Comme les abeilles se réunissent sur le tilleul en fleur, de même les
pécheurs altérés de salut s'approchent du Sauveur. Tous
les péagers et les gens de mauvaise vie s'approchaient de lui pour
l'entendre. Mais les pharisiens et les docteurs de la
loi, qui prétendaient n'être point pécheurs, et qui estimaient être
souillés par le contact de ces gens méprisables, murmuraient et
disaient : Cet homme reçoit les gens de
mauvaise vie et mange avec eux. Ils lui reprochent de
témoigner trop d'égards aux pécheurs et de s'abaisser lui-même par son
commerce intime avec eux. Au surplus, ils murmurent et se moquent de
tous ceux qui ont trouvé en Jésus leur Sauveur, et qui adorent son
amour pour les plus indignes.
On ne peut cependant reprocher au soleil de luire. C'est
ce que les pharisiens doivent apprendre des trois
paraboles qui suivent : de la parabole de la brebis
égarée, de celle de la drachme perdue et de celle de l'enfant
prodigue. Toutes les trois parlent du salut des pécheurs par la
miséricorde de Dieu. Les deux premières nous montrent l'amour de Dieu
suivant et cherchant le pécheur ; la troisième nous apprend
comment le pécheur repentant prend et exécute la résolution de revenir
à Dieu.
La parabole de la brebis égarée dépeint le pécheur qui
peu à peu s'est éloigné de Dieu et qui éprouve, dans cet éloignement,
un vif sentiment de sa misère et un ardent désir de salut. Celle de la
drachme perdue, au contraire, met sous nos yeux la condition d'une âme
perdue par la faute des autres, et qui sans avoir aucune conscience de
son état, vit insensible en suivant son sens charnel.
Quel est l'homme d'entre vous
qui, ayant cent brebis, s'il en perd une, ne laisse les
quatre-vingt-dix-neuf au désert et n'aille après celle qui est
perdue, jusqu'à ce qu'il l'ait retrouvée et qui, l'ayant trouvée
ne la prenne sur ses épaules avec joie et étant arrivé dans la
maison n'appelle ses amis et ses voisins et ne leur dise :
Réjouissez-vous avec moi, car j'ai retrouvé ma brebis qui était
perdue. Je vous dis qu'il y aura de même plus de joie dans le ciel
pour un seul pécheur qui s'amende que pour quatre-vingt-dix-neuf
justes qui n'ont pas besoin de repentance. La brebis ne
s'est pas éloignée du bon Berger par méchanceté. Elle a brouté ici une
branche verte, là un brin d'herbe, à un autre endroit un épi de blé
et, sans le savoir, elle s'est trouvée tout à coup loin du berger.
C'est ainsi qu'Adam se perdit en cueillant le fruit
défendu, et c'est ce qui arrive aujourd'hui à la plupart de ceux qui
se perdent. Qu'est-ce qui les éloigne de Dieu et les prive de sa
communion ? Pour la plupart, ce n'est pas la perspective de
quelque situation brillante, mais un gazon desséché, la fleur flétrie
de l'herbe des champs. Le plus grand nombre des brebis sont ainsi
éloignées de Dieu parce que, ayant été baptisées dans la mort de
Christ, elles n'ont pas été nourries intérieurement de la parole de
Dieu et de la prière. Une fois égarée, la brebis ne retrouve plus son
chemin. Privée d'armes naturelles pour se défendre contre les animaux
féroces, elle erre ça et là pleine d'angoisses.
« Nous avons tous été errants comme des brebis. »
Heureusement pour nous, le coeur du Berger bat pour les
pauvres âmes égarées. Il laisse là les quatre-vingt-dix-neuf qui ne
sentent pas le besoin de repentance, et cherche celle qui est perdue.
C'est ainsi que la mère surveille son enfant malade ; elle le
soigne et s'inquiète comme si elle n'avait que celui-là et ne fait
plus attention aux autres. Jésus suit et cherche le pécheur perdu. -
Comment ? Le pécheur peut-il se cacher ? Celui qui sait
toutes choses serait-il incapable de le découvrir ? Le Sauveur
connaît parfaitement sa demeure, et ses sombres voies ne lui sont
point voilées. Il peut donc, de sa main toute-puissante, le saisir et
le ramener. - Sans doute. Mais, de cette manière, le coeur ne serait
point changé, et demeurerait cependant loin du Sauveur. Or, il faut
que ce coeur se donne librement.
C'est pourquoi Jésus nous suit silencieusement dans nos
misères et nous retire des épines de la colère de Dieu. Il lui en est
resté une branche sur la tête : C'est sa couronne d'épines.
Ah ! comme il a déchiré ses habits de berger ! Et
continuellement il nous cherche encore, nous appelant par sa Parole,
dans laquelle il nous montre son amour et le danger que nous courons
loin de lui. Pour nous attirer, il vient tantôt avec la douceur,
tantôt avec la douleur, et, de sa main puissante, force l'âme
irréfléchie de s'apaiser du moins extérieurement, afin qu'elle
parvienne aussi à le faire intérieurement.
Puis le Sauveur apporte celui qu'il a retrouvé.
Oh ! cet amour de Jésus, qui supporte tout et espère tout !
Sans lui, personne ne pourrait être sauvé.
Ou quelle est la femme qui,
ayant dix drachmes, si elle en perd une, n'allume une chandelle,
ne balaye la maison et ne cherche avec soin jusqu'à ce qu'elle ait
trouvé sa drachme, et qui, l'ayant trouvée, n'appelle ses amies et
ses voisines et ne leur dise : Réjouissez-vous avec moi, car
j'ai trouvé la drachme que j'avais perdue. Je vous dis qu'il y a,
de même de la joie devant les anges pour un seul pécheur qui
s'amende. Ici l'amour de Jésus est encore plus évident
que dans la précédente parabole, car une femme qui, n'ayant que dix drachmes,
en perd une, ne peut pas aussi facilement se consoler qu'un homme qui
ayant cent brebis n'en perd qu'une seule. En réalité, la patience du
berger cherchant sa brebis ne le cède eu rien au zèle de la femme
cherchant sa drachme. Le choix de l'image d'une femme, sous laquelle
le Sauveur représente son amour pour le pécheur, a sans doute été
motivé par le désir de communiquer à Son Église, la fiancée de
l'Agneau, le souffle de cet amour, afin qu'elle cherche, avec zèle la
drachme de son fiancé.
L'Église, en effet, étant l'assemblée de ceux qui ont été
trouvés, travaille dans l'amour de Jésus à amener à la maison ceux qui
sont encore perdus. Elle y travaille par la Parole de Dieu qu'elle
prêche, par la verge de la loi, par la lumière de l'Évangile ; et
lorsque la Parole attaque une conscience, alors la drachme fait
entendre un son. Que faut-il que je fasse pour être sauvée ? Ce
son pénètre jusque dans le ciel et excite des sentiments d'allégresse
parmi les anges de Dieu. Quelle affreuse différence ! Au ciel,
parmi les anges, une joie profonde pour chaque pécheur qui s'approche
avec repentance de Jésus, et sur la terre, parmi les pharisiens, des
murmures hostiles ! Si seulement les pharisiens avaient le
sentiment de cette différence. S'ils pouvaient encore en éprouver de
la confusion !
Cependant, que personne ne se comporte légèrement
relativement à la grâce du Sauveur ! Que nul ne dise :
Puisqu'il me cherche fidèlement, il me trouvera certainement. Il ne
trouve aucune âme qui ne le cherche pas. Le Sauveur qui cherche n'est
trouvé que par ceux qui le cherchent. C'est pourquoi, dans la parabole
de l'enfant prodigue, Jésus nous montre le coeur du pécheur, après
nous avoir montré le coeur de Dieu dans celles de la brebis et de la
drachme perdues.
Un homme avait deux fils, dont
le plus jeune dit à son père : Mon père, donne-moi la part de
bien qui me doit échoir. Ainsi le père leur partagea son bien.
C'est le premier pas vers sa perte, lorsque le coeur de l'homme désire
être indépendant de Dieu et vivre sans lui, lorsqu'il refuse de
l'écouter et veut être son propre maître. C'est là l'essence du
paganisme. On pourrait penser que le père, dans notre parabole,
suivant les principes d'une bonne éducation, aurait dû opposer un
refus à la demande de ce fils léger et amateur de
liberté, car il pouvait bien prévoir que ce malheureux jeune homme
gaspillerait son bien et se perdrait lui-même. Cette demande indigne
d'un fils méritait précisément une sévère punition.
En parlant ainsi, on oublie qu'il importait avant tout au
père que ses enfants lui fussent attachés, et que le coeur du plus
jeune s'était durement éloigné de lui. Si le père avait soumis son
fils à une sévère discipline et eût ainsi sauvé son bien, les
sentiments du jeune homme à l'égard de l'auteur de ses jours n'eussent
pas changé. Il fût resté froid, aigri, sombre comme auparavant ;
c'est pourquoi le père s'expose à un danger, ce que fait aussi le Père
qui est au ciel. Il sacrifie son bien, et même en apparence son fils,
mais il espère que peu à peu le coeur de ce fils redeviendra un coeur
d'enfant et ne restera pas endurci pour toujours.
C'est ainsi que Dieu permet à celui qui veut l'abandonner
de s'éloigner de lui. Même dans cette voie qui conduit l'homme loin de
lui, Dieu lui laisse une partie de ses biens. Et de fait, les hommes
étrangers à Dieu jouissent des biens de ce monde hors de la maison de
leur Père, tout autant et même parfois beaucoup plus que ceux qui y
sont restés. Toutefois, dans ces conditions, ces biens ne peuvent pas
les rendre heureux. Et à la fin l'enfant prodigue les dissipe et tombe
dans le dénûment. Que de biens donnés par le Père céleste sont ainsi
perdus loin de lui ! biens parmi lesquels ou peut citer la
naïveté de la foi, la confiance en Dieu, l'habitude de la prière,
l'attachement aux choses invisibles, auxquels il faut joindre la
pureté du coeur et de la vie, la paix inférieure, le bonheur
domestique, la bonne réputation, le bien-être en général. Quels riches
capitaux ont été engloutis de cette manière !
Le Père céleste sait tout cela d'avance, et cependant il
laisse ses enfants indociles marcher dans leurs propres voies,
espérant que le sentiment filial comprimé pour le moment, finira par
reprendre le dessus. Cet espoir du Père céleste éclaircit pour nous ce
que nous ne comprenons que difficilement : la raison pour
laquelle Dieu, malgré sa toute-puissance, laisse le péché se
développer sur la terre avec toutes ses suites corruptibles et
lamentables, et a permis que cette terre, qui devait être un jardin de
délices, soit devenue une vallée de misères et de
larmes, par suite du péché de l'homme. Il attend de pouvoir nous faire
grâce, et dans son ardent amour, il épie le moment où la jouissance
d'une existence passée loin de lui ayant été savourée jusqu'à la lie,
le coeur filial se réveillera dans l'enfant prodigue.
Et peu de temps après le plus
jeune fils, ayant tout amassé, s'en alla dans un pays éloigné et y
dissipa son bien en vivant dans la débauche. Loin de
Dieu, l'héritage paternel est bientôt dévoré. La convoitise de la
chair, la convoitise des yeux et l'orgueil de la vie rongent ce
patrimoine. Les divines maximes et les cantiques sacrés sont bientôt
oubliés. La réserve et la morale sont tournées en ridicule, et la
pudeur a disparu. Après qu'il eut tout
dépensé, il survint une grande famine dans ce pays-là, et il
commença à être dans l'indigence. Le coeur séparé de
Dieu ne peut être apaisé. Il recherche du repos et n'en trouve point.
Sans Dieu, il ne saurait goûter une complète satisfaction dans les
jouissances du monde. Dans la maison paternelle, l'enfant sait que,
dans la plus sombre nuit de l'affliction, même pendant les
déchaînements de la tempête et les éclats de la foudre, il est
« dans la retraite secrète du souverain et logé à l'ombre du
Tout-puissant. »
Mais lorsque, loin de Dieu, l'inexorable nécessité frappe
à sa porte ; lorsqu'il aurait besoin d'un bâton et d'une houlette
pour traverser la vallée de l'ombre de la mort, et qu'en même temps il
a perdu la foi au Dieu vivant dont il s'est moqué, alors c'est
l'indigence. Puis vient le messager de Dieu, la conscience, qui
rappelle les fautes passées. Les pensées s'accusent les unes les
autres et cherchent vainement à s'excuser. Et du fond de cet abîme,
s'élève une voix qui dit : Tes péchés sont trop grands pour
pouvoir être pardonnés, et la foi naïve au Sauveur qui les a portés en
son corps sur le bois, est depuis longtemps dissipée. Alors c'est
l'indigence. Privée de paix et dévorée d'angoisses, l'âme soupire
après le secours. Mais d'où peut-il venir ? Un profond abîme
creusé par ses péchés la sépare de la maison paternelle. Alors c'est
l'indigence.
Alors il s'en alla et se mit au
service d'un des habitants de ce pays-là, qui l'envoya dans ses
possessions pour garder les pourceaux. Et il eût bien voulu se
rassasier des carouges que les pourceaux mangeaient ;
mais personne ne lui en donnait. Les rêves des
jouissances à savourer dans la liberté ont disparu. Le coeur humain ne
saurait demeurer sans maître. Lorsqu'il s'est éloigné de Dieu, il
devient esclave du péché. On a secoué la douce et paternelle autorité
de Dieu, et l'on est tombé sous le joug pesant de la servitude
humaine.
Étant donc rentré en lui-même,
il dit : Combien y a-t-il de gens au service de mon père, qui
ont du pain en abondance, et moi je meurs de faim ! Je me
lèverai et je m'en irai vers mon père, et je lui dirai : Mon
père, j'ai péché contre le ciel et contre toi, et je ne suis plus
digne d'être appelé ton fils ; traite-moi comme l'un de tes
serviteurs. C'est le moment que le père attendait avec
un ardent espoir. Le coeur filial commence de nouveau à parler.
L'illusion de l'indépendance est dissipée. Les images trompeuses,
aperçues en rêve, se sont évanouies. Le jeune homme reprend ses sens.
« Celui qui agit selon la vérité vient à la lumière. » La
vérité ici, c'est qu'il est perdu, et il en accepte toute l'amertume.
Voilà pourquoi il vient à la lumière. Il se souvient qu'il a un père
qu'il a sans doute gravement offensé, mais qui ne peut avoir renié son
coeur de père. Maintenant la confession de sa faute lui est facile, et
l'humiliation naît d'elle-même.
« J'aime mieux me tenir à la porte dans la maison de
mon Dieu, que de demeurer dans les tentes des méchants » (Ps.
LXXXIV, 10). Lorsqu'on apprend à dire avec l'échanson de
Pharaon : « Je me souviens aujourd'hui de mes fautes »,
lorsqu'on a retiré du rayon le livre de cantiques, et la vieille Bible
couverte de poussière du coin où elle était enfouie, lorsqu'on se
remet à la lire en silence, les mains jointes, et que des larmes
coulent le long, des joues et tombent sur le saint livre, alors le
fils a retrouvé le coeur paternel, riche au delà de tout ce qu'on peut
demander et penser. Sans doute les résolutions ne sont pas encore des
actes, de même que les fleurs ne sont pas encore des fruits. Mais
l'enfant prodigue n'en resta pas aux vains projets. Il se leva et vint
vers son père.
Et comme il était encore loin,
son père le vit et fût touché de compassion, et courant au-devant
de lui, il se jeta à son cou et le baisa. Et le fils lui
dit : Mon père, j'ai péché contre le ciel et contre loi et je
ne suis plus digne d'être appelé ton fils. Celui qui
nous permet de jeter un regard si profond dans le
coeur du Père céleste, c'est le Fils du Père éternel. C'est pourquoi
nous sentons si distinctement dans ces paroles le coeur du Dieu
d'amour.
Mais le père dit aux
serviteurs : Apportez la plus belle robe et l'en revêtez, et
mettez-lui des souliers aux pieds et un anneau ou doigt et amenez
le veau gras et le tuez ; mangeons et réjouissons-nous, parce
que mon fils que voici était mort et il est revenu à la vie ;
il était perdu et il est retrouvé. Et ils commencèrent à se
réjouir. Quel autre que le Fils unique eût pu nous
montrer aussi fidèlement le coeur du Père céleste, son ardent désir de
recevoir ses fils perdus, son débordant amour, son magnanime oubli de
leurs fautes, sa joie d'avoir retrouvé ses enfants, joie que rien ne
peut plus troubler ?
Ils sont là devant lui, ces enfants prodigues retrouvés.
Et les pharisiens estiment qu'il devrait avoir honte de frayer avec de
telles gens ! Mais le Sauveur tressaille de joie, et il est si
heureux en voyant ces enfants perdus revenus dans la maison
paternelle, qu'il voudrait se jeter à leur cou et les baiser.
Les pharisiens ne voient que la vie passée de ces péagers
et de ces gens de mauvaise vie, et ils n'ont aucune idée du motif qui
remplit d'une telle joie le coeur du Sauveur. Aussi va-t-il leur
présenter le fils aîné comme un miroir : peut-être s'y
reconnaîtront-ils eux-mêmes. Il revenait des champs. Ayant entendu le
bruit des chants et des danses, il apprit d'un serviteur ce qui était
arrivé.
Alors il se mit en colère et refusa de prendre part à la
joie de son frère. Son père sortit et le pria d'entrer ; mais il
se plaignit de ce qu'après l'avoir servi pendant tant d'années sans
avoir jamais contrevenu à son commandement, il n'ait pas même reçu de
lui un chevreau pour se réjouir avec ses amis. Mais le père lui
dit : Mon fils, tu es toujours avec moi
et tout ce que j'ai est à toi. Mais ne fallait-il pas bien faire
un festin et se réjouir, parce que ton frère que voilà était mort
et qu'il est revenu à la vie, il était perdu et il est
retrouvé ?
Le fils aîné était toujours demeuré extérieurement avec
son père, mais il n'avait pas un coeur filial. C'est pourquoi son
obéissance ne lui avait procuré aucune joie, et il n'avait recueilli
de son service que des peines, quoique tous les biens de son père lui
appartinssent. De même en ce moment, il n'a aucun
amour pour son père, bien que celui-ci l'invite et l'engage si
cordialement à prendre part à ce festin. C'est aussi de celle manière
que les pharisiens restent dehors en murmurant, bien que le Sauveur,
qui reçoit d'une main les péagers et les gens de mauvaise vie, leur
tende cordialement l'autre main.
Mais on ne saurait méconnaître qu'en proposant cette
parabole, le Sauveur n'ait eu une arrière-pensée. On reconnaît
aisément, dans le plus jeune des fils, les Samaritains et les païens
qui ont été amenés à la maison spirituelle du Père, taudis que le fils
aîné représente les Juifs, qui ont toujours été dans la maison
paternelle, mais qui n'avaient pas des coeurs d'enfants. Évidemment
cette parabole devait être pour les disciples un indice que plus tard
ils eussent à recevoir cordialement le monde païen dans l'Église
chrétienne.
Dans cette parabole, Jésus montre quel usage on doit faire des biens
de la terre pour les employer conformément aux intentions de Dieu. Cet
enseignement s'adresse particulièrement aux disciples. Un
homme riche avait un économe qui fut accusé devant lui de dissiper
son bien. C'est aussi une espèce d'enfant prodigue, qui
se figurait être son propre maître et oubliait qu'il n'était pas le
propriétaire, mais seulement l'administrateur des biens qui étaient
entre ses mains.
Combien les chrétiens oublient facilement qu'ils ne sont
que les administrateurs des biens que Dieu leur a confiés, afin qu'ils
en fassent un usage conforme à sa volonté ! Nous prétendons être
les propriétaires de nos biens, et au point de vue humain nous avons
raison, puisque nul n'a le droit d'y prétendre ; mais, devant
Dieu, nous ne sommes pas des propriétaires, qui peuvent disposer de
leur avoir comme bon leur semble ; nous sommes des économes
chargés d'administrer ces biens seulement pour quelque temps, et qui
doivent ensuite les restituer. Quiconque en use selon son bon plaisir,
pour son propre profit, dans le seul intérêt, de son bien-être, et non
selon la volonté de Dieu, est un économe infidèle.
C'est un des traits fondamentaux de l'esprit qui règne
aujourd'hui, de ne parler que des droits qu'on a sur les biens dont on
jouit, et de passer sous silence les devoirs que Dieu impose par le
don de ces biens. On regarde seulement à ce qu'on possède et l'on est
froid, indifférent en face des misères et des souffrances des autres.
On proclame, avec une assurance qui touche à l'effronterie, que
l'égoïsme doit être le régulateur des rapports des hommes entre eux.
On dissipe sans le moindre scrupule de grandes richesses, et l'on se
vante de celle conduite en disant : « J'ai les moyens de
m'accorder cela. » Vivre et laisser vivre, telle est la maxime de
l'économe infidèle.
Et l'ayant fait venir, il lui
dit : qu'est-ce que j'entends dire de toi ? Rends compte
de ton administration ; car tu ne pourras plus désormais
administrer mon bien. Dieu nous somme aussi de rendre
compte, lorsqu'il nous rappelle à lui et nous fait comparaître en
jugement. Alors nous aurons à rendre compte, non seulement de chaque
parole inutile que nous aurons prononcée, mais aussi de chaque pièce
de monnaie que nous aurons dépensée contrairement à la volonté de
Dieu. Or, s'il est tellement important d'employer les biens qu'on a
reçus de Dieu d'une manière conforme à ses intentions, il faut que
chacun pense sérieusement à l'heure où il devra rendre compte.
Alors cet économe dit en
lui-même : que ferai-je, puisque mon maître m'ôte
l'administration de son bien ? Je ne saurais travailler la
terre et j'aurais honte de mendier. Je sais ce que je ferai, afin
que, quand on m'aura ôté mon administration, il y ait des gens qui
me reçoivent dans leur maison. Cet homme ne songe ni à
confesser sa faute ni à s'excuser. Et la fraude dont il a usé envers
son maître ne lui cause aucune espèce de souci. Que ferai-je lorsque
j'aurai perdu mon emploi : voilà sa seule inquiétude. Travailler
à la sueur de son front, serait assurément un honorable moyen de
gagner sa vie ; mais cela ne lui convient pas : ce pain
serait trop amer. Mendier serait honteux et probablement insuffisant.
Il a une heureuse idée. Il emploiera le temps qui lui reste, à faire
une brèche encore plus grande dans la fortune de
son maître. De quelle manière ? Il n'est pas embarrassé. Il fait
venir tous les débiteurs de son maître, rend à chacun d'eux son
billet, le lui fait changer en réduisant considérablement sa dette, de
manière que ce débiteur soit son obligé. À l'un, il remet cinquante
mesures d'huile, à un autre vingt mesures de froment, et à tous les
autres en proportion.
Et le maître loua cet économe
infidèle de ce qu'il avait agi prudemment. Quel maître
loue ainsi cet administrateur ! Ce n'est assurément pas
Jésus ; c'est le maître de l'économe infidèle ; et il le
loue non d'avoir été infidèle, mais d'avoir agi prudemment. C'est
comme s'il avait dit : Bon ! Je me suis encore laissé duper
au dernier moment par ce rusé compère ! Il faut comprendre cette
louange comme si un maître qui chasse son domestique parce qu'il l'a
volé, écrivait dans son certificat : Si ce domestique déploie
autant, de zèle et d'habileté à servir ses nouveaux maîtres qu'il en a
déployé chez moi dans son propre intérêt, ce sera son domestique. hors
ligne.
Le Seigneur Jésus ajoute à cette histoire l'observation
suivante : Les enfants de ce siècle
sont plus prudents dans leur génération que les enfants de lumière.
Les enfants de ce siècle sont extrêmement prudents, circonspects,
zélés à leur manière dans leurs affaires matérielles, et dans la
poursuite de leurs entreprises terrestres en vue d'acquérir des biens
de ce monde ; tandis que dans leurs affaires célestes, en vue
d'acquérir les biens éternels, les croyants sont loin de montrer
autant de prudence, de zèle circonspect.
Et moi je vous dis aussi :
Faites-vous des amis avec les richesses injustes, afin que, quand
elles viendront à vous manquer, ils vous reçoivent dans les
tabernacles éternels. Le Seigneur appelle injustes non
seulement les richesses acquises injustement, mais toute espèce de
richesse. Et nous partagerons sa manière de voir, si nous nous
représentons toutes les mauvaises dispositions que Mammon fait naître
dans les hommes : la dureté de l'avare, l'orgueil du riche,
l'envie du pauvre, les parjures, les assassinats, la passion du jeu,
les suicides.
Il faut que nous usions des biens terrestres de manière à
pouvoir en remporter une bénédiction dans l'éternité, lorsqu'ils nous
seront ôtés, c'est-à-dire, lorsque nous serons
obligés de les abandonner. Cela nous arrivera si nous imitons
l'économe infidèle, c'est-à-dire si nous usons des biens dont notre
Maître nous a confié l'administration de manière à nous faire des amis
qui nous reçoivent dans les tabernacles éternels ; si au lieu de
prétendre que ces biens nous appartiennent, nous les offrons à Christ
et à ses membres, si nous lui donnons à manger, à boire, si nous le
vêtons et prenons soin de lui dans la personne de ceux qui croient en
lui.
Lorsque nous entrerons dans l'éternité, et que les
croyants seront devenus, comme membres du corps de Christ, les juges
du monde (I
Cor. VI, 2), alors le Seigneur dira à ceux qui auront fait du
bien aux siens : « Possédez en héritage le royaume des
cieux, car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger, j'ai eu soif et
vous m'avez donné à boire, j'étais étranger et vous m'avez recueilli,
j'étais nu et vous m'avez vêtu. En considération de ceux dont, au
moyen de l'injuste Mammon, nous nous serons fait des amis, Christ nous
recevra dans les tabernacles éternels. »
Quesnel donne aux membres pauvres du corps de
Christ le beau titre d'héritiers présomptifs du ciel, qui se trouvent
dans l'indigence. Heureux ceux qui s'en font des amis ! »
À coup sûr, le Sauveur ne veut pas dire que nous
méritions l'entrée aux tabernacles éternels par nos oeuvres de
charité. Nous ne sommes sauvés que par la libre grâce de Dieu en
Christ, mais si la foi est de bon aloi, elle porte nécessairement les
fruits d'un amour reconnaissant. Si nous demandons comment nous avons
servi Jésus par nos oeuvres de charité, il nous renvoie à ses membres
et nous dit : « Tout ce que vous avez fait au plus petit
d'entre mes frères, vous me l'avez fait à moi-même. » Sans doute
ces oeuvres ne nous méritent pas le ciel, mais elles témoignent de
notre foi au moyen de laquelle nous nous sommes approprié la libre
grâce de Dieu. Le Sauveur n'avait pas à craindre d'être mal compris,
puisqu'il parlait à ses disciples, aux enfants de lumière, qui avaient
déjà été éclairés par le don du salut. Il leur manquait seulement
d'être bien instruits dans l'usage des biens temporels.
Le missionnaire Chapman se rendit un jour auprès du lit
d'un nègre moribond, pour lui parler des choses de Dieu. Remarquant que
le mourant était extrêmement joyeux, il lui demanda s'il espérait
guérir. « Oh ! non, répondit le nègre ; je vais vers Jésus et je me
réjouis de le voir. Lorsque j'arriverai au ciel, j'ira! vers lui et je
lui baiserai les mains et les pieds en reconnaissance de ce qu'il est
mort aussi pour moi sur la croix et m'a sauvé. Ensuite je reviendrai
et je m'assiérai à la porte du ciel et je l'attendrai. Et quand tu
arriveras, je te prendrai par la main, je te conduirai à lui et je lui
dirai : Cher Sauveur, voilà l'homme qui m'a amené à toi, reçois-le,
sauve-le. » C'est probablement ainsi que Jésus veut que nous
comprenions notre réception dans les tabernacles éternels.
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