Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE II

suite

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D. Activité de Jésus en Samarie.

74. Envoi des soixante-dix disciples.

(Luc X, 1-24.)


Dès le commencement de son ministère, Jésus avait trouvé plusieurs âmes croyantes en Samarie (Jean IV, 42). Depuis lors, il n'avait pas fait de séjour prolongé dans cette contrée. Il l'avait touchée en se rendant à Jérusalem pour la fête des tabernacles, mais il avait été mal accueilli. À partir de ce moment, il s'était voué exclusivement à l'évangélisation de son peuple ; et même en envoyant les douze apôtres, il leur avait dit : N'allez dans aucune ville des Samaritains. Maintenant, après avoir si richement favorisé la Galilée par ses enseignements et ses miracles, après s'être fait connaître à Jérusalem, il veut visiter encore une fois la Samarie. C'est, ou bien à la fin de son séjour à Jérusalem, ou bien en se rendant en Samarie, qu'il choisit encore soixante-dix autres disciples et il les envoya deux à deux devant lui, dans toutes les villes et dans tous les lieux où il devait aller lui-même.
Depuis longtemps déjà, Jésus avait réuni autour de lui un certain nombre de disciples, outre les douze. C'est parmi eux qu'il en choisit soixante-dix, pour les envoyer devant lui, dans les localités de la Samarie qu'il devait visiter. Leur mission n'avait pas un caractère permanent comme celle dont les douze étaient chargés. Lorsqu'ils eurent traversé la Samarie et rejoint les autres disciples, il n'est plus fait aucune mention d'eux. En envoyant les soixante-dix, Jésus n'avait pas seulement l'intention de faire annoncer l'Évangile dans un plus grand nombre de lieux, pendant le laps de temps fort limité dont il disposait, puisqu'il voulait se trouver à Jérusalem pour la fête de la dédicace ; mais il tenait aussi à exercer leur foi et à leur fournir l'occasion de la confesser. De plus, par cet envoi des soixante-dix en Samarie, le Sauveur avait aussi en vue d'incliner les coeurs de tous ses disciples vers ces autres brebis « qui n'étaient pas de la bergerie » afin de les mettre en mesure de combattre plus tard l'étroitesse judaïque, qui s'opposait à l'entrée des païens dans l'Église chrétienne. Les instructions qu'il donna aux soixante-dix sont essentiellement les mêmes que celles des douze, ce qui était naturel, puisque les deux missions étaient identiques.

Lorsque les soixante-dix furent de retour, ils dirent avec joie à leur Maître : Seigneur, les démons mêmes nous sont assujettis par ton nom ! En les envoyant, le Sauveur leur avait bien donné le pouvoir de guérir les malades (9). Mais il n'avait pas fait une mention expresse des expulsions de démons. C'est pourquoi les disciples se réjouissaient d'autant plus que leur Maître leur eût permis de faire ces miracles en son nom. Leur joie était d'autant plus vive, qu'ils avaient vu les douze eux-mêmes incapables de guérir le jeune lunatique. Jésus leur confirme, ainsi qu'à tous les croyants, leur pouvoir sur les démons, dont la puissance est désormais brisée par son oeuvre expiatoire. Toutefois, la joie que leur causaient leurs succès n'était pas complètement pure. Ils oubliaient qu'ils n'avaient été que les instruments du nom de Jésus, et commençaient à s'enorgueillir. Jésus pourvoit à ce que le démon qu'ils ont chassé des autres, ne pénètre pas dans leurs coeurs par la porte de cette joie. Ne vous réjouissez pas seulement de ce que les démons vous sont assujettis, mais réjouissez-vous encore plus de ce que vos noms sont écrits dans le livre de vie. Si le Seigneur ne nous reconnaît pas pour siens, il ne nous sert de rien d'avoir chassé les démons. À la joie que nous causent nos dons et nos oeuvres, il se mêle trop facilement de l'impureté et de l'ambition. C'est pourquoi, ce qui doit nous réjouir, c'est que nous sommes de pauvres pécheurs qui avons un Sauveur. Ce qui nous rend heureux, ce ne sont pas nos dons, ce ne sont pas nos oeuvres, c'est uniquement notre foi.



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75. Le bon Samaritain.

(Luc X, 25-37.)


Le Sauveur n'était pas encore fort éloigné de Jérusalem, lorsqu'un docteur lui demanda, pour l'éprouver : Maître, que faut-il que je fasse pour hériter de la vie éternelle ? Une pareille question, eût été réjouissante, si celui qui l'adressait à Jésus n'avait pas en pour but de l'éprouver. Le Seigneur le renvoie à la loi. Le scribe en donne parfaitement le résumé. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de toute ta force, de toute la pensée, et ton prochain comme toi-même. Les paroles de Jésus durent singulièrement sonner à ses oreilles lorsqu'il lui dit : Fais cela et tu vivras. Il s'effraye et se sent repris. Comme docteur, il savait fort bien que ce commandement avait été donné pour être observé, mais il ne s'était jamais demandé sérieusement s'il l'avait observé. C'est pourquoi, voulant paraître juste, il demanda à Jésus : Qui est mon prochain ? Il était persuadé de n'avoir jamais manqué d'amour pour Dieu ; quant à l'amour du prochain, il ne savait pas à quoi s'en tenir, attendu que la loi ne dit pas qui est le prochain. La parabole du Samaritain compatissant sera une réponse suffisante à sa question : Qui est mon prochain ?

Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, et tomba entre les mains des voleurs qui le dépouillèrent, et après l'avoir blessé de plusieurs coups, ils s'en allèrent, en le laissant à demi-mort. Or, il se rencontra qu'un sacrificateur passa par ce chemin-là, et ayant vu cet homme, il passa outre. Un lévite étant venu, dans le même endroit, et l'ayant vît, passa outre. Il est possible que ces deux hommes vinssent directement de Jérusalem, après avoir rempli leurs fonctions dans le temple. Là, ils avaient assurément jeté un regard dans le coeur de la miséricorde éternelle et avaient appris à exercer la miséricorde. Mais non, leurs coeurs demeurent froids. Ils ne connaissent pas ce malheureux. Il est d'ailleurs couvert de sang. Qui voudrait risquer de se souiller en le touchant ? Et puis les brigands peuvent encore se trouver dans le voisinage, il faut donc se hâter de se mettre soi-même en sûreté. Quiconque se détourne froidement de son prochain dans la peine, a abdiqué les sentiments humains et n'est plus qu'un monstre. Il y en a beaucoup qui prennent plus de soins de leur bête souffrante que de leur voisin malade. Ils se disent pour s'excuser : « Cela ne me regarde pas, qu'il pourvoie à ce qui le concerne ! » Sacrificateurs et lévites et tous ceux qui ont les mêmes sentiments se tiennent pour innocents, du moment où ils n'ont pas levé eux-mêmes une main meurtrière. Ils oublient qu'ils violent le sixième commandement, dès qu'ils négligent de secourir leur prochain et de lui être utile dans tous ses besoins.

Un Samaritain, passant par ce chemin, vint vers cet homme et fut touché de compassion. Les Samaritains et les Juifs se haïssaient mutuellement. Les Juifs regardaient les Samaritains presque comme des païens. Un Samaritain, en passant par ce chemin, voit cet homme demi-mort et baigné dans son sang. Dès lors il oublie toute haine ; il n'a plus qu'une pensée : secourir ce malheureux. Il a certainement des affaires pressantes, et s'il veut prendre soin de cet homme, il sera obligé de s'arrêter longtemps. N'importe, il a devant lui une affaire plus pressante que toutes les autres. Personne ne peut l'aider dans ce lieu désert ; il se met lui-même courageusement à l'oeuvre. D'abord il s'approche du moribond. De même, si tu veux remplir les devoirs de la charité envers ton prochain, n'envoie pas tes enfants ou tes domestiques. Va toi-même auprès de lui. Et puis il banda ses plaies et y versa de l'huile et du vin. Il n'avait à sa disposition ni médecin ni pharmacien. Il se sert de ce qu'il a sous la main. Il s'était muni d'huile et de vin pour son propre usage, mais la charité sait se priver de quelque chose en faveur de ceux qui souffrent. Ne crois pas que tu sois tenu de donner seulement de ton superflu : le don est beaucoup plus doux lorsque, pour le faire, il a fallu se restreindre un peu soi-même.

Il le mit sur sa monture, le mena dans une hôtellerie et prit soin de lui. Il fallait conduire ce malheureux dans une maison et le coucher dans un lit. Le Samaritain le plaça donc sur sa monture, et marcha à côté d'elle, en soutenant celui qu'il avait mis à sa place. On donne assez volontiers pour les pauvres ; mais celui qui aime véritablement met personnellement la main à l'oeuvre. Il pose des compresses froides sur les plaies ; il donne au malade brûlé par la fièvre un breuvage rafraîchissant. Le lendemain, en partant, il tira deux deniers d'argent et les donna à l'hôtelier et lui dit : Aie soin de lui, et tout ce que tu dépenseras de plus, je te le rendrai à mon retour. Ses affaires l'appelaient plus loin, mais il n'oublia pas son malade. Il enjoignit à l'hôtelier de ne le laisser manquer de rien. Voilà un précieux exemple d'amour du prochain. Et le plus beau, c'est que le Samaritain n'a pas même fait connaître son nom. Mais il est écrit au ciel ; car cet homme charitable était bien connu du Seigneur Jésus. On ignore généralement aujourd'hui cette manière de donner, où la main gauche ne sait pas ce que fait la droite. Lorsqu'on fait quelque chose pour les pauvres ou pour le règne de Dieu, on a bien soin de faire figurer son nom dans un journal.

Alors Jésus demande au docteur de la loi : Lequel donc de ces trois hommes te semble avoir été le prochain de celui qui était tombé entre les mains des voleurs ? Le docteur dit : C'est celui qui a exercé la miséricorde envers lui. Le Seigneur tourne sa question en prévision de la réponse. Il montre que l'amour ne commence pas par peser exactement les droits du prochain, mais qu'il remplit avec un réel plaisir ses devoirs envers lui, et qu'il ne faut pas demander qui est digne d'amour, mais qui a besoin d'amour. Ton prochain, c'est tout homme qui a besoin de toi. Et Jésus lui dit : Va et fais la même chose. Il veut dire : Tu as demandé qui est ton prochain. Tu as toi-même parfaitement répondu à ta question. Ton prochain est celui dont tu es toi-même le prochain, c'est-à-dire quiconque a besoin de ton secours.

Celui dans le coeur duquel cette parole de Jésus : Va et fais de même serait gravée en lettres d'or, ressemblerait de jour en jour davantage au Samaritain compatissant. Mais cela ne se fait pas si facilement, et chez les hommes remplis de leur propre justice, cela ne se fait pas du tout.

Il faut avoir des yeux qui voient pour se reconnaître soi-même dans cet homme à demi-mort, et dans le bon Samaritain, le Seigneur Jésus lui-même, l'éternelle miséricorde. Le chemin de Jérusalem à Jéricho représente la vie de l'homme et de l'humanité. De la ville où il vivait dans une intime communion d'amour avec son Dieu, il est descendu dans les profondeurs du péché et dans toutes les misères qu'il engendre. Celui qui est meurtrier dès le commencement, est venu et l'a frappé. Il l'a dépouillé de son vêtement d'innocence et de sainteté, et l'a abandonné saignant de mille blessures. Quiconque veut marcher selon la vérité et soutenir les accusations de la loi et de sa conscience, se sent bientôt brisé, délaissé, et ses blessures brûlantes lui font souffrir d'insupportables élancements. Celui qui, dans une telle extrémité, a vainement cherché du secours auprès des hommes, auprès des sacrificateurs et des lévites, élève les yeux vers Jésus, le véritable Samaritain compatissant.

Son coeur a été ému de compassion. C'est pourquoi il est descendu du ciel et est tombé lui-même entre les mains des brigands, « afin que nous ayons la guérison par ses meurtrissures ». Pour de telles blessures, il n'y a ni plantes ni baume ; elles ne peuvent être guéries que par sa Parole, par son vin et son huile, par la loi et l'Évangile. Pour prendre soin de nous, il nous porte dans l'hôtellerie de sa sainte Église. Mais les plaies ne se cicatrisent pas si vite. L'ancien mal se fait sentir plus d'une fois de nouveau. Mais le bon Samaritain le soigne d'une main douce et légère et ne s'impatiente jamais. Il nous prie sans cesse, avec le plus ardent amour, de nous laisser traiter par lui. Nous nous demandons alors naturellement d'où lui vient cet amour pour nous. Qu'est-ce qui l'a décidé à quitter sa gloire pour s'approcher de nous ? En quoi pouvons-nous l'avoir intéressé ? Qu'a-t-il revu de nous ? Pourquoi se fatigue-t-il et se travaille-t-il à cause de nos péchés ? Et il ne se laisse pas rebuter, même lorsque nos blessures semblent ne pas devoir guérir. En effet, nous nous fatiguons de ses soins et nous l'empêchons de nous les prodiguer, et d'un autre côté nous nous plaignons et nous lamentons de ce qu'il ne nous guérit pas assez promptement. Mais son amour ne s'aigrit point ; il ne cesse de nous soigner. Coeur chrétien, connais-tu cet amour du Jésus ? Tes yeux se sont-ils arrêtés sur cette main ? Heureux les yeux qui voient ces choses ! Heureux les coeurs qui, guéris par les soins du Seigneur, apprennent à bander les plaies des autres ! On use de miséricorde quand on a obtenu miséricorde. Alors, va et fais la même chose.



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76. Marthe et Marie.

(Luc X, 38-48.)


En se rendant en Samarie, Jésus passa par Béthanie, bourgade entourée de montagnes et de collines, et située à trois quarts de lieue de Jérusalem. C'est de là qu'il montait ordinairement dans cette ville, chaque fois qu'il voulait y faire un séjour un peu prolongé. Pendant la journée, il enseignait dans la capitale, et, le soir, il se retirait à Gethsémané ou à Béthanie, pour se reposer et se restaurer dans un entretien intime avec les trois membres dont se composait cette famille qu'il aimait à visiter : Lazare et ses deux soeurs, Marthe et Marie. On croit que Marthe était veuve et avait recueilli chez elle son frère et sa soeur. Une femme nommée Marthe le reçut dans sa maison.

Oh ! heureuse maison où l'on te reçoit, Seigneur, et où, de tous les hôtes qui y entrent, tu es le plus fêté et le mieux reçu ! Il en était ainsi dans la paisible maison de Béthanie. Marie n'était certainement pas une personne paresseuse et rêveuse. En temps ordinaire, elle se mettait promptement et courageusement au travail ; mais dès que le Seigneur est là et ouvre la bouche pour enseigner, alors elle abandonne tout pour l'écouter. Elle se tenait assise aux pieds de Jésus et écoutait sa parole. Une seule chose enflammait son coeur : c'était d'entendre ce que son Maître avait à lui dire. Comme cet amour la rendait heureuse ! Marthe aussi aimait le Seigneur, mais son amour n'avait pas la profondeur de celui de Marie. Elle voulait montrer cet amour à Jésus par son activité. C'est pourquoi elle se donne tant de peine pour bien le recevoir.

L'amour de Marie, qui est complètement concentré sur la personne du Seigneur, Marthe ne le comprend pas. Elle s'étonne de ce que Jésus ne parait nullement remarquer le zèle avec lequel elle s'efforce de tout faire, pour lui préparer un bon repas. Il semble presque qu'elle veuille lui en faire un reproche. Seigneur, ne considères-tu point que ma soeur me laisse servir toute seule ? dis-lui donc qu'elle m'aide aussi. Aux yeux de Marthe, Marie manque d'égards envers le Sauveur, parce qu'elle ne se donne aucune peine pour bien le recevoir. Il lui semble que sa soeur veuille plutôt se faire servir par lui. Et de fait, il en était réellement ainsi. Jésus est venir pour servir. Il a dressé une table devant Marie et a rempli sa coupe.

Quel ne doit pas être l'étonnement de Marthe, lorsque le Sauveur lui dit : Marthe, Marthe, tu te mets en peine et t'embarrasses de plusieurs choses ; mais une seule chose est nécessaire ; or, Marie a choisi la bonne part, qui ne lui sera point ôtée.

Jésus comprend que c'est pour lui que Marthe déploie toute cette activité. Mais cette agitation recèle un danger. C'est pourquoi il l'avertit, et prend Marie sous sa protection. « Marthe, coeur inquiet, ce qui peut te calmer, ce n'est pas ton amour pour moi, mais bien mon amour pour toi. Marthe, ce qui te rendra heureuse, ce n'est pas l'oeuvre que tu fais pour moi, c'est l'oeuvre que je fais pour toi. » Marie a choisi la bonne part ; elle a reçu Jésus dans son coeur, et ce trésor lui restera.

Une seule chose est nécessaire. Ah ! Seigneur, apprends-moi à la connaître ! telle doit être aujourd'hui notre fervente prière. Les nécessités de la vie spirituelle et corporelle nous sollicitent de toutes parts. Partout les besoins sont pressants. L'amour a une vaste carrière de travaux pour le Seigneur : soins à donner aux pauvres et aux malades ; éducation des enfants abandonnés ; sollicitude pour les prisonniers ; compassion pour ceux qui sont tombés ; mission intérieure et mission extérieure ; que d'oeuvres de charité ne s'offrent pas à nous ? On voudrait doubler, décupler le nombre des mains qui s'en occupent - et ne serait pas encore assez. Mais que tous ceux qui s'occupent de bonnes oeuvres fassent sans cesse attention à cet avertissement du Seigneur : Marthe, Marthe ! rassemble les pensées distraites, résume toute ton activité dans la recherche de la seule chose nécessaire. Dans tous les travaux de notre vocation ici-bas, dans l'Église comme dans nos maisons, au jardin comme dans les champs, au bureau comme à l'atelier, le danger des distractions est très grand, précisément pour le travailleur zélé. Et quiconque veut conserver la paix de son coeur, ne doit pas négliger de faire sérieusement cette prière Prends-moi dans tes bras ; les distractions me sont funestes maintiens moi dans un profond recueillement : Une seule chose est nécessaire ! Le recueillement continuel auprès de Jésus, telle est la source cachée de tout travail béni dans le royaume de Dieu. C'est pourquoi, après le travail de la journée, assieds-toi à ses pieds, fixe tes yeux sur lui, écoute-le, laisse aller tout le reste, et saisis toujours la seule part bonne et nécessaire. Qu'on rende grâces à Dieu lorsqu'on s'oublie soi-même pour ne plus penser qu'à une seule chose, c'est qu'on a un Sauveur. Quelle délicieuse clôture de la journée !



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77. Avertissement contre l'avarice. Exhortation à la vigilance.

(Luc XII, 13-50.)


Alors, quelqu'un de la troupe lui dit : Maître, dis à mon frère qu'il partage avec moi notre héritage. Ce frère semble être un disciple de Jésus et un auditeur attentif de sa parole ; mais il veut se servir de l'un et de l'autre pour obtenir l'argent qu'il prétend lui appartenir. Le Seigneur lui répond : 0 homme, qui est-ce qui m'a établi pour être votre juge et faire vos partages ? Cet homme ne cherchait pas Jésus comme Sauveur ; il voulait seulement qu'il l'aidât dans un désagréable procès. Le Seigneur refuse de se mêler des affaires terrestres, qui sont du ressort des rois ou des juges, et, par ce refus, il avertit son Église de tous les temps, de ne jamais mêler le spirituel avec le temporel. Cependant il rend à cet homme un service de charité, lorsqu'il lui montre au fond de son coeur la cause de la contestation dans laquelle il est engagé avec son frère. Gardez-vous avec soin de l'avarice, car, quoique les biens abondent à un homme, il n'a pas la vie pas ces biens.

On ne comprendrait pas cet avertissement du Seigneur si, en l'entendant parler d'avarice, ou pensait aussitôt à l'avare qui se tient constamment devant la porte de son coffre-fort, qui garde son argent avec des griffes de vautour, qui repousse froidement de sa porte les pauvres et les malheureux, qui laisse dans le besoin ses plus proches parents et se refuse à lui-même le nécessaire, parce qu'il ne veut pas se séparer de son cher trésor. Lorsque l'avarice atteint un tel degré, elle devient visible pour l'oeil le moins perspicace, et tombe sous le mépris public. Mais on n'y arrive que peu à peu, semblable à l'arbre puissant qui est sorti d'un grain de semence. Cette semence est dans l'inclination terrestre du coeur, qui, dans ses craintes, dans ses joies, dans ses espérances, compte, non sur le Dieu vivant, mais sur sa fortune. Celui qui garde son argent quand Dieu le lui demande, est déjà un avare. Celui qui s'estime lui-même et qui estime les autres, non d'après ce qu'ils sont, mais d'après ce qu'ils ont, est aussi un avare. En un mot, celui-là est avare, qui croit que ses biens lui assurent la vie corporelle, peut-être même la vie éternelle. Gardez-vous avec soin d'attacher votre coeur aux biens de la terre !

Là-dessus, le Seigneur proposa, une parabole. Les terres d'un homme riche avaient rapporté avec abondance. Ainsi cet homme était devenu riche par la bénédiction de Dieu, et il était honoré de tout le monde. Mais, dans sa richesse, il oublia qu'il était l'économe de Dieu, et que par ses richesses mêmes Dieu lui avait confié une mission. Et il se disait en, lui-même : Que ferai-je ? Car je n'ai pas assez de place pour serrer toute ma récolte. Voici, dit-il, ce que je ferai : J'abolirai mes greniers et j'en bâtirai de plus grands, et j'y amasserai toute ma récolte et tous mes biens puis je dirai à mon âme : Mon âme, tu as beaucoup de biens en réserve pour plusieurs années, repose-toi, mange, bois et te réjouis. La Parole de Dieu lui répondait : « Romps ton pain avec celui qui a faim, conduis dans ta maison ceux qui sont errants » (Ésaïe LVIII, 7). Mais cette réponse ne lui plut pas ; il avait de meilleurs projets. Pauvre âme trompée, qui se nourrit de ce qui va dans les entrailles ! Comme elle doit être cuirassée contre toute impression du monde invisible ! Les richesses de cet homme doivent lui assurer la vie, le repos, la jouissance pour de longues années ; mais il a compté sans son hôte, car Dieu lui dit : Insensé, cette nuit même ton âme te sera redemandée, et ce que tu as amassé, pour qui sera-t-il ? Il en est ainsi de celui qui amasse des biens pour lui-même, et qui n'est point riche en Dieu. C'est donc une insigne folie, lorsqu'un homme met son espoir dans ces richesses trompeuses et non dans le Dieu vivant (1 Tim. VI, 17), et fonde le bonheur de sa vie sur les biens terrestres.

Mais que celui qui a mis son coeur là où est son trésor, qui a trouvé les richesses par excellence, se garde d'oublier cette exhortation : Veillez ! Que vos reins soient ceints et vos lampes allumées ! Soyez comme ceux qui attendent que leur maître revienne des noces, afin que quand il reviendra et heurtera à la porte, ils lui ouvrent incontinent. De même que les enfants d'Israël devaient avoir leurs reins ceints, leurs souliers aux pieds et leur bâton à la main lorsqu'ils quittèrent à la hâte l'Égypte pour se diriger vers le pays de Canaan, de même il faut que les chrétiens, ayant ceint les reins de leur esprit et recueilli toutes les forces de leur volonté, toute leur énergie morale, poursuivent, comme des étrangers et des voyageurs, leur course vers le ciel, et tiennent leurs lampes allumées pour aller au-devant du Seigneur. Veillez ! Cela signifie : maintenez allumée la lampe de la foi ; et le meilleur moyen d'éviter le sommeil, c'est la prière.

Je suis venu mettre le feu sur la terre ; et combien je voudrais qu'il fût déjà allumé ? Je dois être baptisé d'un baptême, et combien ne suis-je pas pressé jusqu'à ce qu'il s'accomplisse ! Jésus parle du feu qu'il alluma le soir de Pâques, dans le coeur des deux disciples allant à Emmaüs. « Notre coeur ne brûlait-il pas au-dedans de nous, pendant qu'il nous parlait en chemin ? » C'est ce même feu qu'il répandit du ciel le jour de la Pentecôte sur la communauté réunie dans la chambre haute, afin d'enflammer leurs coeurs et de les rendre capables d'aimer leur Sauveur, de le confesser et de souffrir pour lui. Mais, avant de pouvoir envoyer le feu du Saint-Esprit, il faut que lui-même, pénétré d'un ardent amour pour les pécheurs, se laisse consumer en Golgotha par le feu de la colère de Dieu. Les coeurs vigilants attendent le Seigneur chaque jour et à chaque heure, et ne seront jamais surpris lorsqu'il les appellera. Et si leur lampe reste allumée jusqu'à la fin, ils seront heureux et pourront entrer dans la salle du festin. Je vous dis en vérité que leur maître se ceindra, qu'il les fera mettre à table et qu'il viendra les servir. Heureux ces serviteurs-là !

Les coeurs qui ont conservé leurs lampes allumées feront l'expérience que, même dans la gloire, Jésus est encore l'amour qui sert, et que là-haut comme aux noces de Cana, ce qui est servi en dernier lieu est ce qu'il y a de meilleur. Une vieille négresse avait appelé la petite maison qui lui avait été donnée après sa libération : « Je n'y aurais pas pensé. » C'est un beau nom à donner aux tabernacles éternels lorsque, délivrés de tout lien, nous serons comme des gens qui rêvent.

Vous savez que si un père de famille était averti à quelle heure de la nuit un larron doit venir, il veillerait et ne laisserait pas percer sa maison. Vous donc aussi, soyez prêts, car le Fils de l'homme, viendra à l'heure que vous ne penserez point. Si un homme. s'efforce de conserver ses biens terrestres, le disciple de Jésus doit encore davantage être prêt et veiller ! Une seule heure de sommeil peut nous faire perdre la félicité céleste !



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78. Exhortation à la repentance. Mort des Galiléens.

(Luc XIII, 1-5.)


Le gouverneur romain Pilate avait fait égorger un certain nombre de Galiléens qui étaient venus offrir leurs sacrifices, en sorte que leur sang avait été mêlé à celui de leurs victimes. Ce meurtre fut rapporté au Sauveur. On croyait généralement qu'un malheur exceptionnel était un jugement de Dieu pour des péchés exceptionnellement graves, commis par ceux qui avaient été frappés. Jésus enseigne le contraire. Pensez-vous, dit-il, que ces Galiléens fussent plus coupables que les autres, parce qu'ils ont souffert ces choses ? Non, vous dis-je, mais si vous ne vous amendez, vous périrez tous aussi bien qu'eux. Ou pensez-vous que ces dix-huit personnes sur lesquelles la tour de Siloé est tombée et qu'elle a écrasées, fussent plus coupables que tous les autres habitants de Jérusalem ? Non, vous dis-je, mais si vous ne vous amendez, vous périrez tous aussi bien qu'eux. Le Sauveur ne nie pas que la souffrance ne soit un châtiment que l'homme s'est attiré par ses péchés. Au contraire, il remet expressément cette vérité devant les yeux de ceux qui refusent de se repentir. Quiconque souffre, doit donc se frapper la poitrine et confesser qu'il est l'artisan de ses propres maux. Lorsqu'un homme fait cette confession, le Sauveur s'approche de lui avec ses promesses. Mais gardons-nous de porter un jugement sur les épreuves des autres ! Dieu ne mesure pas la grandeur du châtiment sur la gravité du péché : autrement il faudrait admettre que les impies que Dieu a exclus de sa discipline et qu'il abandonne, sont les plus grands saints.

Lorsque nous sommes témoins des souffrances des autres, rentrons en nous-mêmes, pensons à nos propres péchés, et prions pour que la bonté de Dieu qui nous épargne, nous conduise à la repentance. C'est là que Jésus voulait amener ses auditeurs. Malheureusement, la grande majorité ne se convertit pas, et il arriva, lors de la ruine de Jérusalem, ce dont le Seigneur avait menacé les habitants : c'est que leur sang serait répandu par l'épée des Romains, et que leurs cadavres seraient ensevelis sous les ruines de leur ville.



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79. Le figuier stérile.

(Luc XIII, 6-9.)


Le Sauveur est obligé de menacer la foule, des jugements de Dieu, pour l'amener à la repentance. La sévérité de ces jugements sera d'autant plus grande, que le temps de la patience aura été plus prolongé. Il leur proposa donc cette similitude : Un homme avait planté un figuier dans sa vigne ; il y vint chercher des fruits, et n'y en trouva point. Ce figuier est le peuple d'Israël, que Dieu avait choisi d'entre tous les peuples, et dont il avait fait l'éducation avec un amour tout paternel. Il avait déjà eu l'occasion de se plaindre de lui par la bouche du prophète Ésaïe. « J'ai nourri des enfants et je les ai élevés, mais ils se sont rebellés contre moi. » En dernier lieu, il avait envoyé le vigneron, son propre Fils, auquel le figuier appartenait. Et il lui dit : Voici déjà trois ans que je viens chercher des fruits à ce figuier et je n'y en trouve point. Coupe-le ; pourquoi occupe-t-il la terre inutilement ? Jésus, le vigneron, s'occupe de ce figuier depuis trois ans ; il a appelé ces enfants rebelles ; il a averti et menacé ; il leur a montré son amour par toutes sortes d'oeuvres de bienfaisance, afin de les ramener à la maison et au coeur du Père, mais ils n'ont pas voulu.

Le figuier n'a pas porté les fruits qu'on était en droit d'attendre de lui. Cependant le vigneron répondit : Seigneur, laisse-le encore cette année, jusqu'à ce que je l'aie déchaussé et que j'y aie mis du fumier ; s'il porte du fruit, à la bonne heure, sinon tu le couperas. La hache, déjà levée pour abattre le figuier, n'a été retirée que sur l'intercession du vigneron. Les jugements de Dieu sont prêts à fondre sur le peuple qui a refusé de revenir au coeur paternel de son Créateur. Ce n'est que la prière du souverain sacrificateur Jésus qui lui procure encore un temps de grâce. S'il néglige de profiter de ce répit, le jugement le frappera.

Toi aussi, coeur chrétien, tu es ce figuier. Pendant plus de trois ans, pendant ta vie entière, Jésus t'a aimé ; il a pris soin de toi et t'a attiré à lui. A-t-il déjà vu du fruit de ce travail, de la repentance, de la foi, le don de toi-même ? Qui sait si la cognée n'est pas déjà mise à la racine de l'arbre ? L'intercession de Jésus la retient. Mais ce temps de grâce durera-t-il encore longtemps ?



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80. Guérison d'une femme le jour du sabbat.

(Luc XIII, 10-17.)


Jésus enseignait dans une synagogue un jour de sabbat, selon son habitude. Il se trouva là une femme possédée d'un esprit qui la rendait malade depuis dix-huit ans, et qui était courbée, en sorte qu'elle ne pouvait du tout point se redresser. Jésus la voyant, l'appela et lui dit : Femme, tu es délivrée de ta maladie. Il faut qu'il y ait eu des motifs particuliers pour que Jésus vint au secours de cette femme sans en être prié. Ordinairement il ne s'offre pas ; il attend qu'on s'adresse à lui. Cette pauvre femme, atteinte d'une difformité corporelle, avait peut-être déjà souvent été en butte à des railleries à cause de son infirmité. Elle était devenue craintive et timide et de plus ne pouvait pas se redresser. Elle ne voit pas Jésus, mais Jésus la voit. Il connaît le pesant fardeau sous lequel elle soupire et il l'appelle. Comme nous sommes heureux, et comme il est consolant pour nous d'avoir un tel Sauveur ! Avant que nous le priions, il nous entend ; sans que nous le voyions, il nous regarde, et il nous tend sa main puissante toujours prête à nous secourir.

Et il lui imposa les mains ; à l'instant elle fut délivrée, et elle donna gloire à Dieu. Ce coeur abattu est affermi, et cette femme loue à haute voix la puissance de Dieu qui s'est manifestée en elle. Sans doute la communauté réunie pour la prière, s'associe à cette action de grâces et se réjouit de cette miséricordieuse intervention de Dieu. Un seul homme demeure froid et jette sur cette femme un regard courroucé. Cette nouvelle glorification de Jésus lui est désagréable, et la louange donnée à son action l'irrite. C'est le chef de la synagogue, qui dit : Il y a six jours pour travailler, venez donc ces jours-là pour être guéris, et non pas le jour du sabbat. Il prétexte la gloire de Dieu pour couvrir ses sentiments hostiles.
Mais le Seigneur ne se laisse pas tromper. Hypocrite, lui dit-il, chacun de vous ne détache-t-il pas son boeuf ou son âne de la crèche le jour du sabbat et ne le mène-t-il pas à l'abreuvoir ? Et ne fallait-il pas, quoique en un jour de sabbat, délier cette fille d'Abraham que Satan tenait liée depuis dix-huit ans ? Ces paroles simples et claires, accompagnées de ce glorieux acte de puissance, produisirent une profonde impression. Tous ses adversaires furent confus, et tout le peuple se réjouissait de toutes les choses glorieuses qu'il faisait.

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