Le général Feng est un homme
d'une indomptable énergie ; il est
persuadé que le travail a une valeur immense
pour former les caractères, et ses
succès s'expliquent : il ne permet
jamais le désoeuvrement dans son
armée. Chaque heure de la journée a
son emploi, aux ateliers, ou aux exercices
militaires, à l'étude de la Bible, ou
aux sports. Et toujours et partout il donne
l'exemple, répartissant son temps
régulièrement entre l'étude et
le travail manuel.
Pour le bien de tous, civils et
militaires, il a fait dresser, dans des endroits
bien en vue, de grandes dalles de pierre, sur
lesquelles sont gravés, en caractères
bien lisibles, des passages choisis, tirés
les uns des Écritures, les autres des
classiques chinois. Des réunions religieuses
ont lieu chaque jour à heures fixes, et les
hommes sont encouragés à lire leur
Bible et à prier. Ce ne fut pas sans peine
qu'il parvint à se procurer des livres
chrétiens en suffisance. À plus d'une
reprise, il épuisa tous les
approvisionnements des stations missionnaires, et
lorsqu'on manquait de catéchismes, trois
hommes devaient se servir du même livre. Il
ne se bornait pas à inviter les missionnaires de la
ville
à venir pour des classes bibliques, il
priait aussi le Dr. et Mme Goforth, le Rév.
Warren, le Rév. Shen Wen-ch'ing, et d'autres
encore, de venir instruire ses officiers et ses
hommes. Il les pressait, il insistait, il
promettait de se charger de tous les frais et
d'arranger les exercices de telle façon
qu'il y aurait pour chaque heure de la
journée une compagnie nouvelle.
Aussi la tâche imposée
à ces "instructeurs" n'était-elle pas
peu de chose : dès le point du jour
jusque tard dans la soirée, les escouades
d'élèves se succédaient
chacune à son tour. Puis le
général lui-même et ses
officiers apportaient aussi leurs questions
à résoudre. "Je n'ai jamais vu des
hommes aussi assoiffés de la Bible",
écrivait le Dr. Goforth. Un soir, on
présenta au général une liste
de 86 noms d'hommes désireux
d'étudier la Bible, et il décida
qu'ils devaient se rencontrer le lendemain matin
à six heures. Mais à l'heure dite, au
lieu de 86, ils étaient des centaines,
remplissant presque le théâtre, et le
général télégraphia
à Mme Goforth, la priant de venir
présider aussi des classes bibliques pour
les femmes des officiers ; il se chargeait des
frais de voyage.
Le chant des cantiques est aussi
fréquent que le son du clairon, et les
soldats ont pris l'habitude, avant chaque repas, de
se lever et de chanter la
bénédiction. Ce n'est pas seulement
à Tchangté que les choses se sont
passées ainsi, mais aussi à Taoyouan
et partout où le général a
tenu garnison. "On pourrait parcourir le monde,"
écrit le Dr. Goforth, "sans rencontrer un
auditoire plus attentif que ces
soldats." Après chaque allocution,
j'invitais à prier et dès la
première fois, les officiers
supérieurs donnèrent l'exemple en
confessant leurs péchés. Comme
j'avais parlé sur "Défrichez-vous un
champ nouveau, et ne semez pas parmi les
épines," beaucoup semblèrent
sérieusement touchés et
s'humilièrent de leurs fautes. Le
général conclut en disant : "Si
nous ne savions pas que ce message nous a
été apporté de la part de
notre Père céleste, l'aurions-nous
accepté ? Voici un étranger qui
arrive de loin et qui étale sous nos yeux
tous nos péchés et, loin de nous en
irriter, nous nous humilions ! Quant à
moi, je suis transpercé de part en
part"
Le Rév. G. G. Warren
présidait des réunions
supplémentaires pour ceux qui ne pouvaient
trouver place dans le local où parlait le
Dr. Goforth. Le cinquième jour, le
Saint-Esprit fut répandu avec abondance sur
les participants aux réunions. M. Warren
écrivit à ce propos :
"Ce fut M. Goforth qui parla ; il
cita nombre de faits frappants et de
bénédictions qui avaient
été les exaucements de prières
ardentes. Après quoi, la parole fut
laissée à chacun. Un colonel
commença, brièvement et avec
précision, mais sans rien d'extraordinaire.
Puis la voix sonore du général se fit
entendre. Déjà à la fin de la
première phrase, l'émotion la fit
trembler, et bientôt ce furent des larmes et
des sanglots. Vit-on jamais, dans toute l'histoire
du monde, un général s'humilier de
ses manquements devant ses officiers et ses
soldats, comme Feng le fit cette après-midi
là ?
À mesure qu'il priait, dans un
langage qu'il serait, je le sens, sacrilège
de reproduire ici, la salle entière fut
secouée par les pleurs. J'étais sur
l'estrade, tout près du
général, et j'entendais, droit
au-dessus de moi, sur la galerie, les sanglots et
les supplications ardentes des hommes qui s'y
trouvaient.
Prétendre qu'ils étaient
atteints d'hystérie, ou qu'ils jouaient la
comédie afin de se concilier les faveurs du
général serait se montrer
parfaitement ignorant des choses spirituelles. Tous
ceux qui étaient là ne pouvaient
qu'adorer et reconnaître que Dieu
était véritablement au milieu de
nous. Lorsque le général se mit
à prier pour sa Chine bien-aimée,
j'eus le sentiment d'ouïr ces "soupirs qui ne
se peuvent exprimer". Sa voix s'éteignit
dans les larmes.
"Puis il en vint d'autres, tour à
tour, officiers d'état-major, colonels,
d'autres grades, la plupart en larmes, et de toutes
parts, dans la salle, on entendait
d'irrépressibles sanglots ...
"Si vous vous étiez
trouvés là cette après-midi
lorsque Feng quitta la réunion, si vous
l'aviez entendu commander son
"Garde-à-vous!" et si vous aviez vu ses
hommes courir pour se mettre en position, vous
auriez pu vous convaincre que le
général n'avait rien perdu de son
autorité pour avoir ainsi
déversé le trop-plein de son coeur
devant le trône de Dieu. Je n'ai jamais eu
l'occasion de vivre dans une de nos casernes
anglaises, mais j'ai une fois passé la nuit
à bord d'un vaisseau de guerre. Or j'ose
dire que, pour la discipline, la
propreté, l'atmosphère
générale et la bienséance,
cette seizième brigade chinoise n'a rien
à envier à n'importe quel corps de la
marine anglaise : il y règne une
cohésion incontestable, et le
général est aussi aimé
qu'obéi."
À Taoyouan, même
élan, même écho spontané
de la part des soldats. On en vit s'humilier et
prier tout en larmes. Un certain major Wen
exprimait en pleurant son émerveillement de
l'amour infini de Dieu en Christ. Comment Dieu
pouvait-il épargner de pareils
pécheurs ? "Dans notre insouciance
coupable," disait-il, "nous étions
semblables à un cavalier monté sur un
cheval aveugle et longeant un précipice." Un
autre, jeune capitaine, fondit en larmes en priant,
se reprochant d'avoir déshonoré la
cause du Seigneur Jésus et d'avoir
tourné en ridicule le général
à cause de sa foi. Ce fut un sujet de joie
spéciale pour Feng, car ce capitaine,
brillamment doué, avait jusqu'alors
refusé d'accorder un regard à la
Bible.
"Un jour," raconta le
général au Dr. Goforth, "comme je
lisais ma Bible, il s'était approché
de moi, disant : "Mon général,
tout ce que vous faites et dites a notre pleine
approbation ; nous admirons votre sagesse,
mais nous ne pouvons comprendre qu'un homme aussi
avisé que vous soit épris d'un livre
aussi absurde." "Par manière de
plaisanterie," poursuivit le général,
"j'avançai la main pour l'attraper, mais il
s'enfuit en riant, et maintenant, penser que
l'Esprit de Dieu l'a pareillement ployé!"
Plus tard, lorsque un bon nombre d'officiers
vinrent vers le Dr. Goforth pour
l'examen en vue du baptême, ce capitaine se
trouva être l'un des plus avancés dans
la connaissance de l'Évangile.
Non contents de travailler au salut des
9000 hommes qui formaient l'armée de Feng,
les officiers s'organisèrent entre eux en
vue d'évangéliser la population du
district dans lequel ils étaient en
garnison. Le premier article de leur
règlement portait que chaque officier
devrait s'efforcer d'amener à Christ au
moins un des principaux personnages de la ville
avant la fin de l'année.
Et la foi de ces hommes était
aussi simple et précise que celle d'un petit
enfant. Une fois qu'une sécheresse
prolongée menaçait de détruire
les récoltes, le général
convoqua la population, puis invita les
prêtres et les nonnes bouddhistes et
taoïstes à prier pour la pluie. Comme
ces gens-là restaient muets de consternation
et ne savaient que faire, le général
et ses officiers se mirent à prier. Et ils
ne tardèrent pas à être
exaucés ; la pluie tomba bientôt
en abondance.
L'Évangile se répandit
dans l'armée du général Feng
avec une rapidité incroyable, au point que
le Dr. Goforth disait que les soldats semblaient se
convertir par régiments. Huit années
ne s'étaient pas écoulées
depuis la conversion du général, et
l'on pouvait déjà affirmer que, sur
dix hommes, tous païens jadis, huit
étaient devenus des chrétiens
sincères. Cinq cents avaient
été baptisés avant
l'arrivée du Dr. Goforth, et il eut la joie
d'en baptiser cinq cent sept en présence
d'une foule profondément recueillie. Ils
s'avancèrent par petites
escouades, à mesure que le
général lisait à haute voix
leurs noms. À trois reprises, au cours du
service, le général s'agenouilla et
répandit son coeur devant Dieu en faveur de
ses hommes. Dès que le dernier de chaque
escouade avait reçu le baptême, le
colonel Chang, qui était à
l'harmonium avec un choeur, entonnait une strophe
du cantique :
- 0 jour heureux, jour de bonheur,
- Lumière, paix, joie ineffable ;
- Au Fils de Dieu, saint, adorable,
- À Jésus j'ai donné mon coeur.
Puis, lorsque tout un contingent était baptisé, on chantait tantôt ce même cantique, tantôt :
- Seigneur Jésus, viens dans mon coeur,
- Je t'y fais place avec bonheur.
À Taoyouan aussi, ce fut une
journée bien remplie que celle où
quelque 250 hommes furent d'abord examinés
en vue du baptême, puis baptisés l'un
après l'autre. La réunion de
prière des officiers commença
à six heures et demie du matin ;
l'examen des candidats dura trois heures, le culte
et la cérémonie du baptême deux
heures et demie ; bref, le tout dura
jusqu'à cinq heures de
l'après-midi.
Des choses semblables se
passèrent à Tchang-té.
Le Rév. Shen Wen-ch'ing examina
aussi un fort contingent de soldats, et il put
constater, à nombre de preuves, qu'ils
avaient fait l'expérience personnelle de la
puissance de Christ qui délivre de
l'esclavage du péché. Ce pasteur
chinois eut la joie de baptiser non moins de 1165
soldats.
Le témoignage rendu à
Christ par cette armée ne fit pas seulement
une grande impression sur le voisinage, mais bien
au-delà.
C'est ainsi que le général
Wu Pei-fu, qui n'était cependant pas
chrétien, fut touché par ce qu'il
avait vu et entendu dire ; on lit dans la
préface de son manuel militaire, fait sur le
modèle de celui du général
Feng :
"Il y a un certain nombre
d'années, en Angleterre, Cromwell leva une
armée pour délivrer sa patrie. Il
n'enrôla que de braves gens, sachant prier.
Avant d'engager la bataille, la troupe
entière priait. En les voyant
agenouillés, les ennemis les raillaient, les
accusant de faiblesse. Mais l'armée de
Cromwell se relevait et balayait tout devant elle.
Cela arriva non pas une ou deux fois, mais
constamment; les ennemis en conçurent un tel
respect qu'ils donnèrent aux soldats de
Cromwell le nom de Ironsides (Flancs de fer)."
En décembre 1919, - c'était la
seconde année de son séjour dans le
Hounan, - le général fit chercher le
Dr. Logan, médecin missionnaire
américain, pour examiner un parent de sa
femme, qui était tombé malade chez
lui. Comme ce malade était
déséquilibré, quelqu'un avait
été chargé de s'assurer avant
la visite du docteur qu'il n'eût pas d'armes.
Mais le malade n'ayant pas été
fouillé, lorsque le Dr. Logan arriva avec le
général, il prit son revolver et le
déchargea sur le médecin, le tuant du
coup. Le général eut beau se jeter
aussitôt sur le fou, c'était trop
tard. Il reçut lui-même deux blessures
avant d'avoir réussi à se rendre
maître de son parent. Le danger avait
été grand pour lui ; mais que
lui importaient ses blessures ? C'était
la mort de son ami qui l'affligeait le
plus.
Le fait que Dieu eût permis pareil
malheur, dans sa propre maison, lui paraissait une
grande humiliation, et il s'imposa un temps
d'examen de lui-même et de pénitence.
Il s'humilia devant Dieu, il confessa ses
péchés, il se consacra tout à
nouveau à son service, et, en signe
d'humiliation, il rasa complètement sa forte
moustache noire. Puis il alla faire visite à
la pauvre veuve, et lui exprima
sa douleur. Il fit plus tard construire, en
souvenir du docteur, un "Foyer militaire" des
Unions chrétiennes de jeunes gens, avec
l'inscription commémorative, en
chinois : "Vie donnée pour sauver des
hommes," et, à l'anniversaire de la mort du
docteur, il organisa un service commémoratif
annuel. Au premier de ces services, le pasteur Shen
Wen-ch'ing prêcha sur le texte :
"L'amour de Christ nous presse."
L'armée était alors en
garnison à Sinyangchow, dans le Honan, ayant
été forcée de quitter le
Hounan. (1)
Après la cérémonie, au cours
de laquelle le général avait
parlé longuement de son ami défunt,
il se retira avec le Dr. Goforth et d'autres pour
le déjeuner, que le général
appelait un pique-nique.
Ensuite on retourna au camp, où
se groupa pour une nouvelle réunion un
auditoire de cinq mille hommes. Debout sur un mur
qui servait aux courses avec obstacles, le Dr.
Goforth prit le premier la parole. Puis, afin de
reposer un peu l'attention des hommes, on leur fit
faire quelques exercices, après quoi le
général parla une heure durant. Il
exposa simplement l'Évangile, en
l'illustrant par le sacrifice du Dr. Logan, son
ami. "Par moments", écrivait le Dr. Goforth,
"ses larmes jaillissaient, tellement était
intense son désir de persuader ses
auditeurs. Il aurait aisément pu être
entendu par 20,000 personnes. C'était un spectacle
inoubliable que
cet
homme de plus de six pieds de haut conjurant ses
soldats par milliers de croire au Seigneur
Jésus-Christ."
Détail singulier à
première vue, tandis que le
général est toujours prêt
à prier avec ses hommes en corps et à
leur annoncer l'Évangile, il s'abstient de
parler personnellement à l'un d'eux de son
âme. Il ne veut pas qu'un d'entre eux fasse
profession de croire simplement parce que son
supérieur l'y a encouragé. Il laisse
à ses officiers et à ses soldats tout
le travail spirituel individuel et se borne au
ministère public.
Pendant l'été de 1920, le
général Feng fut obligé de
quitter le Hounan, comme il a été
dit. Les hostilités avaient de nouveau
éclaté, et l'ennemi tentait un effort
suprême pour l'écraser, lui et ses
forces. D'un côté étaient les
armées du sud, de l'autre les armées
plus considérables du nord. De fait, il
était pressé de trois
côtés, et ce ne fut pas sans chagrin
que la population de la ville vit que
l'armée si disciplinée qui lui avait
valu deux années de paix et de
sécurité se préparait à
s'en aller. Dans une grande mesure, la ville avait
été débarrassée du
culte des idoles, de l'opium, du jeu, et d'autres
fléaux de ce genre, tandis que les temples
avaient été transformés en
écoles. À titre d'hommage
reconnaissant, les autorités firent cadeau
d'une médaille à chacun des 10,000
soldats du général.
Une des dernières choses qu'il
fit avant de partir fut de brûler
publiquement tout l'opium saisi
par ses hommes au cours de leur séjour dans
la ville ; il y en avait pour plus d'un
million de dollars.
En dépit du danger, cette
retraite du Hounan se fit sans qu'on eût
à déplorer la perte d'une seule vie
ou du moindre bagage. Ce fut presque un miracle, et
le Dr. Goforth en exprima son émerveillement
en rencontrant l'armée dans le Honan.
"Est-ce que cela vous étonne?" lui dit un
des colonels. "Ne sommes-nous pas les soldats du
Dieu vivant ? N'a-t-il pas répandu la
terreur dans les coeurs des ennemis, de sorte
qu'ils n'ont pas osé nous attaquer?"
Mais, tout en reconnaissant pleinement
la part de la grâce de Dieu dans cette
délivrance, n'oublions pas la part de
l'homme. Un colonel, chargé de couvrir la
retraite avec 1500 hommes, disait au Dr.
Goforth : "Je me suis rappelé votre
conseil de l'an dernier, dans le Hounan. Vous nous
disiez que, si nous voulions faire connaître
notre christianisme aux armées chinoises, il
nous fallait être à la hauteur, au
point de vue militaire, et veiller à chaque
détail, fût-ce à nos lacets de
souliers. Quand nous voyagions de nuit, nous nous
tenions sans cesse prêts à repousser
une attaque, et quand nous campions de jour, nous
nous entourions aussitôt de remparts.
C'était pendant la saison chaude, de sorte
que la marche nocturne était moins
pénible. Après avoir
échappé à l'armée du
sud, nous fûmes menacés par celle du
nord, qui était plus nombreuse. Ces troupes
avaient l'ordre de nous tendre des embûches
et de nous exterminer, mais leur
général reconnut ensuite que chaque
fois qu'il avait projeté une attaque, il
nous avait trouvés si bien prêts
à l'accueillir qu'il avait jugé plus
sage d'y renoncer."
Feng et ses hommes se retirèrent
d'abord dans le Houpé, et restèrent
quelque temps à Hankow, d'où ils se
retirèrent plus au nord, le long de la ligne
Pékin-Hankow ; puis ils se
fixèrent enfin à Sinyangchow.
Là se poursuivit l'oeuvre de la grâce
parmi les troupes. Il y avait des réunions
d'étude biblique pour les officiers, qui
à leur tour tenaient des réunions le
soir pour leurs hommes. Aussi chaque soir
l'armée ressemblait à une ruche en
pleine activité chrétienne. Les
officiers tenaient aussi des réunions dans
les rues pour la population de la ville.
D'ailleurs, les hommes continuaient leurs
apprentissages de métiers, de manière
à pouvoir, lorsqu'ils auraient atteint la
limite d'âge du service militaire, gagner
leur vie en rentrant chez eux ... Et il se trouva,
comme ils ne gaspillaient pas leur argent en
fumant, en buvant, ou en jouant, qu'ils eurent
quelque argent à retirer de la caisse
d'épargne lorsqu'ils furent
licenciés, bien qu'ils n'eussent pas
reçu de solde pendant plusieurs mois.
C'est au cours de ce séjour dans le
Hounan que le général attira sur lui
l'attention de beaucoup de gens et aussi bon nombre
de critiques, en raison d'un de ses gestes
audacieux. Bien qu'au service du gouvernement, ses
soldats n'avaient pas reçu leur solde depuis
longtemps, les fonds n'ayant pas été
transmis au général. Le ministère de la guerre
l'ignorait ; lorsque les soldats des autres
armées recouraient au pillage pour se
récupérer de ce que le gouvernement
leur retenait, on regardait cela comme
équivalant au paiement. Le
général Feng, parfaitement
décidé à n'autoriser aucun
pillage, mais non moins décidé
à être juste envers ses hommes,
arrêta un train qui transportait le produit
des impôts à Pékin, pour le
gouvernement central. Il paya ses troupes au moyen
de cet argent, et fit hardiment rapport à
Pékin sur sa façon d'agir.
Il serait superflu de raconter en
détail l'oeuvre de grâce qui se
poursuivit dans le Honan, puisqu'elle s'accomplit,
d'une manière générale,
à peu près comme dans le Hounan.
À Sinyangchow, ancienne ville de garnison,
il se trouvait quelques centaines de femmes de
mauvaise vie, dont la présence était
une malédiction pour la ville. Elles eurent
cinq jours pour quitter le district. Le
général avait d'abord
hésité à donner des ordres
aussi stricts, la police locale ayant
protesté contre cette mesure. Les
autorités se réunirent
également pour chercher comment elles
pourraient s'opposer au général. Il
eut donc quelque hésitation, ne voulant pas
froisser les sentiments de gens qui ne le
connaissaient pas, et cédant aussi sans
doute à une certaine pitié pour ces
malheureuses. Mais un de ses officiers, le colonel
Lu, lui demanda, non sans surprise : "Comment
se fait-il que vous n'ayez pas renvoyé
toutes ces femmes, comme vous l'avez fait
ailleurs?"
- C'est que nous offenserions beaucoup
de gens en le faisant.
- "Oui reprit le colonel, "et vous
offenserez Dieu en ne le faisant pas."
La question fut ainsi tranchée.
Il dit ce soir-là à ses hommes qu'il
était haï, à cause de ce qu'il
avait fait, "mais", ajouta-t-il, "je savais que ce
serait une tentation pour vous et pour les
étudiants, de sorte que je ne leur ai pas
permis de rester. Nous sommes les soldats du
Seigneur, nous ne pouvons pas permettre au diable
de faire du mal sous nos yeux."
Une autre fois, il dit à ses
hommes : "La situation de notre patrie est si
désespérée, en raison de la
corruption des grands, que, si je n'avais pas foi
dans le Seigneur Jésus-Christ, je
lâcherais tout pour aller passer dans une
cellule d'ermite les années qu'il me reste
à vivre."
Nous avons naturellement
concentré notre attention sur le
général Feng ; mais quelques-uns
des officiers qu'il a groupés autour de lui
ne sont guère moins remarquables que lui.
Nous venons de mentionner le colonel Lu : il
est tout aussi zélé pour le Seigneur
que son chef. À l'arrivée de
l'armée à Sinyangchow, il fut
envoyé par le général
au-devant des autorités et des bourgeois,
qui avaient préparé une grande
réception. Après quelques remarques,
il leur fit un clair exposé de
l'Évangile, les suppliant avec des larmes
dans les yeux de se réconcilier avec Christ.
C'est un bel homme, un véritable orateur,
monté en grade par son
mérite, comme le général. Il a
l'intention de renoncer à l'armée
pour se vouer uniquement à la
prédication de l'Évangile. Mais il
espère, en gardant son titre de colonel,
être agréé comme agent des
Unions chrétiennes de jeunes gens dans
l'armée.
Il y a quelque temps, il rencontra un
pédagogue chrétien américain
bien connu, qui visitait la Chine et qui lui parla
des merveilleux progrès de la civilisation
occidentale :
- "Colonel", disait-il, "aujourd'hui la
Chine devrait, à tout prix, adopter ces
méthodes modernes d'éducation qui ont
fait la grandeur des nations de l'ouest."
- "Oui", répondit le colonel,
"vous voulez nous fournir de belles voitures, mais
sans les routes nécessaires. La Chine ne
manque pas d'hommes formés en
Amérique, en Grande-Bretagne, en France et
en Allemagne ; mais ils sont tout prêts
à nous prendre nos libertés aussi
bien que celles d'autres pays. Ce dont la Chine a
besoin par dessus tout, c'est que le Dieu vivant
change et maîtrise les coeurs des
Chinois."
Les preuves du changement des coeurs
abondent, non seulement parmi les officiers, mais
aussi parmi les soldats. Un jour que le Dr. Goforth
s'entretenait avec le colonel Lu, celui-ci
reçut une lettre de remerciements à
propos d'une montre restituée à son
propriétaire. "Voici une preuve du pouvoir
de Christ pour sauver", dit le colonel. "Le soldat
qui a trouvé cette montre est un
chrétien ; il me l'a aussitôt
apportée. S'il eût été
un païen, ni moi ni le
propriétaire nous ne l'aurions jamais
vue."
Il raconta encore un autre fait datant
du séjour de l'armée à
Siaokan, au nord de Hankow : "Un soldat
ramassa une bourse sur le quai de la gare et me
l'apporta. Elle contenait dix dollars en argent et
un chèque de mille dollars. Elle avait
été perdue par un homme qui allait
acheter des porcs au Nord, dans le Honan. Nous
envoyâmes un homme à Hankow, pour
qu'il prît des informations. Au premier
abord, on se méfia ; les soldats n'ont
pas une bonne réputation en Chine. Il
demanda si l'on avait perdu quelque chose. On lui
répondit qu'on avait perdu une bourse
contenant dix dollars et un chèque de mille
dollars. "Eh bien," dit le soldat, "envoyez
quelqu'un avec moi ; on vous la rendra ;
elle a été ramassée par un de
mes camarades." N'est-ce pas là une preuve
de l'action victorieuse de la grâce dans les
coeurs de nos hommes?"
On pourrait noter encore d'autres signes
de l'action exercée par la
grâce.
Telle est l'empreinte à laquelle
se reconnaît cette armée. C'est que le
général ne néglige rien de ce
qui touche au bien-être de ses hommes. Il
continue à s'intéresser à ceux
qui quittent l'armée. Il avise de leur
départ les autorités civiles des
endroits où ils se rendent. Il
écrira, par exemple : "Tel homme a joui
d'une bonne réputation dans
l'armée ; c'est un
chrétien ; il a appris un
métier." Puis il envoie aussi un avis au
missionnaire le plus proche, insistant pour qu'on
entoure cet homme, et qu'on ne le laisse pas
retourner en arrière.
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