Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE V.

Une grande oeuvre de la grâce.

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 Le général Feng est un homme d'une indomptable énergie ; il est persuadé que le travail a une valeur immense pour former les caractères, et ses succès s'expliquent : il ne permet jamais le désoeuvrement dans son armée. Chaque heure de la journée a son emploi, aux ateliers, ou aux exercices militaires, à l'étude de la Bible, ou aux sports. Et toujours et partout il donne l'exemple, répartissant son temps régulièrement entre l'étude et le travail manuel.

Pour le bien de tous, civils et militaires, il a fait dresser, dans des endroits bien en vue, de grandes dalles de pierre, sur lesquelles sont gravés, en caractères bien lisibles, des passages choisis, tirés les uns des Écritures, les autres des classiques chinois. Des réunions religieuses ont lieu chaque jour à heures fixes, et les hommes sont encouragés à lire leur Bible et à prier. Ce ne fut pas sans peine qu'il parvint à se procurer des livres chrétiens en suffisance. À plus d'une reprise, il épuisa tous les approvisionnements des stations missionnaires, et lorsqu'on manquait de catéchismes, trois hommes devaient se servir du même livre. Il ne se bornait pas à inviter les missionnaires de la ville à venir pour des classes bibliques, il priait aussi le Dr. et Mme Goforth, le Rév. Warren, le Rév. Shen Wen-ch'ing, et d'autres encore, de venir instruire ses officiers et ses hommes. Il les pressait, il insistait, il promettait de se charger de tous les frais et d'arranger les exercices de telle façon qu'il y aurait pour chaque heure de la journée une compagnie nouvelle.

Aussi la tâche imposée à ces "instructeurs" n'était-elle pas peu de chose : dès le point du jour jusque tard dans la soirée, les escouades d'élèves se succédaient chacune à son tour. Puis le général lui-même et ses officiers apportaient aussi leurs questions à résoudre. "Je n'ai jamais vu des hommes aussi assoiffés de la Bible", écrivait le Dr. Goforth. Un soir, on présenta au général une liste de 86 noms d'hommes désireux d'étudier la Bible, et il décida qu'ils devaient se rencontrer le lendemain matin à six heures. Mais à l'heure dite, au lieu de 86, ils étaient des centaines, remplissant presque le théâtre, et le général télégraphia à Mme Goforth, la priant de venir présider aussi des classes bibliques pour les femmes des officiers ; il se chargeait des frais de voyage.

Le chant des cantiques est aussi fréquent que le son du clairon, et les soldats ont pris l'habitude, avant chaque repas, de se lever et de chanter la bénédiction. Ce n'est pas seulement à Tchangté que les choses se sont passées ainsi, mais aussi à Taoyouan et partout où le général a tenu garnison. "On pourrait parcourir le monde," écrit le Dr. Goforth, "sans rencontrer un auditoire plus attentif que ces soldats." Après chaque allocution, j'invitais à prier et dès la première fois, les officiers supérieurs donnèrent l'exemple en confessant leurs péchés. Comme j'avais parlé sur "Défrichez-vous un champ nouveau, et ne semez pas parmi les épines," beaucoup semblèrent sérieusement touchés et s'humilièrent de leurs fautes. Le général conclut en disant : "Si nous ne savions pas que ce message nous a été apporté de la part de notre Père céleste, l'aurions-nous accepté ? Voici un étranger qui arrive de loin et qui étale sous nos yeux tous nos péchés et, loin de nous en irriter, nous nous humilions ! Quant à moi, je suis transpercé de part en part"

Le Rév. G. G. Warren présidait des réunions supplémentaires pour ceux qui ne pouvaient trouver place dans le local où parlait le Dr. Goforth. Le cinquième jour, le Saint-Esprit fut répandu avec abondance sur les participants aux réunions. M. Warren écrivit à ce propos :
"Ce fut M. Goforth qui parla ; il cita nombre de faits frappants et de bénédictions qui avaient été les exaucements de prières ardentes. Après quoi, la parole fut laissée à chacun. Un colonel commença, brièvement et avec précision, mais sans rien d'extraordinaire. Puis la voix sonore du général se fit entendre. Déjà à la fin de la première phrase, l'émotion la fit trembler, et bientôt ce furent des larmes et des sanglots. Vit-on jamais, dans toute l'histoire du monde, un général s'humilier de ses manquements devant ses officiers et ses soldats, comme Feng le fit cette après-midi là ?

À mesure qu'il priait, dans un langage qu'il serait, je le sens, sacrilège de reproduire ici, la salle entière fut secouée par les pleurs. J'étais sur l'estrade, tout près du général, et j'entendais, droit au-dessus de moi, sur la galerie, les sanglots et les supplications ardentes des hommes qui s'y trouvaient.

Prétendre qu'ils étaient atteints d'hystérie, ou qu'ils jouaient la comédie afin de se concilier les faveurs du général serait se montrer parfaitement ignorant des choses spirituelles. Tous ceux qui étaient là ne pouvaient qu'adorer et reconnaître que Dieu était véritablement au milieu de nous. Lorsque le général se mit à prier pour sa Chine bien-aimée, j'eus le sentiment d'ouïr ces "soupirs qui ne se peuvent exprimer". Sa voix s'éteignit dans les larmes.
"Puis il en vint d'autres, tour à tour, officiers d'état-major, colonels, d'autres grades, la plupart en larmes, et de toutes parts, dans la salle, on entendait d'irrépressibles sanglots ...

"Si vous vous étiez trouvés là cette après-midi lorsque Feng quitta la réunion, si vous l'aviez entendu commander son "Garde-à-vous!" et si vous aviez vu ses hommes courir pour se mettre en position, vous auriez pu vous convaincre que le général n'avait rien perdu de son autorité pour avoir ainsi déversé le trop-plein de son coeur devant le trône de Dieu. Je n'ai jamais eu l'occasion de vivre dans une de nos casernes anglaises, mais j'ai une fois passé la nuit à bord d'un vaisseau de guerre. Or j'ose dire que, pour la discipline, la propreté, l'atmosphère générale et la bienséance, cette seizième brigade chinoise n'a rien à envier à n'importe quel corps de la marine anglaise : il y règne une cohésion incontestable, et le général est aussi aimé qu'obéi."

À Taoyouan, même élan, même écho spontané de la part des soldats. On en vit s'humilier et prier tout en larmes. Un certain major Wen exprimait en pleurant son émerveillement de l'amour infini de Dieu en Christ. Comment Dieu pouvait-il épargner de pareils pécheurs ? "Dans notre insouciance coupable," disait-il, "nous étions semblables à un cavalier monté sur un cheval aveugle et longeant un précipice." Un autre, jeune capitaine, fondit en larmes en priant, se reprochant d'avoir déshonoré la cause du Seigneur Jésus et d'avoir tourné en ridicule le général à cause de sa foi. Ce fut un sujet de joie spéciale pour Feng, car ce capitaine, brillamment doué, avait jusqu'alors refusé d'accorder un regard à la Bible.

"Un jour," raconta le général au Dr. Goforth, "comme je lisais ma Bible, il s'était approché de moi, disant : "Mon général, tout ce que vous faites et dites a notre pleine approbation ; nous admirons votre sagesse, mais nous ne pouvons comprendre qu'un homme aussi avisé que vous soit épris d'un livre aussi absurde." "Par manière de plaisanterie," poursuivit le général, "j'avançai la main pour l'attraper, mais il s'enfuit en riant, et maintenant, penser que l'Esprit de Dieu l'a pareillement ployé!" Plus tard, lorsque un bon nombre d'officiers vinrent vers le Dr. Goforth pour l'examen en vue du baptême, ce capitaine se trouva être l'un des plus avancés dans la connaissance de l'Évangile.

Non contents de travailler au salut des 9000 hommes qui formaient l'armée de Feng, les officiers s'organisèrent entre eux en vue d'évangéliser la population du district dans lequel ils étaient en garnison. Le premier article de leur règlement portait que chaque officier devrait s'efforcer d'amener à Christ au moins un des principaux personnages de la ville avant la fin de l'année.

Et la foi de ces hommes était aussi simple et précise que celle d'un petit enfant. Une fois qu'une sécheresse prolongée menaçait de détruire les récoltes, le général convoqua la population, puis invita les prêtres et les nonnes bouddhistes et taoïstes à prier pour la pluie. Comme ces gens-là restaient muets de consternation et ne savaient que faire, le général et ses officiers se mirent à prier. Et ils ne tardèrent pas à être exaucés ; la pluie tomba bientôt en abondance.

L'Évangile se répandit dans l'armée du général Feng avec une rapidité incroyable, au point que le Dr. Goforth disait que les soldats semblaient se convertir par régiments. Huit années ne s'étaient pas écoulées depuis la conversion du général, et l'on pouvait déjà affirmer que, sur dix hommes, tous païens jadis, huit étaient devenus des chrétiens sincères. Cinq cents avaient été baptisés avant l'arrivée du Dr. Goforth, et il eut la joie d'en baptiser cinq cent sept en présence d'une foule profondément recueillie. Ils s'avancèrent par petites escouades, à mesure que le général lisait à haute voix leurs noms. À trois reprises, au cours du service, le général s'agenouilla et répandit son coeur devant Dieu en faveur de ses hommes. Dès que le dernier de chaque escouade avait reçu le baptême, le colonel Chang, qui était à l'harmonium avec un choeur, entonnait une strophe du cantique :

0 jour heureux, jour de bonheur,
Lumière, paix, joie ineffable ;
Au Fils de Dieu, saint, adorable,
À Jésus j'ai donné mon coeur.

Puis, lorsque tout un contingent était baptisé, on chantait tantôt ce même cantique, tantôt :

Seigneur Jésus, viens dans mon coeur,
Je t'y fais place avec bonheur.

À Taoyouan aussi, ce fut une journée bien remplie que celle où quelque 250 hommes furent d'abord examinés en vue du baptême, puis baptisés l'un après l'autre. La réunion de prière des officiers commença à six heures et demie du matin ; l'examen des candidats dura trois heures, le culte et la cérémonie du baptême deux heures et demie ; bref, le tout dura jusqu'à cinq heures de l'après-midi.
Des choses semblables se passèrent à Tchang-té.

Le Rév. Shen Wen-ch'ing examina aussi un fort contingent de soldats, et il put constater, à nombre de preuves, qu'ils avaient fait l'expérience personnelle de la puissance de Christ qui délivre de l'esclavage du péché. Ce pasteur chinois eut la joie de baptiser non moins de 1165 soldats.

Le témoignage rendu à Christ par cette armée ne fit pas seulement une grande impression sur le voisinage, mais bien au-delà.

C'est ainsi que le général Wu Pei-fu, qui n'était cependant pas chrétien, fut touché par ce qu'il avait vu et entendu dire ; on lit dans la préface de son manuel militaire, fait sur le modèle de celui du général Feng :
"Il y a un certain nombre d'années, en Angleterre, Cromwell leva une armée pour délivrer sa patrie. Il n'enrôla que de braves gens, sachant prier. Avant d'engager la bataille, la troupe entière priait. En les voyant agenouillés, les ennemis les raillaient, les accusant de faiblesse. Mais l'armée de Cromwell se relevait et balayait tout devant elle. Cela arriva non pas une ou deux fois, mais constamment; les ennemis en conçurent un tel respect qu'ils donnèrent aux soldats de Cromwell le nom de Ironsides (Flancs de fer)."




CHAPITRE VI.

Jours d'épreuve.


En décembre 1919, - c'était la seconde année de son séjour dans le Hounan, - le général fit chercher le Dr. Logan, médecin missionnaire américain, pour examiner un parent de sa femme, qui était tombé malade chez lui. Comme ce malade était déséquilibré, quelqu'un avait été chargé de s'assurer avant la visite du docteur qu'il n'eût pas d'armes. Mais le malade n'ayant pas été fouillé, lorsque le Dr. Logan arriva avec le général, il prit son revolver et le déchargea sur le médecin, le tuant du coup. Le général eut beau se jeter aussitôt sur le fou, c'était trop tard. Il reçut lui-même deux blessures avant d'avoir réussi à se rendre maître de son parent. Le danger avait été grand pour lui ; mais que lui importaient ses blessures ? C'était la mort de son ami qui l'affligeait le plus.

Le fait que Dieu eût permis pareil malheur, dans sa propre maison, lui paraissait une grande humiliation, et il s'imposa un temps d'examen de lui-même et de pénitence. Il s'humilia devant Dieu, il confessa ses péchés, il se consacra tout à nouveau à son service, et, en signe d'humiliation, il rasa complètement sa forte moustache noire. Puis il alla faire visite à la pauvre veuve, et lui exprima sa douleur. Il fit plus tard construire, en souvenir du docteur, un "Foyer militaire" des Unions chrétiennes de jeunes gens, avec l'inscription commémorative, en chinois : "Vie donnée pour sauver des hommes," et, à l'anniversaire de la mort du docteur, il organisa un service commémoratif annuel. Au premier de ces services, le pasteur Shen Wen-ch'ing prêcha sur le texte : "L'amour de Christ nous presse."

L'armée était alors en garnison à Sinyangchow, dans le Honan, ayant été forcée de quitter le Hounan. (1) Après la cérémonie, au cours de laquelle le général avait parlé longuement de son ami défunt, il se retira avec le Dr. Goforth et d'autres pour le déjeuner, que le général appelait un pique-nique.

Ensuite on retourna au camp, où se groupa pour une nouvelle réunion un auditoire de cinq mille hommes. Debout sur un mur qui servait aux courses avec obstacles, le Dr. Goforth prit le premier la parole. Puis, afin de reposer un peu l'attention des hommes, on leur fit faire quelques exercices, après quoi le général parla une heure durant. Il exposa simplement l'Évangile, en l'illustrant par le sacrifice du Dr. Logan, son ami. "Par moments", écrivait le Dr. Goforth, "ses larmes jaillissaient, tellement était intense son désir de persuader ses auditeurs. Il aurait aisément pu être entendu par 20,000 personnes. C'était un spectacle inoubliable que cet homme de plus de six pieds de haut conjurant ses soldats par milliers de croire au Seigneur Jésus-Christ."

Détail singulier à première vue, tandis que le général est toujours prêt à prier avec ses hommes en corps et à leur annoncer l'Évangile, il s'abstient de parler personnellement à l'un d'eux de son âme. Il ne veut pas qu'un d'entre eux fasse profession de croire simplement parce que son supérieur l'y a encouragé. Il laisse à ses officiers et à ses soldats tout le travail spirituel individuel et se borne au ministère public.

Pendant l'été de 1920, le général Feng fut obligé de quitter le Hounan, comme il a été dit. Les hostilités avaient de nouveau éclaté, et l'ennemi tentait un effort suprême pour l'écraser, lui et ses forces. D'un côté étaient les armées du sud, de l'autre les armées plus considérables du nord. De fait, il était pressé de trois côtés, et ce ne fut pas sans chagrin que la population de la ville vit que l'armée si disciplinée qui lui avait valu deux années de paix et de sécurité se préparait à s'en aller. Dans une grande mesure, la ville avait été débarrassée du culte des idoles, de l'opium, du jeu, et d'autres fléaux de ce genre, tandis que les temples avaient été transformés en écoles. À titre d'hommage reconnaissant, les autorités firent cadeau d'une médaille à chacun des 10,000 soldats du général.

Une des dernières choses qu'il fit avant de partir fut de brûler publiquement tout l'opium saisi par ses hommes au cours de leur séjour dans la ville ; il y en avait pour plus d'un million de dollars.

En dépit du danger, cette retraite du Hounan se fit sans qu'on eût à déplorer la perte d'une seule vie ou du moindre bagage. Ce fut presque un miracle, et le Dr. Goforth en exprima son émerveillement en rencontrant l'armée dans le Honan. "Est-ce que cela vous étonne?" lui dit un des colonels. "Ne sommes-nous pas les soldats du Dieu vivant ? N'a-t-il pas répandu la terreur dans les coeurs des ennemis, de sorte qu'ils n'ont pas osé nous attaquer?"

Mais, tout en reconnaissant pleinement la part de la grâce de Dieu dans cette délivrance, n'oublions pas la part de l'homme. Un colonel, chargé de couvrir la retraite avec 1500 hommes, disait au Dr. Goforth : "Je me suis rappelé votre conseil de l'an dernier, dans le Hounan. Vous nous disiez que, si nous voulions faire connaître notre christianisme aux armées chinoises, il nous fallait être à la hauteur, au point de vue militaire, et veiller à chaque détail, fût-ce à nos lacets de souliers. Quand nous voyagions de nuit, nous nous tenions sans cesse prêts à repousser une attaque, et quand nous campions de jour, nous nous entourions aussitôt de remparts. C'était pendant la saison chaude, de sorte que la marche nocturne était moins pénible. Après avoir échappé à l'armée du sud, nous fûmes menacés par celle du nord, qui était plus nombreuse. Ces troupes avaient l'ordre de nous tendre des embûches et de nous exterminer, mais leur général reconnut ensuite que chaque fois qu'il avait projeté une attaque, il nous avait trouvés si bien prêts à l'accueillir qu'il avait jugé plus sage d'y renoncer."

Feng et ses hommes se retirèrent d'abord dans le Houpé, et restèrent quelque temps à Hankow, d'où ils se retirèrent plus au nord, le long de la ligne Pékin-Hankow ; puis ils se fixèrent enfin à Sinyangchow. Là se poursuivit l'oeuvre de la grâce parmi les troupes. Il y avait des réunions d'étude biblique pour les officiers, qui à leur tour tenaient des réunions le soir pour leurs hommes. Aussi chaque soir l'armée ressemblait à une ruche en pleine activité chrétienne. Les officiers tenaient aussi des réunions dans les rues pour la population de la ville. D'ailleurs, les hommes continuaient leurs apprentissages de métiers, de manière à pouvoir, lorsqu'ils auraient atteint la limite d'âge du service militaire, gagner leur vie en rentrant chez eux ... Et il se trouva, comme ils ne gaspillaient pas leur argent en fumant, en buvant, ou en jouant, qu'ils eurent quelque argent à retirer de la caisse d'épargne lorsqu'ils furent licenciés, bien qu'ils n'eussent pas reçu de solde pendant plusieurs mois.




Les soldats du maréchal Feng occupés à des travaux de menuiserie.

C'est au cours de ce séjour dans le Hounan que le général attira sur lui l'attention de beaucoup de gens et aussi bon nombre de critiques, en raison d'un de ses gestes audacieux. Bien qu'au service du gouvernement, ses soldats n'avaient pas reçu leur solde depuis longtemps, les fonds n'ayant pas été transmis au général. Le ministère de la guerre l'ignorait ; lorsque les soldats des autres armées recouraient au pillage pour se récupérer de ce que le gouvernement leur retenait, on regardait cela comme équivalant au paiement. Le général Feng, parfaitement décidé à n'autoriser aucun pillage, mais non moins décidé à être juste envers ses hommes, arrêta un train qui transportait le produit des impôts à Pékin, pour le gouvernement central. Il paya ses troupes au moyen de cet argent, et fit hardiment rapport à Pékin sur sa façon d'agir.

Il serait superflu de raconter en détail l'oeuvre de grâce qui se poursuivit dans le Honan, puisqu'elle s'accomplit, d'une manière générale, à peu près comme dans le Hounan. À Sinyangchow, ancienne ville de garnison, il se trouvait quelques centaines de femmes de mauvaise vie, dont la présence était une malédiction pour la ville. Elles eurent cinq jours pour quitter le district. Le général avait d'abord hésité à donner des ordres aussi stricts, la police locale ayant protesté contre cette mesure. Les autorités se réunirent également pour chercher comment elles pourraient s'opposer au général. Il eut donc quelque hésitation, ne voulant pas froisser les sentiments de gens qui ne le connaissaient pas, et cédant aussi sans doute à une certaine pitié pour ces malheureuses. Mais un de ses officiers, le colonel Lu, lui demanda, non sans surprise : "Comment se fait-il que vous n'ayez pas renvoyé toutes ces femmes, comme vous l'avez fait ailleurs?"
- C'est que nous offenserions beaucoup de gens en le faisant.
- "Oui reprit le colonel, "et vous offenserez Dieu en ne le faisant pas."

La question fut ainsi tranchée. Il dit ce soir-là à ses hommes qu'il était haï, à cause de ce qu'il avait fait, "mais", ajouta-t-il, "je savais que ce serait une tentation pour vous et pour les étudiants, de sorte que je ne leur ai pas permis de rester. Nous sommes les soldats du Seigneur, nous ne pouvons pas permettre au diable de faire du mal sous nos yeux."

Une autre fois, il dit à ses hommes : "La situation de notre patrie est si désespérée, en raison de la corruption des grands, que, si je n'avais pas foi dans le Seigneur Jésus-Christ, je lâcherais tout pour aller passer dans une cellule d'ermite les années qu'il me reste à vivre."

Nous avons naturellement concentré notre attention sur le général Feng ; mais quelques-uns des officiers qu'il a groupés autour de lui ne sont guère moins remarquables que lui. Nous venons de mentionner le colonel Lu : il est tout aussi zélé pour le Seigneur que son chef. À l'arrivée de l'armée à Sinyangchow, il fut envoyé par le général au-devant des autorités et des bourgeois, qui avaient préparé une grande réception. Après quelques remarques, il leur fit un clair exposé de l'Évangile, les suppliant avec des larmes dans les yeux de se réconcilier avec Christ. C'est un bel homme, un véritable orateur, monté en grade par son mérite, comme le général. Il a l'intention de renoncer à l'armée pour se vouer uniquement à la prédication de l'Évangile. Mais il espère, en gardant son titre de colonel, être agréé comme agent des Unions chrétiennes de jeunes gens dans l'armée.

Il y a quelque temps, il rencontra un pédagogue chrétien américain bien connu, qui visitait la Chine et qui lui parla des merveilleux progrès de la civilisation occidentale :
- "Colonel", disait-il, "aujourd'hui la Chine devrait, à tout prix, adopter ces méthodes modernes d'éducation qui ont fait la grandeur des nations de l'ouest."
- "Oui", répondit le colonel, "vous voulez nous fournir de belles voitures, mais sans les routes nécessaires. La Chine ne manque pas d'hommes formés en Amérique, en Grande-Bretagne, en France et en Allemagne ; mais ils sont tout prêts à nous prendre nos libertés aussi bien que celles d'autres pays. Ce dont la Chine a besoin par dessus tout, c'est que le Dieu vivant change et maîtrise les coeurs des Chinois."

Les preuves du changement des coeurs abondent, non seulement parmi les officiers, mais aussi parmi les soldats. Un jour que le Dr. Goforth s'entretenait avec le colonel Lu, celui-ci reçut une lettre de remerciements à propos d'une montre restituée à son propriétaire. "Voici une preuve du pouvoir de Christ pour sauver", dit le colonel. "Le soldat qui a trouvé cette montre est un chrétien ; il me l'a aussitôt apportée. S'il eût été un païen, ni moi ni le propriétaire nous ne l'aurions jamais vue."

Il raconta encore un autre fait datant du séjour de l'armée à Siaokan, au nord de Hankow : "Un soldat ramassa une bourse sur le quai de la gare et me l'apporta. Elle contenait dix dollars en argent et un chèque de mille dollars. Elle avait été perdue par un homme qui allait acheter des porcs au Nord, dans le Honan. Nous envoyâmes un homme à Hankow, pour qu'il prît des informations. Au premier abord, on se méfia ; les soldats n'ont pas une bonne réputation en Chine. Il demanda si l'on avait perdu quelque chose. On lui répondit qu'on avait perdu une bourse contenant dix dollars et un chèque de mille dollars. "Eh bien," dit le soldat, "envoyez quelqu'un avec moi ; on vous la rendra ; elle a été ramassée par un de mes camarades." N'est-ce pas là une preuve de l'action victorieuse de la grâce dans les coeurs de nos hommes?"
On pourrait noter encore d'autres signes de l'action exercée par la grâce.

Telle est l'empreinte à laquelle se reconnaît cette armée. C'est que le général ne néglige rien de ce qui touche au bien-être de ses hommes. Il continue à s'intéresser à ceux qui quittent l'armée. Il avise de leur départ les autorités civiles des endroits où ils se rendent. Il écrira, par exemple : "Tel homme a joui d'une bonne réputation dans l'armée ; c'est un chrétien ; il a appris un métier." Puis il envoie aussi un avis au missionnaire le plus proche, insistant pour qu'on entoure cet homme, et qu'on ne le laisse pas retourner en arrière.


1 Le Honan est au nord du Hounan, dont il est séparé par le Houpé.
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