Les disciples voguaient vers Capernaüm. Et
la barque était déjà au milieu de la mer, battue des flots, car le
vent était contraire. Ils sont sur la mer, aux prises
avec la violence des éléments ; mais Jésus prie pour eux sur la
montagne, et protégés par cette prière, ils ne courent aucun danger.
Saint Marc rapporte que Jésus vit qu'ils avaient beaucoup de peine à
ramer. Il se donne à connaître ici comme celui-là même qui avait dit
autrefois : « J'ai très bien vu l'affliction de mon peuple
qui est en Égypte (Ex.
III, 7) ». Le fait que Jésus, dans son tout-puissant amour,
voit, du haut de sa montagne, les besoins des siens qui sont sur la
terre, a été de tout temps la plus douce consolation de l'Eglise.
Et à la quatrième veille de la
nuit, Jésus alla vers eux en marchant sur la mer, et les disciples
le voyant marcher sur la mer, furent troublés et ils dirent :
C'est un fantôme, et de la frayeur qu'ils eurent, ils s'écrièrent.
Mais aussitôt Jésus leur dit : Rassurez-vous, c'est moi ;
n'ayez point de peur. Jésus sait trouver ses disciples même dans les
ténèbres de la nuit. Il marche sur la mer ! L'élément liquide
reconnaît en lui son Seigneur et son Maître, et se met volontairement
à son service.
Les disciples sont effrayés ; ils le prennent pour
un fantôme, et jettent des cris. Ce qui devait les rassurer, leur
cause une plus grande frayeur, parce qu'ils ne voient pas Jésus des
yeux de la foi. Lorsque Dieu choisit des voies extraordinaires pour
venir en aide à ses enfants, les croyants eux-mêmes s'effrayent
souvent aussi et craignent de nouvelles afflictions. Cependant, il n'y
a là que la main secourable du Dieu dont la fidélité atteint jusqu'aux
nues. La présence gracieuse de Jésus est notre puissante consolation
dans tous nos besoins corporels et spirituels. Nous sourions lorsqu'un
enfant vient à nous dans les ténèbres, et à notre question :
« Qui va là ? » répond : « C'est
moi, » sans se nommer, parce qu'il croit que tout le monde doit
connaître sa petite personne. Mais lorsque le Sauveur, invoqué par les
âmes angoissées, leur dit : « C'est moi, » alors ce
secourable et compatissant « moi » apporte la consolation et
chasse toutes leurs frayeurs.
Une fois déjà, le Sauveur avait manifesté sa puissance
sur la mer en apaisant la tempête (Matth.
VIII, 24). Par ce premier miracle-là, Christ veut montrer aux
siens qu'il laisse, à la vérité, la tentation venir à eux, qu'il
semble dormir, parce qu'il voile son secours. Mais quand la faible foi
s'imagine voir l'abîme béant devant elle, quand l'espérance semble
être une insigne folie, alors le Seigneur vient subitement au secours
de l'âme angoissée. Il ne se montre pas moins glorieux dans la
circonstance présente. Il s'éloigne de ses disciples qui voguent sur
la mer agitée de ce monde et sont menacés par les tempêtes des
tentations extérieures et intérieures. Il se fait attendre longtemps.
Enfin il s'approche des siens, qui ne le reconnaissent peut-être pas
d'abord, et immédiatement tout danger disparaît. Il se montre même
plus propice encore que dans la tempête précédente. Alors il était
présent dans la barque ; maintenant il est absent ; il est
sur la montagne et prie. Là il faisait jour ; ici la sombre nuit
augmente la frayeur et le danger. Et cependant sa main toute-puissante
protège efficacement les siens.
Lorsque la voie du Seigneur est dans la mer et son
pied parmi les grandes eaux, que ton coeur ne défaille point. Tiens
ton oreille ouverte pour entendre celle parole de délivrance :
« C'est moi ! » Elle ne te fera pas défaut.
Et lorsque l'Eglise ce frêle navire de Christ, souffre
sur la mer du monde, lorsque les hommes se déchaînent contre lui,
lorsqu'il semble que les vagues vont le submerger et l'abîme
l'engloutir, lorsque les fleuves élèvent leurs flots, que les ondes
s'agitent et font un grand bruit, alors ouvre les yeux de la foi et
regarde : Le Seigneur est plus grand que toute cette
agitation ; il la domine. Il tient sous ses pieds les flots en
courroux. Il faut qu'ils annoncent sa gloire, qu'ils proclament que
les siens sont cependant heureux, et que le monde fasse même en
tremblant l'expérience que « Jésus est le même hier, aujourd'hui
et le sera éternellement. »
Et Pierre répondant lui
dit : Seigneur, si c'est toi, ordonne que j'aille vers toi en
marchant sur les eaux. Jésus lui dit : Viens. Et Pierre,
étant descendu de la barque, marcha sur les eaux pour aller à
Jésus. Pressé par un ardent désir, Pierre ne peut pas
attendre que Jésus soit monté près d'eux, dans la barque. Il lui
demande la permission de le rejoindre par une marche miraculeuse
semblable à celle de son Maître. Et la parole du Seigneur est pour lui
un pont solide ; mais quand il est sur la mer, quand il a franchi
les limites de l'expérience et de la force humaines et se trouve
réduit au seul domaine de la foi, alors seulement il est saisi par le
sentiment de sa faiblesse.
Mais voyant que le vent était
fort, il eut peur, et comme il commençait à enfoncer, il s'écria
et dit : Seigneur, sauve-moi. Et incontinent Jésus lui tendit
la main et le prit en lui disant : Homme de peu de foi,
pourquoi as-tu douté ? Pierre avait cessé de
regarder à Jésus pour ne plus voir que le danger et cette vue le
remplit d'angoisses. Il avait quitté le solide terrain de la foi pour
se poser sur le sol mouvant des forces naturelles, il ne pouvait donc
manquer d'enfoncer. Heureusement pour lui, il avait à ses côtés la
personne secourable du Sauveur qui lui tendit la main. Pierre n'est
plus ici le rocher de la foi, mais un faible enfant qui appelle au
secours, et qui peut encore être délivré par la puissance de la grâce.
Heureux sommes-nous de ce que la main d'un libérateur éternellement
fidèle et qui aide glorieusement les misérables, n'est point
raccourcie, mais peut toujours délivrer ceux qui crient à lui dans
leur détresse ! Et quand ils furent
entrés dans la barque, le vent cessa. Alors ceux qui étaient dans
la barque vinrent et l'adorèrent en disant : Tu es
véritablement le Fils de Dieu.
Si les disciples avaient pu se scandaliser de ce que
Jésus s'était soustrait aux poursuites d'Hérode, l'expérience de cette
grande journée : la nourriture miraculeusement distribuée aux
cinq mille hommes, la marche sur la mer avaient dû les convaincre que
cette fuite n'était due ni à la crainte ni à la faiblesse. Ces
expériences étaient de nature à fortifier la foi de ceux qui étaient
dans la barque. Ils avaient vu la gloire de Jésus et l'avaient adoré.
Et en effet, cette gloire divine du Sauveur ne pouvait guère se
montrer plus éclatante que par cet apaisement de
la tempête et par son entrée dans la barque. Sans Jésus, elle eût été
bien impuissante à résister aux vents et aux flots. Mais dès que Jésus
y est entré, elle s'affermit, et ceux qui s'y trouvent sont délivrés (Ps.
XLVI, 2-4). Et ayant passé le lac, ils
vinrent dans le pays de Génésareth. Quand les gens de ce lieu-là
l'eurent reconnu, ils envoyèrent par toute la contrée d'alentour,
et ils lui présentèrent tous les malades ; ils le priaient
qu'ils pussent seulement toucher le bord de son vêtement, et tous
ceux qui le touchèrent furent guéris.
Une partie du peuple ayant remarqué que Jésus n'était pas entré
avec ses disciples dans l'unique barque qui se trouvait là, prit le
parti de l'attendre, dans l'espoir de le voir revenir. Mais comme le
lendemain il n'était pas de retour, et que ses disciples n'étaient pas
venus le chercher avec des barques de Tibériade, ils montèrent dans la
seule barque amarrée au rivage, pour se rendre à Capernaüm, afin d'en
ramener Jésus. La majeure partie de la foule, sur l'indication de
Jésus, s'était dispersée dans les villages environnants. Ceux qui
étaient restés sur le bord du lac n'étaient pas disposés à se
soumettre à sa parole. C'étaient en général ceux qui avaient été le
moins touchés intérieurement, et qui avaient eu l'idée de le faire roi
contre sa volonté. C'est à cette troupe animée de sentiments
terrestres, que le Sauveur s'adresse maintenant. La grande majorité de
ceux qui avaient été témoins de la multiplication des pains, était
probablement tout autrement disposée, et se trouvait en état de
comprendre la signification du miracle. Autrement le Seigneur aurait
manifesté sa gloire sans trouver un seul coeur croyant, et,
contrairement à sa propre défense, il aurait jeté ses perles devant
les pourceaux.
Ceux qui cherchaient Jésus, l'ayant trouvé dans la
synagogue de Capernaüm, lui dirent : Maître,
quand es-tu arrivé ici ? Ils espéraient que le
Seigneur ferait un nouveau miracle semblable à celui dont
ils venaient d'être témoins. Si Jésus avait répondu à leur attente, il
les aurait confirmés dans leurs idées charnelles. Ils auraient pensé
que l'homme qui peut commander à la mer, peut aussi dominer les flots
populaires. Ce doit être un roi qui ne laissera jamais ses sujets
manquer de nourriture. Pour ne pas fournir un aliment à cette
espérance terrestre, Jésus ne leur fait pas de réponse ; mais il
cherche si, dans ces préoccupations matérielles, il n'y aurait pas
quelque vestige de besoin spirituel, et dans ce but il leur explique
la signification du miracle de la veille. Il leur enseigne qu'il est
lui-même le pain de vie qui donne la vie au monde. Et d'abord il les
rend attentifs à leurs propres dispositions. En
vérité, en vérité, je vous le dis : Vous me cherchez, non
parce que vous avez vu des miracles, mais parce que vous avez
mangé des pains et que vous avez été rassasiés. Les
miracles que Jésus opérait dans le monde visible étaient des signes
destinés à diriger les esprits vers les biens invisibles et célestes,
qu'Il offrait aux coeurs croyants ; tandis que les Juifs
regardaient les miracles de Jésus comme les arrhes d'un règne futur,
plein de gloire terrestre et de jouissances charnelles.
Il y a beaucoup de chrétiens qui pensent comme eux.
Bien-être temporel, secours terrestres, voilà ce que la plupart
cherchent auprès du Christ. Aussi longtemps que ces biens leur sont
accordés, ils lui demeurent attachés. Viennent-ils à leur manquer,
aussitôt ces étranges disciples se scandalisent et abandonnent leur
Maître. Le Seigneur vent faire tomber un rayon de sa lumière dans
cette obscurité, afin de voir s'il ne découvrira pas quelque soupir
après le salut éternel. Travaillez non pour
avoir la nourriture qui périt, mais celle qui demeure jusqu'à la
vie éternelle, et que le Fils de l'homme vous donnera, car Dieu
l'a marqué de son sceau. Il est impossible que la
nourriture qui périt, donne la vie éternelle, car cette vie, la seule
digne du nom de vie, est celle qui dure éternellement. Or, les efforts
de la plupart des hommes ne tendent qu'à obtenir la nourriture qui
périt, comme si l'homme n'était créé que pour ce monde visible.
Ces discours de Jésus sur la nourriture qui demeure
jusqu'à la vie éternelle, rappellent étonnamment
l'entretien qu'il eut avec la Samaritaine près du puits de Jacob. De
même que là, il se donne comme l'eau qui jaillit jusqu'à la vie
éternelle, de même il se présente comme la nourriture qui demeure
jusqu'à la vie éternelle.
Toutefois, lorsque le Sauveur recommande de travailler
pour avoir cette nourriture, il ne veut pas dire que nous devions nous
la procurer nous-mêmes. Il est Lui-même la nourriture qu'il nous offre
afin que nous en jouissions. Lorsqu'il parle de travail, il veut
prévenir un malentendu qui consisterait à faire de la foi, - dont il
est question au v.
29 - un oreiller de sécurité pour la commodité de la chair. La
foi exige les plus grands efforts moraux dont l'homme soit
capable ; et quiconque s'endormirait paresseusement, n'arriverait
jamais à une foi vivante. On craint le sérieux de la repentance, sans
laquelle aucune véritable foi n'est possible ; on craint l'effort
qui est obligatoire pour concentrer sur la seule chose nécessaire ses
pensées errantes pour se plonger dans la communion du Dieu vivant. Or,
partout l'Écriture, bien loin de représenter la foi comme une douce
oisiveté, en parle au contraire comme d'une vie active et se
manifestant par une obéissance pleine d'amour. Et l'exhortation de
saint Paul aux Philippiens : « Travaillez à votre salut avec
crainte et tremblement » (Phil.
II.12) concorde parfaitement avec ce commandement du
Sauveur : Travaillez pour avoir la
nourriture qui demeure éternellement.
Afin que personne ne pense pouvoir se procurer cette
nourriture par ses propres forces, le Seigneur ajoute que le Fils
de l'homme la leur donnera. Cette nourriture qui demeure jusqu'à
la vie éternelle, est un don de la grâce du Fils de l'homme, du
Seigneur du ciel, qui est apparu comme un serviteur, et qui, par sa
mort et sa résurrection, la met à la portée des hommes. Il est prêt à
la donner immédiatement à ceux qui viennent à lui en se repentant et
en croyant. Car le Père l'a marqué de son sceau. Par les
oeuvres qu'il a faites, Jésus a été scellé par le Père, c'est-à-dire
marqué et préparé comme celui qui pouvait donner la vie éternelle au
monde.
Alors ils lui dirent : Que
ferons-nous pour faire les oeuvres de Dieu ? Les
Juifs veulent savoir ce que Jésus entend par travailler, et
quelle oeuvre agréable à Dieu ils pouvaient faire pour obtenir la
vie éternelle. Jésus leur répond : C'est
ici l'oeuvre de Dieu que vous croyiez à celui qu'il a envoyé.
La foi, telle est l'oeuvre qu'ils doivent accomplir pour plaire à
Dieu. Et c'est aussi l'oeuvre que Dieu opère en nous. Mais qu'elle
était grande pour les Juifs ! Il fallait qu'ils rompissent
avec la vaine manière de vivre qu'ils avaient apprise de leurs pères
(1 Pierre
I, 18), avec leurs espérances messianiques terrestres, avec
l'influence qu'ils exerçaient sur le peuple et qui alors déjà revêtait
un caractère d'hostilité marquée à l'égard de Jésus, avec l'opinion
publique, avec la recherche de. la gloire qu'ils aimaient à recevoir
les uns des autres (Jean
V, 44). Croire en Christ, c'était pour eux l'oeuvre des oeuvres.
C'était renoncer à tout ce à quoi ils étaient attachés : faveurs
du peuple et joies de la famille. Les pharisiens étaient convaincus
qu'ils accomplissaient les oeuvres les plus capables de leur mériter
la vie éternelle. Et cependant toutes ces oeuvres étaient bien loin
d'être aussi difficiles que celle que le Sauveur leur prescrit :
croire en lui.
Alors ils lui dirent : Quel
miracle fais-tu donc afin que nous le voyions et que nous croyions
en toi ? Quelle oeuvre fais-tu ? Nos pères ont mangé la
manne au désert, selon qu'il est écrit : Il leur a donné à
manger le pain du ciel. Telle fut la réponse ironique
des Juifs à l'exhortation de Jésus : « Travaillez pour avoir
la nourriture qui demeure jusqu'à la vie éternelle. » Ils
retournent la pointe contre lui et lui adressent cette question :
« Quelle oeuvre fais-tu ? » Ils ont un pressentiment de
la gravité de la parole par laquelle le Seigneur les met en demeure de
croire en lui. Ils pensent qu'il n'est pas suffisamment légitimé comme
Messie, pour avoir le droit de montrer une pareille exigence. Cet
homme demande plus que Moïse et il donne moins que lui. Le pain
terrestre qu'il leur a procuré une seule fois leur parait peu de chose
en comparaison de ce pain du ciel, dont Dieu avait nourri leurs pères
pendant quarante ans au désert. Ils exigent de Jésus qu'il surpasse le
miracle de la manne, et dans leur prétendue finesse, ils veulent le
ramener insensiblement à l'événement de la veille afin de lui faire
comprendre quel Messie ils souhaitent, savoir un Messie qui leur donne
le pain du corps, sans se préoccuper de « la vie
éternelle ».
Jésus part du passage de l'Écriture qu'ils viennent de
citer, pour leur expliquer ce qu'est le vrai pain
de vie, en le comparant avec la manne. Ils demandent le pain du ciel,
et voici, le vrai pain du ciel, qui donne la vie au monde, se trouve
déjà au milieu d'eux. Et Jésus leur
dit : En vérité, en vérité, je vous le dis : Moïse ne
vous a point donné le pain du ciel ; mais mon Père vous donne
le vrai pain du ciel. Ce n'est pas Moïse qui a donné le
pain du ciel dans le désert, c'est Dieu. La manne du désert était une
nourriture périssable qui alimentait seulement le corps. Ce n'était
donc pas le vrai pain de vie. Elle était une prophétie du pain qui
doit nourrir l'âme jusqu'à la vie éternelle. C'est maintenant
seulement qu'est apparu le vrai pain du ciel, qui procure au monde la
nourriture impérissable de l'âme.
Car le pain de Dieu est celui
qui est descendu du ciel et qui donne la vie au monde.
Le monde entier est devenu, par le péché, la proie de la mort. Il est
complètement en la puissance de cet ennemi, dont le souffle le
pénètre. Christ est la seule source de là vie véritablement pure et
heureuse. Hors de lui, il n'y a plus qu'une apparence de vie. Cette
pensée était pour les Juifs complètement nouvelle. Ils croyaient que
le Messie était exclusivement destiné aux Juifs, et ils apprennent ici
qu'il est le Messie du monde entier. Toutefois ils feignent de ne pas
entendre, alléchés qu'ils sont par la perspective d'une nourriture
plus excellente que la manne du désert. Ils
lui dirent : Seigneur, donne-nous toujours de ce pain-là.
On serait presque tenté de croire que le Sauveur a enfin réussi à
tirer une faible étincelle de besoin spirituel du coeur de pierre de
ses auditeurs. Cette demande nous reporte encore à celle que la
Samaritaine adressait à Jésus près du puits de Jacob :
« Seigneur, donne-moi de cette eau afin que je n'aie plus
soif. » Cependant, ni dans l'un ni dans l'autre cas, nous n'avons
l'expression d'un pareil besoin. Un bien inappréciable est
offert : là un breuvage excellent, ici un précieux aliment. Mais
c'est seulement lorsqu'on exprimera le désir d'en faire usage que le
Sauveur pourra marquer la liaison qui existe entre ce bien
incomparable et sa personne. Puisse l'expression de ce besoin :
« Seigneur, donne-nous toujours de ce pain-là, » n'être
jamais étouffée dans nos coeurs !
Et Jésus leur dit : Je suis
le pain de vie ; celui qui vient à moi n'aura point de faim,
et celui qui croit en moi n'aura jamais soif. Jésus est
lui-même le pain qui donne la vie au monde, auquel il révèle toujours
plus clairement sa gloire. Dans son amour de Sauveur, il invite d'une
manière de plus en plus pressante les Juifs à venir à lui. Jusqu'alors
ils ne l'avaient pas encore fait, parce qu'ils n'avaient ni faim ni
soif. Ils étaient rassasiés et n'avaient besoin de rien (Apoc.
III, 17). Jésus est le pain de vie, mais il est absolument
inutile aux incrédules, car ils n'en veulent rien. C'est seulement
lorsqu'on va à lui affamé, qu'on peut être rassasié de la plénitude de
ses biens.
Mais je vous l'ai déjà dit, que
vous m'avez vu et cependant vous ne croyez point. Les
Juifs avaient vu Jésus guérissant des malades, nourrissant des
milliers de personnes avec quelques pains ; ils avaient été
illuminés des rayons de sa gloire, et cependant ils ne croyaient pas
en lui. Tout ce que le Père me donne vient à moi. Le Père donne les
âmes au Fils, mais non arbitrairement. Il ne choisit pas aveuglément
de manière à donner les uns à son Fils pour être sauvés, tandis que
les autres seraient abandonnés à la perdition. « Dieu veut que
tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la
vérité » (I
Tim. II, 4). Ceux qui se laissent attirer et éprouvent le besoin
de sa grâce, il les donne à son Fils. Le Père ayant donné son Fils à
tous, ne demande pas mieux que de les donner tous à son Fils. Mais
ceux qui ne veulent pas, qui résistent à l'attrait du Père, il les
abandonne à la puissance du péché et de la mort. Comme ils ne veulent
pas croire pour être sauvés, ils ne doivent pas non plus l'être.
Et je ne mettrai point dehors
celui qui viendra à moi. Souvenons-nous que Jésus a
adressé ces paroles à des Juifs remplis de vues et de désirs charnels,
et nous comprendrons quelle consolante invitation elles renferment,
même pour ceux qui le méprisent encore et font une opposition hostile
à ses enseignements. Quiconque vient à lui, fût-ce à la onzième heure,
trouve en lui un Sauveur prêt à le recevoir. Aucun péché, quelque
grand et horrible qu'il soit, fût-il rouge comme le vermillon (Ésaïe
I, 18), ne fera rejeter le pécheur dans les ténèbres du dehors.
Jésus accepte tous les pécheurs qui viennent à
lui, sans faire aucune différence entre eux. Quelle douce consolation
pour ceux qui, sous le poids de leurs iniquités et dans le sentiment
de leur misère, sont tourmentés par les remords, et ne peuvent trouver
la paix ! Nous n'avons pas à craindre que Jésus se présente comme
un juge irrité, qui frappe du glaive. Il veut se faire connaître comme
le Bon Berger, comme le fidèle ami des âmes qui seul peut les rendre
heureuses. Seulement il faut que nous aillions à lui.
Car je suis descendu du ciel non
pour faire ma volonté, mais la volonté de celui qui m'a envoyé. Et
c'est ici la volonté de celui qui m'a envoyé, que je ne perde
aucun de ceux qu'il m'a donnés, mais je les ressusciterai au
dernier jour. C'est ici la volonté de celui qui m'a
envoyé, que quiconque contemple le Fils et croit en lui, ait la vie
éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour. Comment le Sauveur
aurait-il pu rejeter ceux que le Père lui a donnés et qui viennent à
lui pauvres, affamés et souffrants ? Il n'a d'autre volonté que
celle du Père. Bien loin de les repousser, il veut les protéger, afin
que personne ne les ravisse de sa main et qu'aucun ne se perde.
Quiconque contemple le Fils des yeux de la foi, comme les Israélites
mordus par les serpents brûlants regardaient le serpent d'airain, sera
comme eux délivré de la mort et aura la vie éternelle. Sans doute la
mort atteindra aussi les croyants et séparera leur âme de leur
corps ; mais celui qui nourrit nos âmes pour la vie éternelle,
qui a arraché son propre corps à la puissance du sépulcre, celui-là
ressuscitera nos corps au dernier jour, afin que, semblables à son
corps glorifié, ils aient aussi part à la vie éternelle.
Mais les Juifs murmuraient
contre lui de ce qu'il avait dit : Je suis le pain descendu
du ciel. Et ils disaient : N'est-ce pas là Jésus, le fils de
Joseph, dont nous connaissons le père et la mère ? Comment
donc dit-il : Je suis descendu du ciel ? Les
Juifs comprenaient très bien les paroles du Sauveur. Leurs murmures ne
sont pas provoqués par un malentendu, mais par le scandale que leur
donnent ces paroles dont ils saisissent parfaitement le sens. Ils
murmurent contre le Fils de Dieu fait homme, comme leurs ancêtres
murmuraient continuellement contre lui dans le désert, lorsqu'Il se
révélait à eux comme Jéhovah, le Dieu de l'alliance. Jésus a déclaré
qu'il est le pain de vie, et les Juifs le comprennent si bien qu'ils
l'accusent de vouloir, par ces paroles, prétendre à la participation
de la gloire divine. S'il avait consenti à renoncer, à être égal à
Dieu en puissance et en gloire, les Juifs l'auraient volontiers
reconnu comme le Messie, et lui auraient rendu les plus grands
honneurs. Mais sa prétendue descendance de Joseph semblait être en
contradiction avec sa divinité. Les Juifs ne regardaient qu'à la
bassesse de sa naissance et de sa condition, et fermaient les yeux sur
les miracles qu'il opérait au milieu d'eux. La prétention de Jésus de
descendre du ciel leur paraissait insupportable, et ainsi ils
s'éloignaient obstinément de lui.
C'est ce qui arrive encore aujourd'hui. Le coeur naturel
qui est orgueilleux, ne soupire pas après un Sauveur, s'éloigne avec
indignation de Jésus, lorsqu'il l'entend déclarer qu'il est le pain de
vie descendu du ciel, et qui donne la vie au monde. Le même fait, qui
console et restaure l'humble croyant, aveugle l'orgueilleux incrédule.
Jésus leur répondit : Ne
murmurez point entre vous. Personne ne peut venir à moi si le Père
qui m'a envoyé ne l'attire, et je le ressusciterai au dernier jour.
Les Juifs croyaient avoir des motifs suffisants pour se scandaliser de
Jésus ; mais il leur montre que la vraie cause de ce scandale,
c'est leur incrédulité. Le Père ne peut pas les attirer au Sauveur,
parce que leurs coeurs sont trop aveuglés pour reconnaître les choses
divines, et trop indifférents pour les recevoir. Comme l'aimant ne
peut pas attirer toutes les substances, mais seulement le fer, de même
le Père ne peut attirer au Fils que les coeurs affamés de salut.
L'importance de cette attraction paraîtra seulement au dernier jour.
Ceux qui se seront laissé attirer, participeront à la résurrection des
justes, pour posséder la plénitude de la vie éternelle. Ceux qui
auront résisté ressusciteront aussi, mais pour la condamnation, et
leur partage sera la plénitude des souffrances réservées aux pécheurs
impénitents.
Il est écrit dans les
prophètes : Ils seront tous enseignés de Dieu.
Quiconque a écouté le Père et a été instruit par lui, vient à moi. Le
Père n'attire pas à Christ directement, mais il se sert de la Parole
et des sacrements. En vain ceux qui méprisent ces moyens, compteraient
sur l'attrait du Père. Tous sont instruits, mais ce sont seulement,
ceux qui écoutent comme des pécheurs affamés de grâce, qui viennent à
Jésus. Les Juifs ne se laissaient pas instruire par le Père, c'est
pourquoi ils ne pouvaient pas reconnaître le Fils de Dieu. Ce
n'est pas que quelqu'un ait vu le Père, si ce n'est celui qui
vient de Dieu. Celui-là a vu le Père. Le Père n'attire
pas les âmes sans la médiation du Fils. Il lui a donné toutes choses,
et nul ne connaît le Père que le Fils et celui auquel le Fils aura
voulu le faire connaître (Matth.
XI, 27). Hors de Jésus, il n'y a point de communion avec Dieu.
Ces paroles amènent le Sauveur à faire un nouvel exposé des biens
célestes dont les croyants jouiront en Christ.
En vérité, en vérité, je vous le
dis : Celui qui croit en moi a la vie éternelle. Je suis le
pain de vie. Vos pères ont mangé la manne dans le désert et ils
sont morts. C'est ici le pain descendu du ciel, afin que celui qui
en mange ne meure point. La manne du désert, dont les
Juifs étaient si glorieux, n'était qu'un pain périssable qui ne
pouvait pas préserver de la mort. Le vrai pain du ciel ne préserve pas
non plus de la mort corporelle, mais il la change en un sommeil pour
ceux qui mangent de ce pain par la foi. « C'est en mangeant de
l'arbre de la connaissance du bien et du mal, que nos premiers parents
ont introduit la mort dans l'humanité pécheresse ; c'est en
mangeant du fruit céleste de l'arbre de vie qui est Christ, que la vie
et l'immortalité sont rentrées dans l'humanité. » Vos pères,
dit le Seigneur, et non : nos pères, expression par
laquelle il témoigne encore une fois de son origine divine, et
redresse les paroles des Juifs, v.
42 : « N'est-ce pas là Jésus, le fils de Joseph, dont
nous connaissons le père et la mère ? » - Je
suis le pain de vie qui est descendu du ciel. Si quelqu'un mange
de ce pain, il vivra éternellement ; et le pain que je
donnerai, c'est ma chair, que je donnerai pour la nourriture du
monde. Jésus est un don que Dieu fait au monde. Il est
la médecine de l'âme, qui doit la guérir de tous les ravages causés en
elle par le péché, et de toutes les infirmités qui accompagnent la
mort.
Jésus parle dans ce discours tout autrement qu'il ne l'a
fait jusqu'ici. « Ce n'est pas seulement par ce que vous entendez
de moi et voyez en moi, que vous pouvez parvenir à la vie éternelle.
Il faut que je devienne moi-même une partie
constitutive de votre être. » Ces paroles montrent toujours plus
clairement qu'il faut qu'il meure, afin de devenir pour le monde la
nourriture qui demeure éternellement. La vie de son Fils est le
premier don que Dieu a fait au monde ; il faut qu'il lui fasse
encore le second : la mort de ce Fils, par laquelle seulement le
monde aura obtenu toute la plénitude des biens que Dieu veut lui
donner en Christ. La Parole s'est faite chair. Le Fils de Dieu ne
s'est pas contenté de prendre la nature humaine, il s'est fait homme.
Et cette chair, c'est-à-dire son humanité, il la donne pour la vie du
monde. Mais il ne peut donner son humanité au monde, que parce qu'elle
est complètement pénétrée de sa divinité. La force vivifiante qu'il
communique au monde, gît dans sa divinité ; mais la possibilité
de communiquer au monde sa vie divine, gît dans son humanité,
c'est-à-dire dans sa chair, parce qu'il ne pouvait accomplir l'oeuvre
de notre rédemption que par son humanité. Quiconque pense à Dieu ou
cherche Dieu en dehors de la personne de Jésus-Christ, l'a perdu et ne
le trouve plus ; mais quiconque le cherche suivant les
indications de Jésus, le trouve.
Les Juifs donc disputaient entre
eux : Comment cet homme peut-il nous donner sa chair à
manger ? On ferait
tort aux habitants de Capernaüm si on leur reprochait d'avoir compris
d'une manière grossière les paroles de Jésus. S'il en était ainsi, le
Seigneur n'eût certainement pas manqué d'éclaircir ce malentendu. Au
lieu de cela, il répète en les accentuant plus fortement ces mêmes
paroles qui avaient choqué les Juifs. Aussi est-ce à la suite de ces
discours, que plusieurs de ses disciples l'abandonnèrent, sans qu'il
fît la moindre tentative pour leur expliquer les paroles qui les
avaient scandalisés. Ceci montre que ce qui scandalisait, ce n'était
pas la forme, mais bien le contenu de l'enseignement du Sauveur. Du
moment qu'un homme veut être sauvé de la mort éternelle, il faut qu'il
mange la chair de Jésus, c'est-à-dire qu'il s'approprie complètement
sa personnalité divine et humaine, et la fasse demeurer en lui (v.
56, Ephés.
III, 17). Tous les envoyés de Dieu ont détourné les regards du
peuple d'eux-mêmes, pour les diriger sur le Dieu vivant, le seul qu'on
doive servir. Quant à Jésus, il n'exige pas
seulement qu'on accepte sa parole et son message, mais encore sa
personne, comme seule capable de garantir la vie et le salut.
« Les Juifs se scandalisaient de la chair du Fils de l'homme,
mais le Seigneur veut que nous nous y attachions, si nous avons à
coeur de vivre et d'être sauvés. »
Jésus leur dit : En
vérité, en vérité, je vous le dis : Si vous ne mangez la
chair du Fils de l'homme et si vous ne buvez son sang, vous
n'aurez point la vie en vous-mêmes. Sans doute, celui
qui voyait d'avance avec une parfaite clarté son oeuvre de rédemption,
savait qu'à la prochaine fête de Pâques, il instituerait la sainte
Cène ; sans doute la multiplication miraculeuse des pains, avec
les discours qui la suivirent, était une indication anticipée et
pleine d'expression de cette sainte cérémonie.
Toutefois, le repas sacré n'étant pas encore institué, il
n'est pas encore expliqué dans ces paroles du Sauveur. Elles ne font
que l'annoncer prophétiquement. Ainsi par les expressions manger
et boire, la foi est ici admirablement caractérisée, non comme
une opinion froide et morte, ou comme une simple adhésion de
l'intelligence, mais comme une expérience vivante, comme une
appropriation intime, comme une acceptation du Seigneur Jésus dans
notre vie intérieure. La foi ne laisse pas Jésus dehors ; elle se
l'approprie de telle sorte que nous soyons revêtus de lui (Rom.
XIII, 14), trouvés en lui (Philip.
III, 9), et le fassions habiter dans nos coeurs (Ephés.
III, 17). La chair et le sang des hommes pécheurs n'hériteront
point du royaume des cieux ; ils ont mérité la perdition
éternelle. Mais un moyen de salut est préparé pour l'homme naturel,
dans la chair et le sang de la Parole faite chair, afin que sa
personne divine et humaine pénètre et sanctifie toute notre vie et la
garde ainsi pour la vie éternelle.
Mais le point culminant de cette oeuvre d'assimilation
est la sainte Cène que le Seigneur annonce ici. Celui
qui mange ma chair et boit mon sang, a la vie éternelle, et je le
ressusciterai au dernier jour. Ce que le Seigneur
attribue à la foi au Fils de Dieu, v.
40, il l'attribue ici à sa chair qu'il faut manger, et à son
sang qu'il faut boire. Car ma chair est
véritablement une nourriture et mon sang est véritablement un
breuvage. Quiconque n'est pas nourri et abreuvé de
Christ, souffrira éternellement de la faim et de la soif. C'est en lui
seul que l'âme est pleinement satisfaite. Celui
qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi et moi en lui.
S'il s'agit ici non d'une union apparente, mais d'une union réelle de
l'homme avec Christ, il faut que le moi naturel soit éliminé, afin que
le coeur puisse saisir Jésus. « Il faut qu'il croisse et que je
diminue. » Cette parole est vraie aussi dans la vie intérieure
des chrétiens. Comme le Père qui est vivant
m'a envoyé, et que je vis par le Père, ainsi celui qui me mangera,
vivra par moi.
Au début de l'histoire de l'humanité, il est dit :
« Au jour que tu en mangeras, tu mourras de mort. »
Maintenant, Christ est venu en chair, et il est dit au
contraire : « Au jour que tu en mangeras, tu vivras. »
Car, en Dieu est la source de la vie (Ps.
XXXVI, 10), et cette vie est communiquée à l'humanité par
Christ. Maintenant le Seigneur résume encore tout ce qu'il a dit
jusqu'ici sur cette manière. C'est ici le
pain qui est descendu du ciel. Il n'en est pas comme de la manne
que vos pères ont mangée et ils sont morts. Celui qui mangera de
ce pain vivra éternellement.
Jésus dit ces choses, enseignant dans la synagogue de
Capernaüm. De cette synagogue, il dirigeait ses regards vers la
chambre haute, où ses disciples lui préparèrent l'agneau pascal et où
il institua le sacrement de la sainte Cène. Lorsque, pendant la
célébration de la dernière fête de Pâques, les disciples entendirent
ces paroles de la bouche de leur Maître : « Prenez, mangez,
ceci est mon corps ; prenez, buvez, ceci est mon sang, »
elles durent réveiller en eux le souvenir de ce qu'ils avaient entendu
dans la synagogue de Capernaüm, et ils purent immédiatement savoir
pourquoi Jésus instituait ce sacrement et ce qu'il offrait.
Plusieurs de ses disciples
l'ayant ouï, dirent entre eux : Celle parole est dure ;
qui peut l'écouter ? Ils trouvent cette parole
dure, parce qu'elle leur parait incompréhensible. Jésus avait déclaré
que tous ceux qui ne mangeraient pas sa chair pour avoir la vie
éternelle, mourraient éternellement. Ce langage leur parait
intolérable, parce qu'ils n'ont pas la clef indispensable pour le
comprendre : la connaissance de leurs péchés et de la dignité
divine de Christ. Et comme l'une et l'autre leur manquent, ils se
révoltent à la pensée de ce dépouiller
complètement d'eux-mêmes pour revêtir Christ. Il n'y a donc rien
d'étonnant à ce que, en présence de ce doux témoignage de
l'Évangile : « Dieu manifesté en chair (I
Tim. III, 16) », l'aveugle déraison et le coeur endurci se
scandalisent et se révoltent ; car ce qui plaît à l'aveugle
raison et au sens terrestre des hommes ne se trouve assurément pas
dans le coeur de l'Homme-Dieu. Mais Jésus,
connaissant en lui-même que ses disciples murmuraient de cela, il
leur dit : Ceci vous scandalise-t-il ? Que sera-ce donc
si vous voyez le Fils de l'homme monter où il était
auparavant ? L'ascension de Christ fournit aux
disciples la preuve que cette faiblesse de la chair, qui les avait
scandalisés, il ne l'avait revêtue que par une condescendance
volontaire et pleine d'amour. « Car celui qui, contrairement à la
nature humaine, peut rendre sa propre chair céleste, peut aussi faire
de sa chair une nourriture vivante pour les hommes. » Celui qui
domine dans les cieux veut habiter en nous.
C'est l'Esprit qui vivifie, la
chair ne sert de rien. Les paroles que je vous dis sont esprit et
vie. En partant ainsi, le Sauveur n'a pas en vue sa
propre chair, car il vient de dire que sa chair, à lui, est une
nourriture qui demeure jusqu'à la vie éternelle. Il parle ici de la
chair de l'homme pécheur, celle dont il est dit : « Ce qui
est né de la chair est chair » (Jean
III, 6). Si la chair de Jésus eût été telle que les Juifs le
pensaient, elle ne servirait réellement de rien. Cette chair portant
en elle-même le germe de la mort, ne saurait donner la vie. Mais la
chair de Jésus était pénétrée de l'Esprit, pénétrée de Dieu, et
pouvait par conséquent donner la vie. Car l'Esprit qui émane de la
personne de Jésus et dont ses actions et ses paroles sont imprégnées,
est la source de la vie pour l'humanité.
Mais il y en a quelques-uns
d'entre vous qui ne croient point. Car Jésus savait dès le
commencement qui seraient ceux qui ne croiraient point et qui
serait celui qui le trahirait. Tout le scandale causé
par l'abaissement de Christ, provient de l'incrédulité du coeur. Dès
le commencement, c'est-à-dire dès le moment où les disciples avaient
été mis en rapport avec lui, Jésus les avait connus, parce qu'il sonde
les coeurs. Il n'avait pas besoin de vivre longtemps avec eux pour les
pénétrer. La société de Christ n'est en bénédiction
qu'à ceux qui se donnent à lui de tout leur coeur et sans condition,
et qui persévèrent dans la vigilance et dans la prière. - Et il
dit : C'est à cause de cela que je vous
ai dit que personne ne peut venir à moi s'il ne lui a été donné
par mon Père. Jusqu'alors, ils avaient été attirés à
Jésus, non par Dieu, mais par leur appétit charnel. De
cette heure-là, plusieurs de ses disciples se retirèrent et
n'allaient plus avec lui.
Plusieurs, non pas tous. Ces plusieurs
étaient du nombre de ceux qui avaient reçu la semence sur le roc. Ils
avaient d'abord accepté la Parole avec joie, mais ils étaient
vacillants, et bientôt ils se scandalisèrent (Matth.
XIII, 21). Après avoir été rassasiés dans le désert, ils avaient
conçu l'espoir que Jésus serait pour eux un Roi qui les conduirait à
la puissance et à la gloire terrestres.
C'est dans cet espoir qu'ils l'avaient suivi. Jésus,
connaissant de loin leurs pensées, leur explique que la nourriture
miraculeuse qu'il leur a donnée, est un signe destiné à leur faire
comprendre et rechercher une autre nourriture, également miraculeuse,
mais spirituelle, qui consiste dans sa chair et son sang. Ils ne
pouvaient demeurer avec lui. Ils avaient été désillusionnés quant à
leurs espérances terrestres. Ils lui avaient offert, ce qui à leurs
yeux, constituait le bien le plus excellent, la couronne royale, et
Jésus l'avait refusée. Dès lors, leur enthousiasme pour lui devait
promptement se refroidir.
Nous sommes arrivés à une époque décisive de la vie de
Jésus. C'est la première séparation qui s'opère parmi les disciples
qui l'avaient suivi en grand nombre. En résistant aux paroles par
lesquelles il leur marquait la nécessité de manger sa chair et de
boire son sang, ils manifestent leurs dispositions à son égard. Le
Seigneur les laisse aller, car il ne regarde pas au nombre de ses
disciples, mais à leur pureté.
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