Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

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3. Les associations d'hommes et de jeunes gens.

Les diverses branches de l'activité chrétienne dont nous avons parlé ont une valeur plutôt préservatrice ; il s'agit avant tout d'instruire, de soutenir, de remettre sur pied. Si l'on veut des fruits qui demeurent et si l'on désire conserver les positions acquises, il faut à tout prix former une association. Dans les communautés organisées, comme les frères moraves et l'Eglise méthodiste, ces associations font partie de l'organisme même. Mais la plupart du temps on répondra à ce besoin par la création d'associations chrétiennes. Nous voulons en dire quelques mots.

Les deux formes existantes en Suisse sont jusqu'à présent les unions chrétiennes et les sociétés de tempérance; d'autres formations telles que les associations d'ouvriers dans l'Allemagne du Nord ont un caractère social et patriotique, et ressemblent aux associations catholiques. Entreront-elles en Suisse ? C'est peu probable. Leur organisation ne tend pas à une action religieuse ou à une rupture avec le monde ou l'auberge, mais à résister à des influences socialistes ou ultramontaines.
Nous n'avons donc pas à les étudier, et nous ne parlerons que des sociétés ci-dessus mentionnées.

Les unions chrétiennes ont été introduites en Suisse, par Genève et Zurich, il y a à peu près 70 ans. Une sage direction a favorisé leur développement. Elles répondent à un besoin pressant, et ont fait beaucoup de bien à notre patrie. Leur extension sur la terre entière et le lien très réel, quoique simple, qui les unit, sont propres à ouvrir des horizons nouveaux aux jeunes gens et à les enthousiasmer pour les conquêtes du royaume de Dieu.
Plus d'un jeune homme réveillé y a senti le souffle qui a empêché de mourir en lui l'étincelle de sa foi. Plusieurs de nos frères les plus actifs ont grandi dans ce milieu et y ont appris à travailler pour autrui.

C'est un devoir sacré pour tout pasteur pieux et pour tout homme qui aime le peuple, de soutenir ces unions ; les jeunes gens doivent pouvoir compter sur l'approbation et l'amour de la communauté chrétienne.

Sans porter atteinte à leur indépendance, qui a sa valeur, il faut savoir s'occuper d'eux, et saluer toute saine initiative. Il faut aussi se souvenir qu'une grande partie des membres de ces unions ne gagnent pas encore leur vie et ne disposent que de peu d'argent. Or il en faut pour louer et aménager des locaux. Peu de collectes m'intéressent plus que celles des unions chrétiennes ; je souhaiterais seulement à ces jeunes collecteurs plus de sagesse et de joie !

Les jeunes gens qui entrent dans les sociétés de jeunes commerçants ou d'autres analogues y trouvent des moyens de culture en abondance. C'est pourquoi les unions chrétiennes des villes et des centres ont été exhortées par des voix venant d'Amérique et ayant passé par Berlin, de tenir compte de ces besoins plus que par le passé. D'une façon générale, il nous paraît préférable qu'elles conservent leur caractère d'édification, et qu'elles laissent à de nouvelles associations le soin de modifier les méthodes et d'élargir le cercle d'action. Les deux genres d'unions ont leur tâche et leurs amis. Elles doivent marcher d'accord, la main dans la main.

Les exemples d'Amérique, de Berlin et de quelques grandes villes suisses prouvent que des unions chrétiennes de jeunes gens, soutenues par des pères de famille et par des donateurs généreux, peuvent beaucoup, par la camaraderie chrétienne, pour éduquer des jeunes gens loin des tentations de l'auberge.

L'évangéliste Moody, cet homme si pratique, plein d'esprit et connaisseur admirable du coeur humain dans sa période de travail d'il y a 15 ans en Angleterre, a toujours affirmé la grande tâche des unions chrétiennes ; il a souvent, dans plusieurs villes, collecté en leur faveur. À Liverpool, il avait annoncé que, pour son discours d'adieu, il poserait la pierre angulaire de tout travail d'évangélisation. Les auditeurs ne furent pas peu étonnés de l'entendre demander la construction de maisons pour les unions ; c'était, disait-il, la dépense la plus nécessaire en Angleterre, pour exercer une action durable sur le monde masculin. Quiconque connaît son enseignement et sa tendance, comprendra dans quel sens il pouvait ainsi parler.

Nous apprenons avec joie, qu'à Zurich, l'achat d'une belle propriété va permettre à l'union d'étendre son action, et qu'à Bâle un comité vient de se constituer pour donner un appui financier aux unions de jeunes gens. Tout cela nous donne beaucoup de joie et nous remercions Dieu de la décision avec laquelle, chez nous, on va de l'avant.



4. - La Société de la Croix-Bleue.

Quelques mots, tout d'abord, sur cette société que je représente aujourd'hui au milieu de vous :

En 1877, M. le pasteur L.-L. Rochat, de Genève, après avoir cherché et prié, tentait, avec un profond sérieux et une entière conviction, de combattre directement la vie d'auberge en Suisse. Le but de son activité, il le sentait, était le sauvetage des buveurs et des victimes de la vie d'auberge. - Des études attentives et son expérience lui avaient prouvé que rien n'était plus utile, plus simple et plus actif pour sauver les buveurs que l'abstinence totale de toute boisson alcoolique. Il voulut dès lors introduire dans sa patrie ce principe jadis inconnu.

Il avait vu, du même coup, que la réalisation de sa pensée exigeait autre chose que les moyens ordinaires de propagande : conférences, presse et feuilles populaires. L'unique chemin à suivre était la fondation d'une société dont seuls des abstinents feraient partie. Car il ne suffisait pas de prêcher, il fallait vivre.
Plein de cette conviction, il fonda la société de tempérance suisse ; peu à peu elle a franchi les frontières de la Suisse et est devenue la fédération internationale des sociétés de la Croix-Bleue.

Pendant ces douze années cette société a éprouvé souvent et avec force le secours miséricordieux du Seigneur ; et quand nous pensons jusqu'à quel point ce principe de l'abstinence était contraire aux moeurs de notre pays, nous ne pouvons que nous étonner des succès remportés; chacun devra reconnaître, pour peu qu'il ait suivi attentivement la marche de cette société, que cette humble tentative a réussi au-delà de toute espérance.
Elle est si bien acclimatée en Suisse qu'elle compte à l'heure actuelle : 180 sections et 5500 membres actifs et adhérents.

Ce n'est pas le lieu d'exposer en détail les principes de la Croix-Bleue ; la plupart d'entre vous les connaissent (1). Que l'abstinence totale soit d'un grand secours, le fait a été prouvé cent fois, et il repose sur un fondement solide et se légitime par l'Évangile et par la science.

Christ a dit : « Si ton oeil droit te fait tomber dans « le péché, arrache-le et jette-le loin de toi. Il vaut mieux pour toi qu'un de tes membres périsse et que ton corps entier ne soit pas jeté dans la géhenne. » L'énergie de cette parole ne laisse place à aucune hésitation : le Seigneur fait dépendre le salut d'un acte résolu de renoncement, non pas au péché, mais à un objet qui nous fait pécher. Cet acte peut être considéré comme une vigilance redoublée en face du danger. Le Seigneur veut évidemment, par cet ordre, faciliter le salut à ses auditeurs plutôt que le leur compliquer.

L'application de cette règle au buveur est très claire. Si Jésus en avait eu un devant lui, il lui aurait demandé avant tout, ce qui le faisait tomber. Le buveur, après quelques tâtonnements, aurait reconnu que ce n'était ni l'ivrognerie ni l'ivresse, mais bien un objet, aussi innocent en lui-même que la main ou l'oeil, à savoir les boissons enivrantes. Et le maître lui aurait dit : « Voilà ce que tu dois éloigner de toi ! » ainsi il n'aurait pas dit : « Uses-en modérément ou rarement, mais : prive-t'en complètement. » De même que le Seigneur imposa au jeune homme riche la vente de ses biens s'il voulait être un vrai disciple, de même il exigerait d'un buveur non pas la modération mais l'abstinence totale. Et cette exigence bien loin de créer des obstacles sur sa route, répétons-le, lui est une grâce qui lui facilite l'obéissance en général.
Il est intéressant de constater l'accord de la science avec le conseil de Jésus.

Le médecin, surtout l'aliéniste, mandé dans des cas aigus d'alcoolisme dit ceci à son malade: « Plusieurs organes de ton corps ont des lésions provoquées par tes habitudes de boisson; ton estomac en particulier porte des traces d'inflammation dans ses muqueuses, etc., etc., dès que ces places malades sont touchées par de l'alcool sous une forme quelconque, même dilué comme dans la bière, le vin, le cidre, il se produit une légère irritation ; la soif provoquée devient bientôt un vrai tourment, et il faut une force de résistance morale extraordinaire pour résister à cet impérieux besoin. Or cette force, tu ne l'as pas et c'est pourquoi ta seule espérance de guérison et de santé est dans l'abstinence totale, pendant de longues années, peut-être pendant toute ta vie. »

Oui, tout cela est excellent en théorie, dira-t-on, mais qu'en est-il dans la pratique ? L'abstinence est-elle possible ? Nous avons fait dans ce domaine, grâces à Dieu, des expériences nombreuses et il nous serait facile de citer plusieurs exemples frappants qui, nous l'avouons, ont été, pour nous, absolument convaincants : des hommes tiennent bon, leur nombre augmente, et c'est pourquoi notre société étend de plus en plus son action, par la bénédiction de Dieu.

Combien d'anciens buveurs, devenus maintenant des citoyens heureux et robustes, nous ont dit que, pour eux, l'abstinence totale avait été quelque chose de relativement facile, même de très facile, tandis que la modération cent fois essayée, leur avait été impossible.

Combien d'hommes nous remercient de tout coeur de leur avoir fait connaître ce principe élémentaire, et déclarent qu'à leur grand étonnement ils n'ont eu pendant des années, aucune ou presqu'aucune tentation de boire.

Mais comment ce principe dont l'excellence est manifeste, va-t-il se répandre ? Suffit-il d'en parler dans des conférences, de le défendre devant un public et de conclure : « l'abstinence totale est bonne et même nécessaire pour vous, mais nous, vos meilleurs amis, nous qui voulons travailler à votre sauvetage, nous continuerons à boire notre verre ? »
Il est évident - chacun le comprend - qu'un tel discours est stérile. Dans ce domaine, l'exemple seul a une force de persuasion.
C'est pourquoi à tous ceux qui sont d'accord avec le principe exprimé plus haut, et qui ont le désir d'aider aux buveurs, nous conseillons de prendre un engagement d'abstinence totale et de marcher de l'avant.

Nous nous appuyons - et c'est le second passage biblique fondamental pour la Croix-Bleue - sur les paroles de Paul : I Cor. IX, 19-22. « Bien que je sois libre à l'égard de tous, je me suis rendu le serviteur de tous, afin de gagner le plus grand nombre ... j'ai été faible avec les faibles afin de gagner les faibles. je me suis fait tout à tous, afin d'en sauver de toute manière quelques-uns ».

Paul nous apprend que son travail se poursuit d'après une certaine méthode. Il ne se contente pas d'annoncer l'Évangile et de prier pour les Églises, mais il cherche un terrain commun aux différentes classes qu'il aborde, afin de pouvoir les sauver.
Et nous aussi, nous disons, en pensant à une autre classe de faibles : nous voulons devenir faibles avec les faibles, c'est-à-dire que nous voulons faire comme si nous étions très faibles vis-à-vis de la boisson et de la vie d'auberge, et nous consacrer à veiller sur nos frères en danger.
De cette coopération des faibles et de leurs sauveteurs, naît tout naturellement une association.

L'expérience prouve que les unités tactiques de notre troupe, sont les sections locales, dans lesquelles l'instruction, l'exhortation, l'échange de conseils, la coopération ont leur place et où le travail de la cure d'âmes se poursuit.
Notre but n'est pas de changer les habitudes du pays, pas plus que de ruiner la culture de la vigne ou l'industrie de la bière, mais de fonder dans toutes les localités de notre patrie des sections où les hommes en danger ou déjà tombés puissent trouver des mains secourables qui les relèvent et les préservent de chutes.
Rien de plus simple que la fondation d'une société de tempérance ; plus les débuts sont humbles, mieux cela marche.

La plupart du temps on débute par une conférence devant un auditoire plus ou moins nombreux. Quelques assistants s'engagent par signature à l'abstinence totale pendant un temps déterminé. Ils déclarent ainsi être d'accord avec nos principes et vouloir les propager.
Il n'y a rien de plus intéressant que de jeter un coup d'oeil rétrospectif sur les débuts de nos sections. Que de difficultés ! et cependant, malgré une grande faiblesse, elles ont pris pied et se sont augmentées.

À Berne, par exemple, sept hommes signèrent, après une conférence de M. le pasteur Rochat, devant quelques auditeurs. J'étais quelque peu déconcerté en voyant l'affaire si vite lancée : mais comme j'étais abstinent depuis de longues années, je me sentis tenu de m'occuper de ces sept hommes et nous commençâmes aussitôt à nous réunir une fois par semaine, tout d'abord dans une boutique de ferblantier, puis chez un lithographe, enfin au café de tempérance du « Bärenhöfli ». Plus tard nous eûmes deux ou trois réunions par semaine ; on chanta, on se réunit une fois par mois en réunions de groupes. Et c'est ainsi que l'oeuvre commença en plusieurs localités. La société naissait et vivait parce qu'elle répondait à un besoin.
Un des facteurs essentiels de tout le travail est la réunion hebdomadaire. Elle est nécessaire parce qu'il s'y trouve toujours de nouveaux auditeurs qui sont encore très faibles et qui ne peuvent se passer d'encouragements et d'amitié dans la lutte avec leurs camarades.

Nous ne préconisons aucune méthode, et nous ne donnons aucune instruction particulière pour l'organisation des réunions. Si des observateurs superficiels ont comparé parfois notre travail à celui de l'Armée du Salut, ils se sont trompés. Nous nous distinguons en ceci :

L'Armée du Salut forme dans ses écoles des officiers, qu'elle envoie avec un mandat très déterminé. Ils doivent évangéliser d'après certaines règles. Notre comité directeur, au contraire, considère que sa tâche est de travailler au salut des victimes de la boisson et de la vie d'auberge, avec l'aide de Dieu et de sa parole, et cela, par le moyen de l'abstinence totale de toute boisson alcoolique.

Notre devoir n'est donc pas de former et d'envoyer des agents, mais bien plutôt de répandre un principe admirable et pratique, tout en laissant aux amis chrétiens de chaque localité et de chaque contrée le soin de s'accommoder aux diverses circonstances locales.
La prédication de ce principe est notre humble tâche, mais aussi notre devoir sacré, et nous serions cruels et infidèles, si, en face des bienfaits apportés par cette bonne nouvelle, nous ne remplissions pas notre sainte mission.
Chaque section locale varie ses méthodes suivant les personnes qui la dirigent.

Un fait est caractéristique. Le principe de l'abstinence totale non seulement n'a pas, en général, effarouché les hommes, mais les buveurs ont été attirés par le caractère radical de ce traitement.
Cette observation, nous l'avons souvent faite avec étonnement. Plusieurs nous prophétisaient que jamais des buveurs ne viendraient à ces réunions convoquées pour eux spécialement. Et voici, plus nous avons attaqué loyalement et en face, plus nous avons rencontré l'approbation de ceux pour lesquels notre conseil avait quelque chose de nouveau.

Il nous a souvent paru que, par le conseil et l'exemple de l'abstinence totale, Dieu jetait au buveur oublieux du devoir et sans caractère, comme une amorce pour lui donner l'occasion de reprendre pied, d'essayer ses forces épuisées, et de prendre une décision morale dans son être intérieur abattu. Combien de fois cet essai, quand il était sincère, l'a-t-il conduit à la victoire malgré sa faiblesse et son entourage mauvais ou dangereux ! si bien que le signataire lui-même s'étonne que les premiers pas n'aient pas été plus difficiles.

La plupart du temps la connaissance de leur faiblesse est très rudimentaire encore, et les premiers pas sont faits avec un sentiment de propre justice et avec la pensée secrète : Voilà une occasion de montrer ce que je vaux !
Si ces pensées ne sont pas celles qu'il faudrait désirer, elles témoignent cependant d'un progrès chez celui qui, tout à l'heure, s'abandonnait et n'avait plus de discipline. Et, je le répète, le premier pas, quand il est sincère et qu'il vient d'une volonté droite, est souvent couronné des plus beaux résultats.

Notre activité ressemble donc à celle de Jean-Baptiste, qui, en attaquant des péchés particuliers, révélait la loi morale et préparait à la connaissance du Sauveur.

Cette connaissance est à nos yeux la seule puissance salutaire ; nous l'avons toujours en vue et, aussi longtemps que ceux sur lesquels nous voulons agir ne sont pas encore parvenus à ce but, nous considérons leur position comme précaire et le résultat obtenu comme insuffisant. Dieu soit béni, plus d'un s'est déjà converti et a été régénéré, et combien nous ont remerciés de les avoir guidés sur le chemin de la sobriété, où ils ont rencontré celui qui les a sauvés pour toujours.

Chers amis et frères ! Laissez-moi vous dire ceci :
La bénédiction que nous avons reçue dans ce travail d'amour est si abondante, et, dans nos réunions grandes ou petites, nous avons si souvent expérimenté ce que le Seigneur a fait non pas seulement pour les anciens buveurs, mais aussi pour ceux qui se sont sacrifiés à eux, que je me sens pressé de vous exhorter à apprendre à connaître cette action importante que le Seigneur nous a donné d'avoir sur le monde masculin, et de vous demander sérieusement devant Dieu si vous n'êtes pas appelé à travailler à ce sauvetage.



Pour mieux décrire encore notre position j'aimerais réfuter certaines objections faites à nos principes et à notre travail :


I. « Votre société, nous dit-on, est d'importation « étrangère, elle vient d'Angleterre, et jamais elle ne pourra s'acclimater en Suisse. »
Quiconque connaît l'histoire de la Croix-Bleue se persuadera que M. Rochat, s'il a été éclairé par les expériences de nos amis anglais, n'a nullement imité les principes anglais du « Teetotalisme », mais qu'il s'est appuyé sur l'Écriture, et que, tenant compte de nos circonstances, il a mis en oeuvre le principe de l'abstinence totale d'une façon tout à fait originale. Ce fait a été mis en lumière par plusieurs écrivains allemands qui s'occupent de questions antialcooliques, surtout par le Dr Martius, et il devient évident à tous ceux qui entrent en contact avec des tempérants anglais, ce qui est rare, qu'ils nous tiennent à peine pour de vrais tempérants et considèrent tout notre travail comme incomplet et manqué. Ils vont beaucoup plus loin que nous. Une grande fraction des abstinents anglais et américains considère que le fait de boire un verre de vin dans les circonstances présentes est un péché pour un chrétien. Plusieurs ont été jusqu'à ne plus vouloir user de vin dans la Sainte-Cène, ils ont tenté - et à nos yeux cette tentative est indigne - de prouver par toutes sortes de subtilités exégétiques que le vin dont il est question dans la Bible n'était pas une boisson enivrante, mais une espèce de sirop.

Jamais notre société de la Croix-Bleue n'a eu l'idée d'imiter de telles exagérations ; elles nous troublent car elles sont nuisibles à notre cause. Dès les débuts, nous avons au contraire toujours affirmé que le vin, pris en quantité modérée, était une boisson parfaitement légitime pour ranimer et donner de l'entrain en société. Nous ne nous étonnons pas, mais nous nous réjouissons de ce que Jésus non seulement en ait bu, mais encore en ait fait à Cana et en ait donné à ses disciples dans le repas de Cène.

Chaque fois que nous considérons l'intérêt général du peuple, pour lequel la diminution de la consommation de l'eau-de-vie serait un bien, nous désirons et défendons la diffusion de boissons spiritueuses très légères comme le cidre ; ainsi, loin de renoncer à la culture de la vigne, nous parlons en sa faveur. Néanmoins nous affirmons que ces boissons spiritueuses, innocentes et sans nocivité, doivent être absolument évitées par les buveurs et par les amis qui veulent les sauver.


2.
On objecte encore que le principe d'abstinence totale compromet la liberté nécessaire à un développement normal de la vie spirituelle.

On a déjà beaucoup écrit sur ce point, et je vous renvoie aux pages remarquables qu'a écrites M. le pasteur Kündig, de Bâle-Campagne sur cette question. Le voeu d'abstinence totale n'est pas une limitation, mais un usage volontaire de ma liberté. Paul a prouvé par plusieurs exemples que le chrétien a le droit de renoncer à sa liberté, si ce renoncement le rend plus apte au service du Seigneur. Nul ne peut nous contester ce droit. Quiconque examinera de près la chose, remarquera qu'il y a une grande différence entre un voeu volontaire que je m'impose et la loi proprement dite que Dieu a imposée aux Juifs et dont notre Seigneur, par son expiation, nous a totalement libérés. Il est remarquable que le voeu volontaire d'abstinence totale, pour autant que nous l'avons observé jusqu'à présent, ne fait naître aucune convoitise du fruit défendu, comme cela est dit fréquemment de la loi ; la plupart du temps, au contraire, cette décision facilite la vigilance et rend plus prudent.


3.
On a aussi fait des objections au mode d'engagement par la signature.

Nous avouons que celle-ci est un moyen pratique adopté comme un pis-aller. Nous écouterons volontiers quiconque nous proposera un moyen plus simple et meilleur d'exprimer clairement sa décision.


4.
On nous a aussi reproché d'inaugurer une nouvelle méthode de salut. Il faudrait s'engager à ne plus commettre tel ou tel péché. Or ni les apôtres, ni le Seigneur n'ont connu ces demi-mesures extérieures ; si elles sont utiles, il faut fonder d'autres sociétés contre d'autres péchés, et on fera imprimer des cartes d'engagement pour les jurements, le mensonge, la paresse, la vanité, le plaisir, la sensualité, etc.

Ce reproche, compréhensible dans la bouche de ceux qui nous voient de loin, repose sur une fausse conception de notre engagement. Quand quelqu'un signe un engagement d'abstinence, il ne promet pas par là de ne plus commettre tel ou tel péché, mais de renoncer, au nom de certains motifs, à une habitude innocente en soi, telle que boire du vin ou de la bière. Il n'y a pas de péché à boire un verre de vin ; or c'est précisément à ce premier verre que renonce celui qui signe.

Promettre noir sur blanc qu'on renonce à telle ou telle habitude innocente en soi, ou s'engager à ne plus commettre tel ou tel péché, ce sont là choses bien différentes. Autant nous considérerions la dernière promesse comme erronée et inutile, autant le premier engagement nous semble pouvoir être pris sans danger, vu qu'il porte sur un acte extérieur, l'acte par lequel je bois telle ou telle boisson. Cet acte n'enflamme pas l'imagination comme tel ou tel autre penchant, il ne provoque pas des désirs qui risquent de remplir l'homme tout entier et de le souiller dans sa conscience. L'habitude de boire, chez les hommes - je ne parle pas des femmes ici - n'est pas un péché secret. Ils le cultivent sans honte, de sorte que toute rupture d'engagement vient vite au jour, et toute dissimulation de quelque durée est presque une impossibilité.

Tout cela fait comprendre pourquoi, contre notre attente, la fidélité à l'engagement n'offre pas davantage de dangers moraux. Nous nous expliquons aussi le fait que les seuls voeux pratiqués constamment par les Israélites et autorisés par le Seigneur - nous pensons aux voeux des Récabites et des Nazaréens - eussent pour objet l'abstinence de boissons enivrantes et non pas une autre.


5.
On nous a aussi objecté que notre méthode si extérieure de recrutement, favorisait étrangement l'hypocrisie de nos membres.
Il est vrai que nous avons souvent trouvé des hypocrites dans nos rangs. Ils étaient venus à nous pour plaire à certains hommes, et dans l'attente d'avantages, matériels, de secours, etc. Le cas est fréquent parce qu'en général les buveurs ont une caisse qui crie famine, et parce qu'ils ne cherchent des secours qu'une fois. plongés dans les dettes. Pour parer à ces inconvénients nous avons, depuis plusieurs années, fait savoir très ouvertement que nous ne faisions aucun secours, mais que nous adressions les nécessiteux aux autorités. constituées pour secourir les pauvres et aux sociétés de bienfaisance. Si, malgré nos précautions, des hommes faibles recourent, parmi nous, à des manières trompeuses, il doit en être ainsi dans d'autres sociétés chrétiennes. Cela n'a jamais été autrement. Par la bonté de Dieu, nous avons la Sainte Écriture et la saine compagnie d'hommes décidés à combattre de telles excroissances maladives.

Quiconque connaît les misères qu'apportent dans une société les hypocrites, doit être persuadé que, bien loin de favoriser l'hypocrisie, nous la poursuivons avec toutes les armes spirituelles.


6.
On nous dit encore : « Par l'abstinence totale, l'homme arrive trop vite à la liberté et à une certaine stature morale qui le séduisent parce qu'il se croit réellement converti, tandis que son coeur est encore dans la propre justice et éloigné de Dieu.
L'habitude de l'abstinence totale est donc un obstacle à la repentance et à la conversion. »

Oui, ce danger existe ; nous en avons souvent souffert, et nous faisons tout notre possible pour placer tous ceux qui se groupent autour de nous sous l'influence d'une prédication claire et évangélique, qui dissipe, par la puissance de l'esprit, toutes ces illusions, et qui les conduise à Jésus dans le profond sentiment de leur état de péché. Nous préférons que la crise qui mène un pécheur à la croix, où il trouve le pardon complet de ses péchés, se produise dès les débuts et atteigne les profondeurs ; mais souvent la boisson a créé un tel état de misère morale que la repentance et la conversion ne peuvent naître qu'après un certain temps de sobriété. Les hommes dégradés, qui n'ont jamais su ce qu'était une règle, ont besoin d'une période de discipline intérieure et de vigilance, sinon il n'y a pas d'amélioration possible. Cette période vient-elle à manquer, tout s'écroule, un jour ou l'autre, même après avoir donné des preuves certaines de conversion, Il ne dépend pas de nous que la conversion proprement dite précède ou suive ces temps de discipline intérieure et de sobriété. Nous devons en ces matières laisser l'action à Dieu et avoir confiance en Lui.
Quelquefois cette période de sobriété s'accompagne d'une certaine propre justice, mais nous sommes déjà reconnaissants que des hommes, qui jadis se soustrayaient consciemment, à toute influence religieuse, viennent maintenant se joindre volontairement à une société chrétienne et écoutent la parole de Dieu. Nous croyons que le Seigneur saura employer les moyens de grâce pour sauver ces hommes jadis étrangers.


7.
On nous dit encore que plusieurs de nos sections, malgré la beauté de nos principes, ne prospèrent pas et qu'en plusieurs lieux notre activité n'a pas les résultats qu'on s'était promis. Eh oui ! c'est vrai, mais il faut aussi reconnaître que la faute n'en est pas au principe, mais à l'application qu'on en a fait.

Si, dans les sections, l'on manque de puissance spirituelle, de patience, d'amour, de sagesse, c'est que le guide fait défaut. Nous devons admirer comment plusieurs sections marchent, alors que la direction est aussi imparfaite que possible. Pesez ceci : dans toute la Suisse allemande six pasteurs seulement et un petit nombre d'évangélistes travaillent avec nous. Et cependant, s'il y a un domaine de l'activité chrétienne où l'appui et la direction d'hommes de Dieu expérimentés serait nécessaire, c'est bien dans le champ de travail où il faut appliquer un principe délicat et puissant, et où tout le travail consiste pour ainsi dire à éduquer des âmes d'hommes.

Nous ne pouvons nous empêcher de profiter de l'occasion de vous convier cordialement au travail. Si quelque chose dans notre méthode ne plaît pas à tous nos amis, qu'ils veuillent bien chercher à secourir quand même leurs compagnons de route. L'exemple de deux ou trois aliénistes suisses, qui ont renoncé à toute boisson enivrante pour donner l'exemple à des alcooliques, est bien fait pour nous humilier quand nous pensons au petit nombre de pasteurs de la Suisse allemande qui travaillent avec nous.


8.
On nous a aussi objecté ce qui suit : « La pratique de l'abstinence totale a trop d'inconvénients, elle éloigne de notre oeuvre des hommes zélés et capables qui ne peuvent se faire à cette méthode, étrange. »

On nous dit premièrement que l'abstinence totale a quelque chose de forcé, de malsain, de nuisible. Il y a 15 ans, chacun croyait encore que le vin et la bière étaient sinon nécessaires à la santé, du moins utiles
Mais ces questions ont été récemment discutées dans notre patrie par des autorités médicales et autres ; les conceptions commencent à changer. Tout homme cultivé sait maintenant que l'absorption de boissons spiritueuses ne fortifie pas l'homme, et que par conséquent elles ne sont pas nécessaires à la vie de tous les jours, mais qu'elles ne sont que des excitants avec une action momentanée sur les forces et la gaîté. Voilà un point acquis. Ces résultats scientifiques et expérimentaux sont parfaitement d'accord avec les poétiques paroles de la Sainte Écriture : « Le blé fortifie l'homme, l'huile fait resplendir son visage et le vin réjouit son coeur. » Ps. 104.

Cette boisson de joie a donc sa place dans les banquets et les fêtes, mais elle ne devrait être employée, pour rester fidèle à la pensée de Dieu, que dans des occasions spéciales. Telle est notre pensée à nous qui nous en abstenons. Quiconque aura donné aux boissons spiritueuses la place qui leur revient, n'affirmera plus que l'abstinence soit quelque chose de contre-nature, de forcé.

On affirme, secondement que le manoeuvre le paysan, le vigneron et tous ceux qui ont des gros travaux dans les champs ou dans la forêt, par le froid ou le chaud, ne peuvent se passer des bienfaits des boissons spiritueuses.

Dieu soit béni : il n'est plus même nécessaire d'en appeler aux troupes de Wolseley, aux tours de force des voyageurs polaires, aux expériences intéressantes faites en Amérique sur les chemins de fer, dans l'armée, dans la marine, dans l'agriculture. Le contraire est prouvé. La Suisse même offre un nombre suffisant d'hommes de vocations diverses - nous en comptons plus de 100 - qui affirment, après expériences, qu'ils travaillent dans leurs domaines respectifs tout aussi bien, si ce n'est mieux, qu'auparavant, sans boissons enivrantes.

Nous n'aurions jamais osé espérer tant d'encouragements de tant de compatriotes, et nous pouvons vous assurer que nos observations et le contentement que nous voyons régner et grandir dans notre peuple d'abstinents, nous donnent un nouveau courage à profiter de toutes les circonstances pour vanter sans scrupules ce genre de vie. Toutes les fois que nous recevions de nos membres des plaintes, des objections, des réclamations contre l'absolu de notre principe, ou quand on nous adressait des pétitions réclamant l'autorisation de boire au moins un verre de bière par jour, etc., nous avons connu les soucis, les préoccupations, mais, comme chaque consultation dans les diverses régions de notre patrie nous donnait la certitude que l'abstinence totale était le vrai remède, et comme les inconvénients étaient en somme minimes, nous sommes toujours allés de l'avant avec la conviction que l'abstinence totale bien loin d'être une habitude nuisible au corps, était parfaitement normale.

Qu'elle soit en désaccord absolu avec les habitudes dépravées, légères, jouisseuses de notre peuple, nous le savons ; mais cela ne nous inquiète pas, nous n'avons pas à y prendre garde.

Troisièmement - on nous parle des désagréments de l'abstinence totale pour la vie de société et la vie de famille. Voilà qui peut effrayer ceux qui n'ont pas encore essayé, et les natures timides auront peut-être de la peine à passer par-dessus ; mais quiconque a mis la main à la pâte et s'est familiarisé à tel point avec nos principes qu'il sache et puisse les défendre, voit bientôt que l'on approuve sa conviction, et qu'on n'a rien à lui objecter, surtout si, par son renoncement, il a pu prouver son amour à un buveur ou à une famille tombée dans la misère.

Dans les fêtes, noces, baptêmes, les abstinents lèvent un verre plein d'eau, et prouvent qu'ils ne font pas plus grise mine que les autres ; ils ne jugent pas non plus leurs voisins qui boivent, et l'eau claire leur donne tout autant de joie qu'aux autres. Les remarques blessantes et les moqueries cessent en général dès que l'on remarque qu'il s'agit d'une oeuvre de charité, et nous avons souvent été étonnés de la conduite de marchands de vin et de cafetiers à l'égard de ceux qui avaient des convictions fermes.

Quant à la commodité, l'abstinence totale doit être aussi agréable que telle ou telle autre habitude, car nous connaissons plusieurs personnes haut placées, ingénieurs en chef et commerçants, qui, précisément par commodité, ont signé notre engagement pour être libérés une fois pour toutes, en voyage, des sollicitations des sommeliers et de leurs compagnons de route.

Enfin, la quatrième objection est celle-ci : le pasteur appartient à toute sa paroisse, et il ne doit pas à cause même de sa charge, se mettre avec une fraction de son troupeau qui s'oppose aux coutumes populaires. Mais l'expérience a prouvé que les autorités, après avoir constaté que le pasteur n'impose à personne sa manière d'agir, mais bien plutôt se voue plus complètement aux pauvres de la commune pour les tirer de leurs misères, considèrent bientôt ce sacrifice comme une vertu. Si quelques-uns le regardent de travers, d'autres coeurs s'ouvrent à son influence. Que de femmes malheureuses appellent à leur secours un tel pasteur. Son ministère sera ennobli, fortifié ; il ne prêchera pas seulement mais sera un aide, un sauveteur ! Et avec l'aide de Dieu, ce travail le comblera de joie, car il trouvera parmi les hommes des amis fidèles, des aides qui l'appuyeront de leur travail, de leurs expériences et de leur zèle.



Conclusion

Nous allons conclure ; quelques mots encore sur les principaux avantages de ce travail d'évangélisation parmi les hommes.

Le premier
avantage est tout d'abord le gain inestimable que font le buveur et sa famille. Non seulement cette âme est sauvée, rachetée pour toujours de la domination de Satan, et désormais dans le royaume de la lumière, mais voilà que des transformations extérieures précieuses se produisent dans l'éducation des enfants, la culture, la joie au travail, l'épargne et la santé. Comparez l'état d'un chef de famille abstinent, maintenant à l'aise, et dans le bonheur matériel, avec celui dans lequel il était ou dans lequel il allait tomber si une main amie ne s'était tendue vers lui. Ces transformations, les femmes jadis battues et les mères savent vous les dire. Un déluge de maux et d'injustices est souvent évité par l'abstinence introduite dans une maison.

La pratique de l'abstinence totale de boissons enivrantes est une des manières les plus simples de protester avec énergie contre l'abus général des boissons alcooliques dans une contrée. À peine une société de tempérance est-elle fondée, on en parle partout. La chose est trop frappante et attaque trop fortement les habitudes de tous pour qu'elle passe inaperçue. L'action sur la population est réelle, et nous avons remarqué qu'elle est aussi grande sur le public que sur les membres proprement dits. On a aussi constaté que, depuis la fondation des sociétés de tempérance, on boit avec plus de modération dans des milieux sérieux, chrétiens ; on offre avec moins d'insistance du vin et de la bière. Quand deux ou trois tempérants sont présents, on a honte de prôner la boisson comme on le fait encore souvent.

Dans le monde masculin, la société de la Croix Bleue, rend possible et facilite des soirées, des fêtes, des réunions qui, sans cela, ne seraient pas organisées. L'abstinence de ses membres prouve qu'on peut se réunir sans boire des boissons enivrantes ; elle permet de réclamer le droit de faire des marchés, de passer des actes, de faire des visites, d'organiser des fêtes, d'exercer l'hospitalité, de se rencontrer, sans consommer des boissons enivrantes. Elle prouve que dans ces occasions, on peut boire du café, du thé, du chocolat, du sirop, du siphon, de la limonade, aussi bien que du vin et de la bière. Les vrais amis du peuple constatent bien vite ce fait, et ainsi on contribue à rompre le charme de la boisson qui séduit et captive si tôt nos jeunes hommes. Plusieurs se rendent compte que, à cet égard, de nouvelles routes doivent être frayées.

Désire-t-on offrir à des hommes des joies saines, l'abstinence totale rend la tâche aisée. Si, dans une réunion, une fête, une course, personne ne boit de la bière, l'ordre et la tenue règnent plus facilement que lorsqu'on en a consommé. Que de fois n'a-t-on pas dû renoncer à faire plaisir à des hommes, parce qu'on pouvait prévoir que, parmi les invités, quelques impudents profiteraient de l'occasion pour boire un verre de trop et pour faire du tapage et du désordre ?

Dans le même ordre d'idées il faut mentionner les cafés de tempérance dans les villes et les villages. La Croix-Bleue les a propagés en Suisse. En plusieurs endroits, surtout à la campagne, ces cafés vivent avec des déficits ; mais il s'est souvent trouvé des hommes dévoués qui ont fait des sacrifices pour les combler.

Un autre avantage est l'organisation de fêtes régionales, cantonales et fédérales ; bonne occasion de développer un vrai patriotisme, en même temps que la piété. La nécessité de se passer des auberges force les organisateurs de ces fêtes à prendre des mesures qui, par leur nouveauté et leur ingéniosité, contribuent à libérer les hommes des habitudes de boisson.
Quel avantage de pouvoir participer à une fête populaire sans scrupules et sans craintes. On y assiste avec d'autant plus de joie que les écarts sont moins à redouter.

Un autre avantage est le développement de l'initiative privée par le moyen des sociétés de tempérance. Les anciens buveurs qui ont fait, dans le passé, de tristes expériences, se sentent pressés, une fois délivrés de ce joug, d'inviter leurs camarades et leurs connaissances à emboîter le pas. Une invitation personnelle, un mot d'appel, une discussion entre amis, un petit discours, voilà de bonnes occasions de faire du bien et d'entrer en contact avec des hommes découragés ou craintifs qui, sans cela, n'auraient jamais subi une influence chrétienne.

En un mot nous avons l'impression que cette activité est pour le moment, une porte ouverte par le Seigneur sur le monde masculin. Il est remarquable que toute une classe d'hommes trouve son bonheur dans l'abstinence et aime à propager ce principe. Plusieurs sont décidés au sacrifice ; le travail révèle parmi les hommes toutes sortes de dons cachés ou gaspillés ; on arrive à travailler avec des hommes jadis inconnus.

Nous avons aussi remarqué que la Société de la Croix-Bleue dans laquelle des hommes si différents peuvent entrer, est un pont qui ramène à l'Eglise de Christ des hommes égarés. Dès qu'un homme se décide à faire partie de cette société, ses anciens camarades le raillent, le persécutent ; le besoin de nouveaux amis grandit alors, et il se joindra sans peine à des frères chrétiens dont il ne partage peut-être pas tous les points de vue. Il va vaincre ainsi la terreur que lui inspirait l'Eglise et on le verra s'asseoir à côté de ses nouveaux camarades qu'il méprisait et raillait peu de semaines auparavant.
Ainsi la Croix-Bleue peut attirer les hommes qui s'étaient éloignés de Dieu.

Dans le domaine social la Croix-Bleue nous semble avoir aussi sa valeur : En prouvant, tout d'abord, que l'homme est content dès qu'il a limité ses besoins, et que le devoir accompli et une vie de famille véritable valent toutes les joies de la boisson, du jeu et des causeries politiques. Puis l'abstinence totale groupe des hommes de toutes les vocations, de toutes les classes, et de toute culture, en une société qui, parce qu'elle est méprisée et méconnue, resserre d'autant plus ses liens. Cette fraternité de la Croix-Bleue n'est ni purement chrétienne, ni purement sociale, mais elle est avant tout une réaction contre les habitudes nationales. À cet égard elle est, nous en avons la certitude, une force bienfaisante, capable d'inspirer confiance aux esprits méfiants, et qui multiplie les occasions de témoigner de l'amour.

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Enfin, le fait que des hommes et des femmes chrétiens doivent exercer une activité complexe et délicate, et trouvent des occasions de déployer les vertus chrétiennes : l'amour, la sagesse, le tact, la patience, la persévérance et la douceur, le courage de la foi et l'esprit de prière, tout cela est un grand avantage. Il n'est pas facile, il faut l'avouer, de devenir réellement actif dans une société de tempérance, mais ces difficultés en ont souvent poussé plusieurs à une vie plus intense de prière et à une union plus intime avec leur Seigneur.

De la bonne volonté, une philanthropie superficielle, un secours bénévole ne suffisent pas. Pour dompter une puissance semblable à celle de l'alcool, il faut plus qu'un bon naturel, il faut le secours puissant et durable de celui qui seul peut réellement sauver. Il nous a appelés à résoudre ce problème difficile. Il nous a promis son Esprit d'amour, de force et de discipline, et même il l'a donné.

Les sociétés de tempérance doivent toujours être des sociétés de sauvetage. jamais elles ne doivent devenir la propriété d'un parti, mais il faut au contraire qu'elles s'efforcent de grouper pour le travail tous les chrétiens, et d'utiliser les forces les plus diverses.
Leur devoir est cependant - chacun le comprendra - de s'organiser et de travailler dans leur champ de travail particulier.

Il est, par exemple, impossible de confier ce travail de sauvetage à des unions chrétiennes. On détournerait ces jeunes du but qu'ils se proposent et la bannière de la Croix-Bleue qui attire les buveurs, effaroucherait les jeunes gens que les unions chrétiennes veulent attirer et unir ; du reste dans les sociétés de tempérance on doit voir venir les femmes d'anciens buveurs et celles qui veulent travailler ; or la chose est impossible dans une union de jeunes gens.

On ne peut pas davantage traiter des questions de tempérance dans des réunions d'édification ou d'évangélisation. Notre horizon restreint, notre méthode ont pour ceux qui ne se sentent pas appelés à se donner à cette cause, quelque chose d'angoissant et d'ennuyeux. Il faut se garder d'imposer notre travail. Les tempérants enfin sentent le besoin bien compréhensible de se réunir souvent entre eux, pour s'encourager et fortifier la décision des nouveaux signataires.

Pour tous ces motifs les sociétés de tempérance doivent avoir leur indépendance ; c'est la condition d'un travail utile.

Vous le voyez, chers amis, les fondements sont posés, les premières expériences sont faites, la route nous est apparue comme une route bénie pleine de renoncements, de joie et de grâce. Il manque encore beaucoup ; ceux qui sont à la brèche le sentent ; nous avons confiance en Dieu qu'il nous donnera dans l'avenir comme il l'a fait jusqu'à présent, et plus qu'il ne l'a fait, des collaborateurs. Ainsi fortifiés, enrichis de plus de sagesse et de nouveaux dons de l'Esprit, nous nous consacrerons au salut des victimes innombrables de la vie d'auberge. Elles sont partout dans notre beau pays, ces victimes et leurs familles.

J'ai un désir, et je dépose ce voeu sur votre coeur dans ce travail, ayons l'unité de l'Esprit. Tous ne sont pas appelés à devenir nos collaborateurs, mais ceux qui se savent appelés, doivent pouvoir compter sur la sympathie, l'aide, l'appui des croyants selon leurs forces.

Forts de notre vocation et de notre communion avec les frères chrétiens, nous voulons nous mettre à la disposition de notre Seigneur pour accomplir la tâche de la Croix-Bleue. La bénédiction de Dieu ne nous manquera pas.




Et maintenant, frères et collaborateurs, après avoir jeté un coup d'oeil sur le monde masculin, et après avoir entendu les besoins de nos concitoyens, les dangers qui les menacent, soyez convaincus que tout cela nous dicte de nouveaux devoirs.

L'Eglise de Christ a déjà eu beaucoup de tâches ici-bas ; elle a résolu déjà bien des problèmes avec l'aide de Dieu. jadis c'est à elle qu'incombaient les écoles primaires et supérieures, la bienfaisance, la tenue des registres d'état-civil, les jugements, etc.

L'État s'est immiscé à tort ou parfois à raison dans tous ces domaines et a assumé la responsabilité de ces tâches et d'autres semblables. L'Eglise doit maintenant s'attaquer à d'autres problèmes plus difficiles, et a besoin, pour arriver à une solution, de soins assidus et d'énergie indomptable. Elle ne doit pas rester en arrière en matière de sociabilité ; là aussi, sous la conduite du Seigneur, elle fera de grandes choses.

Et que Celui qui fut l'ami des péagers et des pécheurs et qui leur montra avec sagesse et amour le chemin qui mène au Père remplisse de son Esprit, un grand nombre de ses serviteurs, afin que, sanctifiés et séparés du monde, ils se tiennent au milieu du fleuve de la séduction, et qu'avec courage, et une foi joyeuse, ils se penchent avec amour sur les misères du peuple, jusqu'à ce que les hommes louent leur Père qui est dans les cieux !

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