Le Sauveur continue à enseigner dans le temple. Les pharisiens sont
de nouveau là pour l'écouter. Ils ont étouffé la voix de leur
conscience ; mais ils savent maintenant que le regard de Jésus a
pénétré jusqu'au fond des ténèbres de leurs coeurs. Jésus aurait pu
espérer qu'ils seraient touchés de sa bonté ; mais depuis, ils
ont eu le temps de se remettre parfaitement. Les nuages qui avaient pu
obscurcir leur front ont complètement disparu, et ils se présentent
devant Jésus comme si rien n'était arrivé.
Tous les coeurs sont encore remplis des joies que la fête
leur a causées. L'éclatante lumière. que les candélabres d'or avaient
répandue, la veille au soir, de la cour du temple sur toute la ville,
brillaient encore dans leur souvenir. Jésus veut profiter de cette
disposition, dans l'espoir que sa parole trouvera plus facilement
l'entrée des coeurs. Je suis la lumière du
monde leur dit-il : celui
qui me suit ne marchera point dans les ténèbres : mais il
aura la lumière de la vie. La lumière du monde est
aussi son salut. Jésus est le soleil de la grâce, « le soleil de
justice qui porte la santé dans ses rayons. » Quiconque le suit a
la lumière de la vie, et ne marche plus dans les ténèbres. L'amour du
péché est incompatible avec la foi en Jésus.
Au surplus, Jésus n'est pas seul à se rendre témoignage à
lui-même C'est ce qu'il déclare aux pharisiens. Quoique
je me rende témoignage à moi-même, mon témoignage est véritable,
car je sais d'où je suis venu et où je vais.
Si le soleil pouvait parler et disait : Je suis le soleil, et
qu'on lui répondit : Non, non, tu n'es que la nuit, car tu te
rends témoignage à toi-même, quel sens aurait un pareil langage ?
Une lumière est son propre témoignage. Elle éclaire les yeux sains,
afin d'être reconnue comme lumière. Toutefois, le témoignage du Père
se joint à celui de Jésus, car il est issu du Père, et le Père rend ce
témoignage avec lui, qu'il est la lumière, engendré de Dieu.
Jésus venait, par sa douceur, de confondre le sévère
jugement des pharisiens. Mais à l'ouïe de cette déclaration, que
quiconque est loin de lui est privé du salut, ses adversaires sentent
qu'il prononce sur eux un implacable jugement. C'est en effet la
pensée de celui qui sonde les coeurs. Vous
jugez selon la chair, leur dit-il. Les pharisiens
formaient leur jugement d'après ce qui frappe les yeux, et ne
pouvaient reconnaître la gloire divine du Fils unique sous sa forme de
serviteur. Et lorsqu'il ajoute : Je ne
juge personne, il veut dire par là, qu'il n'est pas
venu pour juger le monde, mais pour le sauver. Il ne nie pas qu'il ne
doive revenir pour juger les vivants et les morts ; il veut
seulement dire que son jugement ne vient pas de lui-même, c'est-à-dire
qu'il ne le prononce pas arbitrairement, mais que ce jugement dépend
des rapports dans lesquels les hommes se trouveront avec le Sauveur et
ne sera par conséquent qu'une ratification de la décision que chacun
aura prise dans son coeur. Celui qui ne
croit pas est déjà jugé, parce qu'il n'a pas cru (Jean
III, 18). Jésus ajoute : Et quand
je jugerais, mon jugement serait digne de foi, car je ne suis pas
seul, mais le Père qui m'a envoyé est avec moi.
L'ordre du Sanhédrin de saisir Jésus n'avait pas été
retiré ; cependant personne ne mit la main sur lui, parce que son
heure n'était pas encore venue.
Jésus adresse encore une fois aux Juifs ce sérieux
avertissement : c'est qu'il s'en va, et que s'ils ne croient pas
en lui, ils mourront dans leurs péchés.
Mais eux s'en moquent, comme ils avaient fait la veille, et se
demandent s'il se tuera lui-même. Jésus leur répond avec une
inaltérable douceur que s'ils ne le reconnaissent pas, c'est parce
qu'il y a un abîme entre eux. Vous êtes
d'ici-bas, et moi je suis d'en haut ; vous êtes de ce monde,
et moi je ne suis pas de ce monde.
Cet abîme ne peut être comblé que par la foi. Si
vous ne croyez pas ce que je suis (c'est-à-dire le
Sauveur qui peut seul délivrer du péché, de la mort et du diable), vous
mourrez dans vos péchés. Alors ils lui dirent
ironiquement : Toi, qui es-tu ? Jésus leur répondit : Ce
que je vous ai dit dès le commencement. Il leur avait
dit qui il est ; mais eux ne croyaient pas que sa nature se
révélât dans ses discours, ni qu'il fût réellement ce qu'il disait
être. C'est pourquoi Jésus les adresse à sa mort sur la croix :
c'est alors qu'ils le connaîtront.
Jésus souhaite que le plus haut degré de leur incrédulité
amène pour eux une crise salutaire. Et de fait, lorsque, pendant les
scènes de Golgotha, le soleil s'obscurcit, le voile du temple se
déchira, les rochers se fendirent, le peuple témoin de ces prodiges
s'en retourna en se frappant la poitrine (Luc
XXIII, 48). Et, lorsque sous l'impression des paroles de Pierre,
le jour de la Pentecôte, la foule demanda : Hommes frères, que
ferons-nous ? alors s'accomplit cette prédiction de Jésus :
Lorsque vous aurez élevé le Fils de l'homme,
alors vous reconnaîtrez ce que je suis. De même que
lors de sa dernière entrée à Jérusalem, il pleura sur elle, de même
Jésus a parlé ici selon la douloureuse inspiration de son amour ;
et sa parole alla au coeur de ceux qui n'étaient pas encore
complètement endurcis. Car il est dit : Plusieurs crurent en lui.
Comme le coeur du Seigneur dut se réjouir !
Ce n'était là sans doute qu'un faible commencement de
foi. Ils disaient : « Oui et amen » à ses déclarations.
« Oui, il est ce qu'il dit être et il veut nous délivrer de nos
péchés. » Mais le Sauveur ne veut pas éteindre le lumignon
fumant. Il regarde moins à la grandeur de notre foi qu'à la
persévérance avec laquelle nous demeurons en lui. Il fortifie
la foi de ceux qui demeurent en lui. C'est pourquoi il dit aux Juifs
qui avaient cru : Si vous persistez
dans ma doctrine, vous serez véritablement mes disciples, et vous
connaîtrez la vérité, et la vérité vous affranchira. La
connaissance croit par la fidélité. Lorsque nous chantons: « Fais que
je t'appartienne et que je demeure en toi », notre coeur s'enracine
toujours plus profondément dans la parole de Jésus, afin que notre âme
vive de cette parole et y persévère jusqu'à la fin. L'Église primitive
qui, à l'exemple de l'Église apostolique, voulait
être une communauté de disciples, devait persévérer dans la doctrine
des apôtres et demander instamment à Dieu de l'y maintenir.
Les Juifs sont irrités de devoir être affranchis par
Jésus, eux qui se croyaient faits pour être les dominateurs du monde.
lis prétendent, comme enfants d'Abraham, n'avoir jamais été esclaves
de personne. Mais Jésus parle, non de l'assujettissement politique,
mais de l'esclavage du péché. Quiconque
s'adonne au péché, est esclave du péché. Si donc le Fils vous
affranchit, vous serez véritablement libres. Les Juifs
se glorifient de leur liberté, et ils sont dans le plus honteux
esclavage... l'esclavage du péché. Quiconque cède au péché et se
laisse dominer par lui, devient son esclave ; il ne peut plus
assigner de limites à son empire, en disant : « Jusque là et
pas plus loin. » Et comme esclave, il est force de faire ce qu'il
ne veut pas faire (Rom.
VIII, 14-15).
Le vieux pasteur Jaenike, se rendant un jour auprès d'un
malade, passa près d'une maison en construction. Les ouvriers étaient
à déjeuner. L'un d'eux l'appela en lui disant : « Père
Jaenike, viens donc boire un coup avec nous », et en disant cela,
l'ouvrier lui tendait un verre plein d'eau-de-vie. Tous ses compagnons
se mirent à rire aux éclats. Jaenike s'approcha tranquillement du
farceur et lui dit : « Mon ami, je pourrais boire si je
voulais, mais je ne veux pas ; tandis que toi, tu es forcé de
boire. » Cet homme voulait, comme les Juifs, nier qu'il fût
esclave de ce vice, et cria au pasteur qui s'éloignait
tranquillement : « Je suis forcé de boire ! Je veux te
prouver que je puis m'en abstenir. » Pendant des semaines, il
lutta contre son penchant à l'ivrognerie, mais toujours en vain. Enfin
il se rendit auprès du pasteur Jaenike, et reconnut avec larmes
l'esclavage où il se trouvait et son impuissance à s'en affranchir. Là
il apprit à connaître le Fils qui affranchit et rend à l'homme
« la glorieuse liberté des enfants de Dieu. » C'est lui qui
donne la force d'accomplir joyeusement la volonté de Dieu et de le
servir avec amour et sans crainte.
Lorsque les Juifs insistent sur leur descendance
d'Abraham, Jésus l'admet ; mais il conteste qu'ils soient de
vrais enfants d'Abraham, puisqu'ils ne font pas les oeuvres d'Abraham.
Vous cherchez à me
faire mourir, moi qui suis un homme qui vous ai dit la vérité que
j'ai apprise de Dieu ; Abraham n'a point fait cela. Vous
faites les oeuvres de votre Père. Les Juifs remarquent
que Jésus ne leur conteste pas leur filiation d'Abraham, mais nie
qu'ils soient enfants de Dieu. C'est contre cette dernière déclaration
qu'ils se récrient. Nous n'avons qu'un seul
Père, qui est Dieu ! Cette fois, Jésus ne saurait
laisser passer cette affirmation. Si Dieu
était votre Père, leur dit-il, vous m'aimeriez sans doute, parce
que je suis issu de Dieu et que je viens de sa part.
Quiconque hait Jésus, ne peut pas aimer Dieu. Les enfants de Dieu
aiment Jésus, le Fils unique de Dieu et entendent sa voix. Pourquoi
ne comprenez-vous pas mon langage ? C'est
parce que vous ne pouvez écouter ma parole. L'homme
naturel ne comprend point les choses qui sont de l'Esprit de Dieu, car
elles lui paraissent une folie et il ne peut les entendre (I
Cor. II, 14).
La langue des mystères de Dieu est inintelligible pour
tous ceux qui n'ont d'oreilles que pour les choses de la chair et du
sang. Lorsqu'un homme s'est volontairement éloigné de la Parole
divine ; lorsqu'il a étouffé les impressions qu'il en a reçues,
son sens moral s'altère peu à peu, son coeur devient incapable de
croire (2
Tim. III, 8), et il tombe dans un état d'aveuglement et de
stupidité relativement à la vérité divine. Ce symptôme est un signe
que son jugement a commencé. Que celui qui veut éviter ce malheur
résiste aux plus petits commencements ; qu'il obéisse à la plus
légère impulsion de l'Esprit.
Combien parmi nous lisent leur Bible française, mais ne
la comprennent pas mieux que si elle était écrite en hébreu !
Cela fait qu'ils ne peuvent plus entendre la Parole de Jésus ni sur la
grâce ni sur le péché. Le non-pouvoir est la suite du non-vouloir.
Celui qui veut faire la volonté de Satan, ne peut entendre la Parole
de Jésus. Et le Seigneur déclare aux Juifs que tel est leur cas. Le
père dont vous êtes issus, leur dit-il, c'est
le diable, et vous voulez accomplir les désirs de votre père. Il a
été meurtrier dès le commencement et il n'a point persévéré dans
la vérité, parce que la vérité n'est point en lui. Toutes les fois
qu'il dit le mensonge, il parle de son propre fond, car il est
menteur et le père dit mensonge. Mais parce que je vous
ai dit la vérité, vous ne me croyez point. De même
qu'un enfant hérite des dispositions morales et du caractère de son
père, de même les Juifs portent l'empreinte morale du diable, et
subissent l'influence de celui qui est le père du mensonge. C'est
pourquoi ils ne croient pas en Jésus et n'ont point d'oreille pour sa
Parole. Ce langage n'est pas celui de leur père, mais celui de
son Père.
Les oppositions s'accentuent de plus en plus. Toujours
plus claires sont les révélations du Seigneur sur lui-même ;
toujours plus glorieuses les promesses qu'il fait aux siens,
c'est-à-dire à ceux qui, altérés de salut, acceptent sa Parole ;
toujours plus sérieuses les répréhensions qu'il adresse à ceux qui
refusent de le recevoir. Il est venu chercher et sauver ce qui était
perdu, mais ceux qui ne veulent pas se laisser sauver, seront frappés
par ses jugements. Ainsi s'engage, dans toutes les formes, une lutte
morale entre le miséricordieux amour de Dieu et la résistance haineuse
du diable.
Qui de vous me convaincra de
péché ? et si je dis la vérité, pourquoi ne me croyez-vous
pas ? Le coeur de l'homme a soif de vérité, et
Jésus est la vérité. L'erreur et le mensonge se trouvent seulement
dans les pécheurs. La lumière et la vérité ont conservé toute leur
pureté et toute leur limpidité dans Celui qui a été parfaitement
saint. Il ne s'est jamais élevé dans son coeur ni une mauvaise pensée,
ni un sentiment coupable ; jamais un reproche dans sa conscience,
jamais une tache dans sa vie. Son coeur est lumière, de même que son
essence. Ainsi sa Parole doit offrir des garanties certaines ; et
cependant on ne le croyait pas ! Nous éprouvons quelque chose de
la douleur qui remplissait son coeur, lorsqu'il disait aux
Juifs : Pourquoi ne croyez-vous pas ? Pouvaient-ils
donc se passer de lui ? N'est-il pas le plus précieux trésor de
l'âme ? Le coeur de l'homme n'est-il pas fait pour lui ? Ne
le cherche-t-il pas et ne soupire-t-il pas après lui ? Sans
doute. Il est notre paix, notre joie, notre vie. Quiconque le connaît,
Lui, la sainte vérité, a la lumière de la vie. Une flamme éclatante
brûle dans son coeur. D'où vient donc l'incrédulité ? Celui
qui est de Dieu, écoute les paroles de Dieu ; c'est pourquoi
vous ne les écoutez pas, parce que vous n'êtes pas de Dieu.
Quiconque n'est pas de Dieu n'écoute pas les
paroles de Dieu, et quiconque ne veut pas faire sa volonté,
n'est pas de Dieu. Qui veut plaire au diable et non à Dieu, est dans
un état moral tel que sa conscience ne peut plus être reprise par
l'Esprit de Dieu, ni éclairée par la connaissance de la vérité. Ainsi
le coeur devient incapable de percevoir les choses de Dieu :
elles lui paraissent une folie. Le jugement et l'éternité sont à ses
yeux un produit de l'imagination ; le péché et la réconciliation
avec Dieu, l'objet d'un invincible dégoût ; la soumission aux
commandements de Dieu, une preuve de faiblesse d'esprit ou
d'hypocrisie. Et Jésus lui-même, le saint et le véritable, apparaît au
coeur ennemi de Dieu, comme un Samaritain et un possédé. Telle est la
disposition des Juifs.
N'avons-nous pas raison de dire
que tu es un Samaritain et que tu es possédé dit démon ?
Jésus leur répond avec une patience et un calme tout célestes : Je
ne suis point possédé du démon. - Il ne fait pas
mention de l'autre reproche, car il avait quelques adhérents en
Samarie. - Mais j'honore mon Père et vous me
déshonorez. Uniquement préoccupé du salut de leurs
âmes, il ajoute au sérieux avertissement cette pressante
invitation : En vérité, en vérité, je vous dis que si quelqu'un
garde ma parole, il ne mourra jamais. La fureur de ces aveugles est
encore enflammée par ces paroles. Ils ne veulent pas comprendre le
Sauveur ; ils ne songent qu'à assouvir leur haine. C'est pourquoi
ils feignent de croire que cette déclaration s'applique à la mort du
corps, afin de pouvoir lui donner une signification ridicule. Abraham,
l'ami de Dieu, est mort ; les prophètes qui étaient
remplis de l'Esprit de Dieu sont morts ; et ta parole
doit préserver de la mort ! Ceci leur parait être l'expression
d'un insupportable orgueil et d'une arrogance blasphématoire. Qui
donc prétends-tu être ?
Ah ! ses prétentions ne sont pas exagérées. Il est
réellement ce qu'il dit être : le Fils de Dieu. Telle est aussi
dès lors sa Parole : la sainte et éternelle Parole de Dieu,
l'infaillible vérité et la lumière des hommes. Aussi ne promet-il pas
une vie impérissable sur cette terre passagère ; mais la
véritable vie qui enfante l'homme intérieur, brise l'empire de la
mort, élève l'âme au-dessus de l'abîme des ténèbres, et la transporte
dans les tabernacles de l'éternelle paix. C'est
après ces biens que soupire tout coeur d'homme, mais les Juifs ne
veulent pas les recevoir de lui.
Le Sauveur ne se met nullement en souci de sa propre
gloire. Le Père la fera éclater ; il pourvoira à ce que cette
gloire soit reconnue du monde entier. L'honneur que les Juifs refusent
à Jésus, Abraham le lui eût fait avec joie. Abraham
votre père s'est réjoui de voir mon jour, et il l'a vu, et il en a
eu de la joie. Jéhovah-Jésus a été l'espérance et la
joie d'Abraham. Celui qui fut l'objet des voeux les plus ardents et
des plus hautes aspirations du père des croyants, est là devant eux et
leur tend les bras, mais ils ne reconnaissent pas le Seigneur de
gloire sous sa livrée de serviteur. Et lorsqu'ils s'écrient avec une
colère à peine contenue : Tu n'as pas
encore cinquante ans et lu as vu Abraham ! Jésus
affirme son éternelle divinité avec une grande énergie : En
vérité, en vérité, je vous dis qu'avant qu'Abraham fût, je suis.
Le Fils de Dieu est aussi né comme homme, mais, avant cette naissance,
il est le Fils « dont les issues sont d'ancienneté et dès les
temps éternels » (Michée
V, 2). Aussi ne dit-il pas J'étais, comme le portent
faussement nos versions ; mais Je suis car pour celui qui
est éternel, le passé, le présent, le futur, sont un perpétuel
aujourd'hui.
C'en est trop ! Les Juifs reconnaissent clairement
que le Sauveur ne leur laisse le choix qu'entre l'adoration et la
lapidation, et c'est à ce dernier parti qu'ils s'arrêtent. Ils pensent
qu'un pareil blasphème ne saurait demeurer impuni ; et afin de
procéder immédiatement, à l'exécution de leur dessein, ils se baissent
pour ramasser des pierres. Le Seigneur profite de ce moment pour
disparaître. Mais il n'est pas caché aux yeux de ceux qui croient en
lui, ils voient constamment sa gloire. Adorons la patience et l'amour
du Sauveur, qui souffre une si grande contradiction de la part des
pécheurs ! (Héb.
XII, 3.) Cet amour ne se lasse jamais de rendre témoignage,
d'inviter, d'avertir, de reprendre. La lumière luit dans les
ténèbres ; mais les ténèbres ne la reçoivent point. La haine des
Juifs va toujours croissant, mais Jésus la surmonte par l'imposante
majesté de sa personne. - Comme tout s'est rapidement développé à
Jérusalem ! D'abord, ce sont des opinions vacillantes sur Jésus,
puis un commencement de foi, et enfin une haine mortelle.
Cette première tentative de lapidation a fourni au peuple l'occasion
de se décider. Il souffle dans le Sanhédrin un tout autre vent qu'en
Galilée. Nulle part comme à Jérusalem, les coeurs n'étaient remplis de
l'esprit pharisaïque et asservis à la domination des sacrificateurs.
Nulle part le peuple n'était devenu un instrument aussi docile dans
les mains du grand-prêtre. C'est seulement par une fuite précipitée
que le Sauveur a évité la lapidation : mais son heure n'était pas
encore venue. Il faut qu'il répande la divine semence dans les lieux
qu'il n'a pas encore visités. Mais sa mort est désormais
décidée ; il s'en va comme une victime destinée à être immolée,
comme l'Agneau de Dieu. Mais il se hâte d'accomplir son oeuvre.
En sortant du temple avec ses disciples, Jésus vit un homme qui
était aveugle dès sa naissance. Et ses disciples lui
demandèrent : Qui est-ce qui a
péché ? est-ce cet homme ou son père ou sa mère, qu'il soit
ainsi né aveugle ? Toutes les souffrances et
toutes les maladies sont entrées dans le monde avec le péché. Là où il
n'y a point de péché, il n'y a point de souffrances. Telle était la
condition de l'homme dans le Paradis. Dans le ciel, où il n'y aura
rien d'impur, il n'y aura non plus ni deuil, ni cri, ni travail (Apoc.
XXI, 4). De même, l'expérience nous apprend que les maladies
graves sont quelquefois la suite de grands péchés. Les disciples, en
admettant un lien entre l'affliction et le péché, sont donc dans la
stricte vérité scripturaire. Seulement, il y aurait de l'exagération à
croire que toutes les maladies graves sont la suite de quelque faute
extraordinaire.
Les disciples n'étaient pas complètement affranchis de
cette idée populaire. C'est pourquoi ils prient leur Maître de leur
donner le mot de cette énigme indéchiffrable pour eux. La cause de
l'infirmité de cet aveugle-né ne peut pas se trouver dans quelque
péché particulier qu'il aurait commis. Il ne peut pas s'être rendu
coupable avant sa naissance d'une faute dont la cécité serait le châtiment.
Ou bien supporte-t-il la peine des péchés de ses parents ? Dieu
menace en effet de punir l'iniquité des pères sur les enfants jusqu'à
la troisième et à la quatrième génération ; mais il ne saurait
punir les enfants pour les fautes de leurs parents. Nul ne sera puni,
sinon pour ses propres péchés. Ainsi l'aveugle-né ne peut pas avoir
été frappé d'une pareille infirmité à cause de quelque péché
particulier commis par ses parents.
Comment se fera la lumière dans cette obscurité ?
Jésus répond : Ce n'est pas qu'il ait
péché d'une manière exceptionnelle, ni
son père ni sa mère. Il y à toutefois une cause toute
particulière à l'infirmité de cet homme : C'est
afin que les oeuvres de Dieu soient manifestées en lui.
Il faut qu'on voie en cet homme la puissance du miséricordieux amour
de Dieu. D'abord, en sa qualité de lumière du monde, le Sauveur ouvre
les yeux de cet aveugle ; ensuite il ouvre le monde spirituel à
cette âme affamée et altérée, et lui donne à contempler le vrai
miracle de Dieu.
Le Seigneur rend la vue à cet aveugle, non par sa seule
parole, mais il cracha à terre, et de sa
salive il fit de la boue, il oignit de cette boue les yeux de
l'aveugle et il lui dit : Va et te lave au réservoir de Siloé
(ce qui signifie Envoyé). Il y
alla donc, se lava et en revint voyant clair. Cette guérison rappelle
celle de Naaman, (2
Rois V, 10), et doit évidemment avoir pour effet d'éprouver la
foi de l'aveugle. Le nom de cette source, Siloé, doit être pour lui un
signe qu'il a été guéri par l'Envoyé de Dieu. Quant à l'aveugle
lui-même, il nous rappelle, à nous, que notre savoir et notre
intelligence sont enveloppés de ténèbres, et que nous ne pouvons.
trouver la délivrance de cette cécité innée qu'en Christ, qui nous
guérit aussi par l'eau du saint baptême (1
Pierre III, 21).
Cet aveugle étant un mendiant connu de tout le monde, sa
guérison excita un étonnement général. Voisins et amis lui demandèrent
comment il avait recouvré la vue. Sa réponse montre qu'il n'avait pas
encore une haute idée de son bienfaiteur. Il le nomme seulement :
Cet homme qu'on appelle Jésus, et
raconte ensuite simplement et fidèlement comment la chose est arrivée.
Il a fait de la boue et m'en a oint les yeux et m'a dit : va
au réservoir de Siloé et t'y lave. J'y suis donc allé et m'y suis
lavé et je vois.
La guérison ayant eu lieu un jour du sabbat, le ci-devant
aveugle fut amené devant les pharisiens, qui lui demandèrent de
nouveau comment il avait recouvre la vue. Il le raconta aussi
simplement et dans les mêmes termes que la première fois. Ce récit
donna lieu à une division au sein du Sanhédrin. Les uns
disaient : Cet homme n'est point de
Dieu, puisqu'il ne garde pas le sabbat. Mais d'autres
disaient : Comment un méchant homme
pourrait-il faire de pareils miracles ? Dans leur
embarras, ils demandèrent à cet homme ce qu'il pensait lui-même de
celui qui l'avait guéri. Il répondit simplement : C'est
un prophète. Nous voyons que sa foi s'est
développée ; mais les pharisiens sont décidés à ne reconnaître
aucune autorité divine au Sauveur. Le bruit du miracle s'étant
répandu, les chefs s'attachèrent à nier celle guérison et
travaillèrent le peuple pour l'amener à se prononcer dans le même
sens. Est-il certain que cet homme ait réellement été aveugle ?
Cette pensée leur parut pratique.
On appela les parents de celui qui avait été guéri, et on
leur donna à entendre que leur fils n'avait probablement. jamais été
aveugle. Mais ils dirent : Nous savons
que c'est là notre fils, qu'il est né aveugle ; mais nous ne
savons comment il voit maintenant ; nous ne savons pas non
plus qui lui a ouvert les yeux. Il a de l'âge, interrogez-le, il
parlera pour lui-même. Son père et sa mère dirent cela, parce
qu'ils craignaient les Juifs. Car les Juifs avaient déjà arrêté
que si quelqu'un reconnaissait Jésus pour le Christ, il serait
chassé de la synagogue. C'est pour cela que son père et sa mère
répondirent : Il a de l'âge, interrogez-le.
Il n'avait pas encore été décidé officiellement que les
adhérents de Jésus seraient exclus de la communauté du peuple de Dieu,
mais on avait pris un arrêté dans ce sens, et l'on cherchait à agir par
ce moyen sur les esprits timides. S'étant aperçu qu'il n'y avait
rien à faire avec les parents du ci-devant aveugle, ils l'appelèrent
lui-même une seconde fois et lui dirent : Donne
gloire à Dieu, nous savons que cet homme est un méchant.
Mais il ne se laissa pas intimider et répondit : Je
ne sais pas si c'est un méchant, mais je sais bien une chose,
c'est que j'étais aveugle et que maintenant je vois.
Lorsqu'ils lui demandèrent de nouveau comment il avait recouvré la
vue, il finit par s'impatienter et leur répondit : Je
vous l'ai déjà dit ; ne l'avez-vous pas entendu ?
Pourquoi voulez-vous l'entendre encore une fois ? Voulez-vous
aussi être de ses disciples ?
Alors leur colère éclata publiquement. Ils se mirent à
l'injurier et lui dirent : Toi, sois
son disciple ; pour nous, nous sommes disciples de Moïse.
Et en désignant avec mépris Jésus, ils ajoutèrent : Nous
savons que Dieu a parlé à Moïse ; mais pour celui-ci, nous ne
savons d'où il est, cherchant ainsi à induire cet homme
en erreur à l'égard de Jésus. Mais ils n'y réussirent pas. Au
contraire, sa foi grandit sous les invectives des pharisiens. Leur
fureur ne lui inspira pas plus de crainte, que leurs paroles amicales
ne l'avaient attiré. C'est une chose étrange,
leur dit-il, que vous ne sachiez. pas d'où
il est, et cependant il m'a ouvert les yeux. C'était en
effet bien étrange ; et il est certainement peu naturel que la
gloire de Dieu éclaire un homme sans qu'il la voie. On ne peut le
comprendre que parce que le dieu de ce siècle a aveuglé l'esprit des
incrédules, afin qu'ils ne soient pas éclairés par la lumière du
glorieux Évangile de Christ. (2
Cor. IV, 4).
On n'a jamais entendu dire que
personne ait ouvert les yeux d'un aveugle-né. Si celui-ci n'était
pas de Dieu, il ne pourrait rien faire de semblable.
Maintenant les pharisiens voient clairement que cet homme ne sera pas
un docile instrument pour l'exécution de leurs desseins. Aussi
s'emportent-ils contre lui et le chassent-ils de la synagogue. Mais
Jésus, le bon Berger, ne perd pas de vue sa pauvre brebis. Celui que
le monde hait et repousse à cause de sa fidèle confession, le Sauveur
le cherche avec amour. Jésus apprit qu'ils
l'avaient chassé, et l'ayant rencontré, il lui dit : Crois-tu
au Fils de Dieu ? Il répondit : Qui est-il, afin que je
croie en lui ? Et Jésus lui dit : Tu l'as vu, et c'est
lui-même qui te parle. Et il lui dit : Je crois, Seigneur, et
il se prosterna devant lui.
Jésus s'était d'abord dérobé aux regards de celui qu'il
avait guéri : sa guérison devait agir dans son coeur comme un
levain. C'est ce qui était arrivé. Les assauts des pharisiens avaient
changé cette étincelle de foi en une flamme brillante. D'abord son
bienfaiteur n'est pour lui que « cet homme qu'on appelle
Jésus » (v.
11) ; ensuite, c'est un prophète (v.
17) ; enfin il est de Dieu (v.
33) ; et maintenant il l'adore comme le
Fils de Dieu. Quelques pharisiens avaient assisté à cet
entretien. Le Seigneur, se trouvant en présence de ces deux espèces de
personnes : l'aveugle, dont les yeux avaient été ouverts par
celui qui est la lumière du monde, et les pharisiens, clairvoyants,
qui refusaient de voir la lumière de Dieu qui brille en Jésus, leur
dit : Je suis venu pour exercer ce
jugement : que ceux qui ne voient point voient, et que ceux
qui voient deviennent aveugles. Ses pensées de paix
tendent au salut de tous. Sans doute, Jésus a été envoyé par le Père,
afin que les yeux des aveugles soient ouverts (Ésaïe
XXXV, 5). Cependant ceux qui le voient doivent nécessairement se
décider pour lui ou contre lui, et dès lors une séparation est
inévitable.
De même que la lumière du soleil éclaire les yeux sains
et éblouit les yeux malades, ainsi Jésus, le soleil de la grâce,
éclaire de la lumière de la vie les coeurs qui sont pour la vérité et
qui viennent à cette lumière dans le sentiment de leurs ténèbres
naturelles. En revanche, ceux qui, enflés par leur prétendue science,
se tiennent pour clairvoyants, tombent dans la condamnation d'un
éternel aveuglement. L'aveuglement naturel est augmenté par une
orgueilleuse résistance à la lumière, et dégénère en un aveuglement
définitif, en endurcissement. De là vient que l'aveuglement du
judaïsme anti-chrétien est beaucoup plus terrible que celui du
judaïsme avant Christ. Quelle douleur ne dut pas remplir le
coeur de Jésus en voyant les âmes mûrir pour la condamnation !
Cependant il lui reste une consolation, même un motif d'action de
grâces dans le fait que le Père a trouvé bon de cacher le salut aux
sages et aux intelligents et de le révéler aux enfants (Luc
X, 21).
Les pharisiens présents se sentent atteints et
demandent : Sommes-nous aussi des
aveugles ? Faut-il que nous soyons aussi rendus
clairvoyants par toi ? Jésus leur répond : Si
vous étiez aveugles, vous n'auriez point de péchés, mais
maintenant vous dites : Nous voyons ; c'est pour cela
que voire péché demeure. Si quelqu'un a reconnaît
sincèrement son aveuglement et soupire après la lumière, ses yeux
seront ouverts et son coeur éclatera de joie à la vue de l'ineffable
bonté et de la redoutable majesté de Dieu. Quiconque, au contraire,
croit être dans la lumière et refuse de voir l'amour et la
bonté de Dieu notre Sauveur (Tite
III, 4), est responsable de son propre aveuglement et sera lié
des chaînes d'une éternelle obscurité.
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