Vendredi, vers quatre heures du matin, le Sanhédrin se réunit de
nouveau pour se mettre en mesure d'exécuter la sentence de mort qu'il
avait prononcée contre Jésus. Le serment par lequel le Sauveur avait
affirmé sa qualité du Fils de Dieu, avait fourni aux membres du
Conseil suprême le prétexte cherché pour le condamner à mort, comme
blasphémateur. Seulement, il leur était défendu d'appliquer eux-mêmes
cette peine. L'autorité romaine s'était réservé ce pouvoir. Il fallait
donc s'adresser au gouverneur Pilate, pour obtenir l'autorisation
d'exécuter le jugement de condamnation qui avait été prononcé. Or, il
était très douteux que Pilate consentit à exécuter une sentence de
mort basée sur une infraction à la loi mosaïque. En tout cas, il
fallait pouvoir joindre à ce chef d'accusation, un autre grief de
nature à entraîner la peine de mort. On s'accorda sur la nécessité de
représenter Jésus comme coupable de rébellion contre l'empereur, parce
qu'il s'était posé comme le Messie, le Roi des Juifs. ne
renfermait aucune défense à cet égard ; mais ce commandement
d'hommes, les pharisiens le mettaient bien au-dessus de la loi de
Dieu. Voilà pourquoi ils livrent à la mort, avec sang-froid, celui
auquel Moïse et les prophètes rendent témoignage. Couler un moucheron
et avaler un chameau, telle était bien l'essence du pharisaïsme.
Ils se rendent coupables de la même hypocrisie, tous ceux
qui célèbrent extérieurement les jours de fête et qui laissent régner
dans leurs coeurs l'orgueil, l'avarice, la haine, le sens charnel.
Avant de participer à la sainte Cène, ils affectent des airs d'une
componction de commande ; mais après le repas sacré, ils ne se
font aucun scrupule de vivre dans les péchés auxquels ils se livraient
auparavant. Lorsque nous voyons ce que le Sauveur souffre entre les
mains de ces saints hypocrites, nous avons un puissant motif de
veiller et de prier, afin que tout en observant extérieurement les
formes de la piété, nous ne crucifiions pas de nouveau le Seigneur
Jésus par notre amour du péché.
Le repas pascal, en vue duquel les principaux
sacrificateurs voulaient se conserver purs, n'était pas celui où l'on
mangeait l'agneau pascal, car cet agneau avait été mangé déjà la
veille au soir. Il est plutôt question ici des autres repas de la
fête, dans lesquels figuraient les pains sans levain. Les ennemis de
Jésus comptaient avec assurance que cette sanglante affaire serait
promptement terminée, et que leur appétit pour la bonne chère qu'ils
se promettaient pendant la fête, ne serait pas gâté. Pilate
sortit donc vers eux et leur dit : Quelle accusation
portez-vous contre cet homme ? Ordinairement le
gouverneur confirmait purement et simplement la décision du Sanhédrin,
sans procéder à un nouvel interrogatoire. Mais vis-à-vis de cet
accusé, il ne pouvait pas en être ainsi. Dès le premier coup d'oeil,
Pilate avait vu que Jésus n'était ni un criminel ni un malfaiteur. De
là sa question relativement au délit dont il pouvait s'être rendu
coupable. Les principaux sacrificateurs étaient sans doute préparés à
ce que Pilate s'enquit de la faute de l'accusé. Cependant ils essayent
de déterminer le gouverneur à exécuter simplement la sentence qu'ils
avaient prononcée. Si cet homme n'était pas
un malfaiteur, nous ne te l'aurions pas amené.
Ils voulaient dire : Tu dois avoir assez de confiance en nous,
pour croire que nous n'avons pas prononcé un jugement inique. Nous
sommes tous venus à toi pour rendre témoignage de la culpabilité de
cet homme.
Toutefois Pilate ne les croit pas. Il veut bien leur
montrer de la patience et de la complaisance. Lorsqu'une faute lui
apparaît clairement, il abrège ces longs procès et confirme sans
autres formalités la sentence du Sanhédrin. Mais ici il a fait
d'avance ses réserves. Toute la personne de Jésus l'avait
favorablement impressionné. Il a le sentiment intime de son innocence,
et ne veut rien faire contre la voix hautement articulée de sa
conscience. Ce qu'il aimerait le mieux, serait de rester complètement
en dehors de cette affaire, et de remettre au Sanhédrin lui-même la
charge d'exécuter la sentence qu'il a prononcée. Prenez-le
vous-mêmes et le jugez selon votre loi. Le gouverneur
est blessé de ce que les principaux sacrificateurs ne veulent pas même
lui rendre raison du délit de l'accusé ; et il leur explique
qu'aucun jugement ne peut être rendu sans un interrogatoire préalable.
Si, d'après la loi juive, les juges peuvent se dispenser de faire
subir cet interrogatoire, qu'ils jugent eux-mêmes l'accusé. Aussi s'en
fallut-il de peu que la cause ne revînt du tribunal civil au tribunal
ecclésiastique.
On a peine à comprendre que les principaux sacrificateurs
n'aient pas pris avidement Pilate au mot. Ils n'avaient réellement pas
le droit d'exécuter eux-mêmes une sentence de mort, mais puisque cette
parole avait échappé à la mauvaise humeur du gouverneur, ils auraient
très facilement pu s'en autoriser, pour procéder rapidement à la
lapidation du condamné. Si, au lieu de cela, ils répondent
humblement : Il ne nous est pas permis
de faire mourir personne, nous n'avons pas à considérer
ces paroles comme l'expression d'une conscience politique
délicate ; car elle ne les empêchera nullement plus tard de
mettre à mort Étienne et Jacques le Juste, sans les faire juger par le
tribunal romain. Saint Jean nous indique le vrai et profond motif de
cette condescendance : Et ce fut ainsi
que s'accomplit ce que Jésus avait dit en marquant de quelle mort
il devait mourir. Les principaux sacrificateurs étaient
ici des instruments inconscients des desseins de
Dieu, d'après lesquels Jésus devait mourir sur la croix, supplice qui
n'était en usage que chez les Romains. C'est ainsi que les ennemis de
Jésus furent obligés d'articuler un véritable chef d'accusation contre
lui. Du reste, ils y étaient préparés d'avance. Nous
avons trouvé cet homme séduisant la nation et défendant de payer
le tribut à César, et se disant le Christ, le Roi.
Les principaux sacrificateurs laissent prudemment de côté
le vrai motif pour lequel ils ont condamné Jésus, c'est-à-dire, parce
qu'il s'était dit Fils de Dieu ; car ils savaient bien que Pilate
n'eût jamais confirmé une sentence de mort basée sur une telle
accusation. Aussi donnent-ils à l'affaire une tout autre tournure,
comme s'il s'agissait du salut de l'État. Ils accusent le Seigneur
d'avoir violé les lois civiles, et excité le peuple à la désobéissance
et à la rébellion contre l'autorité. À toutes les époques de
persécutions, on a adressé aux chrétiens les mêmes reproches. Les
principaux sacrificateurs savaient parfaitement que c'était là une
pure calomnie. Jésus s'était échappé lorsqu'on avait voulu le faire
roi, et il avait dit expressément : Rendez
à César ce qui est à César. Mais il leur est
indifférent de dire la vérité ou de mentir, pourvu qu'ils atteignent
leur but.
Pendant qu'on accusait ainsi Jésus, il avait été conduit
dans l'intérieur du prétoire pour y être gardé. Pilate rentra donc
dans le prétoire, et ayant fait venir Jésus, il lui dit : Es-tu
le roi des Juifs ? Pilate s'inquiétait assurément
fort peu des espérances religieuses des Juifs, mais il n'ignorait pas
qu'ils attendaient le Messie, qui devait fonder un puissant royaume.
Il devait donc être frappé au plus haut degré de voir les chefs du
peuple s'opposer avec une telle violence à ce prétendu Messie, sous le
prétexte qu'il portait atteinte à la domination et aux revenus de
l'empereur romain.
L'affaire devenait donc intéressante pour Pilate et il
saisit volontiers l'occasion d'en découvrir le véritable fond. Il fait
donc venir le Sauveur hors de la présence des témoins, dans
l'intérieur du prétoire, et lui dit avec étonnement : Es-tu
le roi des Juifs ? Pilate n'a aucun pressentiment
de l'importance de ce moment où il se trouve face à face avec le
Sauveur. Mais Jésus oublie la bande des malfaiteurs
qui l'a amené lié devant le gouverneur ; il ne pense qu'à une
chose, c'est que Pilate a une âme immortelle, pour laquelle il est
venu se livrer à la mort, et il cherche à arriver au coeur de cet
aveugle païen, dont les mains sont souillées de tant de sang innocent.
Il répond donc à la question du gouverneur par une autre question. Dis-tu
cela de ton propre mouvement, ou si d'autres te l'ont dit de
moi ? C'était un trait lancé à la conscience de
Pilate. « Est-ce ton coeur qui te dicte cette question ?
cherches-tu réellement un Sauveur ? ou bien m'interroges-tu
seulement officiellement, comme juge, et pour t'assurer si je suis en
effet un personnage dangereux pour ton empereur ? Mais un coeur
non brisé ne reste pas longtemps avec le Sauveur. Pilate pressent
quelque chose du saint amour de Jésus pour les pécheurs, mais son
orgueil étouffe ce sentiment, comme s'il craignait que son coeur ne
fut en quelque manière impressionné par la question du Sauveur.
Suis-je Juif ? Ta nation et
les principaux sacrificateurs t'ont livré à moi. Qu'as-tu
fait ? Pilate laisse voir tout l'orgueil d'un
vieux Romain, auquel il est impossible de s'intéresser aux questions
religieuses des Juifs. Il parle seulement comme un juge auquel les
autorités de sa nation ont livré le Seigneur. Par sa question. Qu'as-tu
fait ? il n'a en vue que l'interrogatoire touchant les
affaires terrestres. Mais il ne se débarrasse pas si facilement de
cette main d'amour tendue vers son âme. Le Seigneur lui dit : Mon
règne n'est pas de ce monde ; si mon règne était de ce monde,
mes gens combattraient, afin que je ne fusse pas livré aux Juifs,
mais maintenant mon règne n'est pas d'ici-bas. Jésus
calme l'inquiétude que pouvait causer à Pilate l'établissement du
règne de Dieu, comme capable de nuire à la stabilité de l'empire
romain.
Le règne de Jésus est bien dans ce monde, et il
tend à se soumettre tous les coeurs et à pénétrer toutes les relations
des hommes entre eux ; mais il n'est pas de ce monde. Son
origine et toute sa constitution indiquent qu'il est de son essence
surnaturel, céleste, divin ; autrement il ne pourrait pas
transformer et glorifier le monde. Le fait que le royaume de Jésus
n'est pas de ce monde, devait immédiatement expliquer à Pilate, cet
homme d'État éclairé, le motif pour lequel les chefs du peuple
persécutaient le « roi des Juifs » avec
une haine mortelle. Ce ne pouvait donc pas être un roi tel qu'ils
l'entendaient, ni un royaume semblable à ceux de ce monde. - Jésus
convient donc qu'il a un royaume ; seulement ce n'est pas un
royaume de ce monde. Cette déclaration éveille l'attention de Pilate.
Il a le pressentiment qu'il y a là un mystère extraordinaire. C'est
pourquoi il dit à Jésus avec étonnement : Tu
es donc roi ? Jésus lui répondit : Tu le dis ; je
suis roi. Jésus fait encore une fois impression sur
Pilate, qui ne peut pas rester insensible à la noblesse et à la
majesté du Sauveur debout devant lui.
Pilate, cet homme couvert de crimes, a étouffé les
avertissements de sa conscience, dans le tourbillon des joies
mondaines. Il n'a compris ni le profond soupir, ni l'ardente
aspiration de son coeur. Et par un merveilleux enchaînement de
circonstances, il a devant lui l'Orient d'en-haut, le Seigneur de
gloire. Et il lui est donné, pour un instant, de jeter un regard sur
ce royaume surnaturel dont il n'a jamais eu le pressentiment. Et le
Roi de ce royaume entre en conversation avec lui ; il heurte à la
porte de son coeur, afin qu'il la lui ouvre. Comme le scepticisme et
le sens charnel de Pilate durent être ébranlés ! Mais le Sauveur
ne veut pas lui ravir son âme dans l'étourdissement d'un sentiment
obscur et inconscient. Il veut que le coeur du gouverneur cède à une
calme et libre conviction. C'est pourquoi il lui vient en aide par ces
paroles : Je suis né pour cela, et je
suis venu pour rendre témoignage à la vérité.
Le but de l'incarnation du Fils de Dieu était de délivrer
l'humanité du mensonge et de la tromperie des ténèbres, des fausses
apparences et des négations qui la séduisent. Cette parole pénètre
comme un souffle de vie dans le coeur de Pilate. 0 Pilate, ne veux-tu
pas agir selon la vérité, venir à la lumière et recevoir de ce
miséricordieux Sauveur la paix pour ta conscience troublée ? Ne
veux-tu pas te laisser arracher à l'empire des ténèbres, pour être
transporté dans le royaume de la lumière ? Cette importante
question, Jésus la jette dans l'esprit de Pilate par ces
paroles : Quiconque est pour la vérité,
écoute ma voix. - Un coeur aveugle et mort n'a rien à
désirer de plus, sinon d'écouter la voix de Jésus. Mais c'est là
l'indispensable condition à remplir pour avoir la lumière de la vie.
Il n'est besoin ici d'aucun art, d'aucune étude, d'aucune bonne
oeuvre, pour mériter la faveur de Dieu. Il faut seulement un coeur qui
recherche à tout prix la vérité, et qui, dès qu'il l'a
reconnue, la laisse régner absolument sur lui. Un coeur ainsi disposé,
distingue immédiatement la voie de la vérité qui conduit à la félicité
en Dieu.
Mais Pilate ne reconnaît, pas la grâce qui l'a visité. Il
dit à Jésus : Qu'est-ce que la
vérité ? Et quand il eut dit cela, il sortit encore pour
aller voir les Juifs et il leur dit : Je ne trouve aucun
crime en lui. Pilate ne veut pas être sauvé ; il
ne veut pas agir selon la vérité ; il ne veut pas venir à la
lumière. C'est pourquoi il se détourne moitié mécontent, moitié
moqueur. « Qu'est-ce que la vérité ? » La vérité ne
rapporte rien ; c'est une monnaie qui n'a pas cours chez moi. On
ne peut rien acheter avec la vérité. C'est un jeu dangereux qui a déjà
causé la mort au sage Socrate qui la recherchait. « Qu'est-ce que
la vérité ? » Oui, il a appris d'un sage de son temps qu'il
n'y a de certain que ceci : c'est qu'il n'y a rien de
certain ! Et il pense, au moyen de cette sagesse, être bien
au-dessus du Sauveur, auquel il semble vouloir dire : « Tu
es aussi un de ces insensés qui croient à l'existence de la
vérité ! » Tout l'orgueil d'un coeur blasé s'exprime par
cette question, qui n'est pas une question, mais une ironique
exclamation de mépris pour la vérité. Et avec cela il se détourne de
la vérité qu'il voit en personne devant lui. Il a pris une décision et
s'est étroitement enchaîné à la puissance des ténèbres.
Ce scepticisme railleur de Pilate, qui lui fait
dire : « Qu'est-ce que la vérité ? » nous, gens
avisés du dix-neuvième siècle, nous le connaissons ; nous savons
parfaitement que la vérité n'est rien, et nous avons infiniment mieux
à faire que de la rechercher ! Tel est le langage que tient
aujourd'hui le monde. L'Esprit du Seigneur a formé, plus qu'il ne l'a
fait auparavant, des troupes d'évangélistes qui rendent fidèlement
témoignage à la vérité ; mais les oreilles des hommes charnels de
notre temps sont sourdes ; et les coeurs endormis dans l'ivresse
répondent à ces témoins qui tentent de les réveiller de leur
sommeil : « On ne peut être sûr de rien. » - Pilate
abandonne ainsi la lumineuse présence du Sauveur pour s'enfoncer dans
la nuit que les Juifs font régner autour de lui. Il déclare
ouvertement qu'il tient Jésus pour innocent, mais, n'étant pas ferme
dans la vérité divine, il ne le laisse pas aller, comme un juge doit
le faire lorsqu'il a reconnu l'innocence d'un accusé. Cette
inconséquence du gouverneur encourage les principaux sacrificateurs,
qui renouvellent avec plus de violence leur ancien grief : Il
soulève le peuple, enseignant par toute la Judée, ayant commencé
par la Galilée jusqu'ici.
Jésus ne répond rien à cette accusation, tellement que
Pilate étonné lui dit : Ne réponds-tu
rien ? Vois combien de choses ils avancent contre toi.
Jésus ne répond pas davantage à cette question de Pilate. S'il avait
voulu lui répondre, il lui aurait rappelé son devoir de le relâcher,
puisqu'il l'avait déclaré innocent. Mais Jésus ne résiste pas au
méchant, et il est disposé à subir la mort pour réconcilier le monde
pécheur avec Dieu. Le gouverneur ne demanderait pas mieux que de se
débarrasser de toute cette affaire. C'est pourquoi il saisit avec
empressement le mot de Galilée. Il
demanda si Jésus était Galiléen. Et ayant appris qu'il
était de la juridiction d'Hérode, il le renvoya à Hérode, qui était
aussi à Jérusalem.
C'était le même Hérode qui avait fait mettre à mort
Jean-Baptiste. Ainsi un temps de grâce est encore offert à cet
adultère souillé de sang. Jésus se tient à la porte et il frappe. Quel
accueil lui réserve Hérode ? Quand
Hérode vit Jésus, il en eut une grande joie, car il y avait
longtemps qu'il souhaitait de le voir. Y avait-il au
moins en lui un vestige de l'esprit de Zachée, qui désirait aussi voir
qui était Jésus ? Pas du tout ! C'était précisément le
contraire. Naguère le Sauveur l'avait fait trembler d'une terreur
superstitieuse, alors qu'Hérode le prenait pour Jean-Baptiste
ressuscité des morts. Mais il s'était rassuré. Maintenant, il se
réjouit de voir Jésus, parce qu'il espère que le Seigneur lui fera
passer quelques moments agréables. Horreur ! Comment un homme
peut-il tomber si bas ? Tous les plaisirs du monde, Hérode les a
épuisés. Tous ont peu à peu perdu leur attrait. Sa vie n'est plus
désormais qu'un long et insupportable ennui. C'est alors
qu'on lui amène Jésus. Il l'accueille avec plaisir, dans l'espoir de
se divertir. Il le traite comme un jongleur et un comédien qui
l'amusera, lui et ses courtisans, en opérant quelque acte merveilleux.
Parce qu'il avait entendu dire beaucoup de
choses de lui, et il espérait qu'il lui verrait faire quelque
miracle. Il lui fit donc plusieurs questions. Nous
pouvons remercier l'évangéliste de ne nous avoir pas conservé ces
questions railleuses. Elles ne pourraient que souiller nos coeurs.
Jésus se tait. Il ne veut pas donner les choses saintes aux chiens, ni
jeter ses perles devant les pourceaux.
Il y eut un temps où Hérode avait entendu la vérité de la
bouche de Jean-Baptiste, mais l'amour du péché avait fermé son coeur.
C'est pourquoi le Roi de la vérité passe muet près de lui. Si
seulement il avait demandé : « Que dois-je faire pour être
sauvé ? » Il aurait reçu une réponse. Et
les principaux sacrificateurs et les scribes étaient là, qui
l'accusaient avec une grande véhémence. Le roi
n'accorde aucune attention à ces accusations. Leur prêter l'oreille,
troublerait son plaisir. Il veut s'amuser, voilà tout. Mais
Hérode, avec les gens de sa garde, le traita avec mépris. Et pour
se moquer de lui il le fit revêtir d'un habit éclatant,
comme on avait l'habitude à Rome de revêtir ceux qui étaient appelés
aux suprêmes honneurs. On voulait par là rendre ridicule cet aspirant
à la couronne de Judée. Et il le renvoya à
Pilate, et de cette manière lui donna à entendre que
cet inoffensif roi des Juifs méritait le mépris, mais non la mort.
C'est ce que Pilate comprit immédiatement.
En ce même jour, Pilate et
Hérode devinrent amis, car auparavant ils étaient ennemis.
La communauté d'incrédulité et d'hostilité contre Jésus unit les
coeurs, comme la foi en lui. Les enfants de ce monde se haïssent les
uns les autres, ils se traitent mutuellement en ennemis et se causent
les uns aux autres les plus amers chagrins. Mais, dès que la Parole de
Dieu veut agir avec puissance, dans la vie du peuple, alors tous se
réunissent et deviennent les meilleurs amis, dès qu'il s'agit de
s'opposer à Christ et à son règne.
Alors Pilate, ayant rassemblé
les principaux sacrificateurs et les
magistrats du peuple, leur dit. Vous m'avez amené cet homme comme
soulevant le peuple ; et cependant, l'ayant interrogé en
votre présence, je ne l'ai trouvé coupable d'aucun des crimes dont
vous l'accusez, ni Hérode non plus ; car je vous ai renvoyés
à lui, et on ne lui a rien fait qui marque qu'il soit digne de
mort. Ainsi, après l'avoir fait châtier, je le relâcherai.
Cet homme, dont la mauvaise conscience est souillée de sang, voudrait
bien relâcher Jésus, car il voit clairement que cet accusé est une
victime de la haine pharisaïque. Toutefois, bien que parfaitement
convaincu de son innocence, il n'ose pas persister dans son dessein de
le relâcher. - Misérable crainte des hommes ! La mauvaise
conscience rend toujours lâche. Pilate ne pouvait pas oublier les
paroles de Jésus. Elles avaient pénétré dans son coeur comme des
traits acérés ; mais il ne pouvait pas non plus agir selon la
vérité, car il lui aurait fallu rompre avec le monde, avec son idole,
l'opinion publique, avec toute sa vie passée, et c'est ce qu'il ne
voulait pas faire. Aussi son âme est-elle ballottée çà et là, dominée
tantôt par la puissance de la lumière, tantôt par le pouvoir des
ténèbres. N'ayant pas le courage d'agir selon sa conscience de juge,
il se réfugie dans le juste-milieu. Il veut faire châtier
Jésus, puis le relâcher. Singulière justice ! Si
Jésus est innocent, pourquoi ne pas le relâcher ? Et s'il mérite
la flagellation, pourquoi le déclarer innocent ? Mais il pense
que c'est là le meilleur moyen de sortir d'embarras. En relâchant le
Sauveur, il satisfaisait sa conscience, en le faisant fouetter il se
maintenait dans les bonnes grâces du peuple. Mais Dieu n'aime pas les
coeurs partagés. En présence du Seigneur, il faut que l'homme se
décide. Celui qui n'est pas tout entier pour Jésus, sera poussé par
une nécessité intérieure à se tourner complètement contre lui.
Pilate n'ose pas agir selon le droit, en prenant
l'innocent sous sa protection ; il veut seulement le
faire châtier. Mais de cette manière il s'engage dans une fausse
voie ; il commence à glisser, et ne s'arrêtera pas avant d'avoir
roulé jusqu'au fond de l'abîme. Afin de ne pas avoir à se prononcer
par un oui ou par un non décisif, il imagine un nouvel
et heureux expédient. Vous avez une coutume,
que je vous relâche un prisonnier à la fête de Pâques.
Le peuple tenait beaucoup à cette coutume, parce qu'on
établissait un rapport entre elle et la fête de Pâques, qui était la
fête du pardon. Cette offre attire un moment l'attention du peuple. Le
tumulte s'apaise pour un instant, surtout parce qu'il s'agit de
choisir entre Jésus et Barrabas, qui avait été condamné pour cause de
sédition et de meurtre. Comme ils étaient
assemblés, Pilate leur dit : Lequel voulez-vous que je vous
relâche ? Barrabas ou Jésus qu'on appelle Christ ?
Mais avant que la foule se fût décidée, Pilate reçut un avertissement
fort inattendu. Pendant qu'il était assis
sur le tribunal, sa femme lui envoya dire : N'aie rien à
faire avec cet homme de bien, car j'ai beaucoup souffert
aujourd'hui en songe à son sujet. Les Romains, en leur
qualité de païens, attachaient une grande importance aux songes,
surtout à ceux des femmes. Cet avertissement dut donc faire impression
sur Pilate. Aussi, à partir de ce moment, résolut-il de faire son
possible pour délivrer Jésus. Il répéta donc sa question : Jésus
ou Barrabas ? Mais les principaux
sacrificateurs et les anciens persuadèrent au peuple de demander
Barrabas et de faire crucifier Jésus. Pilate apprend
avec terreur les agissements des chefs du peuple. Le message de sa
femme le remplit d'angoisse. Une voix retentit constamment à son
oreille : « N'aie rien à faire avec cet homme de
bien ! »
Comme la foule criait toujours plus fort : Fais
mourir celui-ci et nous relâche Barrabas ! Pilate s'écria dans
son angoisse : Que ferai-je donc de
Jésus qu'on appelle Christ ? Tous lui dirent : Qu'il
soit crucifié ! Et c'est ce même peuple qui, au
commencement de la semaine, avait accueilli Jésus avec de grandes
démonstrations de joie, et s'était écrié : « BÉNI SOIT CELUI
QUI VIENT AU NOM DU SEIGNEUR ! » D'où vient cet étonnant
changement ? Aujourd'hui « HOSANNA ! » demain
« CRUCIFIE-LE, CRUCIFIE-LE ! » Est-ce que les masses
populaires ont si promptement changé de sentiments ? Aujourd'hui
croyantes, demain incrédules ? Aujourd'hui se donnant, de coeur
et d'âme, au Sauveur des pécheurs, demain, remplies d'une haine
mortelle et d'une amère hostilité ? Non ! En aucune façon,
les coeurs n'ont pas changé. Ils sont restés absolument les mêmes.
Après comme avant, ils étaient remplis des espérances charnelles d'un
règne messianique terrestre. Lorsqu'ils accueillaient
le Seigneur avec des cris de joie, ce n'était pas au Sauveur des
pécheurs qu'ils s'adressaient, c'était au héros, au glorieux vainqueur
des Romains. Ils étaient certains que le moment était venu où Jésus
sortirait de son obscurité, et se montrerait au monde entier comme un
monarque entouré de gloire et de magnificence. Plus leurs espérances
avaient été excitées, plus ils en croyaient l'accomplissement
rapproché, plus aussi devait leur paraître amère la désillusion qui
leur était préparée, lorsque le matin, au point du jour, ils furent
témoins de l'événement le plus incroyable : leur héros, leur
glorieux vainqueur, devant lequel les rois de la terre devaient se
prosterner dans la poussière, condamné comme un malfaiteur, et livré
entre les mains du gouverneur romain, qui avait le pouvoir de le
délivrer ou de le faire crucifier. Non ! un tel personnage ne
pouvait pas remplir leur attente.
Ils ne reconnurent pas ou ne voulurent pas reconnaître
qu'ils s'étaient abandonnés à de fausses espérances. Ils s'y
cramponnaient opiniâtrement. Et ils durent s'avouer avec douleur que
Jésus n'était pas l'homme qu'ils attendaient. Ils se croyaient trompés
par lui, persuadés qu'ils étaient que son entrée publique et
triomphale dans Jérusalem les confirmait dans leurs espérances. Cette
amère déception les remplissait d'une haine mortelle et les
transformait en aveugles instruments des pharisiens et des chefs du
peuple. Pilate donc, voyant qu'il ne gagnait
rien, et que le tumulte augmentait de plus en plus, prit de l'eau,
et se lava les mains devant le peuple, disant : Je suis
innocent du sang de ce juste ; c'est à vous d'y penser.
Pilate proteste encore une fois de l'innocence de Jésus, mais il ne
parvient pas à convaincre la foule. Il aurait voulu le délivrer, mais
il n'avait pas une volonté ferme, car il voulait tout autant se
ménager l'amitié des principaux sacrificateurs et du peuple. Voilà
pourquoi tous ses efforts n'ont aucun succès.
Pilate se déclare innocent du sang « de ce
juste » et en donnant ce titre à Jésus, il montre combien
l'avertissement de sa femme : « N'aie rien à faire avec cet
homme de bien » brûlait sa conscience. Il voulait s'innocenter
devant le peuple et devant lui-même, mais il ne tenait pas à ce que
son péché fût expié devant Dieu. Il ressemble à ceux qui, aujourd'hui
encore, cherchent à calmer leur conscience en
niant leurs fautes, au lieu de les confesser avec des coeurs
réellement contrits. Pilate impute au peuple la responsabilité de ce
meurtre juridique : « C'est à vous d'y penser ! »
Le peuple accepte cette responsabilité avec un
épouvantable aveuglement : Que son sang
soit sur nous et sur nos enfants ! Ils appellent
sur eux les jugements de Dieu, à cause du sang qu'ils vont verser, et
jamais une malédiction ne s'est accomplie d'une manière aussi visible
que celle-là. Car les jugements de Dieu poursuivent ce peuple depuis
des siècles, dans sa dispersion. Les Juifs ont repoussé celui qui est
béni du Seigneur et ont choisi à sa place la malédiction. C'est à nous
de changer, par nos prières, cette malédiction. Seigneur Jésus, toi
dont le sang crie de meilleures choses que celui d'Abel, viens-en nous
pour nous purifier de nos péchés et pour consoler nos coeurs
angoissés ! Que ton sang soit sur nous à notre dernière heure,
afin que nous puissions vaincre toutes les tentations et comparaître
avec joie devant toi ! Que ton sang soit sur nous, pour tuer
notre amour du péché, notre vanité et nos pensées charnelles !
Que ton sang soit sur nous, afin que toute notre vie soit renouvelée
et que nous puissions le suivre de tout notre coeur !
Alors Pilate prononça que ce
qu'ils voulaient fût fait, et il leur relâcha celui qui avait été
mis en prison pour sédition et meurtre, et il abandonna Jésus à
leur volonté. Et après avoir fait fouetter Jésus, il le leur livra
pour être crucifié. Par cet acte de suprême injustice,
Pilate est ainsi, sans le vouloir, l'instrument de la justice divine,
qui s'unit ici à la miséricorde divine. Chacun de nous est ce
Barrabas. Avec lui est représentée, devant le tribunal de Dieu, toute
l'humanité pécheresse, qui s'est attiré la mort et les châtiments
divins. Barrabas était condamné à mort et ne pouvait éviter cette
peine que par Jésus. Ce n'est que par la mort de Jésus qu'il pouvait
avoir la vie sauve. Sa délivrance n'est donc pas due à ses mérites,
mais uniquement à Jésus.
Il en est absolument de même de toute l'humanité
pécheresse. Par nos péchés, nous avons mérité la mort et nous sommes
des pécheurs irrémissiblement condamnés et perdus. Le Fils de Dieu, le
Saint et le Juste, se met à notre place, se charge de nos péchés et
subit la condamnation prononcée contre nous. Il est condamné et nous
sommes acquittés. Aussi le pécheur justifié s'écrie avec
allégresse : « Qui accusera les élus de Dieu ? Dieu
est celui qui les justifie ; qui condamnera ? Christ est
celui qui est mort, et qui de plus est ressuscité et qui intercède
même pour nous. (Rom.
VIII, 33. 34). » C'est là l'incompréhensible miracle de
l'amour de Dieu, que, dans le sacrifice du Sauveur, « la bonté et
la vérité se sont rencontrées, la justice et la paix se sont
entrebaisées. » (Ps.
LXXXV, 11.)
Le choix du peuple, qui préfère à Jésus, Barrabas le
meurtrier, nous parait horrible, et donne le frisson, aussi longtemps
que nous le considérons comme un accident qui nous est étranger, qui a
eu lieu dans un pays éloigné, et à une époque reculée. Dès que nous
regardons la chose de plus près, nous reconnaissons que ce qui nous a
paru horrible dans les autres, se passe chaque jour dans notre
propre coeur. Et alors cela nous parait beaucoup moins
affreux ; presque naturel. Chaque jour, il faut que tu choisisses
entre Jésus et Barrabas, entre le Sauveur des pécheurs et le péché,
Jésus se tient à la porte et il frappe, te disant :
« Tourne-toi vers moi et pense aux choses qui appartiennent à la
paix ! » Mais toi, tu abandonnes le Sauveur et tu choisis le
péché. Tu tiens le sang du Fils de Dieu pour une chose profane ;
tu le foules aux pieds toutes les fois que tu ne repousses pas le mal.
Oh ! puisse le Saint-Esprit détruire en nous l'amour du
péché ! afin que nous entrions dans la communion de Jésus, et que
nous parvenions, par lui, à la paix et au salut !
Alors Pilate fit prendre Jésus
et le fit fouetter. La flagellation était, chez les
Romains, un supplice déshonorant, qu'on n'appliquait qu'aux esclaves
et aux criminels. On liait le coupable au pilori, et on frappait son
dos mis à nu avec un fouet composé de fortes lanières de cuir mêlées
de fil de fer. Il arrivait souvent que le patient expirait sous les
coups, avant même que le nombre en fût complet. C'est ainsi que Jésus
fut attaché au poteau infâme, que son dos fut dépouillé de tout
vêtement, et chaque coup du bourreau faisait jaillir le sang du Fils
de Dieu.
Le serviteur qui connaît la volonté du Maître et ne la
fait pas est digne d'un double châtiment. Nous
sommes tous ce méchant serviteur ; nous avons mérité ce
châtiment, mais Jésus présente son dos à ceux qui le frappent. Il
reçoit, par amour pour nous, tous les coups que nous avons mérités. En
face de cet amour, notre âme s'écrie : « Je te rends grâces
pour chaque coup que tu reçois, pour chaque goutte de sang que tu
répands pour moi ! » Cette vue nous porte à la
repentance et nous excite à crucifier et à flageller chaque jour
nos passions et nos mauvaises convoitises. Non comme les Flagellants
du moyen âge qui se prosternaient en troupes devant l'image de Jésus
flagellé, et qui se frappaient eux-mêmes jusqu'au sang en chantant des
psaumes de pénitence. Ils croyaient par là marcher sur les traces de
Jésus ; mais ils oubliaient qu'il avait souffert ces choses à
leur place. Cette vue nous console, lorsque nos pensées nous
accusent ou nous défendent, lorsque notre coeur nous condamne, et que
notre conscience nous parle de la colère de Dieu. Le Sauveur flagellé
nous enseigne, par son sang répandu, que Dieu ne nous châtie plus dans
sa colère et ne nous reprend plus dans l'ardeur de son courroux. Il
nous enseigne que si nous sommes encore frappés, c'est que Dieu nous
traite comme ses enfants, que l'instrument dont il se sert n'est plus
le fouet de son indignation, mais la verge d'un Père, qui veut nous
corriger et nous ramener à lui par une discipline pleine de
bénédictions. Il nous enseigne que les mauvaises convoitises ne
peuvent plus régner dans nos corps mortels, attendu que leur puissance
a été brisée par la flagellation de Jésus.
Dans la pensée de Pilate, ce supplice infligé au Sauveur
était une nouvelle tentative faite en vue de le délivrer. Il voulait
montrer au peuple qu'il était disposé à le satisfaire. Il espérait que
la foule, en voyant ces souffrances, cette chair déchirée, n'en
demanderait pas davantage, et renoncerait au crucifiement. Mais plus
il hésite, plus la crainte des hommes domine sa conscience. - Combien
blâment Pilate à cause de son indécision et de son inconstance, et
n'agissent pas autrement que lui ! Ils ne rejettent pas précisément
Jésus; ils refusent absolument d'être rangés au nombre de ses ennemis
; mais ils ne veulent pas non plus rompre avec le monde. Que ceux-là
apprennent par l'exemple de Pilate, que quiconque
n'est pas complètement pour Jésus et ne se donne pas
absolument à lui, est poussé tôt ou tard à se séparer entièrement de
lui.
Et les soldats tressèrent une
couronne d'épines, qu'ils lui mirent sur la tête. Avec
cette couronne d'épines, Jésus porte la malédiction de toute la
postérité d'Adam, auquel Dieu avait dit : « La terre sera
maudite à cause de toi, et elle te produira des épines et des
chardons. » (Gen.
III, 17. 18.) De même, le sol de notre coeur, qui devait être
pour Dieu un jardin de délices, ne produit plus, depuis la chute, que
des épines et des chardons. Le prophète Michée écrit (VII,
4) - « Le meilleur parmi eux est comme une ronce, et
l'homme le plus droit est pire qu'un buisson d'épines. » Jésus a
le front déchiré par la couronne d'épines, afin de nous acquérir la
couronne de vie éternelle, si nous lui restons fidèles jusqu'à la
mort. Seulement, il est indispensable, pour atteindre ce but, que tous
ceux qui ont obtenu le pardon de leurs péchés, par les amères
souffrances et la mort cruelle du Sauveur, arrachent de leur coeur les
épines de leurs mauvaises passions, afin qu'elles n'étouffent pas la
bonne semence de la Parole de Dieu.
La couronne d'épines de Jésus nous prêche la douceur.
Elle nous exhorte à nous garder de blesser notre prochain par des
paroles piquantes ; et elle nous rappelle que ce sont les péchés
de langues acérées qui ont couronné Jésus d'épines. Cette couronne
nous prêche l'humilité. Lorsqu'au moyen âge les croisés eurent
pris Jérusalem, ils voulurent couronner roi un chevalier chrétien,
Godefroy de Bouillon ; mais celui-ci refusa de porter une
couronne d'or dans le lieu où le Sauveur avait porté une couronne
d'épines. Dieu veuille que ce sentiment règne aussi dans nos coeurs,
et étouffe toute espèce d'orgueil et d'ambition ! - Lorsque des
langues venimeuses nous ont blessés et calomniés, puisse le regard de
la foi, dirigé sur la couronne d'épines de Jésus, non seulement donner
à nos coeurs la patience et la force nécessaires pour rester calmes,
mais encore nous apprendre à prier pour ceux qui nous ont
offensés !
Lorsque la main de l'éternel amour nous conduit par des
voies semées d'épines, réjouissons-nous de souffrir avec Christ. Tenons-nous
en communion avec Lui, et contentons-nous de la grâce qu'il nous a
obtenue par sa couronne d'épines. Lorsque l'aiguillon d'une mauvaise
conscience blesse notre coeur, regardons à Golgotha. Les épines dont
la tête de Jésus est couronnée, sont les seules qui produisent
véritablement des raisins (Matth.
VII, 16).
Et l'ayant dépouillé, ils le
revêtirent d'un manteau de pourpre. Les rois et les
autorités romaines les plus élevées portaient le manteau de pourpre
comme insigne de leur dignité. Quant au Sauveur, c'est pour se moquer
de lui qu'on le revêt d'un vieux manteau de soldat. La couleur fanée
de ce manteau est rafraîchie et renouvelée par le sang qui coule
abondamment des blessures de celui qui le porte. Hérode, par ironie,
l'avait aussi fait couvrir d'un manteau d'une blancheur éclatante.
C'est ainsi que s'accomplit en lui cette parole du Cantique des
Cantiques (V.
10) : « Mon bien-aimé est blanc et vermeil. » Les
moqueurs ne savent pas ce qu'ils font. Au Sauveur appartient le
vêtement blanc de l'innocence et de la justice. Sans péché !
C'est là notre consolation. Ce n'est pas pour ses péchés, mais pour
les nôtres qu'il souffre. À lui appartient aussi le manteau de pourpre
qui le couvre d'ignominie. La pourpre royale est due au Roi de gloire,
qui a racheté ses sujets par son sang.
Le manteau de pourpre, lavé dans le sang sacré du Fils de
Dieu, revêt l'âme de chaque baptisé, qui est introduit par ce
sacrement dans la communion de ses souffrances et de sa mort.
Ils lui mirent aussi un roseau
dans la main droite et ils crachèrent contre lui, et
s'agenouillant devant lui, ils se moquaient de lui en
disant : Je te salue, roi des Juifs. Un roseau au
lieu d'un sceptre d'or, comme insigne ironique de sa dignité royale.
C'est ainsi que Christ et son règne sont encore raillés et assimilés à
un roseau brisé. Mais son vrai sceptre est sa toute-puissante Parole,
avec laquelle il paît ses brebis et frappe la tête de ses ennemis.
Jésus n'a pas honte d'avoir pour sceptre un roseau. Ce roseau est
l'image de notre coeur, que le Sauveur tient dans sa main puissante.
Il ne veut pas briser ce roseau froissé ; il veut au contraire le
soutenir et fortifier sa foi. Le Seigneur a reçu pour nous les
génuflexions moqueuses et les hommages dérisoires des
soldats romains. Car c'est nous qui devions supporter, pendant toute
l'éternité, cette honte et cette ignominie, en punition de notre
orgueil et de notre présomption. Il les supporta à notre place. Jésus
n'a pas seulement souffert les railleries, mais il les a toutes
expiées, y compris celles que les moqueurs déversaient alors sur lui,
en sorte qu'ils auraient pu aussi être sauvés par lui. Adorons l'abîme
de ce miséricordieux amour.
Et, crachant contre lui, ils
prenaient le roseau et lui donnaient des coups sur la tête.
Ils enfonçaient ainsi les épines dans sa tête et faisaient couler plus
abondamment son sang, tellement que son corps sacré en était inondé.
C'est ce que font encore aujourd'hui ceux qui se servent de son
sceptre royal, de sa divine Parole, pour le frapper. Ils la tordent et
la faussent et l'emploient, non à honorer son saint nom, mais au
contraire à le couvrir d'ignominie. Et Lui, le Roi des rois et le
Seigneur des seigneurs, il se laisse railler, traîner dans la boue,
afin de nous rendre participants de son honneur et de sa gloire. Mais
celui qui est maintenant méprisé au dernier point, viendra un jour sur
les nuées du ciel pour juger les peuples de la terre.
Pilate sortit encore une fois et
leur dit : Le voici, je vous l'amène, afin que vous sachiez
que je ne trouve aucun crime en lui. Jésus donc sortit, portant la
couronne d'épines et le manteau de pourpre, et Pilate leur
dit : Voici l'homme ! La vue de ce martyr
couronné d'épines, qui porte comme un agneau toutes nos douleurs,
excite au plus haut degré la sympathie de Pilate. Et il fait appel à
celle du peuple, pour voir s'il n'éprouverait pas un sentiment de
compassion, et ne serait pas touché à l'aspect d'une telle souffrance.
Voici l'homme ! Voyez quel homme ! Voyez comme il
parait souffrant, exténué, brisé ! N'êtes-vous pas
satisfaits ? Oh ! ne poussez pas plus loin votre
cruauté ! Voyez comme il est faible et peu à craindre !
Après que Jésus a été ainsi outragé, personne sans doute ne voudra le
faire roi. - Pilate, ce païen aveugle, ne voyait dans cet Agneau de
Dieu, couvert de sang, qu'un innocent, qui souffrait injustement. Il
ne lui venait pas à l'esprit que ces souffrances étaient supportées
pour les autres, et qu'elles avaient la puissance de sauver. C'est
pourquoi, en disant aux Juifs : Voici l'homme !
il ne veut qu'exciter leur sympathie en sa faveur. Mais le Fils
de Dieu ne s'est pas fait homme pour provoquer des sympathies. Nous ne
devons donc pas compter que l'expression de notre sensibilité à la vue
de ses souffrances, soit agréable à Dieu et attire sur nous ses
faveurs.
Voici l'homme ! Sans s'en douter, Pilate a
prononcé une parole que le Saint-Esprit a recueillie de ses lèvres, et
par laquelle il dirige, à travers les siècles, l'attention du monde
sur le Sauveur des pécheurs. Regardez-le comme les Israélites
regardaient le serpent d'airain élevé au désert, pour être guéris des
morsures empoisonnées des serpents brûlants. Alors votre âme,
mortellement empoisonnée, sera guérie et obtiendra la vie éternelle et
bienheureuse. Voyez, voilà l'état dans lequel vos péchés ont
mis le plus beau des fils des hommes ! « Aussitôt que le
Dieu saint châtie quelqu'un à cause de son péché, il consume comme la
teigne son excellence » (Ps.
XXXIX, 12). C'est seulement parce que l'Homme-Dieu a subi la
peine qui devait frapper tous les hommes, que le pécheur repentant
peut être sauvé. Aussi, regardez-le avec l'ardent désir d'être
réconciliés avec Dieu par Lui. Regardez Jésus, en le priant de vous
être propice par ses mérites. Regardez-le en cherchant voire guérison
dans ses meurtrissures, votre santé dans ses souffrances, votre
honneur dans son ignominie, votre vie dans sa mort. Regardez Jésus
avec une foi pleine de repentance, afin qu'un jour, dans l'éternité,
on ne vous montre pas du doigt en disant : Voilà un homme qui
était malade et qui n'a pas voulu être guéri, qui était pécheur et n'a
pas voulu d'un Sauveur, qui était misérable et brisé et n'a pas voulu
être heureux.
Mais quand les principaux
sacrificateurs et les sergents le virent, ils s'écrièrent :
Crucifie-le, crucifie-le ! Ils craignaient que le
peuple ne se laissât attendrir à la vue de ce patient et sanglant
Agneau de Dieu ; c'est pourquoi ils s'efforçaient d'en finir le
plus tôt possible. Pilate leur dit :
Prenez-le vous-mêmes et le crucifiez, car je ne trouve aucun crime
en lui. Le gouverneur est impatient, puisque sa
dernière tentative pour sauver Jésus avait échoué contre la haine
meurtrière des principaux sacrificateurs. Les Juifs laissent échapper
le mot qui révèle tout le mystère du procès qu'ils
ont intenté à Jésus. Ce n'est pas le crime de haute trahison qu'ils
lui reprochent, c'est de s'être fait Fils de Dieu. Ils avaient
tû jusqu'ici ce chef d'accusation, mais Pilate les presse si
fortement, qu'ils sont forcés de l'articuler. Ils ont une loi - la loi
de Dieu - ; mais cette loi, qui condamne à mort les
blasphémateurs, ne regarde pas Jésus, puisqu'il est réellement et
véritablement le Fils unique de Dieu. D'un autre côté, d'après la loi
de Dieu, il fallait qu'il mourût, mais cette loi est celle de la
miséricorde, en vertu de laquelle son coeur se brise de pitié, en
sorte qu'il faut qu'il pardonne.
Quand Pilate eut entendu ces
paroles, il eut encore plus de crainte. Il rentra donc dans le
prétoire et dit à Jésus : D'où es-tu ? Pilate
ne voyait assurément pas avec les yeux de saint Jean la gloire du Fils
de Dieu, pleine de grâce et de vérité. Il n'était cependant pas resté
sans avoir reçu une certaine impression de cette gloire. Il craignait,
comme tous les impies, lorsqu'ils se trouvent en rapport avec la
Divinité. On devrait croire que Jésus étant venu non pour condamner le
monde, mais pour le sauver, ne pouvait effrayer personne. Mais, pour
pouvoir se réjouir de lui, il faut se confier en lui et l'accepter
comme Sauveur. Celui qui rejette ce qu'il offre, ne peut qu'être
effrayé toutes les fois qu'il se sent dans sa proximité.
Pilate se souvient des fables païennes qui racontent que
des fils des dieux ont apparu sur la terre sous des formes humaines,
et demande à Jésus : D'où es-tu ? Les superstitieux
habitants de Lystre adressèrent la même question à Paul et à Barnabas.
Des dieux ayant pris la forme humaine sont descendus vers nous.
(Act.
XIV, 11). Celui que les païens pressentaient, celui que Dieu
avait promis dès le commencement, et auquel tendaient les coeurs des
hommes pieux, celui-là se trouvait, dans la plénitude de sa grâce, en
face de Pilate ; mais Pilate avait fermé son coeur à la vérité et
était aveugle. C'est pourquoi Jésus ne lui
fit aucune, réponse. Jésus se laisse trouver par les
coeurs qui le cherchent ; il se révèle aux misérables ; il
se donne à connaître aux âmes altérées de salut, et qui soupirent
après la consolation. Mais à Pilate, il ne répond rien. C'est là le
jugement qui frappe le gouverneur. Lorsque Jésus
lui a parlé de sa personne et de son oeuvre, Pilate s'est détourné de
lui, en demandant ironiquement : « Qu'est-ce que la
vérité ? » Voilà pourquoi Jésus se tait maintenant.
Celui qui se détourne de la vérité lorsqu'elle se présente à lui, ne
reçoit pas de réponse lorsqu'il l'interroge. Il ne reçoit pas de
réponse, parce que son infidélité à l'égard de la vérité qui le
cherchait, le rend incapable de demander avec droiture : D'où
es-tu ? Celui-là seul obtient une réponse, qui sait d'où il
vient lui-même, c'est-à-dire qui reconnaît ses péchés. D'abord il faut
résoudre la première question, puis on peut résoudre la seconde. La
loi de Dieu nous montre, la justice de Dieu, sa colère contre le
péché ; elle nous en donne la connaissance et nous presse ainsi
dans les bras du Sauveur.
Pilate ne questionne pas le Seigneur dans l'espoir de
recueillir de sa bouche une douce consolation. Il est angoissé et
espère plutôt que Jésus lui dira : « Ne t'inquiète pas, tu
n'as rien à craindre, je ne suis pas le Fils de Dieu. » Jésus ne
peut pas remplir son attente, c'est pourquoi il ne lui répond rien.
C'est ainsi que se tait l'Écriture, dès qu'on l'interroge avec le
coeur de Pilate. À la vérité, l'Écriture, calme et restaure, en la
conduisant à la source de la vie, toute âme qui soupire après le Dieu
vivant comme le cerf après les eaux courantes. Mais celui qui cherche
dans l'Écriture une réponse qui le confirme dans son incrédulité ou
dans l'amour du péché, n'obtient point de réponse. Que personne donc
ne s'étonne, quand l'Écriture ne lui répond rien. Elle est obscure,
elle est un livre scellé de sept sceaux, elle est muette et
silencieuse pour quiconque ne veut pas se laisser reprendre par elle,
et refuse le pardon de ses péchés ; en un mot, pour quiconque
veut être juste devant Dieu. La clef qui ouvre l'Écriture est un coeur
repentant et brisé. À un esprit froissé, le saint Livre ouvre sa
bouche, répond à toutes ses questions, et guérit toutes les blessures
de sa conscience. Jésus est dans l'Écriture ; voilà pourquoi ce
saint Livre se comporte comme Jésus.
Alors Pilate lui dit : Tu
ne me réponds rien ? Ne sais-tu pas que j'ai le pouvoir de te
faire crucifier, et le pouvoir de le délivrer ? Le
gouverneur se vante de son pouvoir, dont la crainte des hommes
l'empêche absolument de faire usage. Jésus fait encore
une tentative pour l'attirer et lui dit : Tu
n'aurais aucun pouvoir sur moi, s'il ne l'avait été donné
d'en-haut. C'est pourquoi celui qui m'a livré à toi, est coupable
d'un plus grand péché. Celui qui est jugé et condamné,
compare la faute de Caïphe à celle de Pilate, et trouve celle-ci moins
grave que l'autre. En parlant ainsi, Jésus essaye encore d'avoir prise
sur le coeur de Pilate.
Et depuis ce moment, le
gouverneur cherchait à le délivrer. Toutes ces
tentatives demeurent toutefois à l'état de bonnes résolutions. Le
gouverneur fait des efforts, mais il ne persévère point. Le royaume
des cieux est forcé, et les violents seuls le ravissent. Mais les
Juifs s'écrient : Si tu délivres cet
homme, tu n'es pas ami de César, car quiconque se fait roi, se
déclare contre César. - Lorsque Pilate eut entendu cette parole,
il le leur livra pour être crucifié. C'est ainsi que
Pilate, grâce à sa lâcheté, glisse sur la pente, jusqu'au fond de
l'abîme, et cela parce qu'il place l'amitié du maître d'un royaume
terrestre au-dessus de celle du Roi dont le règne n'est pas de ce
monde. Toutefois, ce qu'il s'est efforcé de conserver lui a cependant
été ravi. Trois ans plus tard, il fut banni en Gaule par l'empereur,
et l'on rapporte qu'à la suite de cette disgrâce, il se suicida. Il
n'y aurait rien d'étonnant à ce que Pilate eût fini comme Judas, car
il ne devait pas pouvoir oublier que Jésus avait voulu sauver son âme
et qu'il l'avait condamné injustement.
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