Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE II

suite

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81. Jésus l'ami des pécheurs.

(Luc XV.)


Comme les abeilles se réunissent sur le tilleul en fleur, de même les pécheurs altérés de salut s'approchent du Sauveur. Tous les péagers et les gens de mauvaise vie s'approchaient de lui pour l'entendre. Mais les pharisiens et les docteurs de la loi, qui prétendaient n'être point pécheurs, et qui estimaient être souillés par le contact de ces gens méprisables, murmuraient et disaient : Cet homme reçoit les gens de mauvaise vie et mange avec eux. Ils lui reprochent de témoigner trop d'égards aux pécheurs et de s'abaisser lui-même par son commerce intime avec eux. Au surplus, ils murmurent et se moquent de tous ceux qui ont trouvé en Jésus leur Sauveur, et qui adorent son amour pour les plus indignes.

On ne peut cependant reprocher au soleil de luire. C'est ce que les pharisiens doivent apprendre des trois paraboles qui suivent : de la parabole de la brebis égarée, de celle de la drachme perdue et de celle de l'enfant prodigue. Toutes les trois parlent du salut des pécheurs par la miséricorde de Dieu. Les deux premières nous montrent l'amour de Dieu suivant et cherchant le pécheur ; la troisième nous apprend comment le pécheur repentant prend et exécute la résolution de revenir à Dieu.

La parabole de la brebis égarée dépeint le pécheur qui peu à peu s'est éloigné de Dieu et qui éprouve, dans cet éloignement, un vif sentiment de sa misère et un ardent désir de salut. Celle de la drachme perdue, au contraire, met sous nos yeux la condition d'une âme perdue par la faute des autres, et qui sans avoir aucune conscience de son état, vit insensible en suivant son sens charnel.

Quel est l'homme d'entre vous qui, ayant cent brebis, s'il en perd une, ne laisse les quatre-vingt-dix-neuf au désert et n'aille après celle qui est perdue, jusqu'à ce qu'il l'ait retrouvée et qui, l'ayant trouvée ne la prenne sur ses épaules avec joie et étant arrivé dans la maison n'appelle ses amis et ses voisins et ne leur dise : Réjouissez-vous avec moi, car j'ai retrouvé ma brebis qui était perdue. Je vous dis qu'il y aura de même plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui s'amende que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de repentance. La brebis ne s'est pas éloignée du bon Berger par méchanceté. Elle a brouté ici une branche verte, là un brin d'herbe, à un autre endroit un épi de blé et, sans le savoir, elle s'est trouvée tout à coup loin du berger.

C'est ainsi qu'Adam se perdit en cueillant le fruit défendu, et c'est ce qui arrive aujourd'hui à la plupart de ceux qui se perdent. Qu'est-ce qui les éloigne de Dieu et les prive de sa communion ? Pour la plupart, ce n'est pas la perspective de quelque situation brillante, mais un gazon desséché, la fleur flétrie de l'herbe des champs. Le plus grand nombre des brebis sont ainsi éloignées de Dieu parce que, ayant été baptisées dans la mort de Christ, elles n'ont pas été nourries intérieurement de la parole de Dieu et de la prière. Une fois égarée, la brebis ne retrouve plus son chemin. Privée d'armes naturelles pour se défendre contre les animaux féroces, elle erre ça et là pleine d'angoisses. « Nous avons tous été errants comme des brebis. »

Heureusement pour nous, le coeur du Berger bat pour les pauvres âmes égarées. Il laisse là les quatre-vingt-dix-neuf qui ne sentent pas le besoin de repentance, et cherche celle qui est perdue. C'est ainsi que la mère surveille son enfant malade ; elle le soigne et s'inquiète comme si elle n'avait que celui-là et ne fait plus attention aux autres. Jésus suit et cherche le pécheur perdu. - Comment ? Le pécheur peut-il se cacher ? Celui qui sait toutes choses serait-il incapable de le découvrir ? Le Sauveur connaît parfaitement sa demeure, et ses sombres voies ne lui sont point voilées. Il peut donc, de sa main toute-puissante, le saisir et le ramener. - Sans doute. Mais, de cette manière, le coeur ne serait point changé, et demeurerait cependant loin du Sauveur. Or, il faut que ce coeur se donne librement.

C'est pourquoi Jésus nous suit silencieusement dans nos misères et nous retire des épines de la colère de Dieu. Il lui en est resté une branche sur la tête : C'est sa couronne d'épines. Ah ! comme il a déchiré ses habits de berger ! Et continuellement il nous cherche encore, nous appelant par sa Parole, dans laquelle il nous montre son amour et le danger que nous courons loin de lui. Pour nous attirer, il vient tantôt avec la douceur, tantôt avec la douleur, et, de sa main puissante, force l'âme irréfléchie de s'apaiser du moins extérieurement, afin qu'elle parvienne aussi à le faire intérieurement.

Puis le Sauveur apporte celui qu'il a retrouvé. Oh ! cet amour de Jésus, qui supporte tout et espère tout ! Sans lui, personne ne pourrait être sauvé.

Ou quelle est la femme qui, ayant dix drachmes, si elle en perd une, n'allume une chandelle, ne balaye la maison et ne cherche avec soin jusqu'à ce qu'elle ait trouvé sa drachme, et qui, l'ayant trouvée, n'appelle ses amies et ses voisines et ne leur dise : Réjouissez-vous avec moi, car j'ai trouvé la drachme que j'avais perdue. Je vous dis qu'il y a, de même de la joie devant les anges pour un seul pécheur qui s'amende. Ici l'amour de Jésus est encore plus évident que dans la précédente parabole, car une femme qui, n'ayant que dix drachmes, en perd une, ne peut pas aussi facilement se consoler qu'un homme qui ayant cent brebis n'en perd qu'une seule. En réalité, la patience du berger cherchant sa brebis ne le cède eu rien au zèle de la femme cherchant sa drachme. Le choix de l'image d'une femme, sous laquelle le Sauveur représente son amour pour le pécheur, a sans doute été motivé par le désir de communiquer à Son Église, la fiancée de l'Agneau, le souffle de cet amour, afin qu'elle cherche, avec zèle la drachme de son fiancé.

L'Église, en effet, étant l'assemblée de ceux qui ont été trouvés, travaille dans l'amour de Jésus à amener à la maison ceux qui sont encore perdus. Elle y travaille par la Parole de Dieu qu'elle prêche, par la verge de la loi, par la lumière de l'Évangile ; et lorsque la Parole attaque une conscience, alors la drachme fait entendre un son. Que faut-il que je fasse pour être sauvée ? Ce son pénètre jusque dans le ciel et excite des sentiments d'allégresse parmi les anges de Dieu. Quelle affreuse différence ! Au ciel, parmi les anges, une joie profonde pour chaque pécheur qui s'approche avec repentance de Jésus, et sur la terre, parmi les pharisiens, des murmures hostiles ! Si seulement les pharisiens avaient le sentiment de cette différence. S'ils pouvaient encore en éprouver de la confusion !

Cependant, que personne ne se comporte légèrement relativement à la grâce du Sauveur ! Que nul ne dise : Puisqu'il me cherche fidèlement, il me trouvera certainement. Il ne trouve aucune âme qui ne le cherche pas. Le Sauveur qui cherche n'est trouvé que par ceux qui le cherchent. C'est pourquoi, dans la parabole de l'enfant prodigue, Jésus nous montre le coeur du pécheur, après nous avoir montré le coeur de Dieu dans celles de la brebis et de la drachme perdues.

Un homme avait deux fils, dont le plus jeune dit à son père : Mon père, donne-moi la part de bien qui me doit échoir. Ainsi le père leur partagea son bien. C'est le premier pas vers sa perte, lorsque le coeur de l'homme désire être indépendant de Dieu et vivre sans lui, lorsqu'il refuse de l'écouter et veut être son propre maître. C'est là l'essence du paganisme. On pourrait penser que le père, dans notre parabole, suivant les principes d'une bonne éducation, aurait dû opposer un refus à la demande de ce fils léger et amateur de liberté, car il pouvait bien prévoir que ce malheureux jeune homme gaspillerait son bien et se perdrait lui-même. Cette demande indigne d'un fils méritait précisément une sévère punition.

En parlant ainsi, on oublie qu'il importait avant tout au père que ses enfants lui fussent attachés, et que le coeur du plus jeune s'était durement éloigné de lui. Si le père avait soumis son fils à une sévère discipline et eût ainsi sauvé son bien, les sentiments du jeune homme à l'égard de l'auteur de ses jours n'eussent pas changé. Il fût resté froid, aigri, sombre comme auparavant ; c'est pourquoi le père s'expose à un danger, ce que fait aussi le Père qui est au ciel. Il sacrifie son bien, et même en apparence son fils, mais il espère que peu à peu le coeur de ce fils redeviendra un coeur d'enfant et ne restera pas endurci pour toujours.

C'est ainsi que Dieu permet à celui qui veut l'abandonner de s'éloigner de lui. Même dans cette voie qui conduit l'homme loin de lui, Dieu lui laisse une partie de ses biens. Et de fait, les hommes étrangers à Dieu jouissent des biens de ce monde hors de la maison de leur Père, tout autant et même parfois beaucoup plus que ceux qui y sont restés. Toutefois, dans ces conditions, ces biens ne peuvent pas les rendre heureux. Et à la fin l'enfant prodigue les dissipe et tombe dans le dénûment. Que de biens donnés par le Père céleste sont ainsi perdus loin de lui ! biens parmi lesquels ou peut citer la naïveté de la foi, la confiance en Dieu, l'habitude de la prière, l'attachement aux choses invisibles, auxquels il faut joindre la pureté du coeur et de la vie, la paix inférieure, le bonheur domestique, la bonne réputation, le bien-être en général. Quels riches capitaux ont été engloutis de cette manière !

Le Père céleste sait tout cela d'avance, et cependant il laisse ses enfants indociles marcher dans leurs propres voies, espérant que le sentiment filial comprimé pour le moment, finira par reprendre le dessus. Cet espoir du Père céleste éclaircit pour nous ce que nous ne comprenons que difficilement : la raison pour laquelle Dieu, malgré sa toute-puissance, laisse le péché se développer sur la terre avec toutes ses suites corruptibles et lamentables, et a permis que cette terre, qui devait être un jardin de délices, soit devenue une vallée de misères et de larmes, par suite du péché de l'homme. Il attend de pouvoir nous faire grâce, et dans son ardent amour, il épie le moment où la jouissance d'une existence passée loin de lui ayant été savourée jusqu'à la lie, le coeur filial se réveillera dans l'enfant prodigue.

Et peu de temps après le plus jeune fils, ayant tout amassé, s'en alla dans un pays éloigné et y dissipa son bien en vivant dans la débauche. Loin de Dieu, l'héritage paternel est bientôt dévoré. La convoitise de la chair, la convoitise des yeux et l'orgueil de la vie rongent ce patrimoine. Les divines maximes et les cantiques sacrés sont bientôt oubliés. La réserve et la morale sont tournées en ridicule, et la pudeur a disparu. Après qu'il eut tout dépensé, il survint une grande famine dans ce pays-là, et il commença à être dans l'indigence. Le coeur séparé de Dieu ne peut être apaisé. Il recherche du repos et n'en trouve point. Sans Dieu, il ne saurait goûter une complète satisfaction dans les jouissances du monde. Dans la maison paternelle, l'enfant sait que, dans la plus sombre nuit de l'affliction, même pendant les déchaînements de la tempête et les éclats de la foudre, il est « dans la retraite secrète du souverain et logé à l'ombre du Tout-puissant. »

Mais lorsque, loin de Dieu, l'inexorable nécessité frappe à sa porte ; lorsqu'il aurait besoin d'un bâton et d'une houlette pour traverser la vallée de l'ombre de la mort, et qu'en même temps il a perdu la foi au Dieu vivant dont il s'est moqué, alors c'est l'indigence. Puis vient le messager de Dieu, la conscience, qui rappelle les fautes passées. Les pensées s'accusent les unes les autres et cherchent vainement à s'excuser. Et du fond de cet abîme, s'élève une voix qui dit : Tes péchés sont trop grands pour pouvoir être pardonnés, et la foi naïve au Sauveur qui les a portés en son corps sur le bois, est depuis longtemps dissipée. Alors c'est l'indigence. Privée de paix et dévorée d'angoisses, l'âme soupire après le secours. Mais d'où peut-il venir ? Un profond abîme creusé par ses péchés la sépare de la maison paternelle. Alors c'est l'indigence.

Alors il s'en alla et se mit au service d'un des habitants de ce pays-là, qui l'envoya dans ses possessions pour garder les pourceaux. Et il eût bien voulu se rassasier des carouges que les pourceaux mangeaient ; mais personne ne lui en donnait. Les rêves des jouissances à savourer dans la liberté ont disparu. Le coeur humain ne saurait demeurer sans maître. Lorsqu'il s'est éloigné de Dieu, il devient esclave du péché. On a secoué la douce et paternelle autorité de Dieu, et l'on est tombé sous le joug pesant de la servitude humaine.

Étant donc rentré en lui-même, il dit : Combien y a-t-il de gens au service de mon père, qui ont du pain en abondance, et moi je meurs de faim ! Je me lèverai et je m'en irai vers mon père, et je lui dirai : Mon père, j'ai péché contre le ciel et contre toi, et je ne suis plus digne d'être appelé ton fils ; traite-moi comme l'un de tes serviteurs. C'est le moment que le père attendait avec un ardent espoir. Le coeur filial commence de nouveau à parler. L'illusion de l'indépendance est dissipée. Les images trompeuses, aperçues en rêve, se sont évanouies. Le jeune homme reprend ses sens. « Celui qui agit selon la vérité vient à la lumière. » La vérité ici, c'est qu'il est perdu, et il en accepte toute l'amertume. Voilà pourquoi il vient à la lumière. Il se souvient qu'il a un père qu'il a sans doute gravement offensé, mais qui ne peut avoir renié son coeur de père. Maintenant la confession de sa faute lui est facile, et l'humiliation naît d'elle-même.

« J'aime mieux me tenir à la porte dans la maison de mon Dieu, que de demeurer dans les tentes des méchants » (Ps. LXXXIV, 10). Lorsqu'on apprend à dire avec l'échanson de Pharaon : « Je me souviens aujourd'hui de mes fautes », lorsqu'on a retiré du rayon le livre de cantiques, et la vieille Bible couverte de poussière du coin où elle était enfouie, lorsqu'on se remet à la lire en silence, les mains jointes, et que des larmes coulent le long, des joues et tombent sur le saint livre, alors le fils a retrouvé le coeur paternel, riche au delà de tout ce qu'on peut demander et penser. Sans doute les résolutions ne sont pas encore des actes, de même que les fleurs ne sont pas encore des fruits. Mais l'enfant prodigue n'en resta pas aux vains projets. Il se leva et vint vers son père.

Et comme il était encore loin, son père le vit et fût touché de compassion, et courant au-devant de lui, il se jeta à son cou et le baisa. Et le fils lui dit : Mon père, j'ai péché contre le ciel et contre loi et je ne suis plus digne d'être appelé ton fils. Celui qui nous permet de jeter un regard si profond dans le coeur du Père céleste, c'est le Fils du Père éternel. C'est pourquoi nous sentons si distinctement dans ces paroles le coeur du Dieu d'amour.

Mais le père dit aux serviteurs : Apportez la plus belle robe et l'en revêtez, et mettez-lui des souliers aux pieds et un anneau ou doigt et amenez le veau gras et le tuez ; mangeons et réjouissons-nous, parce que mon fils que voici était mort et il est revenu à la vie ; il était perdu et il est retrouvé. Et ils commencèrent à se réjouir. Quel autre que le Fils unique eût pu nous montrer aussi fidèlement le coeur du Père céleste, son ardent désir de recevoir ses fils perdus, son débordant amour, son magnanime oubli de leurs fautes, sa joie d'avoir retrouvé ses enfants, joie que rien ne peut plus troubler ?
Ils sont là devant lui, ces enfants prodigues retrouvés. Et les pharisiens estiment qu'il devrait avoir honte de frayer avec de telles gens ! Mais le Sauveur tressaille de joie, et il est si heureux en voyant ces enfants perdus revenus dans la maison paternelle, qu'il voudrait se jeter à leur cou et les baiser.

Les pharisiens ne voient que la vie passée de ces péagers et de ces gens de mauvaise vie, et ils n'ont aucune idée du motif qui remplit d'une telle joie le coeur du Sauveur. Aussi va-t-il leur présenter le fils aîné comme un miroir : peut-être s'y reconnaîtront-ils eux-mêmes. Il revenait des champs. Ayant entendu le bruit des chants et des danses, il apprit d'un serviteur ce qui était arrivé.
Alors il se mit en colère et refusa de prendre part à la joie de son frère. Son père sortit et le pria d'entrer ; mais il se plaignit de ce qu'après l'avoir servi pendant tant d'années sans avoir jamais contrevenu à son commandement, il n'ait pas même reçu de lui un chevreau pour se réjouir avec ses amis. Mais le père lui dit : Mon fils, tu es toujours avec moi et tout ce que j'ai est à toi. Mais ne fallait-il pas bien faire un festin et se réjouir, parce que ton frère que voilà était mort et qu'il est revenu à la vie, il était perdu et il est retrouvé ?

Le fils aîné était toujours demeuré extérieurement avec son père, mais il n'avait pas un coeur filial. C'est pourquoi son obéissance ne lui avait procuré aucune joie, et il n'avait recueilli de son service que des peines, quoique tous les biens de son père lui appartinssent. De même en ce moment, il n'a aucun amour pour son père, bien que celui-ci l'invite et l'engage si cordialement à prendre part à ce festin. C'est aussi de celle manière que les pharisiens restent dehors en murmurant, bien que le Sauveur, qui reçoit d'une main les péagers et les gens de mauvaise vie, leur tende cordialement l'autre main.

Mais on ne saurait méconnaître qu'en proposant cette parabole, le Sauveur n'ait eu une arrière-pensée. On reconnaît aisément, dans le plus jeune des fils, les Samaritains et les païens qui ont été amenés à la maison spirituelle du Père, taudis que le fils aîné représente les Juifs, qui ont toujours été dans la maison paternelle, mais qui n'avaient pas des coeurs d'enfants. Évidemment cette parabole devait être pour les disciples un indice que plus tard ils eussent à recevoir cordialement le monde païen dans l'Église chrétienne.



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82. L'économe infidèle.

(Luc XVI, 1-12.)

 

Dans cette parabole, Jésus montre quel usage on doit faire des biens de la terre pour les employer conformément aux intentions de Dieu. Cet enseignement s'adresse particulièrement aux disciples. Un homme riche avait un économe qui fut accusé devant lui de dissiper son bien. C'est aussi une espèce d'enfant prodigue, qui se figurait être son propre maître et oubliait qu'il n'était pas le propriétaire, mais seulement l'administrateur des biens qui étaient entre ses mains.

Combien les chrétiens oublient facilement qu'ils ne sont que les administrateurs des biens que Dieu leur a confiés, afin qu'ils en fassent un usage conforme à sa volonté ! Nous prétendons être les propriétaires de nos biens, et au point de vue humain nous avons raison, puisque nul n'a le droit d'y prétendre ; mais, devant Dieu, nous ne sommes pas des propriétaires, qui peuvent disposer de leur avoir comme bon leur semble ; nous sommes des économes chargés d'administrer ces biens seulement pour quelque temps, et qui doivent ensuite les restituer. Quiconque en use selon son bon plaisir, pour son propre profit, dans le seul intérêt, de son bien-être, et non selon la volonté de Dieu, est un économe infidèle.

C'est un des traits fondamentaux de l'esprit qui règne aujourd'hui, de ne parler que des droits qu'on a sur les biens dont on jouit, et de passer sous silence les devoirs que Dieu impose par le don de ces biens. On regarde seulement à ce qu'on possède et l'on est froid, indifférent en face des misères et des souffrances des autres. On proclame, avec une assurance qui touche à l'effronterie, que l'égoïsme doit être le régulateur des rapports des hommes entre eux. On dissipe sans le moindre scrupule de grandes richesses, et l'on se vante de celle conduite en disant : « J'ai les moyens de m'accorder cela. » Vivre et laisser vivre, telle est la maxime de l'économe infidèle.

Et l'ayant fait venir, il lui dit : qu'est-ce que j'entends dire de toi ? Rends compte de ton administration ; car tu ne pourras plus désormais administrer mon bien. Dieu nous somme aussi de rendre compte, lorsqu'il nous rappelle à lui et nous fait comparaître en jugement. Alors nous aurons à rendre compte, non seulement de chaque parole inutile que nous aurons prononcée, mais aussi de chaque pièce de monnaie que nous aurons dépensée contrairement à la volonté de Dieu. Or, s'il est tellement important d'employer les biens qu'on a reçus de Dieu d'une manière conforme à ses intentions, il faut que chacun pense sérieusement à l'heure où il devra rendre compte.

Alors cet économe dit en lui-même : que ferai-je, puisque mon maître m'ôte l'administration de son bien ? Je ne saurais travailler la terre et j'aurais honte de mendier. Je sais ce que je ferai, afin que, quand on m'aura ôté mon administration, il y ait des gens qui me reçoivent dans leur maison. Cet homme ne songe ni à confesser sa faute ni à s'excuser. Et la fraude dont il a usé envers son maître ne lui cause aucune espèce de souci. Que ferai-je lorsque j'aurai perdu mon emploi : voilà sa seule inquiétude. Travailler à la sueur de son front, serait assurément un honorable moyen de gagner sa vie ; mais cela ne lui convient pas : ce pain serait trop amer. Mendier serait honteux et probablement insuffisant. Il a une heureuse idée. Il emploiera le temps qui lui reste, à faire une brèche encore plus grande dans la fortune de son maître. De quelle manière ? Il n'est pas embarrassé. Il fait venir tous les débiteurs de son maître, rend à chacun d'eux son billet, le lui fait changer en réduisant considérablement sa dette, de manière que ce débiteur soit son obligé. À l'un, il remet cinquante mesures d'huile, à un autre vingt mesures de froment, et à tous les autres en proportion.

Et le maître loua cet économe infidèle de ce qu'il avait agi prudemment. Quel maître loue ainsi cet administrateur ! Ce n'est assurément pas Jésus ; c'est le maître de l'économe infidèle ; et il le loue non d'avoir été infidèle, mais d'avoir agi prudemment. C'est comme s'il avait dit : Bon ! Je me suis encore laissé duper au dernier moment par ce rusé compère ! Il faut comprendre cette louange comme si un maître qui chasse son domestique parce qu'il l'a volé, écrivait dans son certificat : Si ce domestique déploie autant, de zèle et d'habileté à servir ses nouveaux maîtres qu'il en a déployé chez moi dans son propre intérêt, ce sera son domestique. hors ligne.

Le Seigneur Jésus ajoute à cette histoire l'observation suivante : Les enfants de ce siècle sont plus prudents dans leur génération que les enfants de lumière. Les enfants de ce siècle sont extrêmement prudents, circonspects, zélés à leur manière dans leurs affaires matérielles, et dans la poursuite de leurs entreprises terrestres en vue d'acquérir des biens de ce monde ; tandis que dans leurs affaires célestes, en vue d'acquérir les biens éternels, les croyants sont loin de montrer autant de prudence, de zèle circonspect.

Et moi je vous dis aussi : Faites-vous des amis avec les richesses injustes, afin que, quand elles viendront à vous manquer, ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels. Le Seigneur appelle injustes non seulement les richesses acquises injustement, mais toute espèce de richesse. Et nous partagerons sa manière de voir, si nous nous représentons toutes les mauvaises dispositions que Mammon fait naître dans les hommes : la dureté de l'avare, l'orgueil du riche, l'envie du pauvre, les parjures, les assassinats, la passion du jeu, les suicides.

Il faut que nous usions des biens terrestres de manière à pouvoir en remporter une bénédiction dans l'éternité, lorsqu'ils nous seront ôtés, c'est-à-dire, lorsque nous serons obligés de les abandonner. Cela nous arrivera si nous imitons l'économe infidèle, c'est-à-dire si nous usons des biens dont notre Maître nous a confié l'administration de manière à nous faire des amis qui nous reçoivent dans les tabernacles éternels ; si au lieu de prétendre que ces biens nous appartiennent, nous les offrons à Christ et à ses membres, si nous lui donnons à manger, à boire, si nous le vêtons et prenons soin de lui dans la personne de ceux qui croient en lui.

Lorsque nous entrerons dans l'éternité, et que les croyants seront devenus, comme membres du corps de Christ, les juges du monde (I Cor. VI, 2), alors le Seigneur dira à ceux qui auront fait du bien aux siens : « Possédez en héritage le royaume des cieux, car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger, j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire, j'étais étranger et vous m'avez recueilli, j'étais nu et vous m'avez vêtu. En considération de ceux dont, au moyen de l'injuste Mammon, nous nous serons fait des amis, Christ nous recevra dans les tabernacles éternels. »
Quesnel donne aux membres pauvres du corps de Christ le beau titre d'héritiers présomptifs du ciel, qui se trouvent dans l'indigence. Heureux ceux qui s'en font des amis ! »

À coup sûr, le Sauveur ne veut pas dire que nous méritions l'entrée aux tabernacles éternels par nos oeuvres de charité. Nous ne sommes sauvés que par la libre grâce de Dieu en Christ, mais si la foi est de bon aloi, elle porte nécessairement les fruits d'un amour reconnaissant. Si nous demandons comment nous avons servi Jésus par nos oeuvres de charité, il nous renvoie à ses membres et nous dit : « Tout ce que vous avez fait au plus petit d'entre mes frères, vous me l'avez fait à moi-même. » Sans doute ces oeuvres ne nous méritent pas le ciel, mais elles témoignent de notre foi au moyen de laquelle nous nous sommes approprié la libre grâce de Dieu. Le Sauveur n'avait pas à craindre d'être mal compris, puisqu'il parlait à ses disciples, aux enfants de lumière, qui avaient déjà été éclairés par le don du salut. Il leur manquait seulement d'être bien instruits dans l'usage des biens temporels.

Le missionnaire Chapman se rendit un jour auprès du lit d'un nègre moribond, pour lui parler des choses de Dieu. Remarquant que le mourant était extrêmement joyeux, il lui demanda s'il espérait guérir. « Oh ! non, répondit le nègre ; je vais vers Jésus et je me réjouis de le voir. Lorsque j'arriverai au ciel, j'ira! vers lui et je lui baiserai les mains et les pieds en reconnaissance de ce qu'il est mort aussi pour moi sur la croix et m'a sauvé. Ensuite je reviendrai et je m'assiérai à la porte du ciel et je l'attendrai. Et quand tu arriveras, je te prendrai par la main, je te conduirai à lui et je lui dirai : Cher Sauveur, voilà l'homme qui m'a amené à toi, reçois-le, sauve-le. » C'est probablement ainsi que Jésus veut que nous comprenions notre réception dans les tabernacles éternels.

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