Pendant que le Sauveur était encore en Pérée, Marthe et Marie, les
deux soeurs de Lazare, lui envoyèrent, du lit de souffrance de leur
bien-aimé frère, le message suivant : Seigneur,
celui que tu aimes est malade.
Elles ne lui demandent rien ; elles veulent seulement lui faire
connaître la peine de leurs coeurs. Elles sont heureuses de pouvoir
fonder leur espoir sur l'amour de Jésus pour leur frère. Jésus ayant
reçu cette communication, dit : Celle
maladie n'est point à la mort, mais elle est pour la gloire de
Dieu, et afin que le Fils de Dieu soit glorifié. Ces
paroles devaient être le bâton et la houlette de la famille de
Béthanie, dans la sombre vallée qu'elle allait traverser. Les deux
femmes avaient sans doute espéré, peut-être même compté, qu'à l'ouïe
de cette nouvelle, Jésus se hâterait d'accourir au lit de maladie de
son ami, afin de le préserver de la mort. Car
Jésus aimait Marthe et sa soeur et Lazare. Mais cette
affection personnelle ne devait exercer aucune influence sur l'oeuvre
à laquelle Jésus était appelé. Il ne connaissait personne selon la
chair. De même qu'aux noces de Cana, il avait repoussé la demande de
sa mère, de même ici il demeura encore deux
jours au lieu où il était. Plus la chose est importante
et plus elle doit contribuer à la gloire de Dieu, plus le Sauveur met
de soin à écarter toute espèce de considérations personnelles.
Le troisième jour, il dit à ses disciples :
Retournons en Judée. En Judée ! le pays des ennemis de
Jésus ! Cette perspective jette les disciples dans l'angoisse.
Ils n'ont pas oublié que, lors de son dernier séjour à Jérusalem, les
Juifs voulaient le lapider. Jésus leur répondit : N'y
a-t-il pas douze heures au jour ? Si quelqu'un marche.
pendant le jour, il ne bronche point parce qu'il voit la lumière
de ce monde. Même dans la vie douloureuse, Jésus
marchait à la lumière de la vérité éternelle. Le coeur ne voit dans la
douleur qu'une sombre nuit, et quiconque n'a pas de lumière, bronche
dans cette obscurité. C'est ce qui arriva à Thomas et à Pierre. Tandis
qu'avec la lumière de la Parole de Dieu, nous avançons sans crainte
dans les ténèbres de la souffrance, et la nuit resplendit comme le
jour tout autour de nous.
Jésus parla ainsi, et après cela il leur dit : Lazare,
notre ami dort, et je m'en vais l'éveiller. Les
disciples crurent qu'il leur parlait du véritable sommeil, mais il les
détrompa en leur disant ouvertement : Lazare
est mort. Les disciples sont effrayés et ils disent en
eux-mêmes : Oh ! pourquoi nous sommes-nous arrêtés si
longtemps ici ? Pourquoi le Maître ne
s'est-il pas hâté d'aller le secourir ? Le Seigneur les console,
en leur donnant à entendre que rien n'a été omis, ni oublié. Je
me réjouis, leur dit-il, de
ce que je n'étais pas là, afin, que vous croyiez. Le
Seigneur ne se réjouit pas de la mort de Lazare, car, quoiqu'il soit
sur le point de le ressusciter, cette mort de son ami ne peut pas ne
pas l'attrister ; mais il se réjouit à cause de ses disciples,
dont la foi sera beaucoup plus fortifiée par la résurrection du mort
que par une simple guérison qu'il aurait opérée s'il avait été
présent. - Mais allons vers lui. Thomas
donc, appelé Didyme, dit aux autres disciples : Allons-y
aussi, afin de mourir avec lui. Ces paroles trahissent
le découragement, le trouble de ce disciple. Tout espoir est perdu.
Tout est fini. Elles résonnent presque comme celles des disciples
d'Emmaüs : « Nous espérions que ce serait lui qui
délivrerait Israël. » Quant à nous, approprions-nous cette
manifestation d'incrédulité de Thomas avec des coeurs croyants.
Cependant, quatre jours s'étaient écoulés depuis que
Lazare était mort et avait été déposé dans la tombe. C'étaient des
jours de profonde agitation chez les amis et les ennemis. Ce qui se
passait dans le coeur des deux soeurs, l'Évangile n'en fait pas
mention ; car cela ne rentre pas dans le domaine de l'histoire
comme on l'écrit ici-bas ; cela appartient à la sphère de
l'histoire du ciel. Mais dans le camp adverse, cette mort causait une
joie triomphante, une jubilation pleine de raillerie. L'affection de
Jésus pour la famille de Béthanie était bien connue à Jérusalem,
éloignée de trois quarts de lieue seulement. On devait trouver tout
naturel que si Jésus avait réellement la puissance sur la mort, il
l'exerçât en faveur de ses amis. On ne pouvait s'attendre à autre
chose. Et comme il n'a pas usé de cette puissance pour secourir ceux
qui, selon les pharisiens, y avaient droit, on en concluait qu'il ne
la possédait pas. Le prince de ce monde se réjouissait de cette
apparence de triomphe, et les enfants de perdition, dans lesquels il
fait son oeuvre, célébraient déjà leur victoire.
Plusieurs des Juifs étaient
venus voir Marthe et Marie pour les consoler de la mort de leur
frère. Ce devaient être de tristes consolations,
auxquelles ne manquaient pas de s'associer de perfides insinuations
contre Jésus. « On voit maintenant ce que c'est que ce Galiléen,
et quelle est la valeur de ses bruyants discours. » Quelle
impression devaient faire ces importunes consolations sur le coeur
déchiré, mais plein de foi, de ces deux soeurs ! C'est alors que
vient Jésus, certain de la victoire et décidé à arracher à la mort sa
proie. Toutefois, aux yeux des Juifs, il apparaît comme un vaincu dont
l'impuissance a enfin éclaté. « S'il est tombé, ne se
relèvera-t-il pas ? Mais il n'est pas tombé. Sa parole a rarement
été aussi brève, aussi énergique qu'elle l'est ici. Il donne ses
ordres comme un général d'armée. Quand
Marthe ouït dire que Jésus venait, elle alla au-devant de lui,
mais Marie demeura assise à la maison. Et Marthe dit à
Jésus : Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait
pas mort. C'est exactement ainsi que parla un peu plus
tard Marie, qui était restée à la maison, et qui, du fond de son
coeur, criait à son céleste ami : Je soupire ardemment après
toi ! La parole de Jésus : Cette maladie n'est point à
la mort, elle ne peut pas encore la comprendre et elle voudrait
tant y croire ! Les paroles de Marthe renferment comme un léger
reproche de ce que Jésus n'est pas venu à temps pour empêcher son
frère, de mourir ; et cependant elles contiennent aussi une
étincelle de foi, qui se manifeste assez clairement, lorsqu'elle
dit : Mais je sais que maintenant même,
tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l'accordera.
Jésus la prend au mot avec joie, et lui promet ce qu'elle
espère. Il lui dit : Ton frère ressuscitera. Mais elle n'ose pas
prendre à la lettre cette promesse, qui maintenant lui parait trop
belle, et elle dit : Je sais qu'il ressuscitera à la
résurrection, au dernier jour. Ce que la Parole de Dieu lui fait
entrevoir dans un lointain avenir, elle le croit, mais que son frère
revienne à la vie immédiatement, c'est ce qu'elle ne peut comprendre.
Nous nous trouvons souvent dans les mêmes dispositions. Nous admettons
les vérités générales contenues dans la Parole de Dieu, mais dès qu'il
s'agit de les appliquer à nos circonstances particulières, à nos
besoins du moment présent, notre coeur est intimidé par cet appel
adressé à notre foi.
Jésus vient au secours de Marthe. Je
suis (déjà maintenant), lui dit-il, la
résurrection et la vie. Jésus étant la
« vie », ce dont Marthe ne doute nullement, il faut que ce
qui est mort revive aussi en lui. Celui qui
croit en moi vivra, quand même il serait mort, et quiconque
vit et croit en moi, ne mourra pas pour toujours. Crois-tu
cela ? Si, comme nous pouvons l'admettre, Lazare a
cru en Jésus, une résurrection était superflue pour lui. Grâce à sa
foi, il pouvait entrer dans la vie éternelle sans être retenu par la
mort. Mais pour Jésus, cette résurrection n'était pas
superflue. Celui qui assure la victoire sur la mort à ceux qui
croiraient en lui, est tenu d'établir son droit de parler ainsi et de
se légitimer par des faits, comme vainqueur de la mort, afin que les
coeurs puissent se confier en sa parole. Le dernier but de la maladie
de Lazare n'était pas la mort, mais la gloire de Dieu, afin que le
Fils de Dieu fût manifesté comme étant la résurrection et la vie. Au
sein de la vie, nous sommes enlacés par la mort. C'est la loi du
péché. Au sein de la mort, nous sommes en possession de la vie, c'est
l'Évangile du Sauveur des pécheurs.
Marthe confesse joyeusement sa foi. Elle dit : Oui
Seigneur, je crois que tu es le Christ le Fils de Dieu, qui devait
venir au monde. Quand elle eut dit cela, elle s'en alla
et appela Marie sa soeur en secret et elle lui dit : Le
maître est là et il t'appelle ;
ce que Marie ayant entendu, elle se leva promptement et vint vers
lui. Et étant arrivée au lieu où était Jésus, dès
qu'elle le vit, elle se jeta à ses pieds et lui dit : Seigneur,
si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. Ce
sont les paroles de Marthe, mais prononcées avec le coeur de Marie.
Elle répand sa douleur avec ses larmes aux pieds de Jésus. Quand
Jésus vit qu'elle pleurait et que les Juifs qui étaient venus avec
elle pleuraient aussi, il frémit en lui-même et fut ému.
Cette indignation n'est pas dirigée contre les larmes de Marie. Elle
serait plutôt contre celles de Juifs. Mais ce qui la provoque, c'est
la ruine que la mort a apportée parmi les hommes.
Lorsque le Seigneur nous frappe et fait saigner notre
coeur, non seulement il nous est permis de pleurer, mais les larmes
sont une bénédiction de Dieu, qui adoucit notre douleur, à condition
toutefois que l'oeil qui pleure soit fixé sur Jésus. C'était le cas
chez Marie, mais non chez les Juifs. Ils n'exhalaient que des plaintes
sans foi, comme les femmes qui remplissaient la maison de Jaïrus.
Cette tristesse est un hommage rendu à la mort, une glorification de
sa puissance, en même temps qu'elle tourne, sans en avoir clairement
conscience, une pointe de murmure contre Dieu ; et tout cela en
présence de celui qui se pose comme étant la résurrection et la vie,
pour briser le pouvoir de la mort.
Et Jésus dit : Où
l'avez-vous mis ? Ils lui répondirent : Seigneur, viens
et vois. Et Jésus pleura. Sa sainte indignation et ses
larmes proviennent de la même source. Son coeur de Sauveur se montre
par ses larmes. 0 mon âme, adore dans la poussière les larmes versées
par celui qui possède la vie éternelle ! La vie pleure sur les
dévastations que la mort a provoquées. Les larmes de Jésus sont pour
nous un gage de son amour de souverain sacrificateur pour les
pécheurs. Elles sont aussi une consolation pour le chrétien sous la
croix. Ton Sauveur aussi a traversé cette vallée de larmes, et n'a pas
eu honte d'en verser. Et lorsque le corps menace de périr avec l'âme,
parce que le souffle de la foi est éteint en toi et que la source de
la prière est tarie ; lorsque l'ennemi de la vie veut te
persuader que Jésus ne pense plus à toi, qu'il t'a oublié, alors
laisse les larmes de Jésus tomber sur ton coeur desséché, et tu seras
restauré, et tu sentiras qu'il t'aime toujours et qu'il veut t'attirer
à lui.
Sur quoi les Juifs dirent :
Voyez comme il l'aimait ! Les larmes ont une
grande puissance de réconciliation. Les Juifs hostiles manifestent des
sentiments plus humains à l'aspect des larmes de Jésus. Cependant,
quelques-uns d'entre eux se mirent immédiatement à chercher du poison
dans ces larmes. « Lui qui a ouvert les yeux de l'aveugle, ne
pouvait-il pas faire aussi que cet homme ne mourût point ? »
C'était un poivre corrosif sur les blessures des deux pauvres soeurs.
Elles s'étaient constamment fait la même question pendant ces quatre
derniers jours : « Il n'a certainement pas pu, c'était trop
difficile pour lui. » Mettons-nous, par la pensée, dans la
position de Jésus, entouré de Juifs qui s'apitoyaient sur lui comme
si, de tous ces affligés, il était le plus durement frappé, et nous
comprendrons qu'il frémit de nouveau en
lui-même, qu'il fut ému d'une profonde et sainte
indignation. Il vint au sépulcre et dit : Ôtez
la pierre. Marthe lui dit : Seigneur,
il sent déjà mauvais, car il est ici depuis quatre jours. Jésus
lui répondit : Ne t'ai-je pas
dit que si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ?
La parole de Jésus : Ton frère ressuscitera,
doit avoir plus de valeur pour elle que l'odeur du corps en
décomposition. Elle est honteuse et cesse de s'opposer à l'ouverture
du sépulcre.
Alors Jésus, levant les yeux au ciel, dit : Mon
Père, je te rends grâces de ce que tu m'as exaucé. Je savais bien
que tu m'exauces toujours ; mais je dis cela à cause de ce
peuple qui est autour de moi, afin qu'ils croient que tu m'as
envoyé. Quand il eut dit cela,
il cria à haute voix : Lazare,
sors de là. Il l'appelle comme s'il dormait, et Lazare
entend la voix du Fils de Dieu, qui donne la vie à qui il veut (Jean
VII, 21). Et le mort sortit, ayant les
mains et les pieds liés de bandes, et la tête enveloppée d'un
linge. Jésus
leur
dit : Déliez-le et le laissez
aller. Le coeur plein d'humilité, le Sauveur rend
hommage au Père. Il ne demande rien pour lui-même aux Juifs. De là
vient que pas une parole de triomphe ne s'échappe de ses lèvres. Mais
plusieurs de ceux qui ne fermaient pas obstinément les yeux virent
briller, par ce miracle, la gloire du Fils unique de Dieu et crurent
en lui.
L'impression que la résurrection de Lazare fit sur le
peuple fut si profonde, que le Sanhédrin s'assembla immédiatement pour
aviser à ce qu'il y avait à faire. Cet homme,
disaient-ils, fait beaucoup de miracles, et
si nous le laissons faire, tout le monde croira en lui, et les
Romains viendront, qui détruiront ce lieu et notre nation. Mais
l'un
d'eux, Caïphe, qui était souverain sacrificateur de cette année-là
leur dit : Vous n'y entendez
rien, et vous ne considérez pas qu'il est à propos qu'un homme
seul meure pour le peuple et que toute la nation ne périsse pas.
Or, il ne disait pas cela de son propre
mouvement, mais étant souverain sacrificateur de celle année-là,
il prophétisa que Jésus devait mourir pour la nation, et non
seulement pour la nation, mais aussi pour rassembler en un seul
corps les enfants de Dieu qui sont dispersés. La mort
cède au commandement tout-puissant du Seigneur plutôt que
l'incrédulité. Mais cette incrédulité de même que la haine consciente
contre Christ, doit concourir à l'accomplissement des desseins de Dieu
relatifs au salut des pécheurs.
Jadis, le peuple d'Israël, sur le seuil de la Terre
Promise, fut béni par le prophète Balaam qui avait été envoyé pour le
maudire, mais que la puissance invincible du
Seigneur força de le bénir. De même Caïphe, nouveau Balaam, au seuil
de la Nouvelle Alliance, prononce, sans le savoir et sans le vouloir,
une bénédiction sur les enfants de Dieu. Or,
les principaux sacrificateurs et les pharisiens, avaient donné
ordre que si quelqu'un savait où était Jésus, il le déclarât, afin
de se saisir de lui. Mais Jésus échappa à leurs
poursuites, car il voulait encore célébrer la fête de Pâque à
Jérusalem. C'est pourquoi il se retire quelque temps dans la solitude,
à Ephraïm, ville située sur la limite orientale du désert de Judée.
Il pourrait paraître étrange que Jean seul fasse mention
de la résurrection de Lazare, tandis que les trois autres
évangélistes. gardent un silence absolu sur cet événement. Ce silence
parait d'autant plus étonnant, que le miracle excita encore la haine
que les pharisiens avaient déjà manifestée contre Jésus, au point que
le Sanhédrin avait décidé la mort du Sauveur, et donné publiquement
l'ordre de le saisir. Le miracle de Béthanie est dans une liaison si
étroite avec les mesures meurtrières prises par ce Conseil, qu'il
semble qu'il aurait nécessairement dû être mentionné par les autres
évangélistes. Leur silence peut cependant s'expliquer par le fait que,
lorsque les trois premiers Évangiles furent écrits, Lazare vivait
encore. Saint Jean, en effet, (XII,
10), nous apprend que les principaux sacrificateurs avaient
délibéré de le faire mourir aussi. Cette précaution n'était plus
nécessaire au moment où le quatrième Évangile fut écrit.
Jésus prit ensuite à part les douze et
leur dit : Voici, nous montons à Jérusalem, et toutes les
choses qui ont été écrites par les prophètes touchant le Fils de
l'homme, vont être accomplies. Car il sera livré aux
nations ; on se moquera de lui ; il sera outragé, et on
lui crachera au visage ; et après qu'ils l'auront fouetté,
ils le feront mourir. Et le troisième jour il ressuscitera. Mais
ils n'entendirent rien à tout cela : ce discours leur était
caché, et ils ne comprenaient. point ce qu'il
disait.
Comme la fête de Pâques approchait, Jésus se rendit à Jérusalem,
afin d'y devenir l'agneau pascal qui va s'immoler pour nous. Les
disciples, entendant de nouveau le Seigneur leur parler de ses
souffrances, ne purent penser à cette Pâque, sans tomber dans un
profond découragement. Marc (X,
32) nous dit expressément
« que Jésus marchait devant eux, et ils étaient effrayés, et
ils craignaient en le suivant. » Il leur répète l'annonce de
ses souffrances avec de tels détails, mentionnant les moqueries, les
outrages, les crachats, et la flagellation, sa mort et sa
résurrection avec une telle précision, qu'on devrait croire qu'ils
l'ont enfin compris. Mais non ! Les paroles du Seigneur ne
manquent assurément pas de clarté, et cependant le sens leur en
reste caché. Les choses célestes ne sont comprises que de ceux qui
les cherchent. Et même pour ceux-là, elles conservent encore quelque
chose de leur obscurité et de leur mystère. « Quiconque t'aime
te connaît » dit une ancienne hymne religieuse. La croix de
Christ est une folie pour ceux qui ne l'aiment pas. Car l'homme
animal (l'homme naturel) ne comprend point les choses qui sont de
l'Esprit de Dieu.
Les disciples n'avaient pas encore
éprouvé le besoin d'un Sauveur qui portât leurs péchés et mourût
pour eux. Ils n'avaient pas encore senti la puissance de
condamnation du péché, et la nécessité, pour lui ou pour eux, de
subir le châtiment que leurs transgressions avaient mérité. C'est
ainsi qu'aujourd'hui encore, la croix paraît une folie à tous ceux
qui n'ont pas reconnu l'abîme que le péché a creusé entre eux et le
Dieu saint. Il est consolant pour nous, que Jésus ne repousse pas
ses disciples à cause de leur aveuglement, mais continue à les
supporter avec patience. Ils n'apprécient pas le trésor qu'il leur
acquiert par ses souffrances et par sa mort. Cependant Jésus
s'achemine vers la croix et il les y entraîne jusqu'à ce qu'ils y
soient arrivés. Cet amour plein de patience et de support, est de
nature à consoler les âmes qui cherchent, et auxquelles le mystère
de la croix parait difficile à comprendre. Les coeurs droits
finiront certainement par en acquérir l'intelligence.
Jacques et Jean n'avaient pas entendu l'annonce des souffrances du
Sauveur, ou bien ils y avaient prêté peu d'attention. En effet, tandis
que l'esprit de Jésus est rempli des pensées de sa mort, ils rêvent,
eux, d'honneurs et de dignités. Alors la
mère des fils de Zébédée s'approcha de lui avec ses fils et se
prosterna devant lui, pour lui demander quelque chose. Il lui
dit : Que veux-tu ? Elle dit : Ordonne que mes deux
fils qui sont ici soient assis l'un à ta droite et l'autre à ta
gauche dans ton royaume. Mais Jésus répondant leur dit : Vous
ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que
je dois boire et être baptisés du baptême dont je dois être
baptisé ? Ils lui dirent : Nous le pouvons. Il leur
dit : Il est vrai que vous boirez ma coupe et que vous serez
baptisés du baptême dont je dois être baptisé ; mais d'être
assis à ma droite ou à ma gauche, ce n'est pas à moi de
l'accorder. Cela ne sera donné qu'à ceux à qui mon Père l'a
destiné. - Ni la mère, ni les fils ne convoitaient des
honneurs et des dignités terrestres. Leur coeur brûle d'amour pour
Jésus. Salomé croit assez connaître ses fils, pour penser que le
Seigneur n'a pas de plus fidèles disciples. C'est pourquoi elle les
juge dignes des plus grands honneurs dans le royaume des cieux, et
elle ambitionne pour eux les places les plus rapprochées du Seigneur,
lorsqu'il sera entré dans sa gloire. Mais il y a dans cet amour un
élément humain impossible à méconnaître. Elle demande pour ses fils et
avec eux les places d'honneur dans le royaume des cieux, et elle
oublie le mot que Jésus vient de prononcer, c'est qu'il doit souffrir
et mourir. C'est pourquoi le Seigneur lui répond avec douceur :
« Vous ne savez pas ce que vous demandez. » Le chemin de la
gloire passe par Golgotha. L'honneur que Dieu accorde, c'est d'être en
communion de souffrances avec Christ. Quiconque par conséquent désire
être admis à l'honneur et à la gloire du règne de Dieu, montre par
cela même qu'il est disposé à partager les douleurs de la croix. Que
de fois le Seigneur n'a-t-il pas aussi eu
l'occasion de répondre à nos prières : « Vous ne savez pas
ce que vous demandez. » Car les faiblesses et la folie du coeur
humain se manifestent aussi dans la prière.
Les deux fils de Zébédée se disaient, à la vérité, prêts
à boire la coupe des souffrances que leur Seigneur était en train de
vider. Et ils la burent en effet jusqu'à la lie. Jacques est mort
martyr, et Jean, qui fut encore témoin de la ruine de Jérusalem, fut
abreuvé, pendant sa longue vie, d'afflictions et de persécutions. Mais
d'être assis à la droite ou à la gauche de Jésus, comme l'entend
Salomé, ce n'est pas à lui de l'accorder. Il ne veut pas que, dans son
royaume, les places soient données à la faveur, ni que quelques-uns
soient personnellement traités comme les préférés en raison de leur
intimité avec lui. Il dispose du royaume en faveur de ceux auxquels le
Père l'a destiné, comme le Père en a disposé en sa faveur (Luc
XXII, 29). Comme le Père a donné tout pouvoir au Fils, de même
Jésus donne à ceux qui vaincront, le droit d'être assis avec lui sur
son trône (Apoc.
III, 21). Mais les vainqueurs sont ceux qui se sont laissé
attirer au Fils par le Père, et qui lui restent fidèles jusqu'à la
fin.
Les dix autres disciples, ayant ouï cela, furent indignés
contre les deux frères. Ils n'étaient donc pas encore complètement
affranchis de l'ambition qui leur paraissait si blâmable chez leurs
condisciples et ils n'étaient pas encore fermes dans la charité. C'est
pourquoi le Seigneur les rend attentifs à la différence qu'il y a
entre son royaume et les royaumes de la terre. Jésus les ayant
appelés, leur dit : Vous savez que les
princes des nations les dominent et que les grands leur commandent
avec autorité. Mais il n'en doit pas être ainsi parmi vous. Au
contraire, quiconque voudra être le plus grand parmi vous, qu'il
soit votre serviteur, et quiconque voudra être le premier parmi
vous qu'il soit votre esclave. Le Seigneur ne veut pas
interdire, par ces paroles, toute espèce de gouvernement dans son
Église. Il entend bien qu'il y ait des préposés et des subordonnés. Il
dit expressément qu'il doit y avoir dans la communauté chrétienne des
puissants et des grands (Marc
X, 43. 44), c'est-à-dire des personnes plus haut placées et plus
en évidence que d'autres. Mais ce qu'il interdit, c'est qu'il y ait
dans son Église une autorité semblable à celle de
ce monde et qui use de moyens terrestres.
Le pouvoir de ce monde, Dieu l'a lui-même assigné à la
puissance qu'il a investie du droit de porter l'épée. Le gouvernement
de l'Église doit rester complètement étranger à ce pouvoir. Quiconque
remplit dans l'Église de Christ la mission de conducteur ou de
directeur, dépend de l'ordre de Christ et est lié par sa Parole. Il a
une action exclusivement spirituelle en vertu de cette seule Parole.
Toutes les fonctions rentrant dans le gouvernement de l'Église sont
des services à rendre à des frères, et qui doivent avoir pour résultat
la gloire du Seigneur Jésus-Christ. Celui qui s'acquittera le plus
fidèlement et le plus humblement de ce service, exercera la plus
grande influence. C'est le désir de servir ainsi avec amour et en
renonçant à toute espèce d'ambition, que le Seigneur cherche à
éveiller dans le coeur de ses disciples, lorsqu'il les rend attentifs
à la manière dont il sert lui-même : Comme
le Fils de l'homme est venu, non pour être servi, mais pour servir
et pour donner sa vie pour la rançon de plusieurs. Il
est à remarquer que Jésus adresse ces paroles à ses disciples au
moment où il se rend à Jérusalem pour y être mis à mort. Par ce
brillant flambeau : « Pour la rançon de plusieurs » il
veut éclairer pour eux le sombre chemin de Golgotha. L'initiateur et
le consommateur de notre foi ne se borne pas à exhorter ses disciples
au sacrifice et à l'amour, il leur en donne lui-même l'exemple. Il y a
plus : son amour, qui se sacrifie, n'est pas seulement pour eux
un exemple ; il communique à tous ceux qui forment une même
plante avec lui, la force d'aimer en se sacrifiant humblement.
Les yeux des disciples sont encore obscurcis de ténèbres. Ils
n'aiment pas à entendre parler des souffrances de leur Maître ;
c'est pourquoi ils ne comprennent pas la gloire à laquelle elles
conduisent. En rendant la vue à ce mendiant aveugle, Jésus nous montre
comment les yeux des aveugles spirituels peuvent être ouverts.
Comme ils approchaient de Jéricho, un aveugle
nommé Bartimée, qui était assis près du chemin et qui demandait
l'aumône, entendant la foule du peuple qui passait, demanda ce que
c'était. Et on lui répondit que c'était Jésus de Nazareth qui
passait. Alors il se mit à crier : Jésus, fils de David, aie
pitié de moi ! Le bruit de la foule qui passait
éveilla l'attention de cet aveugle ; et ayant demandé ce que
c'était, il apprit que Jésus était là. Il savait sur le Seigneur plus
que ce que la multitude pouvait lui dire. Voilà pourquoi il l'invoque
comme le fils de David, qui avait été promis. Il attendait,
probablement depuis longtemps l'occasion de prier le Sauveur de lui
rendre la vue. Maintenant qu'elle s'offre à lui, il la saisit avec
joie. Cet aveugle était assis près de la route où Jésus devait passer.
Où est maintenant le chemin près duquel un pauvre mendiant aveugle
puisse s'asseoir, pour attendre le Sauveur et être guéri de sa cécité
spirituelle ? Il se trouve là où il y a des âmes qui parlent de
Jésus, qui le louent et le suivent, là où sa Parole est annoncée, où
ses louanges retentissent. On le trouve au milieu des assemblées et
des actions de grâces de son Église. Installe-toi là et demande-lui
d'éclairer ton âme. Une telle prière monte à son oreille et pénètre
jusqu'à son coeur.
Et ceux qui allaient devant le
reprenaient pour le faire taire ; mais il criait encore plus
fort : Fils de David, aie pitié de moi. Les
aveugles spirituels s'opposent à ce que cet aveugle recouvre la vue.
Que de fois ceux qui demandent des yeux pour voir, sont obligés de
braver les menaces des enfants d'un monde ennemi de la lumière !
Le Seigneur les laisse faire, afin de forcer cet aveugle de persévérer
dans sa prière. - Aie pitié de moi, Dieu de miséricorde, aie pitié de
moi ! Telle est la supplication de tous les pauvres pécheurs qui
implorent la grâce de Jésus. Heureux celui qui, effrayé par les
accusations de sa conscience, accablé sous le fardeau de ses péchés,
peut encore s'écrier du fond de l'abîme : Aie pitié de moi !
Heureux celui qui, même avec une conscience apaisée, n'oublie pas de
crier : Aie pitié de moi ! Heureux celui chez qui le fond de
la prière est toujours ce cri : Aie pitié de moi ! Mais
aussi heureux celui qui peut ajouter à cette prière, ces paroles du
psalmiste : « Mon âme, bénis l'Éternel ; c'est lui qui
pardonne toutes tes iniquités et qui guérit toutes
tes infirmités. » Les pécheurs reçus en grâce ne chantent jamais
leur Alléluia sans y associer ce cri : Aie pitié de moi ! Il
n'y a que les anges de Dieu qui puissent l'omettre. Seulement les
Alléluia des rachetés résonnent plus agréablement aux oreilles du
Sauveur et glorifient mieux son nom que les cantiques des anges.
Et Jésus s'étant arrêté,
commanda qu'on le lui amenât. Le Seigneur aurait bien
pu s'approcher de l'aveugle ; mais en commandant qu'on le lui
amenât, il a voulu lui montrer qu'à côté de tous ceux qui voulaient
l'arrêter, il y avait des mains fraternelles disposées à le conduire
auprès de lui. Le Seigneur lui
demanda : Que veux-tu que je te fasse ? Et il
répondit : Seigneur, que je recouvre la vue !
Jésus connaissait bien le besoin de cet aveugle, mais il voulut être
prié, parce que la prière fortifie la foi. Et Jésus lui dit : Recouvre
la vue, ta foi t'a guéri. Qui est-ce qui apaise la faim
corporelle ? Est-ce celui qui tend la main pour recevoir la
nourriture ou celui qui la donne libéralement ? Mon âme, adore
l'humilité de ton Sauveur qui attribue à la foi ce qu'il a lui-même
accordé, et reconnais ainsi la joie que lui cause la foi. - Et
à l'instant il recouvra la vue, et il suivit Jésus en donnant
gloire à Dieu. Les yeux de l'aveugle guéri ont vu en
Jésus plus qu'un médecin merveilleux. C'est pourquoi il le suit à
Jérusalem, où l'agneau de Dieu sera conduit à la boucherie.
Lorsqu'on sut dans Jéricho que le Seigneur passait par la ville, un
homme nommé Zachée, qui était chef des péagers
(receveur supérieur des contributions), et
qui était riche, cherchait à voir qui était Jésus. Il
était riche et désirait cependant voir Jésus. Cela n'arrive pas
souvent. Les richesses de cet homme ne le satisfont pas. Il ne se fait
plus illusion, et reconnaît publiquement que tout son argent ne peut
ni apaiser son coeur agité, ni lui donner la paix avec Dieu. Il a
peut-être appris du ci-devant péager Matthieu combien il est doux de
suivre Jésus. Il a pu aussi entendre raconter
comment le Seigneur sait consoler les âmes attristées, les coeurs
travaillés et chargés. Il se disait en lui-même : Sans doute il
pourrait m'enlever le poids qui oppresse ma conscience. Si je pouvais
seulement une fois voir ses traits, je saurais peut-être ce que je
puis attendre de lui. Et il se plaça sur le passage de Jésus. Mais
étant de petite taille,
il ne pouvait le voir à cause de la foule. Toutefois, son désir est si
grand, qu'il ne craint pas de s'exposer aux railleries et à la risée
du peuple. Il courut devant et monta sur un
sycomore. Celui qui est rempli d'un ardent désir de
voir Jésus et de se mettre en rapport avec lui, s'affranchit de tout
respect humain ; il ne se demande pas ce qu'on dira de lui ;
il se soucie peu de l'approbation du monde et ne craint pas son
mépris. - Mais où est l'arbre du haut duquel on puisse voir passer
Jésus ? Cherche dans les Saintes Écritures. Informe-toi du
lieu où la Parole de Dieu est prêchée dans sa pureté, où les
sacrements sont fidèlement administrés, et vas-y sans crainte. Si tu
veux sincèrement apprendre ce que Jésus est pour toi, tu l'entendras
aussi t'appeler par ton nom.
Jésus étant venu en cet endroit,
et regardant en haut, lui dit : Zachée, hâte-toi de
descendre, car il faut que je loge aujourd'hui dans la maison.
Cette invitation fit sans doute battre le coeur de Zachée. En
regardant Jésus, il vit Jésus qui le regardait. Zachée en sait assez.
Ses yeux ont vu son Sauveur et son coeur tressaille de joie.
Jésus l'avait remarqué. Comment en eût-il été
autrement ? Celui qui, au milieu de la foule qui le pressait, a
senti l'attouchement de la femme malade depuis douze ans ; celui
qui avait entendu la fervente prière de Nathanaël sous le figuier,
celui-là se sent aussi attiré vers tout pécheur dont le coeur soupire
après lui. Lorsque Pierre se tenait derrière la porte de la cour de
Caïphe, et pleurait amèrement, le Seigneur s'était tourné vers lui et
l'avait regardé. Les larmes de Pierre furent provoquées par le regard
de Jésus. Le Seigneur voit avec une sainte joie, dans l'ardent
désir des coeurs repentants, le fruit du travail secret de son
amour. Voilà. pourquoi il faut qu'il loge dans la maison de
Zachée. Il faut que le bon Berger prenne dans ses bras sa
brebis retrouvée et la presse sur son coeur.
Et il descendit promptement et
le reçut avec joie. Le coeur de Zachée tressaille de
joie, et dans le ciel les anges se réjouissent pour ce pécheur qui
s'amende. Mais que disent les gens ? Aux yeux des pharisiens, les
péagers étaient des pécheurs. Zachée devait donc leur apparaître comme
le chef des pécheurs. Il était connu pour un « homme
d'argent » qui s'enrichissait de l'amère sueur du peuple. Il
était influent à cause de sa haute position, mais assurément plus
craint que respecté. C'est pourquoi tous
ceux qui virent cela murmuraient, - c'est-à-dire tous
ceux qui présumaient d'eux-mêmes et méprisaient les autres, - disant
qu'il était entré chez un homme de mauvaise vie pour y loger.
Ainsi on reprochait au Sauveur d'être entré chez Zachée, et l'on
regardait sa démarche comme une honte. Mais
Zachée, se présentant devant lui, lui dit : Seigneur, je
donne la moitié de mes biens aux pauvres. Si j'ai fait tort à
quelqu'un en quelque chose, je lui en rends quatre fois autant.
Dès que le Seigneur entre dans une maison ou dans un coeur, toutes les
iniquités en sortent immédiatement. Il est impossible de jouir du
salaire de l'injustice ou seulement d'y trouver du plaisir, quand on
est devenu la propriété de Jésus. Quiconque a obtenu le pardon de ses
péchés, a la conscience délicate. Il cherche dans sa vie passée, et
dès qu'il reconnaît avoir fait tort à quelqu'un, il ne se contente pas
de lui présenter ses excuses, mais il se hâte de restituer le bien mal
acquis. Sans doute une pareille conduite nécessite de l'humilité et
demande d'amers aveux ; mais la foi ne se contente pas de vaines
paroles ; elle réclame des actes.
La joie de Zachée est telle, qu'il ne saurait la garder
pour lui seul. Il veut que les pauvres la partagent, et il leur donne
la moitié de ses biens. Sur quoi le Seigneur
lui dit : Le salut est entré aujourd'hui dans celle maison,
parce que celui-ci est aussi un enfant d'Abraham. Le
salut vient avec le Sauveur. C'est une heureuse maison que celle où
une âme reçoit le Seigneur Jésus, car cette seule âme peut attirer la
bénédiction sur tous les habitants de la maison. Jésus appelle Zachée
un enfant d'Abraham, afin que les autres enfants d'Abraham viennent à
lui. Il n'y a que des pécheurs perdus et des pécheurs sauvés. Les
pécheurs perdus, le Seigneur les cherche, car il est le Chef
(l'initiateur) de la foi. Les pécheurs sauvés, il
les rend heureux, car il est le consommateur de la foi (Hébr.
XII, 2).
Chapitre précédent | Table des matières | Chapitre suivant |