L'Agneau de Dieu, oint par le précieux parfum de Marie, se dirigea le
lendemain vers le lieu du sacrifice, à Jérusalem. Longtemps avant que
Jésus et ses disciples prissent le chemin de cette ville, les routes
qui y conduisaient étaient couvertes des foules qui se rendaient à la
fête. Chacun savait que le Seigneur devait y assister, et tous
affluaient vers le petit bourg de Béthanie, pour voir celui qui avait
rappelé Lazare du tombeau. Beaucoup voulaient aussi voir Lazare,
surtout depuis que le bruit s'était répandu que les souverains
sacrificateurs avaient le dessein de le faire mourir. Les noms de
Jésus et de Lazare étaient dans toutes les bouches. Tout le monde
exaltait ce fait extraordinaire.
Comme ils approchaient de
Jérusalem, et qu'ils étaient déjà à Bethphagé, près du mont des
Oliviers, Jésus envoya deux de ses disciples, leur disant :
Allez à la bourgade qui est devant vous ; vous y trouverez
d'abord une ânesse attachée et son ânon avec elle ;
détachez-les et amenez-les-moi. Et si quelqu'un vous dit quelque
chose, vous direz que le Maître en a besoin, et aussitôt il les
enverra. Or, tout cela se fit afin que ces paroles du prophète
fussent accomplies : Dites à la fille de Sion : Voici
ton Roi qui vient à toi débonnaire, monté sur un âne, sur le
poulain de celle qui porte le joug. « Le Roi
d'Israël veut aujourd'hui faire son entrée solennelle dans sa
capitale. Quel accueil lui fera-t-on ? Est-ce que la fille de
Sion est prête à le recevoir ? Portes, élevez vos têtes ;
portes éternelles, haussez-vous, et le Roi de gloire entrera. » -
Peu reconnaissent, sous cette modeste apparence, la gloire du Roi
d'Israël. Il n'y a en lui ni forme ni éclat pour attirer les regards
charnels. Il ne vient pas sur un superbe coursier de combat,
mais sur un chétif ânon, qui ne lui appartient même pas. Ce ne sont
pas de précieux tapis qui sont étendus sur son chemin, mais les
vêtements des pauvres. Il n'est pas annoncé par des hérauts d'armes
magnifiquement parés ; il est acclamé par des enfants et par des
gens du peuple. Ce n'est pas là une gloire royale capable de frapper
les yeux et d'enivrer les sens. Cependant, Sion, voici ton Roi qui
vient à toi ; il est doux et humble de coeur, mais pourtant c'est
un Roi.
En vertu de sa toute-science divine, Jésus voit de loin
l'animal qui doit lui servir pour faire son entrée dans la ville. Il
incline le coeur du propriétaire de l'âne, qui le lui abandonne,
malgré son étonnement. Il incline également les coeurs de ses
disciples à obéir à son ordre étrange, de manière qu'ils l'exécutent
ponctuellement. Sommes-nous prêts, comme eux, à faire joyeusement la
volonté du Sauveur lorsque nous ne la comprenons pas ?
Sommes-nous prêts à lui abandonner volontiers ce qui nous appartient
lorsqu'il nous fait dire qu'il en a besoin ? Mais qui donc ne
donnerait pas tout à ce Roi qui vient répandre son sang et donner sa
vie pour la vie de son peuple ? Voici, il vient à toi ; il
aurait pu attendre longtemps que tu ailles à lui.
Les disciples s'en allèrent donc
et firent comme le Seigneur leur avait ordonné : et ils
amenèrent l'ânesse et l'ânon ; et ayant mis leurs vêtements
dessus, ils l'y firent asseoir. Alors les gens en grand nombre
étendaient leurs vêtements par le chemin, et d'autres coupaient
des branches d'arbres et les étendaient par le chemin. Et ceux qui
allaient devant et ceux qui suivaient criaient, disant :
Hosanna, au Fils de David ! béni soit celui qui vient au nom
du Seigneur ! Hosanna dans les lieux très-hauts !
Le peuple est rempli d'enthousiasme par le récit de l'événement de
Béthanie, qui ravive dans les coeurs le souvenir de tous les miracles
que le Seigneur a opérés.
Depuis longtemps ils attendaient avec impatience le
moment où Jésus se ferait enfin connaître comme Messie, comme Roi. La
tension des esprits augmentait de plus en plus, lorsqu'ils virent les
disciples étendre leurs vêtements sur la monture dont le Sauveur
devait se servir. Immédiatement l'idée leur vient que le Roi va
prendre possession de son royaume, et, comme pressés par une inspiration
d'en haut, ils l'acclament avec les paroles de la prophétie
messianique du Psaume
CXVIII, 25-26.
L'enthousiasme gagne comme une traînée de poudre. Les
honneurs royaux vont être rendus au Roi. Les gens étendent leurs
vêtements sur le chemin, qu'ils jonchent aussi de branches d'arbres.
On entend retentir les cris de louanges comme le bruit des grosses
eaux : « Béni soit celui qui vient au nom du
Seigneur ! » « Hosanna dans les cieux
très-hauts ! » Sans doute, chez la plupart, cet enthousiasme
était un feu de paille qui devait promptement s'éteindre. Le
« Hosanna » fut bientôt suivi du
« crucifie-le ! » Toutefois, coeur chrétien, ne
t'irrite pas trop de ce que cet enthousiasme ait été si vite refroidi.
L'as-tu jamais ressenti ? As-tu jamais été rempli d'une sainte
joie de recevoir ton Sauveur et de faire partie de son Église ?
Ton amour pour lui est-il monté au-dessus du point de congélation de
ton thermomètre spirituel ? Fille de Sion, Église de Dieu, ton
Roi vient à toi, et sa venue durera pendant tout le temps de grâce. Et
lorsque ce temps sera écoulé, il viendra sur les nuées du ciel ;
ce sera son dernier avènement.
Cette entrée du Sauveur à Jérusalem ne ressemble en rien
aux précédentes. Par son cortège royal, il veut se faire connaître
publiquement et solennellement comme le Messie promis, afin que
personne ne puisse s'excuser en disant : Il n'a jamais déclaré
« formellement » qu'il était celui qui devait venir. -
Cependant il ne se laisse pas éblouir par les bruyantes acclamations
du peuple. Au sein de cette joie générale, les pharisiens se font
entendre. Maître, lui
crient-ils, reprends les disciples.
Ils estiment que ces honneurs messianiques ne conviennent pas à Jésus.
Mais il leur répond : Je vous dis que
si ceux-ci se taisent, les pierres même crieront. Il
faut qu'il s'élève une fois un cri de joie, afin qu'on sache que le
Messie est là. Et si les hommes se taisent, Dieu suscitera, des
pierres du chemin, des enfants qui rendront à son Fils les honneurs
qui lui sont dus. Lorsque la gloire de Jérusalem fut tombée, les
pierres de la cité royale, qui avait mis à mort le prince de la vie,
rendirent témoignage au Roi qui est assis à la droite du Père.
La profonde douleur qui remplissait le coeur de Jésus,
malgré l'enthousiasme du peuple, éclate, lorsque du haut du mont des Oliviers,
il aperçoit la ville étalée devant lui. Et
lorsqu'il fut proche de la ville en la voyant, il pleura sur elle.
Jésus a versé des larmes afin que nous n'ayons pas à pleurer
éternellement. Quelle puissance victorieuse gît dans les larmes !
On ne fait pas grande attention à celles d'un enfant ; elles sont
vite provoquées et vite séchées. Celles d'une faible femme ont déjà
plus de force. Mais les larmes d'un homme pèsent lourdement, surtout
lorsque ce sont les larmes d'un coeur paternel profondément courbé
sous le poids de la douleur. Un père avait beaucoup de chagrin à cause
de l'indocilité de son enfant. Souvent il était obligé de le châtier,
mais toujours en vain. Plus la punition était sévère, plus le jeune
garçon se montrait intraitable. Un jour, ne sachant plus que faire, le
père le frappa jusqu'à ce qu'il eût brisé la verge. Mais l'enfant
regarda son père sans mot dire, sans faire un mouvement, avec une
froideur glaciale. Le père au désespoir, jeta son bâton loin de lui et
s'écria avec larmes : « Malheureux enfant, que vais-je faire
de toi ? » Ce que les coups n'avaient pu faire, les larmes
l'accomplirent. Le coeur de ce garçon indocile se fondit. Il vint à
son père et cria : « Père, frappe-moi, mais ne pleure
pas ! »
Les larmes des croyants sont la noble semence d'une
joyeuse moisson. Et si les larmes de pauvres pécheurs ont une telle
vertu, combien plus celles de Jésus ne rapporteront-elles pas de
magnifiques gerbes ! Ses larmes, comme son sang qu'il a répandu
une fois, ont une valeur inappréciable et une puissance éternelle. Que
de coeurs endurcis n'ont-elles pas amollis ! que de coeurs brisés
n'ont-elles pas restaurés !
Jésus pleura sur Jérusalem ; il pleura sur les
Juifs. Rappelons-nous cet immense amour du Sauveur pour son peuple,
lorsque les défauts de beaucoup de Juifs nous disposent à les haïr ou
même à les mépriser. Le fait qu'un si grand nombre de Juifs vivent
parmi les chrétiens sans se convertir, est une grave accusation contre
les chrétiens. Cette accusation s'aggrave encore lorsque nous
entendons les Juifs dire : Pourquoi deviendrions-nous
chrétiens ? Les chrétiens sont-ils beaucoup meilleurs que
nous ? Et les chrétiens ne savent que répondre. Les Juifs ne
viendraient-ils pas plus volontiers à Christ s'ils
avaient le sentiment que nous, chrétiens, nous aimons le Sauveur de
tout notre coeur, s'ils remarquaient qu'une vie chrétienne est une vie
heureuse et joyeuse, s'ils trouvaient en nous des coeurs pleins d'un
véritable amour pour eux, s'ils nous voyaient heureux d'avoir un
Sauveur, et se sentaient, eux, malheureux d'en être privés ?
Au commencement de ce siècle vivait à Breslau un pieux
maître tailleur. Un jeune Juif, qui étudiait la médecine, vint un jour
dans son atelier pour se commander un habit. En lui prenant la mesure,
le tailleur remarqua la belle stature de ce jeune homme. Mais il se
disait en même temps : Dans ce corps, auquel Dieu a donné une si
belle forme, se trouve une âme qui ne connaît pas son Sauveur. 0
pauvre et malheureux jeune homme ! Cette pensée lui serra
tellement le coeur que ses yeux se remplirent de larmes. Il les essuya
une première et une deuxième fois. Lorsqu'il fit ce mouvement pour la
troisième fois, son jeune client, qui l'avait remarqué dans une glace
suspendue au mur en face de lui, lui demanda avec sympathie pourquoi
il pleurait, et s'il avait éprouvé quelque malheur. Mais le tailleur
secoua négativement la tête. Et comme il continuait à pleurer, le
jeune homme insista pour connaître la cause de son chagrin, en lui
promettant de lui venir en aide dans la mesure de ses moyens. Alors le
tailleur lui découvrit franchement le mystère de ses larmes. « Ce
n'est pas sur moi que je pleure, lui dit-il, car j'ai été abondamment
béni de Dieu ; je pleure sur vous, mon jeune monsieur, parce que
vous n'avez point de Sauveur. Car, vivre sans Lui, c'est le plus grand
des malheurs. « Le jeune homme était muet d'étonnement. Les
larmes du maître tailleur brûlaient son âme. Sans prononcer une
parole, il se hâta de rentrer chez lui. Dans les jours qui suivirent,
il n'eut aucun repos et fut incapable de tout travail. Les larmes du
tailleur le poursuivaient partout. Enfin il se décida à entrer dans
une librairie et acheta un Nouveau Testament. Il le lut et le relut,
et ne cessa pas qu'il n'eût trouvé le Sauveur qui avait rendu le
maître tailleur si heureux. Puis il fit des études pour devenir
missionnaire parmi les Juifs, et en amena beaucoup au Sauveur, qui
peut seul rendre heureux. Les larmes de cet homme ressemblaient à
celles que Jésus avait versées en vue de Jérusalem
sur l'endurcissement des Juifs.
Jésus dit : Oh ! si
tu avais connu du moins dans ce jour qui t'est donné, les choses
qui regardent ta paix ! mais maintenant elles sont cachées à
tes yeux. Car les jours viendront sur toi, que tes ennemis
t'environneront de tranchées, et t'enfermeront et te serreront de
toutes parts, et ils te détruiront entièrement, toi et tes enfants
qui sont au milieu de toi et ils ne le laisseront pierre sur
pierre, parce que tu n'as pas connu le temps auquel tu as été
visitée. - La majesté de la ville royale s'étale devant
ses yeux. Tout se prépare pour une fête solennelle. Nulle part le
danger ne semble menacer. Tous nagent dans la joie. Mais les yeux
pleins de larmes de Jésus voient approcher les jugements de Dieu. Car
Jérusalem ne veut pas du Prince de la paix. Elle repousse son Sauveur
qui la visite comme l'orient d'en-haut. Jérusalem ne veut pas
reconnaître la grâce qui lui est offerte ; il faut qu'elle soit
brisée par le jugement de Dieu. Celui qui ne se laisse pas amener à la
repentance par la bonté de Dieu, sera obligé de se courber sous sa
colère ; celui qui ne se laisse pas visiter et convertir par les
yeux pleins de larmes de Jésus, les verra briller comme des flammes de
feu, sortant du trône de Dieu, et sera précipité dans
l'abîme ! »
Par son entrée solennelle à Jérusalem, Christ s'était fait connaître
à tous comme le Messie. La purification du temple devait être une
confirmation de sa dignité messianique. Tous devaient voir dans cet
acte l'accomplissement de cette prophétie : « Voici, je vais
envoyer mon ange, et il préparera le chemin devant toi ; et
aussitôt le Seigneur que vous cherchez et l'ange de l'alliance que
vous désirez entrera dans son temple. Voici il vient, dit l'Éternel
des armées » (Mal.
III, 1). Et Jésus entra dans le temple
de Dieu et en chassa tous ceux qui vendaient et qui achetaient
dans le temple, et il renversa les tables des changeurs et les
sièges de ceux qui vendaient des pigeons, et il leur dit : Il
est écrit, ma maison sera appelée une maison
de prière et vous en faites une caverne de voleurs. On
s'est étonné de ce que le Sauveur eût purifié le temple deux
fois ; on devrait plutôt s'étonner de ce qu'il ne l'a pas fait
plus souvent. - Après la première purification, à la première fête de
Pâques, non seulement le scandale n'avait pas cessé ; il avait
plutôt augmenté. Trois ans auparavant, Jésus se plaignait qu'on avait
fait de la maison de son Père une maison de marché ; maintenant
il voit qu'elle est devenue une caverne de voleurs. Une majesté royale
accompagne son zèle pour la maison de son Père. Une lumière divine
rayonne de sa personne, tellement que cette foule de marchands et de
trafiquants obéit avec une crainte respectueuse aux ordres de cet
homme sans armes. Et c'est ce même Jésus, dont la mort est déjà
décidée, et que le Conseil suprême a commandé de saisir partout où on
le trouverait ! N'était-ce pas en vue de la frayeur qui s'empara
de ses ennemis en le voyant agir ainsi que le Psalmiste s'écrie :
« Il leur parlera dans sa colère et les effrayera dans l'ardeur
de son courroux ? » (Ps.
II, 5.)
Par cet acte, le Seigneur leur prouve que son indignation
n'est pas dirigée contre le pécheur, mais contre le péché. Car
aussitôt des boiteux et des aveugles vinrent à lui dans le temple,
et il les guérit. Quiconque ne comprend pas que Jésus
passe immédiatement de l'indignation qu'il montre en purifiant le
temple, à la douceur et à une miséricordieuse bienveillance, ne
connaît pas le saint amour. Y a-t-il un feu qui réchauffe et qui ne
puisse pas en même temps brûler et consacrer ? L'essence de Dieu,
c'est l'amour, non un amour auquel le blanc et le noir, la lumière et
les ténèbres, le bien et le mal soient indifférents ; mais un
amour qui se montre aussi saintement implacable contre le péché, que
saintement miséricordieux pour le pécheur.
Mais les principaux
sacrificateurs et les scribes, voyant les merveilles qu'il avait
faites, et que les enfants criaient dans le temple et disaient
Hosanna au Fils de David ! ils en furent indiqués et lui
dirent : Entends-tu ce que ces enfants disent ? Et il
leur dit : N'avez-vous, jamais lu ces paroles : Tu as
tiré une parfaite louange de la bouche des enfants et de ceux qui
tètent ? Le Seigneur nous montre ici que l'humble
louange proférée par la bouche des enfants lui est agréable.
Combien de chrétiens y voient des symptômes alarmants, et sont
mécontents lorsque l'esprit de prière s'empare des enfants et les
pousse à louer le nom de Jésus ! Combien d'adultes ont été
réveillés par les prières des enfants ! La Toute-puissance se
sert de la faiblesse pour accomplir ses desseins, afin que nulle chair
ne se glorifie ! Il a tiré le fondement de sa puissance, de la
bouche des petits enfants et de ceux qui tètent (Ps.
VIII, 3). - Notre Dieu a deux espèces d'enfants, ceux que l'âge
lui amène et ceux que leur coeur attire à lui, et les uns et
les autres le louent dans la simplicité de leur foi. Pendant que
Mélanchthon assistait à la dispute de Torgau, après qu'on eut
longtemps discuté sans arriver à une décision, il fut appelé dehors.
Il passa par une chambre où la femme et les enfants du pasteur de
cette ville étaient réunis et priaient pour les réformateurs.
Mélanchthon fut tellement ému qu'il dit à Luther : Nous n'avons
plus besoin de nous inquiéter ; j'ai vu ceux qui combattent pour
nous et nous défendent et que nul ne vaincra.
Et les principaux
sacrificateurs, les scribes et les principaux du peuple
cherchaient à le faire mourir ; mais ils ne pouvaient rien
faire contre lui, parce que le peuple l'écoutait avec une grande
attention. La haine meurtrière du Sanhédrin est obligée
de se contenir, parce que l'opinion publique lui est encore contraire.
C'est ainsi que Jésus put encore enseigner le peuple pendant quatre
jours, sans que personne osât mettre la main sur lui. Et il enseignait
tous les jours dans le temple. Pendant le jour il annonçait l'Évangile
avec une infatigable activité ; la nuit il se retirait sur la
montagne des Oliviers ou à Béthanie. Et les ayant laissés, il sortit
de la ville et s'en alla à Béthanie où il passa la nuit.
Lorsque, le lundi matin, Jésus retournait de Béthanie à la ville, il
eut faim, et voyant un figuier sur le chemin, il y alla, mais il
n'y trouva que des feuilles, et il lui
dit : Qu'il ne naisse jamais aucun fruit de toi, et
incontinent le figuier sécha. Il y avait longtemps que,
dans une parabole, Jésus avait parlé de l'inutilité de son activité au
sein du peuple d'Israël. Un propriétaire avait planté un figuier dans
sa vigne. Pendant trois ans, il était venu chaque année chercher des
fruits, et, n'en ayant point trouvé, il avait commandé d'abattre
l'arbre. L'intercession du vigneron lui avait procuré un sursis de
grâce d'une année. C'est à cette parabole que se rattache la
malédiction symbolique du figuier du chemin de Béthanie. Le temps de
grâce est écoulé, mais le figuier n'a encore porté aucun fruit. Le
peuple d'Israël ne veut pas voir les choses qui appartiennent à sa
paix. - Les hommages enthousiastes qu'il rendait hier à Jésus, lors de
son entrée à Jérusalem, étaient à la vérité un très beau
feuillage ; mais il n'y avait aucun fruit de repentance et de
foi. Le temple, qui devait être le point central du culte spirituel de
la nation, était devenu une caverne de voleurs. Le Seigneur avait
prononcé sur le peuple d'Israël le jugement qu'il avait exécuté
symboliquement sur cet arbre, aux yeux de ses disciples. De pareils
actes symboliques étaient un langage parabolique, qui faisait
infiniment plus d'impression que la parabole proprement dite. Le
peuple était habitué à ce langage depuis le temps des prophètes. C'est
ainsi que le prophète Ahija déchira son manteau en douze morceaux, en
présence de Jéroboam, afin de figurer par cet acte le partage du
peuple (1
Rois XI) dont Jéroboam devait obtenir dix tribus. C'est ainsi
que Jérémie plaça un joug sur son cou pour figurer qu'Israël et Juda
devaient aller en captivité.
À tous ses miracles de miséricorde, le Sauveur en ajoute
ici un, pour montrer que le Père lui a donné tout pouvoir de juger.
Seulement, il l'opère non sur un homme, puisqu'il est encore là pour
chercher et sauver, mais sur un objet privé de vie. Jésus n'avait
jamais encore annoncé aussi clairement la réjection d'Israël à ses
disciples, qu'il venait de le faire par cette action symbolique. C'est
que le moment était venu de les familiariser avec cette perspective.
La difficulté qu'ils éprouvaient à la saisir, nous est indiquée par le
fait que le dessèchement subit de ce figuier attire leur attention
beaucoup plus que la signification de ce miracle. Cet acte
leur annonçait en effet, qu'après avoir rejeté son Sauveur, Israël ne
serait plus le peuple de Dieu, et que le royaume de Dieu lui serait
ôté et serait donné aux païens.
Si les disciples avaient compris cet enseignement, ils en
auraient été tellement effrayés qu'ils n'auraient plus pensé au
miracle lui-même. Au lieu de cela, ils demandent : Comment
ce figuier est-il devenu sec à l'instant ? Le
Seigneur attire alors leur attention sur la puissance de la foi, qui
non seulement fait périr un figuier, mais encore peut déplacer les
montagnes lorsqu'elles s'opposent à l'avancement du règne de Dieu.
Jésus répondant, leur dit : Je vous
dis, en vérité, que si vous aviez la foi et que vous ne doutiez
point, non seulement vous feriez ce qui a été fait au figuier,
mais encore vous diriez à cette montagne : Ôte-toi de là et
te jette dans la mer, et cela se ferait. Cette parole,
qu'il leur avait déjà adressée après sa transfiguration, devait être
pour les disciples un bâton et une houlette pour traverser la sombre
vallée qui s'ouvrait devant eux, et pour son Église, une lumière dans
les ténèbres, lorsque des montagnes d'obstacles s'élèveront devant
eux, et lorsque le terrible déploiement de la puissance païenne
semblera, par les persécutions, vouloir faire disparaître l'Église de
la surface de la terre.
Et il ajoute : Tout ce que
vous demanderez en priant, si vous croyez, vous le recevrez.
La foi n'est pas une froide opinion, ni une simple adhésion de
l'intelligence. Une telle foi serait incapable de transporter des
montagnes, et même de déplacer un seul grain de sable. La vraie foi
est la main de la faiblesse qui saisit la Toute-puissance de Dieu, à
laquelle rien ne peut résister. Elle n'est ni une confiance dans la
fortune qu'on possède, ni un secours destiné à balayer du chemin les
obstacles qui s'opposent aux agréments de la chair. La foi est une
ferme confiance dans les promesses de Dieu, une identification de la
volonté propre avec la volonté de Dieu, une humble et joyeuse
obéissance à ses commandements. C'est cette foi qui transporte les
montagnes.
Parmi ceux qui étaient montés à Jérusalem pour adorer, se trouvaient
aussi quelques Grecs. Ils venaient probablement de la Galilée, où
beaucoup de païens étaient dispersés parmi les Juifs, et même réunis
dans des villes qu'ils habitaient exclusivement. Parmi ces païens, il
y en avait beaucoup à celle époque qui, mécontents de la désolation et
du vide dans lesquels le paganisme les laissait, recherchaient la
lumière et la vérité divines. Dégoûtés de leurs idoles, ils
cherchaient le Dieu vivant et assistaient souvent aux grandes fêtes.
On les désignait sous la dénomination de prosélytes de la porte, et
ils sont mentionnés dans les Actes des Apôtres comme des personnes
« craignant Dieu ». Par eux, un précieux pont était jeté
pour favoriser le passage de l'Évangile des Juifs aux païens.
Quelques Grecs vinrent vers
Philippe, qui était de Bethsaïda en Galilée, et lui dirent en le
priant : Seigneur, nous voudrions bien voir Jésus. Philippe
vint et le dit à André, et André et Philippe le dirent à Jésus.
C'est une remarquable dispensation que, immédiatement après que, par
le miracle du figuier, Jésus eut annoncé à ses disciples la réjection
du peuple d'Israël, les avant-coureurs du monde païen se présentent à
lui avec un empressement visible. Le fait qu'ils donnent à Philippe le
titre de Seigneur montre leur respect pour le disciple de celui qu'on
avait accueilli la veille d'une manière si solennelle, et qui depuis
sa dernière entrée à Jérusalem, leur apparaissait entouré d'une
auréole particulièrement brillante. D'un autre côté, les disciples se
sentent honorés par la mission qui leur incombe, d'être les guides des
païens auprès de leur Maître. Les païens demandent à aller à
Jésus ; ceci leur semble être l'aurore du jour de la gloire. Mais
Jésus leur répondit : L'heure est venue
que le Fils de l'homme doit être glorifié. Ces paroles
furent adressées aux disciples, de manière cependant que les Grecs
pussent aussi les entendre. L'espoir des disciples n'est pas
prématuré. Puissent-ils voir avec confiance, dans ces Grecs, les
premiers de ces troupes qui viendront d'Orient et
d'Occident, car le moment de la glorification de Christ est tout
proche. - Cependant, si ce moment doit arriver bientôt, ce sera tout
autrement que les disciples l'attendaient. La glorification de Christ
consistera dans le dépouillement de sa forme de serviteur et dans la
réintégration dans la gloire du Père. Et le résultat de cette
glorification, c'est qu'il porte beaucoup de fruits (v.
24), et qu'il attire tous les hommes à lui (V.
32).
En vérité, en vérité, je vous le
dis : Si le grain de froment ne meurt après qu'on l'a jeté
dans la terre, il demeure seul ; mais s'il meurt, il porte
beaucoup de fruits. Par cette double déclaration, le
Seigneur veut renverser tous les doutes et toutes les objections que
l'intelligence naturelle pourrait inventer pour nier que la mort soit
nécessairement le chemin de la gloire. La mort du Seigneur, même
considérée comme substituée à celle de l'homme pécheur, est la
condition essentielle de sa glorification, le fondement nécessaire sur
lequel doit reposer le royaume de Dieu sur la terre. Comme le grain de
froment demeuré seul ne porte pas de fruit et ne saurait se multiplier
s'il ne meurt, de même le Fils de l'homme demeurerait seul, il ne
pourrait donner naissance à aucun chrétien, à aucun enfant de Dieu,
s'il ne subissait pour nous la mort qui nous réconcilie avec le Père.
- Après qu'il aura mis son âme en oblation pour le péché, il se verra
de la postérité (Ésaïe
LIII, 10). Sans sa mort, il garderait pour lui seul sa félicité
et sa gloire ; il ne pourrait les communiquer, comme des fleuves
d'eau vive, à ceux qui seraient séparés de lui par une distance
impossible à franchir.
De même que la mort du grain de froment n'est pas un
obstacle à ce qu'il fructifie, mais en est une condition, ainsi la
mort du Fils de l'homme n'est pas un obstacle à sa
glorification ; c'est au contraire à cette mort qu'elle est due.
Elle n'est pas une destruction ni un anéantissement de son
règne ; elle est au contraire l'indispensable moyen de le fonder.
Car de ce Christ unique, qui livre sa vie à la mort, sortira,
lorsqu'il sera ressuscité, une multitude d'enfants de Dieu que
personne ne pourra compter. Non pas des hommes qui porteront
extérieurement la livrée du disciple de Christ, non pas des hommes qui
font des efforts pour imiter son exemple, ou qui
forcent leur nature à revêtir aux yeux des hommes une vertu et une
honnêteté hypocrites ; mais des enfants de Dieu par la foi en
lui, de nouvelles créatures, nées de son Esprit, remplies de ses
pensées, membres de son corps dont il est la tête. Seulement, si sa
voie passe par la mort pour conduire à la gloire, celle des siens ne
pourra pas être indifférente.
Celui qui aime sa vie la perdra,
mais celui qui hait sa vie en ce monde, la conservera pour la vie
éternelle. Quiconque conserve son grain de blé, et
refuse de le mettre dans la terre pour le préserver de la mort, le
perdra ; car avec le temps, ce grain périra. Celui, au contraire,
qui ne craint pas de le livrer à la mort en le déposant dans la terre,
non seulement le conservera, mais il le multipliera abondamment.
Quiconque voudra préserver sa vie de la mort journalière qu'elle doit
subir, la perdra, puisque la mort est le salaire du péché. Celui, au
contraire, qui la livre chaque jour à la mort en Christ, la retrouvera
dans la résurrection du Seigneur, purifiée et glorifiée. Quiconque
s'obstine à conserver sa vie de péché, se sépare de Christ, qui seul
peut donner la vie.
Si quelqu'un me sert, qu'il me
suive, et où je serai, celui qui me sert y sera aussi, et si
quelqu'un me sert, mon Père l'honorera. Ces paroles
rendirent aux Grecs le même service que celles-ci : « Le
Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête, » rendirent au
docteur de la loi. Celui qui veut servir le Sauveur, doit le suivre.
Or sa voie passe par la croix et la mort. Mais à tous ceux qui portent
leur croix en suivant le Seigneur, il donne la bienheureuse assurance
que là où il sera, ils y seront aussi. D'abord, cette croix ne doit
pas être tellement lourde, lorsque Jésus nous accompagne de sa
présence ; puis, il veut partager la gloire du ciel avec ses
serviteurs. - Que celui que le monde méprise et dédaigne pour le nom
de Jésus, livre volontiers à la mort l'honneur que le monde lui
refuse, et qu'il lève la tête, car quelque chose d'infiniment plus
grand et plus glorieux lui est réservé. Mon
Père l'honorera. Eh quoi ! le Dieu saint veut
honorer l'homme pécheur ! Qui donc eût jamais imaginé rien de
pareil ! Qui voudrait le croire si Jésus, le véritable, ne
l'avait affirmé ? Le Père ne veut pas seulement user de
ménagements et d'indulgence envers ceux qui servent Christ ; il veut
encore les couronner de gloire et d'honneur, et cela parce que Jésus
ne veut pas se séparer des siens. Il faut qu'ils participent à sa
gloire, comme ils sont participé à sa honte.
Maintenant mon âme est troublée,
et que dirai-je ? Mon Père, délivre-moi de celle heure !
Mais c'est pour celle heure même que je suis venu. En
disant : Que dirai-je ? Jésus n'entend pas exprimer une
espèce d'indécision dans laquelle il se trouverait. Il veut dire
seulement que la chose a deux faces, qui doivent être sérieusement
pesées et considérées. Les péchés du monde remplissent son âme d'un
inexprimable tourment. Et au sein de cette douleur, il n'a d'autre
appui que sa confiance, comme un simple croyant, en ce Père qui l'a
conduit dans cette vallée de mort. - C'est maintenant qu'on commence à
comprendre cette expression : « Il s'est dépouillé
lui-même. » Mais, ajoute-t-il aussitôt, c'est pour cette heure
même que je suis venu, c'est-à-dire pour goûter la mort à la place des
pécheurs et les sauver du ver qui ne meurt point, et du feu qui ne
s'éteint point. Mon Père, glorifie ton
nom ! Il immole complètement sa volonté dans une
obéissance parfaite à la volonté du Père. Il est prêt à subir tous les
tourments de l'enfer, pourvu que le Père soit glorifié par le salut
des pécheurs. Et le Père accepte ce sacrifice de son Fils.
Alors il vint une voix du ciel qui dit : Et
je l'ai glorifié et je le glorifierai encore. Ici,
coeur chrétien, adore en silence, c'est un entretien public entre le
Père et le Fils, de manière à être entendu par des hommes
pécheurs ! Trois fois pendant la vie terrestre de Jésus, le ciel
s'est ouvert, et le Père a rendu témoignage à son Fils. La première
fois lors de son baptême, alors qu'il fut consacré comme Souverain
Sacrificateur pour accomplir toute justice, ensuite sur la montagne de
la transfiguration, alors qu'il s'entretint avec Moïse et Élie de
l'issue qu'il devait avoir à Jérusalem ; enfin, la troisième
fois, ici. La première fois, la voix du Père fut entendue par
Jean-Baptiste seul ; la seconde fois, elle ne fut perçue que par
les trois disciples les plus intimes ; la troisième fois, elle
retentit aux oreilles de tout le peuple. Dieu a glorifié son nom par
l'incarnation et par toute la carrière terrestre de son Fils unique,
par les paroles de vie qu'il a annoncées, par les oeuvres qu'il a
faites, et, sacrifier comme l'Agneau de Dieu pour
effacer les péchés du monde, c'est maintenant que commence le
jugement. Les souffrances et la mort de Christ opèrent une crise de
séparation parmi les hommes. Ceux qui acceptent par la foi le
Crucifié, seront attirés à lui par sa mort ; ceux qui le
repoussent par incrédulité scelleront eux-mêmes leur propre
condamnation. Par la destruction de Jérusalem, le sang de Jésus est
venu sur ceux qui l'ont crucifié et sur leurs enfants. Son amour
voudrait les attirer tous à lui, et son âme ne serait ni fatiguée ni
lassée de les attirer, jusqu'à ce qu'il ait amené à lui tous ceux que
le Père lui a donnés comme récompense de ses souffrances et de sa
mort. - Venez à moi ! Tel est le cri qui retentit constamment du
haut de la croix dans tout coeur coupable, afin qu'il s'affranchisse
de tout péché, de toute plainte, et se plonge dans la communion des
souffrances de Christ, dans la puissance de sa résurrection et dans la
douceur de sa paix.
Encore une fois, le Seigneur les exhorte à profiter du
peu de temps pendant lequel la lumière est avec eux, pour croire à la
lumière, et devenir ses enfants. Bientôt le Sauveur se retirera de la
scène publique, pour entrer dans une communion plus intime avec ses
disciples. Il n'a plus que deux jours à consacrer au peuple.
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