Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE II

suite

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66. Les sadducéens et les pharisiens.


Jésus est sur le point de quitter les localités qui ont été jusqu'ici le théâtre de son activité. Il se dirige d'abord vers Jérusalem. Ce voyage n'est pas encore le dernier, mais les yeux du Sauveur voient clairement le but vers lequel il s'avance : la croix à laquelle il doit être attaché, pour délivrer le monde du péché, de la mort et de la puissance du diable. Il entre dès maintenant dans la voie douloureuse. On pourrait se demander : Qui donc aurait le triste courage de faire souffrir cet aimable et doux Sauveur, qui allait de lieu en lieu faisant du bien, guérissant les malades, prodiguant ses divines consolations aux âmes fatiguées et chargées ; dont les mains bandaient les plaies et dont les pas n'étaient guidés que par un miséricordieux amour ? Qui donc voudrait faire souffrir celui dont les lèvres distillaient la grâce, proclamaient le pardon des péchés. aux âmes angoissées et annonçaient la paix aux coeurs brisés ? La multitude du peuple lui était attachée et les foules l'acclamaient partout où il passait.

On devrait donc croire que ses compatriotes le couvriraient de leurs corps et l'environneraient d'un mur vivant s'il courait quelque danger ou si quelque injustice le menaçait. Eh bien ! Il a dû souffrir, et cela non de la part des païens, car Pilate ne l'eût jamais livré à la mort, s'il n'y eût été poussé contre sa volonté ; mais de la part des Juifs, de la part de son peuple ! Et cela du fait non de la populace, ni des pécheurs grossiers ou des athées, mais du fait des hommes pieux, de tous ceux qui étaient reconnus comme tels par le peuple, du fait des pharisiens ! Il faut que nous examinions attentivement ces faits étrangers pour comprendre le combat que le Sauveur eut à livrer, surtout aux pharisiens. Jetons, pour cet effet, un coup d'oeil sur la situation des partis religieux à cette époque.

Le peuple juif avait, à la vérité, perdu sa liberté et son indépendance politiques sous la domination romaine. La famille des Hérodes, par exemple, ne devait le trône qu'à la faveur de l'empereur romain. Toutefois, dans les choses religieuses, la nation jouissait d'une pleine liberté et d'une indépendance illimitée. Bien que le pays fût divisé en plusieurs principautés, dans les affaires religieuses, ces différentes provinces étaient placées sous une même autorité spirituelle à laquelle tous obéissaient avec un zèle ardent pour la loi et la gloire de Dieu.

Le grand conseil ou sanhédrin s'appuyait sur deux institutions qui embrassaient toute la vie religieuse de la nation : le temple et la synagogue. Le service du temple était fait par les prêtres ou sacrificateurs ; celui de la synagogue par les scribes. Le personnel du temple se recrutait seulement par droit de naissance, et appartenait exclusivement à la famille d'Aaron. Ceux qui n'en faisaient pas partie, comme c'était le cas pour Jésus, par exemple, ne pouvaient pas aspirer à la sacrificature. Au fond, tous les sacrificateurs n'étaient que des représentants et comme les employés du grand prêtre ou souverain sacrificateur, dont la mission spéciale était de représenter Israël devant Dieu.

Parmi les sacrificateurs, il s'était formé, au temps de Jésus, un groupe d'hommes qui s'étaient emparés de toute l'autorité, et s'appelaient sadducéens, c'est-à-dire fils de Zaddoc, parce qu'ils prétendaient descendre de cette famille. C'est à eux que Dieu rend ce témoignage, à l'époque de la corruption générale d'Israël. « Ils ont fait ce que j'avais ordonné et ne se sont point égarés lorsque les enfants d'Israël se sont égarés, comme se sont égarés les autres lévites » (Ezéch. XLVIII, 11). Les sadducéens avaient hérité de la haute position et de l'honneur de leurs ancêtres, mais non de leur piété et de leur fidélité au Dieu de l'alliance. Ce qui les distinguait, c'étaient leurs sentiments païens revêtus de formes judaïques. Extérieurement, ils admettaient le contenu des Écritures ; autrement ils n'auraient pas pu conserver leur position ; mais en réalité, ils n'admettaient généralement pas la révélation. Ils ne croyaient ni à la résurrection, ni à l'existence des anges, ni à la providence. Le vrai motif de leur incrédulité était leur matérialisme, leur attachement aux biens de la terre, leur amour des jouissances. Le temple et le culte leur servaient uniquement à conserver leur situation vis-à-vis du peuple. C'est dans ce même but qu'ils entretenaient des relations amicales avec leurs dominateurs païens, tandis qu'avec leurs compatriotes ils étaient réservés et orgueilleux.

Leur activité se bornait généralement à l'intérieur de Jérusalem. Ils ne portaient aucun intérêt à ce qui se faisait dans les provinces. On ne les rencontre hors de la capitale que dans les occasions extraordinaires. Les sadducéens étaient des moqueurs riches, des libres-penseurs, qui avaient renoncé depuis longtemps aux espérances d'Israël. Afin de n'être pas dérangés dans leur existence agréable, ils souhaitaient le maintien de la paix, et faisaient leur possible pour éviter la guerre. Leur devise était : « Vivre et laisser vivre. » D'après eux, lorsque l'homme meurt, tout est fini. Le ciel et l'enfer, la vie éternelle et le jugement, autant de chimères inventées pour pouvoir mieux dominer le peuple.

Les sadducéens se regardaient comme des hommes éclairés, de fortes têtes, à la sagesse desquels personne ne pouvait résister. C'étaient des mondains cultivés. Ils qualifiaient de superstitions toute croyance que les sens ne pouvaient contrôler, et regardaient avec mépris cette plèbe, qui ajoutait encore foi à la Parole de Dieu révélée par Moïse et les prophètes. Les libres-penseurs de notre époque ressemblent en tout point aux anciens sadducéens. ils ont les mêmes sentiments, parlent le même langage et tiennent la même conduite. Ils proclament avec une incroyable hardiesse, comme fondement de toute religion, qu'on ne saurait croire ce qu'on ne voit pas. Et ils ne se doutent pas de la folie de semblables paroles. Car c'est précisément le monde invisible qui est l'objet de la foi. La foi est une vive représentation des choses qu'on espère et une démonstration de celles qu'on ne voit point (Héb. XI, 1).

Les gens cultivés ne croient plus à la Parole de Dieu. C'est avec les feuilles de figuier de leur culture, qu'ils cachent la nudité de leur incrédulité. On n'a pas encore vu d'esprits, donc il n'en existe pas. Avec leurs lunettes, ils cherchent Dieu dans l'univers ; ils ne le trouvent pas, donc il n'y a pas de Dieu. Ils dissèquent le corps humain avec leurs scalpels ; ils n'y trouvent pas d'âme ; donc il n'y a pas d'âme. Et comme il n'y a point de Dieu, l'homme ne peut pas être créé à son image, il n'est donc qu'un animal comme les autres, seulement un peu plus parfait. L'homme a raison de suivre ses penchants ; dès lors le péché n'existe pas : ce qu'on nomme ainsi n'est pas un mal, car l'homme ne fait que suivre les impulsions de la nature qui ne saurait l'égarer.

Leur parle-t-on de la communion avec Christ ? ils répondent que c'est là une rêverie qui a fait tourner plus d'une tête lucide. Les entretient-on de la repentance et de la conversion ? selon eux, cela peut être nécessaire pour certaines personnes ; quant à eux, qu'on les laisse tranquilles sur ce chapitre. Est-il question du retour de Christ ? ils répondent qu'on l'attend depuis dix-huit siècles, et que tout restera tel que cela a existé depuis l'origine du monde. Leur met-on devant les yeux la mort et le jugement, le ciel et l'enfer ? « Quelles singulières idées se fait-on, disent-ils, d'un Dieu qui s'irrite et punit ? S'il existe réellement, il ne peut être que très bon et très doux, à peu près comme le souverain sacrificateur Héli, qui ne voyait pas de mauvais oeil les crimes de ses fils. Le Dieu d'amour ne saurait punir ; il est beaucoup trop bon. »

Les sadducéens de tous les temps ne voulant pas voir la lumière de l'Évangile, montrent que leurs prétendues lumières et la prétendue élévation de leurs esprits, s'allient très bien, dans la pratique, avec leur sens charnel. Ils n'ont pas de hautes pensées et ne poursuivent pas un noble but : « Mangeons et buvons, demain nous mourrons » (l Cor. XV, 32), telle est leur maxime. Les jouissances de ce monde, voilà l'objet de leurs recherches.

On peut voir par tout ce qui précède, que le véritable combat contre le Sauveur ne venait pas du camp des sadducéens. Ils se sentaient sans doute gênés par les paroles et les oeuvres de Jésus, mais ils ne lui permettaient pas de les déranger dans leurs jouissances ; ils le laissaient dédaigneusement de côté. Quant à le haïr, il leur manquait pour cela l'énergie morale. Ils pouvaient bien être employés comme troupes auxiliaires dans la guerre contre Jésus, mais n'étaient pas ses vrais adversaires ; ils laissaient ce rôle aux pharisiens.

La mission que les sacrificateurs remplissaient comme administrateurs du service divin, était dévolue aux scribes et aux docteurs de la loi, dans les synagogues établies depuis le retour de la captivité de Babylone. Ces maisons de prières remplaçaient jusqu'à un certain point le temple pour les Juifs éloignés de leur patrie. C'est là qu'était le centre de leur vie religieuse, que les fidèles se réunissaient pour rendre à Dieu le culte public et que le Sabbat se célébrait ; là on acquérait la connaissance de l'Écriture. Tandis que les seuls descendants d'Aaron pouvaient fonctionner dans le temple, il. était permis à quiconque éprouvait le besoin ou était capable d'exercer une influence religieuse sur ses frères, de prendre la parole dans les synagogues, sans y être appelé par une vocation officielle. De là vient que Jésus et ses disciples annoncèrent souvent la Parole de Dieu, dans celles qui étaient établies en Palestine.

Parmi les docteurs de la loi, les pharisiens avaient la haute main, comme les sadducéens parmi les sacrificateurs. Seulement, tandis que les sadducéens, grâce à leurs sympathies pour le paganisme, frayaient volontiers avec leurs dominateurs romains, les pharisiens étaient pleins de zèle pour l'indépendance de la nation. Tandis que les sadducéens, dans leur incrédulité, faisaient bon marché de la révélation, les pharisiens tenaient énergiquement à la religion de leurs pères. Et précisément cette lutte contre l'incrédulité païenne, qui tendait à s'infiltrer dans la vie du peuple, leur donnait une grande influence sur leurs compatriotes. Toutefois, leur zèle pour la foi de leurs pères ne provenait pas d'une véritable piété, ni du besoin de la communion du Dieu vivant, mais plutôt d'un attachement égoïste à la vie religieuse d'Israël telle qu'ils la comprenaient, de manière à mettre en avant leurs propres personnes et à soumettre le peuple à leur domination. Ceci explique que les pharisiens, dans tous leurs actes de dévotion, n'avaient pas les yeux exclusivement attachés sur Dieu, mais veillaient soigneusement à paraître saints devant les hommes, afin de se légitimer comme les gardiens vigilants de la nation, par une observation stricte et en même temps publique de la loi divine. Car, sans le respect et l'appui de leurs concitoyens, ils étaient impuissants.

Ce qu'il y a surtout de particulier dans la piété des pharisiens, c'est qu'elle était indépendante de la régénération, du pardon des péchés et du Saint-Esprit. Quant à la régénération, même les plus pieux d'entre eux n'en avaient aucune idée. C'est ce qui parait par l'entretien de Jésus avec Nicodème, auquel il dit : « En vérité, en vérité, je te dis, que si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu » (Jean III, 5).

Mais, lorsqu'on refuse de faire cesser les accusations de la conscience, en acceptant le pardon des péchés par la pure grâce de Dieu, on est obligé de les calmer par d'autres moyens. C'est pourquoi, afin d'apaiser leur conscience, les pharisiens s'adonnaient avec une extrême ponctualité à l'observation extérieure, des prescriptions mosaïques, surtout à celles qui ont trait à la pureté et à l'impureté légales. Ainsi, dans toutes les ordonnances auxquelles ils pouvaient se soumettre sans le secours de la grâce régénératrice, ils étaient d'une exactitude rigoureuse. Il est vrai que les meilleurs d'entre eux ne se contentaient pas de cette piété tout extérieure, et cherchaient à accomplir parfaitement la loi de Dieu ; mais l'impossibilité d'atteindre ce but par leurs propres forces, les jetait dans des combats semblables à ceux que Paul, ce ci-devant pharisien, décrit au chapitre Xlle de son Épître aux Romains. Seulement, c'étaient là de rares exceptions. La foule des pharisiens cherchaient à émousser le tranchant de la loi, en faisant complètement abstraction de son côté spirituel, qui exige l'obéissance du coeur pour n'en retenir que les obligations extérieures.

Il résulte de là que le véritable nerf et là racine de la piété pharisaïque étaient la propre justice. Ils voulaient être justes devant Dieu par leurs propres vertus, et atteindre à la perfection par leurs propres efforts. La haute opinion qu'ils avaient d'eux-mêmes, leur orgueil, le contentement qu'ils éprouvaient en considérant leur vie, les empêchaient de remplir les conditions indispensables de l'entrée au royaume des cieux : la pauvreté en esprit, la miséricorde, la faim et la soif de justice. Leur hypocrisie était le fruit naturel de cette piété extérieure, et celui-ci était la source du respect dont ils jouissaient de la part du peuple. Dans tout ce qu'ils faisaient, les pharisiens voulaient plaire aux hommes beaucoup plus qu'à Dieu. Leurs observances étaient pour eux un moyen de se concilier la considération publique et de la conserver. Leur religion, privée de tout attrait du coeur, était un corps sans âme. Leur hypocrisie ne consistait donc pas à vouloir paraître pieux dans leur vie extérieure, car la vraie piété, la foi naïve en Dieu, tend aussi tout naturellement à se traduire par des actes. Ce qui remplit le coeur doit s'exprimer par la bouche et se manifester dans la conduite.

Mais l'hypocrisie des pharisiens consistait en ceci : c'est que leur bouche parlait de choses qui étaient fort éloignées de leur coeur ; c'est que leur vie était pleine des formes de la piété, dont ils se bornaient à faire parade aux yeux des hommes, tandis que leur coeur restait absolument étranger à Dieu. Ainsi, aux yeux de Celui qui sonde les coeurs, les pharisiens étaient assurément des hypocrites, et ils furent plus d'une fois sévèrement repris de Jésus à cause de ce vice. Nous leur ferions cependant tort en les accusant de vouloir, de propos délibéré, paraître au dehors autres qu'ils n'étaient au-dedans. Nous nous tromperions également, si nous croyions qu'ils étaient regardés par le peuple comme des hypocrites. Les pharisiens se considéraient eux-mêmes comme les meilleurs et les plus nobles des hommes, et leurs concitoyens les tenaient pour tels.

Ils étaient d'ardents patriotes, et nourrissaient le patriotisme de tous les Juifs en leur donnant l'espoir d'un règne messianique brillant, mais purement terrestre et charnel. Ils attisaient, par tous les moyens, l'irritation et la haine de la nation contre les dominateurs romains. Grâce à leur action, elle regardait comme le comble de l'ignominie d'être soumise, elle, le peuple de Dieu, au joug d'une autorité païenne. Si l'on se demandait quels furent les hommes qui avaient le plus sincèrement à coeur le bien-être, la gloire, la prospérité du peuple, qui travaillaient avec le plus de zèle à ennoblir leurs concitoyens, il faudrait répondre sans hésiter, que ce furent les pharisiens. Ils constituaient la noblesse du peuple juif. En tous cas, ils étaient regardés et respectés comme tels par la population. De là leur puissance et leur influence. Les emplois publics étaient donnés pour la plupart aux pharisiens, bien que les sadducéens n'en fussent pas complètement exclus. Il y en avait même quelques-uns dans le Sanhédrin (Act. XXIII, 6).

Pour conserver leur influence, ils étaient obligés d'inspirer au peuple les sentiments dont ils étaient eux-mêmes animés. Ils ne pouvaient indiquer d'autre voie pour aller à Dieu que celle qu'ils suivaient, ni inspirer d'autre piété que celle qu'ils pratiquaient. Et comme cette voie était erronée, Jésus les traitait d'aveugles conduisant d'autres aveugles. Et lorsque son regard de Sauveur s'abaissait sur ceux qui étaient ainsi conduits, il avait pitié de cette foule, qui était comme des brebis dispersées qui n'avaient point de berger. Son miséricordieux amour pour son peuple, le portait à lui montrer que la voie dans laquelle on le conduisait était fausse, et à le prémunir contre la funeste direction des pharisiens.

Mais autant le Sauveur met de sérieux et déploie d'énergie à exhorter ses disciples et tous les membres de son peuple à se préserver du levain des pharisiens, autant il montre de zèle dans ses rapports personnels avec ceux-ci, pour gagner leurs âmes et les ramener dans le chemin de la vie. C'est seulement lorsqu'ils ont décidément repoussé l'expression de son tendre amour, qu'il leur dénonce tout le sérieux de ses jugements. Mais ce sont précisément les manifestations de cet amour dont les pharisiens prennent occasion, non seulement pour s'éloigner du Sauveur, mais encore pour le repousser avec une hostilité avouée et une haine mortelle.

Lorsque le coeur des sadducéens s'endurcit dans son opposition à l'amour de Jésus, cela tient la plupart du temps à ce que ces hommes sont dépourvus de tout sentiment moral, et sont devenus insensibles et indifférents à toute espèce de réveil spirituel, inaccessibles à tous les attraits de la grâce et du Saint-Esprit. Ce sont les sadducéens qui disent dans leur coeur : « Il n'y a point de Dieu », et regardent avec mépris tout ce qui s'enquiert de lui et cherche à lui plaire, C'est là un dédain passif. Au contraire, le dédain des pharisiens est actif, car il consiste à fermer les coeurs au pressant amour du Sauveur. C'est qu'ils ont à conserver un trésor qu'ils se croient obligés de préserver avec le plus grand zèle : C'est leur piété, qu'ils ont obtenue par leurs propres efforts ; c'est leur justice, qu'ils ont acquise par leurs sacrifices et par leurs bonnes oeuvres, Plus on est convaincu de satisfaire de cette manière aux exigences de la loi de Dieu, plus on est jaloux de défendre son trésor, dans la pensée que l'on rend service à Dieu.

Ce qui met le comble à leur indignation et à leur prétendu zèle pour la gloire de Dieu, c'est d'entendre le Seigneur se donner lui-même comme le Fils unique de Dieu. Par exemple, lorsqu'il dit. « Celui qui m'a vu, a vu mon Père » (Jean XIV, 9) ; « Moi et mon Père nous sommes un » (Jean X, 30). Ces déclarations les remplissent d'une haine mortelle. Tout ce que Jésus dit et fait les scandalise. Que celui qui est né dans la bassesse doive être le Fils de Dieu, cela leur parait un blasphème digne de mort. Que ce même personnage réclame la repentance, la conversion, la foi en lui et la sanctification, cela confond toutes leurs idées sur Dieu et sur leur propre dignité. Ils repoussent avec indignation la pensée de se laisser affranchir par le Fils de Dieu, car ils ne veulent pas reconnaître leur assujettissement politique ; et quant à l'esclavage du péché, ils refusent d'en entendre parler. En un mot, l'orgueil des pharisiens est abaissé par l'apparition et par toutes les manifestations de la vie de Christ, et ils s'opposent de toutes leurs forces à ce que cette humiliation pénètre dans leurs coeurs.

Plus le Sauveur déploie de zèle, et montre de divin amour pour sauver leurs âmes, plus ils mettent d'orgueil à résister à cet amour, et plus leur haine s'enflamme contre celui qui condamne en toute occasion leurs vertus et leur justice, et mine la considération que leurs bonnes oeuvres leur auront acquise auprès du peuple. Plus ils sentent clairement qu'il s'agit d'être pour ou contre le Seigneur, et qu'il n'y a aucun moyen de concilier cette antinomie, plus ils sont décidés à s'écrier : « Nous ne voulons pas que celui-ci règne sur nous » (Luc XIX, 14). Plus ils reconnaissent l'impossibilité d'infirmer le témoignage que Jésus se rend à lui-même devant le peuple, de lui arracher la couronne de sa divinité, de nier sa parfaite sainteté et sa puissance miraculeuse, plus ils s'arrêtent fermement à la pensée du seul moyen de sauver, à leurs propres yeux et aux yeux de leurs concitoyens, l'éclat de leurs vertus : « Il faut qu'il meure ! » « Il est à propos qu'un seul homme meure pour le peuple et que toute la nation ne périsse pas » (Jean XI, 50).

Le nom de pharisien est tombé, parmi nous, dans un profond mépris. Cependant les sentiments, les dispositions morales de ces hommes sont encore vivants aujourd'hui dans la chrétienté, bien que désignés sous des dénominations plus favorables. Comme on se laisse facilement aller à déblatérer contre ces affreux pharisiens, tandis que le plus détestable des pharisiens règne dans notre propre coeur !
Aujourd'hui comme alors, l'homme naturel croit pouvoir subsister devant Dieu sans avoir besoin de repentance, ni de conversion, ni de foi en Jésus, par la simple observation extérieure de ses commandements, par le seul éclat de son honnêteté et de ses vertus. Aujourd'hui comme alors, le coeur humain est inquiet, se trouve malheureux, et cherche sa paix, non auprès de celui qui nous a réconciliés avec Dieu par son sang, mais dans les feuilles de figuier des exercices de piété. Aujourd'hui comme alors, il repousse la grâce de Dieu, afin de pouvoir se persuader qu'il n'a commis aucune faute. Cette grâce réussit-elle cependant à enfoncer un aiguillon dans ce coeur satisfait de lui-même, à réveiller cette conscience endormie ? Si l'homme ne veut pas se laisser reprendre par l'Esprit de Dieu, il arrache l'aiguillon, en s'efforçant de se justifier à ses propres yeux, en faisant parade de sa propre honnêteté et de la dignité de la nature humaine. Mais ces inutiles efforts n'adoucissent nullement la blessure du coeur ; ils l'enveniment au contraire, et y allument finalement une haine déclarée contre Christ. Aujourd'hui comme alors, voilà ce qu'il faut considérer, si l'on veut comprendre la lutte des pharisiens contre le Sauveur.



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67. Le Fils de l'homme.


Il y a un seul médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme, qui s'est donné lui-même en rançon pour nous (1 Tim. Il, 5. 6.). Pour ramener les hommes à Dieu, il fallait que le Sauveur réunît en lui la divinité et l'humanité. Il est véritablement Dieu engendré du Père de toute éternité, et véritablement homme, né de la vierge Marie. Fils de Dieu ! Par le fond le plus intime de son essence, Jésus repose dans le sein de la Trinité. « Il est la splendeur de la gloire du Père et l'image empreinte de sa personne (Héb. I, 3). Celui qui l'a vu a vu le Père (Jean XIV, 9). Il est un avec le Père » . « Mon Seigneur et mon Dieu ! » c'est ainsi que Thomas l'adore (Jean XX, 28), et Jésus accepte cette confession comme la vraie expression de la foi en lui. Avant la création du monde, il était auprès du Père dans la gloire céleste (1 Jean I, 2). Saint Jean dit de lui : C'est lui qui est le vrai Dieu et la vie éternelle (I Jean V, 20). Paul rend de lui ce témoignage, qu'il est Dieu au-dessus de toutes choses, béni éternellement (Rom. IX, 5).

Si Jésus était un simple homme, il n'aurait pas pu racheter l'humanité pécheresse. « Personne ne pourra en aucune manière racheter son frère ni payer à Dieu sa rançon ; car le rachat de leur âme est trop cher et il ne se fera jamais (Psaume XLIX, 8). « Et si même Dieu avait consenti à accepter le sang de ce seul homme pur comme une rançon pour l'impur, le sang de cet homme pourrait tout au plus racheter un autre homme, mais non toute l'humanité pécheresse. Mais Christ étant véritablement Dieu, le sang qu'il a répandu en sa qualité d'homme-Dieu a une vertu universelle et éternelle. Ce n'est qu'un souverain sacrificateur venu du ciel, qui pouvait réconcilier le monde pécheur avec le Dieu saint (2 Cor. V, 19) et purifier notre conscience des oeuvres mortes (Héb. IX, 14).

D'un autre côté, si le Fils de Dieu devait réconcilier le monde avec Dieu, il fallait nécessairement qu'il fût homme, puisque sans effusion de sang il n'y a point de rémission de péché. Or, Dieu ne peut ni souffrir ni mourir, ni par conséquent répandre son sang. Il fallait donc qu'il se fit homme, afin de pouvoir souffrir et mourir à notre place. C'est pourquoi, bien qu'il fût en forme de Dieu et n'ait point regardé comme une usurpation d'être égal à Dieu, il s'est anéanti lui-même en prenant la forme de serviteur, et ayant paru comme un simple homme, il s'est abaissé lui-même, s'étant rendu obéissant jusqu'à la mort, et même jusqu'à la mort de la croix (Philip. II, 6-8). Comme les enfants des hommes qu'il voulait sauver, participent à la chair et au sang, il y a aussi participé, afin que par sa mort il détruisit celui qui avait l'empire de la mort, c'est-à-dire le diable, et délivrât tous ceux qui par la crainte de la mort étaient toute leur vie assujettis à la servitude (Héb. II, 14. 15).

Le Sauveur était véritablement homme. C'est d'une vie complètement humaine qu'il a vécu sur la terre. Rien de ce qui est de l'homme ne lui est resté étranger, excepté le péché. Car il nous était convenable d'avoir un tel souverain sacrificateur, qui fût saint, innocent, sans souillure, séparé des pécheurs, et élevé au-dessus des cieux (Héb. VII, 26). En effet, en sa qualité de Fils de l'homme, il s'est élevé au ciel et s'est assis à la droite du Père. Le Fils de Dieu n'a pas revêtu la nature humaine comme on s'enveloppe d'un manteau. Il s'est fait homme. La Parole a été faite chair (Jean I, 14). Et la nature divine et la nature humaine n'ont pas été juxtaposées en lui, de manière que ce soit tantôt la nature divine et tantôt la nature humaine qui apparût - de même sa passion et sa mort sont, l'une et l'autre, tout à fait divines et tout à fait humaines.

Nous nous trouvons ici en présence d'un insondable mystère qu'aucune intelligence humaine ne saurait scruter. Certainement le mystère de piété est grand : Dieu manifesté en chair (1 Tim III, 16).

Le fait que l'existence du Sauveur a toutes ses racines dans son éternelle communion avec le Père, donne seul sa vraie signification à l'expression de Fils de l'homme, par laquelle il se désigne lui-même Il s'en sert, lorsque les esprits commencent à être divisés à son sujet, beaucoup plus fréquemment qu'il ne le faisait dans les premiers temps de son activité publique ; ce qui semble marquer un progrès dans la révélation qu'il fait de lui-même. Il est vrai qu'il s'applique cette dénomination dans l'appel qu'il adresse à Nathanaël (Jean I, 51), dans son entretien avec Nicodème (Jean III, 13. 14), pendant son deuxième séjour à Jérusalem, alors qu'il justifie, devant les pharisiens, la guérison de l'impotent de Béthesda opérée le jour du sabbat, ainsi que dans quelques autres circonstances. Toutefois, plus il se met lui-même à l'avant-plan dans sa prédication du royaume des cieux, plus il insiste sur le fait que la participation à ce royaume et la valeur d'un homme devant Dieu dépendent des relations dans lesquelles on se trouve avec la personne de Jésus, plus aussi la désignation de Fils de l'homme revient fréquemment dans ses discours.

Il est impossible qu'il ait seulement voulu dire, par cette expression, qu'il est un enfant des hommes comme tous les autres.
Ce qui le prouve déjà, c'est qu'il ne se nomme jamais un enfant des hommes, ni un fils d'homme, mais toujours le Fils de l'homme. Représentons-nous la singulière impression que ferait un individu qui n'est et ne veut rien être de plus qu'un simple homme, et qui insisterait continuellement sur sa qualité d'homme ! Il ressort de là que Jésus occupe, parmi les hommes, une situation toute particulière, et que c'est sur celle situation qu'il veut attirer l'attention en se nommant Fils de l'homme. Comme « Messie » il est le but de l'histoire d'Israël, et la réalisation de toutes ses espérances ; comme Fils de l'homme, il est le but de l'histoire de l'humanité et l'accomplissement de toutes les espérances de notre race. Il ne veut pas être seulement un Christ juif : tous les peuples, tous les hommes dirigent leurs regards vers lui. Il est le pain qui donne la vie au monde. Il est l'attente des hommes pieux de l'Ancien Testament et l'Époux de l'Église ; mais il veut recueillir cette Église d'entre toutes les nations. C'est en lui que toute âme trouve son repos ; mais ceux qui le méprisent s'exposent au jugement qui frappera tous les peuples.

Le Sauveur s'applique la dénomination de Fils de l'homme sans l'expliquer. Lui seul en fait usage. Personne d'autre ne le nomme ainsi. Il est vrai qu'Étienne, en mourant, dit voir le Fils de l'homme assis à la droite du Père. Mais il veut évidemment renvoyer à cette grande parole qui a conduit le Seigneur à la mort, et par laquelle il s'annonce comme le juge de ses ennemis, et tout ensemble comme le libérateur de ceux qui l'ont confessé devant Caïphe (Matth. XXVI, 64). Jésus se nomme le Fils de l'homme devant ses disciples, surtout lorsqu'il veut insister sur son abaissement et sa forme de serviteur, et les familiariser avec la perspective de ses souffrances expiatoires. Devant le peuple et dans ses discours publics, il se sert de cette expression lorsqu'il proclame sa dignité de Roi et de Juge. Ces deux idées sont contenues dans cette dénomination. Il n'est donc pas exact de dire que Jésus se l'est appliquée pour rappeler la prophétie de Daniel (VII, 13. 14), qui parle de la venue du Messie comme de l'avènement du Fils de l'homme apparaissant sur les nuées du ciel, et de son éternelle royauté sur tous les peuples de la terre.

Le rapport de ce nom avec la prophétie de Daniel est facile à saisir, et il est reconnu avec joie par le peuple, surtout par les docteurs de la loi et par les pharisiens. Car Israël rêvait précisément d'un puissant règne messianique, qui dominerait sur tous les royaumes de ce monde. Mais lorsque le Seigneur parle du signe du prophète Jonas, et déclare que le règne de Dieu doit être fondé sur ses propres souffrances et sur sa mort, alors il prêche à des sourds. Même les disciples ne le comprennent que difficilement. Et cependant ces deux choses sont comprises dans sa mission de Sauveur : les souffrances expiatoires et la puissance royale, qui sont annoncées dès le commencement dans l'Ancien Testament. C'est ce que nous trouvons au Psaume VIIIe v. 5, et surtout dans le prophète Ezéchiel, que Dieu interpelle plus de quatre-vingts fois par ce nom, afin de lui rappeler sans cesse sa faiblesse et sa petitesse, et dont il fait cependant, par sa grâce et sa force divine, un invincible instrument de sa sainte volonté. Jésus réunit donc ces deux faces de sa mission de Sauveur dans l'expression de Fils de l'homme.

Pour bien comprendre la signification que Jésus attache à cette dénomination, il faut se reporter à la première prophétie prononcée par l'Éternel dans le Paradis : « Je mettrai de l'inimitié entre toi (le serpent) et la femme, entre ta postérité et la postérité de la femme. Cette postérité t'écrasera la tête, et tu la blesseras au talon (Gen. III, 15). » Il est nécessaire qu'il y ait une lutte entre la semence ou la descendance de la femme, et le diable et ses enfants. Mais le héros victorieux, c'est Jéhovah lui-même, le Dieu fidèle de l'Alliance, le Dieu miséricordieux, qui s'approche de l'homme par une révélation miraculeuse, et qui, dans son immense amour, a pris à tâche de l'arracher à sa misère. C'est lui qui conduit la lutte, mais par les enfants des hommes, par la descendance de la femme, en s'unissant toujours plus intimement à eux, jusqu'à ce que les temps étant accomplis, il apparaisse personnellement dans la série des enfants des hommes pour se faire piquer au talon par le serpent, et pour détruire les oeuvres du diable (1 Jean III, 8) par ses souffrances et sa mort en Golgotha. Dès ce moment son oeuvre se poursuit jusqu'à ce que, après une complète victoire, il revienne sur les nuées du ciel avec une grande puissance et une grande gloire, pour établir le royaume éternel de Dieu.

Entre les deux dénominations de Fils de l'homme et de Fils de Dieu, il n'y a aucune espèce de contradiction. Cela ressort déjà de la confession de Pierre à Césarée de Philippe. Jésus demande à ses disciples : « Qui disent les hommes que je suis, moi le Fils de l'homme ? » Et Pierre répond : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant, et Jésus confirme cette confession. Ainsi le Fils de l'homme est le Fils de Dieu (Matth. XVI, 16). L'apparition historique du Fils de Dieu est le Fils de l'homme, et le fondement de l'essence éternelle du Fils de l'homme est le Fils de Dieu. La puissance par laquelle il exerce son activité salutaire, lui vient de sa qualité de Fils de Dieu, et la possibilité pour le Fils de Dieu de pénétrer dans la vie humaine, comme libérateur et comme juge, lui vient de sa qualité de Fils de l'homme. Seulement, la mission du Fils de l'homme n'est pas épuisée par son activité libératrice. Par ses souffrances expiatoires d'une part et par le pardon des péchés d'autre part, les pécheurs doivent être réintégrés dans leur état originel d'enfants de Dieu. Alors le développement de l'homme, qui constituait sa tâche dès le commencement, mais qui a été interrompu par la chute, peut être repris à nouveau. Telle est la mission du Fils de l'homme : conduire l'humanité affranchie jusqu'à la perfection.

L'homme a été créé à l'image de Dieu, il a reçu son souffle. Il était, comme lui, une personnalité spirituelle, consciente et libre. Son esprit pouvait embrasser les choses divines et invisibles et vivre dans la communion de son Créateur. Comme image personnelle de Dieu, l'homme devait, par une libre détermination, transformer son innocence ou sainteté naturelle en une sainteté morale. L'accord inconscient de sa volonté avec la volonté de Dieu devait devenir, pas sa victoire sur une tentation, un accord conscient et voulu, et cette victoire lui aurait donné le pouvoir de ne point pécher à l'avenir. Par cette union consciente de sa volonté avec la volonté de Dieu, l'esprit de l'homme, ce souffle qu'il avait reçu de Dieu, aurait exercé une puissance incontestée sur toute sa vie morale, et par elle, sur toutes ses facultés physiques.

Dans la mesure où l'esprit de l'homme eût vécu dans une communion d'amour avec Dieu, et eût par là fait des progrès dans la lumière céleste et dans la force divine, dans la même mesure, le corps fût devenu le docile instrument de l'esprit et eût été ennobli, glorifié et élevé à un plus haut degré de spiritualité. Exempt de maladies, soustrait à l'empire de la mort et de la corruption, l'organisme devait parvenir par degrés à un état de pureté céleste. Par l'union constante de sa volonté avec la volonté de Dieu, l'homme eût exercé sur la création la domination dont le Créateur l'avait investi. Dieu avait placé l'homme dans le jardin d'Eden pour le garder et le cultiver. Celte culture marquait la soumission de la nature par rapport à l'homme, cette garde lui conférait le pouvoir d'éloigner d'elle toute espèce de danger. Or, le danger qui menaçait la nature, résidait précisément dans son union avec l'homme, son seigneur, et dans la dépendance où elle était vis-à-vis de lui. Si l'homme était resté dans l'obéissance au commandement de Dieu, il aurait préservé la nature de la malédiction dont elle fut frappée à cause du péché qu'il commit, et il aurait ainsi favorisé le développement auquel elle aussi était destinée. L'influence spirituelle et glorieuse que l'esprit de l'homme aurait exercée sur son corps formé de la terre, aurait agi sur la nature de manière à mettre toujours plus complètement ses forces au service de son Maître et ainsi toute la terre serait devenue un théâtre de mieux en mieux préparé pour l'établissement du royaume de Dieu.

Ce développement a été interrompu par la chute. Dès lors, l'homme séparé de Dieu devenait incapable de remplit sa tâche. Son esprit, éloigné de Celui qui est la source de la vie, perdit sa domination sur son âme et sur son corps, il fut asservi à la chair et devint chair (Gen. VI, 3). À partir de ce moment, le corps de l'homme fut assujetti à la maladie, à la mort, à la corruption. La terre, arrosée de ses sueurs, produisit des ronces et des chardons. Le péché, qui avait séparé l'homme d'avec Dieu, divisa aussi les hommes. Chacun d'eux suivit ses propres voies ; la paix et l'amour devinrent étrangers à leurs coeurs ; les relations sociales s'altérèrent en se prolongeant, et la terre devint une vallée de larmes.

Mais ce mal peut être réparé ; la postérité de la femme, même étant blessée au talon, écrasera la tête du serpent. De la série des descendants de la femme, doit sortir le héros, qui remportera la victoire sur le serpent et sur son règne, par les amères souffrances auxquelles il se soumettra. Ainsi l'homme était préservé du désespoir, car la promesse de Dieu ouvrait devant lui la perspective de pouvoir être un jour délivré de tous les maux qu'il avait attirés sur lui par son péché. C'est sur ce libérateur, sur cette postérité de la femme, sur ce Fils de l'homme, que furent désormais dirigés, les regards de toute la race future. Le temps de l'accomplissement de cette prophétie n'étant pas déterminé, la première génération des hommes attendait avec une vive espérance l'apparition de ce libérateur. Lorsqu'un fils naquit à Lémec, il crut voir en lui l'objet de la promesse, le nomma Noé et dit : « Celui-ci nous soulagera de notre oeuvre et du travail de nos mains, sur la terre que l'Éternel a maudite » (Gen. V, 29). Puis le souvenir de cette promesse fut tenu en éveil par diverses institutions. C'est à quoi était particulièrement destiné l'établissement permanent du Sabbat.

Lorsque, Israël avait travaillé pendant six jours avec son Dieu et se reposait en lui le septième jour, il devait se souvenir que ce Dieu voulait encore réaliser au profil des siens la promesse faite dans le Paradis, en leur ménageant un jour de fête pendant lequel ils seraient nourris sans travailler. De même, le pays devait jouir tous les sept ans du repos d'Eden, par l'exemption de toute culture ; et après sept semaines d'années, venait la cinquantième, l'année du Jubilé (Lév. XXV, 11), l'année des réparations, dans laquelle la propriété était rendue au pauvre qui l'avait aliénée, la dette quittée au débiteur et la liberté rendue à l'esclave. Cette année du Seigneur était un avertissement qu'Israël devait être le peuple de l'Éternel, une famille d'enfants de Dieu, et écarter toujours de nouveau de son sein tout ce qui était en contradiction avec cette sainte vocation. Mais l'année du Jubilé d'Israël commençait le jour de la fête des expiations et ne pouvait être célébrée qu'avec elles. Cette année était donc la promesse d'une expiation complète et gratuite de tous les péchés, de tous les délits et de tous les maux qui en sont la conséquence. C'est de cette année que Jésus parle dans la synagogue de Nazareth (Luc IV, 18-21) et dont il annonce qu'elle est accomplie en sa personne.

Parmi tous les enfants des hommes, il n'en était apparu aucun jusqu'alors qui eût vécu comme Jésus dans une intime et constante communion avec Dieu, aucun en qui la nature humaine eût été sans tache, aucun qui eût eu le droit de s'appeler homme, dans le sens le plus profond de ce mot ; aucun, par conséquent, qui eût été capable d'accomplir sur la terre la tâche assignée au premier homme. Maintenant le Fils de l'homme, qui avait été promis, est venu. Jésus est cette postérité de la femme, qui, par la vertu de la réconciliation opérée en Golgotha, efface le péché, anéantit tous les maux qu'il entraîne, la souffrance, la maladie, la mort et rétablit la félicité du Paradis. Mais il est venu aussi pour reprendre le développement de l'homme interrompu par le péché, pour glorifier sa vie corporelle et spirituelle, et pour le rendre participant de la nature divine. C'est lui qui recommence le travail dont l'homme avait été chargé dans le Paradis, et qu'il avait abandonné ; travail qui consiste à faire de toute la terre le théâtre où Dieu établira son royaume et de toute la vie des individus, des familles, de la société, de l'humanité tout entière l'instrument de la fondation de ce royaume.

Jésus est la postérité, de la femme, non seulement parce qu'en lui sont accomplies toutes les prophéties de l'Ancienne Alliance et toutes les espérances d'Israël, mais encore parce que c'est à lui que s'attend toute la race humaine, parce que c'est lui qui apaise les soupirs et comble les voeux de tous les coeurs ; lui qui, dans tout le cours de l'histoire, remporte sur la puissance du mal la victoire promise ; lui enfin qui conduit l'humanité à sa perfection et la couronne de gloire et de délivrance : Voilà pourquoi il est le Fils de l'homme.

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