Les quatre évangélistes qui nous ont retracé, dans les quatre
Évangiles, la vie, les souffrances, la mort et la résurrection de
Christ, ne nous disent rien de sa descente aux enfers. C'est qu'ils
n'ont voulu nous apprendre, comme des témoins fidèles et véridiques,
que ce qu'ils ont vu et entendu. Ils terminent leur récit de la mort
de Christ au moment où son sépulcre est scellé, puis ils poursuivent
le fil de l'histoire en racontant la résurrection du Seigneur le
troisième jour. De même, l'apôtre Pierre, qui parle, dans son Épître,
de la descente aux enfers, ne nous dit rien des circonstances dans
lesquelles elle s'accomplit, ni des conséquences qu'elle eut. Il se
borne à rapporter simplement les faits. Christ est mort selon la
chair, mais il a été vivifié par l'Esprit par lequel il est allé
prêcher aux esprits retenus en prison, qui autrefois avaient été
incrédules lorsque, du temps de Noé, la patience de Dieu se
prolongeait. - Dans ces paroles de l'apôtre, sont réunis en
quelques mots les grands faits du salut - Crucifié, mort, descendu aux
enfers et ressuscité. Et bientôt après il clôt cette série de faits
par l'ascension : Qui est assis à la droite de Dieu, étant
allé au ciel, et auquel les anges, les principautés et les
puissances sont assujettis. Lorsque le Seigneur eut remis son
esprit entre les mains du Père, lorsqu'il fut mort selon la chair, il
fut immédiatement vivifié selon l'Esprit. Pendant qu'il reposait dans
le sépulcre, sa vie ne fut pas détruite, sa
personnalité ne fut pas anéantie. Il n'attendait pas non plus sa
résurrection dans une morne oisiveté, comme s'il eût été lié de
chaînes d'obscurité, mais il pénétra, par l'Esprit, dans l'empire des
morts, et prêcha aux esprits retenus en prison.
« Il est descendu aux enfers. » C'est ainsi que
le symbole des apôtres désigne cette apparition de Christ dans
l'empire des morts. Par le terme d'enfer, l'écrivain sacré n'a pas en
vue l'étang ardent de feu et de soufre, la seconde mort. Christ, après
avoir expiré, est descendu dans le royaume des morts, qui est divisé
en deux séjours, séparés l'un de l'autre par un infranchissable abîme,
(Luc XVI,
23-26) : le Paradis ou le sein d'Abraham, dans lequel fut
admis le brigand gracié, et le lieu des tourments, la prison. L'apôtre
se borne à dire que le Seigneur est descendu aux enfers et a prêché
aux esprits retenus dans la prison. Il ne parle ni du but, ni du
contenu de cette prédication.
On a supposé, mais sans raisons puisées dans l'Écriture,
que le Sauveur s'est montré aux damnés comme juge afin de s'affirmer
comme vainqueur de la mort, de l'enfer et du diable. Mais il est plus
probable, (et le terme de prêcher l'indique déjà), que le
Seigneur est descendu aux Enfers pour annoncer l'Évangile à ceux qui
étaient morts sans avoir entendu le message de grâce, la Bonne
Nouvelle du salut, afin de leur fournir la possibilité de se
décider pour ou contre ce salut ; de telle sorte que cette
prédication devait être pour les morts, selon les dispositions de
leurs coeurs, comme elle l'est pour les vivants : aux uns une
odeur de vie pour la vie, aux autres une odeur de mort pour la mort.
Si nous réfléchissons que le salut et la condamnation
dépendent exclusivement des dispositions du coeur humain à l'égard de
Christ, l'Homme-Dieu, c'est-à-dire de la foi en lui ou de
l'incrédulité, et que les hommes ne peuvent se décider pour lui ou
contre lui, qu'après avoir entendu le message de grâce nous ne
saurions douter que le Dieu de miséricorde ne prenne une disposition
quelconque pour que l'Évangile soit porté à toutes les âmes avant le
dernier jugement, afin de les mettre à même de l'accepter ou de le
rejeter. Quant à la manière dont ceux qui ne l'ont pas entendu sur
la terre, l'entendent après la descente de Jésus aux Enfers, cela ne
nous est pas indiqué. Une chose est certaine toutefois : c'est
que Christ n'a pu descendre aux Enfers afin de prendre sur lui, en
manière de supplément, les tourments des damnés, après l'oeuvre
parfaite de délivrance qu'il a accomplie ; car ces tourments, il
les a subis en Gethsémané et pendant les sombres heures de la croix.
Il est tout aussi certain qu'on ne trouve dans l'Écriture
aucun fait établissant la doctrine d'un Purgatoire, d'après
laquelle les âmes de ceux qui, bien que morts dans la foi de l'Église,
n'auraient pas subi toutes les peines qu'elle leur a imposées pour
leurs péchés, devraient, après leur mort, passer par un feu
purificateur, où les péchés qui n'auraient pas été expiés fussent
consumés. Cette doctrine enseigne que les âmes resteront plus ou moins
longtemps dans ce feu, selon le degré de leur culpabilité ; mais
que leurs tourments peuvent être abrégés par des messes, et par des
prières gratuites ou payées. Cette légende se heurte aux déclarations
de l'Écriture, et est contraire au parfait sacrifice de réconciliation
accompli en Golgotha.
Quant à ce que Pierre, dans le passage cité, ne parle que
de ceux qui ont été rebelles du temps de Noé, cela ne signifie pas que
ceux-là durent seuls profiter de la prédication du Sauveur victorieux.
L'apôtre les cite comme un exemple parmi tous les autres rebelles,
parce qu'ils furent les premiers à subir les jugements et les
châtiments divins, lorsque toute chair eut corrompu sa voie sur la
terre, et que personne ne voulait plus se laisser reprendre par
l'Esprit de Dieu. Du reste, l'Écriture nous représente le déluge comme
une image du dernier et terrible jugement où le courroux céleste
consumera les adversaires. - La prédication de l'Homme-Dieu avec sa
double vertu, adressée aux esprits retenus dans la prison, nous offre
à nous, pour lesquels le temps de grâce n'est pas encore écoulé, un
sérieux avertissement et une douce consolation. Les moyens de grâce
nous sont accordés à nous, membres de l'Église chrétienne, afin que
nous en fassions un fidèle usage pendant cette vie. Nous avons la
Parole de Dieu, le baptême et la sainte Cène, nous avons les jours de
fêtes avec leurs belles cérémonies, nous avons la
communion des saints. C'est pourquoi hâlons-nous de travailler au
salut de nos âmes. Car ceux qui, ayant entendu l'Évangile ici-bas,
l'ont rejeté, espéreraient en vain pouvoir se convertir dans l'autre
vie. Après la mort suit le jugement. D'un autre côté, ce qui nous
console pendant cette vie, c'est que, pour le miséricordieux amour de
l'Homme-Dieu, il n'y a pas de profondeurs si grandes, pas d'abîmes si
abruptes où il ne consente à descendre pour chercher sa brebis perdue
et la sauver ; il n'y a pas de vallée si sombre qu'il ne puisse
éclairer de la lumière de la vie, il n'y a pas de prison si bien
fermée et verrouillée qu'il ne puisse ouvrir et dont il ne puisse
retirer les prisonniers pour prix de ses souffrances - à la condition
toutefois qu'ils ne lui résistent pas.
La résurrection du Seigneur Jésus est le dernier témoignage qu'il est
bien l'Envoyé du Père. Elle est le sceau officiel de son oeuvre de
réconciliation. Elle prouve qu'il n'est pas mort comme les autres
hommes à cause de ses péchés, mais qu'il a livré sa vie en sacrifice
expiatoire pour les péchés de l'humanité, et que le Père a accepté ce
sacrifice. Comme la réconciliation est accomplie par la mort de
Christ, de même aussi la justification est opérée par sa résurrection
(Rom.
VII, 24 ; 1
Cor. XV, 17). C'est sur cette résurrection que l'Église de
Christ est fondée. « Si Christ n'est pas ressuscité, notre foi
est vaine et nous sommes encore dans nos péchés. » C'est par la
résurrection de Christ que Dieu nous a fait renaître, en nous donnant
une espérance vive de posséder l'héritage qui ne se peut ni souiller,
ni corrompre, ni flétrir. Comme Christ est mort pour nos péchés, de
même il est ressuscité pour notre justification.
La résurrection de Jésus-Christ n'est pas seulement pour
nous une attestation de sa toute-puissance, de sa victoire sur la
mort, de sa divinité ; mais aussi la preuve qu'en Golgotha la
justice de Dieu a été satisfaite, et que maintenant il peut laisser
son libre cours à sa grâce. En Golgotha, le Seigneur meurt comme
l'Agneau de Dieu qui porte les péchés du monde. Il sort du tombeau
comme le lion de Juda qui a vaincu. Le Vendredi saint, il expie les
péchés de l'humanité ; le jour de Pâques, il
nous justifie et nous rend agréables à Dieu dans son Bien-aimé. Le
Vendredi saint, il fait l'expiation universelle pour tous les
hommes ; le jour de Pâques, il nous apporte le pardon universel.
Si donc, coeur chrétien, tu es rempli d'une tristesse selon Dieu,
parce que Christ a souffert et est mort pour tes péchés, n'aie aucune
crainte : la résurrection te montre que Dieu a accepté la
satisfaction de son Fils au lieu de celle que tu lui devais, et qu'une
grâce réparatrice est réservée pour toi. Approche avec foi et il le
sera fait selon que tu as cru !
La brillante aurore de l'éternelle grâce de Dieu s'est
répandue sur le jour de Pâques. Le Ressuscité est là comme le Prince
de la vie, comme le Maître de l'avenir, comme le Roi qui a le droit de
vaincre par la grâce. Maintenant on célèbre ce jour de victoire dans
les tabernacles des justes : La droite de l'Éternel est haut
élevée, la droite de l'Éternel fait vertu. La mort est engloutie pour
toujours !
O mort, où est ton aiguillon, ô sépulcre, où est ta
victoire ! Grâces à Dieu qui nous a donné la victoire par notre
Seigneur Jésus-Christ !
Plusieurs centaines d'hommes ont vu mourir le Seigneur. Aucun oeil
humain ne l'a vu sortir vivant du tombeau. Même plus tard il ne s'est
pas montré à la foule, mais seulement aux témoins qu'il avait choisis,
aux croyants. Et il devait en être ainsi. L'homme inconverti peut bien
voir ce que les péchés des hommes ont produit. Les damnés eux-mêmes
verront celui qu'ils ont percé. Mais l'oeil de la foi seul peut
contempler les miracles de la grâce de Dieu.
Après que le sabbat fut passé,
Marie Madeleine et Marie mère de Jacques et Salomé achetèrent des
drogues aromatiques pour venir embaumer le corps de Jésus. Et
elles vinrent au sépulcre de grand matin, le premier jour de la
semaine, comme le soleil venait de se lever. Et elles disaient
entre elles : Qui nous roulera la pierre qui ferme l'entrée
du sépulcre ? Ces pieuses femmes viennent au
sépulcre pour embaumer le corps de Jésus ; elles veulent encore
l'honorer après sa mort. Elles ne réfléchissent pas que
s'il était resté dans le sépulcre, il ne mériterait pas les honneurs
qu'elles voulaient lui rendre. Elles ne réfléchissent pas non plus que
s'il était ce qu'il disait être, c'est-à-dire le Fils de Dieu, leurs
drogues aromatiques étaient complètement superflues. Cependant leur
démarche nous réjouit. Elles donnent avec joie tout ce qu'elles
possèdent pour l'amour de Jésus. Ces biens n'ont de valeur à leurs
yeux que parce qu'elles peuvent lui en faire hommage C'est à cela que
nous reconnaissons la constance de leur amour. Le matin, de bonne
heure, avant le lever du soleil, elles se lèvent. Elles ne savaient
pas que le Soleil de la grâce était déjà levé. Dans leur empressement
à honorer Jésus, elles avaient oublié la grande pierre qui fermait
l'entrée du sépulcre. Si elles y avaient pensé, elles seraient
peut-être restées chez elles, et elles n'auraient pas reçu le message
des Anges. Elles se demandent bien avec inquiétude : Qui nous
roulera la pierre qui ferme l'entrée du sépulcre ? Mais
elles n'en continuent pas moins à avancer. Et
il se fit un grand tremblement de terre, car
un ange du Seigneur descendit du ciel et vint rouler la pierre qui
était devant l'entrée du sépulcre. Son visage était comme un
éclair, et son vêtement était blanc comme la neige. Un
tremblement de terre fut le glas funèbre qui se fit entendre à la mort
du Seigneur ; un tremblement de terre fut la cloche triomphale
qui retentit à sa résurrection.
Et ayant regardé, elles virent
que la pierre avait été ôtée. Or, elle était fort grande. Puis
étant entrées, elles virent un jeune homme assis du côté droit,
vêtu d'une robe blanche, et elles en furent épouvantées.
Quiconque cherche sérieusement, peut être assuré de voir ses efforts
couronnés de succès. Bien que ces femmes soient effrayées et
tremblantes à la vue de l'ange, elles n'en reçoivent pas moins de sa
bouche la joyeuse nouvelle, car il leur dit : Ne
vous effrayez point ; vous cherchez Jésus de Nazareth qui a
été crucifié ; il est ressuscité ; il n'est plus
ici ; voyez le lieu où on l'avait mis. Quiconque
cherche Jésus crucifié, est amené à Jésus ressuscité. Si un homme n'a
jamais mené deuil sur ses péchés : s'il n'a jamais pensé avec un
coeur brisé aux fautes qu'il a commises pendant sa vie, il est plus
difficile de lui faire comprendre la joie de
Pâques que de donner à un aveugle une idée des couleurs. Mais
allez et dites à ses disciples et à Pierre qu'il s'en va devant
vous en Galilée. Vous le verrez là comme il vous l'a
dit. Le Seigneur se souvient avec un tendre amour des larmes de
Pierre. C'est pourquoi il lui fait promptement annoncer la consolante
nouvelle qu'il est aussi ressuscité pour lui. Et
elles sortirent aussitôt du sépulcre et elles s'enfuirent, car
elles étaient saisies de crainte, et elles n'en dirent rien à
personne, tant elles étaient effrayées. Les femmes sont
tellement saisies de l'étrangeté et de la grandeur de ce qu'elles
viennent d'entendre, qu'elles sont complètement hors d'elles-mêmes, et
ne font part à personne de ce qu'elles ont appris.
Marie-Madeleine reste seule dans le jardin de Joseph
d'Arimathée tandis que les autres femmes s'éloignent pour chercher les
disciples. Bientôt elle vit arriver Pierre et Jean. Ils avaient été
effrayés par le tremblement de terre et étaient accourus au sépulcre
où leur Bien-Aimé avait été déposé. En se rappelant le tremblement de
terre qui avait signalé la mort de Jésus, ils avaient sans doute un
vague pressentiment que le Tout-puissant les avertissait, par cet
événement, de se diriger vers le tombeau du Sauveur. Marie leur
dit : On a enlevé du sépulcre le
Seigneur, et nous ne savons où on l'a mis. Pierre,
malgré sa chute, n'avait pas été abandonné de ses condisciples. Son
repentir, son coeur brisé, avait éveillé toute leur sympathie. Ils
l'entouraient de leur affection, surtout Jean. Tous deux se rendent au
sépulcre. Jean courut plus vite que Pierre,
dont le coeur attristé appesantissait les pas. Jean
arriva le premier au sépulcre, et s'étant baissé, il vit les
linges qui étaient à terre, mais il n'y entra point. Mais Simon
Pierre, qui le suivait, étant arrivé, entra dans le sépulcre et
vit les linges qui étaient à terre, et le linge qu'on avait mis
sur la tête n'était pas avec les autres, mais il était plié en un
lieu à part. Ces détails indiquent, non qu'on avait
enlevé le Seigneur, mais qu'on l'avait servi. Ainsi le soupçon de
Marie n'était pas fondé. Pierre regarde, mais il ne s'explique
rien ; il accepte le miracle tel qu'il se présente à lui. Alors
Jean y entra aussi et il vit et il crut que le Seigneur
était ressuscité.
Honteux d'avoir été amené à la foi par la vue des
suaires, il ajoute dans son Évangile : Car
il n'avait pas encore bien entendu ce que l'Écriture dit qu'il
fallait que Jésus ressuscitât des morts.
Pendant que Jean demeure pensif dans le sépulcre, Pierre
sort dans le jardin. C'est probablement là que le Seigneur lui
apparut. De quel regard enveloppa-t-il Pierre en ce moment ! et
comme les yeux de Pierre durent se changer en deux sources de
larmes ! Comme il dut se jeter aux pieds de Jésus en confessant
sa faute ? Et le Seigneur, qui console ceux qui sont dans la
douleur, aura posé ses mains percées sur la tête de son disciple et
lui aura pardonné. Maintenant Pierre, reçu en grâce respire librement
et avec bonheur : Le Seigneur ne le repousse pas ; il lui
fait, à lui qui est si profondément tombé, un accueil plein d'amour.
Luther, en parlant de cette rencontre du Sauveur avec Pierre,
dit : Si j'étais peintre et que je dusse faire le portrait de
Pierre, je peindrais sur chacun de ses cheveux ces paroles :
« Je crois à la rémission des péchés. » Alors Pierre
rejoignit Jean, et tous deux se rendirent vers les autres disciples.
Mais Marie se tenait dehors,
près du sépulcre, en pleurant. Elle ne pouvait pas
s'arracher de cette place et ses larmes coulaient abondamment. Une
fois déjà, nous l'avons vue dans une attitude analogue. C'est
lorsqu'elle pleurait aux pieds de Jésus, dans la maison de Simon le
pharisien. Comme elle fut alors divinement restaurée, lorsque le
Seigneur prononça sur elle une parole de paix ! Depuis ce moment,
elle voyait le ciel ouvert. Elle vivait comme un heureux enfant de
Dieu. Mais maintenant elle a une plaie au coeur. Le Sauveur, son
Consolateur, l'auteur de sa paix, a été attaché à la croix et déposé
dans le sépulcre. Elle ne peut pas même témoigner son amour à son
corps, devenu la proie de la mort. Elle est là, dans le plus profond
abattement et dans un complet anéantissement, parce que Jésus était
absolument tout pour elle. Les larmes qu'elle répand, sont les larmes
d'une amère douleur et d'un ardent désir.
Tout en pleurant, elle se baissa pour regarder dans le
sépulcre, et elle vit deux anges vêtus de blanc, assis l'un à la tête
et l'autre aux pieds du lieu où le corps de Jésus avait été couché. Et
ils lui dirent : Femme,
pourquoi pleures-tu ? Elle leur dit : Parce qu'on a
enlevé mon Seigneur et je ne sais où on l'a mis. La
tendre sympathie avec laquelle ces deux êtres célestes prennent part à
la douleur de Marie baignée de larmes, ne doit pas nous étonner. Car
ils sont envoyés dans le pays des larmes et de la souffrance, pour
assister les enfants de Dieu qui doivent avoir l'héritage du salut. -
Ce qui est étonnant, c'est que Marie ait pu entrer en conversation
avec eux, sans être effrayée par cette apparition céleste, tandis
qu'elle avait été épouvantée, lorsque, quelques instants auparavant,
elle avait vu l'ange en même temps que les autres femmes. Cela tient à
ce qu'elle était complètement absorbée par la douleur. Son coeur est
rempli du souvenir de la vie et de la mort de Christ. En comparaison
de ces faits, l'apparition des anges n'a plus rien d'extraordinaire.
Même dans la mort, Jésus est son Seigneur. Si elle ne peut plus rien
espérer du vivant, elle veut du moins ne pas se séparer du mort. Jésus
a donné la paix à son coeur : c'est pourquoi toutes ses
aspirations se concentrent sur lui. Tout le reste lui est indifférent.
Les anges mêmes ne peuvent pas la rendre heureuse. Les anges ne sont
après tout que des créatures, et son coeur a soif du Créateur.
Pendant qu'elle attend la réponse des anges, elle voit
qu'ils se lèvent comme pour présenter leurs hommages à quelqu'un. Elle
se retourne et voit Jésus qui était là ; mais elle ne savait
pas que ce fût Jésus. Elle ne pouvait rien distinguer,
parce que ses yeux étaient pleins de larmes. Jésus lui dit:
Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? Elle,
croyant que c'était le jardinier, lui dit : Seigneur, si tu
l'as emporté, dis-moi où tu l'as mis, et j'irai le prendre.
Marie craint encore une suite de l'histoire du crucifiement, et comme
elle ne comprend pas encore le divin mystère de la croix, l'aspect du
Ressuscité lui est encore étranger. Celui que son âme cherche, est
devant elle, et elle ne le reconnaît pas. Il en est de même des âmes
qui cherchent Jésus avec larmes. Marie parle de lui comme d'un absent.
Elle ne prononce pas même son nom. Elle croit que Jésus doit être
aussi précieux à ce prétendu jardinier qu'il l'est à elle-même, et
qu'il ne peut penser à nul autre qu'à Jésus. De là l'idée lui vient
que ce jardinier doit savoir où le précieux corps
a été déposé. Elle veut aller le prendre, et dans l'ardeur de son
amour, elle ne réfléchit pas que ses faibles forces seraient loin de
suffire pour emporter un tel fardeau. Elle était sur le point de
s'éloigner, lorsque Jésus lui dit : Marie !
Elle donc s'étant retournée, lui dit : Rabboni,
c'est-à-dire : Mon Maître ! Celui qui sonde
les coeurs, connaît de loin les pensées de sa servante, et le Sauveur
songe à en guérir les plaies. C'est pourquoi il ne laisse pas tomber
le voile qui le couvre, afin de ne pas lui apparaître dans toute la
gloire de sa divine majesté. Elle serait tombée comme morte à ses
pieds, ainsi que cela arriva plus tard à saint Jean (Apoc.
I, 17).
L'ami de nos âmes a un autre moyen de se manifester au
plus profond de nos coeurs. Ce moyen, c'est sa voix que nous percevons
dans sa Parole. Il nomme sa pauvre servante par son nom :
Marie ! Que de fois n'a-t-elle pas entendu ce nom sortir
d'autres bouches ! Mais lorsque Jésus l'avait appelée pour la
première fois, il avait calmé son coeur et donné la paix à son âme.
Alors il l'avait marquée sur la paume de sa main, et elle, en lui
donnant son coeur, lui avait dit : « Tu es à
moi ! » Nul ne pouvait prononcer son nom comme Jésus :
Marie ! Ce son devait être particulier à la voix du
Sauveur. Alors se renouvelait dans son coeur ce qu'elle avait éprouvé
en cet heureux moment de sa vie où elle s'était trouvée en contact
avec lui. L'oreille et le coeur de Marie sont ouverts pour entendre la
Parole de Jésus : « Mes brebis entendent ma voix. »
« Quiconque est pont, la vérité écoute ma voix. » Il est
évident qu'en ce moment Marie reconnaît la voix de Jésus. Le voile de
tristesse qui enveloppait son âme est déchiré, et le soleil de la
grâce jette un doux et brillant rayon dans son coeur. Ce seul
mot : Marie ! lui ouvrit tout un monde d'amour, de
grâce et de gloire.
Le Bon Berger a trouvé le coeur de sa brebis. Quant à
elle, elle s'incline d'un coeur plein d'allégresse, et, tremblante de
joie, elle l'adore. Dans l'excès de son émotion, elle ne peut
prononcer qu'un mot, celui par lequel elle a constamment invoqué son
Seigneur : « Rabboni ! c'est-à-dire mon
Maître ! » Mais il suffit parfaitement pour nous faire
connaître l'état de son âme. Malgré la puissante émotion de son coeur,
elle demeure cependant absolument calme.
Nul doute que toute trace du crucifiement n'eût disparu
de la personne du Ressuscité, et que quelque chose de la gloire de la
transfiguration ne fût répandu sur ses traits. - Toutefois, Marie ne
voit rien de fantastique dans ce Roi de Pâques revenu à la vie. Elle a
retrouvé son Sauveur, elle a reconnu son Seigneur bien-aimé, dont la
Parole de vie a rempli son âme de paix, et aux pieds duquel, à
l'instar de Marie de Béthanie, elle a si souvent écouté la Parole du
royaume des cieux. Les choses sont pour elle comme s'il n'y avait eu
ni croix ni mort ; comme si elle eût été transportée au temps où,
altérée et attentive, elle était suspendue aux lèvres du Maître,
buvant les paroles de vie qui sortaient de sa bouche. De là le seul
moi auquel elle était habituée et qui trahissait la familiarité de son
commerce avec lui : Rabboni ! Mon Maître !
Marie veut lui baiser les pieds ; mais Jésus lui
dit : Ne me touche point. Je ne suis
pas encore monté vers mon Père. Marie s'abandonne tout
entière à la joie du moment. Elle pense que les relations qui avaient
existé jusqu'à la mort de Jésus entre lui et ses disciples, doivent
simplement être reprises. Jésus s'y oppose. Il ne faut pas que Marie
s'attache à cette apparition corporelle et visible. Il faut qu'elle
éloigne d'elle la pensée que le travail de Jésus sur la terre doive
continuer, que le Seigneur va de nouveau manger et boire avec ses
disciples, aller de lieu en lieu pour prêcher et faire des miracles.
Cette oeuvre est terminée. Il est ressuscité pour aller au Père, pour
fonder son royaume et conduire les siens du haut de son trône de
gloire. Marie ne doit pas se contenter du mince bonheur de l'embrasser
au moment où il lui apparaît sous une forme, visible ; elle doit
apprendre à le toucher avec la main de la foi et avec des lèvres qui
chantent ses louanges.
Mais va vers mes frères et
dis-leur que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu
et votre Dieu. Ce nom de frère, sorti de la bouche du
Ressuscité, est extrêmement précieux pour tout pécheur reçu en grâce.
Ainsi, même après avoir arraché à la mort sa puissance, même après
être sorti du tombeau comme Prince de la vie, même après avoir repris
possession de son trône comme dominateur du monde, il n'a pas honte de
se nommer notre frère. Un coeur de frère sur le trône de Dieu !
quelle consolation ! quel honneur, quel
puissant motif, pour notre coeur, de se confier en lui sans réserve et
pour l'éternité !
Marie Madeleine vint annoncer
aux disciples qu'elle avait vu le Seigneur et qu'il lui avait dit
cela. Quiconque a trouvé Jésus dans la foi, est
aussitôt consacré à son service pour lui rendre témoignage. Quiconque
a trouvé en Jésus la paix de son coeur, devient aussitôt un messager
de salut pour annoncer la paix aux coeurs qui en sont encore privés.
Quant aux messagers eux-mêmes, ce qui est précieux pour eux, c'est de
pouvoir dire : « J'ai vu le Seigneur et il m'a dit
cela. »
Quant aux autres femmes, l'ange leur a annoncé qu'elles
verraient le Seigneur en Galilée. Mais ce compatissant Sauveur voit
bien que ces pauvres femmes sont ballottées entre la crainte et
l'espérance. Elles voudraient bien croire, mais elles n'osent pas.
Elles sont chargées d'annoncer aux disciples la résurrection de leur
Maître, et elles-mêmes n'ont pas encore eu la joie d'en être
pleinement convaincues. Ceci attriste le Seigneur. C'est pourquoi il
va au-devant d'elles, avant qu'elles soient entrées dans la ville et
leur dit : Je vous salue.
Elles le reconnurent immédiatement, s'approchèrent, de lui, se
prosternèrent devant lui et l'adorèrent. Elles lui embrassèrent les
pieds et il les laissa faire. Il leur dit même : Ne
craignez point.
Ainsi le Ressuscité traite ces femmes autrement qu'il
n'avait traité Marie. C'est qu'il agit avec chacun selon ses besoins.
Il permet à ces femmes de toucher son corps, comme plus tard aux
disciples, afin qu'elles puissent se convaincre que c'est bien lui. Il
défend à Marie de le toucher, puisqu'elle ne doutait nullement que
celui qu'elle avait devant elle, ne fût bien le même dont la présence
visible avait été sa consolation, sa paix, le bonheur de sa vie. Mais
sa résurrection lui rappelait le passé, et elle aurait voulu renouer
simplement le fil de ses anciennes relations avec lui. C'est pourquoi
le Seigneur ne lui permet pas de le toucher, et exige d'elle qu'elle
l'adore en esprit et en vérité. Les autres femmes voyaient dans
l'apparition du Ressuscité quelque chose de fantastique, comme les
disciples auxquels il se montre le soir du même jour et qui furent
effrayés, croyant voir un esprit, tellement qu'il est
obligé de leur rappeler qu'un esprit n'a ni chair ni os. Il faut que
les femmes reconnaissent clairement dans le Ressuscité celui-là même
qui, sous la forme de serviteur, a habité parmi nous, et qui par son
enseignement et son amour, par ses souffrances et sa mort, a consommé,
l'oeuvre de leur salut. C'est pourquoi il les engage à le toucher.
Allez et dites à mes frères de
se rendre en Galilée et que c'est là qu'ils me verront.
Ainsi Marie ne s'était pas trompée, lorsqu'elle avait entendu Jésus
donner à ses disciples le titre de frères ; les autres femmes
avaient entendu la même parole consolante et pouvaient témoigner que
Marie avait dit la vérité. Et Marie et les autres femmes allèrent
ensemble l'annoncer aux disciples et à tous ceux qui étaient réunis
avec eux. Mais ce qu'elles leur disaient
leur parut un rêve et ils ne les crurent point.
Le fait que Pierre fut le premier homme et Marie la
première femme auxquels le Seigneur apparut après sa résurrection, et
non à Jean ou à Marie sa mère, ce fait est une preuve que, pour
accorder sa grâce réparatrice, il se règle non sur ses sympathies
personnelles, mais sur les besoins des âmes, et qu'il s'attache avant
tout à guérir les coeurs froissés et brisés.
Dans l'après-midi du jour de Pâques, deux disciples se rendaient à un
bourg appelé Emmaüs, éloigné de Jérusalem de soixante stades. Ils
n'avaient pu rester plus longtemps dans la ville qui tue les
prophètes. Et ils s'entretenaient entre eux
de tout ce qui était arrivé. Les plus chères espérances
de leur vie avaient été brisées en Golgotha. Le royaume de Dieu
semblait réduit en poussière ; les ennemis triomphaient ;
tout paraissait perdu. Et cependant ils ne pouvaient oublier Jésus.
Leurs coeurs lui étaient tellement attachés, que tout ce qui lui était
arrivé se répercutait en eux. Jésus était mort sur la croix, et dans
leurs coeurs il n'y avait non plus que mort et tristesse. Heureusement
que chacun d'eux n'était pas obligé de garder son chagrin en lui-même,
mais qu'ils pouvaient se communiquer réciproquement leurs impressions.
Là où des âmes s'entretiennent du Seigneur, Jésus se
trouve entier au milieu d'elles. Son oreille est tellement attentive à
chaque plainte dont il est l'objet, qu'elle pénètre aussitôt son
coeur. Comme ils s'entretenaient et qu'ils
raisonnaient ensemble, Jésus lui-même s'étant approché, se mit à
marcher avec eux, mais leurs yeux étaient retenus, en sorte qu'ils
ne le reconnaissaient point. Il est fidèle et tient sa
promesse : « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je
suis au milieu d'eux » - même lorsqu'on ne le voit pas des yeux
du corps. Et il leur dit : De quoi vous
entretenez-vous en chemin et pourquoi êtes-vous si tristes ?
Il commence par les engager à parler, afin de les préparer à
l'écouter. Pour que la Parole de Dieu guérisse notre coeur et le
remplisse de consolations et de force, il faut d'abord que nous le
répandions devant le Seigneur.
L'un d'eux, nommé Cléopas, lui
répondit : Es-tu le seul si étranger à Jérusalem, que tu ne
saches pas les choses qui s'y sont passées ces jours-ci ? Et
il leur dit : Et quoi ? Ils lui répondirent : Ce
qui est arrivé à Jésus de Nazareth, qui était un prophète puissant
en paroles et en oeuvres devant Dieu et devant tout le peuple, et
comment les principaux sacrificateurs et nos magistrats l'ont
livré pour être condamné à mort et l'ont crucifié. On
voit ici le fond du coeur de ces hommes : combien ils étaient
intimement unis à leur Maître, et combien, malgré toutes leurs
faiblesses et toutes leurs souffrances, ils tenaient à lui. La parole
qu'il leur avait annoncée était toujours pour eux l'immuable vérité de
Dieu, et le souvenir des oeuvres qu'il avait faites, demeurait gravé
dans leur esprit. Ils ne trouvent point de consolations hors de lui.
Leur coeur lui appartient maintenant comme auparavant.
Or, nous espérions que ce serait
lui qui délivrerait Israël. Le Seigneur avait
réellement opéré la délivrance sur la croix mais il l'avait fait
autrement que les disciples ne l'attendaient. - Si nos voeux et nos
espérances étaient mieux d'accord avec l'Écriture, nous aurions
beaucoup moins de sujets de plaintes. Il est
vrai que quelques femmes, de celles qui étaient avec nous, nous
ont fort étonnés. Car, étant allées de grand matin au sépulcre,
et n'y ayant pas trouvé son corps, elles sont venues dire que des
anges leur étaient apparus et leur avaient dit qu'il vivait. Et
quelques-uns des nôtres sont allés au sépulcre et ont trouvé les
choses comme les femmes l'avaient dit ; mais ils ne l'ont
point vu. Comme le coeur humain est prudent lorsqu'il
s'agit de croire à la Parole et de recevoir le joyeux message de
l'Évangile ! Il ne résiste pas aussi longtemps à l'attrait du
péché et des plaisirs mondains ; il y mord promptement.
Maintenant que les disciples se sont franchement exprimés
devant lui, le Seigneur prend la parole : 0
gens sans intelligence et d'un coeur tardif à croire ce que les
prophètes ont dit ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît
ces choses et qu'il entrât ainsi dans sa gloire ?
Jésus s'est joint à ses disciples pour consoler leurs coeurs désolés.
Toutefois, il commence par les reprendre. C'est ainsi qu'il agit
encore aujourd'hui, afin que sa Parole éveille la vie spirituelle dans
les âmes, et qu'un feu céleste s'allume dans les coeurs.
Puis, commençant par Moïse et
continuant par tous les prophètes, il leur expliquait dans toutes
les Écritures ce qui le regardait. Il leur parlait de
celui qui devait écraser la tête du serpent, d'Isaac qui portait
lui-même le bois, de l'holocauste jusqu'au lieu où il devait être
immolé. Moïse ne dit-il pas : Maudit soit quiconque est pendu au
bois ? C'est ainsi que Christ attaché à la croix, nous a
affranchis de la malédiction de la loi, avant été fait malédiction
pour nous. Ésaïe ne dit-il pas : Il a été navré pour nos forfaits
et froissé pour nos iniquités ; le châtiment qui nous apporte la
paix est tombé sur lui, et c'est par ses meurtrissures que nous avons
la guérison ? David ne dit-il pas par l'esprit prophétique :
Ils ont partagé mes vêtements et jeté le sort sur ma robe ? Ils
ont percé mes mains et mes pieds ? Zacharie ne dit-il pas ?
Ils ont pesé combien il valait, trente pièces d'argent, et le traître
a pris les trente pièces d'argent et les a jetées dans la maison de
Dieu, afin qu'elles fussent données à un potier ? David ne dit-il
pas au livre des Psaumes que Christ sera pendant un peu de temps
abandonné de Dieu, mais qu'ensuite il sera couronné de gloire et
d'honneur ? Ne dit-il pas au nom du Seigneur : Tu n'abandonneras
pas mon âme an sépulcre et tu ne permettras pas que ton Saint sente la
corruption ?
C'est ainsi qu'il leur expliquait les Écritures,
reprenait leur incrédulité et éveillait en eux la foi à la Parole de
Dieu. Leurs coeurs étaient calmés. Ils écoutaient avec une grande joie
les discours du Seigneur. Car la foi n'est pas seulement une froide
audition ou une simple adhésion de l'esprit ; elle est une
nourriture vivante et fortifiante de l'âme. Cette absorption des
paroles de Jésus par la foi, formait un lien solide autour de l'âme
des disciples. Combien ce trajet les avait intimement unis à Jésus,
bien qu'ils ne l'eussent pas reconnu, c'est ce dont ils s'aperçurent
seulement lorsqu'ils
approchèrent du lieu où ils allaient et que Jésus fit semblant
d'aller plus loin. Ils le contraignirent de s'arrêter en lui
disant : Demeure avec nous, car le soir commence à venir et
le jour est sur son déclin. Il entra donc pour demeurer avec eux.
Ils ne pouvaient se séparer de lui. Avant de bien savoir
ce que c'est qu'être séparé de Jésus, on croit pouvoir vivre sans lui,
et l'on s'imagine volontiers qu'on lui rend service lorsqu'on lui fait
l'honneur de s'occuper de lui. Mais lorsqu'on le retrouve après s'être
éloigné de lui pendant quelque temps, alors une voix sortant des
profondeurs de l'âme s'écrie « Je ne me séparerai jamais de
toi ! Seigneur, demeure en moi ! La fatigue qu'on éprouve à
entendre ou à lire la Parole de Dieu est une preuve qu'on n'a qu'une
piété extérieure. Au contraire, lorsqu'on ne se lasse jamais d'écouter
cette Parole, lorsqu'on trouve une saveur toujours nouvelle dans
l'amour de Jésus, lorsque le désir de demeurer dans sa
communion et de vivre en lui, devient de plus en plus ardent, au fur
et à mesure qu'il se prolonge ; alors c'est un signe que le coeur
a goûté les joies de la vie, qu'il s'est désaltéré à la source des
eaux vives et qu'on est intérieurement uni au Sauveur. Quiconque
dit : Je suis riche et rassasié, j'en ai assez de Jésus ; je
suis ennuyé de cette nourriture fade, celui-là ne l'a ni vu ni connu.
Jésus reste volontiers dès qu'on l'en prie, car toutes
ses voies tendent à établir une communion permanente entre nous et
lui. Et comme il était à table avec eux, il
prit du pain et ayant rendu grâces, il le
rompit et le leur donna. En même temps leurs yeux s'ouvrirent et
ils reconnurent Jésus, mais il disparut de devant eux.
Les disciples reconnurent Jésus pendant qu'il rompait le pain. La
participation au corps et au sang de Jésus-Christ ouvre les yeux et
fait reconnaître le Ressuscité dans le Crucifié. L'action de grâces
est aussi un signe auquel les disciples reconnaissent le Seigneur. Les
enfants du monde se signalent par leurs murmures ; les croyants,
au contraire, louent le Seigneur même sous la croix et dans les
larmes. Jésus disparut de devant eux. Leur commerce corporel et
visible avec lui devait bientôt de nouveau prendre fin. C'est ainsi
que les coeurs des disciples sont préparés aux relations du monde
invisible. Le Seigneur se soustrait à leurs regards, afin que sa
Parole pénètre d'autant plus profondément et agisse d'autant plus
énergiquement dans leurs âmes. Et lorsqu'un jour cette Parole aura
guéri toutes les plaies de nos coeurs, alors nous pourrons contempler
éternellement sa gloire, et le voir face à face.
Et ils se dirent l'un à l'autre : Notre coeur ne
brûlait-il pas en nous lorsqu'il nous
parlait en chemin, et qu'il nous expliquait les Écritures ?
Les coeurs des chrétiens sont des coeurs brûlant, des coeurs qui ont
trouvé le Dieu vivant et se sont unis à celui dont il est écrit qu'il
est un feu consumant. Le coeur brûlant est une preuve fondée sur
l'expérience que Jésus est ressuscité d'entre les morts. « Soyez
fervents d'esprit ! » Cela enflamme le coeur. Est-il déjà
arrivé qu'une Parole de Dieu ait enflammé ton coeur, lorsque tu lisais
la Bible ou que tu écoutais une prédication ? Sache qu'alors
c'était Jésus lui-même qui te parlait. Mais tes yeux étaient retenus
et tu ne l'as pas reconnu, et tu as cru que c'était seulement la
parole de l'homme qui te causait cette émotion !
La tristesse avait poussé les disciples dans la solitude,
la joie d'avoir vu le Ressuscité les ramène auprès de leurs frères. Et
se levant à l'heure même, ils retournèrent à Jérusalem, et ils
trouvèrent les onze et ceux qui étaient avec eux et qui
disaient : Le Seigneur est véritablement ressuscité et il est
apparu à Simon. Et ceux-ci racontèrent ce qui leur était aussi
arrivé en chemin, et comment ils l'avaient reconnu lorsqu'il avait
rompu le pain.
Alors il y eut un bienheureux échange d'impressions entre
ceux qui avaient vu Jésus.
Il est tard. Tous les apôtres, à l'exception de Thomas,
sont assemblés avec les autres disciples et s'entretiennent des
événements de cette journée. Ils s'étaient enfermés par crainte des
Juifs. Et pendant qu'ils étaient à table et
parlaient de lui, Jésus lui-même se présenta au milieu d'eux et
leur dit : La paix soit avec vous ! De même
qu'il avait disparu subitement aux yeux des deux disciples à Emmaüs,
il apparaît inopinément au milieu de ceux qui étaient réunis dans la
chambre haute. Il les salue en leur souhaitant la paix. Et ce souhait
n'est pas une parole vide : c'est un don. Car, chez le Seigneur,
les paroles et les actes vont toujours ensemble. La paix est le don de
Pâques que Jésus apporte aux siens du fond de son tombeau. Il est
lui-même notre paix. Dès qu'il pénètre dans nos coeurs, nous avons la
paix avec Dieu. En se donnant lui-même et en donnant sa paix, il
accorde en même temps tous les autres dons du ciel : le pardon
des péchés, la réconciliation avec Dieu, la délivrance de la puissance
de la mort et du diable, et la vie éternelle, Quel est donc le bien
dont on ne jouisse pas en Jésus ?
Mais eux, tout troublés et tout
épouvantés, croyaient voir un esprit. Son entrée au
milieu d'eux pendant que les portes de la chambre étaient fermées, est
pour les disciples une preuve de la glorification de son corps.
Cependant, afin qu'ils ne doutent pas que ce corps ressuscité est bien
le même qui a été crucifié, il leur dit : Pourquoi
êtes-vous troublés et pourquoi s'élève-t-il des pensées dans vos
coeurs ? Voyez mes mains et mes pieds, car c'est moi-même.
Touchez-moi et regardez-moi. Un esprit n'a ni chair ni os, comme
vous voyez que j'ai. En, leur disant cela, il leur montrait ses
mains et ses pieds. Les marques des clous dans ses
pieds et dans ses mains, devaient prouver aux disciples qu'il est bien
celui qu'ils ont vu attaché à la croix. Toutefois, comme ils ne
pouvaient encore, le croire, tant ils étaient transportés de joie et
d'admiration, il leur dit : Avez-vous quelque chose à
manger ? Et ils lui présentèrent un morceau de poisson rôti et un
rayon de miel, et il en mangea en leur présence.
Le Seigneur a à coeur de convaincre ses disciples, et de
nous convaincre nous-mêmes, que le corps ressuscité avec lequel il est
monté au ciel et s'est assis à la droite de la Majesté divine est bien
le même qui a été crucifié. Car si le corps glorifié était autre que
le corps humilié, les plaies d'où le sang de la réconciliation a coulé
ne seraient pas notre éternel avocat. Ce sang ne serait plus le sang
du Fils de Dieu qui crie de meilleures choses que celui d'Abel. C'est
pour ce motif aussi que les apôtres rendirent plus tard ce témoignage,
que le Ressuscité s'était présenté aux témoins qu'il avait élus, et avait
mangé et bu avec eux. Lorsque l'apôtre Jean écrivait, dans sa
première Épître : « Ce qui était dès le commencement, ce que
nous avons ouï, ce que nous avons vu de nos yeux, et que nous avons
contemplé et que nos mains ont touché concernant la Parole de vie,
c'est ce que nous vous annonçons, » il pensait probablement à cet
heureux moment du soir de Pâques.
Les disciples donc, voyant le
Seigneur, eurent une grande joie. La vue de Jésus
remplit le coeur de joie. Les disciples firent alors l'expérience de
ce que Jésus leur avait dit : « Je vous reverrai, et votre
coeur se réjouira et personne ne vous ravira votre joie. » Il
faut que leurs coeurs soient remplis maintenant de ce que leur bouche
devait plus tard communiquer à d'autres. Il faut qu'ils se soient
assurés par leurs propres yeux et qu'ils aient la joyeuse certitude
que Jésus ne pouvait être retenu par les liens de la mort. La gloire
du Ressuscité a, pour le coeur qui a le sentiment de ses fautes,
quelque chose d'effrayant et de fantastique, aussi longtemps qu'il ne
l'a pas reconnu à ses cicatrices, comme le Médiateur et le Rédempteur.
Elles sont pour les croyants les monuments de son amour et de sa
victoire, et en même temps de leur propre victoire et de leur
délivrance. Quant aux incrédules et aux hypocrites, au contraire, ces
cicatrices leur rappelleront qu'ils l'ont percé. Elles brilleront à
leurs yeux comme l'éclair et les rempliront d'une mortelle frayeur.
Il leur dit encore : La
paix soit avec vous ! Comme mon Père m'a envoyé, je vous
envoie aussi de même. Les disciples ayant reçu tant de
grâces, ne doivent pas en jouir égoïstement, comme si le Seigneur
n'était ressuscité des morts que pour eux, et
était apparu à eux seuls. Il faut qu'ils soient des messagers de paix
et qu'ils apportent au monde la paix de Jésus. Le Père n'a pas envoyé
son Fils au monde pour condamner le monde, mais afin que le monde soit
sauvé par lui, afin que l'Orient d'en-haut se lève sur ceux qui sont
assis dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort, et qu'il guide
leurs pas dans le chemin de la paix : Ces pensées de paix, il
faut que les disciples les portent aux hommes, afin que tous ceux qui
sont éloignés et ennemis de Dieu, deviennent ses enfants, heureux
héritiers et citoyens du royaume de son amour. Telle est la tâche
assignée aux disciples.
De plus, le Père a envoyé le Fils, non de manière à se
séparer de lui et à isoler son action de celle de son Envoyé. Le Fils
est uni au Père, même pendant sa carrière terrestre. Il est dans le
sein du Père. Il demeure dans le Père et le Père demeure en lui. C'est
aussi de cette manière que les disciples sont envoyés. Ils ne se
séparent pas de Jésus, comme s'ils devaient travailler sans lui.
Non ; il veut demeurer en eux et eux doivent demeurer en lui.
Solidement enracinés en lui, le portant vivant en eux, conduits par sa
main, c'est ainsi qu'ils doivent être ses témoins dans le monde. C'est
pourquoi la parole de l'apôtre n'est pas de lui, mais de celui qui l'a
envoyé. Comme Christ dit de lui-même : « Les paroles que je
vous dis, je ne les dis pas de moi-même, mais elles sont de celui qui
m'a envoyé, » de même il dit de ses apôtres : « Celui
qui vous écoute, m'écoute ; celui qui vous rejette, me
rejette, et celui qui me rejette, rejette celui qui m'a envoyé. »
Par ces paroles, Jésus installe de nouveau ses apôtres dans leur
apostolat. Par leur fuite en Gethsémané et par l'incrédulité qu'ils
manifestèrent plus tard, ils avaient abandonné leur mission.
Maintenant, Jésus la leur confère de nouveau, et, pour les rendre
capables de la remplir, il leur donne son Esprit,
Et quand il leur eut dit cela,
il souffla sur eux et leur dit : Recevez le Saint-Esprit.
Ceux à qui vous pardonnerez les péchés, ils leur seront pardonnés,
et ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus.
Ces coeurs timides et craintifs, ces roseaux froissés doivent se
mettre à l'oeuvre pour renouveler le monde, pour ramener les enfants
perdus au coeur paternel de Dieu. Il faut qu'ils
continuent victorieusement l'oeuvre à laquelle le Seigneur semble
avoir consacré en vain sa peine et son travail. Quelle pensée !
quelle tâche ! Mais ils peuvent entreprendre ce travail avec
courage et intrépidité. Il ne les laissera pas seuls. Pour cette
oeuvre surnaturelle, il leur communiquera une force surnaturelle. Par
leur contact avec le souffle vivifiant du Ressuscité, ils seront
rendus capables de remplir cette mission de l'Esprit, mission qui
consiste à prêcher la réconciliation, et pour laquelle ils auraient
été aussi incapables par eux-mêmes que des os desséchés.
Ce pouvoir de pardonner et de retenir les péchés, est la
plus précieuse et la plus consolante mission que le Ressuscité ait
laissée à son Église. Et la plus consolante partie de cette mission
incombe aux serviteurs de Dieu dans l'église, au chevet des mourants,
et en général partout où se trouvent des consciences troublées et
angoissées. Et ils s'en acquittent, en leur annonçant et en leur
promettant la paix que Jésus leur a acquise sur la croix. Cette partie
de leur ministère, ils doivent aussi l'exercer contre les coeurs
endurcis, en dénonçant le déplaisir et la colère de Dieu à tous ceux
qui ne veulent pas se laisser reprendre par le Saint-Esprit. Qu'ils se
gardent de jeter les perles de la grâce devant les pourceaux et les
choses saintes du pardon des péchés aux chiens !
Chapitre précédent | Table des matières | Chapitre suivant |