L'activité du Sauveur en Galilée est terminée. Il sait que sa mort
sur la croix n'aura pas lieu immédiatement (v.
8), et qu'il quittera encore une fois Jérusalem pour annoncer
l'Évangile en Samarie et en Pérée. Mais il sait aussi qu'il finira sa
vie à Jérusalem. Dès lors, toutes ses pensées sont tournées de ce
côté ; il se prépare à souffrir et à mourir. Après avoir
évangélisé la Galilée pendant un an et demi, depuis le printemps de
l'an 31 jusqu'à l'automne de l'an 32, il se dispose à se rendre à
Jérusalem pour la fête des Tabernacles. La signification de cette
solennité nous est indiquée Lévitique
XXIII, 42-43 : « Vous demeurerez sept jours dans des
tentes, afin que votre postérité, sache que j'ai fait demeurer Israël
dans des tentes, lorsque je les retirai d'Égypte. » On habitait
dans des tentes construites sur les toits ou dans les rues ; on
portait des branches de palmier et d'olivier dans les mains ; on
prenait de joyeux repas et l'on célébrait la fête par une multitude de
sacrifices. En souvenir de l'eau qui jaillit miraculeusement du
rocher, et dont le peuple étancha sa soif, on remplissait chaque matin
une cruche d'or à la fontaine de Siloé, et on la versait, avec des
chants de louanges, à côté de l'autel. En souvenir de la colonne de
feu qui avait éclairé les Israélites au désert, brillaient chaque
soir, sur des candélabres d'or dressés dans la cour du temple, des
lampes qui répandaient au loin leur éclat.
Les frères de Jésus, qui ne croyaient pas en lui (v.
5) auraient voulu pouvoir se glorifier d'un Messie
terrestre ; ils étaient mécontents de ce que Jésus s'était arrêté
si longtemps en Galilée. Ils pensaient que le Messie ne devait pas
sortir d'un coin obscur de cette province ignorée. Selon eux,
Jérusalem était le théâtre où son activité devait se déployer, en
présence des savants et surtout du Sanhédrin, afin qu'il reçût une
sanction officielle, dans la capitale du pays.
« Pars d'ici, lui dirent-ils, et t'en va
en Judée, afin que les disciples voient aussi les oeuvres que tu
fais. » Cette grande fête était une excellente
occasion pour enthousiasmer et entraîner la foule par des miracles et
pour prendre enfin possession du trône royal. Mais c'est précisément
pour cette raison que Jésus repousse cette prétention de ses frères.
Il se refuse à monter à la fête avec les grandes caravanes qui s'y
rendaient. Son temps n'était pas encore accompli : il le sera
seulement à la prochaine fête de Pâques. Alors il fera publiquement
son entrée à Jérusalem comme le vrai Roi et le vrai souverain
sacrificateur d'Israël. « Montez à cette fête, dit-il à ses
frères ; pour moi, je n'y monte pas encore, parce que mon temps
n'est pas encore venu. » Ce n'est ni avec eux ni comme ils
l'entendent, qu'il veut monter à Jérusalem.
À peine Jésus est-il entré en Samarie, qu'il se heurte à
une haine comme il n'en avait pas rencontré en Galilée. Le premier
village des Samaritains où il désire passer la nuit, lui refuse
l'hospitalité, parce qu'il se rend à la fête de Jérusalem. Les Juifs
et les Samaritains se haïssaient réciproquement, et si pendant les
fêtes, quelque Juif traversait la Samarie pour assister à ces
solennités, il était fort mal accueilli. Voilà pourquoi le Seigneur
fut ainsi repoussé. Le Sauveur se tient à la porte et demande à
entrer, et l'entrée lui est refusée ! Quel triste
spectacle ! Qui donc ne serait indigné de ce refus ? Et
cependant le Sauveur ne l'éprouve-t-il pas encore
continuellement ? Lui as-tu immédiatement ouvert ton coeur, cher
lecteur, quand il est venu frapper à ta porte ? On comprend très
bien les sentiments des deux chers disciples Jacques et Jean
lorsqu'ils lui dirent : Seigneur,
veux-tu que nous disions que le feu du ciel descende sur eux et
qu'il les consume, comme Élie le fit ? (Luc
IX, 54.) Ces deux disciples furent plus d'une fois repris pour
leur zèle ; ils le sont encore dans cette circonstance. Mais
quelle différence entre les répréhensions du Seigneur et les
nôtres ! Il avait le droit de les reprendre, car il était dévoré
du feu de la colère de Dieu contre les péchés des hommes. Quant à
nous, nous devrions rougir en présence du zèle de ces deux disciples,
car nous en avons bien peu pour la gloire et l'avancement du règne de
notre Sauveur.
Jacques et Jean venaient de voir leur Maître rayonner
de la gloire divine sur la montagne. Ils avaient été témoins de
l'honneur que Moïse et Élie, et Dieu lui-même lui avaient rendu. Et
maintenant des hommes lui refusent un gîte pour la nuit ! Que ce
refus ait indigné les disciples, et qu'ils aient été animés du zèle
d'Élie, il ne faut pas s'en étonner, car peu de temps auparavant la
personne de ce prophète avait été rappelée à leur souvenir (Luc
IX, 19. 20 ; Matth.
XVII, 10). Ils sont zélés pour l'honneur de leur Maître ;
mais leur zèle ne ressemble pas au sien ; on le voit par les
larmes que Jésus versa sur Jérusalem. Quant à eux, leur zèle est une
excitation charnelle. C'est pourquoi le Seigneur les reprend : Vous
ne savez de quel esprit vous êtes animés
(littéralement : de quel esprit vous êtes les fils) ; car
le Fils de l'homme n'est pas venu pour faire périr les hommes,
mais pour les sauver (Luc
IX, 55. 56).
Par ces paroles sévères, Jésus excite le sentiment de
l'honneur chrétien chez ses disciples et leur rappelle l'esprit qui
était en eux, et que leur zèle terrestre avait refoulé à
l'arrière-plan. Le Saint-Esprit dont les disciples étaient les fils,
animait aussi Élie. Cet Esprit, tout en tendant toujours au même but,
qui est la gloire de Dieu, parle cependant autrement dans la loi que
dans l'Évangile, autrement à ceux que Jésus cherche à sauver dans le
temps de grâce qu'à ceux qu'il jugera au dernier jour. Les disciples
ne se trompaient pas en croyant que leur Maître tenait dans ses mains
le feu du jugement, mais dans leur zèle inconsidéré, ils oubliaient
que le jour du jugement n'est pas encore venu, que le temps de la
grâce dure encore, et que le feu que le Sauveur est venu apporter sur
la terre, n'est pas le feu de la colère, mais le feu d'un vivant et
salutaire amour.
Nous ne voulons pas omettre de remarquer ici que le
Seigneur, pendant son séjour sur la terre, a exercé sa puissance sur
toutes choses : sur les éléments, les vents, les eaux, les
arbres ; Quant à sa puissance sur le feu, il en a toujours
réservé la manifestation pour le grand jour « où il exercera la
vengeance avec des flammes de feu contre ceux qui ne connaissent point
Dieu et qui n'obéissent point à l'Évangile (2
Thes. 1, 8). » Ne savez-vous pas
de quel esprit vous êtes les fils ? Si les
disciples se sont rappelé avec quel amour plein de douceur et de
patience Jésus a gagné leurs propres âmes, ses
paroles durent tomber sur leurs coeurs comme des charbons ardents.
C'est ce zèle brûlant qui valut à Jacques et à Jean le surnom de
Boanergès, c'est-à-dire enfants du tonnerre. Lorsque leur zèle fut
purifié par le Saint-Esprit, ce surnom devint pour eux un titre
d'honneur (Marc
III, 17). Ce zèle plein d'un ardent amour, qui pénètre les
lettres de l'apôtre Jean, le pressait plus tard d'implorer l'effusion
du Saint-Esprit pour ces mêmes Samaritains sur lesquels il aurait
voulu faire descendre le feu du ciel (Act.
VIII, 15).
Lorsque ses frères se furent mis en chemin avec les caravanes qui se
rendaient à Jérusalem, Jésus attendit encore quelques jours, afin de
pouvoir y monter sans attirer l'attention. Mais, même en son absence,
il était le sujet des conversations de la foule réunie pour célébrer
la fête. Tous avaient espéré l'y rencontrer, et se demandaient les uns
aux autres avec étonnement : Où
est-il ? On parlait diversement de lui parmi le
peuple, mais nul n'osait dire franchement ce qu'il pensait, par
crainte des Juifs, influencés par les pharisiens. On savait
généralement que les chefs du peuple, animés de l'esprit pharisaïque,
étaient hostiles à Jésus, et la servitude morale dans laquelle ils
tenaient la foule, était trop lourde pour que les hommes bienveillants
eux-mêmes eussent le courage d'exprimer hautement leur opinion sur le
Sauveur.
Il parait que leur foi était encore bien faible, car la
vraie foi ne connaît aucune crainte. Lorsqu'ils entendaient ses
discours et voyaient ses miracles en Galilée, ils osaient s'en réjouir
franchement, et disaient : « Un grand prophète s'est levé
parmi nous et le Seigneur a visité son peuple. » Ou bien :
« Celui-ci est véritablement le prophète qui devait venir dans le
monde. » Mais à Jérusalem, où ils subissaient la pression d'en
haut, leurs langues étaient liées par la crainte des hommes. C'est
tout au plus s'ils osaient dire : C'est un homme de bien. Quant
à ceux qui tenaient avec les pharisiens, ils ne se gênaient pas
pour exprimer franchement leur manière de voir. Ils ne
permettaient pas même qu'on dit de Jésus : C'est
un homme de bien. Non, disaient-ils, mais
il séduit le peuple. Ces paroles leur étaient dictées
par les pharisiens. C'étaient des feuilles de figuier au moyen
desquelles ils s'efforçaient de cacher ou même de parer leurs plans
meurtriers. Car, d'après la loi, (Deut.
XIII, 6-10), un pareil séducteur était puni de mort.
Mais, au milieu de la fête, Jésus apparaît ; il
monte immédiatement au temple et commence à enseigner publiquement et
à expliquer les Écritures. Ses paroles faisaient une profonde
impression, même sur l'esprit de ses ennemis. Ils étaient étonnés, et
une voix se faisait entendre en eux qui disait que Jésus pourrait
cependant bien être un envoyé de Dieu. Mais ils étouffaient cette
voix, en se disant qu'il n'avait pas étudié à la manière des docteurs
de la loi. Comment cet homme sait-il les
Écritures, ne les ayant point apprises ? En effet,
le Sauveur n'avait pas puisé sa doctrine dans la haute école des
scribes, en étudiant avec zèle, comme ils se vantaient de l'avoir fait
eux-mêmes. Voilà pourquoi on le croyait incapable de reconnaître le
vrai sens des Écritures.
Mais il répondit : Ma
doctrine n'est pas de moi, par où il entend qu'il ne
l'a pas apprise par des moyens humains. Mais
elle est de celui qui m'a envoyé. De même que le Fils
ne peut rien faire de lui-même, mais seulement ce qu'il voit faire au
Père, de même il ne dit rien de lui-même, mais seulement ce qu'il
entend du Père. Le contenu de sa doctrine est celui-ci :
« Le Père l'a envoyé pour sauver le monde pécheur. » Il est
l'objectif de tous les prophètes ; il est l'objet du témoignage
de tous les apôtres et de tous les prédicateurs. Mais il s'annonce
lui-même comme prophète et comme étant la vérité. Sa personne
est le contenu de sa doctrine. Si quelqu'un
veut faire la volonté de Dieu, il reconnaîtra si ma doctrine est
de Dieu, ou si je parle de mon chef. Il ne dit
pas : Si quelqu'un fait, mais si quelqu'un veut faire
la volonté de Dieu.
Nous avons donc un moyen infaillible de reconnaître la
vérité divine. Le célèbre Jean-Jacques Moser, après avoir lu ce
passage, se dit en lui-même : « Quoi ! Jésus aurait
indiqué un moyen si facile de faire l'épreuve de sa doctrine ! Ce
serait un scandale et un manque de conscience, si une âme altérée de
vérité n'en faisait pas usage ! Je veux
essayer. » Il commença dès lors à chercher sincèrement et
loyalement à connaître la volonté de Dieu, travailla non moins
loyalement et sincèrement à l'accomplir, et devint un fidèle chrétien.
Mais comment se fait-il que ceux qui veulent sincèrement
accomplir la volonté de Dieu, reconnaissent immédiatement la divinité
de la doctrine du Sauveur ? C'est que la volonté de Dieu exige
que l'homme reconnaisse ses péchés et en cherche le pardon. Quiconque
désire avant tout faire cette volonté, soupirera bientôt après cette
connaissance et ce pardon, et acceptera avec joie la doctrine de
Christ, qui enseigne précisément qu'il est l'Agneau de Dieu. En
revanche, quiconque refuse de reconnaître ses péchés et dore
orgueilleusement sa misère, sera scandalisé jusqu'au fond du coeur par
cette doctrine. La volonté de Dieu exige encore que nous l'aimions de
tout notre coeur, de toute notre âme et de toutes nos forces.
Quiconque veut sincèrement faire cette volonté, vient à Christ avec un
ardent désir d'obtenir de lui la force d'aimer Dieu de cette manière,
et de tuer toutes les passions et les mauvaises convoitises qui
tendent à étouffer cet amour. Quiconque au contraire ne s'inquiète pas
de faire cette volonté, donne son coeur aux vanités de ce monde,
travaille à satisfaire ses passions et ses convoitises, ne voit dans
la doctrine de Christ qu'une énigme indéchiffrable, et dans les
témoignages rendus à sa personne, que de vaines et creuses
prétentions. « Dès que tu veux satisfaire les passions, la
lumière de la grâce s'éteint. »
Pour fournir une autre preuve de la divinité de sa
doctrine, le Seigneur déclare encore qu'il
ne cherche point sa propre gloire, mais la gloire de celui qui l'a
envoyé. Celui qui cherche la gloire de la part des
hommes, est aussi obligé de leur en donner, de flatter l'esprit du
siècle, de s'incliner devant les grands de ce monde. Quant à Jésus,
ses plus ardents ennemis devaient lui rendre ce témoignage, qu'il
était libre de toutes ces préoccupations. « Maître, nous savons
que tu es sincère, et que tu enseignes la voie de Dieu selon la
vérité, sans avoir égard à qui que ce soit » (Matth.
XXII, 16). Jésus cherche la gloire de celui qui l'a envoyé, donc
sa doctrine est la vérité.
Puis le Sauveur expose publiquement les desseins
meurtriers que les pharisiens avaient conçus contre lui, lors de son
dernier voyage à Jérusalem dix-huit mois auparavant (Jean
V, 16). Pourquoi cherchez-vous à me
faire mourir ? Le peuple fait semblant d'ignorer
complètement cette intention des chefs. Tu
es possédé du démon ; qui est-ce qui cherche à te faire
mourir ? Lorsque les Juifs sont mis au pied du mur
par Jésus, ils cherchent toujours à se tirer d'affaire en disant qu'il
est possédé du démon. Ils ne veulent pas qu'on leur attribue de
pareilles intentions, et ils les nient tout simplement. Mais leur
hypocrisie est bientôt découverte, car plusieurs dirent : N'est-ce
pas celui qu'ils cherchaient à faire mourir, et le voici qui parle
librement ; les chefs auraient-ils en effet reconnu qu'il est
véritablement le Christ ? Le Sauveur laisse tomber
leurs outrages et leurs dénégations sans y faire attention. Maïs il se
justifie du reproche d'avoir transgressé la loi en guérissant le
paralytique de Béthesda le jour du sabbat. Si
un homme reçoit la circoncision le jour du sabbat, afin que la loi
de Moïse ne soit point violée, elle ne devait pas non plus l'être
parce que le Sauveur guérissait un homme dans tout son corps le
jour du sabbat. Cette justification fit sur un grand
nombre une impression favorable. Toutefois ils semblent avoir eu honte
de cette bienveillance et cherchent immédiatement à étouffer cette
bonne disposition des coeurs envers le Sauveur en ajoutant : Mais
nous savons d'où est celui-ci, au lieu que quand le Christ
viendra, personne ne saura d'où il est. Ils avaient un
pressentiment de la nature divine et de l'origine surhumaine du
Messie, mais ils ne pouvaient les accorder avec sa naissance humaine
et sa forme de serviteur. S'ils avaient eu une soif ardente de salut,
ils auraient reconnu aussi bien que Jean, dans l'homme Jésus, la
gloire du Fils unique du Père, pleine de grâce et de vérité.
Profondément affligé de leur aveuglement, Jésus rend de
nouveau témoignage de sa divinité, en s'écriant à haute voix dans le
temple : Vous me connaissez et vous
savez d'où je suis ; je ne suis pas venu de moi-même ;
mais celui qui m'a envoyé est véritable, et vous ne le connaissez
point, mais moi je le connais ; car je viens de sa part et
c'est lui qui m'a envoyé. Ils s'obstinent à ne
reconnaître que la nature humaine de Jésus. C'est pourquoi il insiste
d'autant plus fortement sur sa nature divine. Ils
prétendent connaître Christ, mais ils ne veulent pas convenir qu'il
est venu de la part de Dieu. Ils ne le connaissent donc pas
réellement, et dès lors ils ne connaissent pas Dieu, car quiconque
ignore qui est Christ, n'a aucune connaissance de Dieu ; il est
athée. Les Juifs étaient dans l'orgueilleuse illusion qu'ils faisaient
les affaires de Dieu ; mais le Sauveur leur dénie absolument
cette prérogative et se l'attribue à lui-même. Se sentant repris dans
leur conscience, ils sont tellement aigris, qu'ils
cherchent à se saisir de lui, mais personne ne mit la main, sur
lui, parce que son heure n'était pas encore venue. Ils
ne purent pas exécuter leurs desseins publiquement énoncés ;
leurs bras étaient liés par une puissance supérieure. Ils n'osent pas.
Le Seigneur est là, dans un calme majestueux au milieu de ses ennemis.
Ils auraient voulu se précipiter sur lui, mais ils étaient retenus par
une main invisible. Cette scène fit une telle impression sur les
coeurs droits, que plusieurs de ceux qui y assistaient crurent en lui,
et ils disaient : Quand le Christ
viendra, fera-t-il plus de miracles que n'en fait celui-ci ?
Dès que les pharisiens apprirent ce que le peuple disait
du Sauveur, ils décidèrent d'étouffer immédiatement dans son germe
cette bonne disposition à son égard. Ils
envoyèrent, de concert avec les principaux sacrificateurs,
ainsi d'une manière officielle, des sergents
pour se saisir de lui. Pendant que le Sanhédrin
dressait ses batteries, Jésus avertissait le peuple de la brièveté du
temps de grâce. Son heure n'était pas encore venue, mais elle allait
bientôt venir. Et alors, leur dit-il, je
m'en irai à celui qui m'a envoyé ; vous me chercherez et vous
ne me trouverez point, parce que vous ne pouvez pas venir où je
serai. C'est seulement lorsqu'ils l'auront mis à mort,
qu'ils seront saisis de la douleur d'Ésaïe, car ils sauront alors qui
ils auront méprisé et rejeté. Ceux qui, parmi eux, sondaient les
Écritures, durent se souvenir, en entendant ces paroles de Jésus, de
la plainte douloureuse de la fille de Sion (Cant.
V, 6), qui, endormie et rassasiée, refuse d'ouvrir à son fiancé
qui heurte à sa porte, mais qui ensuite le cherche sans pouvoir le
trouver. « Je le cherchai, mais je ne le trouvai point ; je
l'appelai, mais il ne me répondit point. » Ils ont devant les
yeux la douleur d'Ésaü, « qui ne put trouver
moyen de faire changer son père de résolution, quoiqu'il le demandât
avec larmes (Héb.
XII, 17). »
Cette parole du Seigneur était de nature à chasser toute
légèreté et toute torpeur du coeur de ceux auprès desquels il se
trouvait encore, avec ses enseignements et les attraits de sa grâce.
Ce qui a été négligé pendant le temps de grâce, ne peut plus se
réparer. Dans sa prière sacerdotale, Jésus demande à son Père
d'accorder à ceux qu'il lui a donnés, le bienheureux privilège d'être
là où il est lui-même. Quiconque ne le cherche pas et ne se laisse pas
trouver par lui pendant qu'il fait jour, ne le trouvera pas dans
l'éternité, malgré les plaintes les plus déchirantes. Les Juifs ne
veulent pas comprendre la douloureuse expression de cet amour. Ils se
demandent les uns aux autres d'un ton railleur : Où
ira-t-il donc, que nous ne le trouverons point ? Doit-il
aller chez ceux qui sont dispersés parmi les Grecs et enseigner
les Grecs ? Par ces sarcasmes, ils prononcent leur
propre condamnation. Ils tiennent le même langage que Caïphe. Le
royaume de Dieu devait en tout cas leur être ôté pour être donné aux
païens.
Le dernier et grand jour de la
fête, un sacrificateur puisait de l'eau avec une cruche
d'or à la source de Siloé. Les autres sacrificateurs la recevaient
dans le temple, au son des trompettes, et chantaient avec tout le
peuple présent à cette cérémonie : Vous
puiserez des eaux avec joie aux sources de la délivrance
(Ésaïe
XII, 3). Ensuite l'eau était mêlée au vin du sacrifice et
répandue autour de l'autel. Jésus se trouva là et dit à haute
voix : Que celui qui a soif vienne à
moi et qu'il boive ! Ainsi le Sauveur se désigne
lui-même comme étant l'eau de la délivrance annoncée par le prophète.
Il offre sa personne pour restaurer et rafraîchir toutes les âmes qui
soupirent après le Dieu vivant, comme le cerf brame après les eaux
courantes. Y a-t-il ici un coeur altéré pour se rendre à cette tendre,
invitation ? Ainsi, coeur chrétien, garde-toi de la négliger
lorsque tu cherches avec angoisse des consolations, lorsque tu sens
douloureusement le vide qui est en toi. Jésus étanche la soif de
l'âme. Ce qu'il a dit à la Samaritaine près du puits de Jacob, que
celui « qui boira de cette eau deviendra une source d'eau
jaillissante, une source de salut pour le monde, il le répète ici,
dans le temple, en présence des Juifs : Qui
croit en moi, des fleuves d'eau vive découleront de lui.
Quiconque est uni à Christ par la foi, a part à sa plénitude. Ce ne
sont pas seulement des gouttes ou des ruisseaux, ce ne sont pas
seulement des torrents, ce sont des fleuves qui découleront du corps
des croyants. Leur intime union avec Christ est cachée en Dieu, mais
cette source de vie cachée jaillit comme un fleuve de bénédictions
pour les âmes altérées. De là le nom de la fiancée du Cantique des
Cantiques, qui est appelée « une fontaine fermée, une source
scellée, comme un puits d'eau vive descendant du Liban.
L'Église, l'Épouse de Christ, est bénie grâce à son
intime union avec son Chef, et c'est pour cela qu'elle est une
bénédiction, ainsi que chacun de ses membres en particulier. C'est ce
qui parait pour la première fois le jour de la Pentecôte. La puissante
plénitude d'Esprit et de vie de ce petit troupeau de croyants, se
déversa si abondamment au dehors, que des milliers d'âmes furent
saisies. Cependant les fleuves de bénédictions qui jaillissent des
croyants, ne sont pas seulement pour le monde ; ils doivent aussi
couler d'un membre à l'autre, afin que la vie de chacun d'eux soit
rafraîchie et nourrie par le fleuve qui traverse tout le corps de
l'Église. La parole apostolique par laquelle nous croyons, la
confession de l'Eglise à laquelle nous nous associons, les prières des
croyants qui montent vers le trône de la grâce, les cantiques que nous
chantons dans nos assemblées, les prédications qui annoncent Christ,
tous ces témoignages de la foi et de l'amour en paroles et en oeuvres,
sont autant de bras du grand fleuve qui, le jour de la Pentecôte,
s'échappa du coeur de Jésus, et qui, à travers les siècles, inonde les
déserts de la terre et procure la santé aux païens.
Jean ajoute l'explication suivante : Or,
il disait cela de l'Esprit que devaient recevoir ceux qui
croiraient en lui, car le Saint-Esprit n'avait pas encore été
donné, parce que Jésus n'avait pas encore été glorifié.
Jésus ne veut pas garder pour lui seul l'Esprit qu'il a reçu sans
mesure ; il le répand dans son corps qui est l'Église, afin que
cet Esprit se manifeste comme le principe régénérateur de la vie de
l'humanité. Cela ne pouvait pas encore se faire au moment où Jésus
parle ici, parce qu'il n'avait pas encore été glorifié. Il est vrai
que le Saint-Esprit avait déjà parlé par les prophètes sous l'Ancienne
Alliance il est vrai que cet Esprit se répandait déjà par la parole de
Jésus, mais il ne pouvait pas encore faire sa demeure dans le coeur
des hommes, parce qu'ils étaient séparés du Dieu saint par leurs
péchés. Il faut d'abord que le mur de séparation élevé entre l'homme
et Dieu, le péché, soit détruit, pour que le Saint-Esprit puisse faire
du coeur de l'homme le temple de Dieu. Il faut que Dieu prenne
avant de donner. Il faut que la réconciliation opérée par les
souffrances de l'Agneau de Dieu, ait rendu possible le pardon des
péchés, pour que le Saint-Esprit puisse réellement habiter dans le
coeur des pécheurs sauvés. La régénération par le Saint-Esprit ne peut
s'accomplir que sur la base de la rédemption effectuée. Ce n'est
qu'après avoir été glorifié, que Jésus a pu envoyer les biens célestes
qu'il a acquis par ses souffrances.
Ce discours de Jésus fit une profonde impression. Les
âmes altérées, qui avaient été restaurées par le breuvage fortifiant
qu'il leur avait donné, disaient hautement : Celui-ci
est véritablement le prophète. D'autres disaient
même : Celui-ci est le Christ.
Et ces propos allaient de bouche en bouche. Quant à ceux qui n'avaient
aucun besoin d'eau vive, ils trouvèrent facilement un prétexte pour
excuser leur incrédulité. Ils disaient que le Christ devait naître à
Bethléem, ce en quoi ils avaient raison ; mais leur folie
consistait à nier qu'il pût venir de la Galilée, comme si le Christ ne
pouvait pas venir de la Galilée tout en étant né à Bethléem. Cependant
la multitude avait été tellement saisie par les paroles de Jésus, que
les sergents eux-mêmes, qui devaient l'arrêter, ne purent se
soustraire à leur influence. Personne ne mit
la main sur lui. Et lorsque les sacrificateurs irrités
leur demandèrent pourquoi ils ne l'amenaient pas, les sergents
répondirent simplement : Jamais homme
n'a parlé comme lui. Ils savaient bien que le Sanhédrin
ne leur serait guère reconnaissant pour cette réponse, mais ils ne
purent se taire, et ils rendirent témoignage à celui dont la parole
avait soulagé leurs coeurs.
Les pharisiens adressèrent d'amers reproches aux soldats.
Mais voici qu'un autre témoignage en faveur de Jésus jaillit du milieu
d'eux. Nicodème, qui, par crainte des Juifs, était venu trouver Jésus
pendant la nuit, prend maintenant courageusement son parti comme
membre du Sanhédrin. Il est vrai qu'il ne demande que la justice - il
ne réclame qu'une enquête régulière. Il veut qu'on entende le Sauveur
avant de le condamner. Mais cela suffit pour enflammer la colère des
autres membres du Conseil suprême. Ils se répandent en ironiques
injures contre Nicodème : Es-tu aussi
Galiléen ? informe-toi et tu verras qu'aucun prophète n'a été
suscité de la Galilée. Leur connaissance de l'Écriture
présente ici une lacune. Ils oublient que le prophète Ésaïe (VIII.
23; IX. 1-2), a vu la grande lumière des païens se lever aussi
sur la Galilée et que le prophète Jonas était aussi Galiléen.
La haine avouée contre Jésus a fait un pas important.
L'affaire avait été débattue dans une séance officielle des premiers
dignitaires ecclésiastiques du pays, et une seule voix s'était
timidement élevée en faveur du Sauveur. Par cette comparution publique
de Jésus, la persécution dirigée contre lui avait pris un puissant
élan. Bien que ce premier coup ne l'ait pas encore atteint, son procès
est désormais à l'ordre du jour du Sanhédrin, et les pharisiens
sauront l'y maintenir. Ils dominaient la vie ecclésiastique en Judée
beaucoup plus qu'en Galilée, et ils se servaient de cette force sans
ménagements, afin que ce procès eût le plus tôt possible une issue
conforme à leurs désirs. Déjà dans les jours qui suivirent
immédiatement, Jésus put s'apercevoir qu'il n'était plus en Galilée,
mais bien dans la ville où siégeait le Grand Conseil de la nation.
La tentative faite par le Sanhédrin de s'emparer de Jésus a échoué.
La séance est levée et chacun s'en est allé dans sa maison. Jésus
passa en prière sur le mont des Oliviers la nuit qui suivit la fête
des tabernacles : Au point du jour il
retourna au temple. Mais, ses ennemis ne se reposent
pas non plus. Ils voient clairement qu'ils ne peuvent user d'aucune
violence contre lui pour le moment ; ils auront donc recours à la
ruse. Et voici qu'il se présente à point nommé une occasion de
l'accuser ou de lui enlever la faveur populaire. Les
scribes et les pharisiens lui amenèrent une femme qui avait été
surprise en adultère. Ils viennent triomphalement à
Jésus et lui adressent cette question : Maître,
celle femme a été surprise commettant adultère. Or, Moïse nous
ordonne, dans la loi, de lapider ces sortes de personnes. Toi
donc, qu'en dis-tu ?
L'adultère et toutes sortes d'impuretés avaient pris une
telle extension parmi toutes les classes sous le règne d'Hérode, qu'on
avait cessé de les punir. Bien que les adversaires de Jésus n'eussent
pas honte de parler publiquement de cette affaire, bien qu'ils ne
prissent aucune peine pour la cacher, puisqu'ils saisissaient avec
plaisir l'occasion de soumettre un pareil cas au Sauveur, ils se
présentent cependant comme les gardiens de la vertu et des bonnes
moeurs devant Jésus, qu'ils soupçonnaient de favoriser ou du moins
d'excuser ces péchés. Voici leur raisonnement : Si Jésus laisse
boire cette femme à la source du pardon, et la reçoit en grâce on peut
l'accuser d'être un contempteur de la loi. Si, au contraire, il juge
qu'elle doit être traitée selon la rigueur de la loi, c'est-à-dire
lapidée, son prétendu amour pour les pécheurs reçoit un coup fatal.
Au point de vue humain, la situation est difficile. Jésus
ne peut pas prendre cette femme sous sa protection, car elle n'est pas
venue à lui dans le sentiment de son péché et pour implorer son
pardon. Au contraire, on la lui a amenée malgré elle. D'un autre côté,
il ne peut pas laisser croire aux accusateurs de cette femme, qu'il
juge son péché moins grave qu'ils ne le jugent eux-mêmes. Cependant,
il veut aider les deux partis à reconnaître leurs propres péchés, afin
de les amener à en rechercher le pardon. Toute sa manière d'agir est
surtout dirigée contre ses adversaires, afin de les porter à se juger
eux-mêmes et à s'humilier. S'il leur avait reproché leurs péchés comme
il le faisait ordinairement, ils auraient probablement préféré mentir,
plutôt que de s'exposer à une honte publique. Ce n'était pas par
étourderie ni par distraction, mais avec une intention bien arrêtée, que
Jésus écrivait avec soit doigt sur la terre. Quelle
autre attitude aurait-il pu prendre pour prier avant d'énoncer son
jugement ?
Les pharisiens triomphaient déjà, car le Sauveur leur
semblait perplexe et chercher un expédient. Ils le
pressaient d'autant plus de leurs questions. Alors, s'étant redressé,
Jésus leur dit : Que celui d'entre vous
qui est sans péché, jette le premier la pierre contre elle. Et
s'étant encore baissé, il écrivait avec son doigt sur la terre.
Il veut que les pharisiens croient n'être pas remarqués, afin qu'ils
aient le temps de laisser sa parole agir sur eux. S'il s'était baissé
alors pour la première fois, ils auraient pu pénétrer son intention,
mais comme il ne fit que continuer ce qu'il avait commencé, ils n'en
furent pas frappés, et sa parole put agir sur eux sans qu'ils eussent
à craindre et être rendus confus par lui. Comme son oeil ne les voit
pas, il leur est plus facile d'être sincères avec eux-mêmes.
La parole du Sauveur avait touché le point sensible de
leur conscience. Leur conduite n'est ni plus pure ni plus morale que
celle de cette femme. Il y avait seulement celle différence entre elle
et eux, qu'ils avaient su cacher leurs actions coupables. La parole de
Jésus pénètre dans leurs coeurs comme un flambeau ; ils se
sentent frappés. Ils sont effrayés intérieurement de leurs propres
souillures et oublient la femme ; ils ont le sentiment que chacun
peut lire sur leur front ce qu'ils ont fait ; ils n'osent plus se
regarder les uns les autres. Le sol leur brûle sous les pieds ;
ils regardent le Sauveur, et se réjouissent de ce qu'il ne les regarde
pas, et c'est ainsi qu'ils s'esquivent l'un après l'autre. Quand
ils entendirent cela, ils sortirent tous, depuis le plus vieux
jusqu'au plus jeune, et Jésus demeura seul avec la femme qui était
là au milieu.
La parole du Sauveur agit tout autrement sur elle que sur
les pharisiens. Ceux-ci, convaincus par leur conscience, s'éloignent
de Jésus ; celle-là convaincue par sa conscience, demeure auprès
de Jésus. Elle attend avec angoisse le jugement qu'il prononcera sur
elle. Mais le Seigneur, s'étant redressé, lui dit : Femme, où
sont ceux qui t'accusaient ? personne ne t'a-t-il
condamnée ? Elle dit : Personne, Seigneur. Alors celui à qui
le Père a donné tout pouvoir de juger, qui seul a le droit de
condamner, mais qui pardonne et sauve partout où il voit une étincelle
de repentance et de foi, lui dit : Je
ne te condamne pas non plus, va et ne pèche plus à l'avenir.
Il est vrai qu'il ne lui dit pas comme à d'autres pécheurs : Tes
péchés te sont pardonnés, va-t'en en paix. Elle
n'était pas mûre pour entendre ces paroles. Mais pour le Seigneur, il
n'y a pas de voie mitoyenne : il condamne ou bien il pardonne.
Lorsqu'il dit à cette femme : Je ne te condamne pas non plus, il
tend la main à sa foi naissante, afin qu'elle entende et s'approprie
la parole de délivrance qu'elle contient. Jésus réunit ici comme
partout la miséricorde et la justice, l'amour et le sérieux, les
ménagements et la sévérité ; il condamne le péché et délivre la
pécheresse.
Chapitre précédent | Table des matières | Chapitre suivant |