Jésus avait déclaré la guerre aux pharisiens, en sorte qu'ils
pouvaient savoir qu'il n'y aurait de paix entre eux et lui que
lorsqu'ils auraient cessé d'être pharisiens et se résigneraient à
n'être que de pauvres pécheurs altérés de salut. Et malgré cela, ils
continuaient à l'inviter à leur table. La plupart du temps, il est dit
clairement que c'était pour l'éprouver. Néanmoins, le Sauveur ne
refusait jamais ces invitations. Il en profitait au contraire pour
chercher à amener ses brebis au sentiment de leurs péchés. Ayant été
un jour invité par un pharisien, il proposa aux convives cette
parabole : Il y avait un homme qui fit
un grand souper, et il y convia beaucoup de gens. Puis il envoya
son serviteur à l'heure du souper pour dire aux
conviés : Venez car tout est prêt. Les hommes
assistent volontiers à un copieux et splendide repas. Le royaume des
cieux offre beaucoup de dons magnifiques aux hommes. Il leur présente
non seulement des images à contempler, non seulement des pensées
élevées sur des sujets importants, tels que Dieu et les hommes, le
temps et l'éternité ; mais des biens réels destinés à entrer dans
notre vie intérieure, et par conséquent à devenir notre propriété.
Tous les biens et tous les dons du royaume de Dieu sont
des aliments et des breuvages que nous devons nous assimiler. Notre
âme a soif de Dieu, du Dieu vivant. Or, celle soif ne saurait être
étanchée par des idées sur Dieu, des notions et des rêves. Il faut que
notre âme boive, qu'elle boive véritablement, si elle
doit être délivrée de sa soif. Notre coeur est de sa nature vide et
tourmenté par une faim qui ne saurait être apaisée par de bonnes
résolutions ou de nobles pensées. Il faut qu'il mange, qu'il mange
véritablement ce qui est bon. Il faut que nous absorbions des biens
vrais et réels, si nous voulons que les vides de nos coeurs soient
comblés par la vie, et même par la plénitude de la vie, L'homme qui
donne le grand souper, c'est notre Emmanuel. Dieu s'est fait homme,
précisément afin que nous puissions le posséder, et avec lui tous les
biens et tous les dons du royaume des cieux.
Lorsqu'il eut tout préparé, il envoya ses serviteurs pour
dire aux conviés : Goûtez et voyez combien le
Seigneur est bon ! (Ps.
XXXIV, 9.) Le souper est appelé grand, parce que c'est
Dieu qui l'a préparé, parce qu'une foule de biens et de dons y sont
offerts, et que les invités sont une grande multitude. Toutefois, ces
conviés refusent d'assister au banquet. Ils croient avoir quelque
chose de meilleur qu'ils ne veulent pas laisser échapper. Cependant
ils sentent qu'ils devraient s'y rendre et ils cherchent à s'excuser.
L'un a acheté une terre et
dit : Il me faut nécessairement partir
pour aller la voir. Ce « il faut » sonne
comme le soupir d'une âme soumise au joug des choses de la terre et
qui désire cependant en être affranchie. Que de fois de pauvres âmes
ainsi asservies passent à côté du royaume des cieux sans y entrer,
parce qu'elles sont absorbées tout entières par leur vocation
terrestre ! Elles pensent qu'il n'est pas possible de vivre d'une
manière conforme à la Parole de Dieu, qu'il faut
nécessairement s'en écarter si l'on ne veut pas mourir de faim.
Un autre a acheté des boeufs et il ne songe nullement à
les céder pour acquérir la perle précieuse du royaume des cieux. Je
m'en vais les éprouver, dit-il, et il estime que
personne n'a le droit de lui trouver à redire. Cependant, comme le
premier, il éprouve le besoin de s'excuser. Je
te prie de m'excuser, dit-il au serviteur. Ce sont de
ces âmes qui ne regardent pas le travail en vue de leur salut comme
assez important, pour devoir se refuser quoi que ce soit afin de s'y
livrer. Que d'excuses insensées s'ont ainsi faites aux serviteurs
envoyés, non pour recevoir ces âmes, mais pour les inviter au
souper ! Aurait-on le courage de s'excuser ainsi devant Dieu
lui-même ? Je ne le pense pas. Probablement les conviés
garderaient le silence.
Le troisième ne pense nullement avoir besoin de
s'excuser. J'ai épousé une femme, dit-il,
ainsi je ne puis y aller. Ce devait être une femme
impie, qui empêchait son mari d'entrer dans le royaume des cieux. Il
ne peut pas y aller ! Pourquoi non ? Il eût
peut-être parlé d'une manière plus vraie s'il eût dit : Je ne
puis pas y aller seul. Il faut que je m'occupe aussi de ma
femme. Mais on ne force personne à entrer dans ce royaume. Ce serait
un travail peu récréatif et parfaitement inutile d'inviter à manger
celui qui n'a pas faim.
Le père de famille, ayant entendu le rapport de son
serviteur, lui dit : Va promptement par
les places et par les rues de la ville et amène ici les pauvres,
les impotents, les boiteux, les aveugles. Ceux-là ont
faim et soif ; ils ne refuseront pas l'invitation. Mais
il y a encore de la place. Alors le maître envoya son serviteur
dans les chemins et le long des haies, et lui ordonna de presser
d'entrer ceux qu'il trouvera, afin que sa maison soit remplie.
Ils sont bien loin de la cité de Dieu, ces malheureux infirmes, ces
pauvres païens, qui ne savent rien de Dieu. Ce sont ces autres brebis
qui ne sont pas de cette bergerie. L'amour secourable de Jésus pense
aussi à elles. « Il faut qu'il les y amène. »
Le Seigneur donne à son serviteur des ordres
correspondant à la disposition de chacun des conviés. Il l'envoie
d'abord à ceux qui avaient été invités, qui savaient qu'un souper
avait été préparé à leur intention, et qui
s'étaient engagés à y participer. C'étaient alors les Juifs, qui
avaient été appelés au royaume des cieux par Moïse et les prophètes.
Aujourd'hui, c'est nous, chrétiens. À ceux qui ont été conviés, il
suffit de dire : Venez, car tout est
prêt. Ils savent immédiatement de quoi il s'agit. Ce
qu'on leur offre à ce festin, leur a été depuis longtemps annoncé.
C'est le pardon des péchés, la justice devant Dieu, la paix et la joie
du Saint-Esprit, l'union avec Christ, afin que l'âme et le corps
puissent se réjouir dans le Dieu vivant. Toutefois, lorsque les
serviteurs abordent ces pauvres et ces impotents, ces boiteux et ces
aveugles, ceux qui, vu leur état, se croient exclus du repas de noces,
il ne suffit pas de leur parler ; c'est pourquoi le Maître leur
ordonne de prendre par la main ces coeurs timides, ces âmes
tremblantes, pour les faire entrer. Il faut qu'ils joignent à
l'appel les directions et les encouragements.
Mais lorsque les serviteurs sont envoyés hors de la
ville, le long des haies et sur les chemins, c'est-à-dire vers les
païens, il faut que l'appel de la grâce prenne les accents d'un
brûlant amour chrétien, pour obéir à cet ordre du Maître : Presse-les
d'entrer. D'un autre côté, comme cette parole de
condamnation dut retentir dans le coeur des pharisiens, lorsque le
Seigneur dit : Car je vous dis en
vérité qu'aucun de ceux qui avaient été conviés ne goûtera de mon
souper. Ce dut être une profonde douleur pour le coeur
de Jésus, lorsqu'il fut obligé de déclarer à son peuple que le royaume
de Dieu sera ôté pour être donné aux païens. Pendant des siècles avant
son incarnation, il avait travaillé à l'éducation de ce peuple. Il
l'avait toujours aimé et avait tout fait pour l'attirer à lui. Mais
les siens l'ont méprisé, lui et sa grâce.
Toutefois, dans cette douleur, il a une
consolation : C'est que le royaume de Dieu ne demeure pas vide. Il
faut que sa maison soit remplie. Les premiers invités refusent,
les derniers accepteront. Les scribes et les pharisiens résistent à
l'appel du Sauveur ; les péagers et les gens de mauvaise vie,
dont la conversion réjouit les anges du ciel, l'entendront et le
suivront. Les Juifs sont rebelles, les païens se soumettront. Les
hommes vertueux et justes le dédaignent, les âmes travaillées et
chargées s'y rendront. Les habitants de la ville,
c'est-à-dire ceux qui sont membres de l'Église depuis leur jeunesse,
sont insensibles aux biens qu'elle leur offre ; les étrangers,
les gens sans foyer, les malheureux qui sont errants et abandonnés,
les saisiront. Nulle place ne restera vide. Il faut que la maison soit
remplie. Il n'y aura d'exclus que ceux qui se seront exclus eux-mêmes.
Et toi, coeur chrétien, arrête-toi et réfléchis.. Es-tu entré dans la
salle du festin ?
En entrant dans un bourg, Jésus rencontra dix hommes lépreux, qui
se tenaient éloignés, et s'écrièrent : Jésus notre Maître,
aie pitié de nous ! Ces malheureux s'étaient
réunis pour adresser au Seigneur une prière commune. Confiants dans sa
tendre miséricorde, ils s'enhardissent à lui demander leur guérison,
et ils ne sont pas trompés. Jésus les voit, et son regard les guérit.
C'est ainsi qu'il les nettoie sans les toucher, par son seul regard et
sa seule parole.
Il leur dit : Allez, et
montrez-vous au sacrificateur. En leur parlant ainsi,
il les déclare guéris. Ils n'ont plus qu'à se présenter au
sacrificateur. Ces hommes sont allés à Jésus dans la foi ; mais
cette foi est augmentée par l'ordre qu'il leur donne. Ils ne sentent
pas encore la guérison ; ils ne voient encore en eux que la
lèpre ; mais confiants dans la parole du Seigneur, ils s'en vont,
et il arriva, qu'en s'en allant ils furent
guéris. Mais Jésus ne leur a pas demandé plus qu'il
n'exige de nous tous. Si, couvert de la lèpre du péché, tu vas à lui
en demandant ta guérison, il te traitera absolument comme il a traité
les dix lépreux. Par la bouche de ses serviteurs, il te donne
l'absolution, en vertu de laquelle tu es délivré de tous tes péchés,
et il attend que tu croies à sa parole. Si dans l'obéissance de la
foi, tu t'en tiens fermement à cette parole qui te déclare affranchi
de tes péchés, tu l'es réellement, malgré la douleur qu'ils peuvent
encore te causer. Alors tu feras l'expérience que le péché est vaincu
en toi par la foi et que tu es purifié.
Neuf de ces malheureux reçoivent ce bienfait comme une
chose due, sans songer à remercier leur bienfaiteur. Mais
l'un d'entre eux, voyant qu'il était guéri,
retourna sur ses pas, glorifiant Dieu à haute voix. Et il se jeta
aux pieds de Jésus, le visage contre terre, lui rendant grâces.
Or, il était Samaritain. Cet homme avait reçu ce
bienfait comme une grâce imméritée ; de là sa reconnaissance. Le
coeur de Jésus en fut sans doute réjoui, mais en même temps, de quelle
douleur ne dut pas le remplir l'ingratitude des neuf autres ! Tous
les dix n'ont-ils pas été guéris, dit-il, et les neuf autres où
sont-ils ? Il ne s'est trouvé que cet étranger qui soit
revenu pour donner gloire à Dieu ! Jésus est
affligé de cette ingratitude ; il attendait donc de la
reconnaissance. Cette remarque du Sauveur pourrait nous étonner, nous
qui sommes enclins à accuser de présomption ceux qui sont affligés
parce qu'ils ne recueillent que de l'ingratitude en échange de leurs
bienfaits. Est-ce donc un manque d'amour de la part de Jésus, d'avoir
compté sur la reconnaissance de ces lépreux et d'être affligé de ne
pas l'obtenir ? En aucune façon. Au contraire, cette attente nous
montre combien son amour est humble et désintéressé. Partout, dans
l'Écriture, nous rencontrons des exhortations à la reconnaissance pour
les bienfaits divins. Même l'origine du paganisme est un fruit de
l'ingratitude (Rom.
I, 11-23)
Dieu demande la reconnaissance des hommes non pour
lui-même, mais afin de les préserver de chutes et de les retenir dans
sa bienheureuse communion. Chaque bienfait éveille, dans le coeur qui
le reçoit, le sentiment de ses obligations et de son péché, et ce
sentiment devient d'autant plus pénible qu'on se trouve plus indigne,
et plus incapable de rendre quoi que ce soit en échange des bienfaits
qu'on a obtenus. Si le bienfaiteur se déclare satisfait de la
reconnaissance, sans exiger aucune rétribution, le coeur se sent
affranchi du sentiment du péché par cette reconnaissance même. Ainsi,
lorsque Jésus l'exige, il prouve que son amour ne se recherche pas
lui-même. Il sait que la reconnaissance est un deuxième bienfait
ajouté au premier. Il veut par là exciter notre coeur et notre bouche
à le louer, lui qui nous couronne de bonté et de compassion. Il sait
que celui qui sacrifie la louange, honore Dieu, et qu'il lui fera voir
sa délivrance (Ps.
L, 23).
Cette délivrance, le salut de l'âme, fut accordée au
Samaritain, Jésus lui dit : Lève-toi,
va, ta foi t'a sauvé. Il aurait bien aimé accorder le
même salut aux autres qui avaient été guéris. C'est pourquoi il
demande au Samaritain reconnaissant : Et
les neuf autres, où sont-ils ? Cette question
semble bien renfermer un léger reproche à l'adresse de cet homme, de
ce qu'il n'a pas amené les autres avec lui. Sans doute, le coeur lui
battait, il baissait les yeux et se demandait s'il avait fait tout ce
qu'il pouvait faire pour les exciter à la reconnaissance. Le Seigneur
remarque ce trouble, c'est pourquoi il le console.
Où sont les neuf autres ? C'est ce que demande
encore le Sauveur, toutes les fois que, par le moyen des
missionnaires, un païen se convertit, donne gloire à Dieu et est reçu
en grâce. Ces païens cherchent et trouvent la grâce de Dieu en se
convertissant à lui, et la foule des anciens chrétiens suit son propre
chemin et oublie son Sauveur ! Le Seigneur demande aussi où sont
ceux-là. - Mais comme cette question résonnera autrement, lorsque le
Sauveur, assis sur le trône de sa gloire, verra un pécheur gracié
s'approcher seul, sans aucun de ceux qui lui appartenaient, et lui
demandera : Où sont tes enfants, où est ta femme, où est ton
mari ? pourquoi es-tu seul ? Oh ! puisse chacun de
nous, lorsqu'il est converti, être assez zélé pour rendre grâces au
Seigneur avec adoration et prendre tous ses bien-aimés par la main en
leur disant:
« Venez, allons ensemble au Sauveur ! »
Le Sauveur brûle du désir de pourvoir aux besoins de ses disciples,
pour le temps où il ne sera plus visiblement avec eux. Afin de pouvoir
se tenir continuellement en communion d'amour avec lui, il faut que
toute leur vie ne soit qu'une incessante prière. Jésus
leur dit cette parabole pour leur montrer qu'il faut toujours
prier et ne se relâcher point. Il y a quelque chose de
respectable dans la crainte de parler d'un commandement de Dieu
relatif à la prière, mais cela n'est pas conforme à l'Écriture. Il ne
faut pas éviter de dire qu'il nous est ordonné de prier, en nous
contentant de louer l'immense faveur que Dieu nous
fait en nous permettant de répandre notre coeur devant lui. Ce
sentiment est juste, mais il est incomplet. Il suppose que notre coeur
est toujours rempli du besoin de prier et des douceurs que cet
exercice procure. Or, il est malheureusement bien loin d'en être
ainsi. Lorsque le coeur n'éprouve aucune joie à prier et que, dans cet
état de sécheresse, il se souvient que le privilège de la prière est
une gracieuse permission de Dieu, il se dit : Je puis pour le
moment ne pas profiter de cette permission ; je me sens trop sec
et trop froid pour prier. Cet engourdissement que nous éprouvons pour
la prière, surtout quand il se prolonge, nous fait complètement
négliger le commandement de Dieu, qui nous ordonne de
prier sans cesse. Comme le coeur devient promptement incapable de
prier ! Lorsque nous sentons approcher ce danger, rappelons-nous
les préceptes suivants : Priez, cherchez, heurtez (Matth.
VII, 7) ; priez sans cesse (I
Thess. V, 17) ; soyez persévérants dans la prière (Rom.
XII, 12).
Le Seigneur ne nous présente pas cet exercice comme
facultatif, de telle sorte qu'il nous soit loisible de le négliger,
lorsque nous ne nous y sentons pas particulièrement disposés. Aussi
certainement que le Seigneur veut que nous vivions dans une communion
continuelle avec lui, aussi certainement il veut que nous priions en
tout temps. Celui qui cesse de prier, cessera bientôt de croire, car
la prière est la respiration vitale de la foi. Celui qui cesse de
prier, cessera de puiser dans le coeur de Jésus les bénédictions
fortifiantes dont il a besoin, car la prière est cette main tendue
vers le ciel, par laquelle non seulement nous touchons le bord de son
vêtement, mais allons jusqu'à son coeur. Celui qui cesse de prier est
séparé du ciel et relégué sur la terre, car la prière est cette
échelle de Jacob qui relie le ciel à la terre.
Lorsque notre coeur est paresseux à prier, lorsque ses
ailes sont comme paralysées, prions par obéissance au commandement du
Seigneur, même si nous n'en éprouvons aucune joie. Lorsque les paroles
nous manquent, soupirons dans notre coeur. Plaignons-nous au Seigneur
d'être si froids, si vides, mais ne cessons pas de prier ! Moïse
cria à Dieu au bord de la Mer Bouge, sans remuer les lèvres, et Dieu
entendit son cri. Ainsi laissons échapper nos plaintes,
et soyons sûrs qu'elles percent les nues. Quelques-uns ont surmonté
leur froideur pour la prière, en redisant l'oraison dominicale.
Chacune des sept demandes est un bâton et une houlette qui raniment le
coeur incapable de prier, et le remplissent d'une vie nouvelle.
Les vieux livres de prières, composés par des hommes
pieux, sont regardés comme des « béquilles » qui ne
conviennent pas à des coeurs chrétiens. Sans doute, celui qui peut
marcher sans ces béquilles, fait bien de les jeter, et celui qui a des
ailes n'a pas besoin de ramper dans la poussière. Mais lorsque je me
sens peu disposé à prier, je recours sans hésiter aux béquilles. Je
récite les psaumes de David et les prières de quelque autre homme de
Dieu, et je me crois autorisé à le faire par l'exemple de mon
bien-aimé Sauveur, qui, dans l'indicible angoisse de la croix, se
sentant abandonné de Dieu, n'offre pas à son Père sa propre prière,
mais la puise dans le Psaume XXIle. En un mot, prions avec des paroles
ou soupirons dans le secret de nos coeurs ; prions en répétant
« Notre Père » ou des psaumes ou des prières tirées d'autres
livres ; prions à haute voix ou implorons silencieusement le
Seigneur en levant vers lui des regards suppliants ; prions comme
nous pouvons et comme cela nous est donné, mals en aucun cas ne
cessons pas de prier.
Cet ordre du Seigneur ressort de la parabole
suivante : Il y avait dans une ville un
juge qui ne craignait point Dieu et qui n'avait aucun égard pour
personne. Il y avait aussi dans cette ville une veuve qui venait
souvent à lui et qui lui disait : Fais-moi justice de ma
partie adverse. Pendant longtemps il n'en voulut rien faire.
Cependant il dit enfin en lui-même : Quoique je ne craigne point
Dieu, et que je n'aie aucun égard pour aucun homme, néanmoins,
parce que celle veuve m'importune, je lui ferai justice afin,
qu'elle ne vienne pas toujours me rompre la tête. Ce
juge inique n'a aucune crainte de celui qui jugera le monde, et il
ferme son oreille et son coeur à la requête de cette pauvre veuve
affligée. À la fin cependant, il lui fait justice. Qu'est-ce qui le
décide à agir ainsi ? A-t-il reconnu que le droit est du côté de
cette femme ? Il ne s'inquiète nullement du droit. Est-il touché
de la misère de cette veuve ? Elle le laisse
froid et indifférent. Ce qui le détermine, il le dit lui-même avec une
cynique franchise. « Afin qu'elle ne
vienne pas toujours me rompre la tête. » La prière
continuelle de cette femme est une puissance à laquelle il ne peut
résister. Cet impie, qui se flatte de ne point craindre Dieu, et de
n'avoir d'égard pour aucun homme, craint la prière persévérante et
pressante d'une faible femme. Quelle mystérieuse puissance dans la
prière ! Aussi le Seigneur ajoute-t-il : Écoutez
ce que dit ce juge injuste. Et Dieu ne vengera-t-il pas ses élus
qui crient à lui jour et nuit, quoiqu'il diffère sa
vengeance ? Je vous dis qu'il les vengera bientôt.
Si la prière de cette veuve a eu tant de succès auprès de
ce juge inique, combien celles des élus, des croyants, ne sont-elles
pas. assurées d'être exaucées par ce Dieu, dont la plus grande joie
est de bénir et de sauver les siens ? Quelquefois, à la vérité,
il parait ressembler à ce juge dont il est dit que « pendant
longtemps il n'en voulut rien faire ». C'est l'expérience que fit
la Cananéenne, lorsque Jésus ne lui répondit d'abord pas un mot, et
ensuite lui refusa longtemps de lui accorder sa demande. Toutefois,
lorsque notre Dieu « n'en veut longtemps rien faire »
c'est qu'il a envers nous des pensées de paix et non d'adversité. Il
veut nous exercer à la persévérance dans la prière, afin de nous faire
expérimenter la vérité de ces paroles Heureux
celui dont l'attente est à l'Éternel son Dieu (Ps.
CXLVI, 5) Si nous sommes fidèles, notre délivrance arrivera
bientôt.
Par la parabole du juge inique, le Seigneur nous a montré
la nécessité de la prière persévérante et confiante. Par celle du
pharisien et du péager, il nous enseigne la prière humble.
Il leur dit aussi cette parabole au sujet de
quelques-uns qui présumaient d'eux-mêmes comme s'ils étaient
justes, et qui méprisaient les autres. Deux hommes montèrent au
temple pour prier ; l'un était pharisien et l'autre péager.
Le pharisien, se tenant debout, priait ainsi en lui-même : 0
Dieu, je le rends grâces de ce que je ne suis pas
comme le reste des hommes, qui sont ravisseurs, injustes,
adultères, ni même comme ce péager. Je jeûne deux fois la
semaine ; je donne la dîme de tout ce que je possède. Mais le
péager, se tenant éloigné, n'osait pas même lever les yeux au
ciel, mais il se frappait la poitrine, en disant : 0 Dieu,
sois apaisé envers moi qui suis pécheur ! Je vous déclare que
celui-ci s'en retourna justifié dans sa maison, préférablement à
l'autre. Car quiconque s'élève sera abaissé, et quiconque
s'abaisse sera élevé. Celui qui, en lisant cette
parabole, éprouve de la répugnance et de l'aversion pour ce pharisien,
et se dit en lui-même : Je rends grâces à Dieu de ne pas être
comme lui, celui-là n'a pas besoin de chercher le pharisien bien loin.
Il le trouvera dans son propre coeur. Les pharisiens de nos jours
disent aussi : 0 Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis
pas comme les autres : ni comme ces vagabonds, qui passent leur
vie sur les grandes routes et qui n'ont point de domicile fixe, ni
comme ces malfaiteurs enfermés dans des maisons de correction, ni
comme les meurtriers ou les adultères ou les voleurs. Je ne joue pas,
je ne bois pas, je ne fréquente pas les cabarets. Je vais tous les
dimanches à l'église, je communie tous les trimestres. Je donne pour
les pauvres, pour les missions, et pour toutes les oeuvres fondées en
vue du règne de Dieu. - Heureux celui qui peut dire tout cela avec
vérité ! Il sera considéré comme un honnête homme et même comme
un homme pieux par ses semblables. Mais malheur à celui qui n'a pas
d'autre fondement de son salut !
Le péager qui présente sa prière pleine d'humilité et de
repentance : 0 Dieu, sois apaisé envers
moi qui suis pêcheur, nous montre comment il faut prier
pour être exaucé, mais aussi pour être justifié devant Dieu. Dès que
notre coeur est ainsi disposé, notre prière pénètre jusqu'au coeur de
Dieu et nous attire sa grâce. Le pharisien n'a aucune idée de ses
péchés, c'est pourquoi il ne songe pas à demander pardon. À la vérité,
il remercie Dieu, mais toute sa prière n'est qu'une glorification de
lui-même. Et cette louange qu'on se donne à soi-même est plus mal vue
encore devant Dieu que devant les hommes. Le pharisien est tellement
satisfait de sa piété qu'il l'étale devant Dieu dans sa prière. Il
semble mécontent de ce que Dieu ne l'a pas assez remarqué, et il
estime que l'Éternel doit se trouver très honoré
qu'un homme aussi pieux vienne prier dans son temple. On ne trouve en
lui nulle trace d'humilité ni d'amour. D'où lui vient donc cette
orgueilleuse satisfaction de lui-même ? Le Sauveur nous
l'apprend : il présumait de lui-même, comme s'il était juste,
et méprisait les autres. La véritable piété et la véritable
humilité peuvent bien distinguer chez les autres la piété ou
l'impiété, l'orgueil ou l'humilité ; mais quiconque se croit
humble et pieux, est déjà déchu de ces vertus ; et quiconque se
glorifie de sa piété et de son humilité, est un pharisien. L'homme
vraiment pieux s'efforce de le devenir et il est confus de ne
l'être pas. Le pharisien, en se mesurant lui-même, s'est
appliqué une fausse mesure. Celui qui commet cette faute, arrive
nécessairement à présumer de lui-même. Il n'y a pour l'homme qu'une
seule mesure : c'est la loi de Dieu et la sainteté de Dieu.
« Soyez saints, car je suis saint » (1
Pierre I, 16 ; Lév.
XIX, 2). Et comme Dieu s'est fait homme, Jésus, l'Homme-Dieu,
est le seul modèle pour tous les hommes. - « Ayez les mêmes
sentiments que Jésus-Christ a eus » (Philip.
II, 5).
Le pharisien s'est comparé à d'autres hommes dont les
péchés étaient plus ostensibles que les siens. Dans ces conditions, il
devait nécessairement devenir présomptueux, puisque, plus on est
attentif à voir les péchés des autres, plus on est aveugle sur ceux
qu'on a commis soi-même. S'il s'était comparé à la loi de Dieu, il
aurait dit : « 0 Dieu, je m'étonne de n'être pas comme le
reste des hommes, car mon coeur est plein de convoitises, et c'est par
ta grâce qu'elles ne se sont pas manifestées comme elles le font chez
d'autres.
En revanche, le péager se présente devant Dieu avec le
profond sentiment de ses péchés et un ardent désir d'en obtenir le
pardon. Il est confus et se frappe la poitrine et il a raison, car le
fardeau qui pèse sur sa conscience est sans doute bien lourd. Il ne
trouve rien de bon en lui, mais seulement du mal ; toutefois il
croit fermement que la grâce de Dieu s'élève au-dessus de ses péchés.
C'est un grand privilège, pour une créature souillée, de pouvoir se
confier dans la miséricorde du Dieu saint, lorsque le sentiment de ses
fautes s'éveille en elle. Aussi longtemps que la conscience dort, et que
l'homme est mort dans ses péchés, il se console facilement et
dit : « Dieu est miséricordieux ! » c'est tout
naturel qu'il pardonne. Mais lorsque le péché est apparu comme péché (Rom.
VIII, 13), et que le coeur sort du sommeil dans lequel il était
retenu, alors il lui semble impossible que Dieu lui fasse grâce. D'un
autre côté, celui qui est vraiment pauvre en esprit, et qui désire
sincèrement le pardon de ses péchés, est déjà justifié. Dieu résiste
aux orgueilleux, mais il fait grâce aux humbles.
L'activité de Jésus en Pérée parait avoir été richement bénie, car
Jean (X,
41-42) nous dit : Et il vint
beaucoup de gens qui disaient : Jean n'a fait aucun miracle,
mais tout ce que Jean a dit de cet homme était vrai ; et il y
en eut là plusieurs qui crurent en lui. Les pharisiens
de cette contrée avaient vu depuis longtemps, avec un profond
déplaisir, que le peuple se tournait vers Jésus et croyait en lui. Ils
auraient bien aimé le voir quitter leur frontières.
C'est pourquoi ils accueillirent avec une grande joie le
bruit qu'Hérode voulait le faire mourir. Ayant déjà fait tuer Jean, et
résistant obstinément à toutes les voix qui lui parlaient de
repentance, Hérode aurait voulu éloigner Jésus de son royaume pour ne
pas être de nouveau importuné par le souvenir de sa victime. Il
cherchait à l'effrayer en lui faisant connaître ses intentions
meurtrières, afin de le décider à s'enfuir. - Les pharisiens, qui
étaient animés du même désir, vinrent donc à Jésus sous les apparences
d'une trompeuse amitié pour l'avertir du danger qu'il courait : Retire-toi
d'ici, lui dirent-ils, car Hérode veut te faire mourir.
Jésus sait fort bien que personne ne peut lui ôter la vie, mais il est
prêt à la sacrifier au moment déterminé par le Père, moment qui n'est
plus éloigné.
Il dit à ceux qui lui donnaient ce charitable
avertissement : Allez et dites à ce
renard : Voici, je chasse les démons et j'achève de faire des
guérisons aujourd'hui et demain et le jour suivant, et le
troisième jour je finis ma vie. Cependant il me faut marcher
aujourd'hui, demain et le jour suivant, parce qu'il n'arrive pas
qu'un prophète meure hors de Jérusalem.
Jésus appelle Hérode un renard, non seulement à cause de la ruse, mais
aussi parce qu'il ravage la vigne du Seigneur (Cant.
des Cant. II, 15). Il sait très bien que l'heure de sa mort
approche, mais il sait aussi que la fin de sa carrière ne dépend ni
d'Hérode ni des pharisiens, mais uniquement de son Père céleste ;
il sait, de plus, qu'il ne mourra pas hors de Jérusalem.
Mais aussitôt que Jésus pense à cette ville, son coeur
est rempli d'une amère douleur. Jérusalem !
Jérusalem ! s'écrie-t-il, qui
tues les prophètes et qui lapides ceux qui te sont envoyés,
combien de fois j'ai voulu rassembler tes enfants comme une poule
rassemble sa couvée sous ses ailes, mais vous ne l'avez pas voulu.
En laissant échapper cette explosion de douleur causée par le rejet
hautain de son amour, le Sauveur avait sûrement les yeux pleins de
larmes. « Pourquoi mourriez-vous, ô maison d'Israël ? »
(Ezéch.
XVIII, 31.) « Je t'ai aimée d'un amour éternel, c'est
pourquoi je t'ai attirée par ma miséricorde ! » (Jérém.
XXXI, 3.)
Mais ni Jérusalem, ni Israël ne veulent se laisser à
Jésus. Telle est la cause de leur condamnation. Qui m'éprise les ailes
de la poule, tombe sous les serres de l'aigle.
Voici, votre habitation va devenir déserte, et je vous dis en
vérité que vous ne me verrez plus jusqu'à ce que vous
disiez : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur !
Le signe par lequel le Père devait mettre un terme à l'activité de
Jésus en Pérée n'était pas éloigné : c'était la maladie et la
mort de son ami Lazare.
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