmatisa la trahison de son prédécesseur, qui, tout en lui envoyant un message bienveillant et en demandant un armistice, promettait des sommes énormes à ses hommes, pourvu qu'ils le missent à mort, lui, le général Feng. Il était donc venu débarrasser le pays des traîtres ; il n'était pas venu pour rudoyer ou épouvanter, mais pour servir. Ses soldats n'étaient pas des voleurs et des brigands, ils protégeraient la population en échange de la nourriture et des vêtements qu'on leur fournirait.

Il était heureux de déclarer devant cet auditoire en partie païen qu'il était chrétien, et comme la plupart des assistants savaient quels sont les devoirs d'un chrétien, il se borna à leur donner l'assurance que son ambition constante serait de se conduire en chrétien. Il serait heureux de compter sur leur appui pour profiter de l'occasion qui s'offrait à lui de travailler au bonheur du peuple.

Il tint promesse et se mit aussitôt à la tâche. Bien qu'activement engagé dans la poursuite de l'ennemi qui se dérobait, il donna les ordres nécessaires pour avoir une ville propre, et il alloua une somme considérable afin de venir en aide aux mendiants et aux indigents. N'ayant aucun faible pour les charités mal entendues, il transforma un temple païen en un asile pour indigents, et tous ceux qui étaient en état de travailler y furent astreints à une occupation utile, tandis que les vieillards et les infirmes y furent entretenus gratuitement.

Une des réformes les plus urgentes concernait le cours monétaire, qu'il fallait stabiliser ; en effet, la mauvaise administration de son prédécesseur avait eu pour résultat de faire perdre aux billets de banque le soixante pour cent de leur valeur. Il s'attaqua énergiquement à ce problème financier, menaçant de sévères punitions les spéculateurs. Une telle action lui valut naturellement la reconnaissance et l'admiration du monde des affaires.

La sécheresse avait été telle pendant tout le printemps que les récoltes étaient compromises.
En conséquence, il fixa trois jours de jeûne et de prière pour obtenir de la pluie. Toutes les Missions de la ville furent invitées à demander la pluie dans leurs prières le dimanche 25 et le lundi 26 juin, tandis qu'une grande réunion commune s'organisait le mardi sur la place d'armes, à partir de six heures du matin. Il s'y trouva environ dix mille soldats, avec le corps missionnaire et les chrétiens indigènes.

La réunion fut présidée par un officier, tandis que le général fit la prière de clôture. On dit que sa voix, douce dans la conversation, peut, quand il le faut, "ressembler au mugissement de la tempête." En des accents à la fois mélodieux et puissants, il demanda à Dieu de vouloir bien, si c'était à cause du péché qu'il refusait ses compassions, faire tomber le châtiment sur lui, et non pas sur le pauvre peuple ignorant. Les larmes inondaient ses joues pendant qu'il implorait le Tout-Puissant, et sa prière fut exaucée. Deux heures après exactement, il tomba une averse rafraîchissante, simple promesse de la pluie plus abondante qui devait venir deux jours plus tard.

Le général Feng croit à la prière. Il écrivit de Kaifeng au Rév. T. G. Willett et aux membres de l'Union de prière de la Mission dans l'intérieur de la Chine :
"J'ai eu grand plaisir à apprendre que vous priez constamment pour nous. Nous vous sommes toujours extrêmement reconnaissants de votre grande bonté. Je crois que ce n'est pas seulement nous, les officiers et soldats chrétiens de notre division, qui vous devons de la reconnaissance, mais c'est toute la Chine."

Et plus loin, après avoir rappelé ce que les Missions font en Chine et ce qu'il leur doit personnellement, il continue :
"L'oeuvre merveilleuse accomplie par les missionnaires est le fruit des ferventes prières des chrétiens d'Europe ; et ce que nous autres, les troupes chrétiennes, nous avons pu faire, est aussi dû en partie à vos prières et à celles d'autres croyants. Merci encore de votre précieux appui. Que Dieu soit toujours avec vous."

Le samedi 1er octobre, à la demande du général, le Dr. Goforth commença avec d'autres missionnaires une série de réunions pour soldats, série qui devait, pensait-on, durer deux mois. Ce n'est pas toujours une tâche aisée que d'être au service du général. Il se lève tous les matins à quatre heures, et l'un des missionnaires devait être là à cinq heures pour diriger une réunion. Il y avait chaque dimanche quatorze cultes différents pour les soldats. Il y avait aussi des réunions du soir pour officiers ; à l'une d'entre elles se trouvèrent trois généraux (sans compter Feng) et treize colonels. Des soldats et des agents de police furent baptisés ; il fallut plusieurs jours pour les examiner tous.

Les circonstances étaient si défavorables dans la province que le général fit appel à des volontaires disposés à venir grossir les rangs de sa division, et il forma ainsi une armée bien disciplinée de vingt mille hommes. Les nouvelles recrues furent invitées aux classes bibliques et apprirent à chanter des cantiques. Sans qu'aucune pression eût été exercée sur eux, nombreux furent ceux qui cédèrent à l'influence de ce milieu, et qui parvinrent à une foi personnelle.

Le 10 octobre 1922, anniversaire de la fondation de la république, le gouverneur invita les missionnaires, les nombreux étudiants de la ville, les hommes d'affaires, avec toutes les écoles, à une revue des troupes qui devait avoir lieu à six heures et demie du matin. Quelque vingt mille hommes se rangèrent sur trois côtés de la vaste place d'armes. Après une parade, le général Chang expliqua le but de la solennité, le général Lu prononça une prière au nom de tous, puis le général Feng monta sur l'estrade, et, dans un discours approprié, rendit gloire et louange au Dieu qui pouvait seul bénir la patrie. Tandis que ses larmes coulaient et que l'émotion faisait par moments trembler sa voix, il conjurait ses hommes et ses concitoyens d'abandonner le péché et d'accepter Christ pour leur Sauveur.

Ses paroles furent facilement entendues de tous et durent produire une impression profonde sur les milliers d'étudiants qui étaient là. Cette cérémonie commémorative se clôtura par le chant du cantique "En avant ! soldats chrétiens !"

Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant