Les quatre Évangiles sont unanimes à raconter que le Sauveur, avant
son dernier voyage à Jérusalem, se rendit en Pérée où il séjourna
quelque temps. D'après Jean, il semble n'avoir visité qu'une seule
localité, Béthabara. Mais comme cet évangéliste ne dit pas
combien de temps Jésus resta dans cette province, il n'est nullement
impossible, même d'après le quatrième Évangile, d'admettre que le
Sauveur l'ait parcourue tout entière, soit avant soit après son séjour
à Béthabara. Or, ceci est clairement raconté par les autres
évangélistes. Ainsi Matthieu (XIX,
1) dit : « Quand Jésus eut achevé tous ces discours,
il s'en alla dans les quartiers de la Judée, au delà du
Jourdain ». Marc (X,
1) « Jésus, étant parti de là, vint aux confins de la
Judée, au delà du Jourdain ». Et si même Luc (XVII,
11) rapporte qu'en se rendant à Jérusalem, Jésus passa par le
milieu de la Samarie et de la Galilée, il est impossible, vu ! a
situation géographique des lieux, que ce qui est ici nommé Galilée,
soit la province qui forme la frontière septentrionale de la Samarie.
Ce ne peut être que la Pérée, puisque cette contrée, étant
administrativement unie à la Galilée, était souvent désignée sous la
même dénomination.
Du reste, comme les Évangiles racontent une foule
d'événements dont ils n'indiquent pas clairement l'époque, il est fort
possible que ce que nous attribuons à l'activité de Jésus en Pérée, se
soit déjà passé en Samarie et vice-versa. D'ailleurs, les faits sont
infiniment plus importants que le temps où ils se sont produits.
Quoique la Pérée fût moins peuplée que les autres provinces de la
Terre Sainte, la foule se pressait tout aussi nombreuse sur les pas du
Sauveur. C'est pourquoi les pharisiens ne manquèrent pas de se rendre
immédiatement dans cette contrée, pour l'épier et travailler à
paralyser son activité. Ils s'approchèrent de lui et lui dirent :
Est-il permis à un homme de répudier sa femme
pour quelque sujet que ce soit ? Cette question
était agitée parmi les pharisiens. Les uns pensaient que le mariage
pouvait être rompu pour un motif quelconque, et que le caprice du mari
suffisait pour légitimer la séparation. Les autres, au contraire, ne
permettaient la rupture du lien matrimonial qu'à la suite de faits
particulièrement scandaleux. Les pharisiens espéraient sans doute que,
vu la difficulté du cas, le Seigneur se laisserait
aller à émettre quelque opinion contraire à la loi mosaïque.
Mais il répondit : N'avez-vous
pas lu que celui qui créa l'homme au commencement du monde fit un
homme et une femme ; et qu'il est dit : C'est à cause de
cela que l'homme quittera son père et sa mère et s'attachera à sa
femme, et les deux ne seront qu'une seule chair. Ainsi ils ne sont
plus deux, mais ils sont une seule chair. Que l'homme ne sépare
donc pas ce que Dieu a uni ! Christ ne s'inquiète
pas des opinions des hommes. Il renvoie ses interlocuteurs à l'ordre
primitivement établi par Dieu, et auquel le droit et la loi doivent se
plier. Et si les lois faites par les hommes sont contraires à
l'institution divine, cette institution n'en demeure pas moins la
règle pour le chrétien. Car il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes
(Act. V,
29).
Ils lui dirent : Pourquoi
donc Moïse a-t-il commandé de donner la lettre de divorce, quand
on veut répudier sa femme ? Jésus leur
répondit : C'est à cause de la dureté
de votre coeur que Moïse vous a permis de répudier vos
femmes ; mais il n'en était pas ainsi au commencement.
Moïse n'a pas ordonné la séparation des époux ; il l'a simplement
permise, parce qu'il lui était impossible de réprimer les habitudes
païennes qui s'étaient introduites dans les moeurs du peuple d'Israël.
C'est pourquoi il ordonne à l'homme qui, contrairement au commandement
de Dieu, répudierait sa femme, de lui donner du moins une lettre de
divorce, afin qu'une chose aussi importante pour la vie de famille, ne
dépendit pas du caprice d'un moment.
Mais je vous dis, moi,
ajoute Jésus, que quiconque répudiera sa
femme, si ce n'est pour cause d'adultère, et en épouse une autre,
commet un adultère ; et que celui qui épousera la femme qui
aura été répudiée, commet aussi un adultère. Le mariage
n'est pas un contrat ordinaire. C'est un état établi par Dieu lui-même
et qui doit être maintenu intact par les deux parties, jusqu'à ce que
la mort vienne les séparer. Toute autre séparation est un péché devant
Dieu, si même elle est autorisée par les lois humaines.
Lorsque l'autorité civile, établie sur les croyants et
sur les incrédules, promulgue une loi matrimoniale conforme à l'ordre
mosaïque et non au commandement de Dieu, en ayant
égard surtout aux personnes étrangères à la foi, cela se comprend.
Mais les chrétiens, qui veulent être sauvés par leur obéissance à la
foi en Christ, doivent se diriger exclusivement d'après la Parole de
Dieu, alors même que les lois humaines lui seraient contraires, dût
cette conduite les exposer à diverses souffrances. Le Seigneur admet
une seule exception à la règle qu'il vient de poser, et à y regarder
de près, cette exception n'en est pas une : c'est l'adultère. Car
lorsqu'une femme s'est donnée à un autre homme, elle a rompu par le
fait l'union matrimoniale, et son mari n'est plus lié avec elle.
Alors ses disciples lui
dirent : Si telle est la condition de l'homme et de la femme,
il ne convient pas de se marier. Ces paroles des
disciples ne s'accordent point avec la déclaration que Dieu fit au
commencement : Il n'est pas bon que
l'homme soit seul ; je lui ferai une aide semblable à
lui. Dans la pensée de Dieu, le mariage est une
institution excellente, un état saint. Et comme il doit lier l'homme
et la femme pour toute leur vie, il faut se garder de l'accomplir
légèrement. Il convient donc que ceux qui veulent entrer dans cet
état, apprennent d'abord à se connaître à fond l'un l'autre. Mais
il leur dit : Tous ne sont pas capables de cela, mais ceux-là
seulement à qui il a été donné. Car il y a des eunuques qui sont
nés tels dès le ventre de leur mère, il y en a qui ont été faits
eunuques par les hommes, et il y en a qui se sont faits eunuques
eux-mêmes pour le royaume des cieux. Que celui qui peut comprendre
ceci, le comprenne.
Jésus parle ici du célibat. Les uns sont nés avec des
dispositions telles ; qu'ils n'ont aucune inclinaison, aucun
penchant, pour la vie conjugale ; les autres sont condamnés au
célibat par une force étrangère à leur volonté ; d'autres
refusent de se marier afin de pouvoir se consacrer d'autant plus
librement à l'avancement du règne de Dieu. Le célibat peut donc être
agréable à Dieu, si celui qui s'y voue est capable de résister à ses
désirs et le fait dans l'intention de servir Dieu sans distractions.
La vie conjugale vient de Dieu, mais le célibat vient aussi de Dieu.
Lorsqu'une jeune fille n'est recherchée par aucun homme, elle ne doit
pas regarder cela comme un malheur, mais apporter tous ses soins à
obéir et à plaire au Seigneur. Dieu, qui dirige
les coeurs, pourrait facilement incliner le coeur d'un homme vers
celui de cette jeune fille. S'il ne le fait pas, elle doit reconnaître
que telle est à son égard la volonté de Dieu, qui a sur nous des
pensées de paix et non d'adversité.
Que les célibataires mettent donc leur liberté au service
de Dieu. Partout on a besoin d'aide. Il y a des pauvres à soulager,
des malades à soigner, des enfants abandonnés à recueillir. Que celle
qui veut servir le Seigneur d'un coeur joyeux, se présente à une
maison de diaconesses. Aucune de celles qui veulent donner leur coeur
à Jésus et se consacrer à lui, ne sera refusée.
Alors on lui présenta des petits enfants,
afin qu'il les touchât mais les disciples reprenaient ceux qui les
présentaient. Et Jésus, voyant cela, en fut indigné, et il leur
dit : Laissez venir à moi ces petits enfants et ne les en
empêchez point, car le royaume des cieux est pour ceux qui leur
ressemblent. Je vous dis en vérité que celui qui ne recevra pas le
royaume des cieux comme un petit enfant, n'y entrera point.
Ces mères avaient sûrement obtenu de riches bénédictions de Jésus,
puisqu'elles veulent que leurs enfants en aient leur part. Toute la
personne de Jésus, malgré la gloire céleste dont elle brillait, devait
avoir quelque chose d'extraordinairement aimable et attrayant, qui
provoquait la confiance, puisque ces mères viennent sans crainte et
sans hésitation lui demander de bénir leurs enfants.
Les disciples ne voulaient pas permettre que leur Maître
fut ainsi importuné. Ils pensaient d'ailleurs que sa bénédiction ne
pouvait pas être d'une grande utilité aux petits enfants, puisqu'ils
ne la comprenaient pas. Il leur manquait cette bonté du Sauveur, qui
ne se sent jamais importuné, dès qu'il a une occasion de manifester
son amour. Combien pensent encore aujourd'hui comme les disciples, et
tiennent leurs enfants loin de Jésus ! Combien regardent aussi
comme inutile, peut-être même nuisible, de leur faire apprendre par
coeur des passages de la Bible et de leur enseigner à prier !
Mais Jésus, l'ami des enfants, reprend ses disciples avec une sainte
indignation, et ordonne qu'on les laisse venir à lui.
Laissez-les venir à moi.
Les enfants aussi ont besoin d'un Sauveur et sont capables de l'aimer.
L'humilité des petits enfants, leur simplicité, leur confiance, pleine
d'abandon, les rendent propres pour le royaume des cieux, qui ne peut
être accordé qu'à ceux qui leur ressemblent. Les enfants ont donc un
droit divin au royaume des cieux ; Jésus le leur reconnaît. Dès
lors, quel père, quelle mère, quel ami des enfants voudrait les
empêcher d'aller à Jésus ? Il les redemanderait un jour de leur
main. C'est assurément une bonne chose, lorsque des mères chrétiennes
apprennent le plus tôt possible à leurs enfants à joindre les mains
pour la prière, et leur racontent des faits de la vie de Jésus, l'ami
des enfants. Cela s'accorde parfaitement avec cette exhortation du
Seigneur : Laissez tenir à moi les
petits enfants. Malheureusement, ces soins spirituels
cessent bientôt, comme si Jésus n'avait commandé de lui amener que les
tout petits enfants. En sorte, que lorsqu'ils commencent à fréquenter
l'école, Ils ont perdu depuis longtemps l'habitude de prier.
Laissez venir à moi les petits
enfants. Ces paroles ont aussi pour but de marquer la
nécessité de leur administrer le baptême. Tous ceux qui ont été
baptisés en Christ, ont été revêtus de Christ ; et les petits
enfants veulent aussi le revêtir Jésus leur promet le royaume des
cieux ; or, la seule porte par laquelle on puisse y entrer, est
la régénération par l'eau et par le Saint-Esprit, conférée dans le
baptême. Si donc la parole de Jésus a conservé sa valeur, ou ne peut
pas refuser le baptême aux enfants.
Laissez venir à moi les petits
enfants. Que les parents affligés, auxquels le Seigneur
a redemandé un cher enfant, prêtent une oreille attentive à ces
paroles ! Sans doute, l'amour voudrait les retenir ; mais
celui qui les retire à lui, c'est Jésus, le fidèle Sauveur. Ces chers
êtres sont infiniment mieux préservés dans ses mains, qu'ils ne le
seraient dans celles du père le plus fidèle, de la mère la plus
tendre. Et cependant, comme il est difficile aux parents de rendre
volontairement leur enfant au Sauveur ! Ils ne reconnaissent pas
dans cette douloureuse dispensation, son intention pleine d'amour.
C'est qu'en leur reprenant leur enfant, il brise leur coeur afin de
les décider à se donner eux-mêmes à lui.
Une famille européenne était allée s'établir à la
frontière occidentale des États-Unis d'Amérique. Non loin de cette
frontière, se trouvait une tribu d'Indiens qui la franchissaient
souvent pour ravager et brûler, piller et tuer. Un de ces brigands
voulait témoigner sa reconnaissance à cette famille pour un bienfait
qu'il en avait reçu. Lorsque les chefs de cette tribu eurent décidé
d'attaquer ces immigrés, il résolut de chercher à leur sauver la vie.
Il se hâta d'atteindre leur demeure avant ses cruels compagnons, et
les avertit du danger qui les menaçait. Mais ils ne comprenaient pas
sa langue. Il essaya de leur faire entendre par des signes qu'ils
devaient quitter leur maison et sauver leur vie. Ils ne saisissaient
pas son intention. Dans son angoisse, il s'empara d'un petit enfant
couché dans son berceau, et, avant que les parents consternés eussent
pu l'en empêcher, il s'enfuit avec son fardeau, dans une forêt
éloignée d'un demi-mille. Les parents de l'enfant le poursuivirent.
Lorsqu'ils furent tous en sûreté dans les montagnes, l'Indien s'arrêta
et rendit l'enfant à ses parents. Et comme ceux-ci l'accablaient de
reproches et le menaçaient, il se retourna et leur montra leur maison
en feu. Les Indiens étaient occupés en ce moment à piller tout ce
qu'ils pouvaient emporter. Si leur libérateur ne leur avait pas enlevé
leur enfant, ils auraient tous péri avec lui.
C'est ainsi que souvent Jésus reprend un enfant ; et
les pauvres parents se lamentent. Mais Jésus veut les attirer à lui
par cette affliction. Et ceux qui se sont laissé attirer, lui ont
rendu grâces plus tard. Et les ayant pris
entre ses bras, il leur imposa les mains et les bénit.
Celui que Jésus prend dans ses bras et presse sur son coeur, est
marqué pour la vie éternelle. Celui auquel il impose les mains, est
garanti contre toutes les attaques de l'ennemi. Celui qu'il bénit est
béni pour l'éternité.
Comme Jésus sortait pour se mettre en chemin, un homme accourut, et
s'étant mis à genoux devant lui, il lui demanda : Mon
bon maître, que dois-je faire de bon pour
hériter la vie éternelle ? Ce jeune homme avait
une conduite honorable et s'était appliqué avec zèle à observer les
commandements de Dieu. Mais il ne connaissait pas ses péchés et
croyait avoir accompli la loi, parce qu'il l'avait gardée
extérieurement. D'un autre côté, comme il aspirait réellement à la vie
éternelle, il avait conscience que cette obéissance extérieure ne lui
procurait aucune paix. Il n'était pas complètement sûr de son salut,
et sentait qu'il lui manquait encore quelque chose. Pénétré d'un
profond respect pour Jésus, il espérait obtenir de lui la lumière qui
lui faisait défaut sur ce point. Il veut faire quelque chose de bon
pour parvenir à la vie. Il ignore seulement quelle bonne oeuvre
Dieu réclame encore de lui, et il compte sur ses propres forces pour
l'accomplir.
Lorsqu'il appelle Jésus bon Maître, ce n'est
qu'un titre d'honneur qu'il lui donne. Il veut lui montrer le respect
qu'il a pour lui. C'est comme s'il disait : Maître, tu es le
meilleur homme que j'aie jamais vu. Du reste, il n'a aucune idée de la
vraie signification du mot bon. Pour comprendre la réponse de
Jésus, il faut ne pas oublier qu'en parlant à ce jeune homme sincère,
qu'il s'efforce de gagner pour le royaume des cieux, il veut prendre
un soin spécial et personnel de son âme. Il manque à ce jeune homme
deux choses : la connaissance de ses péchés et l'attrait pour le
Sauveur des pécheurs ; la connaissance de soi-même et la
connaissance de Jésus. Ce jeune homme ne voit dans Jésus qu'un homme
qui, par ses propres forces, par des efforts énergiques et soutenus,
est parvenu à un degré de perfection morale digne de toute son
admiration. C'est contre cette notion que le Seigneur proteste.
« Si j'étais l'homme que tu crois, je ne mériterais pas d'être
appelé bon Maître. » Je serais un pécheur comme tous les
hommes ; Dieu seul est vraiment bon.
Si le jeune homme s'était incliné devant cette parole que
Jésus ajoute immédiatement, il aurait compris que ce bon, le
seul vraiment bon, s'était approché de lui dans la personne de
Jésus, et il aurait été pleinement autorisé à l'appeler « bon
Maître » ; mais dans un sens tout autre que celui qu'il
attachait à ce terme. Celui qui est le vrai Dieu, est par cela même la
vie éternelle. Il ne se borne pas à la
manifester ; il est lui-même cette vie, et il la donne. Que
si tu veux entrer dans la vie, garde les commandements.
Le jeune homme n'était pas préparé à une telle réponse.
Il croit qu'en parlant des commandements, le Sauveur ne peut pas avoir
en vue les dix commandements, car ceux-là il les a toujours observés.
Il pense donc à quelque autre commandement plus difficile, et demande
à Jésus : Quels commandements ? Et à son grand étonnement,
il apprend que Jésus voulait parler de ces commandements tout
ordinaires du Décalogue, qui sont obligatoires pour tout le
monde : Tu ne tueras point, tu ne
commettras point adultère, lit ne déroberas point, lu ne diras
point de faux témoignage, contre ton prochain, honore ton père et
ta mère, et tu aimeras ton prochain comme toi-même.
C'est avec intention que Jésus énumère seulement les commandements qui
règlent les rapports des hommes entre eux. Chacun était persuadé de
les avoir sûrement observés. En rappelant le commandement relatif à
l'amour du prochain, Jésus veut précisément amener ce jeune homme à
reconnaître l'illusion dans laquelle il vit. Le jeune homme lui
dit : J'ai observé toutes ces choses dès
ma jeunesse ; que me manque-t-il encore ?
Ce jeune homme manifeste évidemment un très grand
contentement de lui-même, joint à une ignorance absolue de ses propres
dispositions. Il se dit, dans son for intérieur : S'il n'y a rien
à faire de plus pour hériter la vie éternelle, je suis dans
d'excellentes conditions !
Et cependant, Jésus le regarde avec amour. C'est que le
Sauveur voit toujours avec plaisir les âmes qui cherchent, même
lorsqu'elles ne trouvent pas, même lorsqu'il leur manque quelque chose
pour trouver. Ce jeune homme est très vertueux, peut-être même
parfait, à ses propres yeux. Il n'a pas le sentiment de ce qu'il lui
manque pour être sauvé ; c'est à ce sentiment que Jésus veut
l'amener. Il te manque une chose,
qui est absolument nécessaire pour hériter la vie éternelle,
savoir : la repentance et la foi au Sauveur des pécheurs. Si
tu veux être parfait, vends tout ce que tu as et le donne aux
pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel ;après cela,
viens et suis-moi, tétant chargé de la croix.
L'Église romaine, pour appuyer sa doctrine des oeuvres
surérogatoires, a compris ces paroles, comme si le Seigneur disait à
ce jeune homme qu'il avait déjà fait ce qui est nécessaire pour être
sauvé, et que s'il l'engageait à vendre ses biens, c'était afin de lui
faire atteindre un plus haut degré de perfection et de lui assurer
ainsi un trésor particulier dans le ciel. Mais cette interprétation
est contraire au contexte. Le Seigneur veut précisément lui indiquer
ce qu'il lui faut encore nécessairement pour être sauvé, et lui faire
comprendre que la perfection exigée de tous (Matth.
V, 48) consiste en ceci : c'est qu'il s'approprie par la
foi le trésor céleste, la perle de grand prix, avec un coeur affranchi
de tout amour des créatures, de tout lien terrestre. Considérer toutes
les autres choses comme une perte, tout abandonner, choisir Christ
comme le trésor au-dessus de tous les trésors, et le suivre, tel est
le chemin du salut pour tous, et aussi pour ce jeune homme. Quiconque
est affranchi intérieurement de l'amour du monde et de l'amour de
l'argent, peut être sauvé, même en restant extérieurement en
possession de ses richesses.
Toutefois, ce qui n'est pas exigé de tous, était
nécessaire à ce jeune homme, afin qu'il devînt intérieurement libre à
l'égard de Mammon. Il lui paraissait sans doute difficile de se
séparer de Jésus, mais il trouva plus difficile encore de se séparer
de ses richesses. Mais quand le jeune homme
eut entendu ces paroles, il s'en alla tout triste, car il
possédait de grands biens. Qui sait si dans cette
tristesse, il y avait un grain de tristesse selon Dieu, qui pût le
ramener plus tard à Jésus ? Ce que rapporte une ancienne
tradition serait bien beau si c'était vrai : c'est que ce jeune
homme ne serait autre que l'évangéliste saint Marc, qui plus tard,
affranchi de tout attachement terrestre, se serait donné complètement
au Seigneur Jésus. Quand nous le reverrons un jour dans le Ciel, il
pourra lui-même nous renseigner sur la valeur de cette tradition.
Alors Jésus dit à ses disciples : Je
vous dis en vérité qu'un riche entrera difficilement dans le
royaume des cieux. Je vous dis encore qu'il est plus facile qu'un
chameau passe par le trou d'une aiguille qu'il ne l'est qu'un
riche entre dans le royaume des cieux. Ce ne sont pas
les richesses qui excluent du royaume des cieux, c'est la confiance
qu'on met en elles (Ps.
LXII, 11). Les richesses ne permettent à ceux qui les possèdent,
ni une vraie repentance, ni le désir de recourir au Sauveur, ni la
soif du salut. Elles excitent l'amour des biens terrestres ;
elles affaiblissent l'attrait pour les choses invisibles ; elles
rendent l'abnégation pénible ; elles favorisent l'égoïsme et
l'orgueil, au point de persuader aux hommes qu'ils n'ont pas besoin de
ce Sauveur humilié. Les riches connaissent bien cette sérieuse parole
du Seigneur ; mais qui est-ce qui la prend à coeur ? Les
disciples, ayant entendu cela, furent fort étonnés, et disaient :
Qui peut donc être sauvé ?
Les disciples comprennent. que ce n'est pas la possession des biens de
la terre, mais l'attachement du coeur à ces biens, qui exclut du
royaume des cieux. Ils sentent parfaitement que cette parole du
Seigneur est dirigée contre l'amour des choses terrestres, qui est
dans tous les hommes. C'est pourquoi il les console en leur
disant : Quant aux hommes, cela est
impossible, mais quant à Dieu, toutes choses sont possibles.
C'est par la seule grâce de Dieu qu'un riche peut ne pas
se laisser éblouir par l'éclat des biens terrestres, ni enchaîner par
l'amour de l'argent. Mais lorsque les puissants et les riches de la
terre tombent à genoux et, déposant leur fardeau doré an pied de la
croix de Golgotha, célèbrent, dans une langue nouvelle, comme des
pécheurs perdus, mais reçus en grâce, le sang de l'alliance et les
richesses incompréhensibles de Christ, alors les saints anges de Dieu
saisissent avec une double joie leurs harpes d'or pour chanter cette
glorieuse victoire de l'amour de Jésus.
À peine le jeune homme s'était-il éloigné, que Pierre, prenant la
parole, dit à Jésus : Voici, nous avons
tout quitté et nous t'avons suivi ; qu'en sera-t-il pour
nous ? (Matth.
XIX, 27.) On a souvent reproché à Pierre cette question, comme
trahissant une aspiration à un salaire. À coup sûr, la pensée de
l'apôtre n'était pas tellement répréhensible, autrement le Seigneur ne
lui aurait pas donné une réponse aussi amicale. Il y a toutefois du
calcul dans les paroles de l'apôtre. De fait,
personne n'abandonne sa vie de péché et son amour du monde, sans se
demander d'abord : « Qu'en sera-t-il pour moi ? »
Comment exiger qu'un homme rompe avec son existence vide de Dieu, avec
ses jouissances mondaines qui ont été pendant toute sa vie son seul
bonheur, sans lui donner l'assurance de goûter des joies infiniment
plus pures que celles qu'il quitte, un bonheur vrai et éternellement
parfait, au lieu de son prétendu bonheur actuel ? Il est vrai que
Pierre n'avait pas abandonné de grandes richesses pour suivre
Jésus ; mais ce qui importe, ce n'est pas qu'on abandonne peu
ou beaucoup, c'est qu'on abandonne tout, que le coeur
soit détaché des biens qu'on possède.
Jésus répondit : Je vous
dis en vérité, qu'il n'y a personne qui ait quitté maisons, ou
frères, ou soeurs, ou père, ou mère, ou femme, ou enfants, ou des
biens, pour l'amour de moi, et de l'Évangile, qui n'en reçoive dès
à présent, dans ce siècle, cent fois autant, des maisons, des
frères, des soeurs, des pères, des mères, des enfants et des
terres, avec des persécutions, et dans le siècle à venir la vie
éternelle. Par ces paroles, le Seigneur n'entend pas
nous mettre en main un inventaire des choses que nous serons autorisés
à réclamer, en échange des sacrifices que nous pouvons être appelés à
faire pour lui. Il veut nous donner l'assurance que tous ces
sacrifices seront richement compensés, qu'il « remplira notre
coupe » et comblera parfaitement tous nous voeux pendant le cours
de cette vie, et pour toujours dans l'éternité. Si nous lui donnons
tout ce que nous possédons, il nous donnera aussi tout ce qu'il
possède. Un missionnaire, qui abandonne sa famille et ses amis, trouve
chez les païens une nouvelle patrie, et dans les âmes converties, des
frères et des soeurs. Et celui qui, dans son propre pays, abandonne
ses amis mondains, qui est même haï des siens pour l'amour de
Jésus-Christ, trouve un riche dédommagement dans sa communion avec lui
et avec ceux qui lui appartiennent.
Toutefois, afin que sa promesse d'une compensation ne
soit pas mal comprise, il nous enseigne formellement, par la parabole
suivante, que dans le royaume des cieux, tout est grâce. L'appel est
une grâce, le travail est une grâce, la récompense est une grâce. Le
royaume des cieux est semblable à un père de famille qui sortit
dès le point du jour, afin de louer des
ouvriers pour travailler dans sa vigne. Et ayant accordé avec des
ouvriers à un denier par jour, il les envoya dans sa vigne.
La vie du chrétien est une vie de joie, mais ce ne sont pas des joies
que l'on goûte paresseusement, car la vie dans le royaume de Dieu est
aussi une vie de travail : non pas un travail qui use, par le
chagrin, la peine et les soucis, mais un travail qui réjouit, restaure
et fortifie le coeur. Si quelqu'un croyait que les pasteurs, les
instituteurs, les diaconesses sont les seuls ouvriers appelés à
travailler dans la vigne du Seigneur, il prouverait par là qu'il est
resté lui-même jusqu'à ce moment sur la place sans rien faire (v.
3).
D'un autre côté, plusieurs voyant d'autres déployer tant
d'activité dans la vigne du Seigneur, voudraient y travailler
eux-mêmes ; mais ils ne le peuvent pas. Il faut qu'auparavant ils
soient accordés avec le père de famille. Pour porter du fruit, il faut
être devenu un sarment vivant du vrai cep, qui est Christ. Quiconque
entreprend de travailler avec ses propres forces, ne peut pas le faire
comme Jésus le demande. Tous les ouvriers occupés à la mission
intérieure, sont-ils unis au Seigneur ? Ceux qui, du haut de la
chaire, travaillent à lui arracher sa couronne de gloire, ne se sont
certainement pas accordés avec lui. Quiconque est avec Jésus, n'a pas
besoin de chercher du travail. Le Seigneur lui en montre suffisamment.
Le travail auquel chacun doit se livrer sur son propre coeur, demeure
toujours le plus important. Celui qui l'accomplit est aussi en mesure
de consoler et d'aider les autres.
Le père de famille qui distribue chaque jour aux siens le
pain de la Parole, la mère qui enseigne à ses enfants à prier, l'ami
qui avertit ou console, sont autant d'ouvriers dans la vigne du
Seigneur. Chaque coeur croyant a son travail à accomplir dans le
royaume de Dieu, même la bonne vieille grand'mère, qui, affaiblie,
décrépite, croit n'être plus bonne à rien, s'acquitte aussi de sa
tâche, lorsqu'elle joint les mains pour prier pour les siens. De même
le jeune enfant, qui a appris à lire à l'école, accomplit la sienne,
lorsqu'il lit au grand-père aveugle quelques strophes de cantiques, ou
quelques versets de la Bible. Ne rien faire dans le règne de Dieu,
équivaut à marcher sans Dieu, au-devant de la mort éternelle. C'est pourquoi
le père de famille se rend sur la place aux différentes heures du
jour, pour engager les oisifs à aller travailler dans sa vigne.
Quant à nous, chrétiens, le Sauveur nous a tous appelés à
cette oeuvre. Il nous a même introduits dans sa vigne, qui est son
Église, par l'acte de notre baptême. Seulement, la plupart de ceux qui
ont été baptisés ont perdu la grâce que ce sacrement confère, se sont
endormis et se sont joints aux « oisifs ». Alors le Sauveur
s'approche d'eux aux différentes heures du jour pour les pousser au
travail. Heureux ceux qui dès le matin de leur vie ont
entendu la voix de Jésus ! Car ceux qui cherchent de bonne heure,
trouvent aussi de bonne heure. Des fleuves de bénédiction découlent
d'un enfant qui n'a jamais abandonné Jésus, ou qui est promptement
revenu à lui.
À la troisième heure,
qui correspond à neuf heures du matin de notre journée, le père de
famille se rend une seconde fois sur la place. C'est Jésus qui frappe
à la porte du coeur du jeune homme et qui lui dit :
« Veux-tu être à moi ? » Combien de jeunes gens ont été
ainsi effrayés au milieu du tumulte de leurs plaisirs mondains et ont
saisi le Sauveur par la foi !
Au midi de la vie, lorsque l'homme est dans toute sa
force, et plus tard, lorsque cette force commence à décliner, ce qui
correspond à la sixième et à la neuvième heure de notre parabole,
Jésus, le Roi céleste, cherche encore, tantôt par sa Parole, tantôt
par ses dispensations, à diriger les pensées des hommes vers
l'éternité, afin qu'ils s'occupent de leur salut et fassent leur paix
avec Dieu.
Enfin, à la onzième heure, alors que la vie touche à sa
fin, dans la dernière maladie, sur le lit de mort, le Seigneur fait
encore une dernière tentative, pour voir si ces âmes, qui ont passé
toute leur vie dans l'oisiveté, étrangères aux travaux de la grâce, ne
se décideront pas, à la fin du jour, à se donner à lui. À ce moment
encore, elles ont une oeuvre à faire. De quelles bénédictions la
conversion du brigand sur la croix, à la dernière heure, n'a-t-elle
pas été l'occasion ? Que de coeurs ont été consolés par le pardon
qu'il obtint ! Que d'âmes, prêtes à tomber dans le désespoir, ont
été relevées par la promesse qui lui fut faite ! C'est là une
douce consolation ; seulement il ne faudrait pas en abuser !
Plusieurs, en sentant l'appel du Sauveur des pécheurs, se
disent : J'ai encore le temps. Il faut d'abord jouir de la
vie ; plus tard, sur le lit de mort, je pourrai encore imiter
l'exemple du brigand et être sauvé. Ne te fais pas illusion et ne joue
pas avec ton salut ! Il est vrai que Jésus est prêt à recevoir
ceux qui vont à lui à la onzième heure. Il est possible aussi
que quelqu'un saisisse, encore à ce moment tardif, la main
miséricordieuse qu'il lui tend. Mais ces cas sont rares, et cela se
conçoit. Comment un homme qui, pendant ses jours de force et de santé,
a constamment repoussé le Sauveur, en comptant sur la dernière heure
pour se convertir, pourra-t-il être assuré de se trouver en état de le
faire au dernier moment, et de goûter la paix de Dieu ? Cela
n'est pas impossible. Mais que tous ceux qui méprisent les appels du
Seigneur, dans l'espoir de se convertir plus tard, sachent qu'après
chaque rejet de la grâce le coeur s'enfonce davantage dans l'amour du
péché et des jouissances mondaines ; qu'après chaque résistance
opposée à l'esprit de Dieu, il devient plus incapable de se repentir
et plus inaccessible à l'action de la grâce.
Le soir, les ouvriers reçurent leur salaire. Et
ceux qui avaient été loués à la onzième heure étant venus, ils
reçurent chacun un denier. Or, quand les premiers furent venus,
ils s'attendaient à recevoir davantage, mais ils reçurent aussi
chacun un denier. Et l'ayant reçu, ils murmuraient contre le père
de famille, disant : Ces derniers n'ont travaillé qu'une
heure, et tu les as égalés à nous qui avons supporté la fatigue de
tout le jour et la chaleur ! Les premiers se
sentent humiliés comparativement aux derniers. Ils se croient
meilleurs. Ils oublient qu'ils ont été engagés à travailler dans la
vigne, sans aucun mérite de leur part. Ils murmurent et se plaignent
d'avoir supporté la fatigue et la chaleur du jour, et en manifestant
ainsi la peine que ce travail leur a causée, ils trahissent leur
esprit mercenaire.
Mais il répondit à l'un d'eux et
lui dit : Mon ami, je ne te fais point de tort. N'as-tu pas
accordé avec moi à un denier par jour ? Prends ce qui est à
toi et t'en va, mais je veux donner à ce dernier autant qu'à toi.
Ne m'est-il pas permis de faire ce que je veux de ce qui
est à moi ? Ton oeil est-il malin de ce que je suis
bon ? Ainsi les derniers seront les premiers et les premiers
seront les derniers, car il y en a beaucoup d'appelés, mais peu
d'élus. Mon ami, dit le père de famille, à celui qui,
au lieu de considérer ce denier comme une grâce, prétendait qu'on lui
faisait tort en ne lui donnant pas davantage ; mon ami, prends ce
qui est à toi et t'en va. Ceci est une parole de condamnation. Car,
bien qu'il ait exactement reçu le salaire dont il était convenu, bien
qu'il ait été comblé des bénédictions terrestres, il ne peut cependant
pas demeurer dans la proximité, dans la communion du Seigneur. Il sera
toujours tenu loin de lui par son ingratitude, par son humeur
chagrine, par sa jalousie. Tous ceux qui prétendent mériter l'entrée
au royaume des cieux par leur conduite ou par leurs oeuvres, et ne
reçoivent pas la grâce d'un coeur humble et confiant, seront
nécessairement séparés de la maison et du coeur du père de famille. Tous
les chrétiens sont appelés et tous les hommes doivent l'être
par l'Évangile ; mais seront élus seulement ceux, comparativement
en petit nombre, qui reçoivent la grâce de Dieu avec un coeur plein
d'humilité. Cette grâce est offerte à tous ceux qui sont
appelés ; mais celui qui veut la mériter, et qui porte envie à
ses compagnons qui l'ont obtenue, est lui-même cause de sa perte.
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