3. Les associations d'hommes et de jeunes gens.
Les diverses branches de l'activité
chrétienne dont nous avons parlé ont
une valeur plutôt préservatrice ;
il s'agit avant tout d'instruire, de soutenir, de
remettre sur pied. Si l'on veut des fruits qui
demeurent et si l'on désire conserver les
positions acquises, il faut à tout prix
former une association. Dans les communautés
organisées, comme les frères moraves
et l'Eglise méthodiste, ces associations
font partie de l'organisme même. Mais la
plupart du temps on répondra à ce
besoin par la création d'associations
chrétiennes. Nous voulons en dire quelques
mots.
Les deux formes existantes en Suisse
sont jusqu'à présent les unions
chrétiennes et les sociétés de
tempérance; d'autres formations telles que
les associations d'ouvriers dans l'Allemagne du
Nord ont un caractère social et patriotique,
et ressemblent aux associations catholiques.
Entreront-elles
en
Suisse ? C'est peu probable. Leur organisation
ne tend pas à une action religieuse ou
à une rupture avec le monde ou l'auberge,
mais à résister à des
influences socialistes ou ultramontaines.
Nous n'avons donc pas à les
étudier, et nous ne parlerons que des
sociétés ci-dessus
mentionnées.
Les unions chrétiennes ont
été introduites en Suisse, par
Genève et Zurich, il y a à peu
près 70 ans. Une sage direction a
favorisé leur développement. Elles
répondent à un besoin pressant, et
ont fait beaucoup de bien à notre patrie.
Leur extension sur la terre entière et le
lien très réel, quoique simple, qui
les unit, sont propres à ouvrir des horizons
nouveaux aux jeunes gens et à les
enthousiasmer pour les conquêtes du royaume
de Dieu.
Plus d'un jeune homme
réveillé y a senti le souffle qui a
empêché de mourir en lui
l'étincelle de sa foi. Plusieurs de nos
frères les plus actifs ont grandi dans ce
milieu et y ont appris à travailler pour
autrui.
C'est un devoir sacré pour tout
pasteur pieux et pour tout homme qui aime le
peuple, de soutenir ces unions ; les jeunes
gens doivent pouvoir compter sur l'approbation et
l'amour de la communauté
chrétienne.
Sans porter atteinte à leur
indépendance, qui a sa valeur, il faut
savoir s'occuper d'eux, et saluer toute saine
initiative. Il faut aussi se souvenir qu'une grande
partie des membres de ces unions ne gagnent pas
encore leur vie et ne disposent que de peu
d'argent. Or il en faut pour louer et
aménager des locaux. Peu de collectes
m'intéressent plus que celles des unions chrétiennes ;
je
souhaiterais seulement à ces jeunes
collecteurs plus de sagesse et de
joie !
Les jeunes gens qui entrent dans les
sociétés de jeunes commerçants
ou d'autres analogues y trouvent des moyens de
culture en abondance. C'est pourquoi les unions
chrétiennes des villes et des centres ont
été exhortées par des voix
venant d'Amérique et ayant passé par
Berlin, de tenir compte de ces besoins plus que par
le passé. D'une façon
générale, il nous paraît
préférable qu'elles conservent leur
caractère d'édification, et qu'elles
laissent à de nouvelles associations le soin
de modifier les méthodes et d'élargir
le cercle d'action. Les deux genres d'unions ont
leur tâche et leurs amis. Elles doivent
marcher d'accord, la main dans la main.
Les exemples d'Amérique, de
Berlin et de quelques grandes villes suisses
prouvent que des unions chrétiennes de
jeunes gens, soutenues par des pères de
famille et par des donateurs
généreux, peuvent beaucoup, par la
camaraderie chrétienne, pour éduquer
des jeunes gens loin des tentations de
l'auberge.
L'évangéliste Moody, cet
homme si pratique, plein d'esprit et connaisseur
admirable du coeur humain dans sa période de
travail d'il y a 15 ans en Angleterre, a toujours
affirmé la grande tâche des unions
chrétiennes ; il a souvent, dans
plusieurs villes, collecté en leur faveur.
À Liverpool, il avait annoncé que,
pour son discours d'adieu, il poserait la pierre
angulaire de tout travail
d'évangélisation. Les auditeurs ne
furent pas peu étonnés de l'entendre
demander la construction de maisons pour les
unions ; c'était, disait-il, la dépense la
plus nécessaire en Angleterre, pour exercer
une action durable sur le monde masculin. Quiconque
connaît son enseignement et sa tendance,
comprendra dans quel sens il pouvait ainsi
parler.
Nous apprenons avec joie, qu'à
Zurich, l'achat d'une belle propriété
va permettre à l'union d'étendre son
action, et qu'à Bâle un comité
vient de se constituer pour donner un appui
financier aux unions de jeunes gens. Tout cela nous
donne beaucoup de joie et nous remercions Dieu de
la décision avec laquelle, chez nous, on va
de l'avant.
4. - La Société de la
Croix-Bleue.
Quelques mots, tout d'abord, sur cette
société que je représente
aujourd'hui au milieu de vous :
En 1877, M. le pasteur L.-L. Rochat, de
Genève, après avoir cherché et
prié, tentait, avec un profond
sérieux et une entière conviction, de
combattre directement la vie d'auberge en Suisse.
Le but de son activité, il le sentait,
était le sauvetage des buveurs et des
victimes de la vie d'auberge. - Des études
attentives et son expérience lui avaient
prouvé que rien n'était plus utile,
plus simple et plus actif pour sauver les buveurs
que l'abstinence totale de toute boisson
alcoolique. Il voulut dès lors introduire
dans sa patrie ce principe jadis inconnu.
Il avait vu, du même coup, que la
réalisation de sa pensée exigeait
autre chose que les moyens ordinaires de
propagande : conférences, presse et
feuilles populaires. L'unique chemin à
suivre était la fondation d'une
société dont seuls des abstinents
feraient partie. Car il ne suffisait pas de
prêcher, il fallait vivre.
Plein de cette conviction, il fonda la
société de tempérance
suisse ; peu à peu elle a franchi les
frontières de la Suisse et est devenue la
fédération internationale des
sociétés de la Croix-Bleue.
Pendant ces douze années cette
société a éprouvé
souvent et avec force le secours
miséricordieux du Seigneur ; et quand
nous pensons jusqu'à quel point ce principe
de l'abstinence était contraire aux moeurs
de notre pays, nous ne pouvons que nous
étonner des succès remportés;
chacun devra reconnaître, pour peu qu'il ait
suivi attentivement la marche de cette
société, que cette humble tentative a
réussi au-delà de toute
espérance.
Elle est si bien acclimatée en
Suisse qu'elle compte à l'heure
actuelle : 180 sections et 5500 membres actifs
et adhérents.
Ce n'est pas le lieu d'exposer en
détail les principes de la
Croix-Bleue ; la plupart d'entre vous les
connaissent (1). Que l'abstinence
totale soit
d'un
grand secours, le fait a été
prouvé cent fois, et il repose sur un
fondement solide et se légitime par
l'Évangile et par la science.
Christ a dit : « Si ton
oeil droit te fait tomber dans « le
péché, arrache-le et jette-le loin de
toi. Il vaut mieux pour toi qu'un
de tes membres périsse et que ton corps
entier ne soit pas jeté dans la
géhenne. » L'énergie de
cette parole ne laisse place à aucune
hésitation : le Seigneur fait
dépendre le salut d'un acte résolu de
renoncement, non pas au péché, mais
à un objet qui nous fait pécher. Cet
acte peut être considéré comme
une vigilance redoublée en face du danger.
Le Seigneur veut évidemment, par cet ordre,
faciliter le salut à ses auditeurs
plutôt que le leur compliquer.
L'application de cette règle au
buveur est très claire. Si Jésus en
avait eu un devant lui, il lui aurait
demandé avant tout, ce qui le faisait
tomber. Le buveur, après quelques
tâtonnements, aurait reconnu que ce
n'était ni l'ivrognerie ni l'ivresse, mais
bien un objet, aussi innocent en lui-même que
la main ou l'oeil, à savoir les boissons
enivrantes. Et le maître lui aurait
dit : « Voilà ce que tu dois
éloigner de toi ! » ainsi il
n'aurait pas dit : « Uses-en
modérément ou rarement, mais :
prive-t'en complètement. » De
même que le Seigneur imposa au jeune homme
riche la vente de ses biens s'il voulait être
un vrai disciple, de même il exigerait d'un
buveur non pas la modération mais
l'abstinence totale. Et cette exigence bien loin de
créer des obstacles sur sa route,
répétons-le, lui est une grâce
qui lui facilite l'obéissance en
général.
Il est intéressant de constater
l'accord de la science avec le conseil de
Jésus.
Le médecin, surtout
l'aliéniste, mandé dans des cas aigus
d'alcoolisme dit ceci à son malade: «
Plusieurs organes de ton corps ont des
lésions provoquées par tes habitudes
de boisson; ton estomac en particulier porte des
traces d'inflammation dans ses muqueuses, etc.,
etc., dès
que ces places malades sont touchées par de
l'alcool sous une forme quelconque, même
dilué comme dans la bière, le vin, le
cidre, il se produit une légère
irritation ; la soif provoquée devient
bientôt un vrai tourment, et il faut une
force de résistance morale extraordinaire
pour résister à cet impérieux
besoin. Or cette force, tu ne l'as pas et c'est
pourquoi ta seule espérance de
guérison et de santé est dans
l'abstinence totale, pendant de longues
années, peut-être pendant toute ta
vie. »
Oui, tout cela est excellent en
théorie, dira-t-on, mais qu'en est-il dans
la pratique ? L'abstinence est-elle
possible ? Nous avons fait dans ce domaine,
grâces à Dieu, des expériences
nombreuses et il nous serait facile de citer
plusieurs exemples frappants qui, nous l'avouons,
ont été, pour nous, absolument
convaincants : des hommes tiennent bon, leur
nombre augmente, et c'est pourquoi notre
société étend de plus en plus
son action, par la bénédiction de
Dieu.
Combien d'anciens buveurs, devenus
maintenant des citoyens heureux et robustes, nous
ont dit que, pour eux, l'abstinence totale avait
été quelque chose de relativement
facile, même de très facile, tandis
que la modération cent fois essayée,
leur avait été impossible.
Combien d'hommes nous remercient de tout
coeur de leur avoir fait connaître ce
principe élémentaire, et
déclarent qu'à leur grand
étonnement ils n'ont eu pendant des
années, aucune ou presqu'aucune tentation de
boire.
Mais comment ce principe dont
l'excellence est manifeste,
va-t-il se répandre ? Suffit-il d'en
parler dans des conférences, de le
défendre devant un public et de
conclure : « l'abstinence totale est
bonne et même nécessaire pour vous,
mais nous, vos meilleurs amis, nous qui voulons
travailler à votre sauvetage, nous
continuerons à boire notre
verre ? »
Il est évident - chacun le
comprend - qu'un tel discours est stérile.
Dans ce domaine, l'exemple seul a une force de
persuasion.
C'est pourquoi à tous ceux qui
sont d'accord avec le principe exprimé plus
haut, et qui ont le désir d'aider aux
buveurs, nous conseillons de prendre un engagement
d'abstinence totale et de marcher de
l'avant.
Nous nous appuyons - et c'est le second
passage biblique fondamental pour la Croix-Bleue -
sur les paroles de Paul : I
Cor. IX, 19-22. « Bien
que je sois libre à l'égard de tous,
je me suis rendu le serviteur de tous, afin de
gagner le plus grand nombre ... j'ai
été faible avec les faibles afin de
gagner les faibles. je me suis fait tout à
tous, afin d'en sauver de toute manière
quelques-uns ».
Paul nous apprend que son travail se
poursuit d'après une certaine
méthode. Il ne se contente pas d'annoncer
l'Évangile et de prier pour les
Églises, mais il cherche un terrain commun
aux différentes classes qu'il aborde, afin
de pouvoir les sauver.
Et nous aussi, nous disons, en pensant
à une autre classe de faibles : nous
voulons devenir faibles avec les faibles,
c'est-à-dire que nous voulons faire comme si
nous étions très faibles
vis-à-vis de la boisson et de la vie
d'auberge, et nous consacrer à veiller sur
nos frères en danger.
De cette coopération des faibles
et de leurs sauveteurs, naît tout
naturellement une association.
L'expérience prouve que les
unités tactiques de notre troupe, sont les
sections locales, dans lesquelles l'instruction,
l'exhortation, l'échange de conseils, la
coopération ont leur place et où le
travail de la cure d'âmes se poursuit.
Notre but n'est pas de changer les
habitudes du pays, pas plus que de ruiner la
culture de la vigne ou l'industrie de la
bière, mais de fonder dans toutes les
localités de notre patrie des sections
où les hommes en danger ou
déjà tombés puissent trouver
des mains secourables qui les relèvent et
les préservent de chutes.
Rien de plus simple que la fondation
d'une société de
tempérance ; plus les débuts
sont humbles, mieux cela marche.
La plupart du temps on débute par
une conférence devant un auditoire plus ou
moins nombreux. Quelques assistants s'engagent par
signature à l'abstinence totale pendant un
temps déterminé. Ils déclarent
ainsi être d'accord avec nos principes et
vouloir les propager.
Il n'y a rien de plus intéressant
que de jeter un coup d'oeil rétrospectif sur
les débuts de nos sections. Que de
difficultés ! et cependant,
malgré une grande faiblesse, elles ont pris
pied et se sont augmentées.
À Berne, par exemple, sept hommes
signèrent, après une
conférence de M. le pasteur Rochat, devant
quelques auditeurs. J'étais quelque peu
déconcerté en voyant l'affaire si
vite lancée : mais comme j'étais
abstinent depuis de longues années, je me
sentis tenu de m'occuper de ces
sept hommes et nous commençâmes
aussitôt à nous réunir une fois
par semaine, tout d'abord dans une boutique de
ferblantier, puis chez un lithographe, enfin au
café de tempérance du
« Bärenhöfli ». Plus
tard nous eûmes deux ou trois réunions
par semaine ; on chanta, on se réunit
une fois par mois en réunions de groupes. Et
c'est ainsi que l'oeuvre commença en
plusieurs localités. La
société naissait et vivait parce
qu'elle répondait à un
besoin.
Un des facteurs essentiels de tout le
travail est la réunion hebdomadaire. Elle
est nécessaire parce qu'il s'y trouve
toujours de nouveaux auditeurs qui sont encore
très faibles et qui ne peuvent se passer
d'encouragements et d'amitié dans la lutte
avec leurs camarades.
Nous ne préconisons aucune
méthode, et nous ne donnons aucune
instruction particulière pour l'organisation
des réunions. Si des observateurs
superficiels ont comparé parfois notre
travail à celui de l'Armée du Salut,
ils se sont trompés. Nous nous distinguons
en ceci :
L'Armée du Salut forme dans ses
écoles des officiers, qu'elle envoie avec un
mandat très déterminé. Ils
doivent évangéliser d'après
certaines règles. Notre comité
directeur, au contraire, considère que sa
tâche est de travailler au salut des victimes
de la boisson et de la vie d'auberge, avec l'aide
de Dieu et de sa parole, et cela, par le moyen de
l'abstinence totale de toute boisson
alcoolique.
Notre devoir n'est donc pas de former et
d'envoyer des agents, mais bien plutôt de
répandre un principe admirable et pratique,
tout en laissant aux amis chrétiens de chaque
localité et de chaque contrée le soin
de s'accommoder aux diverses circonstances
locales.
La prédication de ce principe est
notre humble tâche, mais aussi notre devoir
sacré, et nous serions cruels et
infidèles, si, en face des bienfaits
apportés par cette bonne nouvelle, nous ne
remplissions pas notre sainte mission.
Chaque section locale varie ses
méthodes suivant les personnes qui la
dirigent.
Un fait est caractéristique. Le
principe de l'abstinence totale non seulement n'a
pas, en général, effarouché
les hommes, mais les buveurs ont été
attirés par le caractère radical de
ce traitement.
Cette observation, nous l'avons souvent
faite avec étonnement. Plusieurs nous
prophétisaient que jamais des buveurs ne
viendraient à ces réunions
convoquées pour eux spécialement. Et
voici, plus nous avons attaqué loyalement et
en face, plus nous avons rencontré
l'approbation de ceux pour lesquels notre conseil
avait quelque chose de nouveau.
Il nous a souvent paru que, par le
conseil et l'exemple de l'abstinence totale, Dieu
jetait au buveur oublieux du devoir et sans
caractère, comme une amorce pour lui donner
l'occasion de reprendre pied, d'essayer ses forces
épuisées, et de prendre une
décision morale dans son être
intérieur abattu. Combien de fois cet essai,
quand il était sincère, l'a-t-il
conduit à la victoire malgré sa
faiblesse et son entourage mauvais ou
dangereux ! si bien que le signataire
lui-même s'étonne que les premiers pas
n'aient pas été plus
difficiles.
La plupart du temps la connaissance de
leur faiblesse est très
rudimentaire encore, et les premiers pas sont faits
avec un sentiment de propre justice et avec la
pensée secrète : Voilà
une occasion de montrer ce que je
vaux !
Si ces pensées ne sont pas celles
qu'il faudrait désirer, elles
témoignent cependant d'un progrès
chez celui qui, tout à l'heure,
s'abandonnait et n'avait plus de discipline. Et, je
le répète, le premier pas, quand il
est sincère et qu'il vient d'une
volonté droite, est souvent couronné
des plus beaux résultats.
Notre activité ressemble donc
à celle de Jean-Baptiste, qui, en attaquant
des péchés particuliers,
révélait la loi morale et
préparait à la connaissance du
Sauveur.
Cette connaissance est à nos yeux
la seule puissance salutaire ; nous l'avons
toujours en vue et, aussi longtemps que ceux sur
lesquels nous voulons agir ne sont pas encore
parvenus à ce but, nous considérons
leur position comme précaire et le
résultat obtenu comme insuffisant. Dieu soit
béni, plus d'un s'est déjà
converti et a été
régénéré, et combien
nous ont remerciés de les avoir
guidés sur le chemin de la
sobriété, où ils ont
rencontré celui qui les a sauvés pour
toujours.
Chers amis et frères !
Laissez-moi vous dire ceci :
La bénédiction que nous
avons reçue dans ce travail d'amour est si
abondante, et, dans nos réunions grandes ou
petites, nous avons si souvent
expérimenté ce que le Seigneur a fait
non pas seulement pour les anciens buveurs, mais
aussi pour ceux qui se sont sacrifiés
à eux, que je me sens pressé de vous
exhorter à apprendre à
connaître cette action importante que le
Seigneur nous a donné d'avoir sur le monde
masculin, et de vous
demander
sérieusement devant Dieu si vous
n'êtes pas appelé à travailler
à ce sauvetage.
Pour mieux décrire encore notre
position j'aimerais réfuter certaines
objections faites à nos principes et
à notre travail :
I. « Votre
société, nous dit-on, est
d'importation « étrangère,
elle vient d'Angleterre, et jamais elle ne pourra
s'acclimater en Suisse. »
Quiconque connaît l'histoire de la
Croix-Bleue se persuadera que M. Rochat, s'il a
été éclairé par les
expériences de nos amis anglais, n'a
nullement imité les principes anglais du
« Teetotalisme », mais qu'il
s'est appuyé sur l'Écriture, et que,
tenant compte de nos circonstances, il a mis en
oeuvre le principe de l'abstinence totale d'une
façon tout à fait originale. Ce fait
a été mis en lumière par
plusieurs écrivains allemands qui s'occupent
de questions antialcooliques, surtout par le Dr
Martius, et il devient évident à tous
ceux qui entrent en contact avec des
tempérants anglais, ce qui est rare, qu'ils
nous tiennent à peine pour de vrais
tempérants et considèrent tout notre
travail comme incomplet et manqué. Ils vont
beaucoup plus loin que nous. Une grande fraction
des abstinents anglais et américains
considère que le fait de boire un verre de
vin dans les circonstances présentes est un
péché pour un chrétien.
Plusieurs ont été jusqu'à ne
plus vouloir user de vin dans la
Sainte-Cène, ils ont tenté - et
à nos yeux cette tentative est indigne - de
prouver par toutes sortes de subtilités
exégétiques que le vin dont il est
question dans la Bible n'était pas une
boisson enivrante, mais une espèce de sirop.
Jamais notre société de la
Croix-Bleue n'a eu l'idée d'imiter de telles
exagérations ; elles nous troublent car
elles sont nuisibles à notre cause.
Dès les débuts, nous avons au
contraire toujours affirmé que le vin, pris
en quantité modérée,
était une boisson parfaitement
légitime pour ranimer et donner de l'entrain
en société. Nous ne nous
étonnons pas, mais nous nous
réjouissons de ce que Jésus non
seulement en ait bu, mais encore en ait fait
à Cana et en ait donné à ses
disciples dans le repas de Cène.
Chaque fois que nous considérons
l'intérêt général du
peuple, pour lequel la diminution de la
consommation de l'eau-de-vie serait un bien, nous
désirons et défendons la diffusion de
boissons spiritueuses très
légères comme le cidre ; ainsi,
loin de renoncer à la culture de la vigne,
nous parlons en sa faveur. Néanmoins nous
affirmons que ces boissons spiritueuses, innocentes
et sans nocivité, doivent être
absolument évitées par les buveurs et
par les amis qui veulent les sauver.
2. On objecte encore que le principe
d'abstinence totale compromet la liberté
nécessaire à un développement
normal de la vie spirituelle.
On a déjà beaucoup
écrit sur ce point, et je vous renvoie aux
pages remarquables qu'a écrites M. le
pasteur Kündig, de Bâle-Campagne sur
cette question. Le voeu d'abstinence totale n'est
pas une limitation, mais un usage volontaire de ma
liberté. Paul a prouvé par plusieurs
exemples que le chrétien a le droit de
renoncer à sa liberté, si ce
renoncement le rend plus apte au service du
Seigneur. Nul ne peut nous contester ce droit.
Quiconque examinera de près la chose, remarquera
qu'il y a une
grande
différence entre un voeu volontaire que je
m'impose et la loi proprement dite que Dieu a
imposée aux Juifs et dont notre Seigneur,
par son expiation, nous a totalement
libérés. Il est remarquable que le
voeu volontaire d'abstinence totale, pour autant
que nous l'avons observé jusqu'à
présent, ne fait naître aucune
convoitise du fruit défendu, comme cela est
dit fréquemment de la loi ; la plupart
du temps, au contraire, cette décision
facilite la vigilance et rend plus prudent.
3. On a aussi fait des objections au
mode d'engagement par la signature.
Nous avouons que celle-ci est un moyen
pratique adopté comme un pis-aller. Nous
écouterons volontiers quiconque nous
proposera un moyen plus simple et meilleur
d'exprimer clairement sa décision.
4. On nous a aussi reproché
d'inaugurer une nouvelle méthode de salut.
Il faudrait s'engager à ne plus commettre
tel ou tel péché. Or ni les
apôtres, ni le Seigneur n'ont connu ces
demi-mesures extérieures ; si elles
sont utiles, il faut fonder d'autres
sociétés contre d'autres
péchés, et on fera imprimer des
cartes d'engagement pour les jurements, le
mensonge, la paresse, la vanité, le plaisir,
la sensualité, etc.
Ce reproche, compréhensible dans
la bouche de ceux qui nous voient de loin, repose
sur une fausse conception de notre engagement.
Quand quelqu'un signe un engagement d'abstinence,
il ne promet pas par là de ne plus commettre
tel ou tel péché, mais de renoncer,
au nom de certains motifs, à une habitude
innocente en soi, telle que boire du vin ou de la
bière. Il n'y a pas de péché
à boire un verre de vin ; or c'est précisément
à ce premier verre que renonce celui qui
signe.
Promettre noir sur blanc qu'on renonce
à telle ou telle habitude innocente en soi,
ou s'engager à ne plus commettre tel ou tel
péché, ce sont là choses bien
différentes. Autant nous
considérerions la dernière promesse
comme erronée et inutile, autant le premier
engagement nous semble pouvoir être pris sans
danger, vu qu'il porte sur un acte
extérieur, l'acte par lequel je bois telle
ou telle boisson. Cet acte n'enflamme pas
l'imagination comme tel ou tel autre penchant, il
ne provoque pas des désirs qui risquent de
remplir l'homme tout entier et de le souiller dans
sa conscience. L'habitude de boire, chez les hommes
- je ne parle pas des femmes ici - n'est pas un
péché secret. Ils le cultivent sans
honte, de sorte que toute rupture d'engagement
vient vite au jour, et toute dissimulation de
quelque durée est presque une
impossibilité.
Tout cela fait comprendre pourquoi,
contre notre attente, la fidélité
à l'engagement n'offre pas davantage de
dangers moraux. Nous nous expliquons aussi le fait
que les seuls voeux pratiqués constamment
par les Israélites et autorisés par
le Seigneur - nous pensons aux voeux des
Récabites et des Nazaréens - eussent
pour objet l'abstinence de boissons enivrantes et
non pas une autre.
5. On nous a aussi objecté que
notre méthode si extérieure de
recrutement, favorisait étrangement
l'hypocrisie de nos membres.
Il est vrai que nous avons souvent
trouvé des hypocrites dans nos rangs. Ils
étaient venus à nous pour plaire à certains hommes,
et dans l'attente d'avantages, matériels, de
secours, etc. Le cas est fréquent parce
qu'en général les buveurs ont une
caisse qui crie famine, et parce qu'ils ne
cherchent des secours qu'une fois. plongés
dans les dettes. Pour parer à ces
inconvénients nous avons, depuis plusieurs
années, fait savoir très ouvertement
que nous ne faisions aucun secours, mais que nous
adressions les nécessiteux aux
autorités. constituées pour secourir
les pauvres et aux sociétés de
bienfaisance. Si, malgré nos
précautions, des hommes faibles recourent,
parmi nous, à des manières
trompeuses, il doit en être ainsi dans
d'autres sociétés chrétiennes.
Cela n'a jamais été autrement. Par la
bonté de Dieu, nous avons la Sainte
Écriture et la saine compagnie d'hommes
décidés à combattre de telles
excroissances maladives.
Quiconque connaît les
misères qu'apportent dans une
société les hypocrites, doit
être persuadé que, bien loin de
favoriser l'hypocrisie, nous la poursuivons avec
toutes les armes spirituelles.
6. On nous dit encore :
« Par l'abstinence totale, l'homme arrive
trop vite à la liberté et à
une certaine stature morale qui le séduisent
parce qu'il se croit réellement converti,
tandis que son coeur est encore dans la propre
justice et éloigné de Dieu.
L'habitude de l'abstinence totale est
donc un obstacle à la repentance et à
la conversion. »
Oui, ce danger existe ; nous en
avons souvent souffert, et nous faisons tout notre
possible pour placer tous ceux qui se groupent
autour de nous sous l'influence d'une
prédication claire et
évangélique, qui dissipe, par la
puissance de l'esprit, toutes ces illusions, et qui
les
conduise
à Jésus dans le profond sentiment de
leur état de péché. Nous
préférons que la crise qui
mène un pécheur à la croix,
où il trouve le pardon complet de ses
péchés, se produise dès les
débuts et atteigne les profondeurs ;
mais souvent la boisson a créé un tel
état de misère morale que la
repentance et la conversion ne peuvent naître
qu'après un certain temps de
sobriété. Les hommes
dégradés, qui n'ont jamais su ce
qu'était une règle, ont besoin d'une
période de discipline intérieure et
de vigilance, sinon il n'y a pas
d'amélioration possible. Cette
période vient-elle à manquer, tout
s'écroule, un jour ou l'autre, même
après avoir donné des preuves
certaines de conversion, Il ne dépend pas de
nous que la conversion proprement dite
précède ou suive ces temps de
discipline intérieure et de
sobriété. Nous devons en ces
matières laisser l'action à Dieu et
avoir confiance en Lui.
Quelquefois cette période de
sobriété s'accompagne d'une certaine
propre justice, mais nous sommes déjà
reconnaissants que des hommes, qui jadis se
soustrayaient consciemment, à toute
influence religieuse, viennent maintenant se
joindre volontairement à une
société chrétienne et
écoutent la parole de Dieu. Nous croyons que
le Seigneur saura employer les moyens de
grâce pour sauver ces hommes jadis
étrangers.
7. On nous dit encore que plusieurs de
nos sections, malgré la beauté de nos
principes, ne prospèrent pas et qu'en
plusieurs lieux notre activité n'a pas les
résultats qu'on s'était promis. Eh
oui ! c'est vrai, mais il faut aussi
reconnaître que la faute n'en est pas au
principe, mais à l'application qu'on en a
fait.
Si, dans les sections, l'on manque de
puissance spirituelle, de patience, d'amour, de
sagesse, c'est que le guide fait défaut.
Nous devons admirer comment plusieurs sections
marchent, alors que la direction est aussi
imparfaite que possible. Pesez ceci : dans
toute la Suisse allemande six pasteurs seulement et
un petit nombre d'évangélistes
travaillent avec nous. Et cependant, s'il y a un
domaine de l'activité chrétienne
où l'appui et la direction d'hommes de Dieu
expérimentés serait
nécessaire, c'est bien dans le champ de
travail où il faut appliquer un principe
délicat et puissant, et où tout le
travail consiste pour ainsi dire à
éduquer des âmes d'hommes.
Nous ne pouvons nous empêcher de
profiter de l'occasion de vous convier cordialement
au travail. Si quelque chose dans notre
méthode ne plaît pas à tous nos
amis, qu'ils veuillent bien chercher à
secourir quand même leurs compagnons de
route. L'exemple de deux ou trois aliénistes
suisses, qui ont renoncé à toute
boisson enivrante pour donner l'exemple à
des alcooliques, est bien fait pour nous humilier
quand nous pensons au petit nombre de pasteurs de
la Suisse allemande qui travaillent avec
nous.
8. On nous a aussi objecté ce qui
suit : « La pratique de l'abstinence
totale a trop d'inconvénients, elle
éloigne de notre oeuvre des hommes
zélés et capables qui ne peuvent se
faire à cette méthode,
étrange. »
On nous dit premièrement
que l'abstinence totale a quelque chose de
forcé, de malsain, de nuisible. Il y a 15
ans, chacun croyait encore que le vin et la
bière étaient sinon
nécessaires à la santé, du
moins utiles
Mais ces questions ont été
récemment discutées dans notre patrie
par des autorités médicales et
autres ; les conceptions commencent à
changer. Tout homme cultivé sait maintenant
que l'absorption de boissons spiritueuses ne
fortifie pas l'homme, et que par conséquent
elles ne sont pas nécessaires à la
vie de tous les jours, mais qu'elles ne sont que
des excitants avec une action momentanée sur
les forces et la gaîté. Voilà
un point acquis. Ces résultats scientifiques
et expérimentaux sont parfaitement d'accord
avec les poétiques paroles de la Sainte
Écriture : « Le blé
fortifie l'homme, l'huile fait resplendir son
visage et le vin réjouit son
coeur. » Ps.
104.
Cette boisson de joie a donc sa place
dans les banquets et les fêtes, mais elle ne
devrait être employée, pour rester
fidèle à la pensée de Dieu,
que dans des occasions spéciales. Telle est
notre pensée à nous qui nous en
abstenons. Quiconque aura donné aux boissons
spiritueuses la place qui leur revient, n'affirmera
plus que l'abstinence soit quelque chose de
contre-nature, de forcé.
On affirme, secondement
que le
manoeuvre le paysan, le vigneron et tous ceux qui
ont des gros travaux dans les champs ou dans la
forêt, par le froid ou le chaud, ne peuvent
se passer des bienfaits des boissons
spiritueuses.
Dieu soit béni : il n'est
plus même nécessaire d'en appeler aux
troupes de Wolseley, aux tours de force des
voyageurs polaires, aux expériences
intéressantes faites en Amérique sur
les chemins de fer, dans l'armée, dans la
marine, dans l'agriculture. Le contraire est
prouvé. La Suisse même offre un nombre suffisant
d'hommes de
vocations
diverses - nous en comptons plus de 100 - qui
affirment, après expériences, qu'ils
travaillent dans leurs domaines respectifs tout
aussi bien, si ce n'est mieux, qu'auparavant, sans
boissons enivrantes.
Nous n'aurions jamais osé
espérer tant d'encouragements de tant de
compatriotes, et nous pouvons vous assurer que nos
observations et le contentement que nous voyons
régner et grandir dans notre peuple
d'abstinents, nous donnent un nouveau courage
à profiter de toutes les circonstances pour
vanter sans scrupules ce genre de vie. Toutes les
fois que nous recevions de nos membres des
plaintes, des objections, des réclamations
contre l'absolu de notre principe, ou quand on nous
adressait des pétitions réclamant
l'autorisation de boire au moins un verre de
bière par jour, etc., nous avons connu les
soucis, les préoccupations, mais, comme
chaque consultation dans les diverses
régions de notre patrie nous donnait la
certitude que l'abstinence totale était le
vrai remède, et comme les
inconvénients étaient en somme
minimes, nous sommes toujours allés de
l'avant avec la conviction que l'abstinence totale
bien loin d'être une habitude nuisible au
corps, était parfaitement normale.
Qu'elle soit en désaccord absolu
avec les habitudes dépravées,
légères, jouisseuses de notre peuple,
nous le savons ; mais cela ne nous
inquiète pas, nous n'avons pas à y
prendre garde.
Troisièmement - on
nous
parle des désagréments de
l'abstinence totale pour la vie de
société et la vie de famille.
Voilà qui peut effrayer ceux qui n'ont pas
encore essayé, et les natures timides auront
peut-être de la peine
à passer par-dessus ; mais quiconque a
mis la main à la pâte et s'est
familiarisé à tel point avec nos
principes qu'il sache et puisse les
défendre, voit bientôt que l'on
approuve sa conviction, et qu'on n'a rien à
lui objecter, surtout si, par son renoncement, il a
pu prouver son amour à un buveur ou à
une famille tombée dans la
misère.
Dans les fêtes, noces,
baptêmes, les abstinents lèvent un
verre plein d'eau, et prouvent qu'ils ne font pas
plus grise mine que les autres ; ils ne jugent
pas non plus leurs voisins qui boivent, et l'eau
claire leur donne tout autant de joie qu'aux
autres. Les remarques blessantes et les moqueries
cessent en général dès que
l'on remarque qu'il s'agit d'une oeuvre de
charité, et nous avons souvent
été étonnés de la
conduite de marchands de vin et de cafetiers
à l'égard de ceux qui avaient des
convictions fermes.
Quant à la commodité,
l'abstinence totale doit être aussi
agréable que telle ou telle autre habitude,
car nous connaissons plusieurs personnes haut
placées, ingénieurs en chef et
commerçants, qui, précisément
par commodité, ont signé notre
engagement pour être libérés
une fois pour toutes, en voyage, des sollicitations
des sommeliers et de leurs compagnons de
route.
Enfin, la quatrième
objection est celle-ci : le pasteur
appartient à toute sa paroisse, et il ne
doit pas à cause même de sa charge, se
mettre avec une fraction de son troupeau qui
s'oppose aux coutumes populaires. Mais
l'expérience a prouvé que les
autorités, après avoir
constaté que le pasteur n'impose à
personne sa manière d'agir, mais bien
plutôt se voue plus complètement aux
pauvres de la commune pour les tirer de leurs
misères,
considèrent bientôt ce sacrifice comme
une vertu. Si quelques-uns le regardent de travers,
d'autres coeurs s'ouvrent à son influence.
Que de femmes malheureuses appellent à leur
secours un tel pasteur. Son ministère sera
ennobli, fortifié ; il ne
prêchera pas seulement mais sera un aide, un
sauveteur ! Et avec l'aide de Dieu, ce travail
le comblera de joie, car il trouvera parmi les
hommes des amis fidèles, des aides qui
l'appuyeront de leur travail, de leurs
expériences et de leur zèle.
Nous allons conclure ; quelques mots encore
sur les principaux avantages de ce travail
d'évangélisation parmi les
hommes.
Le premier avantage est tout d'abord le
gain inestimable que font le buveur et sa famille.
Non seulement cette âme est sauvée,
rachetée pour toujours de la domination de
Satan, et désormais dans le royaume de la
lumière, mais voilà que des
transformations extérieures
précieuses se produisent dans
l'éducation des enfants, la culture, la joie
au travail, l'épargne et la santé.
Comparez l'état d'un chef de famille
abstinent, maintenant à l'aise, et dans le
bonheur matériel, avec celui dans lequel il
était ou dans lequel il allait tomber si une
main amie ne s'était tendue vers lui. Ces
transformations, les femmes jadis battues et les
mères savent vous les dire. Un déluge
de maux et d'injustices est souvent
évité par l'abstinence introduite
dans une maison.
2° La pratique de l'abstinence
totale de boissons enivrantes est une des
manières les plus simples de protester avec
énergie contre l'abus général
des boissons alcooliques dans une contrée.
À peine une société de
tempérance est-elle fondée, on en
parle partout. La chose est trop frappante et
attaque trop fortement les habitudes de tous pour
qu'elle passe inaperçue. L'action sur la
population est réelle, et nous avons
remarqué qu'elle est aussi grande sur le
public que sur les membres proprement dits. On a
aussi constaté que, depuis la fondation des
sociétés de tempérance, on
boit avec plus de modération dans des
milieux sérieux, chrétiens ; on
offre avec moins d'insistance du vin et de la
bière. Quand deux ou trois tempérants
sont présents, on a honte de prôner la
boisson comme on le fait encore souvent.
3° Dans le monde masculin, la
société de la Croix Bleue, rend
possible et facilite des soirées, des
fêtes, des réunions qui, sans cela, ne
seraient pas organisées. L'abstinence de ses
membres prouve qu'on peut se réunir sans
boire des boissons enivrantes ; elle permet de
réclamer le droit de faire des
marchés, de passer des actes, de faire des
visites, d'organiser des fêtes, d'exercer
l'hospitalité, de se rencontrer, sans
consommer des boissons enivrantes. Elle prouve que
dans ces occasions, on peut boire du café,
du thé, du chocolat, du sirop, du siphon, de
la limonade, aussi bien que du vin et de la
bière. Les vrais amis du peuple constatent
bien vite ce fait, et ainsi on contribue à
rompre le charme de la boisson qui séduit et
captive si tôt nos jeunes hommes. Plusieurs
se rendent compte que, à cet égard,
de nouvelles routes doivent être
frayées.
Désire-t-on offrir à des
hommes des joies saines, l'abstinence totale rend
la tâche aisée. Si, dans une
réunion, une fête, une course,
personne ne boit de la bière, l'ordre et la
tenue règnent plus facilement que lorsqu'on en a
consommé.
Que de fois n'a-t-on pas dû renoncer à
faire plaisir à des hommes, parce qu'on
pouvait prévoir que, parmi les
invités, quelques impudents profiteraient de
l'occasion pour boire un verre de trop et pour
faire du tapage et du
désordre ?
4° Dans le même ordre
d'idées il faut mentionner les cafés
de tempérance dans les villes et les
villages. La Croix-Bleue les a propagés en
Suisse. En plusieurs endroits, surtout à la
campagne, ces cafés vivent avec des
déficits ; mais il s'est souvent
trouvé des hommes dévoués qui
ont fait des sacrifices pour les combler.
5° Un autre avantage est
l'organisation de fêtes régionales,
cantonales et fédérales ; bonne
occasion de développer un vrai patriotisme,
en même temps que la piété. La
nécessité de se passer des auberges
force les organisateurs de ces fêtes à
prendre des mesures qui, par leur nouveauté
et leur ingéniosité, contribuent
à libérer les hommes des habitudes de
boisson.
Quel avantage de pouvoir participer
à une fête populaire sans scrupules et
sans craintes. On y assiste avec d'autant plus de
joie que les écarts sont moins à
redouter.
6° Un autre avantage est le
développement de l'initiative privée
par le moyen des sociétés de
tempérance. Les anciens buveurs qui ont
fait, dans le passé, de tristes
expériences, se sentent pressés, une
fois délivrés de ce joug, d'inviter
leurs camarades et leurs connaissances à
emboîter le pas. Une invitation personnelle,
un mot d'appel, une discussion entre amis, un petit
discours, voilà de bonnes occasions de faire
du bien et d'entrer en contact avec des hommes découragés
ou
craintifs qui, sans cela, n'auraient jamais subi
une influence chrétienne.
7° En un mot nous avons
l'impression que cette activité est pour le
moment, une porte ouverte par le Seigneur sur le
monde masculin. Il est remarquable que toute une
classe d'hommes trouve son bonheur dans
l'abstinence et aime à propager ce principe.
Plusieurs sont décidés au
sacrifice ; le travail révèle
parmi les hommes toutes sortes de dons
cachés ou gaspillés ; on arrive
à travailler avec des hommes jadis
inconnus.
8° Nous avons aussi remarqué
que la Société de la Croix-Bleue dans
laquelle des hommes si différents peuvent
entrer, est un pont qui ramène à
l'Eglise de Christ des hommes égarés.
Dès qu'un homme se décide à
faire partie de cette société, ses
anciens camarades le raillent, le
persécutent ; le besoin de nouveaux
amis grandit alors, et il se joindra sans peine
à des frères chrétiens dont il
ne partage peut-être pas tous les points de
vue. Il va vaincre ainsi la terreur que lui
inspirait l'Eglise et on le verra s'asseoir
à côté de ses nouveaux
camarades qu'il méprisait et raillait peu de
semaines auparavant.
Ainsi la Croix-Bleue peut attirer les
hommes qui s'étaient éloignés
de Dieu.
9° Dans le domaine social la
Croix-Bleue nous semble avoir aussi sa
valeur : En prouvant, tout d'abord, que
l'homme est content dès qu'il a
limité ses besoins, et que le devoir
accompli et une vie de famille véritable
valent toutes les joies de la boisson, du jeu et
des causeries politiques. Puis l'abstinence totale
groupe des hommes de toutes les vocations, de
toutes les classes, et de toute culture, en une
société qui, parce qu'elle est
méprisée et méconnue, resserre
d'autant plus ses liens. Cette fraternité de
la Croix-Bleue n'est ni purement chrétienne,
ni purement sociale, mais elle est avant tout une
réaction contre les habitudes nationales.
À cet égard elle est, nous en avons
la certitude, une force bienfaisante, capable
d'inspirer confiance aux esprits méfiants,
et qui multiplie les occasions de témoigner
de l'amour.
10° Enfin, le fait que des hommes
et des femmes chrétiens doivent exercer une
activité complexe et délicate, et
trouvent des occasions de déployer les
vertus chrétiennes : l'amour, la
sagesse, le tact, la patience, la
persévérance et la douceur, le
courage de la foi et l'esprit de prière,
tout cela est un grand avantage. Il n'est pas
facile, il faut l'avouer, de devenir
réellement actif dans une
société de tempérance, mais
ces difficultés en ont souvent poussé
plusieurs à une vie plus intense de
prière et à une union plus intime
avec leur Seigneur.
De la bonne volonté, une
philanthropie superficielle, un secours
bénévole ne suffisent pas. Pour
dompter une puissance semblable à celle de
l'alcool, il faut plus qu'un bon naturel, il faut
le secours puissant et durable de celui qui seul
peut réellement sauver. Il nous a
appelés à résoudre ce
problème difficile. Il nous a promis son
Esprit d'amour, de force et de discipline, et
même il l'a donné.
Les sociétés de
tempérance doivent toujours être des
sociétés de sauvetage. jamais elles
ne doivent devenir la propriété d'un
parti, mais il faut au contraire qu'elles
s'efforcent de grouper pour le travail tous les
chrétiens, et d'utiliser les forces les plus
diverses.
Leur devoir est cependant - chacun le
comprendra - de s'organiser et de travailler dans
leur champ de travail particulier.
Il est, par exemple, impossible de
confier ce travail de sauvetage à des unions
chrétiennes. On détournerait ces
jeunes du but qu'ils se proposent et la
bannière de la Croix-Bleue qui attire les
buveurs, effaroucherait les jeunes gens que les
unions chrétiennes veulent attirer et
unir ; du reste dans les
sociétés de tempérance on doit
voir venir les femmes d'anciens buveurs et celles
qui veulent travailler ; or la chose est
impossible dans une union de jeunes gens.
On ne peut pas davantage traiter des
questions de tempérance dans des
réunions d'édification ou
d'évangélisation. Notre horizon
restreint, notre méthode ont pour ceux qui
ne se sentent pas appelés à se donner
à cette cause, quelque chose d'angoissant et
d'ennuyeux. Il faut se garder d'imposer notre
travail. Les tempérants enfin sentent le
besoin bien compréhensible de se
réunir souvent entre eux, pour s'encourager
et fortifier la décision des nouveaux
signataires.
Pour tous ces motifs les
sociétés de tempérance doivent
avoir leur indépendance ; c'est la
condition d'un travail utile.
Vous le voyez, chers amis, les
fondements sont posés, les premières
expériences sont faites, la route nous est
apparue comme une route bénie pleine de
renoncements, de joie et de grâce. Il manque
encore beaucoup ; ceux qui sont à la
brèche le sentent ; nous avons
confiance en Dieu qu'il nous donnera dans l'avenir
comme il l'a fait jusqu'à présent, et
plus qu'il ne l'a fait, des collaborateurs. Ainsi
fortifiés, enrichis de
plus de sagesse et de nouveaux dons de l'Esprit,
nous nous consacrerons au salut des victimes
innombrables de la vie d'auberge. Elles sont
partout dans notre beau pays, ces victimes et leurs
familles.
J'ai un désir, et je
dépose ce voeu sur votre coeur dans ce
travail, ayons l'unité de l'Esprit. Tous ne
sont pas appelés à devenir nos
collaborateurs, mais ceux qui se savent
appelés, doivent pouvoir compter sur la
sympathie, l'aide, l'appui des croyants selon leurs
forces.
Forts de notre vocation et de notre
communion avec les frères chrétiens,
nous voulons nous mettre à la disposition de
notre Seigneur pour accomplir la tâche de la
Croix-Bleue. La bénédiction de Dieu
ne nous manquera pas.
Et maintenant, frères et collaborateurs,
après avoir jeté un coup d'oeil sur
le monde masculin, et après avoir entendu
les besoins de nos concitoyens, les dangers qui les
menacent, soyez convaincus que tout cela nous dicte
de nouveaux devoirs.
L'Eglise de Christ a déjà
eu beaucoup de tâches ici-bas ; elle a
résolu déjà bien des
problèmes avec l'aide de Dieu. jadis c'est
à elle qu'incombaient les écoles
primaires et supérieures, la bienfaisance,
la tenue des registres d'état-civil, les
jugements, etc.
L'État s'est immiscé
à tort ou parfois à raison dans tous
ces domaines et a assumé la
responsabilité de ces tâches et
d'autres semblables. L'Eglise doit maintenant
s'attaquer à
d'autres problèmes plus difficiles, et a
besoin, pour arriver à une solution, de
soins assidus et d'énergie indomptable. Elle
ne doit pas rester en arrière en
matière de sociabilité ;
là aussi, sous la conduite du Seigneur, elle
fera de grandes choses.
Et que Celui qui fut l'ami des
péagers et des pécheurs et qui leur
montra avec sagesse et amour le chemin qui
mène au Père remplisse de son Esprit,
un grand nombre de ses serviteurs, afin que,
sanctifiés et séparés du
monde, ils se tiennent au milieu du fleuve de la
séduction, et qu'avec courage, et une foi
joyeuse, ils se penchent avec amour sur les
misères du peuple, jusqu'à ce que les
hommes louent leur Père qui est dans les
cieux !
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