Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



Arnasouk


Carlos

LE DERNIER jour des vacances ! Hubert Sullivan était très occupé à trier ses livres, qu'il fallait mettre en ordre ce soir-là, car le lendemain les malles devaient partir. Ses deux soeurs, Agnès et Jeanne, lui tenaient compagnie, chacune un ouvrage à la main.
- Dis donc, Hubert, es-tu content de rentrer au collège demain ?
- Que veux-tu dire ? J'ai toujours aimé aller à l'école. Pourquoi cela devrait-il m'ennuyer maintenant ?

Les soeurs se regardèrent et se mirent à rire.
- Eh bien, dit Agnès, Jeanne veut dire que tu ne vas pas seul maintenant. Tu vas en voyage avec un monsieur, Carlos Fernandes ! Quel beau nom ! C'est vrai que le monsieur est encore bien petit, mais il est pédant pour deux. N'es-tu pas content que le petit Espagnol aille avec toi ?

Agnès avait dit cela à voix basse, car dans l'embrasure de la fenêtre un garçon de treize ans lisait ; c'était un garçonnet maigre et délicat, aux yeux foncés, aux cheveux noirs comme du jais. Il n'était pas assez pris par sa lecture pour ne pas saisir ce que disait sa cousine. Une lueur méchante passa dans ses yeux et il parut sur le point de répliquer vivement. Mais il baissa la tête et ses lèvres minces se serrèrent encore davantage.
- Chut, pense à lui, dit Jeanne en regardant le jeune garçon.
- Mais, Hubert, dis donc, cela ne t'ennuie-t-il pas qu'il vienne avec toi ?
- Si, je préférerais mille fois faire le voyage seul dans la plus détestable. que d'avoir tout le temps cette figure devant moi. Mais quand je me représente comment les garçons du collège le guériront de sa pédanterie, je me réjouis d'avance.
- C'est que tu penses sûrement à ta défaite, quand il t'a vaincu l'autre jour ; ce n'était pas très agréable, ou bien ?

Hubert devint rouge de colère et de honte, quand sa soeur lui rappela sa défaite ; lui, Hubert, avait été vaincu par ce « petit Espagnol » méprisé. Ah ! mais il prendra une fois sa revanche !
- Voyons, nous n'allons pas nous quereller le dernier soir, dit Jeanne qui sentait que Hubert se fâchait. Allons un peu dans la forêt.

Et les trois enfants quittèrent la chambre, sans plus s'occuper de leur cousin. Carlos resta tout triste. Pourquoi ? parce qu'il n'avait pas été invité à se joindre à la joyeuse bande ? Non, mais il avait honte de lui-même. Agnès avait rappelé une querelle entre lui et Hubert, une querelle qui avait fini par un combat, duquel il était sorti vainqueur. Au premier moment il s'était réjoui de sa victoire, mais plus tard il en avait eu du regret, et chaque fois qu'il y pensait, il rougissait de honte. Triste de sa conduite, il ferma son livre et monta dans sa petite chambre, où il resta longtemps à réfléchir devant sa fenêtre. Il se sentait si seul, si misérablement seul.

Le pauvre garçon avait perdu ses parents de très bonne heure. Sa mère, une soeur de Madame Sullivan, avait épousé un Espagnol ; lui-même était né en Espagne et il y avait vécu de bien heureuses années, jusqu'à la mort de son père. Mais sa mère, sa chère mère, lui était restée encore et elle était son grand trésor. Il se rappelait si bien qu'elle lui parlait toujours de ce grand Ami, le plus grand de tous, qui avait donné sa vie pour rendre vraiment heureux tous les hommes, les petits et les grands. Il savait que sa mère avait aimé le Seigneur Jésus, qu'Il avait été non seulement son Sauveur, mais son Ami, qu'Il l'avait fortifiée et secourue dans les jours de tristesse et de souffrance. Carlos n'avait pas oublié les enseignements de sa mère et il désirait aussi ardemment appartenir à Jésus. La semence répandue par elle était tombée dans un bon terrain et promettait de porter beaucoup de fruit.
Puis était survenu le plus triste événement de sa vie. Sa mère s'en était allée auprès du Seigneur et l'avait laissé seul ; il se sentait tout à fait abandonné. En mourant elle lui avait encore dit : « Tu ne restes pas seul, mon enfant. Jésus reste avec toi et ne t'abandonnera jamais. Aime-le et n'oublie jamais qu'Il t'aime plus que ta propre mère. Oh ! je le verrai bientôt, Jésus, mon Sauveur ! »

Ce furent les dernières paroles qu'il entendit d'elle, mais Carlos n'en comprit pas tout le sens. Il ne savait qu'une chose, c'était que sa mère était partie pour toujours. Jour après jour il errait dans la campagne, solitaire et inconsolable, jusqu'au moment où, en feuilletant sa Bible, ses yeux furent arrêtés par les paroles suivantes, soigneusement soulignées : « Quand mon père et ma mère m'auraient abandonné, l'Éternel me recueillera » (Ps. 27, 10), ce fut comme si ce verset lui disait : Ta mère a souligné cela pour toi, Carlos. Il se jeta en sanglotant sur le livre et s'écria : « Oh, maman, je l'avais oublié, j'avais tout oublié ! » Il se souvint alors aussi de ses dernières paroles et il commença à comprendre quelque chose de la consolation qu'elles renfermaient.

Depuis ce moment il eut encore bien des instants de tristesse, mais il ne se sentait plus abandonné. Son âme s'était tournée vers la lumière.
Son oncle et sa tante l'avaient ensuite reçu à bras ouverts en Angleterre, son cousin et ses cousines s'étaient également montrés très aimables envers lui ; tous avaient profondément pitié de l'orphelin. Mais Carlos ne se donnait pas facilement ; il se tenait à l'écart, se montrait très réservé, ce qui fit que ses cousins le trouvaient fier. Leur pitié diminua et, quand ils étaient entre eux, ils tourmentaient le « petit Espagnol », comme ils l'appelaient par dérision. Ce n'était pas facile à supporter et, comme Carlos était colérique de nature, et avait la répartie prompte, il éprouvait beaucoup de peine à rester calme et doux. Quelquefois il se laissait aller à rendre injure pour injure, moquerie pour moquerie. Une fois même, la querelle finit par une bataille et il avait terrassé Hubert, qui l'avait tourmenté plus que de coutume. Mais il regrettait toujours son comportement, car il désirait en toute sincérité faire la volonté du Seigneur. C'était pour lui un grand chagrin de réussir si mal à se maîtriser. Et maintenant de nouveau, dans sa chambre, ses larmes coulaient en appelant sa mère. « Maman, maman, comment pourrais-je y tenir sans toi ? Si maman était ici, elle me dirait que le Seigneur veut m'aider, puisque je suis son enfant. Mais je suis si méchant ! » Il resta longtemps à réfléchir ; pauvre petit ! Où trouver du secours ?

Plus tard, son oncle le fit appeler au jardin. Lui et sa femme étaient bons et aimables envers Carlos et le traitaient comme un de leurs enfants, aussi personne ne se hasardait de le tourmenter en leur présence. Cette fois aussi l'oncle se montra très affectueux avec le jeune garçon ; il lui parla de l'école où il irait, de la nouvelle vie qui l'attendait et de son instituteur, M. Irvin.
- Ce n'est pas une grande école, il n'y a que dix-huit garçons et tu y seras très bien. Sois obéissant et appliqué et tu verras que M. Irvin t'aimera beaucoup. Si tu as besoin de quelque chose, tu nous le diras ; tu auras de l'argent de poche, comme Hubert, et n'oublie pas, mon garçon, de nous écrire de temps en temps.
- Certes non, mon oncle, répondit Carlos, je n'oublierai jamais combien vous avez toujours été bons avec moi.

Et d'un coeur heureux, il serra dans sa bourse l'argent que son oncle venait de lui remettre.
Le lendemain toute la famille accompagna les deux cousins à la gare et Carlos se trouva bientôt dans un tout autre monde.

Par un beau jour de septembre, Jeanne et Agnès se promenaient dans le jardin. Jeanne avait à la main une lettre d'Hubert qu'elle venait de recevoir.
- Eh bien, que dit-il ? demanda Agnès.
- Il parle surtout de Carlos.
- Du petit Espagnol ? Que c'est ridicule !
- Tu sais que M. Irvin a deux filles. L'aînée a quinze ans et elle est toujours souffrante ; la cadette n'a que quatre ans. Il paraît que Carlos passe tout son temps libre avec elles et qu'elles ont beaucoup de plaisir à le voir.
- Est-ce possible ? qui aurait pensé que le petit Espagnol si fier puisse jamais se faire aimer de quelqu'un ?

Agnès trouvait cette idée tellement ridicule qu'elle en rit aux éclats.
- Non, Agnès, reprit Jeanne, ne ris donc pas ainsi. Je crois que nous avons été très peu aimables pour Carlos. Si nous avions eu plus de patience, il se serait peut-être attaché à nous.
- Es-tu sotte, Jeanne ? N'avons-nous pas fait de notre mieux pour commencer ? Plus tard, oui, cela a changé, c'est vrai. Mais à qui la faute ? N'était-il pas froid et dur comme un morceau de glace ? Et fier comme un paon !
- Oui, il paraissait l'être, mais peut-être nous sommes-nous trompées. Si nous avions eu plus de patience, nous aurions découvert ses qualités. Je l'ai regretté plus d'une fois.
- Eh bien, pas moi !

Et Agnès s'en alla en riant rejoindre sa mère qui entrait dans le jardin.

La vie d'écolier était toute nouvelle pour Carlos. D'abord il s'était senti très solitaire au milieu de ces garçons étrangers. Cela allait très bien pendant les leçons, car ses pensées étaient suffisamment occupées. Mais pendant les récréations, au milieu de ses camarades qui jouaient dans la grande cour, il se sentait délaissé. Tranquille et triste, il ne prenait aucune part aux joyeuses parties des écoliers.

Quelques jours après son arrivée, M. Irvin et sa fille malade suivaient de la fenêtre avec intérêt les jeux des élèves.
- Est-ce là le nouveau garçon, papa ? Il est tout seul, il ne doit pas encore se sentir bien à l'aise ici.
- Pauvre garçon, répondit M. Irvin ; il est très seul, en effet je crois que Carlos a besoin d'amitié et de sympathie.

Et il raconta à sa fille quelque chose de la vie de leur nouvel élève.
- Sais-tu, papa ? Envoie-le ce soir chez moi ; j'aimerais faire sa connaissance.
- Très bien, mon enfant. Parle-lui, tâche de gagner sa confiance. Ce ne serait pas la première fois que ma petite malade réussirait à consoler un autre petit malade.

Carlos reçut l'invitation et, ce même soir, monta chez la jeune fille. Il frappa doucement à la porte et entendit aussitôt un cordial « Entrez ».
- M. Irvin m'a dit de venir ici jusqu'à l'heure du coucher.
- Très bien, je suis heureuse de te voir. Donne-moi la main et assieds-toi, nous causerons. Je suis souvent seule et je trouve très agréable d'avoir quelqu'un pour me tenir compagnie.
- Es-tu malade ? Es-tu couchée depuis longtemps ?
- Oui, je suis souvent malade, et quelquefois je souffre beaucoup. Mais le Seigneur m'aide, dit Marie en montrant au mur vis-à-vis d'elle une gravure représentant le Bon Berger avec un agneau dans ses bras. Veux-tu un peu arranger mes coussins ? Je puis bien sonner pour faire venir la bonne, mais alors elle doit quitter son ouvrage, ce qui ne lui arrive que trop souvent. Essaye donc.

Et elle l'encourageait avec un aimable sourire.
Carlos obéit aussitôt ; il s'acquitta si bien de sa tâche que Marie lui dit :
- Je pense que tu as déjà souvent fait cela.
- Oui, répondit Carlos. Je le faisais toujours pour... pour...

Il ne put continuer.
Marie mit sa main sur celle de Carlos et lui dit:
- Je comprends tout cela ; j'ai aussi perdu ma chère mère, il y a quatre ans, après la naissance de la petite Eva. Ce coup fut trop grand pour moi, je ne m'en suis jamais remise et depuis lors je ne peux plus quitter cette chambre. Mes jambes sont paralysées et le docteur prétend que je ne pourrai jamais marcher à moins que je n'aie de nouveau un grand choc. Cela n'arrivera probablement jamais ; on me soigne si bien et on écarte si bien tout ce qui peut me nuire, que toute guérison paraît impossible.

Après un moment de silence, Marie ajouta :
- Demain tu verras ma petite soeur, elle est un amour.

Le temps s'envola trop rapidement ; de longtemps Carlos n'avait passé de si agréables moments, et l'heure du coucher arriva sans qu'il s'en doutât.
- Si je puis faire quelque chose pour toi, Carlos, tu me le diras, n'est-ce pas ? Nous deviendrons de bons amis, je le crois.

Quelle heureuse soirée pour Carlos ! Il avait trouvé quelqu'un qui le comprenait ; il avait pu s'entretenir de sa mère avec Marie. À partir de ce moment, il lui confia tout ce que sa mère lui avait dit, ainsi que ses propres combats, ses tentations. Marie priait pour lui, lui parlait du Sauveur et de l'oeuvre de la croix.

Un soir Carlos vint vers elle, tout heureux et rayonnant, et lui dit :
- Tout va bien, le Bon Berger m'a trouvé, moi aussi !

Quelle joie pour lui, pour Marie ; de jour en jour l'amour de Carlos pour son Sauveur, pour le meilleur des amis, grandissait.
Dans la salle d'école aussi, il était bien changé. Ses yeux brillaient de vie, de courage et son visage, éclairé par la joie de son coeur, était le plus souvent souriant.

Hubert écrivait à Agnès.
« Je ne sais pas que dire du petit Espagnol, il est complètement changé. Il est de plus en plus lié avec les filles de M. Irvin. Je crois qu'il dépense la moitié de son argent de poche en joujoux et en bonbons pour la petite Eva. Et le reste, il le donne à Marie pour un pauvre boiteux auquel elle s'intéresse particulièrement. Je trouve cela assez ridicule. Mais ce qu'il y a de plus curieux, c'est que tous les garçons l'aiment, excepté un seul naturellement. Et tu ne t'imagines pas combien il travaille ! Si je n'y prends pas garde, il me dépassera. Mais cela n'arrivera pas, crois-moi. »

Hubert disait cela très sérieusement ; mais hélas, il devait bien vite regretter ses méchantes paroles.

C'était un beau soir de dimanche. Tous les élèves étaient allés assister au service du soir avec M. Irvin, excepté Carlos qui tenait compagnie à Marie, et son cousin Hubert qui était resté à la maison, étant enrhumé.
- Quelle magnifique soirée, dit Carlos en levant les yeux de dessus sa Bible. Regarde, quel beau ciel ! Cela me fait penser à la ville aux rues d'or et aux portes de perles, à la maison du Père avec toutes ses demeures. Parfois je pense que je ne resterai plus longtemps ici et que je serai bientôt là-haut. Je n'ai jamais été très fort, et je suis parfois si fatigué ! Quand j'ai porté Eva un moment, j'ai si mal au côté que je n'en puis plus. Mais peu importe ce qui m'arrivera ; je sais que je puis me confier en Jésus, Il est toujours près de moi.

Marie s'étonna de ces paroles et le regarda attentivement. Ses yeux brillaient comme s'il voyait quelque chose de splendide et un doux sourire illuminait son visage. À ce moment une domestique entra et posa une lampe sur la table. Carlos se leva en disant :
- J'ai oublié que Hubert est seul en bas. Puis-je lui demander de venir ici ?

Et comme Marie approuvait, il descendit. Le corridor était sombre et la porte de la salle d'étude ouverte. Carlos se dirigea de ce côté et vit son cousin qui quittait précipitamment la cheminée où brûlait un bon feu en disant à mi-voix :
- Voyons, petit monsieur, ce qui en adviendra. Petit hypocrite, tu crois être pour toujours le favori. Eh bien, on verra !

Carlos fut blessé par ces paroles, mais aussitôt il pria d'être gardé de la tentation. Il entra et demanda à son cousin de vouloir bien monter chez Marie. Effrayé, Hubert hésita une seconde, mais il ne pût qu'obéir sans dire un mot. Carlos resta un moment appuyé contre la cheminée. Il avait bien besoin du secours de son Seigneur, maintenant, plus que jamais. En se baissant, il vit à terre un morceau de papier à moitié brûlé ; il le saisit et s'approcha de la fenêtre pour l'examiner. Hélas ! c'était bien son écriture ; c'était le devoir qu'il devait présenter le lundi matin ; ouvrant son pupitre, il constata que cette feuille manquait dans son cahier. Carlos comprit tout et un grand combat se livra dans ce jeune coeur. Une voix lui disait : « Quelle vilenie de Hubert, quelle bassesse ! mais tu peux te venger. Tu n'as qu'à montrer cette page à demi brûlée à M. Irvin et lui raconter ce que tu as vu et entendu. Hubert recevra une punition bien méritée ; ce n'est que juste. »

Le pauvre garçon tremblait d'émotion ; il savait très bien qu'il allait être grondé, s'il ne pouvait montrer son travail et ce serait difficile à supporter, puisqu'il ne le mériterait pas. Mais une autre voix lui dit : « Pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font ». Carlos se mit à genoux et dit à Dieu tout ce qui le tourmentait. Après un long moment il se releva et l'on aurait pu voir la victoire écrite sur son visage, quoique ses joues fussent mouillées de larmes. Le combat avait été dur, mais celui qui s'appuie sur Christ est plus que vainqueur en Celui qui l'a aimé.

Le lundi matin Carlos ne put pas donner son devoir, et, pire que cela, il ne put répondre à aucune question de M. Irvin, ce qui lui donna l'air têtu et revêche.

Le maître n'y comprenait rien ; la conduite de Carlos l'attristait ; il en était mécontent. Pendant la semaine, le pauvre garçon eut mille ennuis, ses livres et cahiers se trouvaient déchirés et pleins de taches d'encre, ses plumes disparaissaient ou étaient cassées. Chaque matin survenait un nouvel accroc. Quelles affreuses journées ! Le silence continu du jeune garçon confirmait l'impression du premier jour. Et pourtant combien il souffrait ! M. Irvin ne cachait pas son mécontentement et son approbation manquait douloureusement à Carlos.

La petite Eva devait se passer de son camarade de jeux ; Marie ne savait pas ce qu'elle devait en penser ; pourtant elle ne perdait pas confiance en son petit ami et priait son père de l'excuser. C'est à son intercession qu'il dût de n'être pas puni plus sévèrement.
Et Carlos ? Tout triste qu'il fut, il resta aimable et serviable envers tous ses camarades. Il allait tranquillement son chemin au milieu des difficultés, heureux s'il pouvait rendre un service à quelqu'un. Il resta le même vis-à-vis de Hubert, qui en fut si touché qu'il commença à avoir honte de sa vilaine conduite et résolut de cesser de tourmenter son cousin.

Sais-tu, cher lecteur, ce que c'est que d'avoir confiance en Jésus ? Non seulement quand tout va bien, mais aussi dans les jours d'épreuves, de combats, de tentations ? Partout et toujours ? Il est un puissant secours et toujours Celui qui sauve et qui délivre.

Les élèves avaient une demi-journée de congé ; après le goûter Carlos prit ses livres et sortit. Tout près de l'école il y avait un petit bois, où l'on trouvait des myrtilles. Il savait que Marie les aimait et il se mit à en chercher. Marie était couchée devant la fenêtre ouverte et jouissait de la belle soirée d'automne. Elle s'était endormie et ne se réveilla que quand les garçons rentrèrent de leurs jeux. Carlos était parmi eux avec quelques branches chargées de myrtilles dans la main.

La bonne d'enfants entra chez Marie et demanda si Eva était là. Eva ? non, elle n'était pas venue de toute l'après-midi.
- J'étais avec elle au jardin, mademoiselle, à deux heures environ. Elle a vu Carlos de loin et a dit qu'elle allait se promener avec lui. Plus tard j'allai à la salle d'étude et comme Eva n'y était pas, je pensai qu'elle était peut-être chez vous.

Marie pâlit.
- Non, répondit-elle, j'ai vu les garçons rentrer ; Carlos était avec eux, mais pas Eva.

En ce moment M. Irvin entra et Marie lui raconta ce qu'elle avait entendu. Le père, consterné, dit à la bonne de rester auprès de Marie. Lui-même se rendit à la salle d'étude où tous les garçons étaient occupés à lire ou à jouer. Il les appela et leur dit ce qui était arrivé ; puis il se tourna vers Carlos et demanda si c'était vrai qu'il s'était promené avec Eva.
Carlos se trouvait justement près d'Hubert et il remarqua que celui-ci changeait de couleur et se cramponnait à son pupitre. Les deux garçons se regardèrent et Carlos comprit tout de suite ce qui s'était passé. La bonne avait pris Hubert pour Carlos et Eva était allée avec son cousin. Les garçons avaient joué dans la prairie près de la ligne du chemin de fer et Hubert avait oublié Eva. Carlos s'était promené plus d'une fois avec la petite fille dans ce pré et ils s'étaient amusés à regarder les trains passer.

Quelle horrible pensée ! Eva aurait-elle traversé la barrière et serait-elle peut-être sur les rails ? L'enfant était trop petite pour réaliser le danger qui la menaçait. Carlos s'imaginait déjà la voir jouant sur la voie pendant que le train arrivait à grande vitesse.
Il jeta un cri de détresse et s'élança hors de la chambre, sans répondre à la question de M. Irvin. Tous pensaient qu'il était en faute, ce qui était naturel.

Carlos courut aussi vite qu'il put. Il savait qu'un train passait à peu près à ce moment de la journée et qu'il n'y avait pas une seconde à perdre. Son coeur battait si fort, à lui couper la respiration ; la douleur dans son côté se faisait sentir aiguë, presque insupportable, mais il courait toujours. La nuit tombait ; il pouvait tout juste encore discerner la barrière qui fermait la ligne. Il entendait déjà le bruit du train dans le tunnel. Heureusement Carlos arrivait près de la barrière, mais le train se rapprochait aussi. Avec un dernier effort désespéré il franchit l'obstacle et sauta sur la voie. L'enfant, comme il l'avait pensé, jouait entre les rails. Carlos la saisit et la mit hors de danger. Ce n'était pas un instant trop tôt ; une seconde encore et la fillette aurait été écrasée.

Elle était sauvée ! mais à quel prix ! Carlos était couché par terre, la petite dans ses bras. Pourquoi le garçon était-il si pâle ?
Pourquoi ce filet de sang qui coulait de ses lèvres et tachait la robe blanche d'Eva ? pourquoi fermait-il ses yeux ? Eva, très effrayée d'avoir été si rudement prise et emportée, le fut encore davantage lorsque le train fila à toute vapeur à côté d'elle. Elle poussa un cri d'angoisse qui réveilla Carlos de son évanouissement. Doucement il lui dit de ne pas avoir peur, qu'il serait bientôt mieux et la petite se tranquillisa et appuya sa petite tête sur l'épaule de son ami.

Pendant ce temps, M. Irvin, les garçons et les domestiques cherchaient l'enfant de tous les côtés. Tous s'agitaient excepté Hubert, qui resta en arrière. Quand ils furent partis, il se mit à courir vers la ligne du chemin de fer. Ils avaient joué là, lui et les autres garçons, là où lui, Hubert avait emmené Eva et l'avait oubliée. La petite s'était amusée à chercher des fleurs et était venue ainsi jusqu'à la barrière. Elle avait regardé un moment, puis avait trouvé le chemin à travers la palissade et s'était mise à jouer avec les pierres entre les rails, jusqu'à ce que la nuit tombât ; ensuite elle était restée tranquillement assise où elle se trouvait.

Hubert pensa d'abord qu'elle était restée dans la prairie, mais ne la voyant pas, il lui vint à l'idée qu'elle avait pu traverser la barrière et une peur effroyable le saisit. Il courut dans cette direction et trouva son cousin couché dans l'herbe humide, l'enfant dans ses bras. Ils étaient si absolument immobiles que Hubert ne pouvait voir s'ils étaient morts ou vivants ; puis il aperçut le sang et s'en retourna en toute hâte dans une transe mortelle chercher M. Irvin qu'il conduisit vers les enfants. En chemin il confessa ses fautes en sanglotant, ainsi que sa méchante conduite envers Carlos pendant les dernières semaines.

Deux heures s'étaient passées et Marie attendait encore, toujours à la fenêtre. La soirée était belle et la lune éclairait le jardin, comme si c'était le jour, . Enfin elle entendit des voix et des pas et elle reconnut distinctement deux figures - l'une était celle du sous-maître portant Carlos, l'autre celle de son père avec Eva dans ses bras. Mais qu'était cette tache sur la robe d'Eva ? Sa petite soeur serait-elle morte ? Un cri de détresse s'échappa de ses lèvres et sans qu'elle sût ce qu'elle faisait, Marie sauta de sa chaise-longue. Ses genoux tremblaient, mais elle était debout et toute chancelante, elle se mit à marcher. Sans savoir comment elle y arriva, elle se trouva au milieu de la salle d'étude et un grand calme s'empara d'elle. Elle réalisait qu'ils étaient tous dans la main de Dieu et que personne ne pouvait mieux les garder que Lui. C'est ainsi que son père la trouva.

Marie fut vite rassurée quant à Eva ; elle s'était endormie dans les bras de son père. Le cas de Carlos était plus grave. Le grand effort qu'il avait fait avait causé une hémorragie qui n'était pas arrêtée. Le médecin fut appelé en toute hâte ; malgré tous ses soins il dut constater que le cher garçon ne vivrait plus vingt-quatre heures. Carlos avait repris connaissance et, souriant faiblement, il regarda Marie et demanda M. Irvin.
Marie comprit très bien pourquoi Carlos désirait voir son maître.
- Il a été toujours auprès de toi ; il vient de sortir, je vais l'appeler.

Carlos ferma les yeux et attendit apparemment avec inquiétude l'arrivée de son maître. À peine la porte s'ouvrit-elle que Carlos fixa celui qui entrait. Il ne vit plus de sévérité sur ce visage, mais de la pitié et de la tristesse.
- Cher monsieur, voulez-vous me pardonner tout le chagrin que je vous ai causé ces derniers temps ? Je n'y pouvais vraiment rien !
- Mon cher garçon, dit M. Irvin en s'agenouillant près du lit et mettant son bras autour de Carlos, ce n'est pas à toi de demander pardon ; c'est bien moi qui dois le faire. Je croyais bien agir et je t'ai beaucoup fait souffrir. Hubert m'a tout raconté et maintenant je regrette de ne pas avoir eu plus de confiance en toi. Ah ! Carlos, pardonne à ton maître. Et maintenant, tu as sauvé notre chère petite ; tu t'es sacrifié pour elle ! Comment puis-je te remercier ?

Un sourire de joie passa sur le visage du garçon. Il ferma les yeux comme s'il voulait jouir de cette belle pensée. Mais il regarda bien vite son maître.
- Non, non, dit-il, ce n'est pas bien. Vous ne devez pas me demander pardon. Vous avez toujours été si bon pour moi. Mais, monsieur, voulez-vous aussi pardonner à Hubert ?

Le visage du maître prit une expression douloureuse, mais les larmes aux yeux il répondit :
- Oui, mon garçon, ce n'est pas à moi d'être dur envers Hubert, quand toi, tu lui pardonnes. Mais j'aimerais tant faire quelque chose pour toi, et je ne le puis pas. Tu es très malade, Carlos, très sérieusement, dit le docteur.
- Oui, monsieur, je le sais ; je ne serai plus longtemps ici. Jadis je pensais quelquefois que je ne vivrai pas longtemps, et j'avais peur. Mais maintenant je sais que je vais mourir et je n'ai aucune crainte. Je sais que Jésus m'aime et qu'Il est avec moi. Oh ! je serai bientôt avec Lui, dans la maison du Père, où il y a beaucoup de demeures.

Marie entra en ce moment et Carlos la pria d'appeler Hubert. Marie le trouva dans sa chambre, la tête enfouie dans les coussins. Elle posa sa main doucement sur son épaule en lui disant:
- Va vers Carlos, il désire te voir.

Hubert la regarda avec de grands yeux éperdus.
- Est-il très malade ? Va-t-il mourir ?

Marie lui dit aussi doucement que possible que l'état de son cousin était très grave. Hubert éclata en sanglots désespérés et Marie put voir comment le remords déchirait son coeur.
- Oh ! Carlos, Carlos ! qu'ai-je fait ? qu'ai-je fait ?

- Mes enfants, n'agissez pas à la légère. Croyez-vous avoir raison de vous fâcher contre quelqu'un ? Une voix dans votre coeur vous excite-t-elle à vous venger ? pensez à ce que vous faites, à ce que vous dites. Une parole amère, un mot méchant est si vite prononcé, mais quelle blessure il peut causer ! Un jour viendra peut-être, où vous désirerez pouvoir redresser le mal que vous avez commis ainsi, et ce ne sera plus possible. Une méchante action est si vite faite, mais savez-vous ce qu'elle vous coûtera en remords, en reproches, parce que vous n'êtes plus en état de réparer le mal causé ? Tournez-vous vers Jésus dans l'heure de la tentation et recherchez en Lui votre force, car Il nous a appris à nous aimer l'un l'autre ; Il veut que nous pardonnions, si nous espérons être pardonnés. Jésus a aimé ses ennemis, et Il a prié pour eux. Il veut aussi vous pardonner et vous purifier de tout péché. Mais allez maintenant à Lui, Il vous attend maintenant, Il est prêt à vous recevoir en ce moment même.

Le pauvre Hubert se repentit franchement et sérieusement. Carlos lui pardonna de tout coeur, mais son cousin n'eut plus l'occasion de montrer sa repentance dans sa conduite.

Personne ne sut de quoi ces deux amis s'entretinrent, mais ce fut un autre Hubert qui quitta Carlos, que celui que Marie avait appelé. Il retourna dans sa petite chambre profondément triste, mais plus désespéré. Une nouvelle et précieuse espérance avait pénétré dans son coeur brisé.
Et maintenant, les écoliers vinrent deux à deux prendre congé de leur compagnon d'études ; les larmes aux yeux, très émus, ils dirent au revoir à leur camarade mourant.

Marie ne le quitta pas. Son père craignait qu'elle ne se fatiguât trop, mais il ne pouvait pas se résoudre à la renvoyer. Les enfants ne parlaient pas beaucoup. Marie, assise à côté de Carlos, sa main dans la sienne, répétait de temps en temps un texte, un verset de cantique. Carlos s'assoupit un peu, mais il se réveillait aussitôt et ses yeux cherchaient Marie, puis, l'ayant aperçue, il était tranquille. Une fois pourtant, il parla :
- Oh ! Marie, dit-il, que je suis content que tu puisses de nouveau marcher. N'est-ce pas un miracle ? Dieu n'est-il pas bon pour nous ? Et veux-tu être aussi bonne pour Hubert que tu l'as été pour moi ?
- Oui, Carlos, je te le promets.

Au milieu de la nuit, M. et Mme Sullivan arrivèrent. M. Irvin les avait avertis par télégramme. Agnès et Jeanne les accompagnaient. Elles désiraient beaucoup revoir leur cousin et lui demander pardon de leur manque de coeur et de leur méchante conduite.

Toutes ces émotions fatiguaient beaucoup Carlos, mais c'était si bon de voir que tous l'aimaient.
Quand se leva le matin, le ciel était tout illuminé d'or et de pourpre.
« Que c'est beau, murmura-t-il, mais je verrai bientôt ce qui est encore plus beau ; un jour sans soir, sans nuit. »

Et Marie continua :
Lieu de repos, sainte patrie,
Séjour heureux des rachetés,
0 ville d'or, cité chérie,
J'aspire à tes félicités.
Repos, repos ! près de Jésus,
Peines, douleurs, ne seront plus.

Eva se réveilla comme de coutume et demanda à voir Carlos. - Bonjour, bonjour, dit-elle en apercevant son ami ; tu vas mieux ?
- Oui, Eva, je suis presque guéri. Si tu deviens un agneau du Bon Berger, nous nous reverrons au ciel, dans la maison du Père, où il y a plusieurs demeures.

Tout le monde était calme, excepté Hubert qui sanglotait. Carlos lui tendit la main et lui dit :
- Ne sois pas triste, Hubert, ne m'oublie pas.

Puis il resta immobile pendant quelques instants, les yeux fermés. Soudain il se redressa, les yeux grands ouverts, un beau sourire sur son visage, et d'une voix faible, mais distincte, le garçon mourant répéta ces paroles:
« Dans la maison de mon Père, il y a plusieurs demeures... je reviendrai et je vous prendrai auprès de moi. »

Puis il tendit les bras, sa tête tomba de côté et Carlos était entré dans le repos éternel.
- Il est mort, s'écria Hubert dans un sanglot.
- Non, dit Marie, il vit pour toujours.

« Je suis la résurrection et la vie, dit Jésus ; celui qui croit en Moi, encore qu'il soit mort, vivra. »


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