Or, Thomas, l'un des douze, appelé Didyme,
n'était pas avec eux lorsque Jésus y était venu. Les autres
disciples lui dirent donc : Nous avons vu le Seigneur. Mais
il leur dit : Si je ne vois les marques des clous dans ses
mains, et si je ne mets mon doigt dans la marque des clous, et si
je ne mets ma main dans son côté, je ne croirai point.
La tristesse qui remplissait le coeur de Thomas, l'avait poussé lui
aussi dans la solitude. C'est ainsi qu'il n'avait pas pu voir le
Ressuscité. Les autres disciples lui disent qu'ils l'ont vu, mais il
ne veut pas les croire. En réalité, dans son profond chagrin au sujet
de Jésus, il ne demanderait pas
mieux que de croire. Mais dans sa pensée, il est
impossible que Jésus, qui est mort, soit revenu à la vie. Et, comme il
sent encore la douleur que lui a causée cette mort lui brûler le
coeur, il n'ose pas croire à la résurrection, de peur que cette
douleur ne soit encore plus vive, s'il arrivait que tout cela ne fût
qu'une illusion. Aussi veut-il être prudent. Il faut que ses propres
yeux et ses propres mains lui fournissent la preuve de ce qu'il doit
croire. Il se dit que Marie et les autres femmes, Pierre et Cléopas et
tous les autres peuvent s'être trompés. Il n'a de confiance qu'en
lui-même et en lui seul.
On rencontre encore de pareilles dispositions : des
esprits qui ne veulent croire que ce qu'ils peuvent voir et toucher.
Tout ce qui ne tombe pas sous les sens, est pour eux nul et non avenu.
Ce qu'ils n'ont pas expérimenté, ce qu'ils ne peuvent pas comprendre
et expliquer, ils le regardent tout simplement comme chimérique et
illusoire. Dans de telles dispositions, il n'y a proprement plus de
place pour la foi. Or, on ne peut ni voir ni toucher Dieu, pas plus
que la vie éternelle. Logiquement, ceux qui font des sens les juges de
la foi, devraient rejeter toute espèce de religion. Heureusement que,
dans certains coeurs et dans certaines consciences, la soif du Dieu
vivant est plus puissante que les raisonnements de l'intelligence et
toutes les considérations suggérées par les sens. Tel était aussi le
cas de Thomas.
Huit jours après, comme les
disciples étaient encore dans la maison, et que Thomas était avec
eux, Jésus vint, les portes étant fermées. Et il fût là au milieu
d'eux et leur dit : La paix soit avec vous !
Le Sauveur apparaît de nouveau un dimanche et consacre ainsi ce jour
comme le jour du Seigneur. Les disciples sont encore tous réunis à
Jérusalem, bien que Jésus leur ait donné rendez-vous en Galilée. C'est
que les doux souvenirs que leur ont laissés leurs expériences et les
apparitions du jour de Pâques, les enchaînent encore dans cette ville.
Thomas brisé, profondément triste et plongé dans ses doutes, entend le
salut de paix du Seigneur. Mais il n'ose pas l'accepter pour lui-même.
Et cependant, c'est à lui aussi que Jésus offre la paix, qu'il a
acquise en Golgotha. Même aujourd'hui, ce souhait de paix s'adresse à
Thomas plus directement qu'à tous les autres. Car
le Seigneur se tourne vers lui et lui dit : Mets
ici ton doigt, et regarde mes mains - avance aussi ta main et la
mets dans mon côté, et ne sois plus incrédule, mais crois.
Jésus constate l'incrédulité de Thomas, mais il constate
aussi que ce n'est pas une incrédulité froide et railleuse, qui, à la
face des disciples, se moque de leur foi. Le Seigneur sait que Thomas
ne demanderait pas mieux que de croire. C'est pourquoi il vient à lui
plein de ménagements, dans son miséricordieux amour de Sauveur. Il lui
accorde son désir téméraire ; et par les mêmes paroles dont
Thomas s'est servi, il lui permet de se former, au moyen de son doigt
et de sa main, une conviction que le témoignage unanime de tous les
autres disciples n'avait pas pu faire naître. À l'ouïe de ces paroles,
Thomas semble avoir été dans les mêmes dispositions que Nathanaël
lorsque le Seigneur lui dit : « Avant que Philippe
t'appelât, je t'ai vu, lorsque tu étais sous un figuier. »
Le Seigneur déchire le voile qui obscurcissait l'âme de
l'un et de l'autre, lorsque, par ses paroles, il se révèle comme le
témoin invisible de toutes les actions et de toutes les paroles, qui
voit jusqu'au fond des âmes et auquel rien n'est caché. Thomas est
honteux de son incrédulité. Il adore et s'écrie : Mon
Seigneur et mon Dieu ! Il est difficile de se
figurer que Thomas, profitant de la permission du Seigneur, ait mis la
main dans son côté. Du moins, cela n'est pas mentionné. On peut penser
que le désir de le faire disparut, lorsque Jésus lui dit, avec une
grande douceur, mais en même temps avec un profond sérieux : Ne
sois plus incrédule, mais crois. Cela est également rendu
invraisemblable par le zèle avec lequel il confesse son Maître, et
surpasse tous les autres disciples. Car Thomas est le premier membre
de la communauté chrétienne qui se soit écrié, en se prosternant aux
pieds de Jésus : Mon Seigneur et mon Dieu ! Cette
confession, qui serait un blasphème si elle s'adressait à un homme,
Jésus l'accepte. Il sait que cette confession exprime non seulement là
véritable essence de sa personne, mais encore qu'elle est l'expression
fidèle et sincère de la foi qui remplit le coeur de Thomas.
Cependant le Seigneur ne loue pas la foi de ce disciple
comme il le fait volontiers partout où il en
trouve, comme il loue celle de la Cananéenne, celle du centenier de
Capernaüm, même celle de Simon Pierre. S'il l'avait fait, il aurait
paru approuver la voie par laquelle Thomas y est parvenu, et c'est ce
qu'il ne voulait absolument pas faire. Au contraire, il veut montrer
que le moyen par lequel Thomas a cru, constitue une exception, qu'il
veut bien admettre dans son miséricordieux amour. C'est pourquoi il
lui dit : Parce que tu m'as vu, Thomas,
tu as cru ; Heureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont
cru ! La véritable voie pour parvenir à la foi est
la suivante : Se confier sans condition à sa Parole, et s'appuyer
sur celui qui ressuscite les morts et qui appelle les choses qui ne
sont pas comme si elles étaient (Rom.
IV, 18). Ce qui sauve, ce n'est pas ce qu'on voit des yeux du
corps, mais c'est la foi, qui est une vive représentation des choses
qu'on espère, et une démonstration de celles qu'on ne voit point.
Les disciples se rendirent en Galilée, d'après l'ordre de Jésus.
C'est là qu'ils retrouvèrent vivant, le souvenir de toutes les
expériences qu'ils avaient faites avec le Sauveur. La petite ville de
Cana leur rappelait le miracle du changement de l'eau en vin, par
lequel le Seigneur avait manifesté sa gloire ; Capernaüm ! -
que de miracles n'y avait-il pas opérés ! Combien de fois
n'avait-il pas enseigné dans la synagogue de cette ville ! À Naïn,
il avait ressuscité un jeune homme. C'est sur cette colline qu'il
avait prononcé le sermon de la montagne. C'est dans ce désert qu'il
avait rassasié des milliers de personnes avec quelques pains. Ici
s'élève la montagne de la transfiguration. Là, c'est la mer,
au bord et sur les flots de laquelle ils avaient été témoins de sa
puissance miraculeuse. C'est sur une de ces hauteurs que le Seigneur
avait donné rendez-vous à ses apôtres et à ses disciples. Mais le jour
et l'heure n'étaient pas encore venus. C'étaient Simon Pierre, Thomas,
Nathanaël, Jacques et Jean et deux autres qui, formant une société
particulière dans le cercle plus étendu des disciples, devaient être
aujourd'hui témoins de la résurrection du Sauveur. Leurs coeurs
étaient plus étroitement unis les uns aux autres,
par leur expérience commune des faits divins qui s'étaient produits
dans le cours de ces trois dernières années, et par leur commun amour
pour Jésus. Dans ces dispositions, et après de telles expériences, les
sujets de conversation ne manquaient pas entre eux, et le temps
passait rapidement.
Simon Pierre leur dit : Je
m'en vais pêcher. Ils lui dirent : Nous y allons aussi avec
toi. Ceci a pu paraître extraordinaire à plus d'un
chrétien, mais c'est une preuve du calme et de l'humilité de ces
disciples. Ils avaient tout abandonné, même leur vocation terrestre,
pour suivre Jésus. Ils savaient qu'ils avaient reçu un appel pour
travailler à l'établissement du royaume de Dieu. Le Seigneur le leur
avait encore rappelé le soir même de Pâques. Mais les dernières
instructions qu'ils devaient recevoir, et la vertu d'en haut dont ils
devaient être revêtus, ne leur avaient pas encore été communiquées.
Ils attendaient donc le Seigneur depuis quelque temps. Mais il était
pénible à Pierre de se livrer tout entier aux jouissances
spirituelles, en se faisant entretenir par une hospitalité étrangère.
Il veut gagner son pain par le travail de ses mains.
Sa parole a trouvé un écho sympathique dans ses
compagnons. Ils allèrent donc ensemble, et
entrèrent dans une barque, mais ils ne prirent rien cette nuit-là.
Bien qu'ils fussent les élus de Dieu et que le Seigneur les eût
choisis pour renouveler le monde par leur moyen, ils n'avaient pas
honte de leur humble métier de pêcheurs. D'autres se seraient
peut-être demandé s'il était convenable pour eux de se montrer aux
yeux des hommes, absorbés par une activité ayant trait à des choses
aussi minimes et aussi terrestres. Les disciples ne planent pas sur de
telles hauteurs. Ils sont sous la croix et ils ont été rendus humbles
par la croix. Jésus ne prend pas d'abord part à leur travail, afin de
les bénir ensuite d'autant plus richement.
Le matin étant venu, Jésus se
trouva sur le rivage, mais les disciples ne savaient pas que
c'était Lui. - Jésus se trouve toujours au bon moment
partout où l'on a besoin de lui. Mais les disciples le prirent pour un
étranger : leurs yeux étaient retenus. Il ne fallait pas qu'ils
le reconnussent de leurs yeux, afin de s'habituer
à le reconnaître à ses oeuvres, malgré l'obscurité qui pouvait encore
l'envelopper. Jésus leur dit : Enfants,
n'avez-vous rien à manger ? Ils lui répondirent : Non.
Il leur dit : Jetez le filet du côté droit de la barque et
vous en trouverez. Ils le jetèrent donc, mais ils ne pouvaient
plus le retirer à cause de la grande quantité de poissons.
Celui qui s'étonne que les disciples n'aient pas reconnu Jésus à
l'ordre de jeter le filet du côté droit de la barque, puisque cet
ordre devait leur rappeler celui d'avancer en pleine eau et de jeter
leurs filets (Luc
V, 6), celui-là oublie combien le pauvre coeur humain perd
promptement le souvenir des grâces qu'il a reçues dès qu'il est pressé
par une nouvelle épreuve.
Alors le disciple que Jésus
aimait dit à Pierre : C'est le Seigneur ! Et quand
Pierre entendit que c'était le Seigneur, il se ceignit de sa robe
de dessus, car il était nu, et il se jeta dans la mer. Mais les
autres disciples vinrent avec la barque, tirant le filet plein de
poissons, car ils n'étaient éloignés de terre que d'environ deux
cents coudées. Avec le coup d'oeil d'aigle de l'amour,
Jean reconnaît celui dont l'amour fait le bonheur et la gloire de sa
vie. Même dans son travail de pêcheur, le coeur de Jean n'oublie pas
l'origine de sa vie spirituelle. Voilà pourquoi il distingue si
promptement la gloire du Fils unique du Père. Cette parole : C'est
le Seigneur, fait aussitôt une profonde impression sur
Pierre. Elle est pour lui un trait de lumière, et immédiatement il
redevient le disciple énergique que nous connaissons. Le court espace
qui le sépare du rivage lui parait démesurément long. Son ardent amour
le pousse vers le Bien-aimé. Il se jette dans la mer. Jésus l'attire
au rivage comme un aimant. Il se sent pardonné. C'est pourquoi il n'y
a plus dans son coeur nulle trace de cette frayeur qui lui faisait
dire : « Seigneur, retire-toi de moi, car je suis un homme
pécheur ! »
Le pécheur reçu en grâce se jette dans les bras de son
Sauveur ; il ne veut plus être séparé de lui. Les autres
disciples, bien qu'ils aient entendu l'exclamation de Jean et qu'ils
aient vu Pierre se jeter dans la mer, s'approchent lentement du bord,
de peur de perdre la riche bénédiction renfermée dans leur filet.
Quelle diversité de dons dans une même grâce ! chez Jean, Pierre
et les autres disciples ? Puissions-nous
cependant apprendre quelque chose de chacun d'eux : de Jean, ce
simple et limpide regard de la foi qui reconnaît le Seigneur à ses
oeuvres ; de Pierre, cet amour actif qui se hâte au-devant du
Sauveur, avec un coeur brûlant ; - des autres disciples, la
fidélité et l'obéissance au moyen desquelles on s'approche lentement,
mais continuellement de Jésus, par la sanctification.
C'est le Seigneur ! Puisse le regard de la
foi éclairer nos coeurs, toutes les fois que Dieu nous bénit au-delà
de ce que nous demandons et pensons, malgré notre infidélité,
tellement que cette bénédiction nous brûle comme des charbons
ardents ! - C'est le Seigneur ! Cette parole
retentit dans nos coeurs lorsque, après avoir fait une chute, nous
pouvons de nouveau croire au pardon de nos péchés. Le disciple que
Jésus aime l'adresse en nous au disciple que Jésus a affligé. - C'est
le Seigneur ! Puisse cette parole se faire entendre,
lorsque les obscurs nuages de l'affliction ou des nécessités
terrestres nous voilent la face du soleil de la grâce lorsque
l'éternel amour nous blesse en réclamant de nous des sacrifices que
notre coeur ne veut pas accepter, lorsque tout s'assombrit à nos
yeux ! Puisse alors un rayon de lumière venant du sanctuaire,
pénétrer dans nos coeurs défaillants, tellement qu'ils puissent
dire : C'est le Seigneur ! et se sentir
restaurés ! Et à notre dernière heure, puisse le fidèle Sauveur
nous envoyer un des disciples qu'il aime, pour préparer notre âme au
passage qui la conduit à la maison du Père, en nous répétant cette
parole pleine de consolation : C'est le Seigneur !
Que Dieu nous fasse la grâce d'être prêts! « Les royaumes du
monde sont soumis à notre Seigneur et à son Christ, et il régnera au
siècle des siècles ! »
Quand il furent descendus à
terre, ils virent de la braise qui était là et du poisson dessus
et du pain. Il est évident que le Seigneur ne pensait
pas à ses propres besoins, lorsqu'il demandait à ses disciples s'ils
n'avaient rien à manger. Qu'il se soit procuré ces poissons et ce pain
par sa puissance créatrice ou qu'il les ait reçus par l'intermédiaire
d'un ange, cela importe peu. Jésus leur
dit : Apportez les poissons que vous venez de prendre.
Il faut qu'ils contribuent aussi au repas en joignant leurs provisions
à celles que le Seigneur leur avait préparées. Simon,
Pierre remonta dans la barque et tira le filet à terre, plein de
cent cinquante-trois grands poissons ; et quoiqu'il y en eût
tant, le filet ne se rompit point. Le Seigneur n'oublie
pas plus les siens après sa résurrection glorieuse qu'il ne les avait
oubliés dans son état d'abaissement. Voilà ce qu'ils doivent fermement
croire lorsque, dans leur carrière future, la disette et la nécessité
les assailliront comme un homme armé.
Jésus leur dit : Venez et
mangez. Et aucun des disciples n'osait lui demander : Qui
es-tu ? sachant que c'était le Seigneur. Jésus donc
s'approcha, et prenant du pain, il leur en donna et du poisson
aussi. Les disciples sont invités par le Seigneur en
qualité d'hôtes. Ils savent que c'est lui, mais ils n'osent pas le
questionner. Il semblerait qu'ils eussent dû le saluer cordialement et
familièrement, après l'avoir reconnu. Mais le Sauveur leur fait sentir
que les anciennes relations ne peuvent plus exister entre eux, mais
qu'elles doivent prendre un caractère nouveau. Bientôt ils ne pourront
plus le voir de leurs yeux ; il faudra qu'ils le reconnaissent à
ses oeuvres.
Ce fut déjà la troisième fois
que le Seigneur se fit voir à ses disciples après sa résurrection.
Jean ne veut pas dire que c'était la troisième apparition de Jésus
après sa résurrection, mais que c'était la troisième fois qu'il
apparut à ses disciples, c'est-à-dire à un plus grand nombre d'entre
eux. Ces apparitions dans un cercle plus étendu de ses disciples, sont
au nombre de cinq :
- 1° Aux dix disciples le soir de Pâques ;
- 2° Aux onze disciples huit jours plus tard
- 3° Aux sept disciples sur le lac de Tibériade
- 4° Aux onze disciples avec cinq cents frères sur une montagne de la Galilée ;
- 5° Aux onze disciples lors de son ascension.
Les apparitions qui furent accordées à un seul ou à quelques-uns seulement des disciples sont aussi au nombre de cinq
Après qu'ils eurent dîné, Jésus dit à Simon
Pierre Simon fils de Jona, m'aimes-tu plus que ne font
ceux-ci ? En ce moment, Jésus a quelque chose de
particulier à traiter avec Pierre. Il ne le nomme plus par son nom
d'apôtre ; il l'appelle par son nom de famille. De sa nature, il
était Simon fils de Jona, et il devait devenir toujours plus
complètement, par la grâce de Dieu, Simon Pierre. Auprès de cet autre
feu, dans la cour du palais du souverain sacrificateur, Pierre avait
renié son Maître en disant : « Je ne connais pas cet
homme, » et par là il avait perdu son nom de disciple et sa
dignité d'apôtre. La grâce du Seigneur l'avait relevé, afin qu'il pût
s'asseoir avec joie aux pieds de son Maître avec les autres disciples.
Mais, à côté de la grâce, la vérité et la sainteté réclament aussi
leur droit. Il fallait que les six autres disciples fussent témoins
que la plaie que Pierre s'était faite par son reniement, était guérie
et qu'il pouvait, lui aussi, goûter la paix du Ressuscité. Il devait
être évident, à la face du ciel et de la terre, et même de l'enfer,
qu'il n'y avait plus, ni dans le coeur ni dans la conscience de
Pierre, aucun obstacle à sa réintégration dans sa vocation d'apôtre.
Le Seigneur lui dit : « M'aimes-tu plus que ne
font ceux-ci ? » Cette question dut immédiatement ramener
l'esprit de Pierre à cette nuit terrible et décisive du dernier repas
pascal, dans laquelle Jésus institua la sainte Cène et prédit à ses
disciples leur défection. Quelle assurance Pierre ne montra-t-il pas
alors ! « Quand même tous les autres se scandaliseraient en
toi, je ne serai cependant pas scandalisé. » Comment son amour
s'était-il montré plus fidèle et plus ferme que celui des autres
disciples ? Comment avait-il tenu parole ? Est-ce que son
amour est plus fort et plus constant que celui des autres
disciples ? Simon aurait pu invoquer, comme preuve toute récente
de son ardent amour, l'empressement qu'il avait montré, il y avait à
peine une heure, en se jetant dans la mer afin de rejoindre son Maître
avant tous les autres. Que pense Simon de lui-même et de son
amour ? Il ne peut parler que de celui dont son coeur est rempli.
Il ne songe pas à se comparer aux autres, auxquels
il ne pense même pas. Il ne s'en rapporte pas non plus à son propre
sentiment, mais au seul jugement du Seigneur.
Oui, Seigneur, tu sais que je t'aime. Et le Seigneur,
qui voit la droiture du coeur de son disciple, lui remet en main son
oeuvre de prédilection : Pais mes
agneaux.
Après la pêche miraculeuse, qui avait eu lieu trois ans
auparavant, il avait dit à Pierre : « Désormais tu seras
pêcheur d'hommes vivants. » Par ces paroles, le Seigneur
désignait l'apostolat plutôt par son côté extérieur. Ici, il introduit
son disciple au coeur même de sa mission, qui consistera à nourrir
chaque âme en particulier du pain de la Parole et à la lui amener.
Parmi les brebis du troupeau, qu'il s'est acquises par son sang, et
que le Père lui a données comme prix de ses souffrances, celles qui
lui tiennent le plus au coeur, ce sont les commençants, les enfants
nouvellement nés, les pauvres en esprit, les coeurs timides, qui
n'osent pas s'approprier le salut et qui, repentants, soupirent après
le Sauveur. Ces agneaux, y compris les moins avancés en âge, le bon
Berger les confie à ses subordonnés, afin qu'ils prennent soin de
leurs âmes.
Le Seigneur demande une seconde fois à Pierre : Simon,
fils de Jona, m'aimes-tu ? Dans cette question,
Jésus ne parle plus de comparaison. Il demande si Pierre l'aime d'un
amour sincère. Voilà ce dont il faut que Simon se rende exactement
compte. Cette question pourrait paraître superflue. Il va de soi que
celui qui s'est joint au Seigneur, doit nécessairement l'aimer. Le
Sauveur ne trouve pas du tout cette question superflue. Il l'adresse,
non seulement à Pierre, mais aussi à toi, coeur chrétien. M'aimes-tu
en vérité ? Pour un disciple, il est honteux d'être rendu
attentif à un manque d'amour, mais ce manque ne peut être comblé que
lorsqu'on se laisse reprendre à son sujet. Ce défaut d'amour pour le
Sauveur, n'est pas seulement attesté par la froideur ou l'inimitié,
mais aussi par l'égoïsme, et l'amour-propre.
Celui à qui il a été beaucoup pardonné, aime beaucoup.
Dès lors, il y a manque d'amour, dès qu'on ne se réfugie pas chaque
jour auprès de Jésus, avec la foule des péchés qu'on a commis, dès
qu'on ne lave pas chaque jour ses vêtements dans le sang de l'Agneau.
C'est pourquoi ceux-là seuls aiment avec ardeur, qui, dans le
sentiment de leurs péchés, ne vivent que de grâce. C'est aussi
pourquoi Simon peut hardiment regarder le Seigneur en face et lui
dire : Oui, Seigneur, tu sais que je
t'aime, car, dans cette nuit terrible, lorsqu'il sortit
et pleura amèrement, il se sentit un pauvre pécheur. Il
lui dit : Pais mes brebis. Non seulement ceux qui
commencent à croire, mais tout le troupeau de l'Évêque des âmes est
confié à la garde fidèle et aux soins diligents de Pierre.
Jésus lui demande pour la troisième fois : Simon,
fils de Jona, m'aimes-tu ? Celui-là seul est
capable de remplir les fonctions de berger, qui aime Jésus de tout son
coeur. Ce que le Seigneur exige de Pierre, c'est un coeur brûlant
d'amour pour lui, et une vie qui lui soit absolument consacrée. C'est
ce que Pierre est prêt à donner. Mais, lorsque le Sauveur lui demande
pour la troisième fois s'il l'aime, cette question lui rappelle
douloureusement sa triple infidélité, pendant cette nuit où les
assurances qu'il avait données de son amour pour son Maître avaient si
ignominieusement tourné à sa confusion.
Pierre fut attristé de ce qu'il lui avait dit pour la troisième
fois : M'aimes-tu ? Il aurait pu lui
répondre : Je t'aime, mais pas autant que je voudrais t'aimer. Il
sent qu'après cette chute profonde, les protestations d'amour que sa
bouche prononce, n'ont plus guère de valeur. C'est pourquoi il en
appelle à l'infaillible jugement du Seigneur lui-même. Il lui
dit : Seigneur, tu sais toutes
choses ; tu sais que je t'aime.
Ce qui lui avait été enseigné naguère, non par la chair
et le sang, mais par le Père qui est dans le ciel, répand de nouveau
une brillante lumière dans son coeur, maintenant qu'il s'est
douloureusement aperçu que Jésus veut lui rappeler exactement tous les
détails de sa chute. Tu sais toutes choses.
Par ces paroles, Pierre rend le même témoignage que Thomas rendit par
cette exclamation : Mon Seigneur et mon Dieu ! Le
triple reniement devait être suivi d'une triple protestation d'amour.
C'est ainsi que Jésus l'entend, et il lui confère pour la troisième
fois la mission de lui amener les âmes : Pais
mes brebis.
Cette mission du Crucifié impose une lourde croix et
conduit sur un chemin qui répugne absolument à la nature. Pierre en a
appelé à la toute-science du Seigneur, et le
Seigneur lui en donne immédiatement une nouvelle preuve. En
vérité, en vérité je te dis, lui dit-il, - et Pierre ne
doutera pas une seconde fois de l'infaillibilité de cette parole, - lorsque
tu étais jeune, tu te ceignais toi-même et tu allais où tu
voulais ; mais lorsque tu seras vieux, tu étendras les mains,
et un autre le ceindra et te mènera où tu ne voudrais pas. Jésus
lui dit cela, pour marquer de quelle mort Pierre devait glorifier
Dieu. Avant que ses forces naturelles fussent brisées,
Pierre suivait sa propre voie, et bien que le Seigneur lui eût
dit : « Tu ne peux pas me suivre maintenant », il
l'avait cependant suivi. La volonté propre, attestée par cette
démarche, devait être détruite. Lorsque Pierre mourut sur la croix, il
étendit ses mains dans la libre obéissance de la foi, se laissa
ceindre et conduire d'une manière qui répugnait à la nature. Mais la
grâce lui donna la force de sceller de son sang le témoignage d'amour
qu'il rendit au Seigneur.
Après avoir ainsi parlé, Jésus lui dit : Suis-moi.
Si Pierre n'avait pas bien compris la parole : « Tu étendras
les mains », le « Suis-moi » dut la lui expliquer. Cet
ordre devait immédiatement lui rappeler cette autre parole : Si
quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à soi-même, qu'il se
charge de sa croix et qu'il me suive. Il dut lui rappeler aussi
ce que Jésus lui avait dit à lui-même la nuit de la Passion : Tu
me suivras ci-après. Et Pierre a suivi l'Agneau de Dieu sur le
chemin du martyre. Celui qui eut part aux souffrances de Christ et qui
en fut témoin, n'a rien de commun avec l'éclat mondain et la pompe de
ceux qui se disent les successeurs de Pierre.
Et Pierre s'étant retourné, vit
venir à lui le disciple que Jésus aimait, celui qui, pendant le
souper, était penché sur le sein de Jésus et lui avait dit :
Seigneur, qui est celui qui te trahira ? Pierre donc l'ayant
vu, dit à Jésus : Seigneur, et celui-ci, que lui
arrivera-t-il ? Pierre ne comprend évidemment pas
que son amour pour le Seigneur doive être si rudement éprouvé, tandis
que Jean devait avoir une vie plus douce. En comparant son avenir avec
celui de Jean, il craignait sans doute que le martyre qu'on lui
annonçait, ne fût encore un châtiment de son reniement. Il y avait en
tout cas, dans cette question, quelque chose qui n'était pas né de la
grâce. C'est pourquoi le Seigneur le reprend en lui disant : Si
je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, que
t'importe ? Toi, suis-moi. Le Seigneur repousse
avec une sévérité inattendue cette question de son disciple. Il est
probablement mû par le même motif qui l'avait porté à signifier à sa
mère, aux noces de Cana, de se renfermer dans la sphère de son
humanité. La doctrine de la primauté de Pierre, avec toutes les
prétentions qu'on a fondées sur elle, semblerait appuyée sur
l'Écriture, si le Seigneur avait révélé à ce disciple l'avenir de
saint Jean ! Le fait que Jésus a repoussé celle question
indiscrète relativement à ses desseins, et cette immixtion téméraire
dans son gouvernement, ce fait contredit directement cette doctrine
anti-biblique, d'après laquelle Pierre serait le représentant de
Christ sur la terre.
Ce qui fit courir le bruit parmi
les frères que ce disciple ne mourrait point. Cependant Jésus
n'avait pas dit : Il ne mourra point, mais il avait seulement
dit : Si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, que
t'importe ? Même parmi les frères, qui cependant
aimaient la vérité, la parole du Seigneur avait été mal interprétée.
L'apôtre a rectifié cette erreur en écrivant son Évangile. Nous voyons
par là, combien la parole écrite est plus sûre que la tradition orale.
À la vérité, le Seigneur parle conditionnellement : Si je
veux. Mais Jean s'approprie par la foi cette expression de son
Maître, et est convaincu qu'il demeurera jusqu'à ce que le Seigneur
vienne. En effet, Pierre avait depuis longtemps terminé sa carrière,
que Jean demeurait encore. Il demeurait, lorsqu'aucun des apôtres
n'existait plus. Il ne demeura pas jusqu'à ce que le Seigneur vint sur
les nuées du ciel pour juger les vivants et les morts, mais il vit le
premier et terrible signe de son avènement : la destruction de
Jérusalem. Il demeura jusqu'à ce que le Seigneur vint à lui dans l'île
de Pathos, et lui révéla l'avenir de son Église, afin qu'il en tendit
témoignage à ses frères.
Dans les apparitions dont le Seigneur avait jusqu'ici favorisé ses
disciples, il avait seulement pour but de les convaincre de la réalité
de sa résurrection. Déjà le soir de Pâques, il leur avait parlé de
leur mission future ; plus tard, sur le lac de Tibériade, il
avait expressément réintégré Pierre dans sa charge d'apôtre.
Cependant, une ordination solennelle, par laquelle il les consacrait
comme ses envoyés, n'avait pas encore en lieu. De plus, le Seigneur ne
s'était pas encore montré vivant à la foule des croyants. Cette
ordination devait avoir lieu en Galilée, où il avait donné rendez-vous
à tous ses disciples. En présence de plus de cinq cents frères, le
Seigneur investit ses apôtres de leur charge, et les consacre
solennellement pour leur mission, afin que tous les considèrent comme
ses messagers. Le Sauveur avait un grand peuple en Galilée. Il veut se
présenter publiquement à tous ceux qui ont cru en lui, afin de les
consoler et les réjouir. Et les onze
disciples s'en allèrent en Galilée, sur la montagne où il leur
avait ordonné d'aller ; et quand ils le virent, ils
l'adorèrent, même ceux qui avaient douté. Aussitôt que
la multitude des croyants le vit, elle tomba à ses pieds, comme
naguère Thomas, pour l'adorer.
Quelques-uns avaient douté, non de la réalité de la
résurrection de Jésus, mais de l'identité de leur Jésus avec celui
qu'ils voyaient maintenant de leurs yeux. Il n'y avait plus désormais
en eux aucun doute provenant de l'incrédulité, mais les disciples ne
pouvaient pas immédiatement se ressaisir en présence de cette
merveilleuse alliance d'une gloire céleste, unie à une bienveillance
et à une affabilité tout humaines qu'ils trouvaient en Jésus. C'est
pourquoi le Seigneur ne les blâme point. Il s'approche d'eux, leur
parle et leur dit : Toute-puissance m'a
été donnée dans le ciel et sur la terre. Cette
toute-puissance au ciel et sur la terre, il la partageait comme Fils
de Dieu, de toute éternité, avec le Père. Mais maintenant, son
humanité, inséparablement unie à sa divinité, est aussi en possession
de cet attribut.
La toute-puissance divine de Christ remplit d'une douce
et bien heureuse consolation tous ceux qui
l'adorent du fond de leur coeur comme leur Seigneur et leur Dieu. Allez
donc et instruisez toutes les nations (allez vous-en par tout le
monde et prêchez. l'Évangile à toute créature) les baptisant au
nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Ce n'est pas
seulement aux brebis perdues de la maison d'Israël, que les disciples
sont envoyés pour leur annoncer l'Évangile, mais au monde
entier ; car c'est pour toute l'humanité pécheresse que le Bon
Berger a donné sa vie et versé son sang. Les disciples de Jésus
doivent se répandre sur toute la surface de la terre, et le devoir de
chacun d'eux est de faire de tous les peuples des disciples de Christ.
Les apôtres rempliront leur mission par ce triple
travail :
- 1° prêcher l'Évangile,
- 2° recevoir tous les peuples dans la communion du Père, du Fils et du Saint-Esprit par le baptême, et
- 3° enseigner tout ce que Christ leur a commandé.
Il faut que tout pécheur entende la Bonne Nouvelle. Le Dieu saint
pardonne les péchés par le sang de son Fils. Mais les pensées de paix
dont Dieu est animé envers les hommes, vont plus loin. Il ne veut pas
seulement exempter du châtiment les pécheurs croyants ; il ne
veut pas seulement les traiter selon la grâce et non selon la
justice ; il veut encore leur conférer l'adoption, c'est-à-dire
non seulement les considérer comme ses enfants, mais faire d'eux
véritablement ses enfants par la nouvelle naissance d'eau et d'Esprit.
Il veut les introduire dans la communion du nom et de l'essence du
Dieu Père, Fils et Saint-Esprit. Seulement, il faut que ceux qui sont
devenus enfants de Dieu par leur baptême, se montrent enfants de Dieu
par leur conduite. C'est pourquoi ils doivent être instruits dans la
doctrine et dans les commandements de Christ.
Le Seigneur ajoute au triple commandement une triple
promesse. Celui qui croira et sera baptisé,
sera sauvé ; celui qui ne croira point, sera condamné.
Le Seigneur, qui préside aux destinées de son Église, est en tout
temps fidèle à sa parole. Partout où le baptême est administré
conformément à son institution, le Seigneur agit par les mêmes moyens
de grâce qu'il promet ici. Le sacrement opère le pardon des péchés, la
délivrance de la mort, et du diable, et donne la vie éternelle à tous
ceux qui croient.
L'incrédulité de ceux qui sont baptisés ne peut que
changer la bénédiction du baptême en malédiction et en condamnation,
mais elle ne peut pas l'anéantir. Ceux qui ont reçu le baptême sans la
foi, ont néanmoins reçu la puissance régénératrice du sacrement par
laquelle ils auraient pu être amenés à la foi ; mais, parce
qu'ils n'ont pas voulu croire, ils en recevront une plus
grande condamnation. De même que la foi seule sauve sans les oeuvres,
ainsi l'incrédulité seule précipite dans la condamnation. Nos
transgressions et nos mauvaises oeuvres ne nous condamneront pas si
nous cherchons un refuge par la foi dans la grâce du Fils de Dieu.
Mais toute notre honorabilité, toute une vie d'honnêteté ne peuvent
nous préserver de la condamnation, si par incrédulité nous méprisons
Jésus et le sang qu'il a versé pour nous.
La deuxième promesse est la suivante: Voici
les miracles qui accompagneront ceux qui auront cru : Ils
chasseront les démons en mon nom ; ils parleront de nouvelles
langues, ils chasseront les serpents ; quand ils auront but
quelque breuvage mortel, il ne leur fera pas de mal : ils
imposeront les mains aux malades et ils seront guéris.
Ces miracles étaient destinés à légitimer les apôtres aux yeux du
monde, afin qu'ils fussent reconnus et respectés comme les messagers
du Seigneur, lorsqu'il ne serait plus visiblement avec eux. Même
pendant sa vie, les soixante-dix disciples, après leur tournée
d'évangélisation, s'étaient réjouis en disant : « Seigneur,
les démons même nous sont assujettis par ton nom. » À Philippes,
saint Paul commande à l'esprit de Python qui s'était emparé d'une
servante, en lui disant : « Je t'ordonne, au nom du Seigneur
Jésus-Christ, de sortir de cette fille, » et il en sortit au même
instant, et elle fut affranchie de la puissance de cet esprit. - Le
jour de la Pentecôte, les disciples parlèrent diverses langues. - Nous
lisons au livre des Actes des Apôtres que saint Paul, se trouvant dans
l'île de Malte, une vipère s'attacha à sa main, tellement que ceux qui
étaient présents s'attendaient à ce qu'il enflât et tombât mort. Et,
voyant qu'il n'en éprouvait aucun mal, ils s'écrièrent avec
étonnement : « C'est un dieu ! » Paul n'était pas
un dieu, mais, comme apôtre de Jésus-Christ, il marchait dans la force
en la promesse de son Dieu Sauveur. - Quant à des
guérisons de malades opérées par les apôtres au nom de Jésus, les
Actes en rapportent presque à chaque page. Le Seigneur leur a
fidèlement tenu sa promesse, et il s'est manifesté dans leur
prédication et dans leurs prières. Car il
opérait lui-même avec eux et confirmait leur parole par les
miracles qui l'accompagnaient.
Mais le Sauveur n'a pas promis aux apôtres seuls le
pouvoir d'opérer des miracles : il l'a fait à tous ceux qui
croiraient en lui, c'est-à-dire à toute son Église. Aussi longtemps
que l'Église de Christ persiste dans la foi, elle peut compter avec
assurance sur cette promesse. Mais dès que la foi des apôtres
disparaît, les miracles opérés par les apôtres disparaissent
naturellement avec elle. C'est pourquoi il n'y a rien d'étonnant à ce
que de nos jours il s'opère si peu de miracles. Ils ne sont pas
complètement supprimés, mais ils sont rares, parce que la foi qui
regarde à Jésus avec simplicité est rare. Cependant, l'oeil de la foi
distingue beaucoup plus de miracles que l'incrédulité ne le voudrait.
Ils se produisent là où l'on porte la connaissance du nom de Dieu au
delà de l'ancienne chrétienté ; là où l'on fonde de nouvelles
églises parmi les païens ; là où il faut arracher l'Église à une
décadence générale pour la remettre sur son fondement primitif.
Seulement, ces miracles suivent ceux qui ont cru en Jésus ; ils
ne précèdent pas la foi. Quiconque cherche les miracles avant de
croire en Jésus, ou qui cherche Jésus pour pouvoir opérer des
miracles, ne trouvera ni Jésus ni les miracles.
En 1540, Frédéric Myconius gisait mourant sur son lit
dans la ville de Meissen, tellement que chaque jour on attendait sa
fin. Lorsqu'il sentit approcher le dernier moment, il écrivit d'une
main tremblante à son ami Luther un cordial adieu. Luther, après avoir
lu la lettre, s'écria : « A Dieu ne plaise ! » Et
s'étant immédiatement assis à son bureau, il écrivit les lignes
suivantes à son ami expirant : « Non ! un ouvrier zélé
comme toi dans l'oeuvre du Seigneur, ne peut pas encore mourir. Au
nom de Jésus-Christ, je t'ordonne de vivre, parce que tu es
encore trop utile pour le relèvement de l'Église. M. LUTHER. »
Post-scriptum : « Que le Seigneur ne permette pas que
j'apprenne ta mort pendant ma vie ; mais qu'il fasse
que tu me survives, voilà ce que je demande instamment. » Et il
lui fut fait selon sa foi. Myconius avait déjà perdu l'usage de la
parole, lorsque cette lettre lui parvint et lui fut lue. Dès ce
moment, il se trouva mieux ; il guérit et vécut encore six ans.
Il mourut deux mois après Luther.
Et voici, je suis toujours avec
vous jusqu'à la fin du monde. Telle est la troisième
précieuse promesse du Seigneur. Elle n'est pas faite seulement à ceux
qui l'entendirent les premiers de la bouche de Jésus, sur la montagne
de Galilée, car ils sont morts et n'ont pas vécu jusqu'à la fin du
monde. Cette promesse est sans doute faite aux apôtres et aux premiers
disciples du Sauveur ; mais elle est faite aussi à tous ceux qui
demeurent fermes dans la doctrine des apôtres. Le Seigneur est en tout
temps présent dans son Église, par sa protection et par l'efficace de
sa puissance ; mais il promet ici d'être personnellement
présent. Sa présence perpétuelle au milieu de son Église est un gage
assuré qu'elle ne sera jamais ébranlée. « Les ruisseaux du fleuve
réjouiront la ville de Dieu, qui est le lieu saint des tabernacles du
Très-Haut. Dieu est au milieu d'elle : elle ne sera point
ébranlée. Dieu la secourra en tournant son visage vers elle dès le
matin. » (Ps.
XLVI, 5.) La présence permanente de Christ dans son Église, la
rend capable d'être et de rester ce qu'elle doit être, c'est-à-dire
son corps. Aussi chaque manifestation de la vie de l'Église est une
manifestation de la vie de Christ, qui veut se servir d'elle pour
accomplir sa propre oeuvre. Par eux-mêmes, les serviteurs de Christ
sont aussi impuissants que tous les autres membres de l'Église.
L'action puissante et mystérieuse de Dieu, par la Parole et les
sacrements, est due non aux serviteurs, mais à Christ lui-même,
présent et vivant au milieu des siens.
Voici, je suis toujours avec
vous jusqu'à la fin du monde. Lorsque Dieu nous conduit
par des chemins obscurs, où nos yeux sont pleins de larmes, et où nous
marchons solitaires, privés des consolations de l'amour
fraternel ; lorsque nous sommes vaincus dans nos luttes contre le
péché et que nos amis et nos frères s'éloignent de nous, parce qu'ils
doutent de la sincérité de notre foi ; lorsque notre propre coeur
nous condamne et que tout se tourne contre nous, que l'ennemi de nos
âmes nous plonge dans un désespoir semblable à
celui de Caïn ; lorsque tout espoir s'effondre et que toute
consolation nous est refusée ; qu'à notre dernière heure, notre
âme est écrasée, et que les traits du Tout-Puissant nous ont
transpercés ; que notre coeur saigne par toutes ses
blessures ; lorsqu'enfin tout en nous est ébranlé, alors il nous
reste comme unique rocher la promesse du Témoin fidèle et
véritable : Voici, je suis toujours
avec vous jusqu'à la fin du monde. Heureux celui qui a
jeté son ancre sur ce rocher !
De la montagne de Galilée, les disciples sont envoyés par le Sauveur
à Jérusalem. C'est là qu'il leur apparaîtra pour la dernière fois. il
s'est montré pendant quarante jours, et leur a donné plusieurs preuves
de sa résurrection.
Et les ayant assemblés, il leur
commanda de ne point partir de Jérusalem, mais d'y attendre la
promesse du Père, laquelle dit-il, vous avez ouïe de moi. Car Jean
a baptisé d'eau, mais vous serez baptisés du Saint-Esprit dans peu
de jours. Eux donc, étant
assemblés, lui demandèrent : Seigneur, sera-ce dans ce
temps-là que tu rétabliras le royaume d'Israël ? Mais il leur
dit : Ce n'est pas à vous de connaître les temps et les
moments dont le Père a réservé la disposition à sa propre
puissance. Mais vous recevrez la vertu du Saint-Esprit, qui
descendra sur vous, et vous me servirez de témoins, tant à
Jérusalem que dans toute la Judée et la Samarie et jusqu'aux
extrémités de la terre. Lorsque les disciples
interrogent le Seigneur au sujet de l'établissement de son royaume, il
ne faut pas croire qu'ils eussent en vue un royaume messianique
terrestre. Le Seigneur les en eût repris. Or, il ne le fait pas.
Depuis sa résurrection, il leur a plusieurs fois parlé du règne de
Dieu et leur a promis de le fonder lui-même. Mais lorsqu'ils
veulent connaître le temps auquel ce royaume sera établi, il leur
répond que le Père a réserve à sa propre puissance la disposition des
temps et des moments. Avant de paraître dans la gloire, il faut que ce
règne paraisse comme règne de grâce, et renouvelle le monde pécheur
par la Parole et les sacrements.
Avant que le Seigneur revienne sur les nuées du ciel, il
faut que les apôtres soient ses témoins en prêchant la repentance et
la rémission des péchés par la puissance du Saint-Esprit.
Et après qu'il eut dit ces
paroles, il les mena hors de la ville, jusqu'à Béthanie ;
puis, levant les mains, il les bénit. Et il arriva, comme il les
bénissait, qu'il se sépara d'eux et fut enlevé au ciel pendant
qu'ils le regardaient. Une nuée l'emporta de devant leurs yeux et
il fut enlevé au ciel et s'assit à la droite de Dieu.
Le Seigneur conduit ses disciples par le chemin qu'ils avaient suivi
la nuit où il fut trahi. C'est alors qu'avant de franchir le torrent
de Cédron, il avait prononcé sa prière sacerdotale, dans laquelle il
avait demandé la bénédiction de Dieu pour lui-même, pour ses disciples
et pour toute l'humanité. Le Père a exaucé cette prière. - Aux lieux
mêmes qui avaient été témoins de ses plus cruelles souffrances, où son
âme avait été saisie de tristesse jusqu'à la mort, où il avait crié,
tremblé, pleuré, en ces mêmes lieux devait se révéler sa gloire. Si le
Seigneur choisit, pour opérer son Ascension, le théâtre de son plus
profond abaissement, c'est pour montrer à ses disciples et à tous les
croyants, que notre chemin nous conduit par les souffrances à la
gloire. C'est en bénissant que Jésus est monté au ciel. Il nous
apprend par là que de même qu'il a vécu et souffert pour nous, qu'il
est mort et ressuscité pour nous, de même il vit et prie pour nous
dans le ciel. Le Seigneur a été élevé au ciel aux yeux de ses
disciples. Ils étaient dés lors certains que les apparitions dont ils
avaient été favorisés depuis les fêtes de Pâques, devaient cesser. Ils
n'attendaient plus désormais aucune nouvelle révélation du Ressuscité.
Ils n'attendaient plus que la réalisation de la promesse du
Saint-Esprit, qui devait avoir lieu dans peu de jours.
Le Seigneur est monté au ciel. Ce terme ne
désigne pas la voûte azurée qui s'étend au-dessus de nos têtes, car il
est expressément dit qu'il est monté par-dessus tous les cieux, et
qu'il est plus élevé que les cieux. Il ne saurait être non plus
exclusivement question de la participation de son humanité glorifiée à
la majesté, à la puissance, à la gloire divines, car cette
participation est caractérisée par l'expression : être assis
à la droite de Dieu, ce qui a lieu par l'ascension.
Le ciel, c'est la maison du Père, où il y a plusieurs demeures ;
la cité de Dieu vivant, où des milliers d'anges chantent avec
adoration les louanges de Dieu Père, Fils et Saint-Esprit, et où
l'assemblée des bienheureux régénérés et rachetés par le sang de
l'Agneau, contemplent leur Roi face à face dans toute sa beauté.
Quelle joyeuse fête a dû être célébrée dans le ciel,
lorsque le Fils de l'homme glorifié reprit possession de la gloire
qu'il avait eue auprès du Père avant que le monde fût fait !
Lorsque l'enfant prodigue revint dans la maison paternelle, le père
lui fit une fête, car, dit-il, mon fils était mort et il est revenu à
la vie ; il était perdu et il est retrouvé. - Comme les anges
durent saisir leurs harpes d'or, lorsque le Fils unique de Dieu revint
vers son Père, après avoir accompli le rachat des enfants prodigues et
leur avoir frayé le chemin de la maison paternelle ! Un chant de
triomphe retentit alors, qui n'a pas encore cessé de se faire
entendre, et résonnera pendant toute l'éternité.
Et les disciples adorèrent le Seigneur s'élevant au ciel.
Et comme ils avaient les yeux attachés au
ciel pendant qu'il y montait, deux hommes se présentèrent devant
eux en vêtements blancs et leur dirent : Hommes galiléens,
pourquoi vous arrêtez-vous à regarder au ciel ? Ce Jésus, qui
a été élevé d'avec vous dans le ciel, en reviendra de la même
manière que vous l'y avez vu monter. De même que les
disciples ont vu le Ressuscité monter au ciel avec son corps glorifié,
pour s'asseoir à la droite de Dieu, de même aussi le Fils de l'homme
reviendra avec une grande puissance et une grande gloire pour juger
les vivants et les morts.
Et eux étant partis, prêchèrent
partout, le Seigneur opérant avec eux et confirmant leur parole
par les miracles qui l'accompagnaient. Le Seigneur est
fidèle. Il accomplit sa promesse : Voici, je suis toujours
avec vous jusqu'à la fin du monde. Et sa présence au milieu des
siens n'est pas un repos, c'est un travail agissant constamment avec
toutes les forces du Tout-Puissant ; car Celui qui opère avec eux
est assis à la droite du Père ! Lui-même, non pas seulement ses
oeuvres, sa Parole, ses pensées, mais lui-même, personnellement, agit
dans les siens et par les siens. Lui même, le
Seigneur, qui marche au milieu des sept chandeliers d'or. Lui-même
conduit et gouverne son Église. Il lui fraye le chemin, afin qu'elle
puisse marcher en avant jusqu'à la fin du monde.
Ainsi l'ascension du Seigneur n'est pas seulement la fin
et le couronnement de son activité terrestre : elle est aussi le
commencement de son activité céleste. Elle n'est pas seulement un
adieu à la terre : elle est aussi le signal de son avènement
auprès des siens. L'ascension du Seigneur ne consiste pas dans un
changement de séjour, car elle ne l'empêche pas d'être toujours avec
nous jusqu'à la fin du monde. Sa présence au milieu de nous n'a pas
lieu malgré son ascension, mais au contraire, grâce à son ascension.
Le monde terrestre n'est point fermé au Seigneur qui est assis à la
droite de Dieu ; il lui est au contraire largement ouvert. Il
n'est lié à aucun espace, et par conséquent, il est partout en même
temps. Revêtu de son essence divine et rentré dans sa gloire divine,
il agit dans le ciel et sur la terre en vertu de sa toute-présence et
de sa toute-puissance divines. Et comme c'est pour nous qu'il est
monté au ciel, et que son humanité glorifiée a été reçue dans le sein
de la Trinité divine, son ascension est le gage le plus assuré de
l'ascension de ceux qui croient en lui.
Nous faisons donc cette confession avec toute la
chrétienté qui est sur la terre :
Je crois en Jésus-Christ Fils unique de Dieu, notre Seigneur, qui a été conçu du Saint-Esprit et est né de la Vierge Marie ; il a souffert sous Ponce-Pilate ; il a été crucifié ; il est mort ; il a été enseveli ; il est descendu aux enfers ; le troisième jour, il est ressuscité des morts ; il est monté au ciel ; il s'est assis à la droite de Dieu, le Père tout-puissant ; de là il viendra pour juger les vivants et les morts.
Amen.
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