Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE III

suite

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129. Jésus sur la voie douloureuse.


Ils prirent donc Jésus, lui ôtèrent le manteau de pourpre, lui remirent ses habits, et ils l'emmenèrent pour le crucifier. Il sortit, portant sa croix. Et on conduisit avec lui deux malfaiteurs pour les crucifier avec lui. Quelles pénibles marches Jésus a été obligé de faire pendant ces douze dernières heures ! De Gethsémané chez Anne, d'Anne chez Caïphe, de Caïphe à Pilate, de Pilate à Hérode, d'Hérode à Pilate et de Pilate à Golgotha. Si nos pieds ne s'étaient pas égarés et ne s'étaient pas écartés du droit chemin pour s'engager dans les voies de la perdition, Jésus n'aurait pas eu besoin de faire toutes ces marches pénibles. Le Sauveur est entré à Jérusalem comme Roi le dimanche des Rameaux : il en sort le vendredi saint comme l'Agneau de Dieu. Il quitte la Jérusalem terrestre, chargé de nos offenses, afin que, délivrés de tout péché, nous puissions entrer dans la Jérusalem céleste.

C'était un ordre établi par les Romains, que tout condamné à mort devait porter sa croix jusqu'au lieu du supplice ; les deux malfaiteurs portaient la leur, mais la croix du Sauveur était plus lourde que celles des condamnés ordinaires, car son corps était fatigué, ses forces épuisées par ce martyre de douze heures. Ses bras étaient brisés, son dos déchiré et sanglant ; et avec tout cela, il portait intérieurement le poids de la colère de Dieu, et celui de nos péchés. Mais parce qu'il a porté les péchés du monde entier, il a aussi acquis la domination sur le monde entier. C'est ainsi que l'Agneau de Dieu est en même temps Roi.

Depuis que Christ a porté sa croix, elle est devenue un titre de gloire pour tous les chrétiens qui souffrent pour leur foi ou qui la portent avec Christ. L'incrédule a en vérité beaucoup d'afflictions, mais il n'a pas de croix. Il est vrai qu'aujourd'hui chacun parle de la croix qu'il a à porter, sans prendre en considération sa position vis-à-vis de Christ. Mais ceux-là seulement ont le droit d'appeler leurs souffrances une croix, qui, par la repentance et par la foi, sont entrés dans la communion des souffrances et de la mort sanglante de Christ. Les anciens, qui comprenaient mieux que nous les mystères de la croix de Christ, l'appelaient la « bien-aimée croix ». Ils l'appelaient aussi une étoile dépouillée de ses rayons.

Claudius dit : « La croix est une plante qui, lorsqu'on en prend soin, porte des fruits sans fleurir ; et le cachet de Luther portait cette inscription : « Le coeur chrétien marche sur des roses dès qu'il se tient sous la croix. »

Le corps de Jésus menace de se briser sous le fardeau de la croix. Et comme ils sortaient, ils trouvèrent un homme de Cyrène, nommé Simon, père d'Alexandre et de Rufus, qui revenait des champs, et ils le chargèrent de la croix pour la porter après Jésus. En Gethsémané Jésus fut fortifié par un ange. Ici, c'est un homme du pays des Maures qui vient le secourir dans son martyre solitaire. Simon Pierre n'est plus là. Il a abandonné son Maître, malgré ses pompeuses promesses. C'est pourquoi Simon de Cyrène est obligé de le remplacer. « Ils le contraignirent. » Il ne le fit pas volontiers. Simon connaissait-il le Seigneur ou lui était-il étranger ? C'est ce qu'on ne peut pas clairement conclure des textes sacrés. En aucun cas, il ne faisait partie de cette foule méchante qui a crié : Crucifie ! crucifie ! Peut-être l'aspect des souffrances de Jésus lui toucha-t-il le coeur, et il n'aurait pas voulu prendre part à l'acte de son crucifiement. Que dut-il éprouver lorsque, un peu plus tard, s'il se trouvait au pied de la croix, il entendit les sept paroles sorties de la bouche de Jésus ? En tout cas, l'aide qu'il prêta au Seigneur, en portant sa croix, lui valut une bénédiction céleste, puisque saint Marc nous apprend qu'il était père d'Alexandre et de Rufus, lesquels furent de vrais disciples de Jésus, connus et honorés dans la communauté chrétienne. Ceux qui les voyaient, devaient immédiatement penser à l'honneur qui avait été accordé à leur père, de porter la croix du Sauveur. Nous serons semblables à Simon, si nous offrons aussi nos épaules aux âmes travaillées et chargées, pour les aider à porter le fardeau sous lequel elles soupirent et gémissent. Tout ce que nous aurons fait à l'un de ses disciples, le Seigneur le regardera comme lui ayant été fait à lui-même. Mais nous portons aussi la croix de Christ, lorsque nous pouvons dire avec saint Paul : « Je suis crucifié avec Christ. »

Et une grande multitude du peuple et des femmes le suivaient, qui se frappaient la poitrine et se lamentaient. Après avoir souffert tant d'injustices et de cruautés, tant de haine, de moqueries et d'outrages, Jésus voit enfin des yeux qui versent des larmes de sympathie. C'est un soulagement pour lui. Les larmes sont au moins une marque de pitié et de compassion. Qui n'a senti combien une véritable sympathie fait de bien dans l'affliction ! De telles larmes restaurent le coeur de ceux qui souffrent. Et lorsque, dans le désespoir, on avait cru que toute espèce d'amour avait disparu, on se reprend à croire à ce sentiment bienfaisant.

Toutefois, le Seigneur n'aime pas cette sorte de larmes. Il ne veut pas être plaint ; il veut être invoqué par des coeurs repentants. Il ne veut pas qu'on pleure sur lui, il veut être accepté comme le médecin des âmes. Mais Jésus, se retournant vers elles, leur dit : Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ; pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants. Le Seigneur défend-il à ces femmes de pleurer ? Peut-on penser à ses souffrances sans verser des pleurs ? N'a-t-il pas lui-même offert à Dieu, en Gethsémané, des prières et des supplications, avec de grands cris et des larmes ? Il ne serait certainement pas bon de rester dur, froid et indifférent à la pensée des souffrances de Jésus. Ces souffrances ont ému le ciel et la terre elles doivent donc émouvoir aussi nos coeurs.

Et cependant ces larmes sont de fausses larmes, car elles ne sont que le produit de la sensibilité. Ne pleurez pas sur moi, comme si j'étais frappé et maudit de Dieu, comme si mes souffrances ressemblaient à celles des autres hommes. N'oubliez pas que je porte vos péchés et que j'expie vos fautes. Ne me plaignez pas, comme si l'on me faisait violence. C'est par une libre décision de mon amour, que j'ai choisi de souffrir pour votre salut. Les larmes versées sur les souffrances de Jésus, lorsqu'elles ne proviennent pas de la douleur du péché et de la repentance, sont des larmes stériles. Elles ne sont pas une semence qui produise une joyeuse moisson. Les vraies larmes sont celles de Marie-Madeleine, celles de Pierre, parce qu'elles provenaient du sentiment du péché. C'est pourquoi le Seigneur dit aux filles de Jérusalem : Pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants. Quiconque ne veut pas répandre les larmes de la repentance, devra se lamenter lorsque Dieu viendra dans sa colère pour punir les péchés des incrédules.

Car les jours viendront, auxquels on dira : Heureuses les stériles les femmes qui n'ont point enfanté, et les mamelles qui n'ont point allaité ! Alors ils se mettront à dire aux montagnes : Couvrez-nous ! Jérusalem a rejeté le Seigneur de gloire et l'a attaché au bois maudit ; c'est pourquoi la colère de Dieu viendra sur elle. Et cette colère est si lourde à porter, qu'il semblera préférable d'être enseveli sous les montagnes. Les larmes versées pendant le temps de la grâce, sur les péchés qu'on a commis, épargnent les angoisses et les terreurs de l'heure du jugement. Car si l'on fait ces choses au bois vert, que fera-t-on au bois sec ? Le Seigneur Jésus est lui-même cet arbre toujours vert, dont les branches ne deviennent jamais sèches, et dont le feuillage ne se flétrit point. Il est le cep rempli d'une sève opulente, qui s'écoule dans les sarments et leur donne la vie. Cet arbre de vie va être coupé et jeté au feu de la colère divine. Celui qui donne la vie au monde, va être livré à la mort pour les péchés des hommes. Telle est la colère du Dieu saint et sa haine contre le péché, qu'il n'épargne pas son Fils unique, après que ce Fils a été fait péché pour nous. Si cela arrive au bois vert, qu'arrivera-t-il au bois sec ? Lorsque le bois vert brûle pour nous dans le feu de la colère divine, il répand sa sève vitale, son divin et sacré sang, dans la fournaise de cette colère et en éteint le feu. Mais lorsque le bois sec, c'est-à-dire les pêcheurs, qui n'ont point de sève en eux-mêmes, sont atteints par les flammes du courroux céleste, il n'y a pas de sève pour les éteindre. C'est alors le feu qui ne s'éteint point. Par cette question, le Sauveur nous montre que ses souffrances nous font connaître, mieux qu'aucun autre enseignement, la colère du Dieu saint contre les péchés des hommes. La croix de Christ est et demeure la plus éloquente exhortation à la repentance.



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130. Crucifiement et mort de Jésus.


 Et ils le conduisirent au lieu appelé Golgotha, c'est-à-dire la place du crâne ; et ils le crucifièrent là, et les deux malfaiteurs avec lui, l'un à droite et l'autre à gauche, et Jésus au milieu. Ainsi celte parole de l'Écriture fut accomplie : Il a été mis au rang des malfaiteurs. Il était la troisième heure quand ils le crucifièrent. Ils lui présentèrent à boire du vinaigre mêlé de fiel ; mais quand il en eut goûté, il n'en voulut pas boire. Golgotha est un monticule qui fait partie de la chaîne des monts de Morija. C'est là qu'Abraham, le père de tous les croyants, offrit en sacrifice son fils unique, celui qu'il aimait. C'est là qu'Isaac, calme et serein, était prêt à souffrir et à mourir. C'est en Golgotha que fut consommé le sacrifice dont celui d'Isaac n'était qu'une figure. Ainsi, Dieu a tellement aimé le monde, qu'il lui a donné son Fils unique. Il l'a sacrifié pour l'humanité pécheresse, en l'attachant au bois, sur un autel qu'il a construit en Golgotha. Dans le premier cas, Isaac fut épargné, mais Dieu n'a pas épargné son Fils unique, parce qu'il n'y a point d'autre sacrifice pour le péché. Et le Fils reste calme et supporte patiemment les souffrances, et consent à mourir, bien qu'il n'y eût point de péché en lui.

C'est en Golgotha que Dieu manifeste toute l'ardeur de sa colère et de son amour. Golgotha est le lieu de la plus profonde humiliation de notre Sauveur. Mais ce sont précisément ces souffrances expiatoires qui en ont fait un lieu de bénédictions pour tous les peuples, tellement que les yeux et les coeurs de toute la chrétienté sont dirigés vers ce lieu. « J'élève mes yeux vers les montagnes d'où me vient le secours. » Parmi ces montagnes, il faut avant tout compter Golgotha. C'est là qu'a été conclue l'alliance entre les pécheurs qui succombaient sous le fardeau de leurs iniquités, et le Dieu de grâce et de miséricorde.

En Golgotha, ma dette a été acquittée. C'est là que Jésus a fait la paix entre le ciel et la terre. Golgotha! C'est le sanctuaire de la foi, c'est là que se posent les mains percées du Sauveur sur les coeurs blessés. C'est là qu'il arrose toujours de nouveau les consciences troublées, avec le sang de la réconciliation. C'est là qu'on apprend à dire : « Si notre coeur nous condamne, Dieu est plus grand que notre coeur » et à croire toujours plus fermement cette vérité : Mon Dieu m'a pardonné mes péchés ; je suis à lui par sa grâce.

Et ils le crucifièrent là. On passe souvent sur ces mots comme s'ils n'exprimaient rien d'extraordinaire. C'est une vieille vérité qu'on a entendu répéter mille fois dès l'enfance. Cependant, réfléchissons à ce que font ces gens, au sommet de Golgotha. Une croix de bois est couchée par terre ; on dépouille le condamné de ses vêtements ; on l'étend sur cette croix, à laquelle on l'attache, solidement, en lui enfonçant de longs clous dans les mains et dans les pieds. Puis on dresse la croix, et le corps du supplicié, suspendu par les clous, pèse de tout son poids et élargit les blessures. Jésus souffre tout en silence, comme un agneau devant celui qui le tond, et n'ouvre pas la bouche. D'après toutes les descriptions qu'on a faites des supplices de, ce temps-là, le crucifiement était le plus cruel et le plus douloureux. La position contre nature du corps, qui empêchait le sang de couler, la grande perte de sang en Gethsémané et au prétoire, les blessures fraîchement faites à la tête par la couronne d'épines, les plaies faites au dos par la flagellation, cette inexprimable douleur de tous les membres, qui sont martyrisés et ne meurent cependant pas : tout cela présente l'image des tourments de l'enfer, que nous avons mérités par nos péchés. Le Seigneur dédaigne le breuvage étourdissant qu'on donnait au supplicié pour calmer ses douleurs, car c'est avec une pleine conscience qu'il veut couronner son oeuvre.

Pilate fit mettre au-dessus de la tête du crucifié un écriteau qui indiquait le sujet de son supplice : Jésus de Nazareth, roi des Juifs. Malgré les réclamations des principaux sacrificateurs, qui voulaient qu'on inscrivit : « Qui a dit : Je suis le roi des Juifs, » le gouverneur refusa d'y rien changer. Cet écriteau indique parfaitement la cause de la condamnation du Seigneur : Jésus est le Roi des Juifs qui était promis ; il est le Messie ; voilà pourquoi il est crucifié. La dignité royale de Jésus est le seul crime qui l'ait fait mettre à mort. La croix est le trône royal de sa légitime domination. C'est pourquoi l'écriteau proclame la royauté de Christ dans les trois langues usitées à cette époque ; en grec, en hébreu et en latin. Aujourd'hui, le témoignage de Jésus, le Christ, le crucifié, le Roi de gloire, est annoncé dans environ cent cinquante langues, afin qu'au nom de Jésus-Christ, tous les peuples ploient les genoux devant lui, et que toute langue confesse qu'il est le Seigneur à la gloire de Dieu le Père.

Christ a été suspendu à la croix pendant six heures, depuis la troisième jusqu'à la neuvième heure ; ainsi, d'après notre manière de compter, depuis neuf heures du matin jusqu'à trois heures du soir. Dans cet intervalle, il a prononcé sept paroles. Les trois premières ont probablement été prononcées dès le commencement du supplice. Il y a d'abord :


LA PAROLE DU SOUVERAIN SACRIFICATEUR

Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. Le Fils de Dieu est suspendu au bois maudit. Il est envoyé à l'humanité pour la sauver, et elle le rejette loin d'elle, elle le met à mort comme un malfaiteur. Le Dieu du ciel peut-il, doit-il se taire en présence de ce crime ? Non ! il faut que la colère de Dieu en consume les auteurs. La terre s'ouvrit pour engloutir la bande de Coré, lorsqu'elle se révolta contre Moïse serviteur de l'Éternel. Comment pourrait-il garder le silence, quand les pécheurs crucifient son propre Fils ? Le feu du ciel tomba sur les deux officiers envoyés par le roi Achab pour saisir Élie ; quelle punition infligera-t-il à ceux qui font mourir Jésus ! Le Seigneur sent que le supplice qu'on lui prépare est comme un soufflet donné à son Père céleste ; il sait que la colère de Dieu tombera sur ceux qui répandent son sang en Golgotha. Et cependant, au sein de son martyre, il ne cesse pas d'être Jésus, c'est-à-dire, Sauveur. Il oublie que c'est par ses meurtriers qu'il souffre, et ne se souvient que de ceci : c'est qu'il souffre et meurt pour eux. Son sang répandu crie au ciel et donne efficace à sa « prière, lorsqu'il intercède pour ses bourreaux, afin d'arrêter le bras du juste Juge prêt à les frapper. Père, pardonne-leur ! Ces paroles sont une preuve irréfragable qu'il n'est pas venu pour condamner le monde, mais pour chercher et sauver ce qui était perdu. Car ils ne savent pas ce qu'ils font. Leur ignorance était en tout cas coupable. Ils ne voulaient pas reconnaître leurs péchés, c'est pourquoi ils ne pouvaient pas connaître Jésus. Mais le Sauveur crucifié regarde plutôt à leur misère qu'à leur péché.

Pour qui est cette consolante et puissante intercession de Jésus ? D'abord pour les soldats qui lui ont percé les mains et les pieds, ensuite pour le peuple qui a crié : Crucifie ! crucifie ! Que son sang soit sur nous et sur nos enfants ! puis pour Pilate, qui a cédé, contre sa conscience, à la voix de la multitude ; enfin pour les principaux sacrificateurs qui ont condamné à mort l'innocent. Tous ceux-là ont pris part à la mort du Sauveur. C'est donc à chacun d'eux que l'intercession de Jésus profitera. Mais elle nous profitera à nous aussi, car tous nous sommes cause de sa mort. Si nos péchés ne l'avaient pas crucifié, ses ennemis auraient bien été obligés de l'épargner. - Jésus sait que son Père l'exauce toujours. Toutefois, ses meurtriers ne peuvent obtenir le pardon de leur péché que s'ils apprennent eux-mêmes à le demander avec des coeurs repentants.

Si même la plupart de ceux pour qui Jésus crucifié intercède, lui ferment leurs coeurs, il ne manque cependant pas d'âmes que le Père lui a données comme récompense de ses douleurs et exaucement de sa prière. C'est pendant cet intervalle de six heures, que le brigand se convertit sur la croix. Bientôt après, le centenier païen loue Dieu et s'écrie : « Véritablement cet homme était juste, c'était le Fils de Dieu. » Et tout le peuple qui était là et voyait ce qui était arrivé, se frappait la poitrine. Sept semaines plus tard, trois mille Juifs furent baptisés en la mort de Jésus. C'est aussi un effet de l'intercession du Sauveur, que Dieu use encore de patience envers les païens, envers les chrétiens tombés, et qu'il diffère le jour du dernier jugement.

Le patient amour de Jésus enseigne la patience à tous ceux qui lui sont unis par la foi. Étienne prie pour les Juifs qui le lapident : « Seigneur, ne leur impute point ce péché. » Jacques s'écria, lorsqu'ils le précipitèrent du haut du temple : « Seigneur, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font ! » Jean Huss et Henri de Zutphen ont prié pour leurs meurtriers. D'innombrables chrétiens, qui ont été initiés par la foi au mystère de l'amour et des douleurs de Jésus, sont entrés dans la vie de la charité et ont appris sous la croix de Christ à aimer leurs ennemis. Nous ne devons pas porter envie à Pierre, comme s'il jouissait d'un avantage dont nous sommes privés, dans cette parole du Seigneur : « J'ai prié pour toi, afin que la foi ne défaille point », car cette intercession nous profite aussi. Oh ! puissions-nous en être véritablement reconnaissants !

Après donc que les soldats eurent crucifié Jésus, ils prirent ses habits et en firent quatre parts, une part pour chaque soldat ; ils prirent aussi la robe, mais elle était sans couture, d'un seul tissu, depuis le haut jusqu'au bas. Ils dirent donc entre eux : Ne la mettons pas en pièces, mais tirons au sort à qui l'aura de sorte que celle parole de l'Écriture fut accomplie : Ils ont partagé mes vêtements et ils ont jeté le sort sur ma robe. C'est ce que firent les soldats. Il s'agit ici d'une succession, mais celui qui n'avait pas où reposer sa tête ne pouvait pas laisser d'héritage. Ceux qui estiment un homme d'après les biens qu'il a acquis pendant sa vie et qu'il laisse après sa mort, ne peuvent avoir que du mépris pour Jésus. Car il n'avait pour toute fortune que ses vêtements, et ils appartenaient aux soldats. Mais la foi connaît un meilleur héritage du Sauveur : « Je vous laisse ma paix ; recevez le Saint-Esprit. »

Ce doit être une grande consolation pour les déshérités de la fortune, que Jésus ait vécu pauvre et soit mort pauvre. Cela montre que la pauvreté n'est en aucun cas un obstacle à une heureuse mort, ni à l'entrée dans la gloire éternelle. Les soldats ne reçurent de Jésus que ses vêtements. Que n'ont-ils cherché sa grâce, comme le brigand sur la croix ! Ils auraient pu hériter, comme ce malfaiteur, du paradis de Dieu. Il en est ainsi de tous ceux qui veulent porter les vêtements de Jésus et se parer de son nom. Ils font métier de la piété, afin d'acquérir, par son moyen, des avantages terrestres. Ils ne cherchent ni la personne ni la grâce de Jésus. Aussi sont-ils privés de la paix et du Saint-Esprit.

Le Sauveur est pendu à la croix, nu et dépouillé. C'est ainsi qu'il supporte le châtiment que nous avons mérité par nos voluptés, notre vanité et notre orgueil, par notre recherche de la mode et du luxe dans les vêtements ; toutes choses qu'on ne retrouve encore que trop souvent parmi les chrétiens. La vie cachée en Dieu, sous la croix de Christ, doit paraître horriblement ennuyeuse aux chrétiens imbus de pareilles idées. La foi reçoit de Christ un meilleur vêtement que ceux qui furent abandonnés aux soldats : c'est le sang et la justice du Sauveur. Couverts de ce vêtement, nous pouvons subsister devant Dieu. « Car vous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ. » (Gal. III, 27).

Alors les traits empoisonnés de la raillerie lancés par la foule qui entoure la croix, pleuvent sur le crucifié. Et ceux qui passaient par là, lui disaient des outrages, branlant la tête et disant : Toi qui détruis le temple et le rebâtis en trois jours, sauve-toi toi-même ; si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix. De même aussi les principaux sacrificateurs avec les scribes et les sénateurs disaient en se moquant : Il a sauvé les autres, et il ne peut se sauver lui-même. S'il est le Roi d'Israël, qu'il descende maintenant de la croix et nous croirons en lui. Il se confie en Dieu ; que Dieu le délivre maintenant, car il a dit : Je suis le Fils de Dieu. Les soldats l'outrageaient aussi, en disant : Si tu es le Roi d'Israël, sauve-toi toi-même. Si quelqu'un veut savoir ce qui se passait dans le coeur de Jésus, pendant qu'il était en butte aux plus grossières moqueries, qu'il lise le Psaume XXIIe. D'abord, ils ont cloué son corps à la croix, puis ils ont crucifié son âme en le transperçant des pointes acérées de leurs outrages. Tout le venin d'aspic qui est sous la langue des hommes, et par lequel ils pèchent contre Dieu, vient au jour dans la Passion de Christ. Judas lui témoigne un attachement hypocrite ; Pierre le renie ; les faux témoins mentent ; Caïphe et le Sanhédrin prononcent un jugement inique ; le peuple se déchaîne devant le prétoire ; Hérode se moque ; les soldats de Pilate outragent le Seigneur ; le gouverneur confirme le jugement du Sanhédrin.

Et maintenant tous se réunissent autour de la croix, Juifs et païens, savants et ignorants, vieux et jeunes, pour railler et outrager le Sauveur expirant. Le diable tente encore un dernier effort contre le Fils de Dieu et contre son oeuvre de salut, en excitant les enfants de l'incrédulité voués à son service, à accabler Jésus de leurs moqueries. De même que dans la nuit bénie, les cieux et leur armée éclatèrent en cris de joie et de louanges, au sujet de l'enfant couché dans la crèche, ainsi dans l'enfer il aurait sans doute éclaté un cri de réjouissance si Jésus, en Golgotha, avait donné une preuve de sa toute-puissance en descendant de la croix, et n'avait pas été obéissant jusqu'à la mort. Alors on eût dit : Il a essayé de sauver les pécheurs, mais il a trouvé l'oeuvre trop difficile, et a été obligé de l'abandonner éternellement. Il a commencé à construire une tour, mais il n'a pas calculé la dépense. Jésus demeure sur la croix, et il savoure toutes les ignominies contenues dans la coupe que le Père lui a donnée à boire. Il ressent les douleurs de David, lorsqu'il disait : « Mes ennemis m'ont outragé, ce qui a été une épée dans mes os, lorsqu'ils me disaient chaque jour. Où est ton Dieu ? » (Ps. XLII, 11). Il reste calme, lors même que la honte lui brise le coeur.

L'un des malfaiteurs qui avaient été crucifiés, l'outrageait aussi en disant : Si tu es le Christ, sauve-toi toi-même et nous aussi. Mais l'autre, le reprenant, lui dit : Ne crains-tu point Dieu, puisque tu es condamné au même supplice ? pour nous, nous le sommes avec justice, car nous souffrons ce que nos crimes méritent ; mais celui-ci n'a fait aucun mal. L'un des malfaiteurs exhale sa douloureuse fureur en paroles outrageantes contre le Seigneur. Telle est la profondeur de l'abîme dans lequel tombe l'homme qui vit sans Dieu, que, même en face de la mort et du jugement, même lorsque la grâce libératrice s'approche de lui dans la personne du Sauveur, il exhale, par des blasphèmes, la rage impuissante de son coeur endurci ! C'est une espérance absolument vaine que celle de ce christianisme sentimental et malsain, qui admet la possibilité pour les damnés d'être amenés à la repentance par les souffrances qu'ils endurent dans l'enfer. Ils cherchent par des blasphèmes à soulager leurs coeurs angoissés, et ne parviennent qu'à rendre leurs tourments plus insupportables. Même déjà sur la terre, la plupart de leurs blasphèmes ne sont que l'expression de leurs déchirements intérieurs et de leur désespoir.

En revanche, l'autre brigand prépare au Seigneur une douce consolation. Il est les prémices de cette moisson produite par le grain de blé semé en ce moment et destiné à mourir. Déjà les railleries de la foule qui entoure ce criminel l'ont indigné ; mais que son compagnon de péché et de supplice ne tremble pas sur le seuil de l'éternité et en face du jugement de Dieu ; qu'au contraire il se répande en paroles blasphématoires, c'est ce qu'il ne saurait supporter. C'est pourquoi il ouvre la bouche pour lui adresser une sérieuse réprimande, laquelle se convertit immédiatement en une confession de ses péchés, pleine d'humilité et de repentance. - Avons-nous déjà, surtout lorsque le poids du fardeau de nos souffrances fait couler nos larmes, avons-nous déjà fait cette confession franche et sans réserve : Nous souffrons ce que nos péchés méritent. Parce qu'il agit selon la vérité, le brigand converti vient à la lumière. Il a aussi des yeux pour reconnaître le Seigneur qui est près de lui, plein de grâce et de vérité. Puis il dit à Jésus : Seigneur, souviens-toi de moi quand tu seras entré dans ton règne. Malgré le martyre, malgré toutes les ignominies que souffre le Crucifié, ce malfaiteur reconnaît en lui le Roi d'Israël, le Sauveur des pécheurs. Il croit que ce Roi reparaîtra sous une autre forme, dans la gloire, pour fonder son royaume. C'est pour ce moment qu'il prie le Sauveur de garder de lui un souvenir miséricordieux. Jésus entend tous les outrages sans rien dire ; mais à ce pauvre pécheur, il lui accorde plus qu'il ne lui a demandé. Il le console en proportion de sa foi ; puis il ouvre la bouche pour prononcer la deuxième parole de la croix.


LA PAROLE ROYALE

Je le dis en vérité - par cette parole il fait briller sa gloire royale - que tu seras aujourd'hui avec moi en paradis. Il parle comme ayant dans sa main percée les clefs de la mort et de l'enfer. « Je n'attendrai pas le jour de mon avènement pour me souvenir de toi. Aujourd'hui déjà, tu seras heureux avec moi dans le paradis. » Jésus accorde sa grâce à un pécheur désespéré, à la dernière heure de sa vie, et il nous montre par là, afin de nous humilier et en même temps de nous consoler, que pour nous admettre dans son royaume, il n'attend de nous ni oeuvres ni mérites. Jésus crucifié, dont la croix est plantée en terre, mais dont les mérites atteignent jusqu'au ciel, nous ouvre seul la porte du paradis. Il n'y a nulle autre voie pour parvenir au salut, que celle suivie par le brigand pardonné. Ainsi tenons ferme ceci c'est que l'homme est justifié par la foi sans les oeuvres de la loi uniquement par la foi en Christ crucifié. Si quelqu'un, imbu de sa propre justice, pensait en son coeur : Puisque ce brigand, attaché à la croix, a encore pu être sauvé, combien plus le salut doit-il être assuré à ma vie irréprochable ! Que celui qui raisonne ainsi, sache que le brigand n'a obtenu sa grâce que parce qu'il a reconnu qu'en le punissant, Dieu agissait avec justice, et parce qu'il soupirait après le Sauveur avec un coeur brisé.

Or, la mère de Jésus et la soeur de sa mère, Marie, femme de Cléopas, et Marie-Madeleine se tenaient au pied de la croix. En voyant sa mère, le Seigneur ouvre la bouche pour prononcer la troisième parole de la croix.


LA PAROLE FILIALE

Jésus voyant sa mère, et près d'elle le disciple qu'il aimait, dit à sa mère : Femme, voilà ton fils ; puis il dit au disciple : Voilà la mère. Et, dès cette heure, le disciple la prit chez lui. Marie, la mère de douleurs, se tient au pied de la croix de son Fils, et fait l'expérience de la prédiction de Siméon : « Une épée te transpercera l'âme. » Amer est son nom, mais plus amère encore est sa douleur. Sans ce Fils, la vie n'a plus de prix pour elle, et ses yeux ne seront désormais que des fontaines de larmes. Mais celui qui, par la croix, apporte la consolation au monde entier, ne veut pas laisser sa mère dans la désolation. Afin que Marie ne soit pas privée d'un coeur qui l'aime, il la donne au disciple qu'il aime, afin qu'il le remplace auprès d'elle par son amour filial. Ce n'était pas pour Jean un devoir difficile, mais plutôt un legs précieux. Pouvoir témoigner dans Marie son amour pour le Sauveur, c'était le sceau apposé sur ce qui faisait le bonheur de sa vie : « être le disciple que Jésus aimait. »

Jésus ne donne pas à Marie le doux nom de mère. On a pensé qu'il l'avait fait par ménagement, pour ne pas déchirer davantage son coeur maternel. Cela est possible, mais nous avons certainement à nous souvenir ici des noces de Cana, et de plusieurs autres occasions où le Seigneur s'est appliqué avec intention à écarter d'avance l'idée que sa mère exerçât une médiation quelconque dans les choses du règne de Dieu, médiation qu'on lui a attribuée dans les temps postérieurs. Par cette expression de « femme », le Sauveur veut inspirer à Marie cet amour qui ne connaît plus personne selon la chair. Il veut témoigner à l'Église de tous les siècles, que dans son oeuvre de réconciliation, il se sent uni à tous les pécheurs par un égal lien, et qu'il ne l'est pas plus à Marie qu'à tout autre.

Jésus ne pouvait assurément pas prendre un plus grand soin de l'âme de sa mère, qu'en la confiant à la protection pleine d'amour de Jean, qui, comme nul autre, avait vu la gloire du Fils unique venu du Père. Ce disciple pouvait et devait être un puissant soutien, pour assurer à Marie que ce que lui avait annoncé la salutation angélique, à laquelle elle avait été si heureuse de croire, n'était pas menacé, et que la royauté céleste qu'elle avait contemplée avec joie en esprit, n'avait pas péri sur la croix, mais qu'au contraire une nouvelle aurore et un nouvel épanouissement allaient commencer pour elle.

Jésus est attaché à la croix depuis trois heures. Les moqueurs se sont tus peu à peu et le silence s'établit autour de l'instrument du supplice. Il était environ la sixième heure, et il se fit des ténèbres sur toute la terre, jusqu'à la neuvième heure. La gloire du Seigneur avait resplendi sur les champs de Bethléem, parce que la lumière du monde était apparue. Ici, en Golgotha, une obscurité enveloppe tout le pays, parce que la lumière du monde s'est éteinte dans la mort. Le juge Denis, mentionné Actes XVII, 34, qui vivait alors en Égypte et était encore païen, doit avoir dit à propos de ces ténèbres : « Ou bien la Divinité souffre, ou bien elle sympathise avec quelque être souffrant. » Cette obscurité extérieure était un emblème de celle qui régnait dans l'âme du Sauveur. Il éprouvait les épouvantes de la mort et se plongeait dans les tourments éternels, parce que tous nos péchés pesaient sur lui. Notre corruption le séparait de son Dieu.

Il souffre depuis trois heures sous le fardeau de nos péchés, sans laisser échapper une plainte. Il épuise jusqu'à la dernière goutte la coupe de la colère, que son Père lui adonnée à boire. Ce qui s'est passé dans son âme pendant ces trois sombres heures, il a voulu le tenir caché. C'est seulement dans l'éternité que cela sera révélé, au milieu des louanges des bienheureux. Nous pouvons cependant avoir un pressentiment de ces douleurs, par ce passage du Psaume XVIlle, 5, où le Saint-Esprit prédisant les souffrances du Sauveur, met dans la bouche du prophète ces paroles : « Les cordeaux de la mort m'avaient environné, les torrents des méchants m'avaient entouré. Les cordeaux du sépulcre m'avaient environné, les pièges de la mort m'avaient surpris. Quand j'étais dans l'adversité, j'ai crié à l'Éternel, j'ai crié à mon Dieu. » Les mêmes plaintes se trouvent dans les passages suivants : Psaume LXIX, 2. 3. « Délivre-moi, ô Dieu, car les eaux sont entrées jusque dans mon âme. Je suis enfoncé dans un bourbier fangeux, dans lequel je ne puis prendre pied ; je suis entré au plus profond des eaux, et les eaux débordées m'entraînent. » Psaume XLII, 8 : « Un abîme appelle un autre abîme au bruit de tes ondées. Toutes. tes vagues et tes flots ont passé sur moi. » Psaume XIII, 2. « Éternel jusques à quand m'oublieras-tu toujours, jusques à quand cacheras-tu ta face de moi ? » Psaume LXXXIX, 47. « Jusques à quand, ô Éternel, te cacheras-tu ? Ta colère s'embrasera-t-elle comme un feu ? »

Alors, tout à coup, à la neuvième heure, Jésus cria à haute, voix, et prononça la quatrième parole de la croix.


LA PAROLE DE LA VICTIME

Eli, Eli, lamma sabbachtani ! Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? Ces paroles résonnent comme un lugubre cri d'angoisse sortant de l'enfer. Et c'est Jésus qui les prononce ! Mon âme, ne les oublie jamais et ne laisse jamais sortir de ta pensée combien il en a coûté à Jésus pour te sauver ! Ton Sauveur, abandonné de Dieu ! terrible obscurité ! « Moi et mon Père, nous sommes un, » et maintenant abandonné de Dieu ! Ainsi les ténèbres ont donc complètement envahi même l'âme du Sauveur ! On se plaint souvent, dans le feu de l'affliction, d'être oublié, abandonné de Dieu. Mais c'est seulement notre oeil qui est obscurci et qui ne reconnaît pas Dieu. Dans ces cas, on pourrait certainement dire avec plus de raison : « Lorsque l'affliction est à son comble, c'est alors que Dieu est le plus près. » Ceux-là seulement sont abandonnés de Dieu, qui persévèrent dans leurs iniquités, privés de la grâce de Dieu et des consolations que donne le pardon des péchés. La colère de Dieu demeure sur eux. Ils sont déjà la proie du feu qui ne s'éteint point et du ver qui ne meurt point. Voilà ce qu'on peut appeler être abandonné de Dieu. Âme chrétienne, écoute encore une fois ce cri de Jésus : Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?

Nous avons un pressentiment des épouvantables ténèbres qui ont enveloppé l'âme de Jésus. Dans cette heure de profonde obscurité intérieure et extérieure, il a réellement et véritablement enduré l'angoisse et les tourments des damnés. La malédiction de la loi pénètre dans ses os comme de l'huile bouillante. Toutes les souffrances de l'enfer réservées à l'humanité pécheresse, tout ce qui bourrèle une conscience coupable, tout cela assiège et angoisse, dans cette heure ténébreuse, l'âme du Sauveur. Le malheur et le bonheur, la vie et la mort de toute l'humanité pécheresse dépend de l'issue du combat qui se livre en ce moment en Golgotha. « Abandonne Dieu et meurs ! » tel est le conseil que le prince des ténèbres donne à Jésus.

Toutefois, à peine le Seigneur a-t-il ouvert la bouche pour laisser échapper ce cri d'angoisse, que déjà la victoire lui est assurée. Il a traversé, en combattant et en priant, l'océan d'angoisses causées par les péchés du monde. Il s'écrie : « Mon Dieu, mon Dieu ! » et il se fortifie par cette pensée : Je demeure cependant toujours près de toi, lors même que les flots de ta colère et de tes jugements fondent sur moi ! Tu es cependant mon Dieu, et toujours mon Dieu. Privé du sentiment de la présence de Dieu, hors d'état de goûter les douceurs de l'amour divin, il se sent séparé de son Père par les péchés du monde. Toutefois, par dessus l'abîme creusé entre ces deux êtres, Jésus étend la main de la foi jusqu'au coeur de Dieu, et s'écrie : Mon Dieu, mon Dieu !

Il est vrai qu'il est dit : Mon Dieu et non : Mon Père. Un instant auparavant, il disait encore : Père, pardonne-leur. Un instant après, il dit : Père, je remets mon esprit entre tes mains. Mais pendant ces trois heures d'angoisse, Dieu ne se présente plus à lui comme le Père plein d'amour, mais comme le Juge, dont la colère foudroyante éclate dans l'âme de celui qui porte nos péchés. Jésus le sait, c'est pourquoi il s'écrie : Mon Dieu et non : Mon Père. Toutefois il se tient fortement attaché à lui et pense : Tu es cependant mien. Je ne t'abandonnerai pas. C'est ainsi qu'il remporte la victoire. Or, sa victoire est la nôtre. Nous sommes agréables à Dieu, si nous sommes trouvés en son Bien-aimé. Parce qu'il a traversé en vainqueur la colère de Dieu et est arrivé jusqu'à lui ; parce qu'il s'est chargé de nos péchés et est parvenu victorieusement jusqu'à Dieu, il nous a ouvert l'accès auprès de lui, tellement qu'il n'y a plus maintenant aucune condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ.

Et quelques-uns de ceux qui étaient présents, ayant ouï cela, disaient : Il appelle Elie. Et d'autres disaient : Attendez, voyons si Élie viendra le délivrer. Les moqueurs sont effrayés et rendus muets par ces ténèbres du vendredi saint mais ces phénomènes ne les amènent ni à la repentance ni à la foi. Pour les impies, les miracles du Seigneur sont inutiles. - Après cela, Jésus, voyant que tout était accompli, prononça la cinquième parole de la croix


LA PAROLE DE L'AMOUR QUI S'IMMOLE

J'ai soif, Il y avait là un vaisseau rempli de vinaigre. Ils emplirent de vinaigre une éponge, et l'ayant fixée à une branche d'hysope, ils l'approchèrent de sa bouche. Les tourments de la soif dont Jésus souffrait depuis longtemps en silence, il aurait pu les supporter, avec tous les autres, pendant le peu de temps qui lui restait à vivre. Mais il annonce sa soif à haute voix, avec une pleine conscience, afin que ce détail de l'Écriture fût aussi accompli (Psaume LXIX, 22) : « Dans ma soif, ils m'ont donné du vinaigre. » Jésus a supporté la soif corporelle lorsque, dans son ardent amour, il se laissait consumer par le feu de la colère divine, afin de soulager dans leurs peines ceux qui croiraient en lui, et de les restaurer sur leur lit de mort. Il a supporté cette soif, afin que, lorsque la faim et la soif commencent à se faire sentir après les satisfactions et les rassasiements de cette terre, nous ne languissions pas, dans l'éternité, après une goutte d'eau pour rafraîchir notre langue, et afin de pouvoir donner gratuitement à nos âmes un breuvage puisé aux sources des eaux vives.

J'ai soif ! Le Seigneur pousse ce cri vers le coeur de son Père. Sa soif corporelle était une fidèle expression de sa soif de Dieu, du Dieu fort et vivant. Toutes les aspirations du Fils avaient toujours été dirigées vers le Père. Mais comme la soif de son âme devait être brûlante après les combats qu'il avait soutenus, et pendant cette heure de ténèbres ! J'ai soif ! Jésus adresse cet appel au Père, non seulement dans le silence de son coeur, mais à haute voix. C'est que ce cri est poussé pour nous. Comme Agneau de Dieu, il expie nos péchés, et maintenant il a soif de présenter nos âmes à son Père comme récompense de ses souffrances. Chrétien ! chaque fois que le cri de ton Sauveur : J'ai soif ! se fait entendre à ton coeur, pense constamment :

Il lutte, altéré, pour sauver ton âme ;
Donne-lui l'amour que sa voix réclame.

« Donne-moi à boire », dit-il un jour à la Samaritaine près du puits de Jacob. Mais il avait plus soif de l'âme de cette femme que de l'eau qu'elle allait puiser. Il fut désaltéré, lorsqu'elle lui dit : « Seigneur, donne-moi de cette eau, afin que je n'aie plus soif. » Il a soif de notre soif. C'est pourquoi il proclame heureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés. L'homme naturel connaît, celle soif brûlante de l'âme ; mais il ne peut pas l'apaiser. Le coeur de l'homme est un abîme que la mer du monde ne saurait combler. Jetez-y toutes les jouissances et toutes les joies, tous les honneurs et tous les biens de la terre ; ils ne rempliront point ses vides ; ils n'étancheront point sa soif. Le monde entier, avec toutes ses satisfactions, est hors d'état de restaurer véritablement un coeur. Le bon Berger qui, dévoré de soif, est attaché à la croix, lui donne seul la vie et un plein contentement. Sous sa garde, on fait l'expérience de cette parole d'Asaph : « Ma chair et mon coeur défaillaient, mais Dieu est le rocher de mon coeur et mon partage à toujours. (Psaume LXXIII, 26.)

Lorsque Jésus eut pris le vinaigre, il prononça la sixième parole de la croix :


LA PAROLE DE LA VICTOIRE

Tout est accompli. L'oeuvre que le Père avait donnée à faire au Fils est accomplie. L'Évangile qui est annoncé au monde entier, sur la vie, les souffrances et la mort de Jésus, est une explication de cette parole : Tout est accompli, car cette parole n'est elle-même autre chose que cette Bonne Nouvelle : « Venez, car tout est prêt. » Le travail est achevé, la foi a été gardée, la course est terminée, le calice est vidé, le combat a fini par la victoire, la voie est aplanie ; le chérubin qui gardait la porte du paradis s'est éloigné, les chaînes de la malédiction sont rompues, les traits enflammés de Satan sont éteints, le péché est détruit, le monde est purifié, la loi est accomplie, la rançon est payée, les fautes sont effacées, le sacrifice est consommé, le châtiment a été subi, la colère est apaisée ; Dieu est réconcilié, la délivrance est parfaite, la justice est rétablie, le ciel est ouvert, l'Écriture est accomplie. Marie tressaille de joie à l'ouïe de ce cri de victoire ; le brigand se réjouit en voyant ses espérances couronnées ; les serviteurs de Dieu louent le grand acte de la rédemption, et le Tout-Puissant prononce son Amen sur la parole de son Fils mourant.

L'oeuvre est accomplie, ainsi il n'y manque rien. Peu importe ce que le monde et Satan en disent, l'oeuvre de Dieu est parfaite. Tous les droits de sa justice sont satisfaits. Le nom du Père a été glorifié en présence de toutes les créatures. La tête du serpent est écrasée, et un fondement inébranlable a été posé pour la création de nouveaux cieux et d'une nouvelle terre. Cette oeuvre n'a besoin d'aucun complément ; elle n'est susceptible d'aucun perfectionnement. Aussitôt que cette parole : Tout est accompli, est prononcée, tous les hommes, quelque grands et horribles que soient leurs péchés, peuvent participer par la seule foi et être assurés et joyeux de leur délivrance et de leur adoption. Désormais aucun pécheur ne sera nécessairement perdu. Ceux-là seulement périront, qui ne veulent pas avoir part à l'oeuvre parfaite du Sauveur. Quiconque, en travaillant à son salut, veut ajouter peu ou beaucoup, soit par ses oeuvres, soit par sa propre satisfaction, à l'oeuvre du Sauveur, l'accuse de mensonge lorsqu'il s'écrie : Tout est accompli. Un tel homme renie et déshonore Dieu dans la personne de son Fils Jésus-Christ.

Tout est accompli. Tout est donc prêt pour moi. Je n'ai donc plus qu'à tendre la main pour m'approprier cette oeuvre. Je serai justifié par la grâce sans aucun mérite de ma part, et j'aurai droit à la délivrance opérée par Jésus-Christ. Ce sera ma consolation dans la vie et dans la mort.
Enfin Jésus se prépare à mourir. Personne ne lui ôte la vie. Il la remet lui-même librement et volontairement entre les mains du Père ; c'est alors qu'il prononce à haute voix la septième parole de la croix :


LA PAROLE D'ADIEU

Père, je remets mon esprit entre tes mains. Le souverain sacrificateur annonce la consommation du sacrifice de lui-même, qu'il vient d'accomplir, et par lequel il a vaincu la mort. Père, dit-il ! Le Fils a donc vaincu, et il repose de nouveau sur le coeur du Père. - Jésus crie à haute voix : De même qu'un héros victorieux fond sur l'ennemi avec un cri éclatant de triomphe, ainsi celui qui a brisé tous les liens, terrassé avec un cri de victoire le dernier ennemi, la mort, remet son esprit entre les mains du Père. Et les mains de son Père, c'est le Paradis. Ce n'est pas seulement l'âme du brigand qu'il a attirée à lui dans ce lieu de délices, ce sont les âmes de tous ceux qui croient en lui, et qu'en sa qualité de médiateur et de souverain sacrificateur, il remet avec la sienne entre les mains du Père. C'est ce qu'il a promis à ses brebis lorsqu'il a dit : « Je leur donne la vie éternelle, et nul ne les ravira de ma main. Mon Père qui me les a données est plus grand que tous, et nul ne les ravira de la main de mon Père. Moi et mon Père nous ne sommes qu'un. »

La dernière parole de Jésus en croix est le bienheureux mot d'ordre de tous les croyants sur leur lit de mort. Jésus, vie de ma vie, aide-moi à vivre saintement ; Jésus, mort de ma mort, aide-moi à mourir en paix ! Étienne s'était approprié cette dernière parole de Jésus lorsque, succombant sous les pierres que lui lançaient les Juifs, il s'écriait : Seigneur Jésus, reçois mon esprit. Jean Huss, en marchant au bûcher, répéta plusieurs fois cette prière : « Je remets mon esprit entre tes mains ; tu m'as sauvé, Seigneur Jésus, qui es le Dieu de vérité ». (Psaume XXXI, 6.)

Et ayant dit cela, il baissa la tête et expira. Jésus a traversé jusqu'au bout les épouvantements de la mort en Gethsémané et dans les dernières heures de ténèbres qu'il passa sur la croix. Maintenant la lumière a de nouveau brillé dans son âme. Par un libre amour, il a donné sa vie en sacrifice expiatoire, afin d'arracher à notre propre mort son aiguillon et à notre sépulcre sa victoire. La mort n'avait aucun droit sur lui qui était parfaitement saint. Sa mort est une rançon qu'il a payée pour nous. Cette mort n'est pas la fin, elle est la perfection de sa vie ; elle n'est pas la clôture, elle est le point culminant de son histoire ; elle n'est pas l'ombre, elle est le point lumineux de l'Évangile.

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