Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE II

suite

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C. Activité de Jésus à Jérusalem.

71. Jésus enseignant dans le lieu où était le trésor du temple.

(Jean VIII, 12. 59.)


Le Sauveur continue à enseigner dans le temple. Les pharisiens sont de nouveau là pour l'écouter. Ils ont étouffé la voix de leur conscience ; mais ils savent maintenant que le regard de Jésus a pénétré jusqu'au fond des ténèbres de leurs coeurs. Jésus aurait pu espérer qu'ils seraient touchés de sa bonté ; mais depuis, ils ont eu le temps de se remettre parfaitement. Les nuages qui avaient pu obscurcir leur front ont complètement disparu, et ils se présentent devant Jésus comme si rien n'était arrivé.

Tous les coeurs sont encore remplis des joies que la fête leur a causées. L'éclatante lumière. que les candélabres d'or avaient répandue, la veille au soir, de la cour du temple sur toute la ville, brillaient encore dans leur souvenir. Jésus veut profiter de cette disposition, dans l'espoir que sa parole trouvera plus facilement l'entrée des coeurs. Je suis la lumière du monde leur dit-il : celui qui me suit ne marchera point dans les ténèbres : mais il aura la lumière de la vie. La lumière du monde est aussi son salut. Jésus est le soleil de la grâce, « le soleil de justice qui porte la santé dans ses rayons. » Quiconque le suit a la lumière de la vie, et ne marche plus dans les ténèbres. L'amour du péché est incompatible avec la foi en Jésus.

Au surplus, Jésus n'est pas seul à se rendre témoignage à lui-même C'est ce qu'il déclare aux pharisiens. Quoique je me rende témoignage à moi-même, mon témoignage est véritable, car je sais d'où je suis venu et où je vais. Si le soleil pouvait parler et disait : Je suis le soleil, et qu'on lui répondit : Non, non, tu n'es que la nuit, car tu te rends témoignage à toi-même, quel sens aurait un pareil langage ? Une lumière est son propre témoignage. Elle éclaire les yeux sains, afin d'être reconnue comme lumière. Toutefois, le témoignage du Père se joint à celui de Jésus, car il est issu du Père, et le Père rend ce témoignage avec lui, qu'il est la lumière, engendré de Dieu.

Jésus venait, par sa douceur, de confondre le sévère jugement des pharisiens. Mais à l'ouïe de cette déclaration, que quiconque est loin de lui est privé du salut, ses adversaires sentent qu'il prononce sur eux un implacable jugement. C'est en effet la pensée de celui qui sonde les coeurs. Vous jugez selon la chair, leur dit-il. Les pharisiens formaient leur jugement d'après ce qui frappe les yeux, et ne pouvaient reconnaître la gloire divine du Fils unique sous sa forme de serviteur. Et lorsqu'il ajoute : Je ne juge personne, il veut dire par là, qu'il n'est pas venu pour juger le monde, mais pour le sauver. Il ne nie pas qu'il ne doive revenir pour juger les vivants et les morts ; il veut seulement dire que son jugement ne vient pas de lui-même, c'est-à-dire qu'il ne le prononce pas arbitrairement, mais que ce jugement dépend des rapports dans lesquels les hommes se trouveront avec le Sauveur et ne sera par conséquent qu'une ratification de la décision que chacun aura prise dans son coeur. Celui qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu'il n'a pas cru (Jean III, 18). Jésus ajoute : Et quand je jugerais, mon jugement serait digne de foi, car je ne suis pas seul, mais le Père qui m'a envoyé est avec moi.
L'ordre du Sanhédrin de saisir Jésus n'avait pas été retiré ; cependant personne ne mit la main sur lui, parce que son heure n'était pas encore venue.

Jésus adresse encore une fois aux Juifs ce sérieux avertissement : c'est qu'il s'en va, et que s'ils ne croient pas en lui, ils mourront dans leurs péchés. Mais eux s'en moquent, comme ils avaient fait la veille, et se demandent s'il se tuera lui-même. Jésus leur répond avec une inaltérable douceur que s'ils ne le reconnaissent pas, c'est parce qu'il y a un abîme entre eux. Vous êtes d'ici-bas, et moi je suis d'en haut ; vous êtes de ce monde, et moi je ne suis pas de ce monde. Cet abîme ne peut être comblé que par la foi. Si vous ne croyez pas ce que je suis (c'est-à-dire le Sauveur qui peut seul délivrer du péché, de la mort et du diable), vous mourrez dans vos péchés. Alors ils lui dirent ironiquement : Toi, qui es-tu ? Jésus leur répondit : Ce que je vous ai dit dès le commencement. Il leur avait dit qui il est ; mais eux ne croyaient pas que sa nature se révélât dans ses discours, ni qu'il fût réellement ce qu'il disait être. C'est pourquoi Jésus les adresse à sa mort sur la croix : c'est alors qu'ils le connaîtront.

Jésus souhaite que le plus haut degré de leur incrédulité amène pour eux une crise salutaire. Et de fait, lorsque, pendant les scènes de Golgotha, le soleil s'obscurcit, le voile du temple se déchira, les rochers se fendirent, le peuple témoin de ces prodiges s'en retourna en se frappant la poitrine (Luc XXIII, 48). Et, lorsque sous l'impression des paroles de Pierre, le jour de la Pentecôte, la foule demanda : Hommes frères, que ferons-nous ? alors s'accomplit cette prédiction de Jésus : Lorsque vous aurez élevé le Fils de l'homme, alors vous reconnaîtrez ce que je suis. De même que lors de sa dernière entrée à Jérusalem, il pleura sur elle, de même Jésus a parlé ici selon la douloureuse inspiration de son amour ; et sa parole alla au coeur de ceux qui n'étaient pas encore complètement endurcis. Car il est dit : Plusieurs crurent en lui. Comme le coeur du Seigneur dut se réjouir !

Ce n'était là sans doute qu'un faible commencement de foi. Ils disaient : « Oui et amen » à ses déclarations. « Oui, il est ce qu'il dit être et il veut nous délivrer de nos péchés. » Mais le Sauveur ne veut pas éteindre le lumignon fumant. Il regarde moins à la grandeur de notre foi qu'à la persévérance avec laquelle nous demeurons en lui. Il fortifie la foi de ceux qui demeurent en lui. C'est pourquoi il dit aux Juifs qui avaient cru : Si vous persistez dans ma doctrine, vous serez véritablement mes disciples, et vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous affranchira. La connaissance croit par la fidélité. Lorsque nous chantons: « Fais que je t'appartienne et que je demeure en toi », notre coeur s'enracine toujours plus profondément dans la parole de Jésus, afin que notre âme vive de cette parole et y persévère jusqu'à la fin. L'Église primitive qui, à l'exemple de l'Église apostolique, voulait être une communauté de disciples, devait persévérer dans la doctrine des apôtres et demander instamment à Dieu de l'y maintenir.

Les Juifs sont irrités de devoir être affranchis par Jésus, eux qui se croyaient faits pour être les dominateurs du monde. lis prétendent, comme enfants d'Abraham, n'avoir jamais été esclaves de personne. Mais Jésus parle, non de l'assujettissement politique, mais de l'esclavage du péché. Quiconque s'adonne au péché, est esclave du péché. Si donc le Fils vous affranchit, vous serez véritablement libres. Les Juifs se glorifient de leur liberté, et ils sont dans le plus honteux esclavage... l'esclavage du péché. Quiconque cède au péché et se laisse dominer par lui, devient son esclave ; il ne peut plus assigner de limites à son empire, en disant : « Jusque là et pas plus loin. » Et comme esclave, il est force de faire ce qu'il ne veut pas faire (Rom. VIII, 14-15).

Le vieux pasteur Jaenike, se rendant un jour auprès d'un malade, passa près d'une maison en construction. Les ouvriers étaient à déjeuner. L'un d'eux l'appela en lui disant : « Père Jaenike, viens donc boire un coup avec nous », et en disant cela, l'ouvrier lui tendait un verre plein d'eau-de-vie. Tous ses compagnons se mirent à rire aux éclats. Jaenike s'approcha tranquillement du farceur et lui dit : « Mon ami, je pourrais boire si je voulais, mais je ne veux pas ; tandis que toi, tu es forcé de boire. » Cet homme voulait, comme les Juifs, nier qu'il fût esclave de ce vice, et cria au pasteur qui s'éloignait tranquillement : « Je suis forcé de boire ! Je veux te prouver que je puis m'en abstenir. » Pendant des semaines, il lutta contre son penchant à l'ivrognerie, mais toujours en vain. Enfin il se rendit auprès du pasteur Jaenike, et reconnut avec larmes l'esclavage où il se trouvait et son impuissance à s'en affranchir. Là il apprit à connaître le Fils qui affranchit et rend à l'homme « la glorieuse liberté des enfants de Dieu. » C'est lui qui donne la force d'accomplir joyeusement la volonté de Dieu et de le servir avec amour et sans crainte.

Lorsque les Juifs insistent sur leur descendance d'Abraham, Jésus l'admet ; mais il conteste qu'ils soient de vrais enfants d'Abraham, puisqu'ils ne font pas les oeuvres d'Abraham. Vous cherchez à me faire mourir, moi qui suis un homme qui vous ai dit la vérité que j'ai apprise de Dieu ; Abraham n'a point fait cela. Vous faites les oeuvres de votre Père. Les Juifs remarquent que Jésus ne leur conteste pas leur filiation d'Abraham, mais nie qu'ils soient enfants de Dieu. C'est contre cette dernière déclaration qu'ils se récrient. Nous n'avons qu'un seul Père, qui est Dieu ! Cette fois, Jésus ne saurait laisser passer cette affirmation. Si Dieu était votre Père, leur dit-il, vous m'aimeriez sans doute, parce que je suis issu de Dieu et que je viens de sa part. Quiconque hait Jésus, ne peut pas aimer Dieu. Les enfants de Dieu aiment Jésus, le Fils unique de Dieu et entendent sa voix. Pourquoi ne comprenez-vous pas mon langage ? C'est parce que vous ne pouvez écouter ma parole. L'homme naturel ne comprend point les choses qui sont de l'Esprit de Dieu, car elles lui paraissent une folie et il ne peut les entendre (I Cor. II, 14).

La langue des mystères de Dieu est inintelligible pour tous ceux qui n'ont d'oreilles que pour les choses de la chair et du sang. Lorsqu'un homme s'est volontairement éloigné de la Parole divine ; lorsqu'il a étouffé les impressions qu'il en a reçues, son sens moral s'altère peu à peu, son coeur devient incapable de croire (2 Tim. III, 8), et il tombe dans un état d'aveuglement et de stupidité relativement à la vérité divine. Ce symptôme est un signe que son jugement a commencé. Que celui qui veut éviter ce malheur résiste aux plus petits commencements ; qu'il obéisse à la plus légère impulsion de l'Esprit.

Combien parmi nous lisent leur Bible française, mais ne la comprennent pas mieux que si elle était écrite en hébreu ! Cela fait qu'ils ne peuvent plus entendre la Parole de Jésus ni sur la grâce ni sur le péché. Le non-pouvoir est la suite du non-vouloir. Celui qui veut faire la volonté de Satan, ne peut entendre la Parole de Jésus. Et le Seigneur déclare aux Juifs que tel est leur cas. Le père dont vous êtes issus, leur dit-il, c'est le diable, et vous voulez accomplir les désirs de votre père. Il a été meurtrier dès le commencement et il n'a point persévéré dans la vérité, parce que la vérité n'est point en lui. Toutes les fois qu'il dit le mensonge, il parle de son propre fond, car il est menteur et le père dit mensonge. Mais parce que je vous ai dit la vérité, vous ne me croyez point. De même qu'un enfant hérite des dispositions morales et du caractère de son père, de même les Juifs portent l'empreinte morale du diable, et subissent l'influence de celui qui est le père du mensonge. C'est pourquoi ils ne croient pas en Jésus et n'ont point d'oreille pour sa Parole. Ce langage n'est pas celui de leur père, mais celui de son Père.

Les oppositions s'accentuent de plus en plus. Toujours plus claires sont les révélations du Seigneur sur lui-même ; toujours plus glorieuses les promesses qu'il fait aux siens, c'est-à-dire à ceux qui, altérés de salut, acceptent sa Parole ; toujours plus sérieuses les répréhensions qu'il adresse à ceux qui refusent de le recevoir. Il est venu chercher et sauver ce qui était perdu, mais ceux qui ne veulent pas se laisser sauver, seront frappés par ses jugements. Ainsi s'engage, dans toutes les formes, une lutte morale entre le miséricordieux amour de Dieu et la résistance haineuse du diable.

Qui de vous me convaincra de péché ? et si je dis la vérité, pourquoi ne me croyez-vous pas ? Le coeur de l'homme a soif de vérité, et Jésus est la vérité. L'erreur et le mensonge se trouvent seulement dans les pécheurs. La lumière et la vérité ont conservé toute leur pureté et toute leur limpidité dans Celui qui a été parfaitement saint. Il ne s'est jamais élevé dans son coeur ni une mauvaise pensée, ni un sentiment coupable ; jamais un reproche dans sa conscience, jamais une tache dans sa vie. Son coeur est lumière, de même que son essence. Ainsi sa Parole doit offrir des garanties certaines ; et cependant on ne le croyait pas ! Nous éprouvons quelque chose de la douleur qui remplissait son coeur, lorsqu'il disait aux Juifs : Pourquoi ne croyez-vous pas ? Pouvaient-ils donc se passer de lui ? N'est-il pas le plus précieux trésor de l'âme ? Le coeur de l'homme n'est-il pas fait pour lui ? Ne le cherche-t-il pas et ne soupire-t-il pas après lui ? Sans doute. Il est notre paix, notre joie, notre vie. Quiconque le connaît, Lui, la sainte vérité, a la lumière de la vie. Une flamme éclatante brûle dans son coeur. D'où vient donc l'incrédulité ? Celui qui est de Dieu, écoute les paroles de Dieu ; c'est pourquoi vous ne les écoutez pas, parce que vous n'êtes pas de Dieu.

Quiconque n'est pas de Dieu n'écoute pas les paroles de Dieu, et quiconque ne veut pas faire sa volonté, n'est pas de Dieu. Qui veut plaire au diable et non à Dieu, est dans un état moral tel que sa conscience ne peut plus être reprise par l'Esprit de Dieu, ni éclairée par la connaissance de la vérité. Ainsi le coeur devient incapable de percevoir les choses de Dieu : elles lui paraissent une folie. Le jugement et l'éternité sont à ses yeux un produit de l'imagination ; le péché et la réconciliation avec Dieu, l'objet d'un invincible dégoût ; la soumission aux commandements de Dieu, une preuve de faiblesse d'esprit ou d'hypocrisie. Et Jésus lui-même, le saint et le véritable, apparaît au coeur ennemi de Dieu, comme un Samaritain et un possédé. Telle est la disposition des Juifs.

N'avons-nous pas raison de dire que tu es un Samaritain et que tu es possédé dit démon ? Jésus leur répond avec une patience et un calme tout célestes : Je ne suis point possédé du démon. - Il ne fait pas mention de l'autre reproche, car il avait quelques adhérents en Samarie. - Mais j'honore mon Père et vous me déshonorez. Uniquement préoccupé du salut de leurs âmes, il ajoute au sérieux avertissement cette pressante invitation : En vérité, en vérité, je vous dis que si quelqu'un garde ma parole, il ne mourra jamais. La fureur de ces aveugles est encore enflammée par ces paroles. Ils ne veulent pas comprendre le Sauveur ; ils ne songent qu'à assouvir leur haine. C'est pourquoi ils feignent de croire que cette déclaration s'applique à la mort du corps, afin de pouvoir lui donner une signification ridicule. Abraham, l'ami de Dieu, est mort ; les prophètes qui étaient remplis de l'Esprit de Dieu sont morts ; et ta parole doit préserver de la mort ! Ceci leur parait être l'expression d'un insupportable orgueil et d'une arrogance blasphématoire. Qui donc prétends-tu être ?

Ah ! ses prétentions ne sont pas exagérées. Il est réellement ce qu'il dit être : le Fils de Dieu. Telle est aussi dès lors sa Parole : la sainte et éternelle Parole de Dieu, l'infaillible vérité et la lumière des hommes. Aussi ne promet-il pas une vie impérissable sur cette terre passagère ; mais la véritable vie qui enfante l'homme intérieur, brise l'empire de la mort, élève l'âme au-dessus de l'abîme des ténèbres, et la transporte dans les tabernacles de l'éternelle paix. C'est après ces biens que soupire tout coeur d'homme, mais les Juifs ne veulent pas les recevoir de lui.

Le Sauveur ne se met nullement en souci de sa propre gloire. Le Père la fera éclater ; il pourvoira à ce que cette gloire soit reconnue du monde entier. L'honneur que les Juifs refusent à Jésus, Abraham le lui eût fait avec joie. Abraham votre père s'est réjoui de voir mon jour, et il l'a vu, et il en a eu de la joie. Jéhovah-Jésus a été l'espérance et la joie d'Abraham. Celui qui fut l'objet des voeux les plus ardents et des plus hautes aspirations du père des croyants, est là devant eux et leur tend les bras, mais ils ne reconnaissent pas le Seigneur de gloire sous sa livrée de serviteur. Et lorsqu'ils s'écrient avec une colère à peine contenue : Tu n'as pas encore cinquante ans et lu as vu Abraham ! Jésus affirme son éternelle divinité avec une grande énergie : En vérité, en vérité, je vous dis qu'avant qu'Abraham fût, je suis. Le Fils de Dieu est aussi né comme homme, mais, avant cette naissance, il est le Fils « dont les issues sont d'ancienneté et dès les temps éternels » (Michée V, 2). Aussi ne dit-il pas J'étais, comme le portent faussement nos versions ; mais Je suis car pour celui qui est éternel, le passé, le présent, le futur, sont un perpétuel aujourd'hui.

C'en est trop ! Les Juifs reconnaissent clairement que le Sauveur ne leur laisse le choix qu'entre l'adoration et la lapidation, et c'est à ce dernier parti qu'ils s'arrêtent. Ils pensent qu'un pareil blasphème ne saurait demeurer impuni ; et afin de procéder immédiatement, à l'exécution de leur dessein, ils se baissent pour ramasser des pierres. Le Seigneur profite de ce moment pour disparaître. Mais il n'est pas caché aux yeux de ceux qui croient en lui, ils voient constamment sa gloire. Adorons la patience et l'amour du Sauveur, qui souffre une si grande contradiction de la part des pécheurs ! (Héb. XII, 3.) Cet amour ne se lasse jamais de rendre témoignage, d'inviter, d'avertir, de reprendre. La lumière luit dans les ténèbres ; mais les ténèbres ne la reçoivent point. La haine des Juifs va toujours croissant, mais Jésus la surmonte par l'imposante majesté de sa personne. - Comme tout s'est rapidement développé à Jérusalem ! D'abord, ce sont des opinions vacillantes sur Jésus, puis un commencement de foi, et enfin une haine mortelle. Cette première tentative de lapidation a fourni au peuple l'occasion de se décider. Il souffle dans le Sanhédrin un tout autre vent qu'en Galilée. Nulle part comme à Jérusalem, les coeurs n'étaient remplis de l'esprit pharisaïque et asservis à la domination des sacrificateurs. Nulle part le peuple n'était devenu un instrument aussi docile dans les mains du grand-prêtre. C'est seulement par une fuite précipitée que le Sauveur a évité la lapidation : mais son heure n'était pas encore venue. Il faut qu'il répande la divine semence dans les lieux qu'il n'a pas encore visités. Mais sa mort est désormais décidée ; il s'en va comme une victime destinée à être immolée, comme l'Agneau de Dieu. Mais il se hâte d'accomplir son oeuvre.



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72. L'aveugle-né.

(Jean IX.)


 En sortant du temple avec ses disciples, Jésus vit un homme qui était aveugle dès sa naissance. Et ses disciples lui demandèrent : Qui est-ce qui a péché ? est-ce cet homme ou son père ou sa mère, qu'il soit ainsi né aveugle ? Toutes les souffrances et toutes les maladies sont entrées dans le monde avec le péché. Là où il n'y a point de péché, il n'y a point de souffrances. Telle était la condition de l'homme dans le Paradis. Dans le ciel, où il n'y aura rien d'impur, il n'y aura non plus ni deuil, ni cri, ni travail (Apoc. XXI, 4). De même, l'expérience nous apprend que les maladies graves sont quelquefois la suite de grands péchés. Les disciples, en admettant un lien entre l'affliction et le péché, sont donc dans la stricte vérité scripturaire. Seulement, il y aurait de l'exagération à croire que toutes les maladies graves sont la suite de quelque faute extraordinaire.

Les disciples n'étaient pas complètement affranchis de cette idée populaire. C'est pourquoi ils prient leur Maître de leur donner le mot de cette énigme indéchiffrable pour eux. La cause de l'infirmité de cet aveugle-né ne peut pas se trouver dans quelque péché particulier qu'il aurait commis. Il ne peut pas s'être rendu coupable avant sa naissance d'une faute dont la cécité serait le châtiment. Ou bien supporte-t-il la peine des péchés de ses parents ? Dieu menace en effet de punir l'iniquité des pères sur les enfants jusqu'à la troisième et à la quatrième génération ; mais il ne saurait punir les enfants pour les fautes de leurs parents. Nul ne sera puni, sinon pour ses propres péchés. Ainsi l'aveugle-né ne peut pas avoir été frappé d'une pareille infirmité à cause de quelque péché particulier commis par ses parents.

Comment se fera la lumière dans cette obscurité ? Jésus répond : Ce n'est pas qu'il ait péché d'une manière exceptionnelle, ni son père ni sa mère. Il y à toutefois une cause toute particulière à l'infirmité de cet homme : C'est afin que les oeuvres de Dieu soient manifestées en lui. Il faut qu'on voie en cet homme la puissance du miséricordieux amour de Dieu. D'abord, en sa qualité de lumière du monde, le Sauveur ouvre les yeux de cet aveugle ; ensuite il ouvre le monde spirituel à cette âme affamée et altérée, et lui donne à contempler le vrai miracle de Dieu.

Le Seigneur rend la vue à cet aveugle, non par sa seule parole, mais il cracha à terre, et de sa salive il fit de la boue, il oignit de cette boue les yeux de l'aveugle et il lui dit : Va et te lave au réservoir de Siloé (ce qui signifie Envoyé). Il y alla donc, se lava et en revint voyant clair. Cette guérison rappelle celle de Naaman, (2 Rois V, 10), et doit évidemment avoir pour effet d'éprouver la foi de l'aveugle. Le nom de cette source, Siloé, doit être pour lui un signe qu'il a été guéri par l'Envoyé de Dieu. Quant à l'aveugle lui-même, il nous rappelle, à nous, que notre savoir et notre intelligence sont enveloppés de ténèbres, et que nous ne pouvons. trouver la délivrance de cette cécité innée qu'en Christ, qui nous guérit aussi par l'eau du saint baptême (1 Pierre III, 21).

Cet aveugle étant un mendiant connu de tout le monde, sa guérison excita un étonnement général. Voisins et amis lui demandèrent comment il avait recouvré la vue. Sa réponse montre qu'il n'avait pas encore une haute idée de son bienfaiteur. Il le nomme seulement : Cet homme qu'on appelle Jésus, et raconte ensuite simplement et fidèlement comment la chose est arrivée. Il a fait de la boue et m'en a oint les yeux et m'a dit : va au réservoir de Siloé et t'y lave. J'y suis donc allé et m'y suis lavé et je vois.

La guérison ayant eu lieu un jour du sabbat, le ci-devant aveugle fut amené devant les pharisiens, qui lui demandèrent de nouveau comment il avait recouvre la vue. Il le raconta aussi simplement et dans les mêmes termes que la première fois. Ce récit donna lieu à une division au sein du Sanhédrin. Les uns disaient : Cet homme n'est point de Dieu, puisqu'il ne garde pas le sabbat. Mais d'autres disaient : Comment un méchant homme pourrait-il faire de pareils miracles ? Dans leur embarras, ils demandèrent à cet homme ce qu'il pensait lui-même de celui qui l'avait guéri. Il répondit simplement : C'est un prophète. Nous voyons que sa foi s'est développée ; mais les pharisiens sont décidés à ne reconnaître aucune autorité divine au Sauveur. Le bruit du miracle s'étant répandu, les chefs s'attachèrent à nier celle guérison et travaillèrent le peuple pour l'amener à se prononcer dans le même sens. Est-il certain que cet homme ait réellement été aveugle ? Cette pensée leur parut pratique.

On appela les parents de celui qui avait été guéri, et on leur donna à entendre que leur fils n'avait probablement. jamais été aveugle. Mais ils dirent : Nous savons que c'est là notre fils, qu'il est né aveugle ; mais nous ne savons comment il voit maintenant ; nous ne savons pas non plus qui lui a ouvert les yeux. Il a de l'âge, interrogez-le, il parlera pour lui-même. Son père et sa mère dirent cela, parce qu'ils craignaient les Juifs. Car les Juifs avaient déjà arrêté que si quelqu'un reconnaissait Jésus pour le Christ, il serait chassé de la synagogue. C'est pour cela que son père et sa mère répondirent : Il a de l'âge, interrogez-le.

Il n'avait pas encore été décidé officiellement que les adhérents de Jésus seraient exclus de la communauté du peuple de Dieu, mais on avait pris un arrêté dans ce sens, et l'on cherchait à agir par ce moyen sur les esprits timides. S'étant aperçu qu'il n'y avait rien à faire avec les parents du ci-devant aveugle, ils l'appelèrent lui-même une seconde fois et lui dirent : Donne gloire à Dieu, nous savons que cet homme est un méchant. Mais il ne se laissa pas intimider et répondit : Je ne sais pas si c'est un méchant, mais je sais bien une chose, c'est que j'étais aveugle et que maintenant je vois. Lorsqu'ils lui demandèrent de nouveau comment il avait recouvré la vue, il finit par s'impatienter et leur répondit : Je vous l'ai déjà dit ; ne l'avez-vous pas entendu ? Pourquoi voulez-vous l'entendre encore une fois ? Voulez-vous aussi être de ses disciples ?

Alors leur colère éclata publiquement. Ils se mirent à l'injurier et lui dirent : Toi, sois son disciple ; pour nous, nous sommes disciples de Moïse. Et en désignant avec mépris Jésus, ils ajoutèrent : Nous savons que Dieu a parlé à Moïse ; mais pour celui-ci, nous ne savons d'où il est, cherchant ainsi à induire cet homme en erreur à l'égard de Jésus. Mais ils n'y réussirent pas. Au contraire, sa foi grandit sous les invectives des pharisiens. Leur fureur ne lui inspira pas plus de crainte, que leurs paroles amicales ne l'avaient attiré. C'est une chose étrange, leur dit-il, que vous ne sachiez. pas d'où il est, et cependant il m'a ouvert les yeux. C'était en effet bien étrange ; et il est certainement peu naturel que la gloire de Dieu éclaire un homme sans qu'il la voie. On ne peut le comprendre que parce que le dieu de ce siècle a aveuglé l'esprit des incrédules, afin qu'ils ne soient pas éclairés par la lumière du glorieux Évangile de Christ. (2 Cor. IV, 4).

On n'a jamais entendu dire que personne ait ouvert les yeux d'un aveugle-né. Si celui-ci n'était pas de Dieu, il ne pourrait rien faire de semblable. Maintenant les pharisiens voient clairement que cet homme ne sera pas un docile instrument pour l'exécution de leurs desseins. Aussi s'emportent-ils contre lui et le chassent-ils de la synagogue. Mais Jésus, le bon Berger, ne perd pas de vue sa pauvre brebis. Celui que le monde hait et repousse à cause de sa fidèle confession, le Sauveur le cherche avec amour. Jésus apprit qu'ils l'avaient chassé, et l'ayant rencontré, il lui dit : Crois-tu au Fils de Dieu ? Il répondit : Qui est-il, afin que je croie en lui ? Et Jésus lui dit : Tu l'as vu, et c'est lui-même qui te parle. Et il lui dit : Je crois, Seigneur, et il se prosterna devant lui.

Jésus s'était d'abord dérobé aux regards de celui qu'il avait guéri : sa guérison devait agir dans son coeur comme un levain. C'est ce qui était arrivé. Les assauts des pharisiens avaient changé cette étincelle de foi en une flamme brillante. D'abord son bienfaiteur n'est pour lui que « cet homme qu'on appelle Jésus » (v. 11) ; ensuite, c'est un prophète (v. 17) ; enfin il est de Dieu (v. 33) ; et maintenant il l'adore comme le Fils de Dieu. Quelques pharisiens avaient assisté à cet entretien. Le Seigneur, se trouvant en présence de ces deux espèces de personnes : l'aveugle, dont les yeux avaient été ouverts par celui qui est la lumière du monde, et les pharisiens, clairvoyants, qui refusaient de voir la lumière de Dieu qui brille en Jésus, leur dit : Je suis venu pour exercer ce jugement : que ceux qui ne voient point voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles. Ses pensées de paix tendent au salut de tous. Sans doute, Jésus a été envoyé par le Père, afin que les yeux des aveugles soient ouverts (Ésaïe XXXV, 5). Cependant ceux qui le voient doivent nécessairement se décider pour lui ou contre lui, et dès lors une séparation est inévitable.

De même que la lumière du soleil éclaire les yeux sains et éblouit les yeux malades, ainsi Jésus, le soleil de la grâce, éclaire de la lumière de la vie les coeurs qui sont pour la vérité et qui viennent à cette lumière dans le sentiment de leurs ténèbres naturelles. En revanche, ceux qui, enflés par leur prétendue science, se tiennent pour clairvoyants, tombent dans la condamnation d'un éternel aveuglement. L'aveuglement naturel est augmenté par une orgueilleuse résistance à la lumière, et dégénère en un aveuglement définitif, en endurcissement. De là vient que l'aveuglement du judaïsme anti-chrétien est beaucoup plus terrible que celui du judaïsme avant Christ. Quelle douleur ne dut pas remplir le coeur de Jésus en voyant les âmes mûrir pour la condamnation ! Cependant il lui reste une consolation, même un motif d'action de grâces dans le fait que le Père a trouvé bon de cacher le salut aux sages et aux intelligents et de le révéler aux enfants (Luc X, 21).

Les pharisiens présents se sentent atteints et demandent : Sommes-nous aussi des aveugles ? Faut-il que nous soyons aussi rendus clairvoyants par toi ? Jésus leur répond : Si vous étiez aveugles, vous n'auriez point de péchés, mais maintenant vous dites : Nous voyons ; c'est pour cela que voire péché demeure. Si quelqu'un a reconnaît sincèrement son aveuglement et soupire après la lumière, ses yeux seront ouverts et son coeur éclatera de joie à la vue de l'ineffable bonté et de la redoutable majesté de Dieu. Quiconque, au contraire, croit être dans la lumière et refuse de voir l'amour et la bonté de Dieu notre Sauveur (Tite III, 4), est responsable de son propre aveuglement et sera lié des chaînes d'une éternelle obscurité.

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