Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE III.

En face des brigands de l'ouest.

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 En 1915, d'étranges rumeurs parcoururent la ville de Paoning, dans l'est du Sé-tchouan. On ! parlait de l'approche d'une armée commandée par un sectateur de la religion étrangère. Et l'on racontait toutes sortes d'histoires sur les soldats : de cette armée, de sorte que la population s'attendait à des choses extraordinaires.

Un jour, le missionnaire en charge de la station, le Rév. W. H. Aldis, était dans sa chambre lorsque son attention fut attirée par un léger bruit à la porte d'entrée. Il vit le portier traverser rapidement la cour, une carte de visite chinoise à la main. Elle portait le nom du Général Feng Yü-hsiang. Il venait présenter ses hommages aux missionnaires, et il fut aussitôt introduit au salon.

M. Aldis fut d'emblée frappé par son air martial. jamais encore on n'avait vu dans cette ville un homme pareil, à la taille imposante, et qui n'aurait nulle part passé inaperçu. Il prit place et engagea la conversation de la façon la plus amicale. Il raconta l'histoire de sa conversion et exhibant un Nouveau Testament de poche, il dit son habitude de lire chaque jour la Parole de Dieu.

Feng, qui était alors chef d'une brigade, avait été dépêché dans ce district avec charge de le débarrasser des bandes de brigands qui le terrorisaient, semant partout ravages et destructions. Étranger à la province, et muni seulement de pauvres cartes militaires chinoises, il n'était guère en mesure de lutter contre des bandes indigènes à qui toutes les retraites des montagnes étaient familières. M. Aldis s'entretint longuement avec lui de ses difficultés, et lui fit cadeau d'une carte de district, dressée par des officiers anglais, qui était, chose curieuse, beaucoup plus complète et plus exacte que les cartes chinoises.

Il se trouvait alors dans la ville un riche fermier chrétien qui s'était enfui de la région infestée par les brigands, étant l'un de ceux qui avaient été désignés pour être capturés. Comme il connaissait bien le district, il fut présenté à Feng et il put lui donner de précieux renseignements sur les repaires des bandits. L'officier lui demanda de servir de guide à son armée ; mais le pauvre homme, terrifié, se jeta à genoux et le supplia de l'excuser : "Tant que vous serez ici, général, " expliqua-t-il, "je n'aurai rien à craindre, mais quand vous ne serez plus là, ils me tueront."

Abaissant son regard sur lui, le général lui tendit la main, le releva, et lui dit : "Nous sommes, toi et moi, frères en Christ, n'est-ce pas, et disciples de Celui qui a donné sa vie pour nous, nous devons, nous aussi, si c'est nécessaire, donner notre vie pour notre patrie." Mais le pauvre fermier n'était pas pétri de la même pâte que Feng ; incapable de saisir la force de ce raisonnement, il persista dans son refus. Le général finit par le comprendre et renonça à ses services. En conséquence, plusieurs citadins de la bonne bourgeoisie furent désignés pour accompagner Feng comme conseillers, vu qu'il était étranger à la région.

À leur retour, après la défaite des brigands, ils se plurent à rendre hommage au caractère de celui qu'ils avaient accompagné. Comme il couchait dans la chambre voisine de la leur, ils l'entendaient se lever de grand matin pour lire, tandis qu'eux-mêmes restaient paresseusement au lit ; ils eurent bientôt découvert qu'il lisait le Nouveau Testament. Puis, remarquant dans sa voix un changement d'intonations, ils comprirent qu'il priait, implorant la bénédiction de Dieu sur ses entreprises.

Pendant son séjour dans la ville, la simplicité de sa vie fit une impression extraordinaire sur les habitants. Tout en exigeant une discipline stricte, il vivait de la façon la plus simple au milieu de ses hommes, vêtu comme eux, sans trace de cet étalage pompeux qui distingue d'habitude les officiers chinois.

Après en avoir fini avec les brigands de la contrée, il se rendit dans la ville de Mienchow comme contrôleur militaire. Il y fit aussi ouvertement profession de sa foi en Jésus-Christ, visitant l'école des garçons, et à plus d'une reprise y annonçant l'Évangile, pressant les écoliers d'aimer leurs Bibles, et leur montrant son Nouveau Testament de poche, auquel il tenait de tout son coeur.

Comme on souffrait d'une longue sécheresse, au point que les récoltes risquaient d'être anéanties, le maire vint vers lui. "Mon général", lui dit-il, "voulez-vous venir avec moi demain au temple (païen) prier pour avoir la pluie ?"
- "Non", répondit-il aussitôt, "je ne le puis pas ; mais je vais vous dire ce que je ferai : j'organiserai une réunion chrétienne de prière pour la pluie, et je serai heureux de vous y voir avec les anciens de la ville. "

Comme le magistrat était de ses subordonnés, il ne put que consentir, de sorte que la "réunion chrétienne" eut lieu le lendemain. Plusieurs des missionnaires de la ville furent invités à y prendre part ; les adjoints du maire s'y trouvèrent aussi. Le général présidait. Il lut l'histoire d'Elie au Carmel demandant à Dieu la pluie ; puis il déclara simplement qu'il croyait en Dieu et au pouvoir de la prière ; après quoi, il invita l'un des missionnaires à prononcer une prière d'intercession et d'humiliation. Il adressa à son tour à Dieu une requête qui fit une grande impression par son enfantine simplicité ; c'était une instante supplication en faveur de sa patrie, sur laquelle il implorait la miséricorde divine. Un ou deux jours après, la pluie tomba en abondance, et une bonne partie de la récolte fut sauvée.

Ainsi qu'il est aisé de l'imaginer, le maire, les magistrats, et d'autres personnages importants furent fortement impressionnés par cet événement, si bien qu'ils demandèrent à pouvoir assister à une classe organisée pour l'étude du Livre auquel le général attribuait ses succès.

Peu après, Feng fut transféré au sud de la province, où il eut à soutenir de rudes combats contre des envahisseurs venus du Yunnan. Une première tentative pour s'emparer de leurs positions échoua, faute de munitions. Mais lorsqu'il fut réapprovisionné, il renouvela son attaque, emporta la place et détruisit avec son artillerie l'unique pont de la rivière, contraignant ainsi l'armée ennemie à capituler. Alors, après avoir rassemblé cette troupe désarmée, le général Feng lui adressa un discours sur le patriotisme, commanda de remettre dix dollars à chacun des officiers et cinq à chacun des soldats, puis les renvoya chez eux. Et voici comment il décrit lui-même l'effet produit sur ces hommes par ce procédé :
"Les méridionaux stupéfaits tombèrent à terre de toutes parts en pleurant ; puis ils se relevèrent et s'en retournèrent chez eux."

On en parla au près et au loin, et cette façon de traiter un ennemi vaincu devint un argument des plus éloquents en faveur des principes chrétiens.

Le 12 décembre 1915, tous les journaux de Pékin s'imprimèrent en rouge en l'honneur de l'avènement de Son Excellence Yuan Shih-kai, qui voulait bien accepter le trône impérial, du moins conditionnellement. La nouvelle de la fondation d'une nouvelle dynastie fut télégraphiée par toute la Chine, et le général Feng reçut l'ordre de veiller à ce que la province du Sé-tchouan se soumît au nouvel empereur. Le général, avec l'indépendance qui le caractérise, répondit télégraphiquement qu'il était venu dans le Sé-tchouan pour combattre les brigands et non pour soutenir une monarchie. Réponse hardie, qui le montrait prêt à démissionner plutôt qu'à se soumettre.

L'insuccès de la tentative de Yuan Shih-kai et sa mort survenue peu après sont suffisamment connus pour que nous nous dispensions d'en parler ici. Au cours de ces événements, le général Feng fut appelé à quitter le Sé-tchouan. Son départ fut déploré par tout le monde. Contrairement à ce qui s'était passé pour ses prédécesseurs qui étaient servis par d'innombrables coolies et qui s'étaient enrichis aux dépens des administrés, le général Feng quitta la province aussi pauvre qu'à son arrivée.




CHAPITRE IV.

Un commandant modèle.


Il ne nous est pas possible de suivre en détail les allées et venues de ce militaire chrétien. Trois mois durant, il campa avec ses dix mille hommes à Wousoué, dans le Houpé, y rendant son témoignage en faveur de Jésus-Christ, non sans encourir ainsi le déplaisir de certaines notabilités de Pékin. Il accueillit avec joie l'amitié cordiale des missionnaires de l'endroit, et leur demanda par lettre les prières de leurs ouailles en sa faveur. Les habitants de la ville, qui avaient redouté sa venue, sachant bien ce que valent les soldats chinois, firent à son départ cette remarque :
"Si la religion de Jésus-Christ produit des hommes de cette trempe, puisse-t-elle en produire beaucoup!"
Du Houpé, il fut transféré temporairement dans l'Anhwei, sa province natale. Mais, en automne 1918, des troupes du sud étant venues s'emparer de Tchang-té dans le Hounan, il reçut l'ordre d'aller reprendre cette ville. Après avoir élaboré soigneusement son plan et s'être assuré tous les avantages stratégiques possibles, il adressa, par l'entremise de deux missionnaires, un billet au commandant des troupes ennemies, disant : "J'ai reçu l'ordre de m'emparer de la ville, et je compte bien le faire. Toutefois, afin d'éviter toute effusion de sang, je vous engage fortement à vous retirer et à épargner la vie de vos hommes."
Le destinataire comprit évidemment qu'il avait trouvé son maître, et que ce généreux conseil venait d'un homme sûr de vaincre. Il se retira à quelque quatre-vingts kilomètres au sud de Tchangté, laissant le champ libre au général Feng.

À son arrivée dans la ville, il la trouva dans une misérable situation. Tour à tour occupée par plusieurs armées, livrée à la merci de troupes cruelles et licencieuses, qui rôdaient dans les rues, baïonnette au canon, pillant les magasins et maltraitant les gens, la malheureuse cité, avec ses bâtiments publics en bonne partie fermés, présentait l'aspect de la désolation et du désespoir.

Le général Feng prit aussitôt en mains la direction des affaires. Il décréta que toutes les femmes de mauvaise vie eussent à quitter la ville dans les trois jours ; que toutes les maisons de jeu et les théâtres fussent transformés en écoles, en ateliers, ou en salles de réunions ; que tous les débits d'opium et de morphine fussent fermés et leurs propriétaires frappés d'amendes ; et que les maisons de commerce devaient se rouvrir, toute sécurité leur étant assurée. Un marchand de morphine dut payer 7000 dollars, tandis que son associé japonais parvint à s'échapper.

Le général Feng savait se faire obéir. Avec son uniforme sans apparat, sa coiffure semblable à celle de ses hommes, ses sandales de paille en guise de souliers, il aimait à parcourir les rues en simple curieux. La taille imposante, les yeux d'un noir profond, qui semblaient "des vrilles vous transperçant jusqu'à l'âme", il pénétrait partout, sans la moindre escorte. Son oreille était ouverte à toutes les plaintes et sa main pesante pour tous les malfaiteurs ; ses réceptions journalières étaient accueillantes pour les pauvres comme pour les riches.

Il dut rester deux ans à Tchan-té, armé de pleins pouvoirs sur un vaste district ; il fut en mesure de mener à bien ses plans, et c'est alors qu'il commença à attirer l'attention du grand public. Officiers et soldats furent consignés dans les casernes en dehors des exercices, et ils ne pouvaient se montrer en public qu'avec un laisser-passer de bois, fixé de façon bien visible sur leur uniforme, et indiquant le motif de leur sortie. Des passages bibliques et des préceptes de morale furent écrits en gros caractères sur les murs un peu partout en ville et dans le campement, à titre de prédications silencieuses. De nuit, l'accès des rues fut interdit à tout piéton, sans exception. Personne, ni Chinois ni étranger de n'importe quel rang, ne put sortir de la ville sans que ses bagages eussent été visités ; tous les soirs les portes se fermaient à neuf heures.

Feng était non seulement strict et courageux, mais impartial. Un soir, l'heure étant passée, deux japonais se présentent à la porte, demandant à entrer. Les gardes refusent. Sur quoi, l'un des japonais croit pouvoir frapper de sa canne la tête du soldat ; mais celui-ci lui perce la jambe d'un coup de baïonnette. Réclamations du consul japonais, menaces d'un vaisseau de guerre qui se trouvait dans le voisinage ... Nullement décontenancé, le général donne à entendre que c'est lui qui est le maître dans cette ville.

Un peu plus tard, deux marins de ce vaisseau de guerre japonais sont arrêtés à minuit, comme ils escaladaient la muraille de la ville, et amenés au général. Le commandant japonais fait redemander ses hommes ; à quoi le général répond : "Quand vous viendrez présenter des excuses pour vos hommes, qui ont été arrêtés comme de vulgaires voleurs, ils seront relâchés." Lorsqu'enfin le commandant japonais se décida à venir, le général Feng lui dit : "Comment se fait-il que tant de braves gens de tous pays viennent en Chine pour nous aider, tandis que je n'ai pas encore rencontré un seul japonais qui fût bon ? Êtes-vous tous mauvais ? N'avez-vous pas honte ?"

Il savait cependant aussi se montrer généreux et clément. Il a, dit-on, épargné nombre d'espions méridionaux qu'on arrêtait et qu'on lui amenait tremblants, sûrs d'être condamnés à mort. Au lieu de les faire passer par les armes, il les prenait par la main et les promenait en ville, leur montrant la puissance de ses régiments, sa cavalerie, ses canons, ses corps de grenadiers et autres ; puis, en leur remettant un peu d'argent, il les renvoyait raconter à l'ennemi ce qu'ils avaient vu.

Ce n'était que lorsqu'il avait affaire à des criminels endurcis ou à des brigands les mains pleines de sang qu'il prononçait la sentence capitale. Il fustigea de ses propres mains un de ses colonels surpris alors qu'il se rendait dans une maison de débauche, et l'on assure qu'un de ses hommes a été fusillé pour avoir commis une faute analogue malgré plusieurs avertissements.

C'est au cours de son séjour à Tchang-té que le général Feng perfectionna le programme qu'il avait conçu en vue de faire de son armée un instrument puissant de régénération partout où elle serait appelée. C'est là encore qu'il élabora son célèbre manuel, "L'esprit du soldat" que tous ses hommes devaient apprendre par coeur. Ce petit livre contenait les éléments de l'instruction militaire et des doctrines chrétiennes, illustrés de traits tirés de la vie de soldats chrétiens tels que Cromwell et Charles Gordon.

Reconnaissant franchement ce qui est, hélas, exact en Chine, à savoir que nombre de soldats, une fois licenciés, deviennent des brigands, il disait sans ambages : "L'armée est une école de bandits." Mais, ne voulant pas que ce fût vrai de la sienne, il résolut de faire de ses soldats de bons citoyens, qu'ils fussent licenciés ou non. Au cours de ses trois premières années de service, tout soldat doit apprendre, outre ses devoirs militaires, à lire et à écrire. Ensuite, sous-officiers et soldats doivent faire l'apprentissage d'un métier qui puisse leur être utile après leur licenciement. L'armée de Feng est sans doute la seule au monde avec des bataillons de tailleurs, de cordonniers, de tisserands, de charpentiers et de tapissiers. Chaque bataillon doit avoir son métier. On a pu voir fréquemment un sous-officier assis au métier à tisser au milieu de ses hommes occupés à faire du drap. Et le général donne l'exemple en toutes choses : il consacre chaque jour un certain temps à l'étude, et travaille pendant une heure dans un des ateliers. Une bonne partie des objets fabriqués ainsi trouvent leur emploi dans l'armée ; les autres se vendent, en partie au bénéfice des artisans eux-mêmes. Il en résulte que les soldats de Feng ont l'air heureux, et prennent un vif intérêt à leur ouvrage. La discipline ne se relâche nullement pendant ces travaux ; les armes sont en faisceaux dehors, et les hommes sont prêts à reprendre d'un instant à l'autre leur place dans le rang.

Le Dr. J. Goforth, un missionnaire qui a souvent passé de bons moments avec le général, raconte en ces termes une visite à Tchang-té :
"Il nous conduisit dans ses ateliers, où nous vîmes des vingtaines de machines à tricoter, qui fournissent toutes les chaussettes de l'armée ! Des douzaines de machines à coudre confectionnaient des uniformes ; des métiers à tisser fabriquaient des linges de toilette, etc., sans parler des presses des relieurs, de la fabrication des chaises de rotin etc. Les soldats ainsi occupés avaient tous environ quarante ans.

"Nous nous rendîmes aussi avec le général aux casernes. Ce qui nous étonna, ce fut de trouver en Chine un endroit exempt d'odeurs désagréables et de saleté : tous les lits propres, chacun muni de sa moustiquaire ; fusils, baïonnettes, courroies, boucles de ceinturon, tout était reluisant. C'était beau de voir les Bibles et les recueils de cantiques empilés partout avec soin, ainsi que les manuels militaires. Quant aux exercices corporels, nous pûmes en constater les résultats. Des officiers en costume de sport furent appelés afin de nous faire voir ce qu'ils savaient faire ; parmi eux, le colonel Li. Leurs exploits sur les barres parallèles et autres engins, ainsi que la course avec obstacles, furent remarquables. Le général attira mon attention sur les boucles qui ornaient les ceintures de sport des officiers : c'étaient autant de prix gagnés à des concours de marche. "Il y en a un," me dit-il, "qui a fait faire à sa compagnie quarante milles (64 kilomètres) en sept heures, et les hommes étaient chargés de tout leur fourniment."

Le général fait de ses hommes ce qu'il veut. Ils donneraient leur vie pour lui. Il les appelle ses "garçons", et il est vraiment comme un père pour eux. Un petit détail nous révéla son secret. Nous débarquâmes un jour avec lui à Taoyouan, à trente milles en amont, où 3000 hommes faisaient face à l'armée du sud. Lorsque nous passâmes par un chemin étroitement surveillé, des soldats en faction restèrent là comme des statues, l'arme au pied, baïonnette au canon, tout à leur affaire, vu l'imminence du danger. En passant près d'eux, le général leur toucha à chacun gentiment le bras."

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