Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE III

suite

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128. Jésus devant Pilate.

(Jean XVIII, 28 - XIX, 16.)


Vendredi, vers quatre heures du matin, le Sanhédrin se réunit de nouveau pour se mettre en mesure d'exécuter la sentence de mort qu'il avait prononcée contre Jésus. Le serment par lequel le Sauveur avait affirmé sa qualité du Fils de Dieu, avait fourni aux membres du Conseil suprême le prétexte cherché pour le condamner à mort, comme blasphémateur. Seulement, il leur était défendu d'appliquer eux-mêmes cette peine. L'autorité romaine s'était réservé ce pouvoir. Il fallait donc s'adresser au gouverneur Pilate, pour obtenir l'autorisation d'exécuter le jugement de condamnation qui avait été prononcé. Or, il était très douteux que Pilate consentit à exécuter une sentence de mort basée sur une infraction à la loi mosaïque. En tout cas, il fallait pouvoir joindre à ce chef d'accusation, un autre grief de nature à entraîner la peine de mort. On s'accorda sur la nécessité de représenter Jésus comme coupable de rébellion contre l'empereur, parce qu'il s'était posé comme le Messie, le Roi des Juifs. ne renfermait aucune défense à cet égard ; mais ce commandement d'hommes, les pharisiens le mettaient bien au-dessus de la loi de Dieu. Voilà pourquoi ils livrent à la mort, avec sang-froid, celui auquel Moïse et les prophètes rendent témoignage. Couler un moucheron et avaler un chameau, telle était bien l'essence du pharisaïsme.

Ils se rendent coupables de la même hypocrisie, tous ceux qui célèbrent extérieurement les jours de fête et qui laissent régner dans leurs coeurs l'orgueil, l'avarice, la haine, le sens charnel. Avant de participer à la sainte Cène, ils affectent des airs d'une componction de commande ; mais après le repas sacré, ils ne se font aucun scrupule de vivre dans les péchés auxquels ils se livraient auparavant. Lorsque nous voyons ce que le Sauveur souffre entre les mains de ces saints hypocrites, nous avons un puissant motif de veiller et de prier, afin que tout en observant extérieurement les formes de la piété, nous ne crucifiions pas de nouveau le Seigneur Jésus par notre amour du péché.

Le repas pascal, en vue duquel les principaux sacrificateurs voulaient se conserver purs, n'était pas celui où l'on mangeait l'agneau pascal, car cet agneau avait été mangé déjà la veille au soir. Il est plutôt question ici des autres repas de la fête, dans lesquels figuraient les pains sans levain. Les ennemis de Jésus comptaient avec assurance que cette sanglante affaire serait promptement terminée, et que leur appétit pour la bonne chère qu'ils se promettaient pendant la fête, ne serait pas gâté. Pilate sortit donc vers eux et leur dit : Quelle accusation portez-vous contre cet homme ? Ordinairement le gouverneur confirmait purement et simplement la décision du Sanhédrin, sans procéder à un nouvel interrogatoire. Mais vis-à-vis de cet accusé, il ne pouvait pas en être ainsi. Dès le premier coup d'oeil, Pilate avait vu que Jésus n'était ni un criminel ni un malfaiteur. De là sa question relativement au délit dont il pouvait s'être rendu coupable. Les principaux sacrificateurs étaient sans doute préparés à ce que Pilate s'enquit de la faute de l'accusé. Cependant ils essayent de déterminer le gouverneur à exécuter simplement la sentence qu'ils avaient prononcée. Si cet homme n'était pas un malfaiteur, nous ne te l'aurions pas amené. Ils voulaient dire : Tu dois avoir assez de confiance en nous, pour croire que nous n'avons pas prononcé un jugement inique. Nous sommes tous venus à toi pour rendre témoignage de la culpabilité de cet homme.

Toutefois Pilate ne les croit pas. Il veut bien leur montrer de la patience et de la complaisance. Lorsqu'une faute lui apparaît clairement, il abrège ces longs procès et confirme sans autres formalités la sentence du Sanhédrin. Mais ici il a fait d'avance ses réserves. Toute la personne de Jésus l'avait favorablement impressionné. Il a le sentiment intime de son innocence, et ne veut rien faire contre la voix hautement articulée de sa conscience. Ce qu'il aimerait le mieux, serait de rester complètement en dehors de cette affaire, et de remettre au Sanhédrin lui-même la charge d'exécuter la sentence qu'il a prononcée. Prenez-le vous-mêmes et le jugez selon votre loi. Le gouverneur est blessé de ce que les principaux sacrificateurs ne veulent pas même lui rendre raison du délit de l'accusé ; et il leur explique qu'aucun jugement ne peut être rendu sans un interrogatoire préalable. Si, d'après la loi juive, les juges peuvent se dispenser de faire subir cet interrogatoire, qu'ils jugent eux-mêmes l'accusé. Aussi s'en fallut-il de peu que la cause ne revînt du tribunal civil au tribunal ecclésiastique.

On a peine à comprendre que les principaux sacrificateurs n'aient pas pris avidement Pilate au mot. Ils n'avaient réellement pas le droit d'exécuter eux-mêmes une sentence de mort, mais puisque cette parole avait échappé à la mauvaise humeur du gouverneur, ils auraient très facilement pu s'en autoriser, pour procéder rapidement à la lapidation du condamné. Si, au lieu de cela, ils répondent humblement : Il ne nous est pas permis de faire mourir personne, nous n'avons pas à considérer ces paroles comme l'expression d'une conscience politique délicate ; car elle ne les empêchera nullement plus tard de mettre à mort Étienne et Jacques le Juste, sans les faire juger par le tribunal romain. Saint Jean nous indique le vrai et profond motif de cette condescendance : Et ce fut ainsi que s'accomplit ce que Jésus avait dit en marquant de quelle mort il devait mourir. Les principaux sacrificateurs étaient ici des instruments inconscients des desseins de Dieu, d'après lesquels Jésus devait mourir sur la croix, supplice qui n'était en usage que chez les Romains. C'est ainsi que les ennemis de Jésus furent obligés d'articuler un véritable chef d'accusation contre lui. Du reste, ils y étaient préparés d'avance. Nous avons trouvé cet homme séduisant la nation et défendant de payer le tribut à César, et se disant le Christ, le Roi.

Les principaux sacrificateurs laissent prudemment de côté le vrai motif pour lequel ils ont condamné Jésus, c'est-à-dire, parce qu'il s'était dit Fils de Dieu ; car ils savaient bien que Pilate n'eût jamais confirmé une sentence de mort basée sur une telle accusation. Aussi donnent-ils à l'affaire une tout autre tournure, comme s'il s'agissait du salut de l'État. Ils accusent le Seigneur d'avoir violé les lois civiles, et excité le peuple à la désobéissance et à la rébellion contre l'autorité. À toutes les époques de persécutions, on a adressé aux chrétiens les mêmes reproches. Les principaux sacrificateurs savaient parfaitement que c'était là une pure calomnie. Jésus s'était échappé lorsqu'on avait voulu le faire roi, et il avait dit expressément : Rendez à César ce qui est à César. Mais il leur est indifférent de dire la vérité ou de mentir, pourvu qu'ils atteignent leur but.

Pendant qu'on accusait ainsi Jésus, il avait été conduit dans l'intérieur du prétoire pour y être gardé. Pilate rentra donc dans le prétoire, et ayant fait venir Jésus, il lui dit : Es-tu le roi des Juifs ? Pilate s'inquiétait assurément fort peu des espérances religieuses des Juifs, mais il n'ignorait pas qu'ils attendaient le Messie, qui devait fonder un puissant royaume. Il devait donc être frappé au plus haut degré de voir les chefs du peuple s'opposer avec une telle violence à ce prétendu Messie, sous le prétexte qu'il portait atteinte à la domination et aux revenus de l'empereur romain.

L'affaire devenait donc intéressante pour Pilate et il saisit volontiers l'occasion d'en découvrir le véritable fond. Il fait donc venir le Sauveur hors de la présence des témoins, dans l'intérieur du prétoire, et lui dit avec étonnement : Es-tu le roi des Juifs ? Pilate n'a aucun pressentiment de l'importance de ce moment où il se trouve face à face avec le Sauveur. Mais Jésus oublie la bande des malfaiteurs qui l'a amené lié devant le gouverneur ; il ne pense qu'à une chose, c'est que Pilate a une âme immortelle, pour laquelle il est venu se livrer à la mort, et il cherche à arriver au coeur de cet aveugle païen, dont les mains sont souillées de tant de sang innocent. Il répond donc à la question du gouverneur par une autre question. Dis-tu cela de ton propre mouvement, ou si d'autres te l'ont dit de moi ? C'était un trait lancé à la conscience de Pilate. « Est-ce ton coeur qui te dicte cette question ? cherches-tu réellement un Sauveur ? ou bien m'interroges-tu seulement officiellement, comme juge, et pour t'assurer si je suis en effet un personnage dangereux pour ton empereur ? Mais un coeur non brisé ne reste pas longtemps avec le Sauveur. Pilate pressent quelque chose du saint amour de Jésus pour les pécheurs, mais son orgueil étouffe ce sentiment, comme s'il craignait que son coeur ne fut en quelque manière impressionné par la question du Sauveur.

Suis-je Juif ? Ta nation et les principaux sacrificateurs t'ont livré à moi. Qu'as-tu fait ? Pilate laisse voir tout l'orgueil d'un vieux Romain, auquel il est impossible de s'intéresser aux questions religieuses des Juifs. Il parle seulement comme un juge auquel les autorités de sa nation ont livré le Seigneur. Par sa question. Qu'as-tu fait ? il n'a en vue que l'interrogatoire touchant les affaires terrestres. Mais il ne se débarrasse pas si facilement de cette main d'amour tendue vers son âme. Le Seigneur lui dit : Mon règne n'est pas de ce monde ; si mon règne était de ce monde, mes gens combattraient, afin que je ne fusse pas livré aux Juifs, mais maintenant mon règne n'est pas d'ici-bas. Jésus calme l'inquiétude que pouvait causer à Pilate l'établissement du règne de Dieu, comme capable de nuire à la stabilité de l'empire romain.

Le règne de Jésus est bien dans ce monde, et il tend à se soumettre tous les coeurs et à pénétrer toutes les relations des hommes entre eux ; mais il n'est pas de ce monde. Son origine et toute sa constitution indiquent qu'il est de son essence surnaturel, céleste, divin ; autrement il ne pourrait pas transformer et glorifier le monde. Le fait que le royaume de Jésus n'est pas de ce monde, devait immédiatement expliquer à Pilate, cet homme d'État éclairé, le motif pour lequel les chefs du peuple persécutaient le « roi des Juifs » avec une haine mortelle. Ce ne pouvait donc pas être un roi tel qu'ils l'entendaient, ni un royaume semblable à ceux de ce monde. - Jésus convient donc qu'il a un royaume ; seulement ce n'est pas un royaume de ce monde. Cette déclaration éveille l'attention de Pilate. Il a le pressentiment qu'il y a là un mystère extraordinaire. C'est pourquoi il dit à Jésus avec étonnement : Tu es donc roi ? Jésus lui répondit : Tu le dis ; je suis roi. Jésus fait encore une fois impression sur Pilate, qui ne peut pas rester insensible à la noblesse et à la majesté du Sauveur debout devant lui.

Pilate, cet homme couvert de crimes, a étouffé les avertissements de sa conscience, dans le tourbillon des joies mondaines. Il n'a compris ni le profond soupir, ni l'ardente aspiration de son coeur. Et par un merveilleux enchaînement de circonstances, il a devant lui l'Orient d'en-haut, le Seigneur de gloire. Et il lui est donné, pour un instant, de jeter un regard sur ce royaume surnaturel dont il n'a jamais eu le pressentiment. Et le Roi de ce royaume entre en conversation avec lui ; il heurte à la porte de son coeur, afin qu'il la lui ouvre. Comme le scepticisme et le sens charnel de Pilate durent être ébranlés ! Mais le Sauveur ne veut pas lui ravir son âme dans l'étourdissement d'un sentiment obscur et inconscient. Il veut que le coeur du gouverneur cède à une calme et libre conviction. C'est pourquoi il lui vient en aide par ces paroles : Je suis né pour cela, et je suis venu pour rendre témoignage à la vérité.

Le but de l'incarnation du Fils de Dieu était de délivrer l'humanité du mensonge et de la tromperie des ténèbres, des fausses apparences et des négations qui la séduisent. Cette parole pénètre comme un souffle de vie dans le coeur de Pilate. 0 Pilate, ne veux-tu pas agir selon la vérité, venir à la lumière et recevoir de ce miséricordieux Sauveur la paix pour ta conscience troublée ? Ne veux-tu pas te laisser arracher à l'empire des ténèbres, pour être transporté dans le royaume de la lumière ? Cette importante question, Jésus la jette dans l'esprit de Pilate par ces paroles : Quiconque est pour la vérité, écoute ma voix. - Un coeur aveugle et mort n'a rien à désirer de plus, sinon d'écouter la voix de Jésus. Mais c'est là l'indispensable condition à remplir pour avoir la lumière de la vie. Il n'est besoin ici d'aucun art, d'aucune étude, d'aucune bonne oeuvre, pour mériter la faveur de Dieu. Il faut seulement un coeur qui recherche à tout prix la vérité, et qui, dès qu'il l'a reconnue, la laisse régner absolument sur lui. Un coeur ainsi disposé, distingue immédiatement la voie de la vérité qui conduit à la félicité en Dieu.

Mais Pilate ne reconnaît, pas la grâce qui l'a visité. Il dit à Jésus : Qu'est-ce que la vérité ? Et quand il eut dit cela, il sortit encore pour aller voir les Juifs et il leur dit : Je ne trouve aucun crime en lui. Pilate ne veut pas être sauvé ; il ne veut pas agir selon la vérité ; il ne veut pas venir à la lumière. C'est pourquoi il se détourne moitié mécontent, moitié moqueur. « Qu'est-ce que la vérité ? » La vérité ne rapporte rien ; c'est une monnaie qui n'a pas cours chez moi. On ne peut rien acheter avec la vérité. C'est un jeu dangereux qui a déjà causé la mort au sage Socrate qui la recherchait. « Qu'est-ce que la vérité ? » Oui, il a appris d'un sage de son temps qu'il n'y a de certain que ceci : c'est qu'il n'y a rien de certain ! Et il pense, au moyen de cette sagesse, être bien au-dessus du Sauveur, auquel il semble vouloir dire : « Tu es aussi un de ces insensés qui croient à l'existence de la vérité ! » Tout l'orgueil d'un coeur blasé s'exprime par cette question, qui n'est pas une question, mais une ironique exclamation de mépris pour la vérité. Et avec cela il se détourne de la vérité qu'il voit en personne devant lui. Il a pris une décision et s'est étroitement enchaîné à la puissance des ténèbres.

Ce scepticisme railleur de Pilate, qui lui fait dire : « Qu'est-ce que la vérité ? » nous, gens avisés du dix-neuvième siècle, nous le connaissons ; nous savons parfaitement que la vérité n'est rien, et nous avons infiniment mieux à faire que de la rechercher ! Tel est le langage que tient aujourd'hui le monde. L'Esprit du Seigneur a formé, plus qu'il ne l'a fait auparavant, des troupes d'évangélistes qui rendent fidèlement témoignage à la vérité ; mais les oreilles des hommes charnels de notre temps sont sourdes ; et les coeurs endormis dans l'ivresse répondent à ces témoins qui tentent de les réveiller de leur sommeil : « On ne peut être sûr de rien. » - Pilate abandonne ainsi la lumineuse présence du Sauveur pour s'enfoncer dans la nuit que les Juifs font régner autour de lui. Il déclare ouvertement qu'il tient Jésus pour innocent, mais, n'étant pas ferme dans la vérité divine, il ne le laisse pas aller, comme un juge doit le faire lorsqu'il a reconnu l'innocence d'un accusé. Cette inconséquence du gouverneur encourage les principaux sacrificateurs, qui renouvellent avec plus de violence leur ancien grief : Il soulève le peuple, enseignant par toute la Judée, ayant commencé par la Galilée jusqu'ici.

Jésus ne répond rien à cette accusation, tellement que Pilate étonné lui dit : Ne réponds-tu rien ? Vois combien de choses ils avancent contre toi. Jésus ne répond pas davantage à cette question de Pilate. S'il avait voulu lui répondre, il lui aurait rappelé son devoir de le relâcher, puisqu'il l'avait déclaré innocent. Mais Jésus ne résiste pas au méchant, et il est disposé à subir la mort pour réconcilier le monde pécheur avec Dieu. Le gouverneur ne demanderait pas mieux que de se débarrasser de toute cette affaire. C'est pourquoi il saisit avec empressement le mot de Galilée. Il demanda si Jésus était Galiléen. Et ayant appris qu'il était de la juridiction d'Hérode, il le renvoya à Hérode, qui était aussi à Jérusalem.

C'était le même Hérode qui avait fait mettre à mort Jean-Baptiste. Ainsi un temps de grâce est encore offert à cet adultère souillé de sang. Jésus se tient à la porte et il frappe. Quel accueil lui réserve Hérode ? Quand Hérode vit Jésus, il en eut une grande joie, car il y avait longtemps qu'il souhaitait de le voir. Y avait-il au moins en lui un vestige de l'esprit de Zachée, qui désirait aussi voir qui était Jésus ? Pas du tout ! C'était précisément le contraire. Naguère le Sauveur l'avait fait trembler d'une terreur superstitieuse, alors qu'Hérode le prenait pour Jean-Baptiste ressuscité des morts. Mais il s'était rassuré. Maintenant, il se réjouit de voir Jésus, parce qu'il espère que le Seigneur lui fera passer quelques moments agréables. Horreur ! Comment un homme peut-il tomber si bas ? Tous les plaisirs du monde, Hérode les a épuisés. Tous ont peu à peu perdu leur attrait. Sa vie n'est plus désormais qu'un long et insupportable ennui. C'est alors qu'on lui amène Jésus. Il l'accueille avec plaisir, dans l'espoir de se divertir. Il le traite comme un jongleur et un comédien qui l'amusera, lui et ses courtisans, en opérant quelque acte merveilleux. Parce qu'il avait entendu dire beaucoup de choses de lui, et il espérait qu'il lui verrait faire quelque miracle. Il lui fit donc plusieurs questions. Nous pouvons remercier l'évangéliste de ne nous avoir pas conservé ces questions railleuses. Elles ne pourraient que souiller nos coeurs. Jésus se tait. Il ne veut pas donner les choses saintes aux chiens, ni jeter ses perles devant les pourceaux.

Il y eut un temps où Hérode avait entendu la vérité de la bouche de Jean-Baptiste, mais l'amour du péché avait fermé son coeur. C'est pourquoi le Roi de la vérité passe muet près de lui. Si seulement il avait demandé : « Que dois-je faire pour être sauvé ? » Il aurait reçu une réponse. Et les principaux sacrificateurs et les scribes étaient là, qui l'accusaient avec une grande véhémence. Le roi n'accorde aucune attention à ces accusations. Leur prêter l'oreille, troublerait son plaisir. Il veut s'amuser, voilà tout. Mais Hérode, avec les gens de sa garde, le traita avec mépris. Et pour se moquer de lui il le fit revêtir d'un habit éclatant, comme on avait l'habitude à Rome de revêtir ceux qui étaient appelés aux suprêmes honneurs. On voulait par là rendre ridicule cet aspirant à la couronne de Judée. Et il le renvoya à Pilate, et de cette manière lui donna à entendre que cet inoffensif roi des Juifs méritait le mépris, mais non la mort. C'est ce que Pilate comprit immédiatement.

En ce même jour, Pilate et Hérode devinrent amis, car auparavant ils étaient ennemis. La communauté d'incrédulité et d'hostilité contre Jésus unit les coeurs, comme la foi en lui. Les enfants de ce monde se haïssent les uns les autres, ils se traitent mutuellement en ennemis et se causent les uns aux autres les plus amers chagrins. Mais, dès que la Parole de Dieu veut agir avec puissance, dans la vie du peuple, alors tous se réunissent et deviennent les meilleurs amis, dès qu'il s'agit de s'opposer à Christ et à son règne.

Alors Pilate, ayant rassemblé les principaux sacrificateurs et les magistrats du peuple, leur dit. Vous m'avez amené cet homme comme soulevant le peuple ; et cependant, l'ayant interrogé en votre présence, je ne l'ai trouvé coupable d'aucun des crimes dont vous l'accusez, ni Hérode non plus ; car je vous ai renvoyés à lui, et on ne lui a rien fait qui marque qu'il soit digne de mort. Ainsi, après l'avoir fait châtier, je le relâcherai. Cet homme, dont la mauvaise conscience est souillée de sang, voudrait bien relâcher Jésus, car il voit clairement que cet accusé est une victime de la haine pharisaïque. Toutefois, bien que parfaitement convaincu de son innocence, il n'ose pas persister dans son dessein de le relâcher. - Misérable crainte des hommes ! La mauvaise conscience rend toujours lâche. Pilate ne pouvait pas oublier les paroles de Jésus. Elles avaient pénétré dans son coeur comme des traits acérés ; mais il ne pouvait pas non plus agir selon la vérité, car il lui aurait fallu rompre avec le monde, avec son idole, l'opinion publique, avec toute sa vie passée, et c'est ce qu'il ne voulait pas faire. Aussi son âme est-elle ballottée çà et là, dominée tantôt par la puissance de la lumière, tantôt par le pouvoir des ténèbres. N'ayant pas le courage d'agir selon sa conscience de juge, il se réfugie dans le juste-milieu. Il veut faire châtier Jésus, puis le relâcher. Singulière justice ! Si Jésus est innocent, pourquoi ne pas le relâcher ? Et s'il mérite la flagellation, pourquoi le déclarer innocent ? Mais il pense que c'est là le meilleur moyen de sortir d'embarras. En relâchant le Sauveur, il satisfaisait sa conscience, en le faisant fouetter il se maintenait dans les bonnes grâces du peuple. Mais Dieu n'aime pas les coeurs partagés. En présence du Seigneur, il faut que l'homme se décide. Celui qui n'est pas tout entier pour Jésus, sera poussé par une nécessité intérieure à se tourner complètement contre lui.

Pilate n'ose pas agir selon le droit, en prenant l'innocent sous sa protection ; il veut seulement le faire châtier. Mais de cette manière il s'engage dans une fausse voie ; il commence à glisser, et ne s'arrêtera pas avant d'avoir roulé jusqu'au fond de l'abîme. Afin de ne pas avoir à se prononcer par un oui ou par un non décisif, il imagine un nouvel et heureux expédient. Vous avez une coutume, que je vous relâche un prisonnier à la fête de Pâques.

Le peuple tenait beaucoup à cette coutume, parce qu'on établissait un rapport entre elle et la fête de Pâques, qui était la fête du pardon. Cette offre attire un moment l'attention du peuple. Le tumulte s'apaise pour un instant, surtout parce qu'il s'agit de choisir entre Jésus et Barrabas, qui avait été condamné pour cause de sédition et de meurtre. Comme ils étaient assemblés, Pilate leur dit : Lequel voulez-vous que je vous relâche ? Barrabas ou Jésus qu'on appelle Christ ? Mais avant que la foule se fût décidée, Pilate reçut un avertissement fort inattendu. Pendant qu'il était assis sur le tribunal, sa femme lui envoya dire : N'aie rien à faire avec cet homme de bien, car j'ai beaucoup souffert aujourd'hui en songe à son sujet. Les Romains, en leur qualité de païens, attachaient une grande importance aux songes, surtout à ceux des femmes. Cet avertissement dut donc faire impression sur Pilate. Aussi, à partir de ce moment, résolut-il de faire son possible pour délivrer Jésus. Il répéta donc sa question : Jésus ou Barrabas ? Mais les principaux sacrificateurs et les anciens persuadèrent au peuple de demander Barrabas et de faire crucifier Jésus. Pilate apprend avec terreur les agissements des chefs du peuple. Le message de sa femme le remplit d'angoisse. Une voix retentit constamment à son oreille : « N'aie rien à faire avec cet homme de bien ! »

Comme la foule criait toujours plus fort : Fais mourir celui-ci et nous relâche Barrabas ! Pilate s'écria dans son angoisse : Que ferai-je donc de Jésus qu'on appelle Christ ? Tous lui dirent : Qu'il soit crucifié ! Et c'est ce même peuple qui, au commencement de la semaine, avait accueilli Jésus avec de grandes démonstrations de joie, et s'était écrié : « BÉNI SOIT CELUI QUI VIENT AU NOM DU SEIGNEUR ! » D'où vient cet étonnant changement ? Aujourd'hui « HOSANNA ! » demain « CRUCIFIE-LE, CRUCIFIE-LE ! » Est-ce que les masses populaires ont si promptement changé de sentiments ? Aujourd'hui croyantes, demain incrédules ? Aujourd'hui se donnant, de coeur et d'âme, au Sauveur des pécheurs, demain, remplies d'une haine mortelle et d'une amère hostilité ? Non ! En aucune façon, les coeurs n'ont pas changé. Ils sont restés absolument les mêmes. Après comme avant, ils étaient remplis des espérances charnelles d'un règne messianique terrestre. Lorsqu'ils accueillaient le Seigneur avec des cris de joie, ce n'était pas au Sauveur des pécheurs qu'ils s'adressaient, c'était au héros, au glorieux vainqueur des Romains. Ils étaient certains que le moment était venu où Jésus sortirait de son obscurité, et se montrerait au monde entier comme un monarque entouré de gloire et de magnificence. Plus leurs espérances avaient été excitées, plus ils en croyaient l'accomplissement rapproché, plus aussi devait leur paraître amère la désillusion qui leur était préparée, lorsque le matin, au point du jour, ils furent témoins de l'événement le plus incroyable : leur héros, leur glorieux vainqueur, devant lequel les rois de la terre devaient se prosterner dans la poussière, condamné comme un malfaiteur, et livré entre les mains du gouverneur romain, qui avait le pouvoir de le délivrer ou de le faire crucifier. Non ! un tel personnage ne pouvait pas remplir leur attente.

Ils ne reconnurent pas ou ne voulurent pas reconnaître qu'ils s'étaient abandonnés à de fausses espérances. Ils s'y cramponnaient opiniâtrement. Et ils durent s'avouer avec douleur que Jésus n'était pas l'homme qu'ils attendaient. Ils se croyaient trompés par lui, persuadés qu'ils étaient que son entrée publique et triomphale dans Jérusalem les confirmait dans leurs espérances. Cette amère déception les remplissait d'une haine mortelle et les transformait en aveugles instruments des pharisiens et des chefs du peuple. Pilate donc, voyant qu'il ne gagnait rien, et que le tumulte augmentait de plus en plus, prit de l'eau, et se lava les mains devant le peuple, disant : Je suis innocent du sang de ce juste ; c'est à vous d'y penser. Pilate proteste encore une fois de l'innocence de Jésus, mais il ne parvient pas à convaincre la foule. Il aurait voulu le délivrer, mais il n'avait pas une volonté ferme, car il voulait tout autant se ménager l'amitié des principaux sacrificateurs et du peuple. Voilà pourquoi tous ses efforts n'ont aucun succès.

Pilate se déclare innocent du sang « de ce juste » et en donnant ce titre à Jésus, il montre combien l'avertissement de sa femme : « N'aie rien à faire avec cet homme de bien » brûlait sa conscience. Il voulait s'innocenter devant le peuple et devant lui-même, mais il ne tenait pas à ce que son péché fût expié devant Dieu. Il ressemble à ceux qui, aujourd'hui encore, cherchent à calmer leur conscience en niant leurs fautes, au lieu de les confesser avec des coeurs réellement contrits. Pilate impute au peuple la responsabilité de ce meurtre juridique : « C'est à vous d'y penser ! »

Le peuple accepte cette responsabilité avec un épouvantable aveuglement : Que son sang soit sur nous et sur nos enfants ! Ils appellent sur eux les jugements de Dieu, à cause du sang qu'ils vont verser, et jamais une malédiction ne s'est accomplie d'une manière aussi visible que celle-là. Car les jugements de Dieu poursuivent ce peuple depuis des siècles, dans sa dispersion. Les Juifs ont repoussé celui qui est béni du Seigneur et ont choisi à sa place la malédiction. C'est à nous de changer, par nos prières, cette malédiction. Seigneur Jésus, toi dont le sang crie de meilleures choses que celui d'Abel, viens-en nous pour nous purifier de nos péchés et pour consoler nos coeurs angoissés ! Que ton sang soit sur nous à notre dernière heure, afin que nous puissions vaincre toutes les tentations et comparaître avec joie devant toi ! Que ton sang soit sur nous, pour tuer notre amour du péché, notre vanité et nos pensées charnelles ! Que ton sang soit sur nous, afin que toute notre vie soit renouvelée et que nous puissions le suivre de tout notre coeur !

Alors Pilate prononça que ce qu'ils voulaient fût fait, et il leur relâcha celui qui avait été mis en prison pour sédition et meurtre, et il abandonna Jésus à leur volonté. Et après avoir fait fouetter Jésus, il le leur livra pour être crucifié. Par cet acte de suprême injustice, Pilate est ainsi, sans le vouloir, l'instrument de la justice divine, qui s'unit ici à la miséricorde divine. Chacun de nous est ce Barrabas. Avec lui est représentée, devant le tribunal de Dieu, toute l'humanité pécheresse, qui s'est attiré la mort et les châtiments divins. Barrabas était condamné à mort et ne pouvait éviter cette peine que par Jésus. Ce n'est que par la mort de Jésus qu'il pouvait avoir la vie sauve. Sa délivrance n'est donc pas due à ses mérites, mais uniquement à Jésus.

Il en est absolument de même de toute l'humanité pécheresse. Par nos péchés, nous avons mérité la mort et nous sommes des pécheurs irrémissiblement condamnés et perdus. Le Fils de Dieu, le Saint et le Juste, se met à notre place, se charge de nos péchés et subit la condamnation prononcée contre nous. Il est condamné et nous sommes acquittés. Aussi le pécheur justifié s'écrie avec allégresse : « Qui accusera les élus de Dieu ? Dieu est celui qui les justifie ; qui condamnera ? Christ est celui qui est mort, et qui de plus est ressuscité et qui intercède même pour nous. (Rom. VIII, 33. 34). » C'est là l'incompréhensible miracle de l'amour de Dieu, que, dans le sacrifice du Sauveur, « la bonté et la vérité se sont rencontrées, la justice et la paix se sont entrebaisées. » (Ps. LXXXV, 11.)

Le choix du peuple, qui préfère à Jésus, Barrabas le meurtrier, nous parait horrible, et donne le frisson, aussi longtemps que nous le considérons comme un accident qui nous est étranger, qui a eu lieu dans un pays éloigné, et à une époque reculée. Dès que nous regardons la chose de plus près, nous reconnaissons que ce qui nous a paru horrible dans les autres, se passe chaque jour dans notre propre coeur. Et alors cela nous parait beaucoup moins affreux ; presque naturel. Chaque jour, il faut que tu choisisses entre Jésus et Barrabas, entre le Sauveur des pécheurs et le péché, Jésus se tient à la porte et il frappe, te disant : « Tourne-toi vers moi et pense aux choses qui appartiennent à la paix ! » Mais toi, tu abandonnes le Sauveur et tu choisis le péché. Tu tiens le sang du Fils de Dieu pour une chose profane ; tu le foules aux pieds toutes les fois que tu ne repousses pas le mal. Oh ! puisse le Saint-Esprit détruire en nous l'amour du péché ! afin que nous entrions dans la communion de Jésus, et que nous parvenions, par lui, à la paix et au salut !

Alors Pilate fit prendre Jésus et le fit fouetter. La flagellation était, chez les Romains, un supplice déshonorant, qu'on n'appliquait qu'aux esclaves et aux criminels. On liait le coupable au pilori, et on frappait son dos mis à nu avec un fouet composé de fortes lanières de cuir mêlées de fil de fer. Il arrivait souvent que le patient expirait sous les coups, avant même que le nombre en fût complet. C'est ainsi que Jésus fut attaché au poteau infâme, que son dos fut dépouillé de tout vêtement, et chaque coup du bourreau faisait jaillir le sang du Fils de Dieu.

Le serviteur qui connaît la volonté du Maître et ne la fait pas est digne d'un double châtiment. Nous sommes tous ce méchant serviteur ; nous avons mérité ce châtiment, mais Jésus présente son dos à ceux qui le frappent. Il reçoit, par amour pour nous, tous les coups que nous avons mérités. En face de cet amour, notre âme s'écrie : « Je te rends grâces pour chaque coup que tu reçois, pour chaque goutte de sang que tu répands pour moi ! » Cette vue nous porte à la repentance et nous excite à crucifier et à flageller chaque jour nos passions et nos mauvaises convoitises. Non comme les Flagellants du moyen âge qui se prosternaient en troupes devant l'image de Jésus flagellé, et qui se frappaient eux-mêmes jusqu'au sang en chantant des psaumes de pénitence. Ils croyaient par là marcher sur les traces de Jésus ; mais ils oubliaient qu'il avait souffert ces choses à leur place. Cette vue nous console, lorsque nos pensées nous accusent ou nous défendent, lorsque notre coeur nous condamne, et que notre conscience nous parle de la colère de Dieu. Le Sauveur flagellé nous enseigne, par son sang répandu, que Dieu ne nous châtie plus dans sa colère et ne nous reprend plus dans l'ardeur de son courroux. Il nous enseigne que si nous sommes encore frappés, c'est que Dieu nous traite comme ses enfants, que l'instrument dont il se sert n'est plus le fouet de son indignation, mais la verge d'un Père, qui veut nous corriger et nous ramener à lui par une discipline pleine de bénédictions. Il nous enseigne que les mauvaises convoitises ne peuvent plus régner dans nos corps mortels, attendu que leur puissance a été brisée par la flagellation de Jésus.

Dans la pensée de Pilate, ce supplice infligé au Sauveur était une nouvelle tentative faite en vue de le délivrer. Il voulait montrer au peuple qu'il était disposé à le satisfaire. Il espérait que la foule, en voyant ces souffrances, cette chair déchirée, n'en demanderait pas davantage, et renoncerait au crucifiement. Mais plus il hésite, plus la crainte des hommes domine sa conscience. - Combien blâment Pilate à cause de son indécision et de son inconstance, et n'agissent pas autrement que lui ! Ils ne rejettent pas précisément Jésus; ils refusent absolument d'être rangés au nombre de ses ennemis ; mais ils ne veulent pas non plus rompre avec le monde. Que ceux-là apprennent par l'exemple de Pilate, que quiconque n'est pas complètement pour Jésus et ne se donne pas absolument à lui, est poussé tôt ou tard à se séparer entièrement de lui.

Et les soldats tressèrent une couronne d'épines, qu'ils lui mirent sur la tête. Avec cette couronne d'épines, Jésus porte la malédiction de toute la postérité d'Adam, auquel Dieu avait dit : « La terre sera maudite à cause de toi, et elle te produira des épines et des chardons. » (Gen. III, 17. 18.) De même, le sol de notre coeur, qui devait être pour Dieu un jardin de délices, ne produit plus, depuis la chute, que des épines et des chardons. Le prophète Michée écrit (VII, 4) - « Le meilleur parmi eux est comme une ronce, et l'homme le plus droit est pire qu'un buisson d'épines. » Jésus a le front déchiré par la couronne d'épines, afin de nous acquérir la couronne de vie éternelle, si nous lui restons fidèles jusqu'à la mort. Seulement, il est indispensable, pour atteindre ce but, que tous ceux qui ont obtenu le pardon de leurs péchés, par les amères souffrances et la mort cruelle du Sauveur, arrachent de leur coeur les épines de leurs mauvaises passions, afin qu'elles n'étouffent pas la bonne semence de la Parole de Dieu.

La couronne d'épines de Jésus nous prêche la douceur. Elle nous exhorte à nous garder de blesser notre prochain par des paroles piquantes ; et elle nous rappelle que ce sont les péchés de langues acérées qui ont couronné Jésus d'épines. Cette couronne nous prêche l'humilité. Lorsqu'au moyen âge les croisés eurent pris Jérusalem, ils voulurent couronner roi un chevalier chrétien, Godefroy de Bouillon ; mais celui-ci refusa de porter une couronne d'or dans le lieu où le Sauveur avait porté une couronne d'épines. Dieu veuille que ce sentiment règne aussi dans nos coeurs, et étouffe toute espèce d'orgueil et d'ambition ! - Lorsque des langues venimeuses nous ont blessés et calomniés, puisse le regard de la foi, dirigé sur la couronne d'épines de Jésus, non seulement donner à nos coeurs la patience et la force nécessaires pour rester calmes, mais encore nous apprendre à prier pour ceux qui nous ont offensés !

Lorsque la main de l'éternel amour nous conduit par des voies semées d'épines, réjouissons-nous de souffrir avec Christ. Tenons-nous en communion avec Lui, et contentons-nous de la grâce qu'il nous a obtenue par sa couronne d'épines. Lorsque l'aiguillon d'une mauvaise conscience blesse notre coeur, regardons à Golgotha. Les épines dont la tête de Jésus est couronnée, sont les seules qui produisent véritablement des raisins (Matth. VII, 16).

Et l'ayant dépouillé, ils le revêtirent d'un manteau de pourpre. Les rois et les autorités romaines les plus élevées portaient le manteau de pourpre comme insigne de leur dignité. Quant au Sauveur, c'est pour se moquer de lui qu'on le revêt d'un vieux manteau de soldat. La couleur fanée de ce manteau est rafraîchie et renouvelée par le sang qui coule abondamment des blessures de celui qui le porte. Hérode, par ironie, l'avait aussi fait couvrir d'un manteau d'une blancheur éclatante. C'est ainsi que s'accomplit en lui cette parole du Cantique des Cantiques (V. 10) : « Mon bien-aimé est blanc et vermeil. » Les moqueurs ne savent pas ce qu'ils font. Au Sauveur appartient le vêtement blanc de l'innocence et de la justice. Sans péché ! C'est là notre consolation. Ce n'est pas pour ses péchés, mais pour les nôtres qu'il souffre. À lui appartient aussi le manteau de pourpre qui le couvre d'ignominie. La pourpre royale est due au Roi de gloire, qui a racheté ses sujets par son sang.
Le manteau de pourpre, lavé dans le sang sacré du Fils de Dieu, revêt l'âme de chaque baptisé, qui est introduit par ce sacrement dans la communion de ses souffrances et de sa mort.

Ils lui mirent aussi un roseau dans la main droite et ils crachèrent contre lui, et s'agenouillant devant lui, ils se moquaient de lui en disant : Je te salue, roi des Juifs. Un roseau au lieu d'un sceptre d'or, comme insigne ironique de sa dignité royale. C'est ainsi que Christ et son règne sont encore raillés et assimilés à un roseau brisé. Mais son vrai sceptre est sa toute-puissante Parole, avec laquelle il paît ses brebis et frappe la tête de ses ennemis. Jésus n'a pas honte d'avoir pour sceptre un roseau. Ce roseau est l'image de notre coeur, que le Sauveur tient dans sa main puissante. Il ne veut pas briser ce roseau froissé ; il veut au contraire le soutenir et fortifier sa foi. Le Seigneur a reçu pour nous les génuflexions moqueuses et les hommages dérisoires des soldats romains. Car c'est nous qui devions supporter, pendant toute l'éternité, cette honte et cette ignominie, en punition de notre orgueil et de notre présomption. Il les supporta à notre place. Jésus n'a pas seulement souffert les railleries, mais il les a toutes expiées, y compris celles que les moqueurs déversaient alors sur lui, en sorte qu'ils auraient pu aussi être sauvés par lui. Adorons l'abîme de ce miséricordieux amour.

Et, crachant contre lui, ils prenaient le roseau et lui donnaient des coups sur la tête. Ils enfonçaient ainsi les épines dans sa tête et faisaient couler plus abondamment son sang, tellement que son corps sacré en était inondé. C'est ce que font encore aujourd'hui ceux qui se servent de son sceptre royal, de sa divine Parole, pour le frapper. Ils la tordent et la faussent et l'emploient, non à honorer son saint nom, mais au contraire à le couvrir d'ignominie. Et Lui, le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs, il se laisse railler, traîner dans la boue, afin de nous rendre participants de son honneur et de sa gloire. Mais celui qui est maintenant méprisé au dernier point, viendra un jour sur les nuées du ciel pour juger les peuples de la terre.

Pilate sortit encore une fois et leur dit : Le voici, je vous l'amène, afin que vous sachiez que je ne trouve aucun crime en lui. Jésus donc sortit, portant la couronne d'épines et le manteau de pourpre, et Pilate leur dit : Voici l'homme ! La vue de ce martyr couronné d'épines, qui porte comme un agneau toutes nos douleurs, excite au plus haut degré la sympathie de Pilate. Et il fait appel à celle du peuple, pour voir s'il n'éprouverait pas un sentiment de compassion, et ne serait pas touché à l'aspect d'une telle souffrance. Voici l'homme ! Voyez quel homme ! Voyez comme il parait souffrant, exténué, brisé ! N'êtes-vous pas satisfaits ? Oh ! ne poussez pas plus loin votre cruauté ! Voyez comme il est faible et peu à craindre ! Après que Jésus a été ainsi outragé, personne sans doute ne voudra le faire roi. - Pilate, ce païen aveugle, ne voyait dans cet Agneau de Dieu, couvert de sang, qu'un innocent, qui souffrait injustement. Il ne lui venait pas à l'esprit que ces souffrances étaient supportées pour les autres, et qu'elles avaient la puissance de sauver. C'est pourquoi, en disant aux Juifs : Voici l'homme ! il ne veut qu'exciter leur sympathie en sa faveur. Mais le Fils de Dieu ne s'est pas fait homme pour provoquer des sympathies. Nous ne devons donc pas compter que l'expression de notre sensibilité à la vue de ses souffrances, soit agréable à Dieu et attire sur nous ses faveurs.

Voici l'homme ! Sans s'en douter, Pilate a prononcé une parole que le Saint-Esprit a recueillie de ses lèvres, et par laquelle il dirige, à travers les siècles, l'attention du monde sur le Sauveur des pécheurs. Regardez-le comme les Israélites regardaient le serpent d'airain élevé au désert, pour être guéris des morsures empoisonnées des serpents brûlants. Alors votre âme, mortellement empoisonnée, sera guérie et obtiendra la vie éternelle et bienheureuse. Voyez, voilà l'état dans lequel vos péchés ont mis le plus beau des fils des hommes ! « Aussitôt que le Dieu saint châtie quelqu'un à cause de son péché, il consume comme la teigne son excellence » (Ps. XXXIX, 12). C'est seulement parce que l'Homme-Dieu a subi la peine qui devait frapper tous les hommes, que le pécheur repentant peut être sauvé. Aussi, regardez-le avec l'ardent désir d'être réconciliés avec Dieu par Lui. Regardez Jésus, en le priant de vous être propice par ses mérites. Regardez-le en cherchant voire guérison dans ses meurtrissures, votre santé dans ses souffrances, votre honneur dans son ignominie, votre vie dans sa mort. Regardez Jésus avec une foi pleine de repentance, afin qu'un jour, dans l'éternité, on ne vous montre pas du doigt en disant : Voilà un homme qui était malade et qui n'a pas voulu être guéri, qui était pécheur et n'a pas voulu d'un Sauveur, qui était misérable et brisé et n'a pas voulu être heureux.

Mais quand les principaux sacrificateurs et les sergents le virent, ils s'écrièrent : Crucifie-le, crucifie-le ! Ils craignaient que le peuple ne se laissât attendrir à la vue de ce patient et sanglant Agneau de Dieu ; c'est pourquoi ils s'efforçaient d'en finir le plus tôt possible. Pilate leur dit : Prenez-le vous-mêmes et le crucifiez, car je ne trouve aucun crime en lui. Le gouverneur est impatient, puisque sa dernière tentative pour sauver Jésus avait échoué contre la haine meurtrière des principaux sacrificateurs. Les Juifs laissent échapper le mot qui révèle tout le mystère du procès qu'ils ont intenté à Jésus. Ce n'est pas le crime de haute trahison qu'ils lui reprochent, c'est de s'être fait Fils de Dieu. Ils avaient tû jusqu'ici ce chef d'accusation, mais Pilate les presse si fortement, qu'ils sont forcés de l'articuler. Ils ont une loi - la loi de Dieu - ; mais cette loi, qui condamne à mort les blasphémateurs, ne regarde pas Jésus, puisqu'il est réellement et véritablement le Fils unique de Dieu. D'un autre côté, d'après la loi de Dieu, il fallait qu'il mourût, mais cette loi est celle de la miséricorde, en vertu de laquelle son coeur se brise de pitié, en sorte qu'il faut qu'il pardonne.

Quand Pilate eut entendu ces paroles, il eut encore plus de crainte. Il rentra donc dans le prétoire et dit à Jésus : D'où es-tu ? Pilate ne voyait assurément pas avec les yeux de saint Jean la gloire du Fils de Dieu, pleine de grâce et de vérité. Il n'était cependant pas resté sans avoir reçu une certaine impression de cette gloire. Il craignait, comme tous les impies, lorsqu'ils se trouvent en rapport avec la Divinité. On devrait croire que Jésus étant venu non pour condamner le monde, mais pour le sauver, ne pouvait effrayer personne. Mais, pour pouvoir se réjouir de lui, il faut se confier en lui et l'accepter comme Sauveur. Celui qui rejette ce qu'il offre, ne peut qu'être effrayé toutes les fois qu'il se sent dans sa proximité.

Pilate se souvient des fables païennes qui racontent que des fils des dieux ont apparu sur la terre sous des formes humaines, et demande à Jésus : D'où es-tu ? Les superstitieux habitants de Lystre adressèrent la même question à Paul et à Barnabas. Des dieux ayant pris la forme humaine sont descendus vers nous. (Act. XIV, 11). Celui que les païens pressentaient, celui que Dieu avait promis dès le commencement, et auquel tendaient les coeurs des hommes pieux, celui-là se trouvait, dans la plénitude de sa grâce, en face de Pilate ; mais Pilate avait fermé son coeur à la vérité et était aveugle. C'est pourquoi Jésus ne lui fit aucune, réponse. Jésus se laisse trouver par les coeurs qui le cherchent ; il se révèle aux misérables ; il se donne à connaître aux âmes altérées de salut, et qui soupirent après la consolation. Mais à Pilate, il ne répond rien. C'est là le jugement qui frappe le gouverneur. Lorsque Jésus lui a parlé de sa personne et de son oeuvre, Pilate s'est détourné de lui, en demandant ironiquement : « Qu'est-ce que la vérité ? » Voilà pourquoi Jésus se tait maintenant. Celui qui se détourne de la vérité lorsqu'elle se présente à lui, ne reçoit pas de réponse lorsqu'il l'interroge. Il ne reçoit pas de réponse, parce que son infidélité à l'égard de la vérité qui le cherchait, le rend incapable de demander avec droiture : D'où es-tu ? Celui-là seul obtient une réponse, qui sait d'où il vient lui-même, c'est-à-dire qui reconnaît ses péchés. D'abord il faut résoudre la première question, puis on peut résoudre la seconde. La loi de Dieu nous montre, la justice de Dieu, sa colère contre le péché ; elle nous en donne la connaissance et nous presse ainsi dans les bras du Sauveur.

Pilate ne questionne pas le Seigneur dans l'espoir de recueillir de sa bouche une douce consolation. Il est angoissé et espère plutôt que Jésus lui dira : « Ne t'inquiète pas, tu n'as rien à craindre, je ne suis pas le Fils de Dieu. » Jésus ne peut pas remplir son attente, c'est pourquoi il ne lui répond rien. C'est ainsi que se tait l'Écriture, dès qu'on l'interroge avec le coeur de Pilate. À la vérité, l'Écriture, calme et restaure, en la conduisant à la source de la vie, toute âme qui soupire après le Dieu vivant comme le cerf après les eaux courantes. Mais celui qui cherche dans l'Écriture une réponse qui le confirme dans son incrédulité ou dans l'amour du péché, n'obtient point de réponse. Que personne donc ne s'étonne, quand l'Écriture ne lui répond rien. Elle est obscure, elle est un livre scellé de sept sceaux, elle est muette et silencieuse pour quiconque ne veut pas se laisser reprendre par elle, et refuse le pardon de ses péchés ; en un mot, pour quiconque veut être juste devant Dieu. La clef qui ouvre l'Écriture est un coeur repentant et brisé. À un esprit froissé, le saint Livre ouvre sa bouche, répond à toutes ses questions, et guérit toutes les blessures de sa conscience. Jésus est dans l'Écriture ; voilà pourquoi ce saint Livre se comporte comme Jésus.

Alors Pilate lui dit : Tu ne me réponds rien ? Ne sais-tu pas que j'ai le pouvoir de te faire crucifier, et le pouvoir de le délivrer ? Le gouverneur se vante de son pouvoir, dont la crainte des hommes l'empêche absolument de faire usage. Jésus fait encore une tentative pour l'attirer et lui dit : Tu n'aurais aucun pouvoir sur moi, s'il ne l'avait été donné d'en-haut. C'est pourquoi celui qui m'a livré à toi, est coupable d'un plus grand péché. Celui qui est jugé et condamné, compare la faute de Caïphe à celle de Pilate, et trouve celle-ci moins grave que l'autre. En parlant ainsi, Jésus essaye encore d'avoir prise sur le coeur de Pilate.

Et depuis ce moment, le gouverneur cherchait à le délivrer. Toutes ces tentatives demeurent toutefois à l'état de bonnes résolutions. Le gouverneur fait des efforts, mais il ne persévère point. Le royaume des cieux est forcé, et les violents seuls le ravissent. Mais les Juifs s'écrient : Si tu délivres cet homme, tu n'es pas ami de César, car quiconque se fait roi, se déclare contre César. - Lorsque Pilate eut entendu cette parole, il le leur livra pour être crucifié. C'est ainsi que Pilate, grâce à sa lâcheté, glisse sur la pente, jusqu'au fond de l'abîme, et cela parce qu'il place l'amitié du maître d'un royaume terrestre au-dessus de celle du Roi dont le règne n'est pas de ce monde. Toutefois, ce qu'il s'est efforcé de conserver lui a cependant été ravi. Trois ans plus tard, il fut banni en Gaule par l'empereur, et l'on rapporte qu'à la suite de cette disgrâce, il se suicida. Il n'y aurait rien d'étonnant à ce que Pilate eût fini comme Judas, car il ne devait pas pouvoir oublier que Jésus avait voulu sauver son âme et qu'il l'avait condamné injustement.

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