À partir de cette époque, les embûches des pharisiens deviennent de
plus en plus fréquentes et sont de mieux en mieux combinées. Ils
suivent Jésus pour ainsi dire pas à pas. Reparaît-il en public après
s'être retiré quelque temps dans la solitude ? aussitôt ils
tiennent des espions prêts pour lui dresser des pièges.
Lorsque le Seigneur eut renvoyé le peuple, il entra dans
une barque et aborda au territoire de Magdala. Alors les Pharisiens et
les Sadducéens, qui étaient d'ailleurs en guerre ouverte les uns avec
les autres, le rejoignirent pour le tenter. Ils
lui demandèrent qu'il leur fit voir quelque signe du ciel.
Ils semblent ignorer tout ce que Jésus a fait jusqu'à présent pour
légitimer sa qualité de Fils de Dieu. Ils prétendent avoir besoin d'un
signe du ciel pour croire qu'il est réellement venu du ciel. Et si
Jésus, cédant à leurs désirs, avait fait pleuvoir de la manne ou
descendre le feu du ciel, il ne se seraient pas tenus pour satisfaits,
mais auraient exigé d'autres miracles, car ces
manifestations de puissance n'ont pas le pouvoir de convertir. Jésus
soupira profondément en son esprit (Marc
VIII, 12), à cause de leur incrédulité. Il ne s'irrite point, il
soupire. Combien de soupirs la résistance à son généreux amour
n'a-t-elle pas déjà provoqués ! Puis il leur répondit : Quand
le soir est venu, vous dites Il fera beau demain, car le ciel est
rouge. Et le matin vous dites Il y aura de l'orage, car le ciel
est sombre et rouge. Hypocrite ? ! vous savez bien
discerner l'apparence du ciel, et vous ne pouvez pas discerner les
signes des temps. Les Pharisiens savaient bien
reconnaître les signes du ciel, mais ils fermaient les yeux à ceux que
Jésus opérait, et par lesquels il abaissait la gloire du ciel au
niveau des habitants de la terre. Les signes annonçant l'établissement
du règne de Dieu ne sont clairement reconnus que par les coeurs qui
soupirent après le Dieu vivant. Cette race
méchante et adultère demande un miracle, mais il ne lui sera
accordé aucun autre que celui du prophète Jonas.
L'alliance entre Dieu et son peuple est représentée dans
l'Ancien comme dans le Nouveau Testament, sous l'image de l'union
conjugale. Lorsque le Sauveur appelle les Juifs adultères, il formule
contre eux la terrible accusation d'avoir brisé cette alliance, de
s'être séparés de Dieu et d'être devenus incapables de comprendre ses
pensées d'amour.
L'activité de Jésus avait atteint son plus haut degré de
développement, et le Sanhédrin craignait que les Galiléens ne le
reconnussent comme le Messie. C'est pourquoi ce Conseil envoie une
ambassade composée de Pharisiens et de Sadducéens, qu'il charge de
travailler contre lui. Au surplus, ce n'était pas légèrement que ces
personnages demandaient un signe du ciel ; ils fondaient cette
exigence sur les Saintes Écritures. Jésus se nommait alors fréquemment
le Fils de l'homme. Or, le prophète Daniel (VII,
13) décrit ainsi le règne du Messie. Je
regardais dans les visions de la nuit et je vis quelqu'un comme un
Fils de l'homme qui venait dans les nuées du ciel, pour
établir son pouvoir royal sur tous les peuples. Ils formulaient cette
exigence, dans l'espoir que Jésus ne pourrait pas la satisfaire, et
qu'il leur serait alors facile d'amener le peuple, toujours variable,
à se prononcer contre lui. D'un autre côté, si Jésus
ne leur accordait pas leur demande, ils pouvaient toujours dire que,
bien qu'officiellement sollicité de prouver sa dignité messianique
telle que le prophète l'avait annoncée, il s'y était toujours refusé.
Ils ne se trompaient pas dans leur prudent calcul, car
quoique peu de temps auparavant les Galiléens fussent prêts à
proclamer Jésus comme le Messie, et à le faire Roi, ils n'étaient plus
disposés à le reconnaître comme tel, mais seulement comme son
avant-coureur (Matth.
XVI, 13. 14). Toute cette conduite dénotait cependant un
terrible aveuglement chez les chefs du peuple. Cette apparition du
Fils de l'homme sur les nuées du ciel, n'aura lieu que lorsqu'il
viendra exercer le jugement. C'était donc le jugement de Dieu que les
Juifs appelaient sur eux-mêmes. Le signe du ciel, le signe du Fils de
l'homme, devait leur être accordé en son temps. « Car comme
l'éclair sort de l'orient et se fait voir jusqu'en occident, il en
sera de même à l'avènement du Fils de l'homme (Matth.
XXIV, 27) ». « Il sera assis à la droite de la
puissance divine et viendra sur les nuées du ciel (Marc
XIV, 62). Mais cela n'arrivera que lorsque le règne de Dieu aura
été annoncé à tous les peuples. Pour le moment, ils n'ont à attendre
que le signe du prophète Jonas. L'explication de ce signe a été donnée
par Jésus lui-même (Matth.
XII, 39. 40). Il leur est accordé dans sa personne, dans sa
mort, dans sa sépulture, dans sa résurrection. Christ crucifié est un
signe auquel l'incrédulité contredira (Luc
II, 34), mais qui s'affirme en tout temps aux coeurs croyants
avec une force vivante et une joie victorieuse.
Et les laissant, il s'en alla.
Quel sévère jugement ! Malheur à ceux qu'il frappe ! Qui les
secourra et les sauvera si la grâce de Jésus se détourne d'eux ?
- Ses disciples, qui étaient demeurés à l'autre bord, avaient oublié
de prendre des pains. Et Jésus leur dit : Gardez-vous
du levain des Pharisiens et des Sadducéens. Il met ses
disciples en garde contre la propre justice des Pharisiens et leur
piété extérieure, uniquement calculée en vue d'en inspirer aux hommes,
et en même temps contre l'incrédulité des Sadducéens, contre leur vie
mondaine et leur amour du plaisir.
Gardez-vous !
Puisse ce fidèle avertissement nous être utile à nous-mêmes, car le
temps présent est plein du levain des Pharisiens !
Le contentement de soi-même, la confiance en ses propres
forces, sont tels que l'on comprend à peine une sincère douleur causée
par le péché, que les larmes de la repentance sont vues d'un oeil
soupçonneux, comme si elles dénotaient une vie honteuse remplie de
péchés grossiers, publics ou cachés. Enfants de Dieu, gardez-vous,
afin de n'être pas trompés par le levain des Pharisiens qui
remplacerait le coeur brisé et l'esprit froissé, auxquels il faut
toujours donner la première place.
Notre époque présente absolument les mêmes phénomènes
quant au levain des Sadducéens. On n'élève guère les yeux aujourd'hui
vers les montagnes d'où vient le secours (Ps.
CXXI, 1). On les baisse vers la poussière de la terre. L'enfant
du XIXe siècle chasse de son esprit les pensées de l'éternité. Vivre
pour le moment présent, en profiter en travaillant à accroître de plus
en plus le bien-être matériel de la vie et les jouissances
sensuelles : voilà ce qui, aux yeux du sadducéisme actuel,
constitue la suprême sagesse. Enfants de Dieu, voulez-vous être gardés
pour l'héritage qui ne se peut ni souiller, ni corrompre, ni
flétrir ? Gardez-vous ! Ne vous conformez pas à ce
présent siècle ; éloignez-vous des sadducéens, de peur de vous
laisser gagner, à leur exemple, par l'amour du monde, de faire un
pacte avec leur esprit profane, et de reprendre avec goût les plaisirs
qu'ils cherchent.
Les disciples pensaient en
eux-mêmes et disaient : C'est parce que nous n'avons pas pris
de pain ! Et Jésus connaissant cela leur dit : Gens de
peu de foi, pourquoi pensez-vous ainsi en vous-mêmes sur ce que
vous n'avez pas pris de pain ? Les préoccupations
des disciples au sujet du pain, faisaient d'eux des gens de peu de
foi, et leur manque de foi les empêchait de comprendre l'avertissement
de Jésus. Comme nous devrions être sur nos gardes pour ne pas ouvrir
nos coeurs aux soucis ! Ce sont eux qui rongent la moelle de
notre foi et obscurcissent pour nous la Parole de Dieu. Jésus rappelle
à ses disciples les deux multiplications des pains. Afin de fortifier
leur foi, il leur remet en mémoire les preuves de son amour plein de
sollicitude. Nous ferions bien d'apprendre de lui à chercher dans
notre vie passée les traces de son miséricordieux amour.
Les sociétés bibliques ajoutent aujourd'hui plusieurs
feuilles blanches au saint volume qu'elles offrent aux époux lors de
leur bénédiction nuptiale, afin qu'ils puissent y consigner leur
chronique de famille. S'ils ne se bornaient pas à y inscrire seulement
des noms, des dates de naissance, de baptême et de mort : s'ils y
marquaient la manière dont le Seigneur les a fidèlement châtiés, mais
aussi consolés et secourus, comment il a tenu toutes les promesses
contenues dans ce saint livre, la lecture d'une pareille chronique
serait pour leurs descendants un moyen de fortifier leur foi, une arme
contre les inquiétudes. - Alors les disciples comprirent que ce
n'était pas du levain du pain, mais que c'était du levain de la
doctrine des pharisiens qu'il leur avait dit de se garder.
Et Jésus étant venu à Bethsaïda, on lui
présenta un aveugle qu'on le pria de toucher. Alors il prit
l'aveugle par la main et l'ayant mené hors du bourg, il lui mit de
la salive sur les yeux et lui ayant imposé les mains, il lui
demanda s'il voyait quelque chose. Et l'homme ayant regardé,
dit : Je vois des hommes qui me paraissent comme des arbres.
Jésus lui mit encore les mains sur les yeux, et lui dit de
regarder, et il fût guéri et il les voyait tous distinctement.
Lorsque le Seigneur rendait la vue à un aveugle, il lui disait
ordinairement : « Recouvre la vue, ta foi t'a sauvé ».
Ici il agit de la même manière qu'avec le sourd-muet, et peut-être
pour les mêmes motifs. Tantôt il guérit sans recourir à aucun moyen,
et seulement par sa parole toute-puissante. Tantôt il use de certains
remèdes. C'est ainsi qu'il envoie un aveugle au réservoir de Siloé en
lui disant : « Va et te lave (Jean
IX, 7) ». Et l'aveugle s'y rendit, se lava et revint voyant
clair. Ici, le Seigneur se sert de sa salive, dont il oint les yeux de
l'aveugle. - Il y a des chrétiens qui, dans leurs maladies, peuvent se
remettre immédiatement entre les mains de Dieu ; d'autres ont
besoin de médecins et de médecines. L'une et l'autre voie ont été
consacrées par le Seigneur. Il faut seulement que nous nous sentions
entre ses mains. N'oublions pas non plus que c'est
la bonté de Dieu qui a conféré aux remèdes leur vertu salutaire, et
qu'en en usant, c'est cependant à Dieu seul que nous devons la
guérison.
Ce qu'il y a de particulier dans celle de notre aveugle,
c'est que ses yeux s'ouvrent progressivement. Il voit d'abord
confusément. Il distingue vaguement les contours des hommes qui lui
apparaissent comme des arbres. Ensuite, après que le Seigneur lui a
posé une seconde fois les mains sur les yeux, il les voit tous
clairement et distinctement. Par cette guérison progressive, Jésus
voulait sans doute faire sentir à l'aveugle le prix immense d'une
guérison complète. C'est exactement ainsi qu'il nous traite dans notre
vie spirituelle. Les uns sont si puissamment saisis par la main de
Dieu ou par sa Parole que leur coeur reconnaît en très peu de temps,
quelquefois même instantanément son péché, sa corruption, et se donne
sans réserve au Seigneur. Ces conversions font penser à celle de saint
Paul sur le chemin de Damas. D'autres reçoivent peut à peu la lumière
d'en haut, et sont éclairés progressivement jusqu'à ce qu'enfin ils se
donnent au Seigneur, en lui disant : Je veux être à toi pour
toujours. L'important n'est pas la manière dont nous avons recouvré la
vue, l'essentiel c'est que nos yeux aient été ouverts par Jésus. Si
cela ne t'est pas encore arrivé, cher lecteur, mets un collyre sur tes
yeux afin que tu voies (Apoc.
III, 18).
Le Seigneur s'était ouvertement opposé aux menées des
Pharisiens ; aussi étaient-ils animés d'une haine violente contre
lui. Mais son heure dans laquelle il devait donner sa vie, n'était pas
encore venue. C'est pourquoi il s'éloigne de nouveau de ses
adversaires et se dirige, avec ses disciples, vers le nord de la
Galilée. Ils étaient arrivés aux environs de Césarée de Philippe,
lorsque Jésus leur demanda : Qui
dit-on que je suis, moi, le Fils de l'homme? (V.
Segond) Le Seigneur s'appliquait volontiers cette
dénomination de « Fils de l'homme » parce qu'il a paru comme
un simple homme et a voulu être semblable à ses frères en toutes
choses ; mais aussi parce que lui, le vrai
Fils de Dieu, est devenir un enfant des hommes afin que nous, enfants
des hommes, nous devenions d'heureux enfants de Dieu.
En ce moment où les esprits sont profondément divisés à
son sujet, il veut savoir jusqu'à quel point le peuple s'est laissé
éclairer par les manifestations de sa gloire divine. Les disciples lui
répondent : Les uns disent que tu es
Jean-Baptiste, les autres Élie et les autres Jérémie ou l'un des
prophètes. De toutes ces opinions populaires, il
ressort avec évidence que les esprits étaient profondément émus et
avaient un pressentiment de la grandeur de Jésus. C'était déjà quelque
chose, c'était même beaucoup qu'on le mit à côté de Jean-Baptiste, et
qu'on le comparât à Élie, à Jérémie ou à l'un des prophètes. Il est
cependant triste que personne ne le reconnût pour ce qu'il était
malgré cette richesse de gloire divine qui rayonnait de sa personne.
On le prenait pour un avant-coureur de Christ, et non pour Christ
lui-même. Alors Jésus se retourna vers ses disciples et leur
dit : Et vous, qui dites-vous que je
suis ?
Jusqu'alors il n'avait pas encore adressé une pareille
question à ses disciples. Il. ne leur avait non plus jamais dit
formellement : « Je suis le Messie, ou : Je suis le
Fils de Dieu. » La lumière sur cette question devait leur venir
non d'un enseignement extérieur, mais d'une démonstration d'Esprit et
de puissance, d'une communion vivante avec leur Maître. Ils avaient
entendu sa Parole et vu ses oeuvres. Tout cela leur avait révélé
l'essence extraordinaire et mystérieuse de sa personne. Cette
connaissance qu'ils avaient déjà acquise de lui, il veut en provoquer
la manifestation, afin qu'ils puissent le confesser joyeusement. C'est
seulement par cette confession que la foi qui sommeille dans leur
coeur, deviendra consciente et personnelle. Alors le bouillant Pierre,
se faisant l'organe des autres disciples, répond : Tu
es le Christ, le Fils du Dieu vivant. Cette confession
est la même que celle rapportée par Jean
VI, 68. 69.
Tout ce que Matthieu raconte dans les chapitres XV-XVI,
42, doit donc être intercalé entre les versets 66
et 67 de Jean VI. Ainsi les disciples ont reconnu Jésus comme le
Christ, le Messie, le libérateur promis à l'humanité pécheresse. Il
leur a été révélé également qu'aucun membre de
cette humanité n'était en état de délivrer les pécheurs, et que, parce
que Jésus est le Christ, il doit nécessairement être le Fils de Dieu.
Pierre fait cette double confession. Il reconnaît la vocation de
Jésus : il est le Christ, le Messie. Il reconnaît la
nature de Jésus : il est le Fils du Dieu vivant. Que Dieu
vive véritablement, et qu'il ne soit pas seulement une notion de notre
intelligence ; que ce Dieu vivant ait un coeur qui bat, une
oreille qui entend, un oeil qui voit, une main qui délivre, voilà ce
que Pierre et tous les disciples ont expérimenté dans leur communion
avec Jésus. En un mot, ils ont reconnu que toute la plénitude de la
Divinité habite corporellement en lui (Col.
II, 9).
Depuis ce moment, cette question : Qui
dit-on que je suis, moi, le Fils de l'homme? (V.
Segond) se pose à toute l'humanité. Seulement, tous ceux qui
confessent de bouche que Jésus est le Christ, ne le reconnaissent pas
réellement comme le Sauveur des pécheurs, comme le Fils de Dieu. Ils
ne voient en lui que le plus noble, le plus sage, le meilleur des
hommes. Ils lui donnent volontiers le titre de bienfaiteur de
l'humanité ; mais ils nient ce que Pierre affirme : qu'il
soit le Fils du Dieu vivant. Quant à nous, comme Pierre, nous
confessons, le coeur pénétré d'amour et de reconnaissance, qu'il est
véritablement Dieu, engendré du Père de toute éternité, et
véritablement homme, né de la vierge Marie. C'était un moment solennel
dans la vie de l'humanité que celui où Pierre fit cette confession.
C'était l'union de l'épouse avec l'époux, de l'humanité avec le Dieu
du ciel et de la terre. Par cette confession, l'humanité reconnaissait
pour la première fois pleinement et clairement en Jésus le Fils de
Dieu, qui est descendu du ciel, avec l'intention pleine d'amour de
sauver tous les pécheurs de la mort et de la puissance du diable, et
de faire d'eux des créatures célestes.
Cette confession de Pierre marque aussi un moment décisif
dans la vie de Jésus. Elle porte sur le passé et sur l'avenir. D'abord
elle est le couronnement et le sceau de l'éducation des disciples,
puis elle est le point de départ d'une voie pleine des plus grandes
douleurs. Dès ce moment, Jésus parlera ouvertement à ses disciples de
ses souffrances et de sa mort. Son activité en Galilée touche à sa
fin, et bientôt il montera à Jérusalem. Il faut dès
lors que les disciples sachent ce qui les attend. Mais ils peuvent
l'apprendre maintenant, puisqu'ils ont reconnu dans leur Maître le
Messie, le Sauveur des pécheurs, le véritable Fils de Dieu. Il faut,
que, nonobstant tous les scandales, ils apprennent à supporter la
pensée que le chemin de la gloire conduit à travers beaucoup, de
souffrances et jusqu'à la mort de la croix. Jusqu'à présent, Jésus n'a
parlé de ses souffrances et de sa mort que d'une manière voilée ;
maintenant que le moment approche, il veut que ses disciples se
familiarisent avec cette perspective, qu'ils sachent que ses
souffrances ne lui sont pas imposées par une aveugle fatalité, mais
qu'elles sont la condition nécessaire de sa résurrection et de sa
glorification. De là vient qu'il ne parle jamais de ses souffrances et
de sa mort sans mentionner sa résurrection.
Et Jésus lui répondit : Tu
es heureux, Simon fils de Jona ; car ce n'est pas la chair et
le sang qui l'a appris ces choses ; mais c'est mon Père qui
est dans les cieux. Tout aussi peu que Pierre, nous ne
pouvons croire en Jésus par notre propre intelligence et par nos
propres forces. Le croyant est celui que Dieu a attiré à Jésus par le
Saint-Esprit. Ce n'est ni sa sagesse ni sa science qui l'ont rendu
tel, mais uniquement l'illumination divine.
Et moi je te dis aussi que tu es
Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes
de l'enfer ne prévaudront point contre elle. Par ces
paroles, Jésus n'a absolument pas voulu conférer à Pierre une
domination sur ses autres disciples. La puissance qu'il attribue ici à
Pierre, il l'accorde également à tous les apôtres (Matth. XVIII, 18).
Et si même le Seigneur avait conféré à Pierre une autorité personnelle
sur ses condisciples, nul ne peut prouver que les papes doivent en
être investis. Le rocher sur lequel Jésus veut bâtir son Église, n'est
pas la personne de Pierre, mais sa confession, par laquelle il le
reconnaît comme le Christ, le Fils du Dieu vivant. Tout passe sur la
terre : la vie des hommes, leur puissance, leurs richesses, leurs
opinions, leurs croyances. « Tu les emportes comme par une ravine
d'eau (Ps.
XC. 5). » De là vient. que l'incrédulité dit :
« La mort est l'héritier de toutes choses ». Et elle aurait
raison, s'il n'y avait pas de Sauveur. Mais au milieu. de ce torrent
qui entraîne tout, il se trouve un rocher qui ne sera pas
emporté : c'est Christ et tous ceux qui se réfugient vers lui, et
le confessent courageusement. Partout où l'on confesse Christ de cette
manière, là est l'Église chrétienne. Le fondement sur lequel repose
cette Église ne peut être que Jésus-Christ crucifié et ressuscité.
« Personne ne peut poser d'autre fondement » (1
Cor. III, 11). Il y ajoutait tous les jours des gens pour
être sauvés (Act.
II, 47). C'est lui-même qui construit ; mais il se sert
dans cette construction, de ses serviteurs comme instruments. Et là où
le Seigneur bâtit, la puissance de la mort est anéantie. Les portes de
l'enfer, c'est-à-dire les portes de la mort, qui engloutissent toute
vie d'homme empoisonnée par le péché, sont impuissantes contre la vie
de ceux qui sont nés de Dieu par la foi.
Et je le donnerai les clefs du
royaume des cieux, et tout ce que tu lieras sur la terre sera lié
dans le ciel, et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié
dans le ciel. Le Seigneur donne les clefs du royaume
des cieux à Pierre et à ses compagnons. La puissance divine de
l'Église de Christ consiste en ceci, c'est qu'au moyen de ces clefs,
elle ouvre le royaume des cieux, avec tous ses trésors, à toutes les
âmes repentantes, et le ferme aux coeurs impénitents. Lier, c'est
fermer le ciel., retenir les péchés, en sorte qu'ils ne sont point
pardonnés. Quelle douce consolation pour les âmes travaillées et
chargées, pour lesquelles leurs péchés sont devenus un insupportable
fardeau, de pouvoir, déjà sur la terre, obtenir le pardon après lequel
elles soupirent ! Ce n'est pas à Pierre seul, mais à toute
l'Église, qui s'associe à la confession de cet apôtre, que le Seigneur
a remis les clefs du royaume des cieux. Et l'Église les administre
selon la volonté de son chef, par le moyen de serviteurs, qui sont les
dispensateurs des mystères de Dieu (I
Cor. IV, 1). Et alors il dit à ses
disciples de ne dire à personne que lui, Jésus, fût le Christ.
Si les disciples l'avaient alors proclamé comme le Messie, ils
auraient éveillé, dans ce peuple charnel, des espérances terrestres
que Jésus ne voulait pas exciter.
Dès lors Jésus commença à déclarer à ses
disciples qu'il fallait qu'il allât à Jérusalem et qu'il y
souffrit beaucoup de la part des anciens, et des principaux
sacrificateurs et des scribes, et qu'il y fût mis à mort et qu'il
ressuscitât le troisième jour. Cette déclaration fut
sans doute, pour les disciples, comme un coup de foudre dans un ciel
serein. Ils venaient de reconnaître leur Maître comme le Fils de Dieu,
et lui-même avait confirmé leur confession. Et cependant il leur
annonce qu'il doit beaucoup souffrir, et finalement mourir. Cela dut
leur apparaître comme une contradiction. Mais Pierre et ses compagnons
ne connaissaient pas toute la profondeur de la confession qu'ils
venaient de faire. Et c'est pour leur en faire comprendre tout le
contenu, que le Sauveur leur parle de ses souffrances. De même qu'on
ne peut voir les étoiles du ciel que pendant la nuit ou du fond d'un
puits, de même on ne peut apprendre à connaître toute la gloire du
Fils de Dieu que des profondeurs des souffrances rédemptrices. Quant
aux disciples, ils entendirent bien l'annonce de la mort, mais ils ne
firent pas attention à celle de la résurrection.
Alors Pierre, que le Seigneur venait de louer à cause de
sa confession, crut pouvoir prendre à son égard une plus grande
liberté que de coutume. Et l'ayant pris à
part, il se mit à le reprendre et à lui dire : A Dieu ne
plaise, Seigneur, cela ne t'arrivera point ! Jésus
veut voir dans ses disciples des imitateurs et non des conseillers.
Pierre a évidemment mal compris les paroles par lesquelles Jésus
marque la nécessité de ses souffrances et de sa mort. Il méconnaît les
desseins de Dieu, d'après lesquels ces souffrances et cette mort sont
indispensables pour sauver les pécheurs. La décision tranchante avec
laquelle le Seigneur repousse l'idée de se ménager lui-même, montre
clairement qu'il y voyait une véritable tentation. Il avait adopté la
faiblesse de notre chair, et comme il était sans péché, la souffrance
devait être absolument étrangère à sa nature sans tache.
C'est de cette circonstance que le diable voulut
profiter, pour inspirer au Sauveur l'horreur des souffrances qu'il
avait en perspective. Les tentations du désert n'avaient pas d'autre
but que de porter le Seigneur à s'y soustraire. Mais elles furent
repoussées par cette parole : « Arrière de moi,
Satan ! » Dès lors, le diable n'avait trouvé aucune occasion
de tenter Jésus. Maintenant il s'en présente une, et l'ennemi la
saisit en se servant du coeur pusillanime de Pierre. Mais le Seigneur
résiste aussi à ce tentateur, auquel le disciple sert d'organe, en lui
disant : Retire-toi de moi, Satan, tu
m'es en scandale. Il apprend en même temps à Pierre de
quelle puissance il s'est fait l'instrument. Car,
lui dit-il, tu ne comprends pas les choses
qui sont de Dieu, mais seulement les pensées humaines.
Lorsque l'homme suit les inspirations de son propre coeur ou les
impulsions de la chair et du sang, il s'éloigne nécessairement de la
volonté de Dieu. Or, la résistance à cette volonté est une suggestion
de Satan.
Alors Jésus dit à ses
disciples : Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce
à soi-même, qu'il se charge de sa croix et qu'il me suive.
La devise du Maître doit être celle des disciples : « Par la
croix à la gloire. » Seulement toute souffrance n'est pas une
croix. On ne peut donner ce nom qu'aux souffrances supportées à la
suite du Crucifié. Jésus ne force personne à le suivre, comme aussi il
ne laisse aucune illusion à ceux qui se donnent à lui. Il avertit
d'avance chacun de ceux qui veulent marcher dans sa voie, qu'ils
auront une croix à porter. Même dans une vie tout ordinaire, sans
souffrances particulières, le renoncement est exigé de quiconque veut
suivre Christ. On ne peut avoir aucune communion avec celui qui est
mort sur la croix pour nos péchés, sans faire mourir soi-même chaque
jour ce moi si intimément lié au péché.
Car quiconque voudra sauver sa
vie, la perdra, et quiconque perdra sa vie pour l'amour de moi, la
sauvera. Car que servirait-il à un homme de gagner le monde entier
s'il perdait son âme, ou que donnerait l'homme en échange de son
âme ? Le monde entier, avec tous ses plaisirs,
tous ses honneurs, tous ses trésors, ne saurait dédommager de la perte
de l'âme. Et nous la perdons, si nous négligeons
de saisir la vie éternelle en Christ, si nous nous rendons esclaves du
monde en méprisant la seule rançon suffisante qui a été payée en
Golgotha.
Toutefois, afin que l'aspect de cette croix n'effraye
personne, le Seigneur lève un instant le voile qui cache l'avenir à
ses disciples, et il leur permet d'y jeter un regard. Car
le Fils de l'homme doit venir dans la gloire de son Père avec ses
anges, et il rendra à chacun selon ses oeuvres. Ce
regard de la foi fixé sur le Seigneur venant dans sa gloire, nous
apprend que la possession du monde entier ne compense point la perte
de l'âme, et que la perte du monde entier ne porte aucun préjudice, si
l'âme est sauvée. Ce regard assure le bonheur et la victoire à
quiconque porte sa croix. Il faut que le Sauveur lui-même meure. Mais,
dit-il à ses disciples, il y en a quelques-uns de ceux qui sont
présents qui ne mourront point qu'ils n'aient vu le Fils de l'homme
venir en son règne. Cette venue du Sauveur dans sa gloire de Roi et de
Juge, a commencé immédiatement après son ascension ; car dès ce
moment toute puissance lui est donnée dans le ciel et sur la terre.
Son avènement comme Juge a débuté par la destruction de Jérusalem,
dont Jean et quelques autres disciples ont été témoins, et il sera
accompli quand Jésus viendra pour juger les vivants et les morts.
Les disciples avaient été profondément bouleversés par l'annonce des
souffrances et de la mort de leur Maître. Il leur paraissait
impossible que le Christ, le Fils du Dieu vivant, dût souffrir et
mourir. Ils ne comprenaient pas qu'il voulût, par pur amour, donner sa
vie pour le salut des pécheurs. Ainsi, malgré la confession qu'ils
avaient faite par la bouche de Pierre, ils auraient encore pu être
dans l'erreur relativement à la personne de Jésus si leur foi n'avait
été fortifiée. Mais la lumière du Tabor devait éclairer pour eux les
ténèbres de Golgotha. Le Seigneur veut leur montrer ce qu'il est,
afin que leur foi, qu'ils venaient de confesser, ne défaillit
point. Cette lumière devait dissiper les trompeuses apparences,
d'après lesquelles Jésus n'aurait été que la malheureuse victime de la
violence on d'une aveugle fatalité. La voix sortie de la nuée leur
donnait l'entière assurance que la mort par laquelle l'Auteur de notre
salut devait être consacré, était en parfaite harmonie avec la volonté
du Père.
La transfiguration de Jésus sur la montagne est une
représentation prophétique de sa glorification par sa résurrection,
comme les apparitions passagères du Fils de Dieu dans l'Ancien
Testament (par exemple dans les plaines de Mamré et ailleurs) étaient
une représentation prophétique de son incarnation permanente. Cette
transfiguration était la preuve que la vie divine et humaine de Christ
était, dans tous ses détails, parfaitement conforme aux desseins du
Père céleste, tellement que son corps lui-même n'était pas seulement
le docile instrument de l'Esprit, mais encore qu'il était complètement
pénétré des forces divines qui habitaient en lui. Enfin la
transfiguration de Jésus jette une vive lumière sur le discours qu'il
prononça dans la synagogue de Capernaüm, où il insiste si fortement
sur le fait que sa personne divine et humaine doit être
spirituellement et corporellement la nourriture du monde pécheur. Au
reste, ce n'était pas seulement pour les disciples, mais aussi pour le
Sauveur lui-même, que la transfiguration avait une importante
signification. Car, en vue de ses souffrances et de sa mort, il avait
besoin de force et de consolation.
Six jours après, Jésus prit
Pierre, Jacques et Jean et les mena sur une haute montagne à part.
Ces trois disciples, pour lesquels il avait une affection
particulière, il les introduit, comme plus tard en Gethsémané, dans le
lieu très saint, afin qu'ils le contemplent, ici comme le Roi de
gloire, là comme le grand prêtre devant l'autel du sacrifice. D'après
une ancienne tradition, cette haute montagne serait le Thabor.
D'autres regardent comme plus probable que c'était le grand Kermon
situé au nord de la Galilée. Les apôtres l'appelèrent plus tard la
« Sainte Montagne » (2
Pierre I, 18). Et il fût transfiguré
en leur présence ; son visage devint resplendissant comme le
soleil, et ses habits devinrent éclatants comme la lumière.
Toute sa personne jette un éclat tel que la lune et le
soleil en sont obscurcis. Ce n'est pas comme au
Sinaï, où Moïse disait : « Je suis effrayé et tout
tremblant » (Héb.
XII, 21). Non ! la lumière du Thabor rayonne la paix et la
joie. Ici le coeur ne s'écrie pas : « Malheur à moi, je suis
perdu ! » (Ésaïe
VI, 5). Au contraire, il dit avec adoration : « Fais
reluire ta face sur nous et nous serons délivrés » (Ps.
LXXX, 3). La femme dont parle Jean (Apoc.
XII, 1), était revêtue du soleil ; mais Jésus est lui-même
le soleil qui nous éclaire. Il ne reçoit pas la lumière du dehors ni
d'en haut, il est lui-même la lumière. Il
fut transfiguré ; littéralement, il se
transfigura.
La plénitude de la gloire divine, qui habitait
corporellement en lui, était d'ailleurs cachée par le voile de sa
chair. Et il n'en paraissait de temps en temps que quelques rayons
semblables à des éclairs perçant l'obscurité de la nue. Ici il dévoile
pour un peu de temps toute la gloire du Fils de Dieu. Ses
habits devinrent éclatants comme la lumière. Là lumière
majestueuse du Dieu trois fois saint, tels sont les habits dont il est
alors revêtu. La gloire dont il brille sur le Thabor n'est pas quelque
chose d'étranger ou d'emprunté, mais quelque chose qui lui est propre,
et qui constitue sa personne même. Saint Jean a pu dire que sa gloire,
qu'ils avaient contemplée, était pleine de vérité. L'éclat
qu'on voyait en lui n'était pas une apparence extérieure, mais
jaillissait de son essence la plus intime et était ainsi la vérité
absolue. Mais cette gloire était aussi pleine de grâce.
C'était l'éclat de la charité et de la bonté de Dieu notre Sauveur,
qui pénètre les coeurs de ses rayons bienfaisants.
Et en même temps apparurent
Moïse et Elie. Les messagers célestes, le médiateur et
le réformateur de l'Ancienne Alliance apparurent et s'entretinrent
avec Jésus, pour montrer que l'établissement du royaume des cieux
n'est pas en contradiction avec Moïse et les prophètes. Il ne nous est
pas dit que Jésus apprit à ses disciples les noms de ces deux saints
personnages ; mais cela n'était point nécessaire : les
disciples purent les reconnaître sans le secours de ces indications.
Des hommes comme ceux-là portent des marques qui les distinguent
clairement aux yeux de quiconque est versé dans les Écritures. Qui de
nous aura besoin un jour qu'on lui montre Jésus ? Pour quiconque
lui est uni et vit habituellement avec lui, un
seul coup d'oeil suffira pour reconnaître son Roi. - Moïse et Élie se
trouvent en présence du Fils de Dieu, qu'ils ont servi avant son
incarnation, pour lequel ils brûlaient de zèle, et qui, sous le nom de
Jéhovah, les a conduits, fortifiés, bénis pendant qu'ils étaient sur
la terre. Maintenant ils sont glorifiés, et leur tête est ornée de la
couronne de vie. Leur coeur est rempli des pensées de l'éternité, et
des desseins miséricordieux de l'Éternel, pour le salut de l'humanité
pécheresse. Avec quelle joie, avec quel ravissement ne devaient-ils
pas adorer celui dont le sang les avait purifiés !
Ils s'entretenaient avec lui et
parlaient de sa mort, qu'il devait accomplir à Jérusalem
(Luc IX, 31).
Ils ne parlèrent pas à Jésus d'un char de feu qui devait l'emporter au
ciel, ni des couronnes de vie qui l'y attendaient, mais des mortelles
angoisses de Gethsémané, de la couronne d'épines et de la croix. Jésus
put entendre aussi, de la bouche des messagers célestes, qu'il était
résolu, dans les conseils de Dieu, que le salut des pécheurs serait
opéré par son sang, « car sans effusion de sang, il ne se fait
point de rémission de péché » (Héb.
IX, 22). À l'ouïe de ces déclarations, une voix dans son coeur
s'écrie : « Oui, mon Père, du fond de mon coeur !
Donne-moi ce fardeau, je le porterai volontiers ». Tout en lui
répète : « Me voici, je suis venu ; mon Dieu, j'ai pris
plaisir à faire ta volonté, et ta loi est au-dedans de mes
entrailles » (Ps.
XL, 8. 9).
Pendant ce temps, les disciples étaient comme dans un
rêve. Lorsqu'ils se réveillèrent, ils virent leur Maître transfiguré
et les deux hommes près de lui dans la lumière. Comme ceux-ci allaient
s'éloigner, Pierre dit à Jésus : Maître,
il est bon que nous demeurions ici ; faisons-y trois tentes,
une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie. On a
reproché à Pierre d'avoir fait cette demande par amour du repos, par
répugnance pour le combat, par crainte de la croix. Dans cette
circonstance, ce jugement est un peu sévère. Pierre est ravi d'une
sainte joie, car il respire l'air du ciel. Il contemple à visage
découvert la gloire du Fils unique du Père, et dans son coeur se fait
entendre cette mélodie des enfants de Coré : « Éternel des
armées, que tes tabernacles sont aimables » (Ps.
LXXXIV, 1) ! Dans ces conditions, il est naturel que Pierre
perde la claire conscience de ce qui arrive. Il
aurait voulu prolonger extérieurement cette heure de clarté
céleste, et c'est pour cela qu'il offre de construire trois tentes,
afin de demeurer sur cette montagne. Il aurait voulu prolonger prématurément
ce moment de jouissance, sans songer qu'il fallait d'abord parcourir
une voie de souffrances et d'efforts, et livrer un rude et long combat
avant de pouvoir dire « Voici le tabernacle de Dieu avec les
hommes (Apoc.
XXI, 3).
Comme il parlait encore, une
nuée resplendissante les couvrit. Et tout d'un coup, une voix
sortit de la nuée, qui dit : C'est ici mon Fils bien-aimé, en
qui j'ai mis toute mon affection (Matth.
III, 17). Lorsque Jésus dut soutenir dans le désert le combat
contre le tentateur, il fut fortifié par le témoignage sortant du
nuage : celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j'ai mis toute mon
affection. Maintenant, Jésus est sur le point de passer par la vallée
de l'ombre de la mort, où les frayeurs du jugement et les terreurs de
l'enfer saisiront son âme. Il faut donc que cette même voix qui s'est
fait entendre sur le Thabor, soit son bâton et sa houlette dans ces
affreux moments. Cette voix, les disciples la reçurent comme la
confirmation de la confession que Pierre avait faite peu de temps
auparavant : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu
vivant ». « Oui et amen ! » semblait-elle dire du
haut du ciel ; vous avez bien compris, c'est mon Fils bien-aimé.
Combien fut profonde l'impression que fit cette voix du Père sur le
coeur des disciples, c'est ce que nous apprend saint Pierre (2
Pier. I, 16-18). « Car ce n'est point en suivant des fables
composées avec artifice, que nous vous avons fait connaître la
puissance de l'avènement de notre Seigneur Jésus-Christ, mais c'est
comme ayant vu sa majesté de nos propres yeux. Car il a reçu du Père
honneur et gloire, lorsque cette voix lui fut adressée du milieu de la
gloire magnifique : Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j'ai
mis toute mon affection. Écoutez-le.
Les disciples comprendront-ils mieux maintenant, lorsque
Jésus leur parlera de la nécessité de ses souffrances et de sa
mort ? Il les prépare constamment à cette perspective ; mais
ils ne comprennent pas. Cependant, ne les condamnons pas pour cela,
mais reconnaissons notre propre coeur dans le miroir du leur. Ce que
nous n'aimons pas à entendre, nous ne l'entendons pas, quand même
cela retentit à nos oreilles comme le bruit de la tempête. Écoutez-le.
Par cet ordre, le Père rend d'avance les disciples attentifs aux
dernières instructions de Jésus, qui étaient pour eux, comme elles
sont pour nous, d'une si grande importance. Tenons nos coeurs ouverts
à ces paroles, si nous voulons les comprendre. Abordons-les avec cette
prière : « Parle, Seigneur, ton serviteur, ta servante,
écoute » (1
Samuel III, 9).
Ce que les disciples ayant
entendu, ils tombèrent le visage contre terre et furent saisis
d'une très grande crainte. Le Tout-Puissant parle, et
les trois disciples sont étendus dans la poussière. Mais. Jésus les
ranime et les console : Levez-vous et
n'ayez point de peur. Lorsque le pécheur tremble devant
la sainte majesté de Dieu, personne ne peut le rassurer que le Fils,
qui, comme Agneau de Dieu, a porté les péchés du monde, et dont le
sang crie de meilleures choses que celui d'Abel. Alors,
élevant leurs yeux, ils ne virent plus que Jésus seul.
La plupart des chrétiens voient toujours Moïse et Christ à côté l'un
de l'autre. Ils se confient à moitié en Moïse et à moitié en Christ.
Ils reconnaissent qu'ils ne peuvent pas être justifiés par la loi, et
que par conséquent ils ont besoin d'un Sauveur ; mais ils se
disent aussi qu'ils ne doivent pas rester les bras croisés. Ils
travaillent avec une entière sincérité pour vivre conformément à la
volonté de Dieu. Mais ils savent aussi qu'ils n'y réussiront jamais,
et qu'il leur manquera toujours quelque chose ; et c'est cette
lacune qu'ils espèrent que Jésus comblera par son sacrifice. Ils
veulent opérer leur salut, moitié par leurs propres forces, moitié par
la foi en Christ. Et comme ils ne voient pas Jésus seul, leur
coeur, partagé entre Moïse et Christ, est continuellement inquiet, et
se consume, privé de paix, en de stériles efforts. Une chose est
certaine : c'est que le parfait sacrifice de Christ est
absolument nécessaire pour notre salut. Seulement il ne faut pas
l'accepter à demi, mais complètement ; car pour être justifiés
devant Dieu, il ne nous manque pas seulement quelque chose, il nous
manque tout, absolument tout. Au surplus, quiconque se
laisse instruire par le Saint-Esprit, arrive à la conviction qu'il n'y
a rien de bon en lui.
Alors le coeur se repose entièrement en Jésus, et nous
lui rendons pendant toute notre vie, amour pour amour.
Et comme ils descendaient de la
montagne, Jésus leur fit cette défense : Ne dites à personne
ce que vous avez vu, jusqu'à ce que le Fils de l'homme soit
ressuscité des morts. Les disciples ne comprenaient pas
encore toute la signification de l'événement dont ils avaient été
témoins. C'est seulement après la résurrection de leur Maître, que la
transfiguration devait leur apparaître dans toute sa lumière. Le
peuple l'aurait encore bien moins comprise, et le récit de cette
glorieuse apparition n'aurait fait que nourrir ses espérances
charnelles à l'endroit du Messie. De là cette défense. Les disciples
obéirent et ne dirent rien à personne de ce qu'ils avaient vu et
entendu. Pendant qu'ils descendaient de la montagne, ils interrogèrent
le Seigneur sur la signification de la prophétie d'après laquelle Élie
devait venir premièrement et rétablir toutes choses. Jésus leur
répondit : « Je vous dis qu'Élie
est déjà venu et ils ne l'ont point reconnu, et ils lui ont fait
tout ce qu'ils ont voulu. » Les disciples
comprirent alors qu'il leur avait parlé de Jean-Baptiste, qui était
venu dans l'Esprit et la vertu d'Élie. Le Seigneur leur rappelle la
mort, de Jean-Baptiste, afin de ramener leurs pensées sur ses propres
souffrances. C'est ainsi aussi qu'ils feront
souffrir le Fils de l'homme.
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