Ils prirent donc Jésus, lui ôtèrent le
manteau de pourpre, lui remirent ses habits, et ils l'emmenèrent
pour le crucifier. Il sortit, portant sa croix. Et on conduisit
avec lui deux malfaiteurs pour les crucifier avec lui.
Quelles pénibles marches Jésus a été obligé de faire pendant ces douze
dernières heures ! De Gethsémané chez Anne, d'Anne chez Caïphe,
de Caïphe à Pilate, de Pilate à Hérode, d'Hérode à Pilate et de Pilate
à Golgotha. Si nos pieds ne s'étaient pas égarés et ne s'étaient pas
écartés du droit chemin pour s'engager dans les voies de la perdition,
Jésus n'aurait pas eu besoin de faire toutes ces marches pénibles. Le
Sauveur est entré à Jérusalem comme Roi le
dimanche des Rameaux : il en sort le vendredi saint comme
l'Agneau de Dieu. Il quitte la Jérusalem terrestre, chargé de nos
offenses, afin que, délivrés de tout péché, nous puissions entrer dans
la Jérusalem céleste.
C'était un ordre établi par les Romains, que tout
condamné à mort devait porter sa croix jusqu'au lieu du
supplice ; les deux malfaiteurs portaient la leur, mais la croix
du Sauveur était plus lourde que celles des condamnés ordinaires, car
son corps était fatigué, ses forces épuisées par ce martyre de douze
heures. Ses bras étaient brisés, son dos déchiré et sanglant ; et
avec tout cela, il portait intérieurement le poids de la colère de
Dieu, et celui de nos péchés. Mais parce qu'il a porté les péchés du
monde entier, il a aussi acquis la domination sur le monde entier.
C'est ainsi que l'Agneau de Dieu est en même temps Roi.
Depuis que Christ a porté sa croix, elle est devenue un
titre de gloire pour tous les chrétiens qui souffrent pour leur foi ou
qui la portent avec Christ. L'incrédule a en vérité beaucoup
d'afflictions, mais il n'a pas de croix. Il est vrai qu'aujourd'hui
chacun parle de la croix qu'il a à porter, sans prendre en
considération sa position vis-à-vis de Christ. Mais ceux-là seulement
ont le droit d'appeler leurs souffrances une croix, qui, par la
repentance et par la foi, sont entrés dans la communion des
souffrances et de la mort sanglante de Christ. Les anciens, qui
comprenaient mieux que nous les mystères de la croix de Christ,
l'appelaient la « bien-aimée croix ». Ils
l'appelaient aussi une étoile dépouillée de ses rayons.
Claudius dit : « La croix est une plante qui,
lorsqu'on en prend soin, porte des fruits sans fleurir ; et le
cachet de Luther portait cette inscription : « Le coeur
chrétien marche sur des roses dès qu'il se tient sous la croix. »
Le corps de Jésus menace de se briser sous le fardeau de
la croix. Et comme ils sortaient, ils
trouvèrent un homme de Cyrène, nommé Simon, père d'Alexandre et de
Rufus, qui revenait des champs, et ils le chargèrent de la croix
pour la porter après Jésus. En Gethsémané Jésus fut
fortifié par un ange. Ici, c'est un homme du pays des Maures qui vient
le secourir dans son martyre solitaire. Simon Pierre n'est plus là. Il
a abandonné son Maître, malgré ses pompeuses
promesses. C'est pourquoi Simon de Cyrène est obligé de le remplacer.
« Ils le contraignirent. » Il ne le fit pas volontiers.
Simon connaissait-il le Seigneur ou lui était-il étranger ? C'est
ce qu'on ne peut pas clairement conclure des textes sacrés. En aucun
cas, il ne faisait partie de cette foule méchante qui a crié :
Crucifie ! crucifie ! Peut-être l'aspect des souffrances de
Jésus lui toucha-t-il le coeur, et il n'aurait pas voulu prendre part
à l'acte de son crucifiement. Que dut-il éprouver lorsque, un peu plus
tard, s'il se trouvait au pied de la croix, il entendit les sept
paroles sorties de la bouche de Jésus ? En tout cas, l'aide qu'il
prêta au Seigneur, en portant sa croix, lui valut une bénédiction
céleste, puisque saint Marc nous apprend qu'il était père d'Alexandre
et de Rufus, lesquels furent de vrais disciples de Jésus, connus et
honorés dans la communauté chrétienne. Ceux qui les voyaient, devaient
immédiatement penser à l'honneur qui avait été accordé à leur père, de
porter la croix du Sauveur. Nous serons semblables à Simon, si nous
offrons aussi nos épaules aux âmes travaillées et chargées, pour les
aider à porter le fardeau sous lequel elles soupirent et gémissent.
Tout ce que nous aurons fait à l'un de ses disciples, le Seigneur le
regardera comme lui ayant été fait à lui-même. Mais nous portons aussi
la croix de Christ, lorsque nous pouvons dire avec saint Paul :
« Je suis crucifié avec Christ. »
Et une grande multitude du
peuple et des femmes le suivaient, qui se frappaient la poitrine
et se lamentaient. Après avoir souffert tant
d'injustices et de cruautés, tant de haine, de moqueries et
d'outrages, Jésus voit enfin des yeux qui versent des larmes de
sympathie. C'est un soulagement pour lui. Les larmes sont au moins une
marque de pitié et de compassion. Qui n'a senti combien une véritable
sympathie fait de bien dans l'affliction ! De telles larmes
restaurent le coeur de ceux qui souffrent. Et lorsque, dans le
désespoir, on avait cru que toute espèce d'amour avait disparu, on se
reprend à croire à ce sentiment bienfaisant.
Toutefois, le Seigneur n'aime pas cette sorte de larmes.
Il ne veut pas être plaint ; il veut être invoqué par des coeurs
repentants. Il ne veut pas qu'on pleure sur lui, il veut être accepté
comme le médecin des âmes. Mais Jésus, se
retournant vers elles, leur dit : Filles
de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ; pleurez sur vous-mêmes
et sur vos enfants. Le Seigneur défend-il à ces femmes
de pleurer ? Peut-on penser à ses souffrances sans verser des
pleurs ? N'a-t-il pas lui-même offert à Dieu, en Gethsémané, des
prières et des supplications, avec de grands cris et des larmes ?
Il ne serait certainement pas bon de rester dur, froid et indifférent
à la pensée des souffrances de Jésus. Ces souffrances ont ému le ciel
et la terre elles doivent donc émouvoir aussi nos coeurs.
Et cependant ces larmes sont de fausses larmes, car elles
ne sont que le produit de la sensibilité. Ne pleurez pas sur moi,
comme si j'étais frappé et maudit de Dieu, comme si mes souffrances
ressemblaient à celles des autres hommes. N'oubliez pas que je porte
vos péchés et que j'expie vos fautes. Ne me plaignez pas, comme si
l'on me faisait violence. C'est par une libre décision de mon amour,
que j'ai choisi de souffrir pour votre salut. Les larmes versées sur
les souffrances de Jésus, lorsqu'elles ne proviennent pas de la
douleur du péché et de la repentance, sont des larmes stériles. Elles
ne sont pas une semence qui produise une joyeuse moisson. Les vraies
larmes sont celles de Marie-Madeleine, celles de Pierre, parce
qu'elles provenaient du sentiment du péché. C'est pourquoi le Seigneur
dit aux filles de Jérusalem : Pleurez sur vous-mêmes et sur vos
enfants. Quiconque ne veut pas répandre les larmes de la repentance,
devra se lamenter lorsque Dieu viendra dans sa colère pour punir les
péchés des incrédules.
Car les jours viendront,
auxquels on dira : Heureuses les stériles les femmes qui
n'ont point enfanté, et les mamelles qui n'ont point
allaité ! Alors ils se mettront à dire aux montagnes :
Couvrez-nous ! Jérusalem a rejeté le Seigneur de
gloire et l'a attaché au bois maudit ; c'est pourquoi la colère
de Dieu viendra sur elle. Et cette colère est si lourde à porter,
qu'il semblera préférable d'être enseveli sous les montagnes. Les
larmes versées pendant le temps de la grâce, sur les péchés qu'on a
commis, épargnent les angoisses et les terreurs de l'heure du
jugement. Car si l'on fait ces choses au
bois vert, que fera-t-on au bois sec ? Le Seigneur
Jésus est lui-même cet arbre toujours vert, dont les branches ne
deviennent jamais sèches, et dont le feuillage ne se flétrit point. Il
est le cep rempli d'une sève opulente, qui s'écoule
dans les sarments et leur donne la vie. Cet arbre de vie va être coupé
et jeté au feu de la colère divine. Celui qui donne la vie au monde,
va être livré à la mort pour les péchés des hommes. Telle est la
colère du Dieu saint et sa haine contre le péché, qu'il n'épargne pas
son Fils unique, après que ce Fils a été fait péché pour nous. Si cela
arrive au bois vert, qu'arrivera-t-il au bois sec ? Lorsque le
bois vert brûle pour nous dans le feu de la colère divine, il répand
sa sève vitale, son divin et sacré sang, dans la fournaise de cette
colère et en éteint le feu. Mais lorsque le bois sec, c'est-à-dire les
pêcheurs, qui n'ont point de sève en eux-mêmes, sont atteints par les
flammes du courroux céleste, il n'y a pas de sève pour les éteindre.
C'est alors le feu qui ne s'éteint point. Par cette question, le
Sauveur nous montre que ses souffrances nous font connaître, mieux
qu'aucun autre enseignement, la colère du Dieu saint contre les péchés
des hommes. La croix de Christ est et demeure la plus éloquente
exhortation à la repentance.
Et ils le conduisirent au lieu appelé
Golgotha, c'est-à-dire la place du crâne ; et ils le
crucifièrent là, et les deux malfaiteurs avec lui, l'un à droite
et l'autre à gauche, et Jésus au milieu. Ainsi celte parole de
l'Écriture fut accomplie : Il a été mis au rang des
malfaiteurs. Il était la troisième heure quand ils le
crucifièrent. Ils lui présentèrent à boire du vinaigre mêlé de
fiel ; mais quand il en eut goûté, il n'en voulut pas boire.
Golgotha est un monticule qui fait partie de la chaîne des monts de
Morija. C'est là qu'Abraham, le père de tous les croyants, offrit en
sacrifice son fils unique, celui qu'il aimait. C'est là qu'Isaac,
calme et serein, était prêt à souffrir et à mourir. C'est en Golgotha
que fut consommé le sacrifice dont celui d'Isaac n'était qu'une
figure. Ainsi, Dieu a tellement aimé le monde, qu'il lui a donné son
Fils unique. Il l'a sacrifié pour l'humanité pécheresse, en
l'attachant au bois, sur un autel qu'il a construit en Golgotha. Dans
le premier cas, Isaac fut épargné, mais Dieu n'a pas épargné son Fils
unique, parce qu'il n'y a point d'autre sacrifice
pour le péché. Et le Fils reste calme et supporte patiemment les
souffrances, et consent à mourir, bien qu'il n'y eût point de péché en
lui.
C'est en Golgotha que Dieu manifeste toute l'ardeur de sa
colère et de son amour. Golgotha est le lieu de la plus profonde
humiliation de notre Sauveur. Mais ce sont précisément ces souffrances
expiatoires qui en ont fait un lieu de bénédictions pour tous les
peuples, tellement que les yeux et les coeurs de toute la chrétienté
sont dirigés vers ce lieu. « J'élève mes yeux vers les montagnes
d'où me vient le secours. » Parmi ces montagnes, il faut avant
tout compter Golgotha. C'est là qu'a été conclue l'alliance entre les
pécheurs qui succombaient sous le fardeau de leurs iniquités, et le
Dieu de grâce et de miséricorde.
En Golgotha, ma dette a été acquittée. C'est là que Jésus
a fait la paix entre le ciel et la terre. Golgotha! C'est le
sanctuaire de la foi, c'est là que se posent les mains percées du
Sauveur sur les coeurs blessés. C'est là qu'il arrose toujours de
nouveau les consciences troublées, avec le sang de la réconciliation.
C'est là qu'on apprend à dire : « Si notre coeur nous
condamne, Dieu est plus grand que notre coeur » et à croire
toujours plus fermement cette vérité : Mon Dieu m'a pardonné mes
péchés ; je suis à lui par sa grâce.
Et ils le crucifièrent là.
On passe souvent sur ces mots comme s'ils n'exprimaient rien
d'extraordinaire. C'est une vieille vérité qu'on a entendu répéter
mille fois dès l'enfance. Cependant, réfléchissons à ce que font ces
gens, au sommet de Golgotha. Une croix de bois est couchée par
terre ; on dépouille le condamné de ses vêtements ; on
l'étend sur cette croix, à laquelle on l'attache, solidement, en lui
enfonçant de longs clous dans les mains et dans les pieds. Puis on
dresse la croix, et le corps du supplicié, suspendu par les clous,
pèse de tout son poids et élargit les blessures. Jésus souffre tout en
silence, comme un agneau devant celui qui le tond, et n'ouvre pas la
bouche. D'après toutes les descriptions qu'on a faites des supplices
de, ce temps-là, le crucifiement était le plus cruel et le plus
douloureux. La position contre nature du corps, qui empêchait le sang
de couler, la grande perte de sang en Gethsémané
et au prétoire, les blessures fraîchement faites à la tête par la
couronne d'épines, les plaies faites au dos par la flagellation, cette
inexprimable douleur de tous les membres, qui sont martyrisés et ne
meurent cependant pas : tout cela présente l'image des tourments
de l'enfer, que nous avons mérités par nos péchés. Le Seigneur
dédaigne le breuvage étourdissant qu'on donnait au supplicié pour
calmer ses douleurs, car c'est avec une pleine conscience qu'il veut
couronner son oeuvre.
Pilate fit mettre au-dessus de la tête du crucifié un
écriteau qui indiquait le sujet de son supplice : Jésus
de Nazareth, roi des Juifs. Malgré les réclamations des
principaux sacrificateurs, qui voulaient qu'on inscrivit :
« Qui a dit : Je suis le
roi des Juifs, » le gouverneur refusa d'y rien changer. Cet
écriteau indique parfaitement la cause de la condamnation du
Seigneur : Jésus est le Roi des Juifs qui était promis ; il
est le Messie ; voilà pourquoi il est crucifié. La dignité royale
de Jésus est le seul crime qui l'ait fait mettre à mort. La croix est
le trône royal de sa légitime domination. C'est pourquoi l'écriteau
proclame la royauté de Christ dans les trois langues usitées à cette
époque ; en grec, en hébreu et en latin. Aujourd'hui, le
témoignage de Jésus, le Christ, le crucifié, le Roi de gloire, est
annoncé dans environ cent cinquante langues, afin qu'au nom de
Jésus-Christ, tous les peuples ploient les genoux devant lui, et que
toute langue confesse qu'il est le Seigneur à la gloire de Dieu le
Père.
Christ a été suspendu à la croix pendant six heures,
depuis la troisième jusqu'à la neuvième heure ; ainsi, d'après
notre manière de compter, depuis neuf heures du matin jusqu'à trois
heures du soir. Dans cet intervalle, il a prononcé sept paroles. Les
trois premières ont probablement été prononcées dès le commencement du
supplice. Il y a d'abord :
Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce
qu'ils font. Le Fils de Dieu est suspendu au bois
maudit. Il est envoyé à l'humanité pour la sauver, et elle le rejette
loin d'elle, elle le met à mort comme un malfaiteur. Le Dieu du ciel
peut-il, doit-il se taire en présence de ce
crime ? Non ! il faut que la colère de Dieu en consume les
auteurs. La terre s'ouvrit pour engloutir la bande de Coré,
lorsqu'elle se révolta contre Moïse serviteur de l'Éternel. Comment
pourrait-il garder le silence, quand les pécheurs crucifient son
propre Fils ? Le feu du ciel tomba sur les deux officiers envoyés
par le roi Achab pour saisir Élie ; quelle punition
infligera-t-il à ceux qui font mourir Jésus ! Le Seigneur sent
que le supplice qu'on lui prépare est comme un soufflet donné à son
Père céleste ; il sait que la colère de Dieu tombera sur ceux qui
répandent son sang en Golgotha. Et cependant, au sein de son martyre,
il ne cesse pas d'être Jésus, c'est-à-dire, Sauveur. Il oublie que
c'est par ses meurtriers qu'il souffre, et ne se souvient que
de ceci : c'est qu'il souffre et meurt pour eux. Son sang
répandu crie au ciel et donne efficace à sa « prière, lorsqu'il
intercède pour ses bourreaux, afin d'arrêter le bras du juste Juge
prêt à les frapper. Père,
pardonne-leur ! Ces paroles sont une preuve
irréfragable qu'il n'est pas venu pour condamner le monde, mais pour
chercher et sauver ce qui était perdu. Car
ils ne savent pas ce qu'ils font. Leur ignorance était
en tout cas coupable. Ils ne voulaient pas reconnaître leurs
péchés, c'est pourquoi ils ne pouvaient pas connaître Jésus.
Mais le Sauveur crucifié regarde plutôt à leur misère qu'à leur péché.
Pour qui est cette consolante et puissante intercession
de Jésus ? D'abord pour les soldats qui lui ont percé les
mains et les pieds, ensuite pour le peuple qui a crié : Crucifie !
crucifie ! Que son sang soit sur nous et sur nos enfants !
puis pour Pilate, qui a cédé, contre sa conscience, à la voix
de la multitude ; enfin pour les principaux sacrificateurs
qui ont condamné à mort l'innocent. Tous ceux-là ont pris part à la
mort du Sauveur. C'est donc à chacun d'eux que l'intercession de Jésus
profitera. Mais elle nous profitera à nous aussi, car tous nous sommes
cause de sa mort. Si nos péchés ne l'avaient pas crucifié, ses ennemis
auraient bien été obligés de l'épargner. - Jésus sait que son Père
l'exauce toujours. Toutefois, ses meurtriers ne peuvent obtenir le
pardon de leur péché que s'ils apprennent eux-mêmes à le demander avec
des coeurs repentants.
Si même la plupart de ceux pour qui Jésus crucifié
intercède, lui ferment leurs coeurs, il ne manque cependant pas d'âmes
que le Père lui a données comme récompense de ses douleurs et
exaucement de sa prière. C'est pendant cet intervalle de six heures,
que le brigand se convertit sur la croix. Bientôt après, le centenier
païen loue Dieu et s'écrie : « Véritablement cet homme était
juste, c'était le Fils de Dieu. » Et tout le peuple qui était là
et voyait ce qui était arrivé, se frappait la poitrine. Sept semaines
plus tard, trois mille Juifs furent baptisés en la mort de Jésus.
C'est aussi un effet de l'intercession du Sauveur, que Dieu use encore
de patience envers les païens, envers les chrétiens tombés, et qu'il
diffère le jour du dernier jugement.
Le patient amour de Jésus enseigne la patience à tous
ceux qui lui sont unis par la foi. Étienne prie pour les Juifs
qui le lapident : « Seigneur, ne leur impute point ce
péché. » Jacques s'écria, lorsqu'ils le précipitèrent du
haut du temple : « Seigneur, pardonne-leur, car ils ne
savent ce qu'ils font ! » Jean Huss et Henri de
Zutphen ont prié pour leurs meurtriers. D'innombrables
chrétiens, qui ont été initiés par la foi au mystère de l'amour et des
douleurs de Jésus, sont entrés dans la vie de la charité et ont appris
sous la croix de Christ à aimer leurs ennemis. Nous ne devons pas
porter envie à Pierre, comme s'il jouissait d'un avantage dont nous
sommes privés, dans cette parole du Seigneur : « J'ai prié
pour toi, afin que la foi ne défaille point », car cette
intercession nous profite aussi. Oh ! puissions-nous en être
véritablement reconnaissants !
Après donc que les soldats
eurent crucifié Jésus, ils prirent ses habits et en firent quatre
parts, une part pour chaque soldat ; ils prirent aussi la
robe, mais elle était sans couture, d'un seul tissu, depuis le
haut jusqu'au bas. Ils dirent donc entre eux : Ne la mettons pas
en pièces, mais tirons au sort à qui l'aura de sorte que celle
parole de l'Écriture fut accomplie : Ils ont partagé mes
vêtements et ils ont jeté le sort sur ma robe. C'est ce que firent
les soldats. Il s'agit ici d'une succession, mais celui
qui n'avait pas où reposer sa tête ne pouvait pas laisser d'héritage.
Ceux qui estiment un homme d'après les biens qu'il a acquis pendant sa
vie et qu'il laisse après sa mort, ne peuvent avoir que du mépris pour
Jésus. Car il n'avait pour toute fortune que ses
vêtements, et ils appartenaient aux soldats. Mais la foi connaît un
meilleur héritage du Sauveur : « Je vous laisse ma
paix ; recevez le Saint-Esprit. »
Ce doit être une grande consolation pour les déshérités
de la fortune, que Jésus ait vécu pauvre et soit mort pauvre. Cela
montre que la pauvreté n'est en aucun cas un obstacle à une heureuse
mort, ni à l'entrée dans la gloire éternelle. Les soldats ne reçurent
de Jésus que ses vêtements. Que n'ont-ils cherché sa grâce, comme le
brigand sur la croix ! Ils auraient pu hériter, comme ce
malfaiteur, du paradis de Dieu. Il en est ainsi de tous ceux qui
veulent porter les vêtements de Jésus et se parer de son nom. Ils font
métier de la piété, afin d'acquérir, par son moyen, des avantages
terrestres. Ils ne cherchent ni la personne ni la grâce de Jésus.
Aussi sont-ils privés de la paix et du Saint-Esprit.
Le Sauveur est pendu à la croix, nu et dépouillé. C'est
ainsi qu'il supporte le châtiment que nous avons mérité par nos
voluptés, notre vanité et notre orgueil, par notre recherche de la
mode et du luxe dans les vêtements ; toutes choses qu'on ne
retrouve encore que trop souvent parmi les chrétiens. La vie cachée en
Dieu, sous la croix de Christ, doit paraître horriblement ennuyeuse
aux chrétiens imbus de pareilles idées. La foi reçoit de Christ un
meilleur vêtement que ceux qui furent abandonnés aux soldats :
c'est le sang et la justice du Sauveur. Couverts de ce vêtement, nous
pouvons subsister devant Dieu. « Car vous qui avez été baptisés
en Christ, vous avez revêtu Christ. » (Gal.
III, 27).
Alors les traits empoisonnés de la raillerie lancés par
la foule qui entoure la croix, pleuvent sur le crucifié. Et
ceux qui passaient par là, lui disaient des outrages, branlant la
tête et disant : Toi qui détruis le temple et le rebâtis en
trois jours, sauve-toi toi-même ; si tu es le Fils de Dieu,
descends de la croix. De même aussi les principaux sacrificateurs
avec les scribes et les sénateurs disaient en se moquant : Il
a sauvé les autres, et il ne peut se sauver lui-même. S'il est le
Roi d'Israël, qu'il descende maintenant de la croix et nous
croirons en lui. Il se confie en Dieu ; que Dieu le délivre
maintenant, car il a dit : Je suis le Fils de Dieu. Les
soldats l'outrageaient aussi, en disant : Si tu es le Roi
d'Israël, sauve-toi toi-même. Si
quelqu'un veut savoir ce qui se passait dans le coeur de Jésus,
pendant qu'il était en butte aux plus grossières moqueries, qu'il lise
le Psaume
XXIIe. D'abord, ils ont cloué son corps à la croix, puis ils ont
crucifié son âme en le transperçant des pointes acérées de leurs
outrages. Tout le venin d'aspic qui est sous la langue des hommes, et
par lequel ils pèchent contre Dieu, vient au jour dans la Passion de
Christ. Judas lui témoigne un attachement hypocrite ; Pierre le
renie ; les faux témoins mentent ; Caïphe et le Sanhédrin
prononcent un jugement inique ; le peuple se déchaîne devant le
prétoire ; Hérode se moque ; les soldats de Pilate outragent
le Seigneur ; le gouverneur confirme le jugement du Sanhédrin.
Et maintenant tous se réunissent autour de la croix,
Juifs et païens, savants et ignorants, vieux et jeunes, pour railler
et outrager le Sauveur expirant. Le diable tente encore un dernier
effort contre le Fils de Dieu et contre son oeuvre de salut, en
excitant les enfants de l'incrédulité voués à son service, à accabler
Jésus de leurs moqueries. De même que dans la nuit bénie, les cieux et
leur armée éclatèrent en cris de joie et de louanges, au sujet de
l'enfant couché dans la crèche, ainsi dans l'enfer il aurait sans
doute éclaté un cri de réjouissance si Jésus, en Golgotha, avait donné
une preuve de sa toute-puissance en descendant de la croix, et n'avait
pas été obéissant jusqu'à la mort. Alors on eût dit : Il a essayé
de sauver les pécheurs, mais il a trouvé l'oeuvre trop difficile, et a
été obligé de l'abandonner éternellement. Il a commencé à construire
une tour, mais il n'a pas calculé la dépense. Jésus demeure sur la
croix, et il savoure toutes les ignominies contenues dans la coupe que
le Père lui a donnée à boire. Il ressent les douleurs de David,
lorsqu'il disait : « Mes ennemis m'ont outragé, ce qui a été
une épée dans mes os, lorsqu'ils me disaient chaque jour. Où est ton
Dieu ? » (Ps.
XLII, 11). Il reste calme, lors même que la honte lui brise le
coeur.
L'un des malfaiteurs qui avaient
été crucifiés, l'outrageait aussi en disant : Si tu es le
Christ, sauve-toi toi-même et nous aussi. Mais l'autre, le
reprenant, lui dit : Ne crains-tu point Dieu, puisque tu es
condamné au même supplice ? pour nous, nous le sommes
avec justice, car nous souffrons ce que nos crimes méritent ;
mais celui-ci n'a fait aucun mal. L'un des malfaiteurs
exhale sa douloureuse fureur en paroles outrageantes contre le
Seigneur. Telle est la profondeur de l'abîme dans lequel tombe l'homme
qui vit sans Dieu, que, même en face de la mort et du jugement, même
lorsque la grâce libératrice s'approche de lui dans la personne du
Sauveur, il exhale, par des blasphèmes, la rage impuissante de son
coeur endurci ! C'est une espérance absolument vaine que celle de
ce christianisme sentimental et malsain, qui admet la possibilité pour
les damnés d'être amenés à la repentance par les souffrances qu'ils
endurent dans l'enfer. Ils cherchent par des blasphèmes à soulager
leurs coeurs angoissés, et ne parviennent qu'à rendre leurs tourments
plus insupportables. Même déjà sur la terre, la plupart de leurs
blasphèmes ne sont que l'expression de leurs déchirements intérieurs
et de leur désespoir.
En revanche, l'autre brigand prépare au Seigneur une
douce consolation. Il est les prémices de cette moisson produite par
le grain de blé semé en ce moment et destiné à mourir. Déjà les
railleries de la foule qui entoure ce criminel l'ont indigné ;
mais que son compagnon de péché et de supplice ne tremble pas sur le
seuil de l'éternité et en face du jugement de Dieu ; qu'au
contraire il se répande en paroles blasphématoires, c'est ce qu'il ne
saurait supporter. C'est pourquoi il ouvre la bouche pour lui adresser
une sérieuse réprimande, laquelle se convertit immédiatement en une
confession de ses péchés, pleine d'humilité et de repentance. -
Avons-nous déjà, surtout lorsque le poids du fardeau de nos
souffrances fait couler nos larmes, avons-nous déjà fait cette
confession franche et sans réserve : Nous souffrons ce que nos
péchés méritent. Parce qu'il agit selon la vérité, le brigand converti
vient à la lumière. Il a aussi des yeux pour reconnaître le Seigneur
qui est près de lui, plein de grâce et de vérité. Puis
il dit à Jésus : Seigneur, souviens-toi de moi quand tu seras
entré dans ton règne. Malgré le martyre, malgré toutes
les ignominies que souffre le Crucifié, ce malfaiteur reconnaît en lui
le Roi d'Israël, le Sauveur des pécheurs. Il croit que ce Roi
reparaîtra sous une autre forme, dans la gloire, pour fonder son
royaume. C'est pour ce moment qu'il prie le
Sauveur de garder de lui un souvenir miséricordieux. Jésus entend tous
les outrages sans rien dire ; mais à ce pauvre pécheur, il lui
accorde plus qu'il ne lui a demandé. Il le console en proportion de sa
foi ; puis il ouvre la bouche pour prononcer la deuxième parole
de la croix.
Je le dis en vérité - par cette
parole il fait briller sa gloire royale - que
tu seras aujourd'hui avec moi en paradis. Il parle
comme ayant dans sa main percée les clefs de la mort et de l'enfer.
« Je n'attendrai pas le jour de mon avènement pour me souvenir de
toi. Aujourd'hui déjà, tu seras heureux avec moi dans le
paradis. » Jésus accorde sa grâce à un pécheur désespéré, à la
dernière heure de sa vie, et il nous montre par là, afin de nous
humilier et en même temps de nous consoler, que pour nous admettre
dans son royaume, il n'attend de nous ni oeuvres ni mérites. Jésus
crucifié, dont la croix est plantée en terre, mais dont les mérites
atteignent jusqu'au ciel, nous ouvre seul la porte du paradis. Il n'y
a nulle autre voie pour parvenir au salut, que celle suivie par le
brigand pardonné. Ainsi tenons ferme ceci c'est que l'homme est
justifié par la foi sans les oeuvres de la loi uniquement par la foi
en Christ crucifié. Si quelqu'un, imbu de sa propre justice, pensait
en son coeur : Puisque ce brigand, attaché à la croix, a encore
pu être sauvé, combien plus le salut doit-il être assuré à ma vie
irréprochable ! Que celui qui raisonne ainsi, sache que le
brigand n'a obtenu sa grâce que parce qu'il a reconnu qu'en le
punissant, Dieu agissait avec justice, et parce qu'il soupirait après
le Sauveur avec un coeur brisé.
Or, la mère de Jésus et la soeur
de sa mère, Marie, femme de Cléopas, et Marie-Madeleine se
tenaient au pied de la croix. En voyant sa mère, le
Seigneur ouvre la bouche pour prononcer la troisième parole de la
croix.
Jésus voyant sa mère, et près d'elle le disciple qu'il aimait, dit à
sa mère : Femme, voilà ton fils ;
puis il dit au disciple : Voilà la mère.
Et, dès cette heure, le disciple la prit chez lui. Marie, la mère de
douleurs, se tient au pied de la croix de son Fils, et fait
l'expérience de la prédiction de Siméon : « Une épée te
transpercera l'âme. » Amer est son nom, mais plus amère encore
est sa douleur. Sans ce Fils, la vie n'a plus de prix pour elle, et
ses yeux ne seront désormais que des fontaines de larmes. Mais celui
qui, par la croix, apporte la consolation au monde entier, ne veut pas
laisser sa mère dans la désolation. Afin que Marie ne soit pas privée
d'un coeur qui l'aime, il la donne au disciple qu'il aime, afin qu'il
le remplace auprès d'elle par son amour filial. Ce n'était pas pour
Jean un devoir difficile, mais plutôt un legs précieux. Pouvoir
témoigner dans Marie son amour pour le Sauveur, c'était le sceau
apposé sur ce qui faisait le bonheur de sa vie : « être le
disciple que Jésus aimait. »
Jésus ne donne pas à Marie le doux nom de mère. On a
pensé qu'il l'avait fait par ménagement, pour ne pas déchirer
davantage son coeur maternel. Cela est possible, mais nous avons
certainement à nous souvenir ici des noces de Cana, et de plusieurs
autres occasions où le Seigneur s'est appliqué avec intention à
écarter d'avance l'idée que sa mère exerçât une médiation quelconque
dans les choses du règne de Dieu, médiation qu'on lui a attribuée dans
les temps postérieurs. Par cette expression de « femme », le
Sauveur veut inspirer à Marie cet amour qui ne connaît plus personne
selon la chair. Il veut témoigner à l'Église de tous les siècles, que
dans son oeuvre de réconciliation, il se sent uni à tous les pécheurs
par un égal lien, et qu'il ne l'est pas plus à Marie qu'à tout autre.
Jésus ne pouvait assurément pas prendre un plus grand
soin de l'âme de sa mère, qu'en la confiant à la protection pleine
d'amour de Jean, qui, comme nul autre, avait vu la gloire du Fils
unique venu du Père. Ce disciple pouvait et devait être un puissant
soutien, pour assurer à Marie que ce que lui avait annoncé la
salutation angélique, à laquelle elle avait été si heureuse de croire,
n'était pas menacé, et que la royauté céleste qu'elle avait contemplée
avec joie en esprit, n'avait pas péri sur la croix, mais qu'au
contraire une nouvelle aurore et un nouvel épanouissement allaient
commencer pour elle.
Jésus est attaché à la croix depuis trois heures. Les
moqueurs se sont tus peu à peu et le silence s'établit autour de
l'instrument du supplice. Il était environ
la sixième heure, et il se fit des ténèbres sur toute la terre,
jusqu'à la neuvième heure. La gloire du Seigneur avait
resplendi sur les champs de Bethléem, parce que la lumière du monde
était apparue. Ici, en Golgotha, une obscurité enveloppe tout le pays,
parce que la lumière du monde s'est éteinte dans la mort. Le juge
Denis, mentionné Actes
XVII, 34, qui vivait alors en Égypte et était encore païen, doit
avoir dit à propos de ces ténèbres : « Ou bien la Divinité
souffre, ou bien elle sympathise avec quelque être souffrant. »
Cette obscurité extérieure était un emblème de celle qui régnait dans
l'âme du Sauveur. Il éprouvait les épouvantes de la mort et se
plongeait dans les tourments éternels, parce que tous nos péchés
pesaient sur lui. Notre corruption le séparait de son Dieu.
Il souffre depuis trois heures sous le fardeau de nos
péchés, sans laisser échapper une plainte. Il épuise jusqu'à la
dernière goutte la coupe de la colère, que son Père lui adonnée à
boire. Ce qui s'est passé dans son âme pendant ces trois sombres
heures, il a voulu le tenir caché. C'est seulement dans l'éternité que
cela sera révélé, au milieu des louanges des bienheureux. Nous pouvons
cependant avoir un pressentiment de ces douleurs, par ce passage du Psaume
XVIlle, 5, où le Saint-Esprit prédisant les souffrances du
Sauveur, met dans la bouche du prophète ces paroles : « Les
cordeaux de la mort m'avaient environné, les torrents des méchants
m'avaient entouré. Les cordeaux du sépulcre m'avaient environné, les
pièges de la mort m'avaient surpris. Quand j'étais dans l'adversité,
j'ai crié à l'Éternel, j'ai crié à mon Dieu. » Les mêmes plaintes
se trouvent dans les passages suivants : Psaume
LXIX, 2. 3. « Délivre-moi, ô Dieu, car les eaux sont
entrées jusque dans mon âme. Je suis enfoncé dans un bourbier fangeux,
dans lequel je ne puis prendre pied ; je suis entré au plus
profond des eaux, et les eaux débordées m'entraînent. » Psaume
XLII, 8 : « Un abîme appelle un autre abîme au bruit
de tes ondées. Toutes. tes vagues et tes flots ont passé sur
moi. » Psaume
XIII, 2. « Éternel jusques à quand m'oublieras-tu toujours,
jusques à quand cacheras-tu ta face de
moi ? » Psaume
LXXXIX, 47. « Jusques à quand, ô Éternel, te
cacheras-tu ? Ta colère s'embrasera-t-elle comme un
feu ? »
Alors, tout à coup, à la neuvième heure, Jésus cria à
haute, voix, et prononça la quatrième parole de la croix.
Eli, Eli, lamma sabbachtani ! Mon Dieu,
mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? Ces paroles
résonnent comme un lugubre cri d'angoisse sortant de l'enfer. Et c'est
Jésus qui les prononce ! Mon âme, ne les oublie jamais et ne
laisse jamais sortir de ta pensée combien il en a coûté à Jésus pour
te sauver ! Ton Sauveur, abandonné de Dieu ! terrible
obscurité ! « Moi et mon Père, nous sommes un, » et
maintenant abandonné de Dieu ! Ainsi les ténèbres ont donc
complètement envahi même l'âme du Sauveur ! On se plaint souvent,
dans le feu de l'affliction, d'être oublié, abandonné de Dieu. Mais
c'est seulement notre oeil qui est obscurci et qui ne reconnaît pas
Dieu. Dans ces cas, on pourrait certainement dire avec plus de
raison : « Lorsque l'affliction est à son comble, c'est
alors que Dieu est le plus près. » Ceux-là seulement sont
abandonnés de Dieu, qui persévèrent dans leurs iniquités, privés de la
grâce de Dieu et des consolations que donne le pardon des péchés. La
colère de Dieu demeure sur eux. Ils sont déjà la proie du feu qui ne
s'éteint point et du ver qui ne meurt point. Voilà ce qu'on peut
appeler être abandonné de Dieu. Âme chrétienne, écoute encore une fois
ce cri de Jésus : Mon Dieu, Mon Dieu,
pourquoi m'as-tu abandonné ?
Nous avons un pressentiment des épouvantables ténèbres
qui ont enveloppé l'âme de Jésus. Dans cette heure de profonde
obscurité intérieure et extérieure, il a réellement et véritablement
enduré l'angoisse et les tourments des damnés. La malédiction de la
loi pénètre dans ses os comme de l'huile bouillante. Toutes les
souffrances de l'enfer réservées à l'humanité pécheresse, tout ce qui
bourrèle une conscience coupable, tout cela assiège et angoisse, dans
cette heure ténébreuse, l'âme du Sauveur. Le malheur et le bonheur, la
vie et la mort de toute l'humanité pécheresse dépend
de l'issue du combat qui se livre en ce moment en Golgotha.
« Abandonne Dieu et meurs ! » tel est le conseil que le
prince des ténèbres donne à Jésus.
Toutefois, à peine le Seigneur a-t-il ouvert la bouche
pour laisser échapper ce cri d'angoisse, que déjà la victoire lui est
assurée. Il a traversé, en combattant et en priant, l'océan
d'angoisses causées par les péchés du monde. Il s'écrie :
« Mon Dieu, mon Dieu ! » et il se fortifie par cette
pensée : Je demeure cependant toujours près de toi, lors même que
les flots de ta colère et de tes jugements fondent sur moi ! Tu
es cependant mon Dieu, et toujours mon Dieu. Privé du
sentiment de la présence de Dieu, hors d'état de goûter les douceurs
de l'amour divin, il se sent séparé de son Père par les péchés du
monde. Toutefois, par dessus l'abîme creusé entre ces deux êtres,
Jésus étend la main de la foi jusqu'au coeur de Dieu, et
s'écrie : Mon Dieu, mon Dieu !
Il est vrai qu'il est dit : Mon Dieu et
non : Mon Père. Un instant auparavant, il disait
encore : Père, pardonne-leur. Un instant après, il
dit : Père, je remets mon esprit entre tes mains. Mais
pendant ces trois heures d'angoisse, Dieu ne se présente plus à lui
comme le Père plein d'amour, mais comme le Juge, dont la colère
foudroyante éclate dans l'âme de celui qui porte nos péchés. Jésus le
sait, c'est pourquoi il s'écrie : Mon Dieu et non :
Mon Père. Toutefois il se tient fortement attaché à lui et
pense : Tu es cependant mien. Je ne t'abandonnerai pas.
C'est ainsi qu'il remporte la victoire. Or, sa victoire est la nôtre.
Nous sommes agréables à Dieu, si nous sommes trouvés en son Bien-aimé.
Parce qu'il a traversé en vainqueur la colère de Dieu et est arrivé
jusqu'à lui ; parce qu'il s'est chargé de nos péchés et est
parvenu victorieusement jusqu'à Dieu, il nous a ouvert l'accès auprès
de lui, tellement qu'il n'y a plus maintenant aucune condamnation pour
ceux qui sont en Jésus-Christ.
Et quelques-uns de ceux qui
étaient présents, ayant ouï cela, disaient : Il appelle Elie.
Et d'autres disaient : Attendez, voyons si Élie viendra le
délivrer. Les moqueurs sont effrayés et rendus muets
par ces ténèbres du vendredi saint mais ces phénomènes ne les amènent
ni à la repentance ni à la foi. Pour les impies, les miracles
du Seigneur sont inutiles. - Après cela, Jésus, voyant que tout était
accompli, prononça la cinquième parole de la croix
J'ai soif, Il y avait là un vaisseau rempli
de vinaigre. Ils emplirent de vinaigre une éponge, et l'ayant
fixée à une branche d'hysope, ils l'approchèrent de sa bouche.
Les tourments de la soif dont Jésus souffrait depuis longtemps en
silence, il aurait pu les supporter, avec tous les autres, pendant le
peu de temps qui lui restait à vivre. Mais il annonce sa soif à haute
voix, avec une pleine conscience, afin que ce détail de l'Écriture fût
aussi accompli (Psaume
LXIX, 22) : « Dans ma soif, ils m'ont donné du
vinaigre. » Jésus a supporté la soif corporelle lorsque, dans son
ardent amour, il se laissait consumer par le feu de la colère divine,
afin de soulager dans leurs peines ceux qui croiraient en lui, et de
les restaurer sur leur lit de mort. Il a supporté cette soif, afin
que, lorsque la faim et la soif commencent à se faire sentir après les
satisfactions et les rassasiements de cette terre, nous ne
languissions pas, dans l'éternité, après une goutte d'eau pour
rafraîchir notre langue, et afin de pouvoir donner gratuitement à nos
âmes un breuvage puisé aux sources des eaux vives.
J'ai soif ! Le
Seigneur pousse ce cri vers le coeur de son Père. Sa soif corporelle
était une fidèle expression de sa soif de Dieu, du Dieu fort et
vivant. Toutes les aspirations du Fils avaient toujours été dirigées
vers le Père. Mais comme la soif de son âme devait être brûlante après
les combats qu'il avait soutenus, et pendant cette heure de
ténèbres ! J'ai soif ! Jésus adresse cet appel au
Père, non seulement dans le silence de son coeur, mais à haute voix.
C'est que ce cri est poussé pour nous. Comme Agneau de Dieu, il expie
nos péchés, et maintenant il a soif de présenter nos âmes à son Père
comme récompense de ses souffrances. Chrétien ! chaque fois que
le cri de ton Sauveur : J'ai soif ! se fait entendre
à ton coeur, pense constamment :
Il lutte, altéré, pour sauver ton âme ;
Donne-lui l'amour que sa voix réclame.
« Donne-moi à boire », dit-il un jour à la Samaritaine près
du puits de Jacob. Mais il avait plus soif de l'âme
de cette femme que de l'eau qu'elle allait puiser. Il fut désaltéré,
lorsqu'elle lui dit : « Seigneur, donne-moi de cette eau,
afin que je n'aie plus soif. » Il a soif de notre soif.
C'est pourquoi il proclame heureux ceux qui ont faim et soif de
justice, car ils seront rassasiés. L'homme naturel connaît, celle soif
brûlante de l'âme ; mais il ne peut pas l'apaiser. Le coeur de
l'homme est un abîme que la mer du monde ne saurait combler. Jetez-y
toutes les jouissances et toutes les joies, tous les honneurs et tous
les biens de la terre ; ils ne rempliront point ses vides ;
ils n'étancheront point sa soif. Le monde entier, avec toutes ses
satisfactions, est hors d'état de restaurer véritablement un coeur. Le
bon Berger qui, dévoré de soif, est attaché à la croix, lui donne seul
la vie et un plein contentement. Sous sa garde, on fait l'expérience
de cette parole d'Asaph : « Ma chair et mon coeur
défaillaient, mais Dieu est le rocher de mon coeur et mon partage à
toujours. (Psaume
LXXIII, 26.)
Lorsque Jésus eut pris le vinaigre, il prononça la
sixième parole de la croix :
Tout est accompli. L'oeuvre que
le Père avait donnée à faire au Fils est accomplie. L'Évangile qui est
annoncé au monde entier, sur la vie, les souffrances et la mort de
Jésus, est une explication de cette parole : Tout est
accompli, car cette parole n'est elle-même autre chose que cette
Bonne Nouvelle : « Venez, car tout est prêt. » Le
travail est achevé, la foi a été gardée, la course est terminée, le
calice est vidé, le combat a fini par la victoire, la voie est
aplanie ; le chérubin qui gardait la porte du paradis s'est
éloigné, les chaînes de la malédiction sont rompues, les traits
enflammés de Satan sont éteints, le péché est détruit, le monde est
purifié, la loi est accomplie, la rançon est payée, les fautes sont
effacées, le sacrifice est consommé, le châtiment a été subi, la
colère est apaisée ; Dieu est réconcilié, la délivrance est
parfaite, la justice est rétablie, le ciel est ouvert, l'Écriture est
accomplie. Marie tressaille de joie à l'ouïe de ce cri de
victoire ; le brigand se réjouit en voyant ses espérances
couronnées ; les serviteurs de Dieu louent le
grand acte de la rédemption, et le Tout-Puissant prononce son Amen sur
la parole de son Fils mourant.
L'oeuvre est accomplie, ainsi il n'y manque rien. Peu
importe ce que le monde et Satan en disent, l'oeuvre de Dieu est
parfaite. Tous les droits de sa justice sont satisfaits. Le nom du
Père a été glorifié en présence de toutes les créatures. La tête du
serpent est écrasée, et un fondement inébranlable a été posé pour la
création de nouveaux cieux et d'une nouvelle terre. Cette oeuvre n'a
besoin d'aucun complément ; elle n'est susceptible d'aucun
perfectionnement. Aussitôt que cette parole : Tout est
accompli, est prononcée, tous les hommes, quelque grands et
horribles que soient leurs péchés, peuvent participer par la seule foi
et être assurés et joyeux de leur délivrance et de leur adoption.
Désormais aucun pécheur ne sera nécessairement perdu. Ceux-là
seulement périront, qui ne veulent pas avoir part à l'oeuvre parfaite
du Sauveur. Quiconque, en travaillant à son salut, veut ajouter peu ou
beaucoup, soit par ses oeuvres, soit par sa propre satisfaction, à
l'oeuvre du Sauveur, l'accuse de mensonge lorsqu'il s'écrie :
Tout est accompli. Un tel homme renie et déshonore Dieu dans la
personne de son Fils Jésus-Christ.
Tout est accompli. Tout est donc prêt pour moi. Je
n'ai donc plus qu'à tendre la main pour m'approprier cette oeuvre. Je
serai justifié par la grâce sans aucun mérite de ma part, et j'aurai
droit à la délivrance opérée par Jésus-Christ. Ce sera ma consolation
dans la vie et dans la mort.
Enfin Jésus se prépare à mourir. Personne ne lui ôte la
vie. Il la remet lui-même librement et volontairement entre les mains
du Père ; c'est alors qu'il prononce à haute voix la septième
parole de la croix :
Père, je remets mon esprit entre tes mains.
Le souverain sacrificateur annonce la consommation du sacrifice de
lui-même, qu'il vient d'accomplir, et par lequel il a vaincu la mort.
Père, dit-il ! Le Fils a donc vaincu, et il repose de nouveau sur
le coeur du Père. - Jésus crie à haute voix : De même qu'un héros
victorieux fond sur l'ennemi avec un cri éclatant
de triomphe, ainsi celui qui a brisé tous les liens, terrassé avec un
cri de victoire le dernier ennemi, la mort, remet son esprit entre les
mains du Père. Et les mains de son Père, c'est le Paradis. Ce n'est
pas seulement l'âme du brigand qu'il a attirée à lui dans ce lieu de
délices, ce sont les âmes de tous ceux qui croient en lui, et qu'en sa
qualité de médiateur et de souverain sacrificateur, il remet avec la
sienne entre les mains du Père. C'est ce qu'il a promis à ses brebis
lorsqu'il a dit : « Je leur donne la vie éternelle, et nul
ne les ravira de ma main. Mon Père qui me les a données est plus grand
que tous, et nul ne les ravira de la main de mon Père. Moi et mon Père
nous ne sommes qu'un. »
La dernière parole de Jésus en croix est le bienheureux
mot d'ordre de tous les croyants sur leur lit de mort. Jésus, vie de
ma vie, aide-moi à vivre saintement ; Jésus, mort de ma mort,
aide-moi à mourir en paix ! Étienne s'était approprié cette
dernière parole de Jésus lorsque, succombant sous les pierres que lui
lançaient les Juifs, il s'écriait : Seigneur Jésus, reçois
mon esprit. Jean Huss, en marchant au bûcher, répéta plusieurs
fois cette prière : « Je remets mon esprit entre tes
mains ; tu m'as sauvé, Seigneur Jésus, qui es le Dieu de
vérité ». (Psaume
XXXI, 6.)
Et ayant dit cela, il baissa la
tête et expira. Jésus a traversé jusqu'au bout les
épouvantements de la mort en Gethsémané et dans les dernières heures
de ténèbres qu'il passa sur la croix. Maintenant la lumière a de
nouveau brillé dans son âme. Par un libre amour, il a donné sa vie en
sacrifice expiatoire, afin d'arracher à notre propre mort son
aiguillon et à notre sépulcre sa victoire. La mort n'avait aucun droit
sur lui qui était parfaitement saint. Sa mort est une rançon qu'il a
payée pour nous. Cette mort n'est pas la fin, elle est la perfection
de sa vie ; elle n'est pas la clôture, elle est le point
culminant de son histoire ; elle n'est pas l'ombre, elle est le
point lumineux de l'Évangile.
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