Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE II

suite

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56. Le levain des pharisiens.

(Matth. XVI, 1-12.)


À partir de cette époque, les embûches des pharisiens deviennent de plus en plus fréquentes et sont de mieux en mieux combinées. Ils suivent Jésus pour ainsi dire pas à pas. Reparaît-il en public après s'être retiré quelque temps dans la solitude ? aussitôt ils tiennent des espions prêts pour lui dresser des pièges.

Lorsque le Seigneur eut renvoyé le peuple, il entra dans une barque et aborda au territoire de Magdala. Alors les Pharisiens et les Sadducéens, qui étaient d'ailleurs en guerre ouverte les uns avec les autres, le rejoignirent pour le tenter. Ils lui demandèrent qu'il leur fit voir quelque signe du ciel. Ils semblent ignorer tout ce que Jésus a fait jusqu'à présent pour légitimer sa qualité de Fils de Dieu. Ils prétendent avoir besoin d'un signe du ciel pour croire qu'il est réellement venu du ciel. Et si Jésus, cédant à leurs désirs, avait fait pleuvoir de la manne ou descendre le feu du ciel, il ne se seraient pas tenus pour satisfaits, mais auraient exigé d'autres miracles, car ces manifestations de puissance n'ont pas le pouvoir de convertir. Jésus soupira profondément en son esprit (Marc VIII, 12), à cause de leur incrédulité. Il ne s'irrite point, il soupire. Combien de soupirs la résistance à son généreux amour n'a-t-elle pas déjà provoqués ! Puis il leur répondit : Quand le soir est venu, vous dites Il fera beau demain, car le ciel est rouge. Et le matin vous dites Il y aura de l'orage, car le ciel est sombre et rouge. Hypocrite ? ! vous savez bien discerner l'apparence du ciel, et vous ne pouvez pas discerner les signes des temps. Les Pharisiens savaient bien reconnaître les signes du ciel, mais ils fermaient les yeux à ceux que Jésus opérait, et par lesquels il abaissait la gloire du ciel au niveau des habitants de la terre. Les signes annonçant l'établissement du règne de Dieu ne sont clairement reconnus que par les coeurs qui soupirent après le Dieu vivant. Cette race méchante et adultère demande un miracle, mais il ne lui sera accordé aucun autre que celui du prophète Jonas.

L'alliance entre Dieu et son peuple est représentée dans l'Ancien comme dans le Nouveau Testament, sous l'image de l'union conjugale. Lorsque le Sauveur appelle les Juifs adultères, il formule contre eux la terrible accusation d'avoir brisé cette alliance, de s'être séparés de Dieu et d'être devenus incapables de comprendre ses pensées d'amour.

L'activité de Jésus avait atteint son plus haut degré de développement, et le Sanhédrin craignait que les Galiléens ne le reconnussent comme le Messie. C'est pourquoi ce Conseil envoie une ambassade composée de Pharisiens et de Sadducéens, qu'il charge de travailler contre lui. Au surplus, ce n'était pas légèrement que ces personnages demandaient un signe du ciel ; ils fondaient cette exigence sur les Saintes Écritures. Jésus se nommait alors fréquemment le Fils de l'homme. Or, le prophète Daniel (VII, 13) décrit ainsi le règne du Messie. Je regardais dans les visions de la nuit et je vis quelqu'un comme un Fils de l'homme qui venait dans les nuées du ciel, pour établir son pouvoir royal sur tous les peuples. Ils formulaient cette exigence, dans l'espoir que Jésus ne pourrait pas la satisfaire, et qu'il leur serait alors facile d'amener le peuple, toujours variable, à se prononcer contre lui. D'un autre côté, si Jésus ne leur accordait pas leur demande, ils pouvaient toujours dire que, bien qu'officiellement sollicité de prouver sa dignité messianique telle que le prophète l'avait annoncée, il s'y était toujours refusé.

Ils ne se trompaient pas dans leur prudent calcul, car quoique peu de temps auparavant les Galiléens fussent prêts à proclamer Jésus comme le Messie, et à le faire Roi, ils n'étaient plus disposés à le reconnaître comme tel, mais seulement comme son avant-coureur (Matth. XVI, 13. 14). Toute cette conduite dénotait cependant un terrible aveuglement chez les chefs du peuple. Cette apparition du Fils de l'homme sur les nuées du ciel, n'aura lieu que lorsqu'il viendra exercer le jugement. C'était donc le jugement de Dieu que les Juifs appelaient sur eux-mêmes. Le signe du ciel, le signe du Fils de l'homme, devait leur être accordé en son temps. « Car comme l'éclair sort de l'orient et se fait voir jusqu'en occident, il en sera de même à l'avènement du Fils de l'homme (Matth. XXIV, 27) ». « Il sera assis à la droite de la puissance divine et viendra sur les nuées du ciel (Marc XIV, 62). Mais cela n'arrivera que lorsque le règne de Dieu aura été annoncé à tous les peuples. Pour le moment, ils n'ont à attendre que le signe du prophète Jonas. L'explication de ce signe a été donnée par Jésus lui-même (Matth. XII, 39. 40). Il leur est accordé dans sa personne, dans sa mort, dans sa sépulture, dans sa résurrection. Christ crucifié est un signe auquel l'incrédulité contredira (Luc II, 34), mais qui s'affirme en tout temps aux coeurs croyants avec une force vivante et une joie victorieuse.

Et les laissant, il s'en alla. Quel sévère jugement ! Malheur à ceux qu'il frappe ! Qui les secourra et les sauvera si la grâce de Jésus se détourne d'eux ? - Ses disciples, qui étaient demeurés à l'autre bord, avaient oublié de prendre des pains. Et Jésus leur dit : Gardez-vous du levain des Pharisiens et des Sadducéens. Il met ses disciples en garde contre la propre justice des Pharisiens et leur piété extérieure, uniquement calculée en vue d'en inspirer aux hommes, et en même temps contre l'incrédulité des Sadducéens, contre leur vie mondaine et leur amour du plaisir.

Gardez-vous ! Puisse ce fidèle avertissement nous être utile à nous-mêmes, car le temps présent est plein du levain des Pharisiens !
Le contentement de soi-même, la confiance en ses propres forces, sont tels que l'on comprend à peine une sincère douleur causée par le péché, que les larmes de la repentance sont vues d'un oeil soupçonneux, comme si elles dénotaient une vie honteuse remplie de péchés grossiers, publics ou cachés. Enfants de Dieu, gardez-vous, afin de n'être pas trompés par le levain des Pharisiens qui remplacerait le coeur brisé et l'esprit froissé, auxquels il faut toujours donner la première place.

Notre époque présente absolument les mêmes phénomènes quant au levain des Sadducéens. On n'élève guère les yeux aujourd'hui vers les montagnes d'où vient le secours (Ps. CXXI, 1). On les baisse vers la poussière de la terre. L'enfant du XIXe siècle chasse de son esprit les pensées de l'éternité. Vivre pour le moment présent, en profiter en travaillant à accroître de plus en plus le bien-être matériel de la vie et les jouissances sensuelles : voilà ce qui, aux yeux du sadducéisme actuel, constitue la suprême sagesse. Enfants de Dieu, voulez-vous être gardés pour l'héritage qui ne se peut ni souiller, ni corrompre, ni flétrir ? Gardez-vous ! Ne vous conformez pas à ce présent siècle ; éloignez-vous des sadducéens, de peur de vous laisser gagner, à leur exemple, par l'amour du monde, de faire un pacte avec leur esprit profane, et de reprendre avec goût les plaisirs qu'ils cherchent.

Les disciples pensaient en eux-mêmes et disaient : C'est parce que nous n'avons pas pris de pain ! Et Jésus connaissant cela leur dit : Gens de peu de foi, pourquoi pensez-vous ainsi en vous-mêmes sur ce que vous n'avez pas pris de pain ? Les préoccupations des disciples au sujet du pain, faisaient d'eux des gens de peu de foi, et leur manque de foi les empêchait de comprendre l'avertissement de Jésus. Comme nous devrions être sur nos gardes pour ne pas ouvrir nos coeurs aux soucis ! Ce sont eux qui rongent la moelle de notre foi et obscurcissent pour nous la Parole de Dieu. Jésus rappelle à ses disciples les deux multiplications des pains. Afin de fortifier leur foi, il leur remet en mémoire les preuves de son amour plein de sollicitude. Nous ferions bien d'apprendre de lui à chercher dans notre vie passée les traces de son miséricordieux amour.

Les sociétés bibliques ajoutent aujourd'hui plusieurs feuilles blanches au saint volume qu'elles offrent aux époux lors de leur bénédiction nuptiale, afin qu'ils puissent y consigner leur chronique de famille. S'ils ne se bornaient pas à y inscrire seulement des noms, des dates de naissance, de baptême et de mort : s'ils y marquaient la manière dont le Seigneur les a fidèlement châtiés, mais aussi consolés et secourus, comment il a tenu toutes les promesses contenues dans ce saint livre, la lecture d'une pareille chronique serait pour leurs descendants un moyen de fortifier leur foi, une arme contre les inquiétudes. - Alors les disciples comprirent que ce n'était pas du levain du pain, mais que c'était du levain de la doctrine des pharisiens qu'il leur avait dit de se garder.



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57. Guérison de l'aveugle de Bethsaïda.

(Marc VIII, 22. 26.)

 

Et Jésus étant venu à Bethsaïda, on lui présenta un aveugle qu'on le pria de toucher. Alors il prit l'aveugle par la main et l'ayant mené hors du bourg, il lui mit de la salive sur les yeux et lui ayant imposé les mains, il lui demanda s'il voyait quelque chose. Et l'homme ayant regardé, dit : Je vois des hommes qui me paraissent comme des arbres. Jésus lui mit encore les mains sur les yeux, et lui dit de regarder, et il fût guéri et il les voyait tous distinctement. Lorsque le Seigneur rendait la vue à un aveugle, il lui disait ordinairement : « Recouvre la vue, ta foi t'a sauvé ». Ici il agit de la même manière qu'avec le sourd-muet, et peut-être pour les mêmes motifs. Tantôt il guérit sans recourir à aucun moyen, et seulement par sa parole toute-puissante. Tantôt il use de certains remèdes. C'est ainsi qu'il envoie un aveugle au réservoir de Siloé en lui disant : « Va et te lave (Jean IX, 7) ». Et l'aveugle s'y rendit, se lava et revint voyant clair. Ici, le Seigneur se sert de sa salive, dont il oint les yeux de l'aveugle. - Il y a des chrétiens qui, dans leurs maladies, peuvent se remettre immédiatement entre les mains de Dieu ; d'autres ont besoin de médecins et de médecines. L'une et l'autre voie ont été consacrées par le Seigneur. Il faut seulement que nous nous sentions entre ses mains. N'oublions pas non plus que c'est la bonté de Dieu qui a conféré aux remèdes leur vertu salutaire, et qu'en en usant, c'est cependant à Dieu seul que nous devons la guérison.

Ce qu'il y a de particulier dans celle de notre aveugle, c'est que ses yeux s'ouvrent progressivement. Il voit d'abord confusément. Il distingue vaguement les contours des hommes qui lui apparaissent comme des arbres. Ensuite, après que le Seigneur lui a posé une seconde fois les mains sur les yeux, il les voit tous clairement et distinctement. Par cette guérison progressive, Jésus voulait sans doute faire sentir à l'aveugle le prix immense d'une guérison complète. C'est exactement ainsi qu'il nous traite dans notre vie spirituelle. Les uns sont si puissamment saisis par la main de Dieu ou par sa Parole que leur coeur reconnaît en très peu de temps, quelquefois même instantanément son péché, sa corruption, et se donne sans réserve au Seigneur. Ces conversions font penser à celle de saint Paul sur le chemin de Damas. D'autres reçoivent peut à peu la lumière d'en haut, et sont éclairés progressivement jusqu'à ce qu'enfin ils se donnent au Seigneur, en lui disant : Je veux être à toi pour toujours. L'important n'est pas la manière dont nous avons recouvré la vue, l'essentiel c'est que nos yeux aient été ouverts par Jésus. Si cela ne t'est pas encore arrivé, cher lecteur, mets un collyre sur tes yeux afin que tu voies (Apoc. III, 18).



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58. Confession de Pierre à Césarée de Philippe.

(Matth. XVI, 13-20.)


Le Seigneur s'était ouvertement opposé aux menées des Pharisiens ; aussi étaient-ils animés d'une haine violente contre lui. Mais son heure dans laquelle il devait donner sa vie, n'était pas encore venue. C'est pourquoi il s'éloigne de nouveau de ses adversaires et se dirige, avec ses disciples, vers le nord de la Galilée. Ils étaient arrivés aux environs de Césarée de Philippe, lorsque Jésus leur demanda : Qui dit-on que je suis, moi, le Fils de l'homme? (V. Segond) Le Seigneur s'appliquait volontiers cette dénomination de « Fils de l'homme » parce qu'il a paru comme un simple homme et a voulu être semblable à ses frères en toutes choses ; mais aussi parce que lui, le vrai Fils de Dieu, est devenir un enfant des hommes afin que nous, enfants des hommes, nous devenions d'heureux enfants de Dieu.

En ce moment où les esprits sont profondément divisés à son sujet, il veut savoir jusqu'à quel point le peuple s'est laissé éclairer par les manifestations de sa gloire divine. Les disciples lui répondent : Les uns disent que tu es Jean-Baptiste, les autres Élie et les autres Jérémie ou l'un des prophètes. De toutes ces opinions populaires, il ressort avec évidence que les esprits étaient profondément émus et avaient un pressentiment de la grandeur de Jésus. C'était déjà quelque chose, c'était même beaucoup qu'on le mit à côté de Jean-Baptiste, et qu'on le comparât à Élie, à Jérémie ou à l'un des prophètes. Il est cependant triste que personne ne le reconnût pour ce qu'il était malgré cette richesse de gloire divine qui rayonnait de sa personne. On le prenait pour un avant-coureur de Christ, et non pour Christ lui-même. Alors Jésus se retourna vers ses disciples et leur dit : Et vous, qui dites-vous que je suis ?

Jusqu'alors il n'avait pas encore adressé une pareille question à ses disciples. Il. ne leur avait non plus jamais dit formellement : « Je suis le Messie, ou : Je suis le Fils de Dieu. » La lumière sur cette question devait leur venir non d'un enseignement extérieur, mais d'une démonstration d'Esprit et de puissance, d'une communion vivante avec leur Maître. Ils avaient entendu sa Parole et vu ses oeuvres. Tout cela leur avait révélé l'essence extraordinaire et mystérieuse de sa personne. Cette connaissance qu'ils avaient déjà acquise de lui, il veut en provoquer la manifestation, afin qu'ils puissent le confesser joyeusement. C'est seulement par cette confession que la foi qui sommeille dans leur coeur, deviendra consciente et personnelle. Alors le bouillant Pierre, se faisant l'organe des autres disciples, répond : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. Cette confession est la même que celle rapportée par Jean VI, 68. 69.

Tout ce que Matthieu raconte dans les chapitres XV-XVI, 42, doit donc être intercalé entre les versets 66 et 67 de Jean VI. Ainsi les disciples ont reconnu Jésus comme le Christ, le Messie, le libérateur promis à l'humanité pécheresse. Il leur a été révélé également qu'aucun membre de cette humanité n'était en état de délivrer les pécheurs, et que, parce que Jésus est le Christ, il doit nécessairement être le Fils de Dieu. Pierre fait cette double confession. Il reconnaît la vocation de Jésus : il est le Christ, le Messie. Il reconnaît la nature de Jésus : il est le Fils du Dieu vivant. Que Dieu vive véritablement, et qu'il ne soit pas seulement une notion de notre intelligence ; que ce Dieu vivant ait un coeur qui bat, une oreille qui entend, un oeil qui voit, une main qui délivre, voilà ce que Pierre et tous les disciples ont expérimenté dans leur communion avec Jésus. En un mot, ils ont reconnu que toute la plénitude de la Divinité habite corporellement en lui (Col. II, 9).

Depuis ce moment, cette question : Qui dit-on que je suis, moi, le Fils de l'homme? (V. Segond) se pose à toute l'humanité. Seulement, tous ceux qui confessent de bouche que Jésus est le Christ, ne le reconnaissent pas réellement comme le Sauveur des pécheurs, comme le Fils de Dieu. Ils ne voient en lui que le plus noble, le plus sage, le meilleur des hommes. Ils lui donnent volontiers le titre de bienfaiteur de l'humanité ; mais ils nient ce que Pierre affirme : qu'il soit le Fils du Dieu vivant. Quant à nous, comme Pierre, nous confessons, le coeur pénétré d'amour et de reconnaissance, qu'il est véritablement Dieu, engendré du Père de toute éternité, et véritablement homme, né de la vierge Marie. C'était un moment solennel dans la vie de l'humanité que celui où Pierre fit cette confession. C'était l'union de l'épouse avec l'époux, de l'humanité avec le Dieu du ciel et de la terre. Par cette confession, l'humanité reconnaissait pour la première fois pleinement et clairement en Jésus le Fils de Dieu, qui est descendu du ciel, avec l'intention pleine d'amour de sauver tous les pécheurs de la mort et de la puissance du diable, et de faire d'eux des créatures célestes.

Cette confession de Pierre marque aussi un moment décisif dans la vie de Jésus. Elle porte sur le passé et sur l'avenir. D'abord elle est le couronnement et le sceau de l'éducation des disciples, puis elle est le point de départ d'une voie pleine des plus grandes douleurs. Dès ce moment, Jésus parlera ouvertement à ses disciples de ses souffrances et de sa mort. Son activité en Galilée touche à sa fin, et bientôt il montera à Jérusalem. Il faut dès lors que les disciples sachent ce qui les attend. Mais ils peuvent l'apprendre maintenant, puisqu'ils ont reconnu dans leur Maître le Messie, le Sauveur des pécheurs, le véritable Fils de Dieu. Il faut, que, nonobstant tous les scandales, ils apprennent à supporter la pensée que le chemin de la gloire conduit à travers beaucoup, de souffrances et jusqu'à la mort de la croix. Jusqu'à présent, Jésus n'a parlé de ses souffrances et de sa mort que d'une manière voilée ; maintenant que le moment approche, il veut que ses disciples se familiarisent avec cette perspective, qu'ils sachent que ses souffrances ne lui sont pas imposées par une aveugle fatalité, mais qu'elles sont la condition nécessaire de sa résurrection et de sa glorification. De là vient qu'il ne parle jamais de ses souffrances et de sa mort sans mentionner sa résurrection.

Et Jésus lui répondit : Tu es heureux, Simon fils de Jona ; car ce n'est pas la chair et le sang qui l'a appris ces choses ; mais c'est mon Père qui est dans les cieux. Tout aussi peu que Pierre, nous ne pouvons croire en Jésus par notre propre intelligence et par nos propres forces. Le croyant est celui que Dieu a attiré à Jésus par le Saint-Esprit. Ce n'est ni sa sagesse ni sa science qui l'ont rendu tel, mais uniquement l'illumination divine.

Et moi je te dis aussi que tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l'enfer ne prévaudront point contre elle. Par ces paroles, Jésus n'a absolument pas voulu conférer à Pierre une domination sur ses autres disciples. La puissance qu'il attribue ici à Pierre, il l'accorde également à tous les apôtres (Matth. XVIII, 18). Et si même le Seigneur avait conféré à Pierre une autorité personnelle sur ses condisciples, nul ne peut prouver que les papes doivent en être investis. Le rocher sur lequel Jésus veut bâtir son Église, n'est pas la personne de Pierre, mais sa confession, par laquelle il le reconnaît comme le Christ, le Fils du Dieu vivant. Tout passe sur la terre : la vie des hommes, leur puissance, leurs richesses, leurs opinions, leurs croyances. « Tu les emportes comme par une ravine d'eau (Ps. XC. 5). » De là vient. que l'incrédulité dit : « La mort est l'héritier de toutes choses ». Et elle aurait raison, s'il n'y avait pas de Sauveur. Mais au milieu. de ce torrent qui entraîne tout, il se trouve un rocher qui ne sera pas emporté : c'est Christ et tous ceux qui se réfugient vers lui, et le confessent courageusement. Partout où l'on confesse Christ de cette manière, là est l'Église chrétienne. Le fondement sur lequel repose cette Église ne peut être que Jésus-Christ crucifié et ressuscité. « Personne ne peut poser d'autre fondement » (1 Cor. III, 11). Il y ajoutait tous les jours des gens pour être sauvés (Act. II, 47). C'est lui-même qui construit ; mais il se sert dans cette construction, de ses serviteurs comme instruments. Et là où le Seigneur bâtit, la puissance de la mort est anéantie. Les portes de l'enfer, c'est-à-dire les portes de la mort, qui engloutissent toute vie d'homme empoisonnée par le péché, sont impuissantes contre la vie de ceux qui sont nés de Dieu par la foi.

Et je le donnerai les clefs du royaume des cieux, et tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans le ciel. Le Seigneur donne les clefs du royaume des cieux à Pierre et à ses compagnons. La puissance divine de l'Église de Christ consiste en ceci, c'est qu'au moyen de ces clefs, elle ouvre le royaume des cieux, avec tous ses trésors, à toutes les âmes repentantes, et le ferme aux coeurs impénitents. Lier, c'est fermer le ciel., retenir les péchés, en sorte qu'ils ne sont point pardonnés. Quelle douce consolation pour les âmes travaillées et chargées, pour lesquelles leurs péchés sont devenus un insupportable fardeau, de pouvoir, déjà sur la terre, obtenir le pardon après lequel elles soupirent ! Ce n'est pas à Pierre seul, mais à toute l'Église, qui s'associe à la confession de cet apôtre, que le Seigneur a remis les clefs du royaume des cieux. Et l'Église les administre selon la volonté de son chef, par le moyen de serviteurs, qui sont les dispensateurs des mystères de Dieu (I Cor. IV, 1). Et alors il dit à ses disciples de ne dire à personne que lui, Jésus, fût le Christ. Si les disciples l'avaient alors proclamé comme le Messie, ils auraient éveillé, dans ce peuple charnel, des espérances terrestres que Jésus ne voulait pas exciter.



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59. Jésus annonce ses souffrances.

(Matth. XVI, 21-28.)


Dès lors Jésus commença à déclarer à ses disciples qu'il fallait qu'il allât à Jérusalem et qu'il y souffrit beaucoup de la part des anciens, et des principaux sacrificateurs et des scribes, et qu'il y fût mis à mort et qu'il ressuscitât le troisième jour. Cette déclaration fut sans doute, pour les disciples, comme un coup de foudre dans un ciel serein. Ils venaient de reconnaître leur Maître comme le Fils de Dieu, et lui-même avait confirmé leur confession. Et cependant il leur annonce qu'il doit beaucoup souffrir, et finalement mourir. Cela dut leur apparaître comme une contradiction. Mais Pierre et ses compagnons ne connaissaient pas toute la profondeur de la confession qu'ils venaient de faire. Et c'est pour leur en faire comprendre tout le contenu, que le Sauveur leur parle de ses souffrances. De même qu'on ne peut voir les étoiles du ciel que pendant la nuit ou du fond d'un puits, de même on ne peut apprendre à connaître toute la gloire du Fils de Dieu que des profondeurs des souffrances rédemptrices. Quant aux disciples, ils entendirent bien l'annonce de la mort, mais ils ne firent pas attention à celle de la résurrection.

Alors Pierre, que le Seigneur venait de louer à cause de sa confession, crut pouvoir prendre à son égard une plus grande liberté que de coutume. Et l'ayant pris à part, il se mit à le reprendre et à lui dire : A Dieu ne plaise, Seigneur, cela ne t'arrivera point ! Jésus veut voir dans ses disciples des imitateurs et non des conseillers. Pierre a évidemment mal compris les paroles par lesquelles Jésus marque la nécessité de ses souffrances et de sa mort. Il méconnaît les desseins de Dieu, d'après lesquels ces souffrances et cette mort sont indispensables pour sauver les pécheurs. La décision tranchante avec laquelle le Seigneur repousse l'idée de se ménager lui-même, montre clairement qu'il y voyait une véritable tentation. Il avait adopté la faiblesse de notre chair, et comme il était sans péché, la souffrance devait être absolument étrangère à sa nature sans tache.

C'est de cette circonstance que le diable voulut profiter, pour inspirer au Sauveur l'horreur des souffrances qu'il avait en perspective. Les tentations du désert n'avaient pas d'autre but que de porter le Seigneur à s'y soustraire. Mais elles furent repoussées par cette parole : « Arrière de moi, Satan ! » Dès lors, le diable n'avait trouvé aucune occasion de tenter Jésus. Maintenant il s'en présente une, et l'ennemi la saisit en se servant du coeur pusillanime de Pierre. Mais le Seigneur résiste aussi à ce tentateur, auquel le disciple sert d'organe, en lui disant : Retire-toi de moi, Satan, tu m'es en scandale. Il apprend en même temps à Pierre de quelle puissance il s'est fait l'instrument. Car, lui dit-il, tu ne comprends pas les choses qui sont de Dieu, mais seulement les pensées humaines. Lorsque l'homme suit les inspirations de son propre coeur ou les impulsions de la chair et du sang, il s'éloigne nécessairement de la volonté de Dieu. Or, la résistance à cette volonté est une suggestion de Satan.

Alors Jésus dit à ses disciples : Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à soi-même, qu'il se charge de sa croix et qu'il me suive. La devise du Maître doit être celle des disciples : « Par la croix à la gloire. » Seulement toute souffrance n'est pas une croix. On ne peut donner ce nom qu'aux souffrances supportées à la suite du Crucifié. Jésus ne force personne à le suivre, comme aussi il ne laisse aucune illusion à ceux qui se donnent à lui. Il avertit d'avance chacun de ceux qui veulent marcher dans sa voie, qu'ils auront une croix à porter. Même dans une vie tout ordinaire, sans souffrances particulières, le renoncement est exigé de quiconque veut suivre Christ. On ne peut avoir aucune communion avec celui qui est mort sur la croix pour nos péchés, sans faire mourir soi-même chaque jour ce moi si intimément lié au péché.

Car quiconque voudra sauver sa vie, la perdra, et quiconque perdra sa vie pour l'amour de moi, la sauvera. Car que servirait-il à un homme de gagner le monde entier s'il perdait son âme, ou que donnerait l'homme en échange de son âme ? Le monde entier, avec tous ses plaisirs, tous ses honneurs, tous ses trésors, ne saurait dédommager de la perte de l'âme. Et nous la perdons, si nous négligeons de saisir la vie éternelle en Christ, si nous nous rendons esclaves du monde en méprisant la seule rançon suffisante qui a été payée en Golgotha.

Toutefois, afin que l'aspect de cette croix n'effraye personne, le Seigneur lève un instant le voile qui cache l'avenir à ses disciples, et il leur permet d'y jeter un regard. Car le Fils de l'homme doit venir dans la gloire de son Père avec ses anges, et il rendra à chacun selon ses oeuvres. Ce regard de la foi fixé sur le Seigneur venant dans sa gloire, nous apprend que la possession du monde entier ne compense point la perte de l'âme, et que la perte du monde entier ne porte aucun préjudice, si l'âme est sauvée. Ce regard assure le bonheur et la victoire à quiconque porte sa croix. Il faut que le Sauveur lui-même meure. Mais, dit-il à ses disciples, il y en a quelques-uns de ceux qui sont présents qui ne mourront point qu'ils n'aient vu le Fils de l'homme venir en son règne. Cette venue du Sauveur dans sa gloire de Roi et de Juge, a commencé immédiatement après son ascension ; car dès ce moment toute puissance lui est donnée dans le ciel et sur la terre. Son avènement comme Juge a débuté par la destruction de Jérusalem, dont Jean et quelques autres disciples ont été témoins, et il sera accompli quand Jésus viendra pour juger les vivants et les morts.



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60. La transfiguration.

(Matth. XVII, 1-13.)


Les disciples avaient été profondément bouleversés par l'annonce des souffrances et de la mort de leur Maître. Il leur paraissait impossible que le Christ, le Fils du Dieu vivant, dût souffrir et mourir. Ils ne comprenaient pas qu'il voulût, par pur amour, donner sa vie pour le salut des pécheurs. Ainsi, malgré la confession qu'ils avaient faite par la bouche de Pierre, ils auraient encore pu être dans l'erreur relativement à la personne de Jésus si leur foi n'avait été fortifiée. Mais la lumière du Tabor devait éclairer pour eux les ténèbres de Golgotha. Le Seigneur veut leur montrer ce qu'il est, afin que leur foi, qu'ils venaient de confesser, ne défaillit point. Cette lumière devait dissiper les trompeuses apparences, d'après lesquelles Jésus n'aurait été que la malheureuse victime de la violence on d'une aveugle fatalité. La voix sortie de la nuée leur donnait l'entière assurance que la mort par laquelle l'Auteur de notre salut devait être consacré, était en parfaite harmonie avec la volonté du Père.

La transfiguration de Jésus sur la montagne est une représentation prophétique de sa glorification par sa résurrection, comme les apparitions passagères du Fils de Dieu dans l'Ancien Testament (par exemple dans les plaines de Mamré et ailleurs) étaient une représentation prophétique de son incarnation permanente. Cette transfiguration était la preuve que la vie divine et humaine de Christ était, dans tous ses détails, parfaitement conforme aux desseins du Père céleste, tellement que son corps lui-même n'était pas seulement le docile instrument de l'Esprit, mais encore qu'il était complètement pénétré des forces divines qui habitaient en lui. Enfin la transfiguration de Jésus jette une vive lumière sur le discours qu'il prononça dans la synagogue de Capernaüm, où il insiste si fortement sur le fait que sa personne divine et humaine doit être spirituellement et corporellement la nourriture du monde pécheur. Au reste, ce n'était pas seulement pour les disciples, mais aussi pour le Sauveur lui-même, que la transfiguration avait une importante signification. Car, en vue de ses souffrances et de sa mort, il avait besoin de force et de consolation.

Six jours après, Jésus prit Pierre, Jacques et Jean et les mena sur une haute montagne à part. Ces trois disciples, pour lesquels il avait une affection particulière, il les introduit, comme plus tard en Gethsémané, dans le lieu très saint, afin qu'ils le contemplent, ici comme le Roi de gloire, là comme le grand prêtre devant l'autel du sacrifice. D'après une ancienne tradition, cette haute montagne serait le Thabor. D'autres regardent comme plus probable que c'était le grand Kermon situé au nord de la Galilée. Les apôtres l'appelèrent plus tard la « Sainte Montagne » (2 Pierre I, 18). Et il fût transfiguré en leur présence ; son visage devint resplendissant comme le soleil, et ses habits devinrent éclatants comme la lumière.

Toute sa personne jette un éclat tel que la lune et le soleil en sont obscurcis. Ce n'est pas comme au Sinaï, où Moïse disait : « Je suis effrayé et tout tremblant » (Héb. XII, 21). Non ! la lumière du Thabor rayonne la paix et la joie. Ici le coeur ne s'écrie pas : « Malheur à moi, je suis perdu ! » (Ésaïe VI, 5). Au contraire, il dit avec adoration : « Fais reluire ta face sur nous et nous serons délivrés » (Ps. LXXX, 3). La femme dont parle Jean (Apoc. XII, 1), était revêtue du soleil ; mais Jésus est lui-même le soleil qui nous éclaire. Il ne reçoit pas la lumière du dehors ni d'en haut, il est lui-même la lumière. Il fut transfiguré ; littéralement, il se transfigura.

La plénitude de la gloire divine, qui habitait corporellement en lui, était d'ailleurs cachée par le voile de sa chair. Et il n'en paraissait de temps en temps que quelques rayons semblables à des éclairs perçant l'obscurité de la nue. Ici il dévoile pour un peu de temps toute la gloire du Fils de Dieu. Ses habits devinrent éclatants comme la lumière. Là lumière majestueuse du Dieu trois fois saint, tels sont les habits dont il est alors revêtu. La gloire dont il brille sur le Thabor n'est pas quelque chose d'étranger ou d'emprunté, mais quelque chose qui lui est propre, et qui constitue sa personne même. Saint Jean a pu dire que sa gloire, qu'ils avaient contemplée, était pleine de vérité. L'éclat qu'on voyait en lui n'était pas une apparence extérieure, mais jaillissait de son essence la plus intime et était ainsi la vérité absolue. Mais cette gloire était aussi pleine de grâce. C'était l'éclat de la charité et de la bonté de Dieu notre Sauveur, qui pénètre les coeurs de ses rayons bienfaisants.

Et en même temps apparurent Moïse et Elie. Les messagers célestes, le médiateur et le réformateur de l'Ancienne Alliance apparurent et s'entretinrent avec Jésus, pour montrer que l'établissement du royaume des cieux n'est pas en contradiction avec Moïse et les prophètes. Il ne nous est pas dit que Jésus apprit à ses disciples les noms de ces deux saints personnages ; mais cela n'était point nécessaire : les disciples purent les reconnaître sans le secours de ces indications. Des hommes comme ceux-là portent des marques qui les distinguent clairement aux yeux de quiconque est versé dans les Écritures. Qui de nous aura besoin un jour qu'on lui montre Jésus ? Pour quiconque lui est uni et vit habituellement avec lui, un seul coup d'oeil suffira pour reconnaître son Roi. - Moïse et Élie se trouvent en présence du Fils de Dieu, qu'ils ont servi avant son incarnation, pour lequel ils brûlaient de zèle, et qui, sous le nom de Jéhovah, les a conduits, fortifiés, bénis pendant qu'ils étaient sur la terre. Maintenant ils sont glorifiés, et leur tête est ornée de la couronne de vie. Leur coeur est rempli des pensées de l'éternité, et des desseins miséricordieux de l'Éternel, pour le salut de l'humanité pécheresse. Avec quelle joie, avec quel ravissement ne devaient-ils pas adorer celui dont le sang les avait purifiés !

Ils s'entretenaient avec lui et parlaient de sa mort, qu'il devait accomplir à Jérusalem (Luc IX, 31). Ils ne parlèrent pas à Jésus d'un char de feu qui devait l'emporter au ciel, ni des couronnes de vie qui l'y attendaient, mais des mortelles angoisses de Gethsémané, de la couronne d'épines et de la croix. Jésus put entendre aussi, de la bouche des messagers célestes, qu'il était résolu, dans les conseils de Dieu, que le salut des pécheurs serait opéré par son sang, « car sans effusion de sang, il ne se fait point de rémission de péché » (Héb. IX, 22). À l'ouïe de ces déclarations, une voix dans son coeur s'écrie : « Oui, mon Père, du fond de mon coeur ! Donne-moi ce fardeau, je le porterai volontiers ». Tout en lui répète : « Me voici, je suis venu ; mon Dieu, j'ai pris plaisir à faire ta volonté, et ta loi est au-dedans de mes entrailles » (Ps. XL, 8. 9).

Pendant ce temps, les disciples étaient comme dans un rêve. Lorsqu'ils se réveillèrent, ils virent leur Maître transfiguré et les deux hommes près de lui dans la lumière. Comme ceux-ci allaient s'éloigner, Pierre dit à Jésus : Maître, il est bon que nous demeurions ici ; faisons-y trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie. On a reproché à Pierre d'avoir fait cette demande par amour du repos, par répugnance pour le combat, par crainte de la croix. Dans cette circonstance, ce jugement est un peu sévère. Pierre est ravi d'une sainte joie, car il respire l'air du ciel. Il contemple à visage découvert la gloire du Fils unique du Père, et dans son coeur se fait entendre cette mélodie des enfants de Coré : « Éternel des armées, que tes tabernacles sont aimables » (Ps. LXXXIV, 1) ! Dans ces conditions, il est naturel que Pierre perde la claire conscience de ce qui arrive. Il aurait voulu prolonger extérieurement cette heure de clarté céleste, et c'est pour cela qu'il offre de construire trois tentes, afin de demeurer sur cette montagne. Il aurait voulu prolonger prématurément ce moment de jouissance, sans songer qu'il fallait d'abord parcourir une voie de souffrances et d'efforts, et livrer un rude et long combat avant de pouvoir dire « Voici le tabernacle de Dieu avec les hommes (Apoc. XXI, 3).

Comme il parlait encore, une nuée resplendissante les couvrit. Et tout d'un coup, une voix sortit de la nuée, qui dit : C'est ici mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis toute mon affection (Matth. III, 17). Lorsque Jésus dut soutenir dans le désert le combat contre le tentateur, il fut fortifié par le témoignage sortant du nuage : celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j'ai mis toute mon affection. Maintenant, Jésus est sur le point de passer par la vallée de l'ombre de la mort, où les frayeurs du jugement et les terreurs de l'enfer saisiront son âme. Il faut donc que cette même voix qui s'est fait entendre sur le Thabor, soit son bâton et sa houlette dans ces affreux moments. Cette voix, les disciples la reçurent comme la confirmation de la confession que Pierre avait faite peu de temps auparavant : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ». « Oui et amen ! » semblait-elle dire du haut du ciel ; vous avez bien compris, c'est mon Fils bien-aimé. Combien fut profonde l'impression que fit cette voix du Père sur le coeur des disciples, c'est ce que nous apprend saint Pierre (2 Pier. I, 16-18). « Car ce n'est point en suivant des fables composées avec artifice, que nous vous avons fait connaître la puissance de l'avènement de notre Seigneur Jésus-Christ, mais c'est comme ayant vu sa majesté de nos propres yeux. Car il a reçu du Père honneur et gloire, lorsque cette voix lui fut adressée du milieu de la gloire magnifique : Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j'ai mis toute mon affection. Écoutez-le.

Les disciples comprendront-ils mieux maintenant, lorsque Jésus leur parlera de la nécessité de ses souffrances et de sa mort ? Il les prépare constamment à cette perspective ; mais ils ne comprennent pas. Cependant, ne les condamnons pas pour cela, mais reconnaissons notre propre coeur dans le miroir du leur. Ce que nous n'aimons pas à entendre, nous ne l'entendons pas, quand même cela retentit à nos oreilles comme le bruit de la tempête. Écoutez-le. Par cet ordre, le Père rend d'avance les disciples attentifs aux dernières instructions de Jésus, qui étaient pour eux, comme elles sont pour nous, d'une si grande importance. Tenons nos coeurs ouverts à ces paroles, si nous voulons les comprendre. Abordons-les avec cette prière : « Parle, Seigneur, ton serviteur, ta servante, écoute » (1 Samuel III, 9).

Ce que les disciples ayant entendu, ils tombèrent le visage contre terre et furent saisis d'une très grande crainte. Le Tout-Puissant parle, et les trois disciples sont étendus dans la poussière. Mais. Jésus les ranime et les console : Levez-vous et n'ayez point de peur. Lorsque le pécheur tremble devant la sainte majesté de Dieu, personne ne peut le rassurer que le Fils, qui, comme Agneau de Dieu, a porté les péchés du monde, et dont le sang crie de meilleures choses que celui d'Abel. Alors, élevant leurs yeux, ils ne virent plus que Jésus seul. La plupart des chrétiens voient toujours Moïse et Christ à côté l'un de l'autre. Ils se confient à moitié en Moïse et à moitié en Christ. Ils reconnaissent qu'ils ne peuvent pas être justifiés par la loi, et que par conséquent ils ont besoin d'un Sauveur ; mais ils se disent aussi qu'ils ne doivent pas rester les bras croisés. Ils travaillent avec une entière sincérité pour vivre conformément à la volonté de Dieu. Mais ils savent aussi qu'ils n'y réussiront jamais, et qu'il leur manquera toujours quelque chose ; et c'est cette lacune qu'ils espèrent que Jésus comblera par son sacrifice. Ils veulent opérer leur salut, moitié par leurs propres forces, moitié par la foi en Christ. Et comme ils ne voient pas Jésus seul, leur coeur, partagé entre Moïse et Christ, est continuellement inquiet, et se consume, privé de paix, en de stériles efforts. Une chose est certaine : c'est que le parfait sacrifice de Christ est absolument nécessaire pour notre salut. Seulement il ne faut pas l'accepter à demi, mais complètement ; car pour être justifiés devant Dieu, il ne nous manque pas seulement quelque chose, il nous manque tout, absolument tout. Au surplus, quiconque se laisse instruire par le Saint-Esprit, arrive à la conviction qu'il n'y a rien de bon en lui.

Alors le coeur se repose entièrement en Jésus, et nous lui rendons pendant toute notre vie, amour pour amour.

Et comme ils descendaient de la montagne, Jésus leur fit cette défense : Ne dites à personne ce que vous avez vu, jusqu'à ce que le Fils de l'homme soit ressuscité des morts. Les disciples ne comprenaient pas encore toute la signification de l'événement dont ils avaient été témoins. C'est seulement après la résurrection de leur Maître, que la transfiguration devait leur apparaître dans toute sa lumière. Le peuple l'aurait encore bien moins comprise, et le récit de cette glorieuse apparition n'aurait fait que nourrir ses espérances charnelles à l'endroit du Messie. De là cette défense. Les disciples obéirent et ne dirent rien à personne de ce qu'ils avaient vu et entendu. Pendant qu'ils descendaient de la montagne, ils interrogèrent le Seigneur sur la signification de la prophétie d'après laquelle Élie devait venir premièrement et rétablir toutes choses. Jésus leur répondit : « Je vous dis qu'Élie est déjà venu et ils ne l'ont point reconnu, et ils lui ont fait tout ce qu'ils ont voulu. » Les disciples comprirent alors qu'il leur avait parlé de Jean-Baptiste, qui était venu dans l'Esprit et la vertu d'Élie. Le Seigneur leur rappelle la mort, de Jean-Baptiste, afin de ramener leurs pensées sur ses propres souffrances. C'est ainsi aussi qu'ils feront souffrir le Fils de l'homme.

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